| (caelanwar) where'd you go, i miss you so |
| | (#)Lun 18 Jan 2021 - 19:07 | |
| caelan & anwar where'd you go, i miss you soI find myself just fillin' my time, anything to keep the thought of you from my mind, I'm doin' fine, I plan to keep it that way, you can call me if you find you have somethin' to say, and I'll tell you, I want you to know it's a little fucked up that I'm stuck here waitin', at times debatin', tellin' you that I've had it with you and your career, me and the rest of the family here singing "Where'd you go?" ☆☆☆ On était en droit d’en douter, bien sûr, car la conduite « sportive » d’Anwar n’était plus un secret pour personne et ce depuis longtemps, mais il n’était en revanche absolument pas le genre à consulter son téléphone portable lorsqu’il était au volant. Si tel avait été le cas, il n’aurait pas attendu d’être arrivé devant le restaurant où sa future-éventuelle-ex-femme et lui s’étaient donnés rendez-vous quelques jours plus tôt pour découvrir que cette dernière ne viendrait pas. « Un imprévu, je vais pas pouvoir te rejoindre. Je t’appelle demain. » Rien de surprenant au fond, des lapins Riley lui en avait déjà posé des tas, au sens propre comme au figuré … Et malgré tout, Anwar peinait à contenir sa déception. Pour une raison que lui-même ne s’expliquait pas, il s’était bêtement laissé convaincre que la mère de Tarek lui manquait – un peu – et que de déjeuner avec elle atténuerait une partie du blues avec lequel il s’était réveillé ce matin-là. Mais Riley avait mieux à faire, Riley avait toujours mieux à faire, et la déception se transformant presque aussitôt en amertume il s’était fendu d’un « Te fatigue pas. » laconique en guise de réponse et avait balancé rageusement son téléphone sur le siège passager. La gorge serrée et le cœur un peu lourd il était resté là, à contempler la rue à travers le pare-brise de la voiture durant de longues minutes sans trouver le courage de bouger. Maze passait tout son samedi sur l’organisation d’un mariage et l’idée de errer tout seul dans son appartement jusqu’au soir venu lui semblait tout à coup insurmontable … Il devait récupérer Alma chez Lene en début de soirée, avant qu’elle ne débute son shift à la caserne, mais il ne souhaitait pas donner l’impression de vouloir la priver du temps dont elle disposait en tête à tête avec leur fille en arrivant en avance. Passer chez Norah n’était pas non plus envisageable, quand bien même une partie de foot avec les enfants aurait probablement suffit à lui donner un peu de baume au cœur – aux dernières nouvelles Marcus passait déjà l’après-midi chez eux, et la dernière chose dont avait besoin Anwar c’était d’une dose d’animosité supplémentaire. Il se sentait terriblement seul, en vérité, chaque jour un peu plus que le précédent. Il se souvenait à peine avoir remis le contact et quitté sa place de parking. Il ne se souvenait pas beaucoup plus d’avoir décidé d’une destination, en réalité, et lorsqu’il s’était immobilisé sur le parking du cimetière de Toowong une demi-heure plus tard il lui avait fallu quelques instants supplémentaires pour prendre la mesure de l’endroit où il se trouvait. Il n’aimait pas trop ça Anwar, les cimetières – ironique venant de quelqu’un qui travaillait pour la brigade des homicides et voyait des morts à longueur de journées. Mais ce n’était pas tant l’omniprésence de la mort qui lui pesait : c’était celle du deuil, qui s’insinuait dans chacune des allées et qui transparaissait de chaque personne qu’il croisait lorsqu’il venait ici, chez ceux qui l’apprivoisaient à peine et chez ceux qui vivaient avec depuis des années. Ce cimetière au fond il ne faisait que lui renvoyer à la figure son deuil à lui, celui qu’il ne parvenait pas à faire, parce que des collègues ici il en avait enterré plusieurs – les risques du métier, parait-il – mais il n’y en avait qu’un dont il sentait encore le poids de la disparition peser sur ses épaules aussi lourdement que sa culpabilité. S’il ne venait plus ici c’était aussi pour cette raison, parce que poser les yeux sur le marbre gravé au nom de Frank c’était comme le regarder dans les yeux, et qu’Anwar ne s’en sentait plus le droit ni pour ne pas lui avoir encore rendu justice, ni pour les méthodes dans lesquelles il s’enfonçait pour tenter d’y parvenir. Coûte que coûte et à n’importe quel prix, même celui de cette intégrité policière à laquelle son ancien équipier et ami était si attaché. Il n'était pas venu depuis une éternité et il n'était pas non plus du genre à s’adresser à une stèle comme s’il en attendait une réponse, et pourtant. La gorge serrée par tout ce qu’il ne pouvait dire à personne il était resté là un long moment, silencieux, incapable d’ouvrir la bouche autant que de faire demi-tour, et lorsque finalement les premiers mots lui avaient échappés le reste avait suivi en un flot ininterrompu. Norah, le boulot, Riley, le Club, Caelan, Tarek et Alma, Mitchell, les mauvais moments ainsi que les bons – il y en avait eu aussi – ceux qu’il aurait aimé partager avec lui, ceux pour lesquels les conseils de Frank lui manquaient cruellement … Anwar passait d’un sujet à l’autre avec fébrilité et maladresse, ses mains tremblant chaque fois qu’il enlevait ou remettait sa casquette d’un geste machinal, ou retirait ses lunettes de soleil pour chasser les quelques larmes qu’il n’était pas parvenu à ravaler. À son zénith lorsqu’il était arrivé le soleil avait continué sa course et brillait maintenant derrière les arbres qui entouraient le cimetière, quant à Anwar il avait fini par s’asseoir dans l’herbe et contemplait les dorures qui décoraient la stèle. Sa dernière discussion avec Norah et cette lettre sortie de nul part avaient remué beaucoup de choses chez la veuve mais aussi chez lui, le mettant face à ses échecs et questionnant le bien-fondé de la confiance qu’avait mis Frank entre ses mains des années en arrière. Quel échec. « C’est toujours tellement calme, ici. Comme si même les oiseaux savaient que ceux qui sont là ont besoin de tranquillité. » Dans sa vision périphérique il avait reconnu le profil de Caelan, mais n’en avait pas fait une raison suffisante pour quitter le lit d’herbe dans lequel il était assis. « Ça fait longtemps que tu es là ? » Relevant la tête vers le frère de Norah, Anwar avait laissé de côté toute forme d’une animosité qui lui aurait demandé plus d’énergie qu’il n’en avait en magasin. Assez longtemps pour l’avoir entendu causer tout seul et filer un coup supplémentaire à sa dignité, c’était probablement le vrai sens de sa question. Caelan et lui n’avaient pas eu de vraie discussion depuis celle dans la chambre d’hôpital de Norah, ils n’avaient fait que se croiser chez l’infirmière depuis qu’elle était convalescente, et si le policier n’avait plus tenté la moindre approche pour obtenir de son ami ce qu’il ne souhaitait pas dire il n’avait pas non plus été capable d’agir comme si le poids de ce non-dit ne pesait pas dans la balance. « Je te laisse la place, si tu veux. » On ne venait pas ici pour avoir de la compagnie, et Anwar le premier n’était pas capable de se recueillir autrement qu’à l’abri des regards.
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| | | | (#)Ven 29 Jan 2021 - 11:37 | |
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Si Caelan avait choisi la fuite comme solution à ses problèmes, c’est parce qu’il savait au fond de lui qu’il n’aurait jamais le support de ses proches lorsqu’ils apprendraient ce qu’il avait fait. Il avait donc préféré partir loin pour ne pas les perdre, même si ça impliquait de ne plus les voir sur une base régulière. S’il s’était rendu compte de quelque chose lors de son séjour au Canada cependant, c’était bien qu’il n’était pas fait pour se retrouver seul et qu’il avait besoin des gens qu’il aimait. Dès son retour en sol australien, il avait donc repris goût à les côtoyer régulièrement et il avait pris la décision de ne plus repartir et de se repentir. Sauf que maintenant qu’il avait commencé à avouer la vérité aux membres de sa famille et qu’il voyait ses proches s’éloigner de lui l’un après l’autre, il se sentait encore plus loin d’eux que lorsqu’il s’était retrouvé à des milliers de kilomètres. Il avait beau chercher dans ses souvenirs les plus lointain, il ne rappelait pas avoir déjà vu Marcus autant en colère que lorsqu’il était débarqué chez lui après que Jessica lui ait raconté la vérité. Et même s’il comprenait la déception et la colère de ses proches, ça ne changeait pas la façon dont il se sentait face à ce rejet brutal et au sentiment de solitude qui s’exacerbait en-dedans de lui. Il se demandait parfois s’il avait bien fait de revenir, se disant qu’il aurait dû rester au Canada où il ne traînait pas ce passé douloureux dont il était peu fier.
Depuis que Marcus était débarqué chez lui dans tous ses états, Caelan n’était définitivement pas au meilleur de sa forme. Et alors qu’il se sentait particulièrement seul et qu’il ressentait le besoin de parler de son mal-être pour aller mieux, il ne voyait pas du tout à qui il pourrait se confier. Autrefois il avait le réflexe de se tourner vers Norah lorsqu’il ressentait le besoin de parler mais les choses étaient différentes aujourd’hui. Même si elle acceptait toujours de le voir, le brun sentait que le lien privilégié qu’ils partageaient depuis leur naissance était brisé. Il ne se sentait donc pas à l’aise d’aller vers elle, d’autant plus que la raison de son mal-être était responsable de la distance qu’il y avait maintenant entre eux. Vers qui d’autre pouvait-il se tourner? Certainement pas Helena alors que leur relation était tendue depuis que le Leckie avait décidé de retourner avec une de ses ex-copines. Et Elizabeth? Aux yeux de Caelan, son amoureuse en faisait déjà bien assez pour lui sans qu’il ne l’entraîne dans sa tristesse avec lui davantage. Et voilà qu’il avait déjà fait le tour des gens qui étaient au courant de son terrible secret. Aborder le sujet avec une autre personne ne ferait qu’empirer le problème puisque ce serait sans aucun doute une personne de plus qui s’éloignerait de lui. Et pour le moment, pour sa santé mentale, il ne s’en sentait pas capable.
