On a marché le long de la rivière pour regarder la course de bateaux, ça m’a fait du bien après notre conversation. Les bateaux étaient tous plus beaux les uns que les autres et je me suis arrêtée un moment pour les dessiner, esquissant au passage quelques portraits de Molly.   Une atmosphère plus légère est revenue alors qu’elle essayait de me changer les idées. On a parlé de tout et de rien et j’aime cette complicité qui se crée lentement entre nous à chaque nouveau moment que l’on passe ensemble et où nous ne sommes plus un couple.

La nuit ne va pas tarder à tomber et on a rejoint la rive, pour essayer de trouver le meilleur endroit pour regarder le feu d’artifice. C’est à ce moment-là qu’on a croisé un petit groupe de personnes que je ne connais pas mais qui ont reconnue Molly, l’arrêtant pour lui dire bonjour, commençant une discussion animée.  « Je reviens, j’vais pisser, on se retrouve ici ? » lui dis-je avec un sourire avant de m’éclipser pour la laisser discuter.  Si je suis effectivement allé me soulager dans un bar le plus proche, j’en ai également profité pour m’acheter une bière. Je ne veux plus boire devant Molly mais les heures ont été longues, l’envie de boire de plus en plus pressante.  Réfugié contre un mur, c’est là que j’ai croisé Andrew, sur le départ, l’arrêtant pour lui parler. Notre conversation a été courte et venimeuse et si bien que toute la bonne humeur que Molly a réussi à créer en moi, s’est étiolée en quelques minutes, me ramenant des jours en arrières.

J’avais fini par la retrouver mettant un peu plus de temps, la trouvant seule, le long de la plage. « Je suis désolé, j’ai croisé quelqu’un… j’ai mis un peu plus de temps que prévu. » j’avoue un peu penaud, sans mention de la bière que j’ai bue, ou de la conversation que j’ai eue. Mais mon regard est un peu plus triste qu’avant. « C’était qui ces gens ? Ils avaient l’air sympa ? »

@Molly Oakheart  

On a passé un moment à regarder les bateaux, jusqu’à ce que le soleil ne finisse par se coucher en face de nous. Tout était magnifique, et j’ai adoré ce moment. J’aime ces journées simples pendant lesquelles on ne fait rien de plus qu’observer le monde et discuter de tout et de rien. On a bougé, on marche sur les berges de Brisbane tout en attendant le feu d’artifice. « Je reviens, j’vais pisser, on se retrouve ici ? » Un groupe de personnes nous entoure pour venir me parler. Des clients du refuge qui ont emmené leur chien se promener, chien que je leur ai présenté il y a quelques semaines de ça. Et ils ont tous l’air très heureux. Je regarde Pete partir et je discute avec ce petit groupe de personne un long moment.

Ils finissent par s’en aller et je me pose sur le sable, à la plage. Je ne sais pas pendant combien de temps je reste assise ici, et je l’entends arriver dans mon dos. « Je suis désolé, j’ai croisé quelqu’un… j’ai mis un peu plus de temps que prévu. » Je fronce les sourcils, j’ai l’impression qu’il a perdu son sourire. Je me tourne vers lui et j’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose qui ne lui a pas plu. “Ca va ?” La question qui revient constamment, et que je continuerai de lui poser tant que je le pourrais. « C’était qui ces gens ? Ils avaient l’air sympa ? » Je fronce le nez, me demande ce qu’il a bien pu se passer. Mais il préfère changer de sujet et s’intéresser à moi et à ce que j’ai fait pendant son absence. “C’était une famille, des personnes qui ont pris un chien au refuge il y a quelques semaines. J’étais contente de le revoir j’ai pu prendre des nouvelles.”

Je reviens un peu plus fatigué qu’avant, les épaules plus lourdes, le regard plus vide, vidé par une rencontre qui n’aura guère duré longtemps. Elle s’est assise dans le sable et je m’en veux de l’avoir fait attendre.

