« Deux cosmos, s’il vous plaît. » Attablée au bar, Erika sait d’avance qu’ils risquent d’être les premiers d’une longue série. Marcus n’est pas encore arrivé et ça ne l’étonne pas vraiment ; il aime soigner ses entrées. De son côté, elle maîtrise parfaitement la première étape de cette soirée en commandant déjà au préalable leur poison favori, celui qui s’adapte à la discussion qui risque de suivre et qui nécessite un certain degré d’alcoolémie avant qu’ils ne s’autorisent à entrer dans le vif du sujet. Il ne lui a encore rien dit Marcus, mais le ton de sa voix au téléphone indiquait clairement que quelque chose est en train de se passer dans sa vie, même s’il ne s’est pas encombré de détails en lui proposant de boire un verre. Autant dire que l’occasion n’aurait pas pu mieux tomber et que cet appel l’a sauvée d’une autre soirée à tourner en rond chez elle, à attendre que Ian ne retrouve le chemin de la maison – à croire qu’il a vraiment fini par l’oublier. Erika a la désagréable sensation d’être une pitoyable quadragénaire accoudée à un bar mais au moins, elle ne sera pas pitoyable toute seule cette fois-ci. D’ailleurs, son regard se tourne vers la porte qui donne sur le rooftop et ses yeux se posent immédiatement sur son ami qui s’avance d’un pas assuré dans sa direction, toujours aussi solaire. Un sourire étire ses lèvres alors qu’il s’approche et sans hésiter, elle lui colle un baiser sur la joue avant d’hausser un sourcil amusé. « Nouveau rouge à lèvre sans transfert, il me fallait un cobaye. » Elle ne précise pas qu’elle a été contactée par une marque de cosmétique, parce que ça lui semble improbable et qu’user de ses réseaux sociaux pour jouer aux influenceuses est tout bonnement impensable. Cela dit, Erika n’est pas du genre à cracher dans la soupe et par conséquent, elle a tout de même décidé de porter l’un des produits ce soir, juste pour se faire une idée. Le mieux qu’elle pourra faire ensuite est d’en parler autour d’elle, mais pas question d’utiliser son image professionnelle pour quelque chose d’aussi futile que du maquillage. Ceci étant dit, le test semble réussi puisqu’aucune trace n’apparaît sur la joue du brun et sans attendre, elle brandit son cosmo et lui tend le sien afin qu’ils puissent trinquer, même si elle ignore encore s’ils s’apprêtent à se réjouir de quoique ce soit ou si l’ambiance risque de se révéler moins festive que d’habitude. En ce qui la concerne, elle n’a pas grand chose de positif à raconter et même si son moral reste au beau fixe, elle sera bien incapable de lui apporter la moindre anecdote positive, sauf peut-être cet énorme mandat qu’elle vient de décrocher et dont elle n’a même pas encore parlé à Jacob. Et pour ce qui est de sa relation actuelle et bien, disons qu’elle n’aurait jamais pensé devoir autant lutter pour obtenir quelques instants privilégiés en couple. Peut-être que le karma lui fait payer ses erreurs avec Darren mais quoiqu’il en soit, la brune prévoit de se concentrer sur Marcus, en espérant que son intuition l’a trompée et qu’il s’apprête à bondir dans tous les sens avec l’enthousiasme qu’elle lui connaît. « Alors ? Qu’est-ce qu’il se passe dans la fabuleuse vie de Marcus Leckie ? Fais moi rêver. » Elle aurait pu rajouter qu’elle en a bien besoin, mais la brune ne veut pas que ce soir soit à propos d'elle.
And if they stare Just let them burn their eyes On you moving
Cela faisait des jours qu’il lui semblait vivre chaque heure en apnée. Et la seule bouffée d’oxygène à l’horizon de ces semaines aussi pénibles professionnellement que personnellement était cette soirée. Pourtant, Marcus ne parut reprendre son souffle qu’une fois les portes de l’ascenseur ouvertes sur le rooftop ; dans les hauteurs de la ville, il expira la tension hors de ses poumons et les emplit d’air frais. Alors seulement retrouva-t-il le pétillement dans son regard, la malice flottant habituellement au coin de ses lèvres. Il glissa une main dans ses cheveux rabattus sur le côté, déboutonna la veste de son costume qui hurlait “directeur de quelque chose d’important” comme ceux de nombreux autres clients aux alentours. L’établissement était plein à cette heure, mais son regard cherchait l’unique visage familier des environs. La belle brune était près du bar, la même allure que dans un vieux souvenir, les quelques années supplémentaires se lisant à peine sur ses traits. L’australien l’enlaça chaleureusement, déposa un baiser sur sa joue qu’elle lui rendit de manière bien plus appuyée qu’à l’accoutumée. « Nouveau rouge à lèvre sans transfert, il me fallait un cobaye. » Il lui fit lever le menton, regarder à droite, à gauche ; sourcil arqué, il vérifia le fameux rouge de plus près de son plus bel air d’inspecteur de la mode. “La couleur est su-blime.” conclut-il avec un clin d’oeil, son tampon d’approbation. Puis il s’installa sur le tabouret bordant le comptoir qui n’attendait que son derrière fatigué par une longue journée passée à éviter de rester assis derrière un bureau -comme l’intitulé de son poste le voudrait pourtant. Trônaient devant lui deux verres à cocktails lui apparaissant aussi magnifiques que salvateurs. “T’es parfaite.” souffla Mac. Il y avait quelque chose de réconfortant à l’idée d’avoir dans son entourage une personne vous connaissant si bien qu’elle en était capable d’anticiper vos besoins. Le brun avait navigué bien des années sans se sentir réellement proche ou capable de se livrer à qui que ce soit en dehors de sa famille. Son amitié avec Saül trouvait parfois ses limites dans les grands principes couvés par l’italien, mais celle que le Leckie entretenait avec Erika était cette perle rare, cet espace sûr et bienveillant où la crainte du regard de l’autre disparaissait.
Appuyé sur le bord du bar, Marcus sentit ses épaules se décontracter, sa nuque se décrisper. « Alors ? Qu’est-ce qu’il se passe dans la fabuleuse vie de Marcus Leckie ? Fais moi rêver. » Il lâcha un rire, un brin sarcastique. Habituellement, il aurait volontiers qualifié sa vie de fabuleuse. Sa famille avait la santé, son travail le passionnait, ses comptes en banque étaient pleins à craquer. Matériellement et émotionnellement, Mac ne manquait de rien et il avait conscience de sa chance -autant que de la quantité de travail qu’il avait effectué pour en arriver là et mériter chaque seconde de ce quotidien. Alors à quel moment avait-il mérité le genre de revers dont il faisait l’expérience actuellement ? “Pas cette fois, ma belle… Non, dans l’épisode de ce soir, on parle drama dans les règles de l’art.” Peut-être avait-il de quoi alimenter l’imagination des scénarios d’Amour, gloire et beauté qui, après trente-quatre saisons, devaient sûrement commencer à manquer de potentiels rebondissements. Il y pensait car lui-même ne croyait pas tout ce qu’il avait appris récemment et qu’il se surprenait à se demander si quoi que ce soit de tout ceci était réel. Se pincer à s’en faire un bleu était inutile pourtant. “Je peux te donner la moins mauvaise nouvelle avant la pire, si tu veux.” L’échelle de la gravité était libre à interprétation, cependant le brun était plutôt certain que la seule chose capable de surpasser le viol conjugal de son frère au sommet de l’échelle aurait été que celui-ci soit un meurtrier. Dans un cas comme dans l’autre, il ne reconnaissait pas Caelan et en avait l’estomac retourné. Pas assez pour faire l’impasse sur son Cosmo. “Mais avant toute chose…” Marcus s'empara du verre et le porta à ses lèvres. Juste une gorgée et il l’acidité pétillante sur sa langue le vivifia. Un frisson grimpa le long de son dos. Malgré la montagne de mauvaises nouvelles, il garda son sourire ; il suffisait son cocktail favori et sa meilleure amie pour rendre le monde moins lugubre.