Alors ses pas le guidèrent lentement jusqu’au cimetière où Frank était enterré, même s’il n’avait pas pour habitude de se recueillir sur la tombe des morts. Aujourd’hui, cependant, il ressentait le besoin de parler à quelqu’un et il savait que Frank ne pourrait pas le juger d’où il était aujourd’hui. Lorsqu’il fût suffisamment prêt de la tombe de son défunt beau-frère, il aperçut Anwar assis dans l’herbe. Il s’arrêta d’un coup, hésitant à s’approcher davantage de son ami étant donné la relation conflictuelle qu’ils entretenaient depuis que Caelan était de retour au pays. Le brun savait aussi que si son ami était ici aujourd’hui, c’était probablement parce qu’il ressentait le besoin d’être seul. « C’est toujours tellement calme, ici. Comme si même les oiseaux savaient que ceux qui sont là ont besoin de tranquillité. » Caelan contempla l’idée de lui répondre, sans aucune certitude que ce commentaire lui était dédié. Il hésita encore un moment, se disant qu’il avait encore peut-être le temps de rebrousser chemin sans que son ami s’aperçoive de sa présence. « Ça fait longtemps que tu es là ? » Les mains dans les poches, Caelan secoua négativement la tête. « Pas vraiment non. » dit-il sans bouger, comme s’il attendait la permission de pouvoir s’approcher de lui alors qu’il faisait partie de ceux qui ne le détestaient pas encore complètement bien que ce n’était peut-être qu’une question de temps, puisque Annie souhaitait connaître la vérité depuis longtemps. « Je te laisse la place, si tu veux. » Caelan tourna la tête vers la tombe de Frank, s’attardant sur les mots gravés sur celle-ci. C’était la première fois qu’il venait ici depuis l’enterrement du défunt. « Tu peux rester si tu veux. » dit-il en s’approchant lentement de lui, ne souhaitant pas vraiment se retrouver seul encore une fois. Lorsqu’il prit place dans l’herbe à proximité d’Anwar, Caelan posa une main sur l’épaule de ce dernier en souriant faiblement, espérant lui apporter un peu de réconfort. Il resta en silence un moment, ne sachant pas trop quoi dire à cet ami avec qui le lien n’était plus non plus ce qu’il était auparavant. « Est-ce que ça va Annie? » demanda-t-il à voix basse en posant son regard sur lui d’un air inquiet. Conscient qu’il ne ressentait peut-être pas le même besoin de parler que lui, Caelan baissa les yeux vers ses mains qui pendaient devant ses genoux, les bras entourés autour de ceux-ci. « On n’est pas obligé de parler si t’en as pas envie, on peut rester en silence si tu préfères. » Il respecterait la volonté d’Anwar peu importe ce qu’il désirait.
Dernière édition par Caelan Leckie le Jeu 27 Mai 2021 - 11:14, édité 5 fois |
| | | | (#)Mer 24 Fév 2021 - 9:51 | |
| Il était bien moins habituel de voir les deux hommes ici qu’il ne l’était d’y voir Norah, plus régulière dans ses visites et plus attentive à ce que la tombe de son époux soit joliment fleurie, sans extravagance mais toujours suffisamment pour qu’elle ne paraisse pas délaissée. Certains jours Anwar s’en voulait un peu de ne pas être capable de la même régularité, mais au bout du compte chacun d'eux vivait son deuil à sa manière et si l’infirmière trouvait peut-être du réconfort dans le fait de venir se recueillir ici, Anwar lui n’y voyait qu’une trop maigre consolation … Quant à Frank, il ne se serait probablement pas formalisé de la chose s’il avait été là. En lieu et place de sa veuve c’était pourtant bien son ami qui s’était ce jour-là risqué à une visite impromptue, poussé par une mélancolie tenace et le besoin de mettre des mots sur tout ce qu’il ne pouvait confier à personne. Frank avait toujours été le plus sage des deux, de cette sagesse qui n’avait rien à voir avec leurs quelques années d’écart et que le Lindley avait probablement toujours possédé. Il savait mettre les choses en perspective et toujours voir les faits dans leur ensemble, il contrebalançait l’impulsivité d'Anwar par son calme olympien, et il était toujours de bon conseil – tant de qualités que le brun était venu chercher ce jour-là, et peu importe s’il n’y avait que le gazouillement des oiseaux et le silence pour lui donner la réplique. Était-ce ce que Caelan était venu chercher lui aussi ? Ou était-ce simplement l’expression d’un désir soudain de payer ses respects à leur ami commun ? « Pas vraiment non. » avait en tout cas assuré le jumeau de Norah quant à savoir s’il était là depuis longtemps. Vérité ou non Anwar semblait vouloir s’en contenter, et proposant de laisser sa place sans pour autant bouger d’un pouce il avait contemplé quelques instants la réponse à donner lorsque l’ouvrier avait assuré « Tu peux rester si tu veux. » en s’avançant finalement, mettant pied à terre et s'asseyant à son tour dans l'herbe verdie par la saison des pluies. La main de Caelan sur son épaule lui arrachant un frisson, il avait penché la tête dans sa direction et senti sa gorge se serrer un peu. « Est-ce que ça va Annie ? » Non, ça n’allait pas. Bien sûr que ça n’allait pas, mais s’ils étaient là tous les deux c’était bien la preuve qu’ils avaient au moins ça en commun, et par pure rhétorique Anwar avait renvoyé « Je pourrais te poser la même question. » sans toutefois y apporter de réponse. Ce n’était pas tant qu’il ne voulait pas le faire, mais après le « Est-ce que ça va ? » venait indubitablement le « Qu’est-ce qui ne va pas ? » et à celle-ci le brun n’était pas certain de pouvoir répondre. Même face à Caelan. Surtout face à Caelan, en vérité, car le poids d’autres non-dits pesait déjà dans la balance et rendait chaque conversation plus lourde. « On n’est pas obligé de parler si t’en as pas envie, on peut rester en silence si tu préfères. » avait alors assuré le Lindley sans qu’on ne sente dans ses paroles autre chose que de la sincérité. Était-ce l’esprit de contradiction, alors, qui après quelques instants d’un nouveau silence avait fini par admettre « J’avais besoin de parler à quelqu’un. Mais j’attendais pas forcément de réponse. » Et quelle meilleure oreille que celle d’un défunt, dans ce cas ? « C’est stupide. » avait-il pourtant commenté, plutôt pour lui-même, tant la chose ne lui ressemblait pas. Il n’était pas du genre à s’épancher, Anwar, trop habitué à tout garder pour lui et à l’évacuer derrière les cuivres de sa batterie ou sur le stand de tir de sa brigade. Dans les draps de sa future-ex-femme à de plus rares occasions, même s’ils tachaient d’éviter, et ce jour-là particulièrement il n’avait plus rien envie d’autre concernant Riley que de l'arroser d’insultes. « Il me manque. » Les pensées revenant à Frank et l'attention à Caelan, le brun avait arraché d’un geste machinal un pissenlit ayant eu le malheur de pousser à portée de sa main. Il s’autorisait rarement à l'avouer, ne s’en sentait pas forcément le droit tant que l’assassin du policier serait toujours dans la nature, mais le manque était là et il pesait sur ses épaules avec lourdeur. « Et toi, c’est quoi ton excuse ? » Ramenant ses jambes contre lui, il avait pour la première fois tourné entièrement la tête vers le frère de Norah, l’attention attirée par les traits tirés et la fatigue flagrante qui se lisaient sur son visage. Caelan n’avait pas bonne mine, et peu importe ce dont il avait soulagé sa conscience auprès de Norah il n’avait pas l’air de quelqu’un qui se portait mieux depuis. Peut-être cherchait-il lui aussi en Frank l’oreille sans jugement aucun qu’Anwar était venu trouver.
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| | | | (#)Sam 6 Mar 2021 - 12:03 | |
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Même si la relation entre les deux amis était plutôt tendue depuis le retour au pays de Caelan, l’affection qu’il éprouvait pour Anwar ne demeurait pas moins sincère et il n’aimait pas le voir dans cet état. Il tenta de lui tirer les vers du nez, en lui demandant s’il allait bien, mais il dut se contenter d’une réponse évasive de la part de son interlocuteur. « Je pourrais te poser la même question. » répondit Anwar sans lui donner le moindre indice sur ce qui pouvait bien le tourmenter. Et s’il semblait peu enclin à s’ouvrir sur la raison de sa présence ici en détournant l’attention sur le Leckie, ce dernier n’avait pas plus envie de répondre à cette fameuse question, de lui expliquer que sa famille était en train de se désunir à cause de lui et que ça ne risquait pas d’aller à s’améliorant puisqu’il devait encore raconter à ses parents ce qui s’était réellement passé entre Jessica et lui. « J’avais besoin de parler à quelqu’un. Mais j’attendais pas forcément de réponse. C’est stupide. » expliqua Anwar, ce à quoi Caelan haussa les épaules. « C’est loin d’être stupide, au contraire. » Cette explication lui semblait plus que logique alors qu’il ressentait lui-même le besoin de se confier sans toutefois avoir envie de subir les jugements de son interlocuteur. Et c’est probablement la raison qui l’avait poussé à venir au cimetière, croyant qu’il n’y rencontrerait pas d’âme qui vive. Maintenant qu’il se retrouvait face à Anwar, il se demandait bien ce qui pouvait tracasser son ami à ce point. Étant donné leur relation conflictuelle, le brun n’était tout simplement pas au courant de ce qui se passait dans la vie d’Annie depuis quelques mois et il avait l’impression de devoir marcher sur des œufs avec lui. « Il me manque. » Caelan releva la tête et posa son regard sur la tombe de Frank tout en souriant tristement aux paroles du pakistanais. À lui aussi, il lui manquait, et il donnerait n’importe quoi pour que son beau-frère soit toujours en vie aux côtés de Norah mais il n’avait pas de baguette magique pour changer ce qui s’était passé en 2016. « Il me manque aussi. » avoua-t-il en posant une main dans le dos d’Anwar pour lui caresser brièvement. « Et toi aussi tu me manques » ajouta-t-il après une courte pause en laissant son bras retomber le long de son corps afin de prendre une petite roche au sol qu’il fit rouler dans sa paume pour s’occuper un peu les mains. « Et toi, c’est quoi ton excuse ? » Les lèvres pincées, Caelan releva lentement la tête jusqu’à ce que son regard croise celui d’Anwar. Hésitant, il laissa retomber la roche au sol tout en le fixant un moment en silence avant de détourner la tête en se craquant les jointures. Il s’allongea finalement sur le sol, profitant de cette transition pour réfléchir un peu plus à sa réponse, puis il croisa ses bras derrière sa tête en soupirant. « Un peu comme toi, j’avais besoin de parler à quelqu’un. J’avais besoin d’air. » répondit-il tout en scrutant le ciel. De son côté, Caelan n’avait pas pour habitude de venir se recueillir sur la tombe de Frank, il s’agissait en fait sa première visite depuis l’enterrement de ce dernier. Qu’en était-il pour Anwar? Il n’en savait rien mais quelles étaient les chances que les deux hommes se rencontrent par hasard à cet endroit un peu particulier? « Tu viens souvent ici? » demanda tout d’abord Caelan en se doutant toutefois qu’il ne réussirait pas à savoir ce qui tracassait Anwar sans entrer davantage dans le vif du sujet. Et même encore là, il n’était en rien convaincu qu’il accepterait de s’ouvrir à lui, il n’avait aucun mal à imaginer qu’il devait bien être la dernière personne à qui Annie avait envie de se confier en ce moment. Malgré ce doute, il ne pouvait pas ignorer l’état de son ami et rester les bras croisés sans rien faire et il décida donc de commencer à creuser. « Comment vont Alma et Tarek? » questionna finalement Caelan en tournant la tête vers son ami, la tête toujours appuyée sur ses bras croisés.
