| les paumés du petit matin (Alan) |
| | (#)Ven 22 Jan 2021 - 19:25 | |
| Les jours passent et se ressemblent. Je suis encore là, à fuir dans la nuit au son des manèges. Des amis, qui n’en sont pas vraiment, des gens que je connais plus ou moins de loin, des soirées qui s’enchaînent et qui finissent toujours inévitablement ici une fois que l’alcool s’est propagé dans chaque canal sanguin, une fois que toutes les mauvaises idées deviennent des bonnes idées.
Je m’éloigne un peu de mon groupe, pour fumer une cigarette à l’entrée de la fête foraine. Ils sont en train de faire un manège que je n’avais pas spécialement envie de faire et je pense en réalité à rentrer ou à trouver une autre fête pour continuer ma soirée.
« Sullivan ! » je crie pour l’interpeller à travers la foule, un sourire malicieux aux lèvres et un regard plein de défi. « Sullivaaaaaan ! » que je crie une deuxième fois et les passants se retournent et je ne regarde que lui qui enfin se retourne. J’aurais pu courir pour le rejoindre, je préfère me donner en spectacle. Ce n’était pas prévu de le croiser là. Je ne saurais même pas dire depuis combien de temps je ne l’ai pas vu. Mais il est là à déambuler dans la foule à l’entrée de la fête foraine. Les lumières qui clignotent autour lui donneraient presque un air d’ange, mais moi je sais qu’il n’a rien d’un ange le gamin de vingt-sept ans et je m’approche pour lui donner une tape sur l’épaule en guise de bonjour. « Bah alors tu deviens sourd ? » Ou c’est juste moi qui aurais pu me rapprocher. Ca fait longtemps qu’il a pas squatté mon canapé le jeune homme et je me demande ce qu’il devient. « Tu t’es paumé dans un coin de rue, cousin ? » Et le cousin est prononcé sur un ton plein de défis, qui cherche déjà à provoquer, qui cherche en réalité à dire pourquoi tu ne me donnes pas de nouvelles Alan ? Hein, pourquoi ? Ou peut-être est ce un tu m’as un peu manqué, juste un peu, mais je refuse de l’avouer.
@Alan Sullivan
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| | | | (#)Sam 23 Jan 2021 - 2:00 | |
| Le sourire crispé, les yeux écarquillés, légèrement angoissé par la foule, Alan essayait en vain de se raisonner. Oui, elle est jolie. Oui, quand tu as complimenté sa robe, tu es sûr de l'avoir vu rougir. Oui, quand elle a dit « J'espère que tu viens à la foire Alan. » en insistant bien sur l'espace précédant ton prénom, tu étais certain qu'elle te draguais. Mais au nom de quoi, lorsqu'elle a roulé une pelle à ce type en disant « j'te présente mon mec », es-tu resté ?
Ainsi, derrière l'heureux couple qui tirait à la carabine, debout tel une chandelle, tenant dans un bras un gigantesque ours en peluche que le copain tout droit sorti d'une pub de Whiskey Irlandais avait gagné pour sa dulcinée. Dans ce décors, Alan Melchior Sullivan ne se reconnaissait plus.
Il fouilla dans sa mémoire cherchant désespérément une situation plus humiliante que celle-ci. Mais de tous les souvenirs mémorables qui hantaient pourtant sa mémoire, aucun ne se comparait à celui-ci. Du moins pas ce soir.
