Les Williams ne se réunissent vraiment que pour deux choses, c'est bien connu. D'abord, il y a les repas de famille, auxquels ils font tous preuve d'une grande sympathie et d'un grand calme. Ensuite, les affaires de famille. Ces évènements là se font rares et parfois, il est bon de faire une ou deux piqûres de rappel. Voilà qui est très généreux de la part de Elon Williams de réunir à nouveau ses enfants, si proche du dernier dîner de famille - lequel s'est terminé dans un calme tout relatif.

Saül a quitté l'appartement qu'il partage avec Ariane assez tôt, s'assurant de ne mettre personne en retard - et surtout pas lui-même. Après tout, aucun des Williams ne mérite que leur aîné ne perde de son temps, surtout pas alors s'apprête à reprendre le travail après son petit passage à l'hôpital. Cet argent sera essentiel à Saül qui compte bien sur la part de gâteau qui lui est réservée pour garder l'esprit un peu plus tranquille. Les dettes ne s'épongeront pas toutes seules et l'homme d'affaires compte bien remédier à ce léger contretemps dans les plus brefs délais. Après le rude mois de janvier qui vient de s'écouler, un peu de paix ne serait que justice - et ce pour tout le monde. Le déroulement de la réunion du jour est très simple : quelques papiers à signer pour le testament du père Williams - que tout le monde regrette évidemment - et retourner chacun de son côté en évitant de faire un bain de sang. Mais Saül est dans un bon jour : tout se passera à merveille.

Saül ne s'est présenté à l'enterrement que pour s'y faire très discret. Une accolade pour sa mère - qui est aussi présente en ce triste jour de lecture - un regard à sa fratrie et rien de plus. La cérémonie aurait beaucoup déçu Elon, qui s'attendait probablement à un enterrement à la hauteur de sa tonitruante réputation. L'apparence pittoresque de la cérémonie n'est que justice - et Saül s'est même senti soulagé de savoir son père au fond de la tombe.

On ne fait pas beaucoup patienter la petite famille avant que ses membres ne soient présentés à la notaire, une petite femme qui n'a pas pensé à installer assez de chaises autour de son bureau pour accueillir tout le petit monde réuni aujourd'hui. « Si nous n'attendons plus personne, je vais commencer la lecture. » La voilà qui se perd dans d'interminables lois, alors que la main de Saül se pose sur l'épaule de Damon, derrière lequel il est resté debout. Encore fatigué par sa convalescence, l'italien maintient pourtant un regard sûr. Ce ne sont que des papiers et l'affaire sera entendue - pourvue qu'elle le soit sans attendre. Heureusement, grâce à Elon, les Williams n'ont plus aucun secret à se cacher. N'est-ce pas ?

@Auden Williams @Savannah Williams @Anastasia Williams @Damon Williams

NB : Il n'y a pas d'ordre particulier de réponse. Joyeux Hunger Games.

We told you this
was melodrama

lecture du testament d'elon williams
janvier 2021
(thnks @jessalyn oxton pour le gif )

***
Damon n’avait aucune espèce d’idée du pourquoi il se trouvait ici aujourd’hui. Reprenons, plutôt: il n’avait aucune idée du pourquoi il s’était retrouvé ici alors que les motivations venant à rassembler les membres de la famille Williams étaient drastiquement toutes différentes selon les personnes présentes.

Il n’avait même pas pris la peine de jeter le moins regard vers son père, déjà présent, lorsqu'il était arrivé. Il savait que ce dernier n’était pas là pour venir honorer une dernière fois la mémoire de son géniteur - Saül n’avait d’yeux que pour la somme qu’il pourrait empocher avant de repartir du bureau de la notaire. Damon s’était alors contenté de venir s’asseoir sur une des chaises non loin du devant de la scène - peut-être qu’on viendrait lui demander de laisser vacante une place qui n’était clairement pas la sienne, mais pour l’heure actuelle le reste de la famille n’était pas arrivée et il pouvait se permettre de se mettre à l’aise. Il aurait même pu en profiter pour venir tailler une bavette avec l’ainé des enfants d’Elon, mais il n’avait pas le coeur à ça aujourd’hui. Pourtant, ils en auraient des choses à se dire - le moment n’était pas opportun aux yeux du gamin.

Lorsque Auden vint à entrer à son tour dans le petit bureau - son père, en l’occurence -, Cosimo n’eut cependant pas plus de réaction qu’il en avait eu lorsque c’était le premier portant ce nom qui était venu croiser son regard. Le deuxième homme Williams devait être présent pour une raison surement tout autre de celle de Saül - et Damon avait beau chercher que pouvait être cette dernière, il peinait à mettre le doigt dessus; Auden n’avait pas besoin d’argent et il n’avait jamais éprouvé quelconque sentiment bien positif à l’égard de son père. Venait-il en soutien au reste de sa fratrie ? L’énigme était toujours entière ici, puisqu’il avait été le premier à s’en éloigner des années plus tôt, à leur tourner le dos. La seule pour laquelle il semblait se rendre disponible était Savannah, et la présence de cette dernière semblait davantage justifiée en regard du reste du monde. Damon se doutait qu’elle se présentait aujourd’hui parce-que la peine et le chagrin se devaient d’être vrais, et qu’elle venait honorer la mémoire de son père jusqu’au dernier moment. Il se retrouvait un brin plus dans ces motivations là que dans n’importe quelle autre excuse que pourrait sortir le moindre Williams.

Allant de paire avec ses habitudes et ses manières de faire, Anastasia arriva en retard par rapport à l’heure du rendez-vous fixée. Cela ne sembla venir étonner personne, même Damon eut plutôt un petit sourire en coin. Qu’importe les circonstances, elle restait toujours elle-même. Les deux jeunes Williams ne s’étaient pas revus depuis la fois où le gamin était passé voir sa tante à l’hôpital, mais il n’avait pas besoin d’entamer une discussion avec elle pour savoir que sa motivation se rapprochait de celle de Saül, et qu’elle attendait avec impatience le chèque qu’on lui donnerait en guise de dernier geste de la part de son paternel.

Damon, lui, était là tout simplement parce-que son coeur pleurait toujours l’homme qu’il avait connu. Si Elon n’avait pas été un père exemplaire pour ses enfants - il n’était pas le seul de la famille à avoir abusé de ce comportement là -, il n’avait en revanche jamais rien eu à se reprocher en tant que grand-père. Tous les souvenirs que le blond avait de l’homme qu’il avait été étaient positifs, remplis de rires et de virées à la plage, d’histoire de fantômes et de sucreries données en cachette. Damon avait toujours aimé passer des vacances chez ses grands-parents et avait été l’un - si ce n’était pas l’unique - des plus peinés par la disparitions du patriarche Williams. Il était ici pour honorer la mémoire d’Elon, étant donné qu’il n’était pas en ligne directe pour l’héritage. Au moins, quelqu’un serait présent avec de bonnes intentions aujourd’hui.

« Si nous n'attendons plus personne, je vais commencer la lecture. » La notaire s’était enfin exprimée et la séance pouvait commencer. Cette phrase ne fut que la première d’une longue série qu’elle vint prononcer, et si Damon comprenait une partie des explications légales qu’elle leur donnait, il n’avait pas les connaissances nécessaires malheureusement pour comprendre l’intégralité du jargon employé. Ce n’était pas le plus important dans tout ça, étant donné qu’il restait présent pour la mémoire de son grand-père et non pour le contenu des papiers que la notaire s’éternisait à lire - et de toutes façons, son attention était davantage focalisée sur la main de Saül posée désormais sur son épaule. Dans d’autres circonstances, il serait venu dégager son épaule de l’emprise, même minime, de l’homme. Dans un autre monde, il serait venu s’éloigner de celui qui s’évertuait à jouer un rôle qui ne l’incommodait pourtant plus. Mais les derniers événements concernant la santé de Saül faisait encore effet sur la conscience du jeune homme et il n’avait pas envie que son paternel finisse de nouveau aux urgences par sa faute.

« Bon ça va être long encore votre merdier, là ? Lisez le testament, on s’en branle de vot’ charabia juridique, on sait que vous avez fait de longues études, pas la peine d’en rajouter... » Ce serait mentir que de dire qu’un petit sourire en coin n’était pas venu se glisser sur les lèvres du plus jeune Williams en entendant les paroles de sa tante. Bien sur qu’elle s’impatientait, bien sur qu’elle ne savait tenir en place. Ce qui pouvait être remarqué, en revanche, c’était le fait qu’elle ait retourné une certaine forme physique, étant donné que la dernière fois que Damon l’avait vu elle ne pouvait prononcer le moindre mot. De son côté, le garçon ne vint ajouter la moindre parole - sa place n’était pas celle-ci. Il préféra laisser l’un de ses pères venir réprimander leur petite soeur, il savait que l’un comme l’autre avait une passion pour ce type d’agissement - il ne savait juste pas à quel point il avait malheureusement raison.