Dernière édition par Caelan Leckie le Jeu 27 Mai 2021 - 11:14, édité 1 fois |
| | | | (#)Ven 9 Avr 2021 - 22:53 | |
| C’était un peu illusoire et surtout très vain de se demander à quoi ressemblerait leur vie à tous si Frank en faisait encore partie. Parait-il que le bruissement d’aile d’un papillon sur un hémisphère pouvait provoquer des catastrophes sur le second, alors quelles pourraient être les conséquences de la subsistance d’une personne qui avait compté pour autant de gens et probablement influencé leurs vies de tout un tas de manières ? Norah aurait-elle eu un accident de voiture malgré tout, Caelan aurait-il sur un coup de tête décidé de fuir à l’autre bout du monde, Anwar travaillerait-il toujours avec lui aux stups, aurait-il malgré tout annoncé à Riley son envie de divorcer pour mieux repousser l’inévitable depuis ? Tant de questions qui ne méritaient probablement pas d’être posées puisqu’aucune réponse ne pourrait jamais y être apportée de façon certaine, mais s’il y avait bien une chose dont les deux hommes pouvaient être sûrs à cet instant c’était que si Frank était encore de ce monde eux ne seraient pas là à cet instant, à trainer leur mélancolie dans les allées d’un cimetière faute d’avoir quelqu’un avec qui la partager. Alors bien sûr cela faisait probablement un peu de bien à Anwar d’être là, sans quoi il ne serait pas instinctivement venu ici pour chercher l’apaisement qui lui faisait défaut, mais n’était-ce pas aussi la solution de facilité que de venir partager ses problèmes avec quelqu’un qui n’était plus en mesure de répondre et ne pouvait donc pas vous dire les choses que vous n’aviez pas envie d’entendre ? Au fond son soudain besoin d’être là ne faisait probablement sens que pour lui, et malgré tout il sentait dans la voix de Caelan une certaine sincérité lorsqu’il lui avait assuré « C’est loin d’être stupide, au contraire. » … Comme s’il voyait exactement où il voulait en venir, comme s’il comprenait tout le raisonnement derrière. Comme s’il était là pour la même raison, lui aussi. C’est quoi, Caelan ? Qu’est-ce qui te bouffe au point de le distiller avec autant de retenue, d’abord Norah, et puis tes frères, maintenant ton beau-frère mort ? Est-ce que t’as conscience qu’à rien savoir on imagine le pire ? Les questions une fois encore se bousculaient dans le crâne de l’inspecteur et les retenir lui bouffait une énergie folle, faisant grossir encore un peu plus la boule d’angoisse déjà logée sous son plexus. Si Frank était là tout serait plus simple, le constat restait le même. « Il me manque aussi. Et toi aussi tu me manques. » La main du Leckie dans son dos était tout autant responsable du frisson qui avait parcouru Anwar que la phrase qui lui avait échappé … ou bien était-ce la culpabilité ? « J’ai pas disparu. » n’avait-il alors que pu faire remarquer. Il était là, contrairement à Frank. Il n’avait jamais bougé, et Caelan savait toujours où le trouver … Le reste ne dépendait pas de lui. Le silence à nouveau s’était installé, plus lourd que celui qui accompagnait Anwar lorsqu’il était encore seul avec ses pensées – et le chant des oiseaux, et le prénom de Frank sur le marbre pour le narguer par son absence. Alourdi aussi par cette sensation que Caelan et lui n’étaient pas réellement assis ensemble mais plutôt chacun de leur côté, et l’un à côté de l’autre un peu par la force des choses. Et pris d’un soudain élan de naïveté le policier avait finalement retourné la dernière question à l’envoyeur comme on tendait une perche désespérée : si t’as décidé de cracher le morceau c’est peut-être le moment, mate. « Un peu comme toi, j’avais besoin de parler à quelqu’un. J’avais besoin d’air. » S’étendant sur l’herbe jaunie par le soleil le Leckie avait calé ses bras sous sa nuque, et comprenant qu’il n’obtiendrait rien de plus Anwar avait décidé d’en faire autant. Si la seule chose que Caelan et lui pouvaient encore partager sans faux-semblants était un brin de silence, alors soit … Aujourd’hui il saurait s’en contenter. Peut-être plus demain, peut-être plus tout à l’heure même … Mais pour l’instant, oui. « Tu viens souvent ici ? » Retirant ses lunettes de soleil, il en avait coincé une branche dans le col de son tee-shirt. « C’est moins cher qu’un psy. » Et le souvenir de Frank n’essayait pas de creuser ses daddy issues, contrairement au dernier psy qu’il avait consulté – qu’on l’avait forcé à consulter, après ce qui était arrivé à Frank. « Mais pas vraiment, non. J’étais pas venu depuis … longtemps. » Depuis quand exactement, ça il ne saurait le dire. Ses lèvres se pinçant avec hésitation, il avait ajouté « Je suis pas sûr que ce soit vraiment ma place. » d’une voix éteinte, et qui tranchait avec la nonchalance avec laquelle il avait réajusté sa casquette et calé à son tour ses mains derrière sa tête. Tu le répéteras pas, que tu m’as croisé ici, dis ? Y’en avait au moins un qui y trouverait à redire, toujours le même. « Comment vont Alma et Tarek ? » Malgré le regard de Caelan qu’il sentait presque posé sur son épaule, le brun avait continué de suivre la course des nuages au-dessus de leurs têtes. « Tarek est à Melbourne jusqu’au mois prochain avec une partie de sa troupe. » Alors il allait bien, il vivait bien – il faisait sa vie, son enfant qui n’en était plus un. « Et Alma … Du moment que son biberon est chaud et que sa couche est propre, ça va. Je la récupère chez sa mère tout à l’heure. » Avec Lene aussi les choses allaient, et ça en revanche cela ne coulait pas forcément autant de source … Mais ils faisaient au mieux, et ils ne s’en sortaient pas si mal pour des gens qui n’auraient probablement rien eu à se dire s’ils n’avaient pas conçu ensemble un être humain miniature. « Elle a dit « papa » pour la première fois y’a trois semaines … tu imagines ? » Comme le temps passait vite, et comme cela lui gonflait le cœur d’amour et de fierté, il imaginait ? Sans doute que non … on n’imaginait pas vraiment tant qu’on ne l’avait pas vécu. D’y repenser pourtant Anwar s’était aussitôt senti moins triste, moins mélancolique, et son regard finalement était allé croiser celui de Caelan. « Norah m’a dit que tu avais retrouvé du boulot ? » Il n’avait pas demandé, l’infirmière avait su lire entre les lignes et comprendre que le brun s’en inquiétait quand même – de ça, du reste. Et cela devait lui coûter aussi à elle de servir de pont entre les deux amis, elle toujours si prompte à ne pas tourner autour du pot.
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| | | | (#)Ven 7 Mai 2021 - 23:46 | |
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« J’ai pas disparu. » Anwar ne pouvait pas mieux dire tandis que Caelan était le seul responsable de leur éloignement. Il avait envie de faire les choses correctement, de donner au pakistanais ce qu’il lui demandait depuis trop longtemps déjà, mais Caelan était déchiré entre l’envie de retrouver son ami et la certitude qu’il le perdrait dès le moment où il saurait enfin la vérité. Comme les autres à qui il s’était déjà confié et ceux à qui il allait se confier dans les semaines à venir. Un à un, ses proches s’éloignaient de lui comme s’il avait la peste et il avait l’impression de ne rien pouvoir faire pour les en empêcher. Marcus lui avait reproché d’avoir gardé ça pour lui pendant tout ce temps, pourtant, le cadet n’était pas convaincu que la pilule aurait mieux passé s’il lui avait dit dès que ça s’était produit. Considérant la gravité de son geste, il n’y avait à ses yeux pas de moment idéal possible, la conclusion aurait inévitablement été la même. « Je sais… » Mais, parce qu’il y avait un mais, les choses n’étaient plus du tout comme avant. Ils ne se voyaient presque plus, à l’exception de rares fois où ils se croisaient chez Norah. Caelan ne pouvait pas du tout en vouloir à Annie, il savait depuis son retour que celui-ci attendait des réponses à ses questions et que les choses ne s’arrangeraient pas entre eux tant que qu’il ne les obtiendrait pas.