La jeune femme en robe azur que le garçon avait dragué plus tôt dans la soirée le fit revenir soudainement parmi les vivants dans un ultime électrochoc. « Viens Sulli, on va faire un photobooth ! » Ç'en fut trop pour ce pauvre Alan. Un petit rire nerveux s'échappa sans qu'il ne cherche à le contenir. « Non. Non. Je... Non. » articula-t-il. Il posa l'ours par terre et doucement, tituba vers l'arrière. Il abandonna cette comédie grotesque et se rattacha à ce qui lui restait de dignité en reculant. « Non. Merci. Merci pour le verre Lesley et ravi de t'avoir rencontré, euh... » Il lança un regard de désarroi au rugbyman incrédule et abandonna pour de bon les apparences. D'un dernier geste résigné de la main et le sourire aux lèvres, Alan fit volte-face et se noya dans la foule. « Pfeuh » gémit-il en s'éloignant. Il sentait l'éclat de rire lui chatouiller la gorge. « Qu'on ne m'y reprenne plus ! ». Cul sec, il termina son verre et jeta son cadavre dans une poubelle de tri. Puis, pour l'heure, libéré de toute intimidation sociale, il laissa la masse guider son pas léger. « Sullivaaaaaan ! » C'est comme en rêve qu'il entendit son prénom. Curieux, Alan se retourna et reconnu de loin le visage amusé de son cousin germain. Agréablement surpris, un sourire sincère illumina son visage lorsque Pete lui tapa l'épaule amicalement Cette soirée ne cesse de tirer vers l'absurde nota-t-il pour lui-même, je n'ai pas assez bu. « Tu t'es paumé dans un coin de rue, cousin ? »
Alan rit en étreignant son cousin à la manière des hommes viriles qui s'aiment et veulent se le montrer, c'est-à-dire se rapprochant de Pete pudiquement, lui claquant une main dans le dos avant de s'éloigner pour ne laisser qu'une demi-seconde de proximité entres les deux êtres chers. « Si ce n'est pas ce bon vieux Peter. » Cruelle façon qu'avaient ces deux-là de montrer leur affection. Alan adorait lancer des flèches là où il était facile de récolter des points. « Faut que j'te raconte la soirée de merde que je viens de me taper ! Tu m'offres un verre ? » Énergique, Alan ouvrit ses bras vers le premier stand ouvert en sachant pertinemment que son "invitation" ne serait pas refusée.
C'est en revenant deux pintes à la main, une pour lui, une pour Pete, qu'il lui raconta brièvement et non sans humour, la déroute qu'avait été sa soirée avec Lesley... et son copain. Mais Alan ne tarda pas de remarquer dans les yeux de son cousin, une lueur, ou plutôt une absence de lueur, qu'il ne lui reconnaissait pas. Sans doute se trompait-il car il est aussi vrai qu'à la foire, n'importe quel regard neutre pouvait sembler en comparaison, fort malheureux. Le brouhaha l'empêchait de clarifier sa pensée et les mois étaient passés sans avoir eu de nouvelles de Peter. « Mais et toi Peter, qu'est-ce que tu deviens ? Toujours obsédé par ton travail et tes voyages ? T'es toujours avec cette... comment elle s'appelle déjà ? Molly ? » Le ton était un peu trop désinvolte. Pourquoi les mots ne sortent-ils jamais comme on les ressent ? |
| | | | (#)Dim 24 Jan 2021 - 8:28 | |
| Un claquement de main dans le dos, une tape sur l’épaule, deux grands sourires pour se dire qu’on s’aime même si on ne veut pas le montrer. Je suis content de le voir ce cousin qui n’a pas trainé sur mon canapé depuis un peu trop longtemps. « Si ce n'est pas ce bon vieux Peter. » Mon nom complet raisonne m’arrachant l’habituelle grimace de ceux qui sont bien trop habitués à leur surnom pour apprécier le prénom qu’on leur a donné. « Bah si, Melchior. » Je prononce son deuxième prénom avec malice, appuyant sur chaque syllabe, petite vengeance personnelle. « Faut que j'te raconte la soirée de merde que je viens de me taper ! Tu m'offres un verre ? » Je roule des yeux avec un sourire. « C’est toi qui donne pas de nouvelles et c’est moi qui doit te payer un verre ? » Je ris, parce que je dis ça seulement pour l’emmerder et que je suis tout aussi responsable de cette absence de nouvelles entre nous. Je lui tape dans le dos malgré tout mon sourire un peu plus grand parce qu’il m’a manqué le bougre. « Bon allez c’est bien parce que c’est toi ! »
On se dirige le stand pour repartir avec deux pintes à la main et Alan me raconte en détail ses aventures de la soirée avec la fameuse Lesley et son copain. Pas de doute l’homme n’avait pas eu de chance. « Une de perdue, dix de retrouvées ! » je scande entre deux piques lancées sur ses mésaventures, montrant mon soutien malgré tout.
« « Mais et toi Peter, qu'est-ce que tu deviens ? » a J’aurais envie de lui dire pas grand-chose à part un pantin un peu plus noyé dans l’alcool chaque jour. « « Toujours obsédé par ton travail et tes voyages ? » A ca je pourrais répondre que oui, parce que je pourrais passer des heures à mon cabinet sans ressentir le besoin de rentrer chez moi. Quant aux voyages, si j’en ai encore le goût, j’ai choisi des projets qui me forcent à rester dans la ville ces derniers mois et je ne sais pas vraiment si je le regrette ou non. « « T'es toujours avec cette... comment elle s'appelle déjà ? Molly ? » A ça le sourire disparaît un peu, parce que Molly ne sera plus jamais autre chose qu’une amie, si on arrive déjà à réparer tout ce que j’ai cassé au fil des années.