Spoiler:

We told you this
was melodrama

lecture du testament d'elon williams
janvier 2021
(Merciiiiii @jessalyn oxton pour le gif qui est juste parfait )

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Assise sur ma chaise, j’observe silencieusement l’un des nombreux tableaux qui ornent la pièce. L’endroit est classe, majestueux, hors d’atteinte, et même devoir occuper une chaise me semble déplacé, comme si je n’y trouvais pas ma place. Pourtant, si la grande famille Williams s’y retrouve, ce n’est pas pour rien. Les réunions familiales se font rares,  les dernières en date ont laissées un souvenir amer à chacun d’entre nous. Et même moi, qui jusqu’à présent, m’étais attribuée la lourde tâche de resserrer les liens entre chaque membre de cette famille, je me suis faite une raison sur le sujet, comprenant que rien ne pourrait changer, et encore moins avec les derniers événements survenus. D’une certaine façon c’est ce qui me pousse à me tenir à l’écart de chacun de mes frangin(e)s depuis le dernier repas, parce que je veux m’éloigner de tous ces problèmes constants, plus dramatiques les uns que les autres. Peut-être aussi parce que la peur que la petite cadette se soit montrée bien trop bavarde envers nos aînés me taraude aussi... Malgré notre pacte, elle sait souvent montré imprévisible pour ne pas dire ingérable, et j’espère qu’elle saura être à la hauteur de ma confiance et garder les informations qu’elle n’aurait jamais du avoir. Elle a tout a y perdre elle aussi.

La disparition de notre père a un grand impact sur moi. Les traits tirés sur mon visage, l’absence de sourires qui pourtant s’y logeaient si souvent auparavant, les poches sous mes yeux que je ne parviens pas à dissimuler...Je peine à retrouver cette joie de vivre, qui me caractérisait si bien de façon générale depuis mon retour sur le continent australien. Enfin, sauf lorsqu’il s’agit de rentrer dans l’arène des Williams pour être à la hauteur de leurs échanges. Mais là encore, mes remarques ironiques et provocatrices sont absentes. Je reste silencieuse, éteinte, observant du coin de l’œil notre mère, qui tente de faire bonne figure, malgré la perte insurmontable que cela doit représenter. Je tente de me montrer présente pour elle, soucieuse qu’elle parvienne à se relever, partageant une peine commune qu’il n’est plus nécessaire de justifier. Pourtant, le temps qui passe semble avoir de meilleurs effets sur elle que sur moi, ou peut-être n’est-ce que l’illusion qu’elle cherche à donner. Quoiqu’il en soit, je m’abstiens à échanger au maximum avec les autres, n’étant pas d’humeur à encaisser les insinuations et autres frasques auxquelles je suis pourtant habituée. La raison de leur présence est bien différente de la mienne, et rien que ce point me dérange fortement. Je n’éprouve aucune satisfaction à l’idée de recevoir un beau petit chèque en guise d'adieu, ce dernier ne comblera pas l’absence d’Elon. Mais j’ose espérer ne pas être la seule dans ce cas. Et malheureusement, la réponse n'est pas si évidente...Ce regroupement sonne  comme une corvée à mes yeux, voir même comme un manque de respect pour cet homme que l’on souhaite aussitôt mettre dans la pile «affaires classées».

Je suis au premier rang, dépourvue de toute émotion notable alors que l’attente me semble interminable. Mon regard parvient à se hisser jusqu’à Auden brièvement, puis Damon, que je tente de jauger par l’expression de son visage. La main que Saül est venu placée sur l’épaule de «son fils» me donne un bref aperçu de leur rapport après le coup d’éclat. Si je ne suis jamais parvenue à comprendre les motivations de Saül, c’est pour Damon que je me réjouis de ce final, imaginant très bien la cataclysme que cela a du provoquer en lui, et espérant fortement qu'il parvienne à avoir la force de surmonter ça. Il méritait bien mieux, et si il parvenait à vivre en ayant surpasser tout once de colère, ca ne pouvait que lui être bénéfique. Si les Williams savent se montrer particulièrement acerbe, Damon est le seul à faire preuve de sagesse. « Bon ça va être long encore votre merdier, là ? Lisez le testament, on s’en branle de vot’ charabia juridique, on sait que vous avez fait de longues études, pas la peine d’en rajouter... » En temps normal, j'aurais pris la peine de sortir le "Ferme-là" habituel, qui sonne véritablement comme un bonjour dès qu'il s'agit de ma soeur cadette, mais même ça j'en suis incapable. Je baisse les yeux faiblement sur mes mains qui jouent nerveusement ensemble , honteuse d'être associé à ce nom de famille dans un moment pareil. La notaire tente de ne pas se laisser déstabiliser, préférant adresser un regard réprobateur à la jolie blonde qui n'aura véritablement aucun impact.

Spoiler:

Généralement, ce sont les personnes timides qui attendent qu’il y ait plus de trois personnes dans la pièce pour ne pas avoir à user de small talk. Pour ma part, je le fais surtout pour ne pas avoir à tuer l’un d’eux. On appelle ça une famille, il me semble, mais plus le temps passe et plus j’en viens à douter que ce terme soit réellement approprié. Les masques tombent, les identités se révèlent et pour quiconque ne vit pas l’histoire de l’intérieur, c’est à n’y rien comprendre. J’ai même eu beaucoup de mal à en parler à Ginny, quand bien même elle nous connait depuis quinze ans et avait déjà eu un aperçu de l’histoire entourant la naissance et la vie de Damon. J’aimerais dire que tout ceci est derrière nous mais je suis fatigué des mensonges. Je ne lui ai pas parlé depuis le dernier repas de famille et le simple fait de voir Saül oser poser une main sur son épaule me rend fou. Je sers mâchoire et poing, mon épaule posée contre le mur au fond de la salle. Damon, Saül et Savannah sont sagement assis face à moi. J’ai croisé le regard de ma soeur, ai soigneusement évité celui des deux autres. Je me contente simplement de les observer, maintenant, et de mal interpréter le moindre de leurs gestes aussi. J’ai simplement envie de retourner chez moi pour y trouver ma femme et mon fils, l’héritage de mon père ne m’intéresse pas. Il n’a jamais été présent pour nous durant sa vie, il ne risque pas de l’être dans sa mort. Saül sera heureux d’avoir quelques billets de plus et il sera le seul gagnant de toute cette histoire, comme toujours. « Si nous n'attendons plus personne, je vais commencer la lecture. » Oh non, simplement une Anastasia qui vient d’arriver en retard comme à son habitude et qui plus est, qui joue au même jeu que moi à vouloir rester en retrait des autres. Si on a un point en commun, un seul, c’est bien notre incapacité à rentrer dans le moule de la société. Elle est proche de la porte et moi de la fenêtre. Chacun sa stratégie. Elle peut s’enfuir et moi, je peux la faire malencontreusement chuter.

« Bon ça va être long encore votre merdier, là ? Lisez le testament, on s’en branle de vot’ charabia juridique, on sait que vous avez fait de longues études, pas la peine d’en rajouter... » Depuis quand est ce qu’elle peut à nouveau parler, elle ? “Tu sais fermer ta gueule toute seule ou t’as besoin que je t’aide ? Que je t’aide encore que j’aurais dû dire, mais je suis certain qu’elle l’aura compris tout autant que moi alors que mes yeux noirs se mêlent à mes paroles acerbes. Je ne regrette pas de l’avoir envoyé à l’hôpital et si c’était à refaire, je n’hésiterais pas la moindre seconde. Qu’on soit bien clairs là dessus : elle est la seule à enchaîner les erreurs dans toute cette histoire. “Tout le monde est là. Vous pouvez commencer.” D’un ton bien plus neutre, je m’adresse ensuite à la notaire, avec une politesse qui surprendra sans doute tout le monde - moi le premier. Qu’on en finisse.

La paix n'a pas sa place bien longtemps, dans le bureau de la notaire. Saül est occupé à fixer les papiers qu'elle tient entre les mains. Il y a beaucoup de choses, dans cette chemise cartonnée. Des lettres, des documents plus officiels, des actes barbouillés de rouge. « Bon ça va être long encore votre merdier, là ? Lisez le testament, on s’en branle de vot’ charabia juridique, on sait que vous avez fait de longues études, pas la peine d’en rajouter... » « Tu sais fermer ta gueule toute seule ou t’as besoin que je t’aide ? » A cette remarque, Saül ne peut que lâcher un soupir, déjà agacé par la présence de son frère et de sa sœur. Savannah est bien la seule à se tenir tranquille, aux côtés d'un Damon silencieux. Il n'aurait pas dû venir. Saül aurait dû insister, quand la notaire a tenu à ce que Damon soit présent aujourd'hui. Il n'a pas à se retrouver ici, au milieu de l'arène, là où les lions se déchireront d'ici quelques instants. « Tout le monde est là. Vous pouvez commencer. » Et la voilà lancée.

Les premières signatures ne tardent pas à venir, alors que la notaire récapitule le statut de chacun. Elle jette parfois quelques regards par dessus ses petites lunettes. Ses yeux se posent surtout sur Anastasia, comme si elle attendait que la jeune femme lui saute à la gorge. Dès que le prénom d'Elon est prononcé, la mère renifle. Elle n'a pas eu le temps de faire son deuil et ses enfants ne l'aideront clairement pas dans ce long processus.

« Je vais commencer par le plus jeune. » Damon, donc. Saül respire un grand coup, lorsque la notaire rappel son statut légal et fait entendre chacun de ses prénoms. Partout, il est encore le fils légitime de Massimo Saül Williams. Pourtant, dans la pièce, tout le monde connaît la supercherie. Contre toute attente, c'est le jeune Damon qui hérite de la maison en Italie. Saül fronce les sourcils mais ne relève pas, alors que la matriarche commence à découper son mouchoir en petits morceaux. Bien sûr. Elle ne peut plus assumer cette maison toute seule, trop pleine de souvenirs. Mais pourquoi la léguer à Damon ?