Malgré l’opportunité qui se présenta à lui alors qu’un silence s’installait entre eux, il préféra lui demander s’il venait souvent ici. « C’est moins cher qu’un psy. » Caelan acquiesça d’un mouvement de tête en haussant les sourcils. Inévitablement, il eut une pensée pour son frère Marcus qui lui avait dit d’aller se faire soigner quelques jours plus tôt. Autant dire que son aîné n’allait jamais accepter qu’il sauve quelques billets verts en venant se recueillir sur la tombe de Frank plutôt que d’aller voir un psy. Encore faudrait-il qu’il prenne rendez-vous avec l’un d’eux, d’ailleurs. « Mais pas vraiment, non. J’étais pas venu depuis … longtemps. Je suis pas sûr que ce soit vraiment ma place. » Caelan fronça les sourcils et il interrogea son ami du regard avant de lui demander « Pourquoi pas? T’as autant le droit d’être ici que n’importe qui d’autre. » Peu importe ce que Marcus pourrait bien dire à ce sujet. À moins qu’Anwar culpabilisait de ne toujours pas avoir coincé le coupable? Dans tous les cas, ce n’était tout de même pas lui qui l’avait tué, rien de tout ça n’était de sa faute et le Leckie espérait qu’il n’en doutait pas une seconde. Dans l’espoir de trouver ce qui pouvait bien le tracasser, il commença par lui demander comment allaient ses enfants. « Tarek est à Melbourne jusqu’au mois prochain avec une partie de sa troupe. » Le brun était toujours fasciné dès qu’il s’attardait le moindrement sur la différence d’âge d’Alma et Tarek, d’autant plus que ce dernier était en âge de fonder sa propre famille. Imaginer qu’Annie serait déjà grand-père si son fils avait eu un enfant au même qu’il l’avait eu le faisait sourire. « Il revient à Brisbane ensuite? » demanda-t-il curieusement, réalisant à quel point cela faisait un moment qu’il ne l’avait pas vu, même s’il devait se rendre à l’évidence qu’il y avait peu de chance qu’il le voit étant donné la relation qu’il entretenait avec son père. « Et Alma … Du moment que son biberon est chaud et que sa couche est propre, ça va. Je la récupère chez sa mère tout à l’heure. Elle a dit « papa » pour la première fois y’a trois semaines … tu imagines ? » Anwar était fier, son ton de voix ne laissait aucun doute là-dessus, mais Caelan pouvait difficilement imaginer comment il devait réellement se sentir considérant qu’il n’avait pas encore connu la paternité. Écouter son ami raconter ces moments importants de la vie de sa fille le faisait réaliser encore plus qu’il était de plus en plus possible qu’il ne réussisse jamais à réaliser ce rêve de devenir père, même si sa relation avec Elizabeth lui donnait une légère lueur d’espoir. « Wow, déjà? Je n’avais pas réalisé qu’elle était déjà rendue là. » répondit-il en haussant les sourcils, surpris. Son étonnement n’était pas si surprenant que ça considérant qu’il n’avait toujours pas eu la chance de rencontrer la fille d’Anwar, il en venait donc à oublier quel âge elle avait et où elle était rendue dans son cheminement. Et si son état avait un lien avec la mère? Peut-être s’étaient-ils disputés, qu’en savait-il? « Ça se passe bien avec la mère? » Après tout, ce n’était jamais évident d’élever un enfant, avec les divergences d’opinion possibles, il n’imaginait même pas comment ça devait être pour lui parfois alors qu’ils ne formaient même pas un couple. « Norah m’a dit que tu avais retrouvé du boulot ? » Caelan hocha lentement la tête sans quitter le brun des yeux. « Oui, depuis mi-octobre. La soeur d'un de mes amis a entendu parler d'une compagnie qui cherchait un ingénieur. » Il avait été chanceux que Cleo se retrouve à être la voisine (ou presque) de Marcus et qu'il soit retombé sur elle en habitant temporairement chez lui.
Une fois de plus, un silence s’installa entre eux et le cœur du brun se serra tandis qu’il constatait à quel point la conversation ne coulait plus aussi facilement qu’auparavant. Il se rappela cette conversation qu’ils avaient eue en septembre tandis que Norah était partie faire quelques tests. Caelan n’avait pas oublié qu’il lui avait alors dit qu’il désirait en discuter avec sa jumelle d’abord avant de lui en parler à lui. Pourtant, quatre mois plus tard, il n’était toujours pas retourné le voir pour lui en parler et il culpabilisait. Était-ce le moment d’être honnête avec lui? Cette confession ne risquait-elle pas d’empirer l’état de Zehri? Il avait toujours cette crainte qu’il mette les menottes, Anwar demeurait un policier après tout. Tant de questions qu’il se posait et pour lesquelles il ne trouverait probablement jamais de réponses satisfaisantes. Il se redressa lentement pour s’asseoir, les jambes repliées devant lui, le regard fixé au sol. « Je n’ai pas oublié ce que je t’ai dit à l’hôpital. » Il leva furtivement son regard vers celui de son ami en pinçant les lèvres d’un air coupable. « Je ne suis pas certain que tu vas te sentir mieux de savoir, mais je sais que tu veux des réponses depuis longtemps. » poursuivit-il avant de s’humecter les lèvres en dirigeant son attention sur ses avant-bras appuyés contre ses genoux. « Alors si tu veux vraiment savoir, je vais te le dire. » Et si jamais il décidait lui aussi de le sortir de sa vie, ce serait bien l’une des rares fois où Marcus et lui seraient sur la même longueur d’ondes. |
| | | | (#)Mar 29 Juin 2021 - 16:13 | |
| C’était un peu le propre d’un cimetière, au fond : il n’était un réconfort que pour les vivants, ceux qui restaient – les morts, eux, avaient mieux à faire. Et après si longtemps sans avoir remonté le filé arboré de cette allée Anwar en avait probablement trouvé un peu, du réconfort, à déballer en long et en large tout ce qu’il gardait habituellement pour lui faute de quelqu’un à qui pouvoir (vouloir) le confier … Mais momentanément allégé le poids sur ses épaules n’en avait pas pour autant disparu, et la réalité lui revenant peu à peu à la figure le brun se rappelait aussi les raisons pour lesquelles il visitait si peu la tombe de son ami. Il n’en était pas digne, et par conséquent ne le méritait pas – c’était sa conviction, et Caelan pouvait bien arguer « Pourquoi pas ? T’as autant le droit d’être ici que n’importe qui d’autre. » Anwar, lui, savait qu’il avait raison et qu’il n’était pas le seul à le penser. Parce qu’il avançait, il évoluait, il faisait des enfants et des projets – il vivait, tout ça pendant que Frank croupissait ici et sans que le responsable ne rende de comptes. Pour seule réponse, le policier s’en était donc tenu à un vague haussement d’épaules et un sourire amer, le regard se perdant toujours dans la course que se faisaient les nuages au-dessus de leurs têtes. Plus safe, le sujet des enfants avait l’avantage d’être une source de fierté inépuisable pour le père de famille, jamais contre l’envie de donner des nouvelles de ses deux merveilles quand bien même la plus âgée jouait de plus en plus souvent les fils de l’air – mais n’était-ce pas de son âge, après tout ? « Il revient à Brisbane ensuite ? » La question lui semblant presque trop incongrue pour être sérieuse, il avait répondu sur le ton de la plaisanterie « Il a plutôt intérêt, Toowong est déjà suffisamment loin de Bayside comme ça. » et embrayé aussitôt en donnant des nouvelles de sa petite dernière. Exercice beaucoup plus incertain si l’on tenait compte du fait que Caelan ne l’avait toujours pas vue autrement qu’en photo. « Wow, déjà ? Je n’avais pas réalisé qu’elle était déjà rendue là. » Et au rythme où allaient les choses elle marcherait déjà d’ici à ce qu’il la rencontre – pas qu’Anwar s’en réjouisse, le constat était plutôt fataliste. « Ça grandit vite, à cet âge-là. » Trop vite, avait-il failli ajouter, mais le Leckie n’avait probablement que faire de ses remises en question parentales. « Ça se passe bien avec la mère ? » Cela aurait pu être la question qui fâchait, mais étonnamment il n’en était rien. « C’est pas parfait, mais ça se passe bien. On fait une pas si mauvaise équipe. » Presque un miracle, quand on se rappelait comment les choses avaient démarré. « Comme quoi la clef c’était pas le mariage. » Disant cela, le regain d’amertume que lui avait déjà provoqué le lapin posé par Riley plus tôt dans la journée l’avait persuadé de changer de sujet – son mariage était un non-débat, et son absence de divorce une aberration que la mère de Tarek et lui peinaient eux-mêmes à expliquer. Sans transition (et sans subtilité) il avait préféré basculer à la vie professionnelle de Caelan, quittant à cette occasion sa contemplation du ciel pour tourner la tête et reposer les yeux sur son ami « Oui, depuis mi-octobre. La soeur d'un de mes amis a entendu parler d'une compagnie qui cherchait un ingénieur. » Preuve de plus qu’il ne comptait pas mettre les voiles à nouveau ? « Cool. Un coup de chance que ce soit tombé au bon moment. » Quoi qu’à bien y réfléchir, un ingénieur ne devait pas avoir trop de mal à (re)trouver un emploi le reste du temps, si ? À court de banalités pour éviter l’éléphant au milieu de la pièce, les deux hommes avaient replongé dans un silence peu naturel, à des années lumières de l’aisance avec laquelle ils communiquaient d’habitude – avant. Le plus triste étant que l’un comme l’autre semblaient subir la situation sans parvenir à