« Oh tu sais same old same old.” Une phrase que je déteste prononcer moi qui fuit la routine. « Toujours obsédé par mon travail, tu devrais peut être penser à t’en chercher un tu sais des fois c’est fun ! » Je lui donne un léger coup de coude pour appuyer mes propos. « Je voyage plus trop par contre, j’ai décidé de poser mes bagages un peu. Voir ce que ça donne. » Et pour l’instant, on penche plutôt du côté des regrets. « Quant à Molly, elle m’a quittée. Définitivement cette fois. » Je me sens obligé d’ajouter parce qu’elle et moi avions la manie de se quitter pour mieux se remettre ensemble trois mois plus tard, elle, pardonnant tout, toujours, jusqu’à aujourd’hui. Mon sourire a flétri à la mention de Molly, je bois une longue gorgée de bière. « Et toi ?! Mon canapé m’a dit que tu lui manquais ! T’habites où ? Tu fais quoi ? » que je demande les yeux remplis de curiosité.
@Alan Sullivan
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| | | | (#)Mer 3 Fév 2021 - 11:58 | |
| La rivalité avait toujours été présente dans la relation des deux cousins, aussi loin qu'ils s'en souviennent. Alan avait pourtant toujours admiré Pete. C'était un homme bien. Au fond. Tout au fond de lui. Un peu comme Alan finalement, lui aussi c'était quelqu'un de bien. En tout cas il le croyait profondément, il se le répétait à chaque instant de sa minable existence pour ne pas sombrer dans les tréfonds de son âme égarée, perdu entre le doute et la culpabilité. Parfois Alan se rappelait du petit garçon qu'il était et se demandait, s'il se recroisait aujourd'hui, comment il percevrait l'adulte qu'il était devenu. Sans doute ne voudrait-il pas grandir. Ne jamais devenir le sombre abruti qu'il était aujourd'hui.
Le truc qui le travaillait, c'était de comprendre comment quelqu'un qui comme Peter, était tout au contraire de lui, travailleur, combattant et ambitieux, quelqu'un qu'il imaginait en satyre de ce monde, à prendre chaque plaisir et laisser chaque peine, à toujours aller vers le mieux et ne jamais s'attarder sur le pire, comment un mec comme Peter pouvait être aussi paumé que lui, dans le fond. Car il n'osait le dire et n'osait pas même l'admettre, mais il voyait bien que son cousin n'était pas dans sa meilleure forme. Et il ne comprenait pas. C'était hors de son champ d'appréhension. S'il avait été comme lui, il aurait été le plus heureux du monde. Enfin, c'est ce qu'il pensait.
Les lumières clignotaient de toute part à en faire mal aux yeux. Le jaune des ampoules électriques se mêlait au bleu nuit du fond du ciel et formaient d'étranges rayons verdâtres qui enveloppaient la foire, la foule et les deux vagabonds de l'amour. Il ne prêta plus attention à Peter une seconde et se laissa envahir par les couleurs, les sons et les bruissements autour de lui. À la foire, Alan se sentait toujours étrangement bien. Tout était faux. Tout brillait. Tous portaient des masques. Alors Alan aussi pouvait.