Au tour de Anastasia, que la notaire détaille des yeux un instant. Il est fait mention des conditions du legs et Saül ne peut s'empêcher de jeter un regard appuyé à la cadette. Ils sont dans le même cas, à la différence près que pour ses consommations à lui, personne n'est au courant. Ici, tout le monde sait désormais que pour hériter du modeste pavillon de chasse de Elon Williams, Anastasia devra se soumettre à une cure de désintoxication. Lorsque la notaire fait mention des chiens de chasse du patriarche, elle ne peut contenir un sourire, discrètement partagé par l'aîné de la fratrie.

La suivante est Savannah, la petite chérie. Tout le monde sait, ici, combien leur père ne tarissait pas d'éloges à son égard. La notaire lit lentement son statut légal, fait mention de son fils avant de passer, dans un soupir, à la suite. Les lunettes juchées sur le nez, la notaire explique ensuite la scission faite sur la maison, en Italie. Ainsi, Savannah héritera du jardin. L'un n'allant pas sans l'autre, il lui sera probablement impossible de vendre un jour sa part sans s'arranger avec Damon au préalable. Saül a un rictus en imaginant son père, se sachant mourant, inventer toutes les combines par lesquelles il aura su maintenir son clan uni. Un véritable ingénieur de leur survie à tous.

Vient ensuite Modesto - Auden - à qui Elon Williams a pris soin de léguer le petit avion qu'il affectionnait piloter le dimanche. A la mention de l'engin volant, Saül ne peut réprimer un rire sonore, connaissant parfaitement l'aversion de son frère pour les hauteurs. « Que tu es gâté. » qu'il lâche, le regard fixé sur les papiers que la notaire tient entre les mains. Elon Williams a toujours eu un don pour connaître ses enfants, surtout ceux dont il a été particulièrement fier. Lorsque est ensuite fait mention du cheval d'Elon, resté au pavillon de chasse, Saül ne peut pas s'empêcher de secouer la tête, sourire aux lèvres. Leur père avait décidément un goût pour les choses du passé et surtout pour celles qui allaient avoir le don de désintéresser ses enfants. « Il adorait ce cheval. », pleurniche la matriarche. « Oui, plus qu'il n'aimait ses enfants. » que Saül lance, en italien, pour ne pas offenser la notaire.

A Massimo Saül Williams, Elon cède son bateau. Lorsqu'il est fait mention de ce dernier, Saül blêmit. Il adorait ce bateau, étant petit. Maintenant qu'il ne peut plus approcher une piscine sans avoir des sueurs froides, il n'est pas certain du message qu'a voulu envoyer son père en lui léguant la bicoque. Il semblerait qu'Elon Williams ait interverti tous les legs destinés à ses enfants. Saül convoitait évidemment le pavillon, duquel il aurait fait un usage parfaitement exemplaire. Les autres peuvent avoir les chevaux, les chiens, les avions et les bateaux : Saül a toujours été plus friand de terre ferme.

Lorsque tous les Williams ont signé les contrats qui les relient aux biens présentés, la notaire ouvre un autre dossier. « Je vais finir par des généralités. » Voilà que la notaire annonce les dettes, toujours avant les profits. La langue de Saül se couvre d'un goût de fer alors qu'il se mord l'intérieur des joues. Des dettes ? En quelle occasion Elon Williams a-t-il bien pu accumuler des dettes ? Les yeux de l'aîné se portent sur sa mère, qui n'a pas cessé de triturer son mouchoir. Elle l'aura bientôt réduit en petites miettes. La suite concerne les gains, visiblement pas assez nombreux pour combler les manques. Dans sa tête, Saül fait déjà les comptes. Quand la notaire a terminé d'annoncer des chiffres, elle toussote. « Votre père a fait une demande particulière en ce qui concerne les profits et les dettes. » Bien sûr, Elon Williams est pénible jusqu'au bout. Il en a toujours été ainsi. « Les gains et les pertes ne concernent que les enfants biologiques de Elon Williams. » « Pas Damon, donc. » Voilà qui soulage un peu Saül, qui cesse de crisper sa main sur l'épaule du jeune homme.

« Pas vous non plus. »

Comment pouvait-elle savoir que Elon et Lucrezia Williams n'ont jamais pris la peine de dire à leur enfant qu'il était né sous X, un 10 août 1975 ? Qui aurait pu le savoir à part le père, maintenant dans la tombe, et la mère, qui a fini de découper son mouchoir et tente maintenant de fusionner avec la chaise sur laquelle elle est assise ? La notaire reprend sa lecture, expliquant pourquoi, ainsi, Damon n'est pas impacté par les dettes - mais Saül n'écoute plus. Les bruits ambiants sont soudain parfaitement étouffés. Rien autour n'a plus d'importance, sinon cette feuille distraitement tendue vers lui par la notaire. Pas de gains, pas de dettes. Un cadeau empoisonné. En complément de la feuille à signer, la notaire glisse à Saül son dossier d'adoption - qu'il ne regarde même pas. Ses doigts referment immédiatement la chemise cartonnée comme si sa vue lui était insupportable. Brûlant de colère et de honte, Saül s'empresse de signer les papiers tendus depuis l'autre côté du bureau. Ses yeux se brouilleraient presque de larmes s'il n'avait pas appris très jeune à museler jusqu'à ses plus fugaces manifestations de joie.

Aucun regard n'est envoyé à l'assistance lorsque, abasourdi, Saül s'éloigne du bureau. Sa mère aura bien essayé de le retenir par le surnom qu'elle lui réserve depuis petit. Pour la première fois de sa vie, Saül aimerait se faire minuscule, invisible. Il ne supporte pas les regards, pas plus qu'il ne supporte l'air ambiant. La pièce est trop étroite et dès que le stylo est rendu à sa propriétaire, l'aîné quitte la salle en claquant la porte. Ce n'est que dehors qu'il se laisse aller à la colère, déchirant en petites morceaux la lettre confiée avec le reste des papiers, vraisemblablement écrite par son père. Les phalanges de l'italien blanchissent, à force de tenir le dossier qui continent moultes informations dont on ne lui avait jamais fait mention avant ce jour. Visiblement, Elon désirait être parti pour ce moment. Toujours absent, toujours lâche. Saül n'a visiblement pas encore dépassé le maître en sa qualité de menteur.

florilège de memes:

Comme souvent avec la famille Williams, rien ne se passe comme prévu. Anastasia ferme sa gueule contre toutes attentes, pourtant, et c’est au moins une bonne chose que je retiendrai de cette journée. Si j’avais su qu’une simple mâchoire brisée suffirait pour arriver à de tels résultats, je l’aurais fait bien plus tôt. Aujourd’hui au moins, cela nous permet de connaître l’héritage de chaque membre de la famille dans un calme tout relatif : les reniflements et sanglots de notre mère coupent à de nombreuses reprises la notaire dans sa lecture. De mon côté, il en faudra bien plus pour m’émouvoir. J’étais auprès d’Elon durant ses derniers jours de vie et j’ai observé son corps immobile une fois le matin venu ; ce n’est pas pour autant qu’il a su gagner la moindre once d’empathie à mes yeux. Il est notre père mais aucun autre adjectif ne saurait lui être donné, à lui qui n’a jamais su se démarquer dans sa vie.

Damon a la maison, Anastasia a des chiens, Savannah a un jardin. Plus les noms s’enchaînent et moins le jeu est amusant, simplement affligeant par sa banalité. Comme quoi, même les Williams savent ressembler à une famille normale, de temps à autres. Personne n’aura de demeure luxueuse à New York, personne n’aura les parts d’une société cotée en bourse, personne n’obtiendra le job de CEO d’une grande entreprise. Ironiquement, la moins capable d’entre nous obtient simplement le droit d’avoir des bouches à nourrir supplémentaires. Moi, je suis certain qu’elle trouvera le moyen de faire crever ses chiens en moins de quinze jours. Lorsque mon nom tombe, je ne m’attends à rien de plus, je n’ai envie de rien non plus. Je viens pour signer des papiers et repartir le plus vite possible : preuve en est que je ne fais même pas de zèle. Le cheval et un avion ; quelle ironie. Je ne me rappelle pas de la dernière fois où je suis monté sur un canasson mais je me souviens très bien de toute ma vie durant laquelle j’ai bien fait attention à ne pas monter plus haut que ma propre hauteur. Notre père a toujours eu un don certain pour nous offrir les cadeaux que nous ne pouvions pas apprécier à leur juste valeur. Parlant de valeur, justement, Saül sera le premier à convertir ses biens en argent. Mon aîné à qui je rends son « Que tu es gâté. » d’un regard noir et vif. Si je ne suis pas venu ici dans le but de débuter la moindre guerre, je n’aurai pourtant aucun mal à répondre à ses attaques puériles et sans saveur. Il ne me regarde même pas en retour, le lâche.

“Que tu es gâté.” J’ironise à mon tour sur le même timbre de voix lorsqu’on apprend son incroyable héritage : un bateau qui peine à tenir sur les flots. Lui qui a une peur panique de la moindre goutte d’eau, cela sera amusant à regarder. Seuls Damon et Savannah semblent bien s’en sortir dans cette histoire mais puisqu’ils sont bien évidemment les préférés, cela n’a rien d’étonnant. Heureusement que mon père a pu rédiger son testament après mon mariage, sinon je parie que même Petit Tonnerre m’aurait filé entre les doigts. Au moins, Ginny et Noah seront heureux de l’arrivée de cette sale bête et ils le couvriront de carottes, une fois qu’il aura traversé les continents pour arriver en Australie.