s’en défaire. Caelan le premier avait finalement retrouvé une position verticale, Anwar le suivant d’abord des yeux sans l’imiter tandis qu’il se décidait à reprendre la parole : « Je n’ai pas oublié ce que je t’ai dit à l’hôpital. » Mais ils s’en étaient dit, des choses, et il avait fallu attendre que l’ingénieur ajoute « Je ne suis pas certain que tu vas te sentir mieux de savoir, mais je sais que tu veux des réponses depuis longtemps. » pour que le brun saisisse vraiment où allait la conversation. « Alors si tu veux vraiment savoir, je vais te le dire. » Il aurait probablement dû ressentir de l’impatience ou de la curiosité, mais tandis qu’il se redressait à son tour Anwar n’avait que l’impression d’un malaise qui s’intensifiait. « Pas ici. » avait-il alors prétexté de manière un peu abrupte, soudainement certain que cette conversation, peu importe où elle allait, n’avait pas à se tenir au-dessus de là où reposait leur ami commun. Croisant les jambes pour se donner l’impulsion de se remettre debout, il avait machinalement épousseté son jean pour y chasser les brins d’herbe puis jeté un dernier regard à la pierre gravée au nom de Frank, y adressant un signe de tête presque imperceptible. Ouvrant la marche, il avait enfoncé les mains dans les poches de son jean et remonté l’allée à pas lents, ceux de Caelan faisant crisser le gravier derrière lui comme preuve qu’il suivait bel et bien, jusqu’à ce qu’Anwar s’estime suffisamment loin de leur point de chute pour s’immobiliser à nouveau et faire volte-face. « C’est pas la peine. » La remarque lui avait presque échappé, plus vite même que son cheminement de pensée. « Si la seule raison pour laquelle tu as décidé de me parler c’est pour me faire me sentir mieux, c’est pas la peine. Je me sentirai pas mieux en ayant l’impression de t’avoir foutu un flingue sur la tempe, aussi métaphorique soit-il. » Marquant une pause, il avait semblé chercher ses mots, et repris « C’est juste que j’aurais voulu … » avant de se raviser. « Rien, laisse tomber. » Il aurait bien voulu l’aider – ou au moins il aurait aimé que Caelan lui fasse suffisamment confiance pour lui demander son aide. Mais qui te dit qu’il avait besoin de ton aide, Anwar ? Rien, au fond le policier se donnait plus d’importance qu’il n’en méritait, et la pilule avait seulement du mal à passer. « J’te laisse discuter avec le rouquin … ça fait plus de bien qu’on le pense. Et je parle sérieusement. » Il fuyait. Il fuyait et probablement qu’il regretterait d’ici peu d’avoir laissé passer la seule occasion de comprendre quelle mouche avait piqué Caelan … Mais il avait un pressentiment. Et parce qu’il ne voulait pas se laisser l’occasion de flancher il n’avait pas attendu la réponse ou les protestations éventuelles de son ami pour tourner les talons. L’apaisement momentané que lui avait procuré le fait de vider son sac face à la tombe de Frank commençait déjà à se dissiper, et le temps qu’il regagne le parking du cimetière tout ce cinéma lui donnait l’impression de n’avoir servi à rien. Alors qu’il déverrouillait sa vieille Ford, un détail lui avait cependant sauté aux yeux : en dehors de son véhicule le parking était vide, autrement dit Caelan était venu à pieds. Signe ou simple hasard, reste que la volonté déjà chancelante du policier en avait pris un coup et qu’il n’avait pas fallu plus pour qu’il sente poindre un brin de culpabilité d’avoir ainsi repoussé la main tendue de son ami. Laissant échapper un soupir, il s’était penché au-dessus du siège conducteur pour mettre le contact et avait ouvert les deux vitres avant pour faire circuler l’air, puis était retourné s’appuyer contre le capot en croisant les bras, un œil sur l’entrée du cimetière et les lunettes de soleil à nouveau sur son nez lui donnant l’air – faussement – impassible. Caelan avait fait un pas vers lui, alors peut-être était-ce à lui d’en faire un vers le blond cette fois-ci … Et alors qu’il gambergeait à ce sujet le concerné avait fini par émerger à son tour du jardin de recueillement. « Je te dépose quelque part ? » Quittant le capot de la voiture, il avait retiré les mains de ses poches et ajouté avec une pointe de sarcasme « Je promets de conduire raisonnablement … Enfin, je vais essayer de faire mon maximum. » Sa conduite disons sportive – « de sauvage » diraient certains – n’était plus à présenter, mais depuis la naissance d’Alma le brun tâchait au mieux de faire des efforts à ce sujet … Ses freinages étaient encore un peu secs et ses virages sans doute trop serrés, mais même sa nouvelle équipière n’avait pas encore imploré pitié.
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| | | | (#)Lun 19 Juil 2021 - 14:05 | |
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« Il a plutôt intérêt, Toowong est déjà suffisamment loin de Bayside comme ça. » Caelan remarqua le petit ton moqueur d’Anwar lorsqu’il lui répondit comme si sa question n’avait pas lieu d’être. Il leva les yeux au ciel en faisant mine d’être offusqué avant de lui répondre avec un léger sourire. « Peut-être qu’ils auraient pu aller donner des spectacles ailleurs ensuite. » Même s’il avait dit qu’il était à Melbourne qu’avec une partie de sa troupe. Qui plus est, ce n’est pas comme si Caelan était vraiment au courant de ce qui se passait dans la vie d’Anwar et de ses proches depuis un an, Tarek aurait très bien pu être déménagé à l’extérieur de Brisbane sans qu’il ne soit au courant. À son âge, Caelan était au début de sa relation avec Jessica et il était encore à l’université, ne ratant pas une occasion de faire la fête ou de partir à l’aventure en compagnie de Theo et Channing. Dieu sait ce qui avait pu se passer dans la vie de Tarek depuis la dernière fois qu’il en avait entendu parler, sans parler d’Alma qui grandissait aussi vite que poussent les mauvaises herbes. « Ça grandit vite, à cet âge-là. » Il haussa les sourcils et acquiesça d’un mouvement de tête. Il se souvenait de la vitesse à laquelle Julie et Aidan changeaient à l’époque et encore aujourd’hui. Il s’enquit ensuite de la relation d’Anwar et de la mère d’Alma, il se disait que ça ne devait pas être évident pour Anwar de devoir jongler entre les deux mères de ses enfants avec qui il n’était pas vraiment en couple. « C’est pas parfait, mais ça se passe bien. On fait une pas si mauvaise équipe. » Et tant mieux, l’inspecteur n’avait pas besoin que sa vie soit encore plus compliquée qu’elle ne l’était déjà avec Riley. « Tant mieux, je suis content de l’entendre. » répondit-il avec sincérité en constatant que le brun ne se déchirait pas avec Lene. Parce que si tel était le cas, il n’avait pas vraiment le choix de la côtoyer étant donné qu’ils avaient un enfant ensemble, à l’inverse de lui qui n’avait aucune obligation de garder contact avec Jessica. « Comme quoi la clef c’était pas le mariage. » Avant même qu’il n’eut le temps de répondre quoi que ce soit, Anwar changea de sujet, questionnant Caelan sur son nouvel emploi que Cleo lui avait déniché après qu’ils se soient croisés près de chez Marcus. Le hasard faisait bien les choses. « Cool. Un coup de chance que ce soit tombé au bon moment. » Il hocha la tête avant de hausser une épaule avec nonchalance. « Ouais même si je n’étais pas vraiment inquiet. » Il avait beaucoup d’années d’expérience dans le domaine, il avait toujours été confiant qu’il pourrait se trouver du travail sans trop de difficultés.
Après qu’ils eurent tous les deux pris de nouvelles de l’autre, Caelan décida d’aborder le sujet qui fâche pour enfin crever l’abcès, dans l’espoir que leur relation puisse revenir à ce qu’elle était autrefois. « Pas ici. » répondit Anwar avant de se relever et d’épousseter son pantalon. Caelan imita son ami et il le suivit en silence, la boule au ventre et les battements de son cœur lui martelant les tympans. Il avait soudainement la bouche sèche tandis que ses pensées se bousculaient dans sa tête. Il appréhendait la réaction de son ami et il regrettait déjà de le mettre dans une position délicate étant donné l’emploi qu’il occupait. N’était-il pas obligé de déclarer les délits qu’on lui rapportait? Son cœur se serra lors que son ami se tourna enfin vers lui et il le fixa comme un chevreuil aveuglé devant des gyrophares. « C’est pas la peine. » Caelan fronça les sourcils, confus. « Si la seule raison pour laquelle tu as décidé de me parler c’est pour me faire me sentir mieux, c’est pas la peine. Je me sentirai pas mieux en ayant l’impression de t’avoir foutu un flingue sur la tempe, aussi métaphorique soit-il. C’est juste que j’aurais voulu … Rien, laisse tomber. » Caelan ne comprenait pas pourquoi Anwar ne voulait soudainement plus rien savoir. N’en avait-il pas marre, lui aussi, de la tension qu’il y avait entre eux? « J’te laisse discuter avec le rouquin … ça fait plus de bien qu’on le pense. Et je parle sérieusement. » Il ouvrit la bouche pour protester, mais Anwar tourna les talons avant même que Caelan ait le temps de lui expliquer que ce n’était pas que pour le satisfaire qu’il voulait enfin s’ouvrir à lui. Il était fatigué d’avoir l’impression de nager à contre-courant avec lui, son ami lui manquait et il n’en pouvait plus du malaise perpétuel entre eux.