Il lança un regard furtif à son cousin qui parlait, s'attarda en voyant sa tronche. Pete avait perdu le sourire et regardait dans le vague. Alors comme ça Molly s'était barrée ? D'abord, le garçon eu un sourire de compassion mêlé d'un silence gênant. Il ne savait pas quoi dire qui puisse soigner l'âme en peine, pourtant il aurait voulu trouver les mots. Cependant, il savait qu'il n'en existait aucun et qu'il n'y avait que le temps pour soigner ces blessures. « Et toi ?! Mon canapé m’a dit que tu lui manquais ! T’habites où ? Tu fais quoi ? » demanda Pete avec les yeux qui se remplissaient à nouveau d'étoiles. Alan pensait c'est une diversion, parce qu'il ne comprenait pas pourquoi son cousin en aurait quelque chose à foutre, de ce qu'il devenait et d'où il habitait. L'incompréhension entres les deux âmes s'étendaient tandis qu'Alan se sous-estimait. Ou bien sur-estimait l'autre. Il eu un sourire lâche, regarda le fond de son verre comme s'il espérait y trouver une réponse toute faite et reprit un peu de force pour répondre avec légèreté. Parce que ça ne lui ressemblait pas de faire peser la conversation à son égard et à l'instar de Pete, toute diversion était bonne à prendre. « Ton canapé n'aura qu'à attendre ! Je serais ravi à l'occasion, d'y reposer ma carcasse ! » rit-il. « Je dors ici, je fais ça... Enfin tu sais. Ma vie n'est que vagues interactions dues au hasard et aux coïncidences peuplées de jolies filles et de copains jaloux. » dit-il avec un sourire malicieux. Il reposa son verre sur ses lèvres pour reboire un peu de courage liquide. « Je ne crois pas avoir décidé à me ranger encore. Enfin je cherche quoi. Tu sais je dois dire, je croyais ne jamais avoir envie de grandir mais plus je vois mes copains devenir vieux, plus je me dis que je suis à la bourre. Que j'ai dû rater un tournant » admit-il avec stupeur. Il ne savait pas que c'était quelque chose qui le gênait avant de formuler les mots à voix haute et il se demanda pourquoi ils étaient dits maintenant, avec son cousin. Admettre qu'il s'était peut-être trompé, Alan n'aimait pas. Un élan de fierté l'envahit et il redressa les épaules pour ne pas fondre de honte. « Enfin tu vois ce que je veux dire ! Loin de moi l'envie de finir comme toi, lobotomisé par un boulot qui me bouffe la vie et un ego surhumain qui m'empêche d'avoir une relations sérieuse ou de garder une copine ! » éclata t-il. La provocation lui ressemblait mieux que la lucidité en présence de son cousin. Ce n'était pas nécessaire d'abattre un homme à terre mais Alan ne s'en rendait pas compte. Plein d'égoïsme à présent, Alan même s'il gardait le sourire, changea sa compassion en fierté mal placée. Il se disait que Pete pouvait le juger de sa position de grand seigneur et il voulait se protéger lui-même. S'il devinait que quelque chose n'allait pas avec Pete, ce dernier le cachait si bien et Alan le plaçait si haut dans son estime qu'il ne comprenait pas et ne cherchait pas à savoir. Il espéra dans le fond que Pete allait rigoler et qu'on pourrait passer à autre chose. Mais qu'on ne s'attarderait plus sur ce qu'il fait de sa vie. Alan ne savait pas ce qu'il faisait de sa vie. |
| | | | (#)Mer 10 Fév 2021 - 23:46 | |
| Si j’avais toujours parlé de Molly à la légère c’était sans doute parce que j’avais toujours été celui à partir le premier, celui qui quittait la ville, celui qui la trompait, celui qui prétendait que cette fois nous n’étions pas vraiment ensembles. Pourtant cette fois c’est elle qui a mis fin à ce petit manège qui tourne depuis trop d’année, moi qui promets monts et merveilles, elle qui y croit pour la énième moi, moi qui préfère fuir ailleurs, qui préfère prétendre qu’elle n’est pas assez importante, que ce n’est pas pour moi, que je suis mieux à vivre ma vie à cent à l’heure plutôt qu’à rester et à ressentir la monotonie d’une vie à deux.
Bien sûr que je le bombarde de questions en retour. Une diversion comme une autre, sa vie plutôt que la mienne, ses problèmes plutôt que les miens. Je bois une gorgée de mon verre. Ce n’est pas que ça au fond, derrière il n’y a pas que mon canapé à qui il manque mais peut être bien à moi aussi au fond, il est ma famille le Sullivan et si je ne le comprends pas sur bien des sujets, sur d’autres j’ai parfois l’impression qu’on est aussi paumés l’un que l’autre et qu’inévitablement ça nous rapproche. Je le reconnais son sourire, celui tout aussi lâche que le mien, celui qui prétend que tout va bien. Il sera ravi de venir sur mon canapé, mais pas tout de suite car il est trop occupé à dormir ailleurs. Où ? Je ne sais jamais avec lui, l’homme est bien trop vagabond. Il n’a pas décidé de grandir, d’arrêter sa course, de se ranger comme il dit et mon regard se braque sur lui parce que je me reconnais dans chaque mot. Je vois Jill avec ses jumeaux, je vois tous mes amis tous plus heureux les uns que les autres en couple ou dans leur vie stable et je me dis qu’on m’a oublié sur le bas-côté de l’autoroute. Alan se confie et pourtant l’instant d’après c’est terminé, il redresse ses épaules, provoque et insulte avec un grand sourire fier.