« Ca va ? » Mon regard croise le sien pour le fuir aussitôt. « Ca va, c’est rien… Ca fait longtemps que tu attends ? » C’est pas rien. Rien ne va. Je n’aurais pas dû interpeller Andrew, ou lui parler, je n’aurais pas dû réveiller la culpabilité. Les mots échangés tournent en boucle dans mon esprit et de nouveau j’ai l’impression de gâcher la soirée. Je ne lui pas parlé de ça, de lui et de ma sœur, de leur histoire, peut être que je devrais. Peut-être qu’encore une fois je devrais essayer de m’ouvrir. Mais comme toujours je préfère dévier.

Je lui demande qui sont les gens qui l’ont accaparée. Elle n’est pas dupe Molly, je le vois à son nez qui se fronce, son regard qui ne me lâche pas. Elle sait que je fuis, que je change de sujet. “C’était une famille, des personnes qui ont pris un chien au refuge il y a quelques semaines. J’étais contente de le revoir j’ai pu prendre des nouvelles.” Je souris doucement mais sans joie. « Oh c’est cool, il va bien ? » que je demande alors que je me m’assois pas à côté d’elle, incapable de rester en place. « J’ai faim ? T’as pas faim ? » J’ai peur me perdre dans les regrets si je m’arrête une seule seconde, peur d’être replongé des jours en arrière dans cet hôpital. Je m’allume une cigarette. « On a un peu de temps avant le début, on pourrait s’acheter un truc à manger ? » Je n’ai pas vraiment faim en réalité, je préférerais boire mais je ne boirais plus devant elle.

Je l’ai attendu pendant de longues minutes, mais je ne râle pas, même pas pour rire, pas quand je vois le sourire triste qui traine sur son visage. Il n’a pas envie de rire, alors je ne dis pas grand-chose. J’ose lui demander s’il va bien, et c’est peut-être une erreur. « Ca va, c’est rien… Ca fait longtemps que tu attends ? » Il ne veut pas en parler plus, même si je sais qu’il ment. Il s’est déjà beaucoup ouvert aujourd’hui, je ne veux pas qu’il pense que j’en demande trop. Je vais à son rythme, et je le laisse me parler quand il en a le plus besoin. “Non, j’ai profité un peu du calme de la plage tant que le feu d’artifice n’a pas commencé.” Je hoche la tête et je regarde au loin, je ne veux pas croiser son regard pour le moment, je ne veux pas voir qu’il va mal et qu’il ne veut pas m’en parler.

Je lui raconte qui était là, je sais que ça va changer de sujet et que c’est ce qu’il veut à cet instant. « Oh c’est cool, il va bien ? » Je souris. “Oui, il est très heureux dans sa nouvelle famille.” J’adore revoir des chiens ou des chats dont je me suis occupée pendant des semaines. « J’ai faim ? T’as pas faim ? » Il ne tient pas en place. “On fait ce que tu veux.” Je ne sais pas vraiment ce dont il a besoin, alors je m’adapte comme je le peux. J’espère qu’il va se calmer avant la fin de la soirée. « On a un peu de temps avant le début, on pourrait s’acheter un truc à manger ? » “Je te suis.” Je me lève et je m’avance vers la foule. “Sandwich ? Chinois ? Burger ? Pizza ?” Il y a le choix, et je garde le sourire pour deux, utilisant toute la joie que je peux ressentir pour que lui retrouve le sien, même si ce n’est que le temps d’une soirée.

“Non, j’ai profité un peu du calme de la plage tant que le feu d’artifice n’a pas commencé.” Elle ne me reproche pas mon absence, ne me dit pas depuis combien de temps elle attend ou ne questionne pas plus sur la personne que j’ai croisé. Comme toujours je détourne, préférant poser des questions sur le petit groupe qui l’a accaparé.  « Oui, il est très heureux dans sa nouvelle famille.”