Aux gains s’ajoutent des dettes, et le compte final n’est pas en la faveur de qui que ce soit. Anastasia va peut-être pouvoir vendre ses chiens de chasse avant de les tuer, finalement. Mon regard s’arrête un instant sur Savannah, elle dont je calcule rapidement la solvabilité et la capacité à éponger les dettes de notre père. Je n’ai jamais été le meilleur en calcul mais il ne faut pas avoir de don particulier pour en venir à la conclusion qu’elle s’en sortira sans mal. Anastasia, elle, n’a qu'à se débrouiller seule. Il en est de même pour Saül. « Les gains et les pertes ne concernent que les enfants biologiques de Elon Williams. » - « Pas Damon, donc. » - « Pas vous non plus. » Et voilà que finalement, la réunion devient intéressante. Je ne peux retenir un gloussement alors que notre mère ne sait que sangloter davantage encore et Ana s’insurger. Les problèmes d’argent sont repoussés à plus tard et eux qui étaient le cadet de mes soucis le deviennent plus encore. Mes lèvres sont scellées mais mes yeux ne cessent de se poser de part et d’autre de la pièce, jaugeant la réaction de chaque membre de la famille et de mon fils, surtout. Il faut croire que la famille a toujours eu un certain don pour les secrets et surtout pour les tenir. On doit au moins ça à notre père : il a toujours su tenir notre langue. Et quand je dis “notre père”, finalement, il est surtout question de “notre père à tous sauf à Saül”. Comme quoi, j’ai finalement toujours été le grand frère et le modèle à suivre ; je le savais.

La scène n’a pas l’air de se passer en temps réel ni même face à moi à en juger par tout le détachement dont je fais preuve. Ils sont ma famille mais leur sort ne m’importe pas pour beaucoup d’entre eux. L’aîné peut se débrouiller seul, la cadette ne mérite pas qu’on s’intéresse à elle. L’autre sœur n’a jamais rien fait pour recevoir ma colère et mon fils, lui, sera considéré comme une personne à part et ce peu importe ce qu’il peut se passer. Ce ne sont pas des révélations de la sorte qui pourraient m’ébranler et je me moque de savoir si j’ai toujours admiré un homme du même sang que moi ou abandonné à la naissance car ses parents avaient déjà prévu le lot d’emmerdes qui allaient aller de pair avec son éducation. Ce n’est pas cinquante ans après sa naissance que cela pourrait y changer quoi que ce soit. Je suis lassé de changer ma vie à chaque fois que nos parents daignent nous faire part de leurs secrets.

Et pourtant le destin de Saül est lié au mien, peu importe ce que j’en pense et peu importe ce que je voudrais qu’il advienne de nos vies. Je vois bien ses mains tremblantes et son visage qui vire du blanc au rouge en un rien de temps ; tout le monde y prêtant un minimum d’attention n’aurait aucun mal à l’observer. Je pourrais le laisser s’enfuir comme la dernière fois pour qu’il aille je ne sais où, passer ses nerfs et jouer au parfait mari et futur père. Saül amoureux, qui l’eut cru. Saül père, pour de vrai, qui aurait pu le croire ? Certainement pas moi et j’aurais pu mettre ma main à couper que de telles choses n’arriveraient jamais. On peut toujours compter sur Anastasia pour aller là où on l’attend toujours et se servir du moulin à paroles qui lui sert de langues pour aller d’une connerie en une autre. « Quoi ? Mama !? C’est une blague ? Dis-moi que c’est une putain de blague... » La notaire n’a pas l’air douée pour faire des blagues, si jamais on y prête la moindre attention. Attaquer notre mère n’y changera rien, elle ne sait faire autre chose que de triturer son mouchoir et assécher ses yeux rougis par l’émotion.  Je pourrais la menacer une fois de plus de la réduire à un silence éternel mais n’en ai ni le courage ni l’envie : j’en ai marre de m’occuper du poids mort de cette famille. Il est temps de déléguer. « … Saül ! » Surtout alors qu’elle se bat sans utiliser les bonnes armes, hurlant le nom de son non-frère à tout va. Il ne l’écoutera pas et il n’écoutera personne. Il ne l’entend même sûrement pas, tout autant aveuglé par sa colère que bien d’autres émotions qui doivent s’y mêler. Il a volé ma vie, on lui avait déjà dérobé la sienne. Peut être qu’il y a une certaine justice en ce monde, finalement. Je n’ai jamais été un très bon juge, de toute manière. Jamais très objectif, surtout pas alors qu’il est question de personnes auxquelles je tiens moindrement. Ana recommence à hurler contre notre mère mais je prends plutôt la direction inverse, suivant les pas de mon aîné, comme toujours.

Il sème des indices sur son chemin tel le Petit Poucet, ses papiers d’adoption en lambeaux se mêlant à sa lettre qui l’est tout autant. Je reviendrai chercher la mienne et signer les papiers plus tard, tout ceci est bien le cadet de mes soucis. Une impulsion de mon épaule contre le mur sert à me redresser et je range mes mains dans mes poches à l’instant qui suit, profitant de la porte déjà ouverte pour m’y faufiler. La bataille dans le cabinet du notaire n’est pas la mienne, j’en ai une autre à mener de front sans pour autant n’avoir aucune idée de comment m’y prendre. Je suis bien placé pour l’enfoncer plus bas que Terre mais il m’arrive bien moins souvent de vouloir lui garder la tête hors de l’eau - oh, quelle métaphore ironique. “Tu vois, quand je disais que tu voulais toujours faire ton intéressant.” Je lui ai répété il y a quelques jours à peine, lorsqu’on s’est croisé à l’hôpital - nul besoin de préciser que j’y suis allé pour prendre de ses nouvelles, cela n’intéresse personne. Cette fois-ci, ma voix est bien moins chargée de reproches, elle fanfaronne bien moins aussi. Cette fois-ci, ces mots ne servent en rien à lui faire de nouveaux reproches. Ils ne sont là que pour tenter d’attirer son attention un minimum, à défaut de pouvoir l’aider autant que je le voudrais. Cela ne m’empêche pas de souffler longuement à mon tour à la vue d’un aîné qui ne sait pas retrouver son calme et qui devient aussi dangereux pour les autres que pour lui-même à chaque seconde qui passe. On est peut être pas du même sang mais cela ne nous empêche pas d’être fait du même bois, sur ce sujet-ci comme sur bien d’autres encore. Sans lui en laisser le choix, mon bras passe par-dessus son épaule pour que ma main vienne se poser contre son dos, l’autre venant rapidement l’y rejoindre. “Ne sois pas plus stupide que tu l’es déjà.” On ne fera jamais dans les mots doux et les déclarations d’amour. Peu importe les secrets qui peuvent encore nous être révélés, c’est un fait. On ne sait pas agir de la sorte, on ne le saura jamais. En attendant, je tente de faire au mieux avec les outils à ma disposition, empêchant Saül d’agir comme il le voudrait pour l’empêcher de faire n’importe quoi aussi. Certains pourraient appeler ça un câlin ou une accolade et à ceux-là aussi, je rêve de briser leur mâchoire. Ces mots ne sont destinés qu’à être entendus par lui et par lui seul, quand bien même je me ferai un plaisir de lui répéter qu’il est stupide. “Tu restes notre frère. Tu vas pas t’en tirer aussi facilement.” Mes blagues ne me font plus rire qu’à moitié désormais, mais l’intention y est toujours. On est une famille de merde, certes, mais on reste tout de même unis, au delà des simples liens du sang. Je ne vis pas avec lui depuis quarante ans pour rien, autant qu’on aille au bout.

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was melodrama

lecture du testament d'elon williams
janvier 2021
(thnks @jessalyn oxton pour le gif )

***
Les regards se croisaient, à peine, entre les membres de la famille. Comme si une énième guerre au sein du clan Williams pouvait éclater à tout moment. Comme si aucun d’eux n’était capable de se comporter en adulte responsable lorsque les autres étaient présents. Les paroles de Anastasia démontraient parfaitement ce phénomène, et la remarque acerbe qui s’en vint de la part de Auden à la suite ne faisait que confirmer les pensées du jeune homme. « Tu sais fermer ta gueule toute seule ou t’as besoin que je t’aide ? » Les mâchoires de Damon vinrent se serrer un brin. Les mots n’étaient pas les bons, ils avaient cependant été choisis surement avec soin de la part de son père. Les Williams ne savaient de toutes façons pas faire en demi-mesures - à les voir aujourd’hui, réunis dans cette pièce à l’atmosphère étouffante, venait parfaitement dépeindre ça. « Tout le monde est là. Vous pouvez commencer. » Ainsi, la suite du combat dans l’arène venait d’être lancé. La notaire vient poser son regard sur chacune des personnes présentes, parfois avec une insistance non-désirée, avant de venir se concentrer sur les papiers qui s’empilaient sur le bureau. La tension était à son comble - qu’il pensait, naïvement, Damon -, alors qu’elle vint reposer une fois pour toutes son regard sur lui.