Erika avait la désagréable impression de devoir passer son temps à justifier les différentes soirées qu’elle passait seule, alors qu’on attendait d’elle qu’elle soit accompagnée. Que ça soit aux évènements caritatifs auxquels elle était conviée ou simplement au restaurant, les regards demeuraient systématiquement fixés sur elle et sur l’absence de partenaire à ses côtés. Et si la brune passait au-dessus des on-dit avec une facilité déconcertante, elle n’avait pu cacher son soulagement lorsque Marcus lui avait proposé une sortie rien qu’à eux, comme ils ne le faisaient que trop rarement à son goût ces derniers temps. L’histoire était toujours la même : des horaires impossibles et un agenda qui s’étalait sur plusieurs semaines chez l’un comme chez l’autre. Pourtant, la spontanéité semblait être parvenue à surpasser leurs responsabilités respectives puisqu’ils se retrouvaient ce soir sans avoir eu à passer de longues minutes à accorder le bordel organisé qu’était devenu leur vie. Les lèvres de la brune s’étirèrent automatiquement lorsque son regard croisa celui du brun, se sentant immédiatement galvanisée à la simple vue de celui qu’elle considérait comme son meilleur ami. Leur rencontre n’aurait pas pu se passer dans de pires circonstances et pourtant, ils se retrouvaient des années plus tard, attablés à un bar et sans quiproquo à l’horizon, cette fois-ci. “La couleur est su-blime.” Le rouge à lèvre avait passé l’inspection Leckie, sans nul doute la seule à laquelle elle accordait de l’importance et une moue satisfaite apparu sur ses lèvres alors que ses doigts faisaient glisser son verre en direction de Mac. “T’es parfaite.” La brune hocha la tête d’un air entendu en attrapant son cocktail entre ses mains et en haussant un sourcil amusé. « Je sais. » Autant dire que certaines choses ne changeaient jamais et en l’occurrence, ces cosmos faisaient désormais partie intégrante d’une routine déjà bien installée. Erika étudia attentivement les traits tirés de son ami, désormais persuadée que la discussion risquait de prendre une tournure bien moins festive que le contexte dans lequel ils avaient décidé de se retrouver. Pourtant, la jeune femme évita de s’avancer et lui laissa l’opportunité de lancer la conversation sur n’importe quel sujet, même s’il devait s’agir de tout sauf de ce qui le tracassait. En apparence, le brun semblait enjoué, mais elle n’était pas dupe et cela faisait bien longtemps qu’elle avait cessé de se faire avoir par ce qu’il voulait bien laisser apparaître en public. Et comme pour la conforter dans ce qu’elle pensait, Mac accueillit sa question d’un rire qui en disait long. “Pas cette fois, ma belle… Non, dans l’épisode de ce soir, on parle drama dans les règles de l’art.” Il était désormais acté que son ami avait une nette tendance à l’exagération, mais quelque chose lui disait que cette fois-ci, le drama auquel il faisait référence n’avait rien à voir avec un rétrécissement de chemise au pressing ou au fait que la dernière vente de mocassins Hermès ait été sold out avant qu’il n’ait eu le temps d’y prêter attention. “Je peux te donner la moins mauvaise nouvelle avant la pire, si tu veux.” Cette fois, les sourcils de la brune se froncèrent alors que les rides d’expression de son front se creusaient un peu plus, un des affres de l’âge qu’elle ne pouvait contrer – sauf par des techniques auxquelles elle ne désirait pas avoir recours. « J’ai déjà entendu plus positif comme proposition. » Elle souriait, mais le sérieux était déjà revenu dans son regard alors qu’elle fixait le brun, attendant avec appréhension qu’il lui explique ce qu’il se passait. “Mais avant toute chose…” Marcus avait ses priorités et par conséquent, décida de porter le verre de cosmo à ses lèvres avant de la sortir de l’expectative dans laquelle il venait de la plonger en sous-entendant que quelque chose de terrible venait de se passer. Personne n’avait été envoyé à l’hôpital, sans quoi il serait entrain d’y faire le pied de grue – et elle avec – mais quelque chose lui disait que ça devait concerner sa famille, ou alors son travail. Peu d’autres choses avaient de l’importance aux yeux de Mac, ou pas assez pour justifier une réunion de crise dans un bar un soir de semaine. La brunette l’imita en avalant une gorgée du cocktail – notant au passage qu’il était excellent – et le reposa avec soin avant de lui jeter une œillade interrogatrice. « Assez avec le suspens, tu vas finir par me faire peur. » En vérité, il en faudrait beaucoup plus, mais d’une drama queen à une autre… « Je choisis la moins mauvaise, en espérant que tu exagères. » Et que ça ne soit pas aussi grave que ça en avait l’air, même si le sourire que Mac affichait parvenait à brouiller les pistes, ou presque.