Je ne tiens pas en place, ne souhaitant pas m’asseoir, car l’idée de me poser un instant impliquerait de penser un peu trop longtemps à ma rencontre avec Andrew, me ramènerait inévitablement à l’hôpital il y a quelques jours. «  On fait ce que tu veux. » Je propose qu’on aille s’acheter un truc à manger et elle se lève. « Je te suis.  Sandwich ? Chinois ? Burger ? Pizza ? » Elle sourit pour deux Molly et je tente en vain de lui renvoyer l’écho du mien pour la rassurer. « Chinois ça me dit bien ! J’ai vu un stand pas loin qui faisait des nouilles sautées ! »  Je parle trop vite, cherchant à bouger, à occuper l’espace et le moment. On marche pour arriver  au stand et je sais que je marche trop vite, parlant pour ne rien dire, meublant la conversation pour éviter de me concentrer sur ce qui ne va pas va. Les nouilles sont commandées, j’insiste pour payer et il va bien falloir se rendre à l’évidence on va devoir s’asseoir pour manger. On se trouve un endroit sympa dans le sable. « Ca va mieux toi en ce moment ? Comme ça se passe avec tes parents ? »  

Parle mes yeux supplient, parle pour que je n’ai pas à le faire, parle moi de toi et de ta vie que j’espère heureuse pour ne pas avoir à penser à la mienne une seule seconde. Il faudra bien que je lui en parle pourtant mais je recule le moment encore un instant de plus.  

J’ai compris qu’il ne voulait pas parler de la personne qu’il a rencontré quelques minutes plus tôt. Je meurs d’envie de lui poser 1000 questions, j’ai besoin de savoir pourquoi il va mal, mais je me retiens. Je reste de mon côté, et je lui laisse l’espace et le temps dont il a besoin. Je ne le regarde pas, et j’attends un moment avant d’aller vers lui. Il me parle et je l’écoute, j’accepte de passer à autre chose. Il a beaucoup donné pour aujourd’hui, alors j’accepte de le laisser tranquille pour ce soir. On parle nourriture et c’est un sujet qui me semble bien plus joyeux et bien moins risqué que de poser des questions à Pete. J’ai mal au coeur, mais je lui laisse du temps.

« Chinois ça me dit bien ! J’ai vu un stand pas loin qui faisait des nouilles sautées ! » Je hoche la tête et trépigne d’impatience. Je veux manger et je veux surtout qu’il oublie ce qui le met dans cet état. Je n’ai aucune idée de comment faire, alors je reste comme d’habitude, positive et souriante. Il a besoin de ça, et j’ai promis d’être là pour lui. On se dirige vers le stand et je réfléchis déjà à ce que je vais bien pouvoir commander. Je regarde, et je me tourne vers lui alors qu’il recommence à me parler. « Ca va mieux toi en ce moment ? Comme ça se passe avec tes parents ? » Il veut que je lui parle de ce qui se passe dans ma vie. Je baisse un peu les yeux, je ne sais pas si je peux lui parler de ce qui me rend un peu heureuse ces derniers temps. Je ne suis pas sûre qu’il tienne le coup. Je fuis un peu son regard. “Je fais aller, j’aime pas être triste.” Je souris un peu mais j’évite le regard du jeune homme. “J’ai revu Livia et Cameron mais je n’ai pas osé appeler mes parents.” Ce ne sont pas eux qui me font aller mieux.

On se dirige vers le stand de nouilles sautées, je commande le premier truc que je vois sans réellement réfléchir tandis que Molly regarde la carte. J’ai besoin qu’elle parle d’elle à défaut de pouvoir parler de moi. J’ai besoin qu’elle occupe cet espace quand je n’ai qu’une envie fuir pour aller boire une bière de plus. Je ne veux pas y penser. Je ne veux plus ressasser ces derniers jours quand j’avais l’impression d’aller un peu mieux après quelques heures avec elle. Je lui demande comment elle va, fatigué de parler de moi et de tout ce qui ne va pas. Elle fuit mon regard soudainement et mes sourcils se froncent un peu, parce que j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qu’elle ne me dit pas. “Je fais aller, j’aime pas être triste. » J’hoche la tête, comprenant parfaitement son ressenti elle qui préférait voir le positif en tout le monde et en chaque évènement. “J’ai revu Livia et Cameron mais je n’ai pas osé appeler mes parents.” La dame qui tient le stand me donne mon plat de nouilles et sert celui de Molly. « Tu as l’air mieux en tous cas, plus heureuse que la dernière fois. » je souffle avec un sourire, content pour elle. « Ca me fait plaisir, j’aime pas te voir triste. » Non j’aimerais qu’elle ait toujours ce sourire lumineux qu’elle ne montre plus aussi souvent. J’aimerais qu’elle soit heureuse et qu’elle puisse m’en partager les raisons. Je pointe du doigt un coin de stable un peu isolé non loin de la mer. « On s’assoit là ? »