« Je vais commencer par le plus jeune. » Les fibres musculaires de son corps vinrent se tendre, tel un élastique prêt à être rejeté au loin. Les derniers instants du grand-père n’avaient pas été des plus tendres auprès du jeune italien, mais ce n’était pas la raison pour laquelle il ne se sentait en rien à l’aise présentement. Il savait que sa présence en ce jour n’avait rien à voir avec celles des autres Williams autour de lui, et il savait également que son lien avec Elon était tout autre également. « Cosimo Modesto Williams, fils de Massimo Saül Williams et de Elise Rinehart, anciennement épouse Williams. » Tant d’éléments venaient déranger Damon dans cette phrase. Il ne s’agissait pourtant qu’un rappel de son identité, ce qui était le représenter au mieux dans ce monde. Et pourtant, en cet instant, il détestait tout plus que jamais. Cosimo, que son père s’évertuait à toujours utiliser même après toutes ces années à lui avoir montré qu’il était davantage que celui qu’il avait élevé et façonné. Modesto, second prénom qui ne prendrait sens dans son esprit que quelques minutes plus tard, lorsque le statut juridique de Auden en viendrait à être prononcé à haute voix également. Fils de - il n’avait plus envie d’être le fils de personne, désormais. Et cela ne venait que remuer le couteau dans la plaie qu’il soit fils de, aujourd’hui comme tous les autres jours. Anciennement épouse Williams - parce-que même sur ce sujet là, Saül n’avait su être à la hauteur des espérances de son fils. « A vous, Elon Williams vous lègue la demeure familiale en Italie. Le transfert du titre de propriété est déjà effectif, vous trouverez dans cette enveloppe les documents légaux faisant de vous désormais le propriétaire du bâtiment, ainsi que les clefs pour accéder à ce dernier. » Les sourcils du gamin vinrent se froncer sur son visage, quelque peu désarçonner par la tournure des événements. Damon ne s’attendait pas à recevoir quelque-chose de significatif durant cette entretien, et encore moins se voir passer prioritaire sur un lègue d’une telle importance. Il se jurerait même avoir senti la main de Saül venir resserrer son épaule un brin davantage entendant les mots de la notaire. Son regard vint naviguer un instant vers la femme derrière le bureau, les cils papillonnant un instant, avant de reporter ses azurs sur sa grand-mère. Cette dernière ne daigna venir relever ses propres prunelles en direction de son petit-fils, alors que le chagrin la rongeait de l’intérieur. Déglutissant avec grand peine, l’italien vint se pencher en avant pour récupérer la dite enveloppe, la main un brin tremblante. « Il vous laisse également une lettre, que vous pourrez lire quand le moment vous siéra. » La confusion prenait l’ascendant sur tous les autres ressentis de Cosimo, alors qu’il attrapait également la petite enveloppe - bien trop épaisse pour la situation. Cette dernière, il ne l’ouvrirait pas de suite. Le moment n’était pas le bon, l’atmosphère n’était pas propice. Il se contenta de venir s’adosser de nouveau contre le fauteuil, gardant un silence plus que relatif, venant hocher rapidement la tête afin de remercier la notaire.

S’en suivit un procédé similaire pour le reste des membres de la famille. Anastasia et Savannah furent les suivantes sur la liste, et ce fut lors du tour de l’ainée des soeurs que le regard de Damon vint se libérer des enveloppes entre ses mains. S’il avait acquis, par cet héritage, la demeure en Italie, sa tante héritait elle du terrain adjacent à cette dernière. Dernière tentative, ultime geste presque désespéré, de faire en sorte qu’au moins si cette génération là ne puisse pas s’entendre, celle d’après garde des liens étroits. Mathis serait le légitime successeur de ce terrain, lorsque la force des choses se mettrait à agir, et il était presque logique que les deux petits enfants vivants au moment où le testament avait été écrits soient ceux qu’Elon tente de garder proches l’un de l’autre. Un fin sourire se fit présent sur les lèvres de Damon, en cet instant, à cette pensée.

« Modesto Auden Williams. » Il ne mit qu’une seconde et une seule à venir relever la tête, Damon, à cette nomination là. Modesto Auden Williams, comme si cela ne venait pas connecter des éléments de sa propre vie dans sa tête. Son père avait-il osé, était-il allé jusqu’à donner le prénom de son frère, le vrai père de Cosimo en l’occurence, en second prénom de son fils ? Peut-être que cela aurait pu mettre la puce à l’oreille de bien des personnes si cet élément avait été mis en lumière plus tôt. Peut-être que d’autres, Damon y comprit, auraient compris la supercherie bien avant que cette dernière ne leur éclate au visage comme cela avait été le cas lors du dernier repas de famille. Il avait chaud, en cet instant, Damon. Littéralement chaud. Comme s’il n’avait pas eu sa dose de révélations durant les quatre dernières semaines et qu’au moindre détour, au moindre tournant, on réussissait à lui assener un dernier coup - presque pour le plaisir. Désormais, ce n’était pas uniquement son nom de famille qui venait à lui rappeler qu’il n’était en rien le fils légitime de ses parents et qu’il venait personnifier à la perfection l’un élément perturbateur dans un schéma familial classique, mais son propre second prénom rajoutait une couche à toute cette histoire de supercherie dont il était l’acteur principal contre son gré. La suite des paroles prononcées autant par la notaire, que le dialogue entre sa grand-mère et son père, furent de simples bruits de fond aux oreilles du jeune homme.

Massimo Saül Williams. La main présente de ce dernier sur l’épaule de Damon semblait peser entre davantage en cet instant. C’était d’ailleurs la seule chose sur laquelle il daignait se concentrer, le garçon, comme si c’était le seul élément important de la scène alors que d’autres choses étaient dites par la notaire. Etait-il intéressé par ce qu’elle disait ? En rien. Ce que son père obtenait de la part du sien ne lui importait guère et il préférait se concentrer sur la réaction de l’homme qui l’avait vu grandir à la place. Il restait calme, Saül, ce qui était plutôt étonnant étant donné les circonstances de cette lecture de l’enfer. Damon l’avait connu bien plus réactif que cela. Comme s’il n’était plus qu’une part de lui, sa propre ombre dans ce brouillard que représentait les liens entre les protagonistes de cette famille. Comme si Elon arrivait encore, même en étant de l’autre côté du miroir, à venir retirer un peu de la lumière que Saül tentait d’attirer vers lui.

« Je vais finir par des généralités. » La notaire semblait en avoir autant marre que toutes les autres personnes présentes dans son bureau, et l’administratif ne semblait surtout ne jamais vouloir la fin de cette réunion. Cela faisait déjà plusieurs minutes que l’attention de Damon était fixée tout ailleurs que sur ce qu’elle leur avançait, et la mention soudaines des dettes qui avaient vidé les comptes en banque du feu-patriarche Williams ne vint même pas secouer plus que de raison le jeune homme. Il n’en avait que faire, s’il devait se ramasser des dettes à son tour - cela ne viendrait pas remplacer la présence de son grand-père au sein de cette famille, bien que dysfonctionnelle, portant un amour certain pour les membres qui la composait. « Votre père a fait une demande particulière en ce qui concerne les profits et les dettes. » Le contraire aurait même réussi à venir l’étonner lui, Elon n’était pas un homme dont on se débarrassait si facilement - il était de ceux qui venaient mettre le point final à leur propre histoire. « Les gains et les pertes ne concernent que les enfants biologiques de Elon Williams. » Ce qui voulait dire… « Pas Damon, donc. » La connexion avait été plutôt simple à réaliser, et le soulagement ne se fit en rien connaitre sur les traits du visage de Damon. Non, le seul endroit où elle fut perceptible résidait dans la pression de la main de Saül sur l’épaule de son fils - comme s’il en avait réellement quelque-chose à faire que son rejeton, osons le nommer ainsi, se retrouve également à devoir éponger l’ultime cadeau du chef de clan. Il n’y avait bien que Saül Williams pour se tenir au courant de tous les tenants et aboutissants d’une entrée - ou d’une sortie - d’argent d’un compte en banque n’étant même pas le sien. Ca avait toujours été ainsi, et ça le serait toujours. Damon l’avait compris depuis bien des temps, malgré son jeune âge.