Caelan écouta le conseil d’Anwar et il retourna sur la tombe de Frank sans trop savoir quoi lui dire. Il ne savait plus sur quel pied danser avec le pakistanais, désirant rétablir le lien qu’ils entretenaient dans le passé, ce lien même qu’il avait brisé en lui cachant la réelle raison de son départ. Mais maintenant qu’il était prêt à lui dire, son ami ne voulait rien entendre et Caelan ne savait plus quoi faire pour que les choses aillent mieux entre eux. Au bout de quelques minutes, il se dirigea vers le stationnement à pied, les mains dans les poches. C’est avec surprise qu’il constata qu’Anwar n’était pas parti. Il n’avait jamais vraiment cru aux esprits et tout le reste, mais il se demanda pendant une fraction de seconde s’il devait voir ça comme un signe de la part de Frank. « Je te dépose quelque part ? Je promets de conduire raisonnablement … Enfin, je vais essayer de faire mon maximum. » Un sourire en coin apparut sur les lèvres du Leckie tandis qu’il marchait en direction du brun. « Chez moi s’il te plait. C’est à Fortitude Valley. » dit-il en pointant la direction qu’il devait prendre pour se rendre chez lui, même si Anwar devait connaître la ville comme le fond de sa bouche avec le travail qu’il faisait. Il contourna sa voiture et il prit place sur le siège passager. S’il voulait s’ouvrir, c’était le moment avant qu’Anwar se mette à conduire et qu’ils risquent d’avoir un accident de voiture. « C’est pas parce que tu m’y obliges que je veux t’en parler. T’es mon ami, ou du moins tu l’étais, à toi de me le dire. » Il sourit tristement sans laisser suffisamment de temps à Anwar pour qu’il le coupe dans son élan, poursuivant ses explications d’un débit rapide. « Je suis fatigué de ça. » Il se désigna avec son index puis il pointa son ami. « C’est pas que je te faisais pas confiance, c’est juste qu’avec ton travail… » Il regarda furtivement Anwar avant de baisser les yeux sur ses mains posées sur ses cuisses en soupirant. L’ambiance était lourde dans l’habitacle. « J’ai frappé quelqu’un en auto et j’ai paniqué, je suis parti. » Ses traits se rembrunirent alors qu’il repensait à cette soirée qui avait tout chamboulé sa vie, définitivement pas autant que celle de la victime, cependant. Il avait honte de la façon dont il avait réagi, mais il ne pouvait pas revenir en arrière pour changer les choses. « J’aurais dû m’arrêter. » Et lui, devait-il l’arrêter? |
| | | | (#)Jeu 9 Sep 2021 - 17:58 | |
| Quelque chose ne tournait plus rond, dans la relation entre les deux hommes. Quelque part entre les non-dits et les hésitations, ils semblaient avoir égaré la fluidité et la simplicité de ce qui faisait normalement leurs échanges. Même les sarcasmes que son ami ne peinait avant jamais à décoder étaient désormais pris au premier degré, un comble pour Anwar qui le maniait comme une seconde nature, et même les pires banalités sonnaient soudainement comme si elles étaient forcées, comme si elles n’étaient posées là que pour se donner l’illusion d’une discussion normale dans une situation qui ne l’était pas. Que l’on tende à Anwar une perche pour le faire parler de ses enfants et qu’il choisisse de ne pas la saisir n’arrivait jamais, tant le brun ne tarissait pas d’éloges sur son aîné et ne cessait de s’émerveiller sur sa petite dernière, mais ce jour-là il ne s’en sentait pas capable. Il n’avait pas envie de faire semblant, pas alors qu’il déballait ses états d’âme au fantôme de leur ami commun quelques minutes plus tôt, et quand toute sa diplomatie du jour avait déjà servi à ne pas jeter de l’huile sur le feu entre Riley et lui. Peut-être aussi s’était-il résigné, quelque part, déçu d’avoir été mis sur la touche mais trop fier pour continuer de réclamer des explications. Il s’était fourvoyé, s’en voulait probablement un peu d’avoir placé tant de confiance en Caelan sans songer que la chose pourrait ne pas être réciproque – à la mort de Frank il s’était raccroché à ce qu’il avait pu, peut-être aveuglément. Caelan n’était pas Frank et c’était peut-être cela le noeud du problème ; Frank se serait tourné vers lui en cas de pépin, parce que c’était ce qu’ils avaient toujours fait, et Anwar l’aurait aidé sans poser de question parce que ça aussi, c’était ce qu’ils avaient toujours fait. Caelan quant à lui avait choisi une autre voie, et tandis qu’il semblait flancher et se résolvait par lassitude à dire à Anwar ce qu’il voulait entendre ce dernier l’en avait finalement empêché : déformation professionnelle, le flic se satisfaisait sans mal des confidences faites à contre-coeur. Mais l’ami, lui, n’y accordait aucune valeur. Il voulait savoir, c’est vrai … Mais pas à n’importe quel prix. Pas si la condition était pour Caelan de se sentir le couteau sous la gorge, car le brun refusait d’être ce genre d’ami. Alors il avait fui. La conversation, le regard teinté d’incompréhension de l’ami en question, et ce pressentiment désagréable venu se nicher dans son estomac à la seconde où le Leckie avait envisagé de mettre cartes sur table. Il ne serait pas parvenu à l’expliquer, autant qu’il n’était pas capable d’expliquer ce qui le poussait à attendre que le blond ressorte du cimetière quand il lui aurait suffi de remonter dans sa vieille Ford et de débarrasser le plancher … Un fond de culpabilité, peut-être. De ne simplement pas être capable d’enfiler des œillères et de les garder, d’avoir toujours besoin de savoir, de comprendre, de questionner – cela faisait de lui un bon enquêteur, mais pas nécessairement un bon ami. Il tâcherait d’être un meilleur conducteur en compensation ; Ou moins mauvais que d’habitude. « Chez moi s’il te plait. C’est à Fortitude Valley. » Vraiment ? L’expression sur le visage du brun trahissait probablement son étonnement. D’avoir presque oublié qu’il avait changé d’adresse pour commencer, l’habitude le poussant jusque-là encore à l’imaginer déambuler dans l’appartement qu’il partageait avec Jessica avant son départ, quand bien même cela n’avait aucun sens. Mais aussi parce qu’il ne l’aurait jamais imaginé opter pour Fortitude en solution de repli. « Tu me guideras. » avait-il cependant simplement répondu, se glissant derrière le volant tandis que le blond faisait le tour du véhicule pour rejoindre le siège passager. Ce n'était pas sur sa route, mais ses déblatérations auprès de Frank n'avaient pas suffi à combler l'avance qu'il avait sur l'heure à laquelle il devait récupérer Alma, alors faire un détour ne le dérangeait pas. Se penchant vers le siège de Caelan le brun avait récupéré à la va-vite le gyrophare magnétique abandonné sur le tapis de sol et l'avait enfoncé dans la boîte à gants. Pour les tickets de paiement et les emballages vides de bonbon son ami devrait en revanche faire avec ; Depuis qu’il avait troqué Lona pour Ciara en guise d’équipière, et puisque cette dernière se gardait de tout commentaire concernant l’état de sa voiture, il admettait ne plus vraiment faire d’effort. Démarrant le moteur, et souhaitant leur éviter à tous les deux la lourdeur d’un silence qui n’aurait rien de naturel, il s’apprêtait à allumer la radio lorsque Caelan avait repris la parole : « C’est pas parce que tu m’y obliges que je veux t’en parler. T’es mon ami, ou du moins tu l’étais, à toi de me le dire. » Le but était probablement autre, mais la remarque avait un peu froissé Anwar – Caelan avait mis les voiles du jour au lendemain, jouait les filles de l’air chaque fois qu’il était question de s’expliquer, et n’avait daigné revenir au bercail que parce qu’un drame était arrivé, mais c’était lui, Anwar, qui mettait leur amitié en péril ? « C’est pas flagrant. » n’avait-il alors pas pu s’empêcher de rétorquer entre ses dents, la main gauche se refermant sur le levier de vitesse. « Je suis fatigué de ça. C’est pas que je te faisais pas confiance, c’est juste qu’avec ton travail ... » Tu vas vraiment me réduire à mon badge, Caelan ? Toi ? Sa mâchoire se serrant avec frustration, il avait enfoncé la pédale d’embrayage et enclenché directement la seconde – au Diable les promesses de conduire comme un humain civilisé – avant que le « J’ai frappé quelqu’un en auto et j’ai paniqué, je suis parti. » balancé de but en blanc par son passager ne lui fasse écraser la pédale de frein, faisant crisser les pneus et secouant les deux hommes au passage. « Pardon ? » Il avait mal entendu. Ou mal compris. Il avait forcément mal compris. « J’aurais dû m’arrêter. » Il aurait dû, oui. « Mais tu ne l’as pas fait. » Il avait paniqué, et il était parti. C’était ce qu’il venait de dire. Et cela semblait tellement irréaliste, tellement loin du Caelan qu’il connaissait, qu’Anwar se répétait l’information sans parvenir totalement à l’assimiler. Après quelques secondes de silence durant lesquelles il avait jaugé ce qu’il pouvait demander ou non sans aggraver leur cas à tous les deux, il avait fini par demander « Qui d’autre est au courant ? Jess ? » Était-ce la raison de leur séparation ? Était-ce arrivé avant ? Après ? « Et le Canada ? C’était ton idée ? Tu réalises de quoi ça a l’air ? » D’un type inconscient qui en plus d’avoir commis un délit avait fui dans un pays qui ne pratiquait pas l’extradition vers l’Australie. Voilà de quoi cela avait l’air. Un délit ou un crime, d’ailleurs … Il avait renversé quelqu’un. Avait-il tué quelqu’un ? « Ça aurait pu être Norah. » Le blond n’avait probablement pas attendu après lui ou après qui que ce soit pour se faire cette remarque, mais elle pesait si lourd sur l’estomac d’Anwar qu’il n’avait pas pu s’empêcher de la prononcer. « T’étais là comme nous à attendre qu’elle se réveille, t’as fait les cent pas dans le couloir de sa chambre, comme nous tous. Et même ça, c’était pas assez pour te convaincre d’aller te dénoncer ? » Qu’attendait-il, au juste ? Quand comptait-il assumer ses actes ? Le brun ne voulait pas croire son ami aussi lâche … « C’est quoi le plan, Caelan ? » S’il avait fait l’effort jusqu’alors de maîtriser le ton de sa voix, cette question-là était sortie de manière plus brusque, de même que celles qui avaient suivi : « Je continue de te poser des questions et on attend que j’en sache suffisamment pour être obligé de te balancer ? On fait comme si cette conversation n’avait pas eu lieu, et tu fais comme s’il ne s’était rien passé jusqu’à ce que tu arrives à t’en convaincre ? » Il était déçu, Anwar. Pas que son ami ait fait une bêtise, non … Il était déçu que de toutes les options à sa disposition, le choix se soit porté sur la fuite et sur le mensonge.
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| | | | (#)Ven 24 Sep 2021 - 16:36 | |
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Caelan avait la boule au ventre, il se doutait très bien qu’il y avait peu de chances pour que cet échange se déroule bien, mais il était plus que temps qu’il crève l’abcès, au risque de perdre tout ce à quoi il tenait s’il en venait à se rendre à la police comme plusieurs de ses proches le souhaitaient. Il savait qu’il s’agissait de la chose à faire, pourtant, il n’arrivait pas à s’y résigner pour le moment pour diverses raisons. Le cas échéant, il ne voulait pas que ses proches aient la surprise de découvrir qu’il était derrière les barreaux, il devrait prendre le temps de les préparer parce que ce n’était pas que sur sa vie à lui que cette décision allait avoir un impact. Avant de se rendre là, toutefois, il devait encore aller jusqu’au bout de sa confession avec Anwar, lui dire enfin ce qu’il avait fait deux ans plus tôt, mais il n’eut à peine le temps de lui expliquer les raisons de son silence et pourquoi il voulait aujourd’hui lui dire la vérité qu’il sentait l’irritation de son ami dans sa conduite soudainement erratique, ce qui n’aidait en rien l’ingénieur à trouver le courage de poursuivre sur sa lancée. Caelan s’agrippa à sa portière en lançant un regard furtif vers l’extérieur, regrettant presque d’être monté dans cette voiture de laquelle il ne pouvait maintenant plus s’échapper, puis il révéla finalement à l’inspecteur qu’il avait commis un délit de fuite deux ans plus tôt. Instantanément, Anwar freina brusquement pour immobiliser son véhicule, projetant vers l’avant le Leckie qui dû se retenir à deux mains même s’il portait sa ceinture de sécurité. « Pardon ? » Caelan ne vit pas l’utilité de répéter, convaincu que le brun avait bien compris et qu’il avait prononcé ce mot plutôt sous l’effet de la surprise. Il exprima plutôt le regret de ne pas s’être arrêté comme il aurait dû. « Mais tu ne l’as pas fait. » Il secoua négativement la tête en triturant son chandail, les mains tremblantes. « Non… » répondit-il d’une voix presque inaudible en fixant ses mains, incapable d’affronter le regard d’Anwar et d’y voir la même déception qu’avait éprouvée Marcus lorsqu’il avait confronté son cadet.