J’essaye de retrouver mon sourire, de ne plus être morose, ça me demande tous les efforts du monde, mais j’ai envie qu’on passe une bonne soirée tous les deux. « Tu veux goûter ? » Je lui propose d’un air malicieux en tendant mon plat. Si je prétends que tout va bien, je finirais par y croire, non ?

Je continue de regarder les stands qui peuplent la place spécialement pour cette fête nationale. J’aime cette ambiance, et je me demande si je pourrai revenir ici l’année prochaine, et si tout ira mieux ou tout aura changé. J’ai besoin d’évoluer, j’ai besoin de changement et je sens que j’y arrive peu à peu. Je vais plus loin que ce que l’on a vécu avec Pete, je grandis et je me rends compte que je peux rencontrer et apprécier d’autres personnes. « Tu as l’air mieux en tous cas, plus heureuse que la dernière fois. » “Merci…” Je le prends bien, parce que j’aime qu’on arrive à être heureux en voyant l’autre aller bien. Je ne sais pas si j’ai envie de lui en parler, pourtant, j’ai l’impression que je dois le faire pour nous deux, et pour l’avancée de notre relation. “Je rencontre de nouvelles personnes.” Je veux amener ça en douceur. « Ca me fait plaisir, j’aime pas te voir triste. » “C’est pareil pour moi.” Et pourtant, ce soir il est triste, et je ne sais pas quoi faire pour changer les choses.

« On s’assoit là ? » Je hoche la tête et le suis avec mon plat entre mes mains. On s’assoit et je surveille autour de nous, je ne voudrais pas qu’on loupe le début du feu d’artifice. « Tu veux goûter ? » J’ai déjà mangé une partie de mon plat et je me tourne vers lui en hochant la tête. “Depuis quand tu poses la question ?” Je ris un peu et j’attrape sa fourchette pour goûter son plat. “Si c’est encore ouvert après le feu on pourra toujours aller goûter d’autres choses.” Je ne parle que de nourriture, parce que je sais que ce sujet est bien plus facile à aborder que n’importe quel autre.

“Merci…” J’ai le sentiment qu’elle n’ose pas vraiment me parler. Elle est un peu plus heureuse que la dernière fois, son sourire un peu plus léger, mais je sens son hésitation, comme si elle avait peur de me l’expliquer. « Je rencontre de nouvelles personnes. » De quoi parle-t-elle ? De nouveaux collègues ? De nouveaux amis ? De plus ? « Ah oui ? » je demande d’un ton qui se veut neutre pour l’inciter à parler si elle le souhaite. Ca me fait plaisir de ne plus la voir aussi triste qu’avant. « C’est pareil pour moi. » Je souris sans joie, plus pour prétendre qu’au chose. Je n’ai plus envie d’être celui qui parle de ses problèmes, je ne veux pas être celui qui détruit l’ambiance d’une soirée à parler de tout ce qui ne va pas. Ca n’a jamais été moi et si j’ai réussi à m’ouvrir un peu plus tôt, je ne sais pas si j’en suis de nouveau capable.

Je lui propose qu’on s’assoit, on a trouvé un coin de sable où la foule est un peu moins grande et on s’installe le plat sur les genoux. Je lui propose de goûter elle rit en me regardant. “Depuis quand tu poses la question ? Si c’est encore ouvert après le feu on pourra toujours aller goûter d’autres choses. » Je la regarde piquer dans mon plat avec un sourire. « Alors par rapport au tien ? » Je pique dans son plat à mon tour. « Hmm c’est pas mal ! » Je crois même que je préfère son plat au mien. « Oui on pourra aller se chercher un dessert ! » Le sucré avait toujours été ce qu’on préférait après tout. Je reste un instant silencieux en la regardant. « Du coup tu as rencontré de nouvelles personnes ? Comment elles sont ? » Mais j’ai peur en réalité qu’elle me parle d’un il et même si mon visage est ouvert, mon cœur lui se serre un peu.