Je choisis le rire parce que c’est plus facile que d’admettre que les mots blessent. Je m’allume une cigarette, posant mon paquet de clopes sur la table. « Petit con va. » Je l’allume et mon sourire se fait tout aussi provocateur. Il veut jouer, je peux jouer et je peux blesser. « Moi et mon égo surhumain on t’emmerde, on vit une vie des plus heureuses à nous glisser dans de nouveaux lits chaque soirs. » C’est ça Pete, continue de prétendre que ça te rend heureux, que tu es juste bien trop curieux pour t’arrêter sur une seule personne quand au fond tu es juste seul.
« Finir comme moi, ça implique que t’ais déjà commencé quoique ce soit ! Et toi t’as rien commencé de ta vie non ? » je fanfaronne en buvant une gorgée de bière. Il a mal choisi son jour le Sullivan et peut être qu’aujourd’hui je blesserais sans le vouloir. Ou en le voulant, mais en le regrettant plus tard du moins. « C’est vrai que t’as l’air vachement heureux toi à valdinguer de canap en canap et à vivre d’amour et d’eau fraiche. » Non au fond j’étais persuadé qu’Alan était aussi paumé que moi. Mais je ne comprenais pas son manque d’ambition, sa façon de ne rien faire de sa vie. On ne se ressemblait en rien et pourtant sur d’autres points on se ressemblait en tout. Je lui souffle ma fumée de cigarette dessus avec un sourire moqueur, sourire fictif, alors qu’au fond je suis fatigué de cette vie.
@Alan Sullivan
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| | | | (#)Sam 27 Mar 2021 - 2:51 | |
| Les sentiments se mêlaient tous en même temps. Alan n'aimait pas tellement quand ça faisait ça. Dans son ventre grandissait la honte, la grande honte d'être lui, d'être comme ça, d'en mettre plein la gueule à un homme déjà à terre. Grandissait aussi la couleur rouge de la colère, agrémentée par la fierté et l'alcool, le vermeille que provoquait la vérité. Entremêlée, la culpabilité, la dignité piquée au vif. Et enfin la peur, la peur froide et dure, envahissante jusqu'à la moelle, la peur d'avoir été percé à jour. Le tout bien homogène, opaque, comme une soupe d'émotions dont on ne pouvait distinguer les ingrédients et qui donnait la nausée. Lorsque cette boue s'étalait entres les côtes, il y avait là plusieurs manière de réagir. Alan, comme à son habitude, choisissait toujours la pire.
Il se leva et fit face à l'adversaire. L'adversaire, parfaitement. Alan ne pesait plus ses mots. Il voulait à tout prix retirer ce sourire hautain de la tronche de son cousin. « Tu as raison Peter. » articula-t-il. La bière lui montait à la tête et les mots s'embrouillaient. C'est ce sentiment, lorsqu'on s’apprête à déballer un lot de connerie qu'on ne voudra plus assumer plus tard, mais qu'on peut pas s'empêcher de jeter sans tact et sans manière, dans un élan d'audace... C'est ce sentiment que ressentait Alan juste avant d'ouvrir la bouche à nouveau. « Je devrais plutôt prendre exemple sur toi. Heureux, c'est à dire faire semblant ! Vide ! Des sentiments vides ! Des relations vides ! Je devrais plutôt polir un reflet, laisser mourir le reste, le vrai, ce qu'il y a à l'intérieur, me laisser pourrir, comme toi ! T'as raison ! » Le sang lui montait à la tête. Il y a cinq minutes, il rigolait. Maintenant il ne rigolait plus. Il avait un sale goût dans la bouche et c'était pas seulement la bière, c'était aussi l'amertume. Et tout ce qu'il arrivait à penser à ce moment précis, c'était à quel point son cousin était qu'un sale petit merdeux qui marchait sur les émotions des autres sans y faire attention, avec toujours le même dédain pour autrui.