Le silence qui s’installa entre eux lui parut beaucoup plus long qu’il ne l’était en réalité et malgré son angoisse qui augmentait parce qu’il redoutait les mots qui allaient suivre, il attendit impatiemment qu’Anwar dise quelque chose. Il avait peur de le perdre comme les autres avant lui, mais si telle était la conclusion, il ne pourrait que s’en vouloir à lui-même d’avoir pris cette mauvaise décision deux ans plus tôt. « Qui d’autre est au courant ? Jess ? » Il hocha la tête en guise de réponse tout en poussant un long soupir. « Jess, oui. Et puis… Norah, Marcus, Percy... et maintenant toi. » Il s’abstint d’entrer dans les détails des précédentes confession ou même de son mariage puisque ce n’était pas du tout de cela dont il était question. « Et le Canada ? C’était ton idée ? Tu réalises de quoi ça a l’air ? » Oh que oui il le savait, même s’il n’avait pas décidé de partir à l’autre bout du monde pour ne pas se faire condamner. Il avait eu besoin d’air pour réfléchir, son intention n’avait jamais été de rester là-bas indéfiniment et il espérait qu’Anwar allait le croire alors qu’il avait toutes les raisons du monde de ne pas le faire. « Oui c’était mon idée et oui, je sais de quoi ça a l’air… » Il poussa un long soupir en passant ses paumes dans son visage. « Mais je te jure que ce n’est pas ce que ça a l’air! J’avais besoin d’espace pour réfléchir, je ne suis pas allé là-bas pour me cacher. » Il le supplia du regard de le croire. « Ça aurait pu être Norah. » Des paroles qu’il se répétait régulièrement depuis ce fameux jour de septembre où il avait reçu l’appel de Marcus pour l’aviser de l’accident que leur sœur avait eu. Il ne cessait de se dire que le piéton qu’il avait happé devait être le Norah de quelqu’un. Un fils, un frère, un oncle et peut-être même un père. Que tout comme lui, ils devaient attendre avec impatience que le coupable soit arrêté pour que justice soit rendue. « Je sais et j’y pense tout le temps… » Mais ce n’était pas suffisant. « T’étais là comme nous à attendre qu’elle se réveille, t’as fait les cent pas dans le couloir de sa chambre, comme nous tous. Et même ça, c’était pas assez pour te convaincre d’aller te dénoncer ? » Il ne pouvait pas, Norah allait avoir besoin de son aide pour se remettre sur pied. C’était du moins l’excuse qu’il se donnait à l’époque pour justifier son silence, mais sa jumelle allait mieux maintenant. « Elle était dans un sale état, je voulais être là pour elle… » Pas qu’elle ait le choc de découvrir que son frère jumeau s’était fait arrêter pendant son coma parce qu’il avait lui aussi frappé un piéton. Norah avait besoin de toutes ses énergies pour guérir. « C’est quoi le plan, Caelan ? » Caelan courba l’échine devant le ton employé par l’inspecteur tandis qu’il tapait nerveusement du pied. Il avait l’impression d’étouffer dans l’habitacle et s’il croyait que détacher sa ceinture de sécurité l’aiderait à se sentir mieux, il s’était trompé. « Je continue de te poser des questions et on attend que j’en sache suffisamment pour être obligé de te balancer ? On fait comme si cette conversation n’avait pas eu lieu, et tu fais comme s’il ne s’était rien passé jusqu’à ce que tu arrives à t’en convaincre ? » Et si seulement il le savait? Voilà deux ans qu’il y réfléchissait, qu’il essayait de déterminer la meilleure chose à faire pour tout le monde, mais ce n’était pas aussi simple et ce qu’il décidait de faire risquait d’énormes conséquences pour le futur. « JE NE SAIS PAS! » finit-il par hurler, pris de panique, puis il se prit un instant le visage à deux mains en grognant avant de laisser retomber ses bras pour enfin poser son regard voilé sur son ami. « J’ai peur Anwar… » avoua-t-il la gorge nouée. « J’ai peur d’aller en prison. » Si Caelan savait se défendre, il était loin d’être violent de nature et il était persuadé qu’il allait passer un mauvais quart d’heure s’il mettait les pieds dans un établissement carcéral, voire peut-être même y laisser sa peau.
Dernière édition par Caelan Leckie le Lun 8 Nov 2021 - 13:40, édité 1 fois |
| | | | (#)Mer 13 Oct 2021 - 20:52 | |
| L’air semblait s’être raréfié dans l’habitacle de la voiture. Ou était-ce simplement le poids des mots prononcés par Caelan qui pesait subitement si lourd sur la cage thoracique d’Anwar ? Il tentait par tous les moyens de les chasser de son esprits, mais les images fantasmées du Leckie enfonçant la pédale de frein trop tard, pour finalement enfoncer celle de l’accélérateur presque aussi vite s’insinuaient dans son esprit comme le venin d’un serpent – il avait beau se raisonner et se dire que les choses étaient moins pire qu’il ne l’imaginait, au fond il savait bien que c’était faux. Comme tous les policiers entrés dans la boîte par la petite porte, Anwar avait commencé sa carrière comme patrouilleur. Et comme tous les patrouilleurs il avait vu son lot d’accidents de la route, dont certains l’avaient empêché de dormir paisiblement durant des semaines … Un piéton renversé par une voiture à pleine vitesse, c’était forcément dramatique. Et aujourd’hui l’identité de la personne postée au volant de la voiture l’était tout autant. « Jess, oui. Et puis … Norah, Marcus, Percy … et maintenant toi. » Personne susceptible de le dénoncer, donc. De ne plus savoir le regarder dans les yeux, de ne plus vouloir vivre à ses côtés, mais pas de trahir son secret. Comme celui de sa fuite aux allures de cavale savamment préparée : « Oui c’était mon idée et oui, je sais de quoi ça a l’air … » Il l’admettait, alors ? « Mais je te jure que ce n’est pas ce que ça a l’air ! J’avais besoin d’espace pour réfléchir, je ne suis pas allé là-bas pour me cacher. » Anwar avait envie de le croire ; Il avait sincèrement envie de faire confiance à Caelan. Mais il n’était plus sûr de rien, et l’air aussi désolé qu’il était déçu il s’était contenté de secouer la tête sans rien répondre. Les choses auraient peut-être été différentes s’il n’y avait pas eu l’accident de Norah. Anwar aurait peut-être été plus enclin à la compréhension, il aurait peut-être eu une réaction moins épidermique … Mais à la lueur de ce qui était arrivé à sa sœur l’année précédente, la décision prise par Caelan de continuer à se terrer dans le silence dépassait l’entendement aux yeux du policier. « Je sais et j’y pense tout le temps … » avait sans surprise admis le Leckie lorsqu’Anwar le lui avait fait remarquer, mais c’était ce qu’il avait ajouté ensuite qui avait irrité le policier et lui avait rendu son regard sévère : « Elle était dans un sale état, je voulais être là pour elle … » Les narines se pinçant avec agacement et la mâchoire se crispant il avait rétorqué « N’utilise pas ta soeur pour justifier ta lâcheté. » Les mots étaient durs, mais à la hauteur de sa déception. Norah s’en était sortie, elle allait mieux, et malgré tout Caelan continuait de se planquer comme il le faisait depuis le début – alors ce n’était rien de plus qu’une excuse, et elle était mauvaise. Non, désormais Caelan n’avait plus aucune excuse, et l’idée qu’il puisse s’en contenter était ce qui frustrait le plus Anwar, dont les questions s’étaient faites plus impatientes et le ton moins conciliant. Était-ce cela ou le poing qu’il avait abattu par réflexe sur son volant pour appuyer sa phrase, reste que le frère de Norah avait sursauté et un « JE NE SAIS PAS ! » paniqué lui avait échappé. Quant au brun il s’en était instantanément voulu : il avait agi en policier et obtenu une réaction de suspect, et ce n’était pas la manière dont il avait envie que les choses se passent. Le silence était instantanément retombé dans la voiture, moins irrespirable à défaut de ne pas être moins lourd. Enfouissant quelques instants son visage dans ses mains d’un air défait, Caelan avait fini par relever les yeux vers un Anwar qui, lui, ne l’avait pas quitté des yeux même un instant. « J’ai peur Anwar … » avait-il admis dans un souffle, la gorge nouée. « J’ai peur d’aller en prison. » Plus que d’avoir tué quelqu’un ? Peut-être tué quelqu’un. « C’est d’avoir laissé traîner ça pendant deux ans qui risque de t’envoyer en prison. » lui avait alors répondu le policier en soupirant, las mais pas pour autant décidé à enrober la vérité. Son ami s’en serait peut-être sorti sans trop de casse s’il avait admis sa faute tout de suite, ou le lendemain … Anwar ne pouvait pas en être sûr, il aurait fallu pour cela qu’il se risque à demander ce qui était arrivé à la personne que Caelan avait renversé, et il se refusait à le faire. « Pourquoi t’es pas venu me voir directement ? C’était un accident, on t’aurait trouvé un bon avocat, on aurait ... » Mais quelle importance au fond, ce que lui, ses frères, sa sœur ou sa femme auraient fait pour l’aider ? C’était trop tard. « Tu te vois vraiment continuer comme ça ? » avait-il repris après quelques instants de silence, et en tâchant de retrouver un ton plus patient. « T’es pas un criminel, Caelan. Tu pourras pas garder ça sur la conscience éternellement, ou ça finira par te bouffer. Ça a déjà commencé. » Il suffisait de voir ses cernes, de voir ses ongles rongés ; Il avait perdu un peu de poids, aussi. « Je sais que t’as la trouille, mais si c’était Norah ? Si c’était celui qui lui est rentré dedans, tu voudrais pas qu’il assume ce qu’il a fait ? La personne que t’as renversé a probablement de la famille elle aussi … » De la famille qui attendait des réponses, qui attendait un semblant de justice. Avec de la chance la victime elle-même attendait tout cela aussi – et c’était presque le mieux que l’on pouvait souhaiter à Caelan désormais, que la victime soit encore de ce monde pour espérer qu’on lui rende justice.