« Ah oui ? » Je hoche simplement la tête, je ne pense pas qu’il soit prêt à l’entendre à cet instant, mais j’ai beaucoup de mal à garder le secret face à lui. On s’est promis de ne plus se mentir, et pourtant, je n’ose pas lui dire la vérité. On marche, on tourne, et surtout, on trouve le stand parfait pour pouvoir manger avant que le feu d’artifice ne commence. Le sujet de la nourriture chinoise est bien plus léger que ce qu’on a pu aborder il y a de longues minutes déjà, d’heures peut-être ? Je ne sais même plus depuis combien de temps on est ici, j’ai l’impression que la course de bateaux était il y a des jours.

« Alors par rapport au tien ? » J’avale ma bouchée avant de sourire et de taper contre son épaule lorsqu’il décide de me voler une partie de mon plat à moi aussi. “Je préfère presque le tien.” C’est toujours meilleur quand c’est dans l’assiette de Pete. « Hmm c’est pas mal ! » “T’as mangé la moitié !” Que je râle en riant et en me retournant pour qu’il n’ait plus aucun accès à mon plat. « Oui on pourra aller se chercher un dessert ! » Je hoche la tête, je ne dis jamais non à un peu plus de sucre dans mon organisme. “Un seul ?” J’essaie de le rendre joyeux et de le faire rire, espérant que mes efforts ne seront pas vain à la fin de cette longue soirée.

« Du coup tu as rencontré de nouvelles personnes ? Comment elles sont ? » Bien évidemment il revient sur ce sujet, et je ne m’imagine pas lui mentir plus longtemps. J’évite son regard et il sait très bien ce que ça veut dire. J’ai peur de le blesser, alors je n’ose pas, je tâte le terrain, j’attends encore quelques secondes de plus avant de me décider à lui parler. “C’est un client du refuge… j’ai soigné son chien et après on s’est revu quelques fois.” Je minimise, parce que, encore une fois, je ne veux pas le faire souffrir.

C’est plus simple de parler de nourriture. Plus simple de prétendre que tout va bien et que tout est normal entre nous. Je serais capable de parler de nouilles chinoises jusqu’à la fin de la soirée pour ne pas avoir à parler de moi et de tout ce qui ne va pas. Je me suis déjà bien trop ouvert, bien plus que je ne l’ai fait jusqu’ici. Elle tape mon épaule, lorsque je lui pique une bouchée de son plat. « Bah quoi ?! » mon air est innocent, mon regard malicieux. “Je préfère presque le tien.” Je pense la même chose et sûrement parce que l’assiette des autres sera toujours meilleure. « T’as mangé la moitié ! » Elle râle, se tournant avec son plat pour que je ne puisse plus y planter ma fourchette. « C’est pas vraiii ! » Et juste comme ça on est dix ans en arrière et tout me semble plus simple. On parle de notre futur dessert. « Un seul ? » qu’elle me dit « Non au moins DIX ! » que je réplique le regard un peu plus brillant.

On aurait peut-être dû parler de nouilles et de dessert jusqu’à la fin des temps. Peut-être que ça aurait été plus simple. Peut être que je n’aurais pas dû poser la question. Dès l’instant où son sourire disparait un peu où son regard est fuyant, je peux deviner la réponse. “C’est un client du refuge… j’ai soigné son chien et après on s’est revu quelques fois.” Il est là l’homme qui lui redonne un peu de sa joie de vivre. Un plus grand sourire apparait sur mon visage, mon regard se fait plus joyeux et la comédie commence avec facilité, tout pour cacher ce que je ressens. « Ah ! C’est cool, il s’appelle comment ? Vous vous entendez bien ? »

Arrête de poser des questions, dont tu ne veux pas savoir la réponse. Arrête de prétendre que tout bien. J’en suis incapable, alors je prétends que je suis heureux pour elle, parce que je dois l’être, parce que ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne retrouve quelqu’un. Alors pourquoi est ce que ce ça fait aussi mal ?