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Vider son sac n’était pas quelque chose dont Mac pouvait prétendre avoir l’habitude. Lui d’apparence si ouvert laissait volontiers penser à n’importe qui qu’il le connaissait, et cette impression était le fruit d’une image longuement travaillée. C’était comme croire connaître tout le contenu d’une pièce uniquement d’après ce que le trou de la serrure laissait voir. Mais la clé, elle, était le privilège d’une poignée de détenteurs. Si ce n’était pas face à Erika, le brun ne se permettrait pas même de courber l’échine et s’appuyer sur le comptoir. Il n’admettrait pas que ces derniers temps étaient d’un seul pourcent moins fabuleux que le reste de sa vie. Il avait rarement de quoi se plaindre et quand bien même, il parvenait à laisser son éternel sourire flotter délicatement aux coins de sa bouche. Alors il était certain que s’il admettait un revers, s’il promettait un drame de cette manière, la vérité était là, sous la fine surface de son optimisme naturel -revigoré l’espace d’une minute par une gorgée de cocktail bien méritée. « Assez avec le suspens, tu vas finir par me faire peur. - Au moins je ne serais plus le seul avec des cheveux blancs. » Il souffla un léger rire. Sa fameuse traque du cheveu blanc se traduisait par des colorations régulières. Hors de question de faire plus vieux que son âge aussi tôt, non. Certains trouvaient cela charmant, mais il ne voulait rien entendre. « Je choisis la moins mauvaise, en espérant que tu exagères. - J’exagères jamais, tu me connais. » Justement, Erika le connaissait, et oui, Marcus pouvait faire dans l’extra. Il pouvait faire des caisses de drames du quotidien, d’une rayure sur ses chaussures neuves, d’un flyer dans sa boîte aux lettres étiquetée “pas de pub”, du bruit des voisins passés vingt-et-une heures. Nul besoin des cheveux blancs pour que ses radotages futiles lui donnent parfois vingt ans de plus. Enfin, il soupira, prêt à lâcher le flux de paroles à propos du premier -et moindre- de ses tracas. “Tu te souviens de Damon, mon filleul ?” Se souvenir était un bien grand mot. Mac le mentionnait assez régulièrement pour que la brune ait l’impression de le connaître depuis des années, au moins. Elle savait à quel point il était important pour lui, autant que ses propres neveu et nièce. “Figures-toi qu’il a débarqué chez moi l’autre jour pour me dire qu’il avait découvert que Saül n’est pas son vrai père. Que c’est le frère de Saül, Auden.” Puisque le principal concerné était au courant, le fameux secret familial n’en était finalement plus un. De toute façon, il savait qu’il pouvait compter sur la discrétion de son amie. A sa moue déconfite, rien que la première partie de l’histoire sonnait comme un épisode de soap opera. “Attends, attends.” fit-il toutes phalanges levées avant qu’elle ne dise quoi que ce soit. Elle-même ne savait pas que sa réaction était incomplète puisqu’il manquait des faits à cette affaire. “Parce que tout ça, moi, je le savais déjà. Je le savais depuis toujours. Alors quand Damon l’a su également, je te dis pas la crise que ça a été.” Un gosse de vingt-ans ayant la sensation d’être trahi par l’entièreté de son entourage, cela ne nécessitait pas de faire un dessin. Sa posture dans toute cette histoire dont il était le centre bien malgré lui brisait véritablement le coeur de son parrain. Il avait été dans le déni que la vérité se saurait un jour, depuis tout ce temps. Il ne s’était pas préparé à devoir admettre sa propre implication dans ce qui ressemblait à un vaste complot. Marcus, bien évidemment, se rangeait du côté de Saül. Il avait toujours soutenu sa décision de recueillir le fils de son frère, il refusait qu’on puisse prétendre qu’Auden en était plus le père pour de simples questions de biologie. Cela le plaçait peut-être dans le camp des vilains, il n’en savait rien. “Et tout ça pendant que Saül finalisait son divorce et apprenait qu’il allait devenir papa -pour de vrai cette fois, hm.” ajouta le quarantenaire comme s’il ne s’agissait que de détails et non d’une suite d’événements qui avaient de quoi secouer toute cette famille qu’il considérait un peu comme la sienne, au fond. Il se voyait comme un cousin éloigné les observant se déchirer sans avoir les moyens de les empêcher. Il ne pouvait même pas limiter les dégâts. Juste attendre que la tempête passe. “Maintenant mon filleul ne me fait plus confiance et mon meilleur ami est… en Grèce, je crois ?” Honnêtement, il perdait le fil de toutes les manœuvres de celui-ci afin de fuir ses problèmes aux quatre coins du monde comme s’ils demeuraient aux portes de l’aéroport de Brisbane à chaque fois. “So that’s the tea.” conclut Marcus en reprenant une gorgée du cosmo. Il ne faudrait pas manquer de salive pour la suite.
Au regard que Mac lui lança, Erika comprit que le drama auquel il faisait référence en était un vrai, cette fois-ci. Et quelque chose lui disait qu’elle allait rapidement regretter les histoires de voisinage ou les déboires vestimentaires qui rythmaient habituellement leurs discussions. Elle ne s’arrêtait pas à son sourire de façade – elle avait cessé de le faire depuis longtemps déjà, sachant qu’il était loin d’être un indicateur fiable de l’état de son moral – mais plutôt à son visage fatigué et à ses épaules qui semblaient porter à elles seules le poids du monde entier. Portant son verre à ses lèvres, elle se concentra sur lui et lui demanda de mettre fin au suspens qu’il s’amusait un peu trop à faire durer – typique. « Au moins je ne serais plus le seul avec des cheveux blancs. » La brune fronça le nez avec amusement, sachant à quel point il faisait attention à ce détail qui n’épargnait personne avec l’âge, même pas elle – en dépit du faire qu’elle s’amuse à lui faire croire le contraire, juste pour le principe de le faire enrager. « Ça nous permettra de jacasser chez le coiffeur en attendant que la couleur fasse effet. » Elle laissa à son tour échapper un rire en imaginant la scène et surtout, la tête de celui qui serait obligé de subir le duo des heures durant. « J’exagères jamais, tu me connais. » Justement. Une lumière malicieuse s’alluma dans son regard et répondit à sa place tandis qu’elle ajustait quelque peu sa position, prête à entendre ce qu’il s’apprêtait à lui annoncer. “Tu te souviens de Damon, mon filleul ?” Erika hocha la tête par réflexe, mais sa question était forcément rhétorique ; la famille de Mac était probablement ce qui avait le plus d’importance à ses yeux et il ne manquait jamais une occasion de les mentionner, donnant presqu’à la brunette l’impression d’avoir vécu à leurs côtés durant toutes ces années. “Figures-toi qu’il a débarqué chez moi l’autre jour pour me dire qu’il avait découvert que Saül n’est pas son vrai père. Que c’est le frère de Saül, Auden.” La jeune femme plissa légèrement les yeux en essayant de mettre les pièces de ce puzzle familial en place afin d’être certaine de bien suivre, ouvrant légèrement la bouche en intégrant l’information qui était pour le moins renversante. “Attends, attends.” Parce que ce n’était pas terminé ? Sans s’en rendre compte, la brune se pencha légèrement en avant en sirotant son cosmo, happée par le récit de son meilleur ami dont les talents de narrateur frisaient le sublime. “Parce que tout ça, moi, je le savais déjà. Je le savais depuis toujours. Alors quand Damon l’a su également, je te dis pas la crise que ça a été. Et tout ça pendant que Saül finalisait son divorce et apprenait qu’il allait devenir papa -pour de vrai cette fois, hm.” L’arcade sourcilière d’Erika se leva en apprenant les détails sordides d’une histoire qui l’était déjà par définition et se demanda immédiatement comment devait se sentir son ami maintenant que le secret avait éclaté au grand jour. Ce genre d’évènement n’arrivait généralement que dans les soap operas, ceux dans lesquels les scandales faisaient partie intégrantes du vocabulaire des protagonistes. Mais pas dans la vraie vie, pas dans la leur en tout cas. Et pourtant. “Maintenant mon filleul ne me fait plus confiance et mon meilleur ami est… en Grèce, je crois ? So that’s the tea.” Un soupir s’échappa des lèvres de la brune qui passa une main dans ses cheveux sans lâcher Mac des yeux, abasourdie par ce qu’elle venait d’entendre. Et le pire dans tout ça résidait probablement dans le fait qu’il avait commencé par le moins pire. « Les prochaines réunions de famille promettent d’être animées. » A condition que les membres de celles-ci acceptent de tous se retrouver dans la même pièce pour commencer et au vu de ce qu’elle venait d’apprendre, c’était loin d’être gagné. « Mais comment est-ce que Damon s’est retrouvé à penser que Saül était son père biologique, pour commencer ? » Parce qu’il s’agissait là d’un détail qui manquait cruellement à sa compréhension de toute l’histoire, même si quelque chose lui disait qu’elle risquait de ne pas être en mesure de prendre conscience de toutes les subtilités de celle-ci en une seule soirée. Erika leva une main en direction du serveur et fit tournoyer son index en direction de leurs cosmos afin de lui faire comprendre qu’une nouvelle tournée s’imposait. « Je sens qu’on va en avoir besoin pour la suite. » Parce que si tout ça n’était que le début, la brune craignait ce qui ne manquerait pas de suivre. Elle eût spontanément envie de lui demander comment il allait, mais le fait qu’il n’ait pas encore terminé son récit la poussa à préférer attendre la fin de celui-ci, afin de prendre pleine mesure de l’état psychologique dans lequel Mac devait se trouver en cet instant.