« Pas vous non plus. » Cette riposte là, en revanche, était inédite au répertoire. De toutes situations inconfortables dans lesquelles les Williams s’étaient retrouvés, Cosimo n’avait souvenance d’en être arrivés à ce point là. Celui qui vint immédiatement clouer le bec de son père. Relevant lentement son regard vers la notaire, Damon jurerait qu’il fallait être là pour y croire. Aucune gêne dans ses gestes, ou dans ses paroles, mais ces derniers en vinrent à transparaitre dans cette main tendue que tentait de maitriser Saül. Le temps était comme ralenti, les réactions des autres lui parvenaient comme au compte-gouttes. Pas vous non plus amenait bien plus de soucis que de solutions, il n’avait pas besoin de faire de savants calculs pour s’apercevoir de cette vérité. Le petit gloussement non-retenu de la part d’Auden, resté presque discret jusque maintenant, parvint aux oreilles de tous. Oh, boy. Rien n’avait été calculé, de cette partie là du testament. Ou par aucun des enfants Williams présents pour la lecture, tout du moins. Parce-que si la notaire avait pris le temps de venir appuyer, les yeux plongés dans celui qui avait été pendant les quatre dernières décennies l’aine de la fratrie, sur ces quelques-mots, il n’y avait qu’une seule explication possible. Le coeur de Damon vint prendre un rythme bien plus cadencé. « Quoi ? » La première de tous à venir oser s’exprimer fut, sans grande surprise réelle, Anastasia. Damon s’osa à venir crisper un brin ses mâchoires en l’entendant. Il n’y avait pas besoin de beaucoup d’efforts pour comprendre ce que ces mots là impliquaient.Et oh boy, qu’il ne comprenait que trop bien, ces mots là. « Mama !? C’est une blague ? Dis-moi que c’est une putain de blague… » Les oreilles de Damon étaient peut-être tournées à entendre les paroles de sa tante, pourtant toute son attention était dirigée en réalité vers son père. Il ne connaissait que trop bien cette sensation qui pouvait s’immiscer à l’intérieur de soi lorsque l’on apprenait ce genre de nouvelle. Le visage de Saül restait impassible, témoin d’années d’entrainement par la même personne qui venait, depuis l’outre tombe, de lui planter un poignard dans le dos. Seul un changement fugace de couleur de teint témoignait, en silence, de ce qu'il se passait à l’intérieur de lui. Il était loin, le Damon qui voulait venir priver d’air celui dont toute une réalité s’effondrait sous ses yeux.

Sans un bruit, d’abord, sans un mot surtout, Saül vint attraper les papiers tendus en sa direction, apposer sa signature à d’autres endroits, avant de tourner les talons. Pas un regard en direction de qui que ce soit dans la pièce, pas la manifestation d’un moindre ressenti. Le coeur de Damon venait se serrer, pour diverses raisons dont certaines lui échapper pour être tout à fait honnête. Il aurait envie de dire, d’un côté, que le karma savait toujours retrouver ceux qui le méritaient - mais cette fugace fut vite chassée pour laisser place à une peine immense qui s’installait. Personne ne méritait d’apprendre ce type de nouvelle, qu’importe la formulation - même son père, que le geste de retenue d’Anastasia ne réussit pas à arrêter dans sa lancée. La porte du bureau fut claquée dans un geste précipité, et un vent d’une certaine nostalgie vint balayer le reste de la pièce.

Son père n’était pas le fils de son propre père. L’ironie du sort qui ne savait s’arrêter lorsque la blague n’était plus amusante.

Auden fut le premier et le seul à s’élancer à la suite de son aîné, ne faisait qu’alimenter cette ambiance glaciale s’installant confortablement autour du reste des membres de la famille Williams. Le silence ne fut cependant pas de longue durée, car déjà Anastasia venait s’en prendre de nouveau à sa mère - cette dernière ayant pourtant pris soin de se faire oublier au fil des énonciations de la notaire. La notaire, en l’occurence, ne semblait en rien ébranlée par la scène se déroulant sous ses yeux; des familles dysfonctionnelles, elle devait en voir des dizaines par ans et ne devait plus être impressionnée par de simples chamailleries de la sorte. « Mais putain, vous en avez encore combien de vos putains de secrets de merde, comme ça ? Vous nous avez pourri la vie jusqu’au bout, bordel. Vous êtes vraiment des merdes, j’y crois pas. Vivement que tu crèves toi aussi, putain ! » S’il avait été passif dans la situation et surtout, des plus silencieux, Damon ne pouvait laisser la jeune femme venir traiter sa mère de la sorte, à la secouer comme un prunier, comme si elle allait tirer quelque-chose de positif de cette situation. « Ana. Eh, Ana ! » Sa voix trahissait l’inquiétude dans laquelle il s’était laissé glisser sans s’en apercevoir - et malheureusement, cela n’avait rien à voir avec l’état de santé de sa grand-mère ou la stabilité émotionnelle de sa tante. Son esprit divaguait plus loin, au delà de la porte du bureau et des couloirs adjacents, vers un homme pour qui son admiration n’avait d’égal ces derniers temps que son incompréhension - jusqu’à aujourd’hui. Cependant, son rôle n’était pas là-bas, Auden se chargeait de cette partie là, alors il se devait d'agir pour les personnes laissées en arrière. Se levant d’un bond de sa chaise, il vint parcourir la distance entre sa tante et lui en une foulée, attrapant la jeune femme par les bras. Elle avait beau être une petite teigne, il avait l’avantage de la force de son côté. Ainsi, sans lui laisser le choix, il força Anastasia à venir prendre du recul - littéralement - sur la situation et surtout, permis ainsi à sa grand-mère de sortir de l’étreinte imposée par sa fille. Promis, il comprenait ce qu’elle ressentait. Promis, il composerait avec par la suite. Mais pour le moment, à l’instar du comportement qu’elle avait su adopter avec lui quelques semaines plus tôt lors du déjeuner de famille de l’apocalypse - était-il autorisé, désormais, à toujours le nommer de la sorte ? -, il venait s’imposer à elle.

« Respire, Ana, s’il te plait… » Ses mots étaient autant implorants que l’était en réalité sa voix. Il ne désirait pas que le reste de la situation tourne autant vinaigre. Il ne désirait pas qu’elle en vienne à s’aliéner pour quelque-chose qui ne la touchait pas elle directement. Damon comprenait sa frustration et sa colère envers sa mère, mais elle ne pouvait se permettre d’agir de la sorte. « Ca va rien résoudre, calme toi s’il te plait… » Il l’avait forcé à faire quelques pas en arrière, à venir s’écarter, à venir lui faire face également. Leur famille se déchirait déjà assez de l’intérieur, une couche nécessaire de réaction dramatique n’était pas nécessairement attendue. « Viens, finis en avec les papiers et rentre chez toi si tu peux pas rester dans la même pièce qu’elle. Mais par pitié, s’il te plait, ne t’en prends pas à elle. » Et après, certains pouvaient encore se demander pourquoi Damon faisait partie des préférés d’Elon de son vivant - et même une fois l’arme à gauche passée, apparemment.

Parce-que de son côté, Damon comptait ne pas passer le reste de la journée entre ces quatre murs. Il avait mieux à faire, désormais - deux choses venaient de passer prioritaires dans sa liste des choses à réaliser en cette journée désormais teintée d’obscur. Il voulait s’assurer que son père allait bien, aussi étonnant que cela pouvait sonner. Et surtout, surtout.

Il avait désormais une lettre bien trop épaisse pour annoncer de bonnes nouvelles à venir lire.

lettre écrite par elon et remise à damon le jour de la lecture du testament:

Spoiler:

« C'est pourquoi, renoncez au mensonge, et que chacun de vous parle selon la vérité à son prochain ; car nous sommes membres les uns des autres. » C'est dans la Bible, Ephésiens 4.25. Le livre préféré d'Elon Williams, celui dont il faisait la lecture à Saül alors que Auden n'était qu'un minuscule petit bébé. C'était ce livre qui traînait partout dans la maison, sous tout en tas de formes différentes. Même leur mère fredonnait souvent des quantiques. Pour s'échauffer la voix, qu'elle disait. Saül se souvient encore que c'est une Bible que lisait son père, dans le salon, en attendant qu'on l'appelle pour l'accouchement de sa femme. Saül se souvient de la main de son père, tendue vers lui, la main à laquelle il s'est accroché pour aller rendre visite à Auden à la maternité. C'est ton frère, qu'ils ont dit, tous. Un minuscule bébé pleurnichard, déjà révolté contre le monde. Saül se souvient parfaitement de sa main, fermement accrochée à celle de son père. Il se souvient de ses doigts à lui, frôlant timidement les cheveux de son petit frère. Il se souvient l'avoir tenu sur ses genoux, avec toute la maladresse du monde. Il se souvient que tout le monde riait de lui, quand il constatait alors que Modesto - Modesto, c'était Modesto à l'époque, autant l'appeler par son véritable prénom - s'était arrêté de pleurer. Ce sont les premiers de ses souvenirs, ceux d'un enfant ému par la petitesse d'un bébé posé sur ses genoux.

Les derniers de ses souvenirs sont un peu plus terribles. Les derniers de ses souvenirs sont ceux qui dispersent, amers, la lettre d'Elon Williams aux quatre vents. Où sont ces souvenirs de maternité ? Qui les a porté pour lui ? Qui se souvient l'avoir porté, lui ? Quel enfant est venu lui rendre visite ? Qui l'a présenté au monde ? Qui l'a porté jusqu'aux bras de sa nouvelle mère ? Qui l'a laissé pour la dernière fois ? Qui lui a donné son prénom, pour lui porter chance ? Qui a semé sous ses pas les graines mal germées de l'éternelle insatisfaction et de l'envie de toujours dépasser le reste du monde, juste pour s'y prouver légitime ? Pour s'y trouver légitime ? Qui ? Qui bon sang ? Personne.

Les larmes de colère montent, maintenant que Saül est dehors. L'Italie remonte de plein fouet. L'Italie et les sorties avec leur père, l'Italie et les gâteaux de leur mère, l'Italie et les mensonges déjà ancrés dans sa petite tête d'enfant. On aura achevé de le blâmer lui, d'en faire un mouton noir, lorsqu'à force de collectionner les tromperies, Saül aura fini par s'y brûler ailes et souvenirs. « Tu vois, quand je disais que tu voulais toujours faire ton intéressant. » Approche, que je te tue, que Saül voudrait probablement lancer pour Auden. Il se contente de garder la réplique pour lui, sans s'arrêter de marcher en direction de la voiture qui l'attend sur le parking. Ariane. Il doit se tirer d'ici, avec Ariane. Personne ne viendra plus les emmerder s'ils se tirent assez loin de ce nid de vipères.