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| | | | (#)Lun 8 Nov 2021 - 19:06 | |
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Caelan n’avait pas arrêté lorsqu’il avait happé ce piéton et malgré la culpabilité qu’il ressentait depuis ce soir-là, il essayait de justifier son silence comme il le pouvait, égoïstement. Parce qu’il ne voulait pas tout perdre ce qu’il avait bâti au fil des années et devoir repartir à zéro sans savoir quoi faire de sa misérable vie. Parce qu’au-delà des quelques mois ou années qu’il passerait en prison, il perdrait aussi son métier en plus de Jessica qu’il avait déjà perdue par sa faute. Il ne voulait pas finir sa vie à tourner des boulettes de hamburger sur une plaque à cuisson tout en revêtant un tablier couvert de graisse. « N’utilise pas ta soeur pour justifier ta lâcheté. » Caelan baissa honteusement la tête comme un gamin qui venait de se faire prendre la main dans le sac. Il détestait être dans le tort, se faire gronder et sentir qu’il décevait les gens à qui il tenait. Sauf que Anwar avait raison, l’accident de Norah n’était pas une excuse valable, elle était mauvaise, d’autant plus que sa sœur jumelle était sortie de l’hôpital depuis plusieurs mois déjà et qu’il ne s’était pas pour autant dénoncé à la police. Il devait bien se rendre à l’évidence que s’il attendait le moment parfait pour aller de l’avant avec cette démarche, il allait être encore libre dans quelques années parce qu’il n’y aurait jamais de moment idéal pour disparaître derrière les barreaux pour une durée indéterminée. Lorsqu’il y pensait, il avait le sentiment qu’il abandonnerait ses proches même si c’était probablement la chose à faire pour se rapprocher de certains d’entre eux qui ne voulaient plus rien de savoir de lui depuis qu’ils étaient au courant du délit de fuite qu’il avait commis en 2019.
Anwar voulait connaître la vérité depuis le début, mais parfois la vérité fait mal et dans ce cas-ci, elle n’était pas belle à entendre. Il était déçu et en colère, comme les autres avant lui, et malgré le malaise que Caelan ressentait présentement, il savait qu’il aurait probablement mal réagi lui aussi si un de ses proches lui avait fait ce genre de confession. Maintenant qu’il savait, Annie avait plusieurs de questions en lien avec la suite et il mettait la pression sur Caelan pour connaître ses intentions, en espérant peut-être de l’influencer un peu dans sa décision. L’ingénieur était perdu, déchiré entre le besoin de se dénoncer pour que justice soit rendue ainsi que sa peur du milieu carcéral et de tout perdre en ayant un casier judiciaire à sa libération. « C’est d’avoir laissé traîner ça pendant deux ans qui risque de t’envoyer en prison. » Il avait empiré sa situation, il en était conscient, mais il était trop tard pour revenir en arrière et faire les choses différemment. Se dénoncer paraissait peut-être simple pour ses proches, mais pas pour lui alors qu’il avait tout à perdre. « Je sais, mais je ne peux pas revenir en arrière. » Parce que s’il pouvait retourner à cette soirée-là pour s’arrêter plutôt que fuir, ou même de ne pas se pencher pour ramasser l’objet qu’il avait échappé à ses pieds, il le ferait. Pour lui, mais surtout pour sa victime dont il ignorait l’état actuellement, si ce n’était qu’il n’était pas décédé lors de l’accident. « Pourquoi t’es pas venu me voir directement ? C’était un accident, on t’aurait trouvé un bon avocat, on aurait ... » Caelan haussa les épaules en reniflant un bon coup, le regard fuyant. « Je ne sais pas Annie… J’étais sous le choc, je n’arrivais pas à réfléchir clairement… » Ça aurait pourtant été tellement plus simple s’il l’avait plutôt que de s’enliser dans cette situation infernale. « Tu te vois vraiment continuer comme ça ? » « Non… » Lâcha-t-il dans un soupir en appuyant son front dans sa paume. « T’es pas un criminel, Caelan. Tu pourras pas garder ça sur la conscience éternellement, ou ça finira par te bouffer. Ça a déjà commencé. » Il n’y avait pas une journée durant laquelle il ne pensait pas à son crime. Ce poids, il le portait depuis maintenant presque deux ans et il était de plus en plus difficile à porter, surtout depuis que certains de ses proches avaient pris leurs distances en apprenant ce qu’il avait fait. Même s’il n’était pas encore prêt à se rendre à la police, il savait que tôt ou tard il allait craquer, incapable de vivre plus longtemps dans le mensonge, à jouer la comédie en faisant semblant que tout allait bien alors que ce n’était évidemment pas le cas. « Je saiiiiiiis… » répondit-il d’une voix tremblante en empoignant ses cheveux à deux mains. « Je sais que t’as la trouille, mais si c’était Norah ? Si c’était celui qui lui est rentré dedans, tu voudrais pas qu’il assume ce qu’il a fait ? La personne que t’as renversé a probablement de la famille elle aussi … » Évidemment qu’il voulait que celui qui avait presque tué Norah se fasse attraper, mais se rendre à la police n’était pas plus évident pour lui pour autant. « Évidemment que je voudrais qu’il assume ce qu’il a fait… » Et il voulait assumer ses gestes, mais la peur de ne pas savoir ce que l’avenir lui réservait le retenait de le faire. « Je ne suis pas prêt… je dois encore le dire à mes parents, Channing, Elizabeth… » Comment son meilleur ami et son amoureuse allaient-ils réagir? Et ses parents? Il avait la boule au ventre rien que d’y penser, chaque confession le rendant un peu plus mal que la précédente. Chaque fois qu’il reportait le moment fatidique de se dénoncer à la police, il avait honte parce qu’il savait que c’était la chose à faire. Et chaque fois que ses proches essayaient de le pousser dans cette direction, il étouffait. « Je ne peux pas… » Le regard évitant, il se dépêcha d’ouvrir la portière et de sortir du véhicule pour faire ce qu’il savait si bien faire depuis deux ans : fuir ses responsabilités. |
| | | | (#)Dim 9 Jan 2022 - 14:13 | |
| Tout policier doté à la foi d'un sens de la justice et d'une conscience morale apprenait, souvent à ses propres dépens, que l'un et l'autre n'étaient pas toujours compatibles et que, contrairement à ce que son nom pouvait laisser supposer, la justice ne l'était pas toujours – juste. La loi était la même pour tout le monde, et elle se moquait bien des hommes et de leurs justifications. Elle faisait fi des excuses, des regrets, jugeait les faits devant les circonstances, et se montrait sourde à tous ceux qui la qualifieraient d' injuste. Elle se moquerait bien des « Je sais, mais je ne peux pas revenir en arrière. » de Caelan et surtout, surtout … elle finissait (presque) toujours par vous rattraper. Et il se sentait impuissant, Anwar, face à cet ami qu’il n’était plus tout à fait certain de connaître autant qu’il le pensait, et qui n’avait désormais plus que ses yeux pour pleurer face à une situation inextricable. L’accident aurait pu être pardonné, personne n’en était à l’abri, mais la décision d’enterrer sa bêtise au lieu de l’assumer revenait au Leckie seul, et tout policier qu’il était l’inspecteur ne pouvait plus grand-chose pour lui désormais … Il était trop tard. « Je ne sais pas Annie … J’étais sous le choc, je n’arrivais pas à réfléchir clairement … » Se justifiait encore maladroitement le jumeau de Norah, incapable d’expliquer ce qui même pour lui n’avait pas grand sens. Il était presque aussi vain pour lui de tenter de s’expliquer que pour Anwar de comprendre comment il avait pu en arriver là – le mal était fait, voilà tout. Ils étaient dans une impasse, ou plutôt Caelan l’était, car s’il acceptait d’admettre qu’il ne se voyait pas continuer ainsi, rien de plus de ce qu’avait dit son ami ne semblait suffire à le persuader de faire ce qu’il évitait soigneusement depuis deux ans … Si ni Jessica ni ses frères et soeurs n’étaient parvenus à le raisonner, s’il avait préféré sacrifier son mariage que d’assumer ses actes, et si même l’accident de Norah n’était pas parvenu à le faire céder, alors rien de ce qu’Anwar pourrait dire de plus n’y changerait quoi que ce soit. « Évidemment que je voudrais qu’il assume ce qu’il a fait … » lui assurait-il pourtant à propos de l’autre chauffard, comme s’il tentait encore de se persuader que ce n’était pas comparable, que la situation n’était pas exactement la même. Elle l’était, et ils le savaient très bien tous les deux. « Je ne suis pas prêt … je dois encore le dire à mes parents, Channing, Elizabeth … » – « Et après ? » avait alors questionné l’inspecteur avec un brin d’impatience. « Combien de personnes tu vas impliquer dans ton mensonge, avant de te décider à l’assumer ? » Et qu’espérait-il d’ailleurs, au juste ? Qu’à distiller son secret au compte-goutte il finirait par trouver quelqu’un dont le regard ne changerait pas automatiquement à la seconde où il serait mis dans la confidence ? Que parmi les gens auprès de qui il se décidait à être enfin honnête, il y en aurait bien un pour hausser les épaules et lui dire “t’inquiètes, ça ne change rien du tout.” ? « Ils te diront la même chose que nous, que la seule chose à faire, c’est te dénoncer. Et ils auront raison. » Mais eux non plus ne pourraient rien faire de plus, si ce n’était d’assister lentement à la débâcle d’un mensonge qui finirait un jour ou l’autre par devenir trop gros pour lui. « Je ne peux pas … » Terminant de se tortiller sur son siège avec malaise, le blond avait fini par quitter la voiture sans oser recroiser le regard de son ami, lequel s’était écouté murmurer « Non, tu ne veux pas. » plus pour lui-même que pour Caelan, qui ne l’avait peut-être même pas entendu. Il aurait pu tenter de rattraper son ami, mais pourquoi faire ? La messe était dite, et il avait fait son choix.
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| | | | | | | | (caelanwar) where'd you go, i miss you so |
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