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La confidence dans laquelle Marcus mettait Erika ne pouvait pas remettre en question sa loyauté envers les Williams et sa confiance que Saül plaçait en lui depuis bien longtemps. Il était de notoriété publique que le Leckie était capable de garder un secret avec sac sa propre vie et c’était assurément ce qu’il avait fait pour eux tous durant vingt ans. Mais le secret avait été percé à jour, et de fait, n’en était plus un. Son poids était retombé sur tout le monde et n’était plus détenu par cette poignée de personnes vivant avec au quotidien. Il devait bien avouer l’avoir oublié, souvent, ce mensonge. Il ne s’était jamais senti coupable de cacher la vérité à Damon et rapidement la fantaisie dont le garçon fut bercé devint l’unique réalité. Il avait oublié l’angoisse allant de paire avec l’hypothèse qu’il puisse découvrir le pot-aux-roses un jour tant cela paraissait improbable. En réalité, Marcus n’avait pas repensé à la vérité, la vraie, depuis des années. Il en avait oublié la teneur et les enjeux. Et découvrir son filleul sur le pas de sa porte avec ces informations en main, quelques jours plus tôt, avait été une gifle particulièrement inattendue. « Les prochaines réunions de famille promettent d’être animées. » soulignait son amie avec raison, et le brun se nota intérieurement de passer son tour concernant ces rassemblements pour les prochains dix ans. Cela était son estimation basse du temps nécessaire à Cosimo pour digérer tout ceci et le pardonner, mais aussi pour que Saül divorce une seconde fois -parce que Mac n’en doutait pas un seul instant- et que le reste de la fratrie soit de nouveau secouée par les frasques d’un aîné à la dérive. Et le Leckie ne souhaitait clairement pas s’embarquer dans ces émois-là. “Si un bâtiment explose aux infos on saura qui était dedans.” plaisantait-il à moitié en songeant qu’ils formaient à eux tous bien plus que l’étincelle nécessaire à rendre une fuite de gaz tragique. Il n’avait jamais compris comment une famille pouvait être aussi dysfonctionnelle, lui qui avait baigné dans l’harmonie de sa fratrie et la parfaite complémentarité de ses membres. Il avait un peu de peine pour eux, mais la plupart du temps, il les observait comme le spectateur d’une pièce de théâtre. « Mais comment est-ce que Damon s’est retrouvé à penser que Saül était son père biologique, pour commencer ? » interrogeait Erika, car Marcus s’était tant accomodé de ce secret qu’il en avait oublié que la brune ne possédait pas tous les éléments pour le comprendre. Et une gorgée de son cocktail lui conféra l’aplomb nécessaire pour endosser sa part de responsabilité dans la réponse à cette question. “Parce qu’on ne lui a jamais dit que c’était Auden. On était peu dans la confidence et on a jamais pensé à anticiper ce moment. Je pense qu’on croyait tous que ça se saurait jamais.” Du moins s’étaient-ils bercés de cette illusion jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour qu’un secret bourré de bonnes intentions ne devienne pas le mensonge d’une vie entière. “Mais Damon a bien eu de la chance que ce soit pas cet abruti égocentrique qui l’ait élevé, crois-moi.” reprit Marcus, l'index en l'air, avec une certitude absolue -et c’était cette opinion qui l’avait toujours rangé du côté de Saül dans l’affaire. Peut-être que la manière dont le cadet de l’italien s’était joué de lui et de sa candeur, dans un passé qui remontait à une autre vie, jouait tout particulièrement en sa défaveur. Mais quiconque connaissait Auden Williams ne pouvait contredire le fait qu’il n’était pas taillé pour être père, et ce n’était pas la naissance de son propre fils qui ferait changer Marcus d’avis à son sujet. Il n’était pas croyant, mais il prierait pour ce gamin à coup sûr.
Une dernière gorgée et le premier round de cosmos était déjà terminé. Erika, prenant les devants, commanda une seconde tournée. « Je sens qu’on va en avoir besoin pour la suite. » La suite. Mac ne savait pas par où commencer, quels mots employer, comment parler de Caelan sans le dépeindre comme un véritable monstre. Il n’était même pas certain que révéler ses méfaits à sa meilleure amie soit l’idée du siècle, mais l’australien sentait comme rarement il avait pu le sentir que le poids de la nouvelle était trop lourd pour lui seul et qu’il avait besoin d’une béquille hors du cercle familial sur laquelle se reposer. “De ça, et d'un valium.” souffla-t-il, et déjà son sourire un brin trop forcé commençait à paraître faux. Il était largement temps que le Leckie cesse cet effort visant à garder bonne figure jusqu’au bout. Il le faisait bien plus pour lui-même que pour Erika qui tenait son propre petit manuel de décryptage de Marcus et qui ne tombait plus dans le panneau de ses mimiques les plus superficielles depuis longtemps. Non, parfois, les sourires étaient pour lui, ils étaient le rempart contre le monde dont il avait besoin. Si certains se muraient et se renfermaient, il avait opté pour le chemin inverse -mais celui-ci n’avait rien de moins fatiguant que le premier. “Ce qui m’inquiète c’est qu’avec le bébé qui va arriver, Saül se sente plus légitime et plus proche du gosse que de Damon et que le pauvre garçon se retrouve délaissé… Il passe déjà tout son temps à l’autre bout du monde avec la future maman.” reprit le brun afin de boucler tous les aspects de ce premier sujet -et temporiser l’arrivée du second. Erika était probablement l’une des rares personnes à pouvoir l’entendre confesser pareille émotion ; être inquiet ne faisait habituellement pas partie du lexique grand public de Mac. Douter et craindre non plus. Pourtant il était empli de ce trio fatal qui obscurcissait ces dernières semaines. “Assez d’histoires de Williams.” fit-il en balayant l’air d’un revers de la main. Cependant, les histoires de Leckie n’étaient guère plus glorieuses, et le tea tellement plus amer.