Et pourtant, tout arrive, comme l'a écrit Elon Williams dans la lettre que Saül ne lira jamais. « Ne sois pas plus stupide que tu l’es déjà. » L'accolade, Saül s'y laisse prendre. Il ne lutte pas, n'a plus la force de lutter. Son esprit est un véritable champ de mines et aujourd'hui, elles ont toutes choisi d'exploser en même temps. Auden a parlé, mais Saül n'est plus très sûr de le comprendre. C'est comme si, soudain, on avait balayé la maison en Italie. Comme si elle était tombée sous l'effort des bombes, abattue comme une maison en carton. Les murs sont soufflés comme des cartes et derrière les yeux de Saül défile encore le papier peint de la maternité: les visites à Auden, les visites à Savannah, les visites à Anastasia. « Tu restes notre frère. Tu vas pas t’en tirer aussi facilement. » Cette phrase, Saül est au moins certain de la comprendre. Sa main libre retrouve maladroitement le dos de Auden, le dos de son frère. Il aurait tant à lui dire, pour combler les vingt ans d'absence. Pour combler les jours qui, depuis leur dernier dimanche à l'église, n'ont cessé de lui manquer. Lui a perdu le seul frère qu'il n'ait jamais eu, ce jour là. « Je suis désolé. » Pour tout, mais surtout pour ce jour là. « Les mots horribles que j'ai dit, à l'église. » Il y a tous les autres moments, bien sûr. Même leur accident à la rivière semble être un bon souvenir désormais. Il y a tous les bons souvenirs mais ils ne camouflent en rien l'atrocité de celui-là. « Je suis désolé. » qu'il répète, la voix un peu plus basse. Il saura, Auden. Il comprendra ce dont parle son frère, celui qui, jamais, n'aurait dû le rejeter aussi fort qu'il l'a fait ce jour là.

Sans jamais plus regarder Auden dans les yeux, Saül se détourne. Il a un pays à fuir, encore. Pas pour les mêmes raisons, cette fois-ci. C'est lui, qu'on a laissé. Pour une fois, pas de sang versé. Pas de larmes non plus, à l'exception de celle laissée par Saül contre la veste de son frère. Demain, l'Australie sera loin.

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lecture du testament d'elon williams
janvier 2021
(Merciiiiii Jessalyn Oxton" pour le gif  qui est juste parfait )

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J'attends patiemment la sentence, entourée des miens. Un tableau à faire pâlir ceux qui en connaissent l'histoire, des caractères et sensibilités bien trop différents pour qu'il y ait un réel soutien dans cette histoire. Peut-être que naturellement, certaines affinités en ressortent, mais quand bien même une histoire d'argent nous ramène ici, il y aura forcément de quoi alimenter certains désaccords, schéma presque inévitable, même pour notre jolie famille. Ce n'est pas comme si nous avions évoqué de façon ouverte ce sujet avec notre paternel. A en voir l'attitude nerveuse et déjà désemparée de ma mère, j'appréhende déjà la lecture de ses dernières volontés, elle sait. Évidemment qu'elle sait. Que se trouve t-il sur ce papier pour qu'elle en vienne à fuir nos regards, mais également le mien, qui la scrupte de façon récurrente depuis notre entrée ici, et qui la voit s'acharner sur son mouchoir en papier. La voix de Ana qui vient donner une toute autre ambiance, cette façon presque habituelle de vouloir récolter l'attention, savoir qu'elle se trouve dans cette pièce. Si je ne trouve pas la force de répliquer, Auden trouvera les mots parfaits à mes yeux, bien que je ne fera pas une grande interprétation de ce que cela signifie, voyant plutôt un moyen de la faire taire pour de bon. « Tout le monde est là. Vous pouvez commencer. » J'insuffle discrètement, tâchant de me convaincre que d'ici quelques minutes tout cela sera derrière moi, et de me concentrer sur ce point, un peu comme un rendez-vous chez le dentiste que l'on appréhende pour sa douleur. Malheureusement, celle-ci ne sera pas la même. Elle n'est pas physique, et même si ces mots qui ont été apposés sur ce bout de papier le sont, ils n'en restent pas moins un moyen de toucher la partie la plus profonde de chacun d'entre nous.

Damon hérite la magnifique demeure, et c'est un soulagement qui s'empare de moi lorsque que je baisse les paupières pour reprendre ma respiration. Je redoutais la possibilité que chaque enfant direct puisse en obtenir une part, de quoi bien mettre à mal nos rapports déjà bien conflictuels. Ce que récolte Ana' parvient presque à me soutirer un bref sourire, retrouvant là dedans la volonté du patriarche à tenter de la remettre dans le droit chemin, même en se trouvant désormais six pieds sous terre. « J’en veux pas de votre putain de fric de toutes façons, ni de vos putains de chiens ou cabane de merde. » Une réaction que nous attendions peut-être presque, alors que ma mère, navrée du comportement de la benjamine tente de calmer son agitation. Mon tour vient, et je prie -oui oui, cela m'arrive encore- intérieurement pour ne pas récolter un de ces placements qui lui aurait permit de faire fortune dans les îles Fidji. L'étiquette de chouchoute des parents a toujours été plus au moins difficile à porter, et je m'en suis toujours défendue corps et âme, recevoir un présent de ce genre reviendrait à leur donner raison, et peut être créer d'avantage ce fossé entre moi et le reste de la fratrie que je m'étais assurée d'ignorer. Les termes qui s'échappent de la notaire suffisent à me rendre perplexe, et je m'assure de bien avoir compris en répétant. "Le jardin?" D'un faible hochement de la tête elle confirme, me laissant quelque peu perplexe. Je ne sais pas quel était le but en soit, mais je m'estime heureuse que ce jardin soit rattaché à la propriété que détient désormais Damon. Des chances pour que l'éventuelle négociation pour la vente de ce dernier soit bien plus simple avec une personne si saine d'esprit que représente le petit cadet. D'autre part, je ne suis même pas certaine de vouloir aller dans ce sens. faut-il seulement l'envisager? La suite du discours reste tout aussi décalé que le reste, Auden qui hérite de l'avion, Saül du bateau... Il y a surement un véritable but dans cette histoire, mais lequel? Si ce n'est que de se moquer ouvertement de chacun de ses enfants de façon officielle

« Je vais finir par des généralités. » La fin de ce massacre est proche, et je vois déjà la porte de sortie se rapprocher sans accorder beaucoup d'importance à ce qui pourrait suivre. « Votre père a fait une demande particulière en ce qui concerne les profits et les dettes. Les gains et les pertes ne concernent que les enfants biologiques de Elon Williams. » Jusque là rien de bien étonnant, son besoin de "réunir" les siens après avoir diviser de façon inégale son patrimoine, avec un message presque ironique 'Vous êtes une famille, vous êtes tous au même niveau, aimez-vous les uns les autres' .« Pas Damon, donc. » Saül, qui cherche à lire entre les lignes, comme un véritable homme d'affaires. « Pas vous non plus. » Et cette simple réponse qui me donne une sensation étrange. Je pense que mon regard se déporte sur chacun des enfants, comme si l'un d'eux allait finir par se trahir par une réaction faciale. Je ne respire plus, suspendue dans ce moment. La réaction de Saül, qui l'apprend dans un même temps ne fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie. Je l'observe fixement digérer la nouvelle, revoyant tous ces moments que nous avions partagés ensemble par le passé. Je suis dans une sorte de déni. Je nie le fait que nos parents aient pu nous dissimuler une telle chose, c'est impossible. « Mama !? C’est une blague ? Dis-moi que c’est une putain de blague… » Si je parviens en générale à désapprouver chacune des attitudes de ma cadette, j'ai pourtant le regard fixé sur ma mère, que je dévisage, sûrement avec la même intensité que Ana'. J'ai toujours été de leur côté, à défendre leurs idées face à des enfants rebelles et parfois désinvoltes, mais comment pouvoir excuser un tel secret? Et pourquoi? Pourquoi ne pas avoir chercher à nous avertir, à le prévenir LUI avant de subir ça de façon publique. La fierté de Saül n'est plus, et bien vite, il s'empresse de mettre un terme à ce moment terriblement humiliant pour lui, saisissant la lettre qui lui a été adressé. Je suis abattue, et la porte qui claque à nouveau après que Auden l'ait emprunté va me pousser à fermer les paupières, comme si cela était nécessaire pour reprendre un semblant d'énergie. J'en avais presque oublié que Ana, elle, était toujours bien présente, et qu'elle n'allait pas se contenter de partir à son tour sans faire savoir le fond de ses pensées. « Mais putain, vous en avez encore combien de vos putains de secrets de merde, comme ça ? Vous nous avez pourri la vie jusqu’au bout, bordel. Vous êtes vraiment des merdes, j’y crois pas. Vivement que tu crèves toi aussi, putain ! » Des mots que je désapprouve malgré tout, mais qui sont finalement si peu étonnants dans la bouche de la jeune femme qui a tendance à vivre les choses avec un peu trop d'engouement. Damon, qui parvient à avoir le recul dont chacun d'entre nous manque « Ana. Eh, Ana ! »  Mon corps se lève brusquement, prête à intervenir à mon tour, alors que je viens  me glisser à sa hauteur pour tenter de l'empêcher d'aller plus loin. Mes yeux qui s’écarquillent alors même qu'ils laissent entrevoir une émotion certaine, ma voix qui murmure malgré mes mâchoires serrées "Arrête ça, ca servira à rien!C'est trop tard maintenant." Le mal est fait, ce secret qu'ils avaient probablement décidé d'emmener dans leur tombe était exposé aux yeux de tous, et quand bien même notre mère était encore en vie, on ne pouvait pas lui imposer le poids de ce choix, dont elle n'était pas l'unique responsable. La haine déversée à son égard ne serait d'aucune utilité, et elle ferait peut être mieux de concentrer son énergie à épauler son aîné, qui subissait de plein fouet la nouvelle.