Pourtant, c'était bien Alan qui avait commencé. Mais c'était pas pareil. Allez savoir. Là c'était sérieux, Alan avait été touché là où Pete espérait peut-être l'atteindre. Il ne s'entendait plus parler, et c'est avec plein de dépit qu'il dit exactement ce qu'il pensait de son cousin. Les jolies choses et la poésie en moins. Il ne montait pas la voix car il n'était pas d'un genre violent. Mais le ton y était et il était cinglant. Il écartait les bras. Fronçait les sourcils. Cherchait à garder juste assez de calme pour ne pas avoir l'air d'un gamin blessé. Ne laissait sortir sa colère que sous forme cruelle. Ravalait sa honte. Ravalait sa peur. Il ne montrait qu'une infime partie de la boule qu'il avait au ventre, celle de l'outragé cherchant justice. Si seulement il y avait de la justice dans ces joutes verbales.
« T'es qu'un froussard Pete, tu montres rien, tu ressens rien, tu vis rien, tu veux pas vivre. J'ai peut-être rien commencé mais tout ce que je fais, je le fais avec honnêteté ! Je le vis ! Et toi Pete, dans ton costume d'homme parfait, tu me parles d'être heureux ? » Alan secoua la tête. Son visage se déformait. Il voulu boire une gorgée de bière mais au dernier moment rabaissa son verre pour laisser vomir les mots. Encore. « Laisse moi rire. » Il ressentait une immense injustice, un affront ! Qu'on puisse le juger sur des non-lieux, c'était difficilement défendable mais que Pete, aussi déchiré et en soif de sens que lui, vienne lui parler d'être heureux... « Tu reconnaîtrais pas le bonheur s'il venait à toi comme un parpaing dans la gueule ! » .
@Peter mulligan |
| | | | (#)Ven 16 Avr 2021 - 23:32 | |
| Paraître heureux. Paraître tout sauf vide. J’avais de plus en plus de mal à le faire, encore plus de mal à y croire et cela devenait de plus en plus flagrant alors que mon cousin l’utilisait contre moi.
Un instant auparavant on riait. Tout allait bien. Mais est ce que tout allait bien ou est ce qu’on était déjà tout aussi brisés l’un que l’autre ? Difficile à dire. Il y a des mauvais côtés à se connaître trop bien. A savoir tout ce qui peut blesser, tout ce qui touchera en plein cœur, chaque mot qui sera plus cruel que le précédent.
Mais Alan touche juste, bien sûr que j’ai peur. J’ai peur mais je préfèrerais crever que de l’admettre. Là où je suis persuadé, sûrement à tort, qu’il a tout faux c’est que je vis. J’ai prouvé que je vivais ma vie à pleine vitesse, sans regard pour les conséquences ou pour le lendemain, j’ai prouvé que je faisais ce que je voulais quand je voulais, vivant des mes envies et de mes désirs. Et pourtant, mêle cette affirmation silencieuse me semble un peu faussé par le fait que je suis prisonnier d’une vague d’alcool, incapable de sortir la tête hors de l’eau, incapable de réellement penser à autre chose que mon prochain verre sans regard pour le reste du monde autour de moi.
Peut être que je ne sais pas être heureux. Peut être que c’est plus simple de boire un verre de rhum ou de vodka. Peut être que c’est plus simple que de prétendre que rien n’a d’importance plutôt que tout en a bien trop. Mais que ce soit lui, ce pauvre type qu’est mon cousin, ce paumé, qui ose m’envoyer ça à figure, ça me donne envie de rire jaune et c’est ce que je fais en tirant sur ma cigarette avant de boire une longue gorgée de ma bière.
Je suis à court de mots aujourd’hui, trop fatigué en réalité pour me battre avec lui, trop fatigué pour déverser un venin qu’il mériterait sans doute.
« Oublie mon canapé cousin. » Et le dernier mot est sifflé entre mes dents avant que je ne finisse cul sec mon verre. « Sois heureux à rien réussir de ta vie et à errer de canapé en canapé, vu qu’apparemment c’est censé être ça le bonheur, tout foirer continuellement ? » Je donne une tape dans la fin de son verre et celui-ci se renverse sur la table et sur lui. « Bonne soirée. » Le geste est puéril et ça n’a pas d’importance à mes yeux, je veux juste échapper aux paroles qu’il a prononcé et qui raisonnent dans mon esprit. Quitter cette fête foraine, prétendre vivre à travers un énième verre, prétendre être heureux et en rire. Il raconte n’importe quoi ce Alan Sullivan. Il n’a rien compris. Il a tout faux.
Il a complètement raison.
@Alan Sullivan
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| | | | | | | | les paumés du petit matin (Alan) |
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