Erika ne pouvait que se mettre à la place du Leckie car après tout, elle aussi s’était retrouvée à garder un secret plus grand qu’elle. Une bombe à retardement à laquelle elle évitait de penser autant que possible mais qui se rappelait à elle à chaque fois qu’elle posait les yeux sur Olivia où qu’elle entendait Sawyer faire référence à Eliot, bien loin qu’elle était de s’imaginer ce qu’il avait osé faire. Autant dire que la brune n’aimait pas cacher des choses, mais elle savait aussi lorsqu’elle n’était pas à sa place et en l’occurrence, ça n’était pas son histoire. Tout comme Marcus s’était retrouvé le gardien d’une vérité qui ne le concernait que de loin et qui était capable de blesser tous ceux à qui il tenait. Ainsi, la jeune femme lui lança un regard compréhensif à défaut de pouvoir lui avouer qu’elle était dans une situation similaire, elle aussi. Les deux confidences étaient loin d’êtres comparables, mais ce qu’elle ressentait aujourd’hui devait faire écho aux sentiments de Mac, même si ce dernier semblait surtout terrassé par les réactions des uns et des autres. De son côté, Erika ne pouvait – ou ne voulait – imaginer ce qu’il se passerait lorsque sa propre vérité éclaterait et que Jacob et Sawyer seraient mis au courant. Leur dynamique de groupe serait fortement compromise, à l’image de la famille du Leckie qui devait se déchirer en cet instant précis. “Si un bâtiment explose aux infos on saura qui était dedans.” Cette réflexion tira un sourire à la brune qui reconnaissait bien là l’humour de son meilleur ami, même si la situation ne se prêtait guère à ce genre de plaisanterie. « J’aimerais autant que ça n’arrive pas, tu sais bien que je serais démunie sans toi dans ma vie. » Son sourire tranchait avec le sérieux de sa voix alors qu’elle pensait chaque mot, comme toujours. Les années passaient et les épreuves se faisaient toujours plus difficiles à affronter, mais une des seules constantes restait cette amitié à laquelle elle tenait comme à la prunelle de ses yeux. Autant dire que sans leurs soirées cosmos, Erika aurait déjà pris un tas de mauvaises décisions – et la réciproque était sans doute vraie. “Parce qu’on ne lui a jamais dit que c’était Auden. On était peu dans la confidence et on a jamais pensé à anticiper ce moment. Je pense qu’on croyait tous que ça se saurait jamais.” Erika écouta avec attention cette explication, hochant la tête sans pour autant se permettre de prétendre comprendre toute la complexité d’une décision de ce genre. Après tout, les histoires de famille étaient bien souvent complexes et du peu que Mac lui en disait, la sienne l’était encore plus que la normale. “Mais Damon a bien eu de la chance que ce soit pas cet abruti égocentrique qui l’ait élevé, crois-moi.” Et elle le croyait sur parole la brune, car s’il y avait bien une chose qu’elle ne remettrait jamais en cause, c’était les opinions parfois tranchées du Leckie. Son jugement était d’une justesse à toute épreuve et s’il s’était rangé du côté du secret, c’était que ça avait forcément été pour le bien-être de Damon. « Cette histoire est complètement dingue, je comprends que tu sois dans un tel état. » Pour beaucoup, son ami aurait l’apparence de quelqu’un de simplement fatigué, mais la brunette lisait en lui comme dans un livre ouvert et par conséquent, voyait à quel point il était affecté par cette histoire. Ce qu’elle ignorait en revanche, c’était qu’il venait seulement de lui servir l’apéritif. « J’espère que vos rapports vont s’améliorer, quand il aura digéré tout ça. » Parce qu’elle savait aussi que ce gamin devait avoir une importance toute particulière pour le Leckie et que par conséquent, il souffrait du silence de son filleul.
Erika avait le sentiment que son récit était loin d’être terminé et par conséquent, n’attendit même pas d’obtenir son aval pour faire signe au serveur de leur ramener une deuxième tournée. Tout ce qu’elle espérait à ce stade, c’était qu’ils ne ressentiraient pas le besoin de passer à quelque chose de plus fort par la suite. “De ça, et d'un valium.” Mh. Voilà qui était de mauvaise augure. La brune plissa les lèvres et retint tout juste une moue dépitée en avisant le visage perplexe de Mac, s’attendant soudainement au pire. « Pas sûre que le mélange soit l’idée du siècle, même si ça rendrait la soirée fortement palpitante. » Argua-t-elle dans un petit rire qui dénotait de l’inquiétude qu’elle avait à l’égard du Leckie. Chaque sourire forcé était un signe de plus que quelque chose n’allait pas, et si la jeune femme n’était pas du genre à lui tirer les vers du nez, ça ne l’empêchait pas de l’observer comme s’il s’apprêtait à s’écrouler face à elle. “Ce qui m’inquiète c’est qu’avec le bébé qui va arriver, Saül se sente plus légitime et plus proche du gosse que de Damon et que le pauvre garçon se retrouve délaissé… Il passe déjà tout son temps à l’autre bout du monde avec la future maman.” Pourquoi rendre les choses plus simples lorsqu’elles pouvaient se compliquer davantage ? L’agent immobilier secoua la tête dans un léger soupir, ne sachant que dire de cette situation. Elle-même avait été élevée par des parents qui n’étaient pas les siens, mais il s’agissait là d’une situation qu’elle avait connue toute sa vie, alors que Damon venait de découvrir le pot-aux-roses à un âge déjà plutôt avancé. « Il ne sera jamais réellement livré à lui-même. Il t’a toi. » Et parfois, les rôles secondaires prenaient toute leur importance lorsque les acteurs principaux prenaient la tangente ; elle en savait quelque chose. « Mais j’espère que Saül aura assez de jugeote que pour ne pas lui faire ressentir ça, ça serait le pire. » Et elle ne pouvait qu’imaginer la suite si ça arrivait. “Assez d’histoires de Williams.” Et le serveur choisit cet instant précis pour apporter les cosmos, lançant par la même occasion le signal de la suite des festivités ; façon de parler. Erika leva son verre dans sa direction et avala une nouvelle gorgée salvatrice avant de hausser un sourcil dans sa direction. « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sentiment que tu as gardé le meilleur pour la fin. » Et Mac la connaissait assez pour sentir toute l’ironie qui se cachait derrière ses paroles alors qu’elle posait une fois encore son regard sur lui, craignant ce qui allait suivre. Son ami aimait ménager ses effets mais dans ce cas précis, son air fatigué parlait pour lui et annonçait que la suite risquait d’être particulièrement intense. « Je ne vais pas pouvoir rivaliser. » Elle fronça le nez en ayant une pensée pour Rudy et pour ce jeu auquel ils jouaient tous les deux sans en connaître réellement les règles ou la finalité. S’agissait-il de quelque chose qu’elle était prête à confier à son plus proche ami ? Il avait d’autres choses en tête en l’occurrence, et la brune avait suffisamment honte de ses agissements que pour craindre le regard empreint de jugement que Mac risquait de lui lancer si elle se laissait aller à aborder ce sujet.
And if they stare Just let them burn their eyes On you moving
Il glissa sa main sur son visage, frottant son menton à travers sa barbe au passage, dans un geste un brin las visant à détendre ses traits tirés. Il se faisait du souci, Marcus, derrière l’optimisme qu’il affichait éternellement. Il avait tant à coeur le bonheur de ceux qui lui étaient chers, de sa famille de sang, les Leckie, et celle qui l’avait adopté, les Williams, qu’il mettait sur ses propres épaules bien plus de pression qu’il ne voulait bien l’admettre. Lui-même en oubliait parfois le poids. « Cette histoire est complètement dingue, je comprends que tu sois dans un tel état. » compatissait Erika suite aux explications des détails du fameux secret autour de la naissance de Damon. Et Mac haussa les épaules le plus naturellement du monde, la moue placide dédramatisant son rôle dans cette espèce de pièce de théâtre et l’impact de celle-ci. “Je vais bien en comparaison. C’est pas moi qui ait appris qu’on m’a menti toute ma vie.” Non, lui s’était rangé du côté des bourreaux à en croire son filleul et cela n’était tellement pas dans sa nature qu’il peinait à réaliser que le choix qu’il avait approuvé vingt ans plus tôt avait bel et bien eu des conséquences plus grandes qu’il ne se l’était figuré à l’époque. Ce n’était pas une erreur, il n’en démordait pas malgré la culpabilité que le jeune homme lui avait fait ressentir. Mais ils s’y étaient tous pris comme des manches pour lui révéler la vérité. « J’espère que vos rapports vont s’améliorer, quand il aura digéré tout ça. » Le brun acquiesça d’un signe de tête et termina son verre. Il l’espérait lui aussi, et n’en doutait pas vraiment. Damon était en colère, déçu, perdu, mais cette soupe d’émotions ne durerait pas pour toujours. Il comprendra, un jour ou l’autre, Mac en était convaincu.