« Bah quoi ?! » On rit, on s’amuse et c’est pour ces moments-là que j’aime passer du temps avec lui. Pour ces moments où on a l’air de deux enfants, et où on rit sans penser à tout ce qui nous entoure. « C’est pas vraiii ! » “Siiiiii” Je chouine en me tournant complètement pour qu’il ne puisse plus atteindre mon assiette. Je meurs de faim et il sait très bien que je n’aurais aucun scrupule à faire la moue pour qu’il me donne tout ce qui lui restera de son plat. « Non au moins DIX ! » Je hoche vigoureusement la tête, je suis ravie qu’il accepte le fait qu’on risque encore de faire une overdose de sucre pendant cette longue soirée. Le ciel est de plus en plus noir, ça annonce que le feu d’artifice se rapproche un peu plus à chaque minute qui passe.

« Ah ! C’est cool, il s’appelle comment ? Vous vous entendez bien ? » Il devrait arrêter de poser des questions sur ce sujet là, parce qu’il sait que je ne lui mentirai pas. Je croise son regard, je me dois d’être complètement honnête avec le jeune homme. On se l’est promis il y a quelques jours, et il a dit qu’on allait être obligé de se parler de ce qui allait se passer dans nos vies amoureuses. “Il s’appelle Finnley.” Je ne pense pas qu’ils se connaissent déjà, je ne l’espère pas en tout cas. “On s’entend bien, on se voit souvent ces derniers temps…” Et après chaque soirée je l’apprécie un peu plus. Je ne sais pas ce qu’il en est pour le roux, mais moi, je ne veux pas me faire des films, et surtout, je n’ai aucune envie de réfléchir à tout ce qui m’entoure. J’ai envie de laisser les choses se faire, de voir où tout ça peut nous mener. “Et toi ?” Est ce que lui aussi commence à réellement essayer de passer à autre chose ?

« Siiiii » on est deux enfants à se battre pour de la nourriture, à piquer dans l’assiette de l’un puis de l’autre le sourire aux lèvres.

Elle aurait pu me parler de nouvelles personnes au pluriel, de nouveaux amis qu’elle a rencontré et découvert. Mais elle ne parle que d’un il. Si la nouvelle personne est singulière et masculine je comprends qu’en réalité ce n’est sûrement pas juste un ami. Alors mon sourire s’agrandit, je me force à être heureux pour elle malgré mon cœur qui se serre, malgré la tension qui habite mes muscles et la jalousie qui s’insinue lentement. Molly et moi ne sommes plus ensemble. C’est terminé et il va être temps de l’accepter. « Il s’appelle Finnley. » Finnley. J’articule les syllabes dans mon esprit, me contentant d’hocher la tête pour qu’elle en dise plus alors qu’au fond j’aimerais qu’elle ne m’en parle plus jamais. “On s’entend bien, on se voit souvent ces derniers temps…”

Il est celui qui lui donne un peu plus de gaité ces derniers jours alors je me contente de lui dire doucement. « C’est cool. Je suis content pour toi ». Si seulement c’était vrai. Si seulement je le pensais totalement. Peut-être qu’il y a une part de moi qui le pense, qui a véritablement envie qu’elle soit heureuse, mais la part plus égoïste elle, aimerait qu’elle ne se rapproche de personne d’autre que moi. Il est temps de faire taire cette partie de moi alors je l’écrase. Je l’écrase d’un sourire, je fuis le regard de Molly pour me concentrer sur le ciel qui est de plus en plus noir. « Et toi ? » Je la regarde et j’hausse les épaules nonchalant. « Tu sais bien que je ne me pose pas pas. » Non je batifole, je cours après l’inatteignable, je cherche le désir et fuis l’amour, je refuse de m’attacher et de prendre le risque d’être blessé. Si j’enchaîne les conquêtes, aucune ne reste assez longtemps pour que je ne me souvienne de leur nom.

Enfin le feu d’artifice démarre et il est le seul témoin de la tristesse présente dans mon regard alors que je regarde vers le ciel.