Loin d'être calmée, c'est finalement Damon qui se charge de l'amener à l’écart, et je l'en remercie par une légère moue avant que ma silhouette s'efforce à se remettre face à ce bureau. Je tente de garder la tête haute pour finir cette charge administrative. La notaire, qui m'observe et qui me glisse à mon tour le courrier qui me revient de droit. La simple écriture liée sur cette enveloppe, propre à mon père, parvient presque déjà à me faire perdre pied. J'ai envie de m'effondrer. Mais je me contente de déglutir, de chasser les larmes qui cherchent à se frayer un chemin sur mon visage, et à signer ce fichu papier. La notaire, impassible, profite après ça de refermer le dossier, comme si sa mission était terminée. Ma mère qui se lève, fuyant désespérément mon regard alors que ma silhouette figée sur place vient à la rappeler à l'ordre. "Mais..." je me pince les lèvres, observant un bref instant le plafond pour ne pas céder à l'émotion. "Pourquoi?" Mes sourcils froncés, qui parviennent à exprimer là toute la stupéfaction du moment. Elle ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Et c'est peut être mieux ainsi, je hoche de la tête, préférant me convaincre que je ne veux pas savoir finalement. Je prends une grande inspiration avant de déserter les lieux, littéralement bouleversée par la cruauté de ce monde, et la déception que même les plus proches parviennent à nous imposer subitement.

Spoiler:

We told you this
was melodrama

lecture du testament d'elon williams
janvier 2021
(thnks @jessalyn oxton pour le gif )

***
Il ne mit qu’une fraction de seconde avant de s’avancer pour s’interposer entre Anastasia et sa grand-mère, parce-qu’il était hors de question que la jeune femme ne vienne avoir des gestes qu’elle pourrait regretter. Les paroles qu’elle prononçait, Damon ne pouvait les maîtriser - en revanche il pouvait contenir ses actes. Savannah semblait approuver l’idée du jeune homme, s’étant à son tour levée pour venir se glisser autant que possible à travers ce petit groupe de coeurs meurtris. « Arrête ça, ça servira à rien! C'est trop tard maintenant. » C’était, en réalité, trop tard désormais - et à l’idée que cela puisse l’être pour son père soustrait depuis plusieurs minutes désormais à sa vue, le coeur du jeune homme vint se serrer encore davantage. Il n’avait cependant pas le temps pour le moment de venir se pencher sur de telles choses, ayant entre ses bras une Anastasia bien agitée qui ne semblait pas désirer se laisser faire. Ce qu’elle n’avait pas compris, dans cette histoire, c’était que Cosimo n'avait pas prévu de la lâcher tant qu’elle serait dans cet état de colère incontrôlable. Il connaissait, il comprenait; et là était une raison supplémentaire pour qu’il y mette doublement du sien à l’empêcher d’agir sur un coup de tête.

« Je respire, putain ! Lâche-moi ! » Il ne prenait en rien personnellement la façon rude dont sa tante était en train de lui parler, il savait que ce n’était pas contre lui qu’elle en avait. Il était juste l’élément perturbateur, celui qui l’empêchait d’agir comme bon lui semblait. Sauf qu’il se savait dans le juste, dans le bon, présentement, Damon. Il savait qu’il se devait de venir empêcher Anastasia d’aller cogner sur sa mère - ou pire, si on se penchait un instant sur les paroles qu’elle avait jusque maintenant. Alors, ses yeux vinrent se loger dans ceux de la jeune femme, afin d’implorer cette dernière d’appliquer les actions qu’il lui demandait dans ses paroles. Le message du passer, car l’instant d’après, elle arrêtait de se débattre entre les mains de Damon. « Je suis calme. Elle ne l’était pas, il n’était pas dupe, mais au moins elle avait arrêté d’exploser telle une véritable bombe - et c’était ce qu’il lui demandait pour le moment. « Si je reste, je vais la buter… » « Raison supplémentaire pour signer rapidement les papiers et rentrer chez toi, Ana. » Il ne retirait en rien le ton suppliant qu’il avait employé dans la dernière poignée de minutes, car c’était l’état dans lequel il se trouvait. Plus rapidement elle aurait signé les papiers, plus vite elle serait repartie et ainsi tout le monde pourrait retourner à ses occupations. Cette histoire pourrait redescendre tel un soufflet et ils pourraient panser leurs blessures en attendant la prochaine attaque - car prochaine il y aurait, Damon y mettrait sa main à couper. « C’est bon… T’inquiètes pas. Ça va. Ça va aller. » Pour qui ? Pour elle ? Pour lui ? Pour d’autres personnes désormais absentes de cette pièce ? Il ne savait à qui elle faisait référence, mais pour le moment, ce qui comptait réellement c’était que la jeune femme avait réussi à se calmer quelque peu afin d’aller signer les papiers et sortir de la pièce.

Alors, enfin, Damon se permit d’avoir un soupire de soulagement. Bordel, pourraient-ils donc un jour se retrouver tous autour d’une table sans que l’un d’eux apprenne une vérité tant amère à avaler ? Le regard du jeune homme vint glisser sur la seconde de ses tantes, toujours présente dans le bureau de la notaire, avant de se poser un instant sur sa grand-mère et les larmes qui ne cessaient de glisser sur ses joues. Dans d’autres circonstances, il serait venu la réconforter. Il avait eu sa dose d’émotions collectives pour aujourd’hui, cependant. Alors, après s’être passé une main sur le visage et avoir soupiré une nouvelle fois, Damon vint à son tour se rapprocher du bureau. Il récupéra les papiers qui lui avaient été transmis - et cette lettre qui semblait peser toujours plus lourd au fil du temps qui passait -, avant de lever son regard vers la notaire. « Excusez-nous pour… le spectacle. » Une moue signant parfaitement ses mots se fit présente un instant sur son visage, avant que le jeune homme n’en vienne, à son tour, à sortir du bureau. Désormais, les couloirs de l’établissement étaient vides et il ne saurait probablement jamais la façon dont les choses s’étaient déroulées en extérieur pendant que la tempête ne semblait vouloirs se calmer au sein des quatre murs du bureau.

Spoiler:

Je m’attendais au pire pour ne pas avoir à être déçu de la réalité des faits. Je ne m’attendais certainement pas à ce qu’il se laisse faire, l’ours mal léché, et qu’en prime il calque ses gestes sur les miens et pose sa main contre mon dos. Ce qui est anodin pour la plupart des personnes est inédit pour nous deux. Je ne me souviens pas de la dernière fois où on a passé plus de cinq minutes ensemble sans se menacer de mort ou se battre. C’était avant l’église, sans aucun doute. « Je suis désolé. » L’incompréhension compresse ma mâchoire, tant parce que je n’ai jamais entendu ces mots de sa bouche que parce que je n’ai aucune idée de la raison qui le pousse aujourd’hui à les prononcer. Je ne sais même pas ce qu’on fait là, stupidement enlacés l’un avec l’autre. « Les mots horribles que j'ai dit, à l'église. » Contre son dos, mon poing se resserre avec force, entraînant avec lui les bouts de tissus de sa chemise que je froisse. Il n’a pas besoin d’ajouter davantage de détails pour qu’on sache tous les deux de quoi il en retourne et moi-même, je n’ai pas envie qu’il en dise davantage. Contre son épaule je respire mal, mais cela ne m’empêche pas de prendre une inspiration un peu plus grande que les précédentes alors qu’il a bien du mal à cacher ses sanglots. Je ne dirai rien à ce propos, pas même une blague de merde. Je ne dirai rien de ce qui a pu se passer entre nous deux tout comme là, maintenant, je ne compte absolument rien ajouter. Je ne pardonnerai pas, je n’oublierai pas non plus, mais après aujourd’hui je serai peut être capable d’avancer avec ce passé. « Je suis désolé. » Je sais, je sais. Je suis désolé de bien des choses, à mon tour, mais pas autant que le fait de ne pas avoir su lui tenir tête ce jour-là. Ou de simplement avoir fermé ma gueule. J’aurais pu ne rien dire, j’aurais pu être un gamin normal qui vit sa vie sans chercher à entraver celle des autres. Rien de tout cela ne serait arrivé.

Il se défait de moi et je le laisse faire, essuyant mon nez d’un revers de la manche dès l’instant où il se retourne. Je trouve refuge contre le mur sur lequel je me laisse glisser un temps, détruisant sans aucun doute mon costume de merde au passage. Mes doigts jouent entre eux, font passer le temps, tentent de se persuader qu’aujourd’hui n’est qu’une journée comme une autre alors qu’elle vient de totalement redistribuer la donne dans notre famille et ce à bien des niveaux.