Second round de cocktails, un peu d’humour en interlude, le Leckie reprenait son souffle et laissait Erika digérer le premier acte -sans qu’elle-même ne se doute à quel point elle en avait besoin. « Pas sûre que le mélange soit l’idée du siècle, répondit-elle à l’option médicamenteuse avancée par son ami, même si ça rendrait la soirée fortement palpitante. » En bas de l’immeuble du Sixteen Antlers, on pouvait entendre les sirènes d’une ambulance traverser le boulevard comme la réponse au timing parfait à leur conversation. “Rien de mieux qu’un after aux urgences.” fit Marcus, et il trinqua furtivement à cela. Bien entendu, il n’avait aucune intention de se prêter à ce genre d’inconscience. Il était solide, le Leckie, et même si ce qu’il avait appris à propos de son frère l’avait profondément ébranlé, il ne ressentait nul autre besoin que le soutien d’Erika pour garder le cap. Se confier à elle était probablement l’unique genre de thérapie qu’il s’accorderait un jour dans sa vie. Il savait ses pensées et ses émotions en lieu sûr avec elle. Au fond, la seule raison qui le poussait à maintenir un sourire de façade était sa propre hantise de paraître bien trop désœuvré. « Il ne sera jamais réellement livré à lui-même. Il t’a toi. » assurait-elle face aux craintes de l’australien qui, touché, ne sut rien répondre d’autre qu’un léger dodelinement de la tête l’air d’approuver une évidence. Bien sûr que Damon pouvait compter sur lui. Après tout, n’était-il pas le meilleur parrain, oncle, frère et ami qui soit ? Sans l’ombre d’un doute. « Mais j’espère que Saül aura assez de jugeote que pour ne pas lui faire ressentir ça, ça serait le pire. » Macrus réprima son envie de lâcher un bon gros soupir dépit en prenant une gorgée de son cosmo. “C’est pas la jugeote qui définit le mieux Saül en ce moment.” il rétorqua. Ce n’était qu’une mauvaise passe, arrivait-il à se convaincre. Il avait foi en son ami. Il finirait par redresser la barre.
« Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sentiment que tu as gardé le meilleur pour la fin. » En effet, le chapitre Williams de la grande épopée de Marcus était clos pour ce soir et il ne lui restait plus qu’à se soulager du poids d’un autre secret ; celui de Caelan. En comparaison avec la Comedia italienne, le brun était infiniment plus touché par les exactions de son frère. A dire vrai, y songer faisait frissonner sa colonne vertébrale de bas en haut. “Et après cette entrée en matière tu dois avoir hâte, n’est-ce pas ?” Après tout Erika avait eu les dramas les moins perturbants en amuse-bouche et sa mâchoire en avait d’ors et déjà heurté le comptoir du bar. Elle pouvait s’attendre à une bombe pour la suite. « Je ne vais pas pouvoir rivaliser. » Au moins ces histoires sordides pouvaient lui permettre de remettre ses propres problèmes en perspective. “Tu me remercieras plus tard.” fit-il avant de perdre son sourire pour de bon. La boule de plomb refit son apparition dans son estomac. Mac se pinça les lèvres, soudainement replongé dans sa confrontation avec son cadet. Il pouvait entendre de nouveau tous les termes affreux qu’il avait employés à son encontre, et pourtant, malgré les jours qui les séparaient désormais du soir en question, malgré le temps qui lui avait permis de commencer à digérer tout ceci, le quarantenaire persistait à ne ressentir que dégoût et mépris pour Caelan. Des émotions qui devraient lui être étrangères.
“God, je sais même pas par où commencer.” Les mots refusaient de traverser ses lèvres. Jamais n’aurait-il pensé mentionner un jour le viol d’une proche et encore moins y associer son propre frère. Et son inconscient bloquait l’accès à tous les termes qui lui permettraient de narrer ce désastre à Erika tant cela heurtait sa propre conscience. “C’est Caelan, souffla-t-il finalement, péniblement. Son ex-femme m’a appris quelque chose à son sujet… quelque chose d’horrible. Quelque chose qu’il a fait… Qu’il lui a fait.” Il taisait les figures les plus dures, incapable de les articuler. Son amie se retrouvait avec des pièces de puzzle à reconstituer, et il ne doutait pas qu’elle comprendrait. Il était presque désolé de lui imposer une telle image. Presque, car il ressentait bien trop le besoin d’en parler, se décharger, et son statut au sein de sa famille ne lui permettait pas de se montrer aussi sensible à ce sujet qu’il pouvait l’être avec sa meilleure amie. “Et je suis allé le voir, et c’était vrai. Il était honteux et sincèrement affecté par ses actes.” Il revoyait ses larmes, ses hoquets de chagrin. Rien de tout cela n’avait véritablement touché Marcus en comparaison avec la gravité de la situation. “Je crois que jamais de ma vie je n’ai été aussi en colère.” Erika pouvait le croire sur parole. Il ne s’emportait jamais, ne levait pas le ton, ne perdait pas patience avec ses proches. Au travail les exclamations étaient légion et l'intolérance face à l’incompétence était implacable. Mais il n’était jamais en colère. “Je lui ai dit que je ne voulais plus le voir tant qu’il ne se faisait pas aider.” Il s’y tiendrait, même si cela lui brisait le coeur. Il se retenait de lui envoyer des messages et leurs bêtises lui manquait. Il imposait ce postulat au reste de la fratrie quitte à les diviser mais il sentait qu’il ne pouvait pas faire autrement. Pourtant c’était son petit frère, et rien de tout cela ne devrait avoir lieu.
Désormais, Marcus se laissait davantage aller et ne souriait plus avec la même conviction. Il n’avait sans doute pas eu l’opportunité de discuter de cette situation avec beaucoup de monde et Erika était consciente du soulagement qu’une telle confession pouvait procurer. Il ne s’agissait pas là du genre de chose que l’on racontait à n’importe qui et la brune était ravie d’avoir pu se montrer disponible pour lui, espérant qu’il ressortirait de ce bar apaisé, même si la situation n’aurait pas changé d’un iota une fois rentré chez lui. “Je vais bien en comparaison. C’est pas moi qui ait appris qu’on m’a menti toute ma vie.” Il était évident que le brun n’était pas le plus à plaindre dans cette histoire, mais la jeune femme ne pouvait que se mettre à sa place et imaginer ce qu’il éprouvait, maintenant que la vérité avait éclaté. Il ne semblait pas regretter sa prise de position, mais la réaction de Damon ne faisait que rendre difficile une situation qui l’était déjà, même s’il avait tous les droits de réagir de la sorte. Apprendre que sa vie n’avait été qu’un mensonge devait être un choc et à ce stade, le jeune homme devait voir chaque membre de sa famille comme un traître. En ce sens, Erika avait toujours remercié ses parents adoptifs ne pas lui avoir caché la vérité sur son adoption ; l’apprendre des années plus tard aurait été une nouvelle difficile à digérer, elle en était persuadée. Alors elle ne pouvait que se mettre à la place de Damon, même si son attention était focalisée sur Mac. La brune le connaissait assez pour savoir qu’il n’aurait pas pris cette décision si elle ne lui était pas apparue comme nécessaire, et son filleul arriverait forcément à cette conclusion lui aussi, un jour ou l’autre. « Il finira par comprendre que tu as agi dans son intérêt, il lui faut juste le temps de digérer. C’est normal. » Elle lui adressa un sourire qu’elle espérait convaincant. « J’avais cinq ans quand mes parents m’ont expliqué que j’avais été adoptée, et crois-moi, j’avais déjà tout de la parfaite drama queen à l’époque. » Elle laissa un sourire franc étirer ses lèvres. « Je suis partie de chez eux avec mon cartable et une bouteille d’eau, déterminée à retrouver mes vrais parents. Sauf que l’Iran, ça fait loin à pied. » Elle secoua la tête dans un petit rire avant de reporter son attention sur son ami, espérant que cette anecdote parviendrait à lui tirer un sourire, un vrai. « Tout ça pour dire qu’il n’est pas le seul à qui ça arrive et que même si les circonstances dans lesquelles il l’a appris sont complexes, ça en revient au même. Il ne tardera pas à se rappeler qui était là pour lui, durant toutes ces années. » Elle termina son verre, imitant le Leckie avant de commander une seconde tournée ; apparemment, elle allait s’avérer nécessaire.
Mac proposa avec ironie une alternative un peu trop osée pour leur âge avancé – quoique la brune n’aurait probablement pas foncé sur cette option, même avec vingt ans de moins – et la jeune femme s’en amusa, persuadée que la soirée ne manquerait pas d’être pimentée s’ils se laissaient aller à de tels agissements. “Rien de mieux qu’un after aux urgences.” La brune roula des yeux en entendant la sirène elle aussi, avant d’entrechoquer son verre contre celui de Mac, une moue amusée sur le visage. Ce genre d’inconsciences n’avait jamais fait partie de son quotidien, même plus jeune, et seuls ses nombreux voyages faisaient d’elle une aventurière hors pair. Mais il y avait une différence entre partir à l’improviste dans un pays étranger et se livrer à ce genre de folies, raison pour laquelle la jeune femme était toujours restée sage, à sa façon. “C’est pas la jugeote qui définit le mieux Saül en ce moment.” Erika plissa les lèvres en entendant ces paroles qui n’auguraient rien de bon, même si elle s’abstint d’enfoncer le clou avec ce genre de commentaire.
La première partie du programme que Marcus avait à lui conter était derrière eux et puisque le brun avait insisté pour commencer par le « moins pire », Erika ne pouvait donc que s’interroger – et craindre – la suite. “Et après cette entrée en matière tu dois avoir hâte, n’est-ce pas ?” Une fois encore, le sarcasme était à l’ordre du jour et l’agent immobilier avala une gorgée de son cosmo, comme s’il s’agissait là de la dose de courage dont elle aurait besoin pour entendre ce qu’il lui réservait ensuite. Car ouvrir les hostilités sur les mensonges entourant la vie de Damon était déjà d’un niveau élevé, ce qui n’était pas un point positif, au contraire. « J’ai surtout peur de ce qui va suivre. » Avoua-t-elle, même si cette peur était avant tout dirigée vers lui, vers ce qu’il ressentait réellement derrière cette résilience qui était la sienne. Mac était taillé pour tout supporter, elle en était convaincue, mais chacun avait ses limites après tout, pas vrai ? Et puisqu’elle savait le Leckie capable de prétendre que tout allait bien la plupart du temps, il était d’autant plus difficile de prévoir le moment où tout s’effondrerait, pour de vrai. Erika espérait que cela n’arriverait jamais et comptait bien se montrer omniprésente pour éloigner cette possibilité de son meilleur ami. “Tu me remercieras plus tard.” Répliqua-t-il lorsqu’elle prétendit être incapable de rivaliser, dans cette compétition qui n’avait rien de celles que la brune aimait gagner. Le sourire du Leckie s’effaça et la jeune femme retrouva elle aussi un air empreint de gravité, comme si elle se doutait déjà de la suite. Sauf que rien ne pouvait la préparer à ce qu’il s’apprêtait à lui avouer et que la tête qu’il affichait désormais fit accélérer son rythme cardiaque, sans qu’elle ne puisse se l’expliquer. “God, je sais même pas par où commencer.” Mac semblait avoir la gorge serrée et Erika resserra davantage sa main, sensible à la tension qui semblait s’emparer de son meilleur ami. “C’est Caelan, son ex-femme m’a appris quelque chose à son sujet… quelque chose d’horrible. Quelque chose qu’il a fait… Qu’il lui a fait.” Les sourcils de la brune se froncèrent mais elle ne dit rien, peu désireuse d’interrompre le fil de ses pensées alors qu’il parvenait enfin à dire à voix haute ce qu’il peinait à exprimer depuis quelques minutes. Cela semblait grave, et puisqu’il ne parvint pas à lui fournir le moindre détail, Erika pensa immédiatement au pire. La suite vint confirmer ses pensées et son visage se décomposa au fur et à mesure des paroles de Mac. “Et je suis allé le voir, et c’était vrai. Il était honteux et sincèrement affecté par ses actes. Je crois que jamais de ma vie je n’ai été aussi en colère.” Et la jeune femme comprenait toute la portée de ces mots puisque jamais, au grand jamais, elle ne l’avait vu céder à la colère. Il était comme elle ; exigent et implacable, mais il ne s’énervait pas pour autant. A l’inverse de la brune qui elle cédait trop facilement à ses émotions et entrait facilement dans des colères noires. “Je lui ai dit que je ne voulais plus le voir tant qu’il ne se faisait pas aider.” Sensible à l’émotion du Leckie, la brune porta instinctivement une main sur la sienne, ne sachant trop quoi dire après une telle révélation. « Je suis… désolée. » C’était le cas, pour lui, pour elle – l’ex-femme de Caelan- et pour l’ébranlement causé par une nouvelle pareille. « Il t’a dit qu’il le ferait ? Se faire aider ? » Erika tenta de ne pas se laisser submerger par l’indignation qu’elle ressentait envers les actes du frère de Mac, même si celle-ci était bel et bien présente. Elle n’avait pas les détails, ne désirait pas les connaître, mais rien ne justifiait des agissements pareils. « Tu n’es pas en prison, ce qui veut dire que tu ne l’as pas tué. » Souligna-t-elle dans un soupir, ne pouvant qu’imaginer l’état dans lequel avait dû se trouver Marcus en apprenant la vérité. « Je n’en reviens pas… Excuse-moi, mais j’ai du mal à… » A accepter ce qu’elle venait d’entendre ? A digérer l’information ? Si c’était son cas à elle, alors ça devait être cent fois pire pour son ami. « On passe aux shots ? » Lança-t-elle finalement par dépit, réalisant qu’aucun cosmo au monde ne serait suffisant pour effacer ces dernières révélations.
And if they stare Just let them burn their eyes On you moving
S’il pouvait revenir vingt ans en arrière, Marcus ne changerait rien du tout. La moindre des choses dans un cas pareil était de rester fidèle à ses convictions jusqu’au bout et ne pas retourner sa chemise. On pouvait dire que seuls les imbéciles ne changeaient pas d’avis, mais il demeurait convaincu que tout avait été fait pour permettre à Damon d’avoir toutes les chances de son côté dans la vie. Peut-être que son amitié avec Saül biaisait son jugement, peut-être que sa rancoeur bien trop tenace envers Auden pesait dans la balance ; cependant l’australien estimait s’être toujours rangé du côté de son filleul pendant tout ce temps. Et il l’aimait, ce gosse, de la même manière que Julie et Aidan. Ils ne partageaient pas de lien de sang mais Marcus l’avait vu grandir pendant vingt ans, et il voulait croire qu’il avait posé sa petite pierre à l’édifice de l’homme qu’il devenait. « Il finira par comprendre que tu as agi dans son intérêt, il lui faut juste le temps de digérer. C’est normal. » le rassurait Erika. Par chance, on faisait difficilement mieux placée que la belle brune pour comprendre la situation dans laquelle se trouvaient Damon et son parrain. En tant qu’enfant adoptée, il lui suffisait de se projeter dans l’hypothèse que ses parents aient attendu vingt ans pour lui révéler d’où elle venait. Mac, lui, pouvait seulement tenter de se faire une idée de la désorientation que cela avait causé chez le jeune homme, mais il lui était impossible de réellement comprendre. En cela, il se sentait désarmé. « J’avais cinq ans quand mes parents m’ont expliqué que j’avais été adoptée, et crois-moi, j’avais déjà tout de la parfaite drama queen à l’époque. Je suis partie de chez eux avec mon cartable et une bouteille d’eau, déterminée à retrouver mes vrais parents. Sauf que l’Iran, ça fait loin à pied. » Erika lui arracha un rire tandis qu’il s’imaginait la scène. Une adorable fillette, le nez froncé par la détermination, prête à partir à la recherche de ses racines, et faisant demi-tour au premier rond-point. « Tout ça pour dire qu’il n’est pas le seul à qui ça arrive et que même si les circonstances dans lesquelles il l’a appris sont complexes, ça en revient au même. Il ne tardera pas à se rappeler qui était là pour lui, durant toutes ces années. » Mac esquissa un sourire, les épaules moins lourdes à ce sujet que lorsqu’il avait pris la parole en premier lieu. Habituellement, il s’estimait heureux d’avoir Erika dans sa vie. Ce soir-là, sa présence fut plus précieuse encore. “Je l’espère vraiment.” conclut-il. Le reste de ses inquiétudes autour des Williams concernait le comportement de Saül, mais en cela, l’agent immobilier ne pouvait guère l’aider ou lui prodiguer de conseils. Non, l’italien était son meilleur ami et il en faisait son affaire. A dire vrai, en comparaison avec le reste des drames qui se jouaient autour de Mac, l’équilibre précaire au sein des Williams avait dégringolé dans la liste de ses priorités.
Mentionner Caelan le bouleversait, si bien qu’il en oubliait son cocktail et son sourire. Comment pourrait-il sourire, de toute manière, face à la gravité des actes de son frère, la détresse dont Jessica lui avait fait part ? Une partie de Marcus aurait préféré ne jamais savoir, continuer à être bercé dans l’illusion d’une fratrie parfaite, une famille sans histoires aux valeurs partagées. Il aurait voulu demeurer dans l’ignorance et ne jamais associer le visage de son cadet à l’une des pires atrocités dont les Hommes étaient capables. Y penser et réaliser à chaque fois que tout était bien vrai soulevait son estomac. Il ne savait pas par quel miracle il serait un jour de nouveau capable de regarder le visage de Caelan sans l’assimiler à cette histoire sordide. Il n’était que plus blessé et dépité à l’idée que cela signifiait que les Leckie ne seraient plus jamais les mêmes, plus aussi soudés qu’avant. Pour lui qui mettait la famille au sommet de ses valeurs, le choc était sans pareil, et Erika le savait, elle le voyait. Ce ne fut qu’une fois qu’il eut terminé de parler que Marcus remarqua la main qu’elle avait posée sur la sienne depuis le début. « Je suis… désolée. » Il n’y avait rien à faire, rien à dire à propos de la situation, et “désolé” était étrangement le mot qui avait été désigné pour combler les vides de ce genre. “Je sais.” assura Mac avec un rictus furtif. Finalement il prit une gorgée de son cocktail, qu’il regretta de ne pas être plus fort en alcool. La canneberge acidulée avait un effet réconfortant -ou plutôt était-ce l’association du goût avec les moments partagés avec Erika qui renforçait cette sensation. Il savait qu’avec elle à côté de lui et un verre devant, tout ce qu’il pouvait dire était un sécurité. « Il t’a dit qu’il le ferait ? Se faire aider ? » Malheureusement la seule chose que le brun se souvenait avoir entendu était les sanglots de son frère après le torrent d’horreurs qu’il lui avait craché au visage sur le coup de colère. Il en regrettait chaque syllabe, mais s’il n’était pas connu pour sa fierté, Marcus ne se voyait pas lui demander pardon. “Il n’a rien dit du tout, et je n’ai pas eu de nouvelles depuis.” En somme, l’australien partait du principe que Caelan n’avait pas pris la moindre mesure dans le sens des exigences de son aîné, sans quoi il aurait reçu un message dans ce sens. Rien ne l’y obligeait, bien sûr, mais Mac espérait que la perspective de briser leur lien fraternel soit assez persuasif aux yeux de son frère pour que celui-ci agisse. « Tu n’es pas en prison, ce qui veut dire que tu ne l’as pas tué. » Le Leckie força un sourire. Il était à peine capable de se mettre en colère, alors attenter à la vie de quelqu’un était parfaitement impossible. Il ne supporterait pas l’idée d’avoir une tache de sang sur ses vêtements. Dieu savait que cela était impossible à faire partir au lavage. « Je n’en reviens pas… Excuse-moi, mais j’ai du mal à… » Erika, il le réalisait à peine, paraissait au moins aussi perturbée par les événements que lui. Marcus les avait vécus des jours plus tôt et avait eu le temps de les digérer. La brune, elle, recevait tout juste la nouvelle, et il se figurait qu’en tant que femme, le sujet -si elle l’avait saisi- la touchait d’une manière toute particulière. “Y’a rien au monde qui prépare à une situation pareille. Encore moins dans le cercle familial.” Personne ne posait son regard sur un père, un oncle, un frère, un mari, un fils en songeant que cette personne si proche de nous avait tout le potentiel de faire du mal. Personne n’était configuré pour penser de cette manière. C’était toujours les autres. Ces autres immatériels que l’on voyait à la télévision. “C’est mon petit frère.” souffla Marcus, les épaules basses, le bout des doigts jouant distraitement avec le pied de son verre. “Il était pas supposé être capable de faire le moindre mal. Il aurait pas dû être de ceux-là. N’importe qui d’autre, mais pas lui. Pas mon petit frère.” Il porta l’alcool du réconfort à ses lèvres une nouvelle fois, mais cette fois il n’en sentit que l’amertume et la brûlure au fond de la gorge. Un lourd soupir lui échappa. Well, that killed the vibe.
« On passe aux shots ? » Arraché à un court sentiment léthargique, Marcus releva rapidement la tête. Il souffla un rire teinté d’ironie du bout du nez. Voilà quatre mots qu’il avait besoin d’entendre, la preuve qu’Erika ne le laissait pas tomber et compatissait. Ils n’abandonneraient pas toute possibilité de profiter d’un moment ensemble, même s’il s’agissait de tout faire pour oublier les récents drames. Si tu tombes, je tombe, telle était la mélodie de ses paroles aux oreilles du brun. “Tu sais toujours quoi dire.” fit-il avec un rire supplémentaire. Il déposa un baiser sur sa joue et appuya une seconde sa tête sur l’épaule d’Erika. Puis d’un index interpellateur, il demanda au barman “deux cosmos sans canneberge, sans citron, sans triple sec, sans glaçons” -celui-ci acquiesça et sortit deux verres à shots de sous le comptoir. “Parle-moi du dernier mandat que t’as obtenu, reprit Marcus dans l’espoir qu’Erika ait de bonnes nouvelles à annoncer, de son côté. Une énorme villa de préférence ou d’un gigantesque penthouse avec piscine. Fais-moi une visite mentale, j’ai besoin qu’on me fasse rêver.”
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