Samedi 30 janvier.


La chute est arrivée vite. Sans prévenir, sans que je ne m’en rende compte.

C’est ce que j’aurais sans doute dit en tous cas si on me l’avait demandé.

Pourtant la chute dure depuis des jours, des semaines, voir des mois, si ce n’est des années. Chaque verre de plus m’y emmenant un peu plus, chaque mot prononcé creusant le précipice. Et si cette dernière semaine aura été l’apogée, la chute libre et rapide, je me suis contenté de décrocher le parachute qui me ralentissait, de foncer tête baissée vers le bas. Je n’ai pas le souvenir de beaucoup de choses de ces derniers jours. Maxence sur la plage m’avait montré une autre voie. Poser la bière que j’avais dans les mains et ne pas continuer ce chemin. C’est ce que j’aurais pu faire et pourtant dès l’instant où j’étais parti, je m’étais contenté d’aller ouvrir une nouvelle bouteille.  

Je suis assis par terre dans une chambre d’hôtel que j’ai prise à défaut de vouloir rentrer chez moi dans cette villa qui n’est pas la mienne. Je ne peux pas qu’on me voit comme ça. Je veux pouvoir voir sans que personne ne m’arrête et je sais pertinemment que Dylane m’arrêterait. Alors je fuis cette villa, je fuis mes amis, je fuis ma famille et je me réfugie dans cette chambre pour me noyer un peu plus.  

Ca ira mieux demain que j’essaye de me dire alors que mon corps est tremblant, la respiration difficile, mon cœur serré par l’angoisse et par une douleur qui n’a pas de cause tangible. « Ca ira mieux demain. » Que je me répète à voix haute en m’allumant une cigarette malgré l’interdiction de fumer. « Ca ira mieux demain » que je dis pour la énième fois ma vision brouillée de larme en repensant à la semaine qui vient de s’écouler.

Mais ça n’ira pas mieux aujourd’hui ou demain. Ca n’ira pas mieux parce que j’ai tout foiré, parce que j’ai tout détruit en l’espace de quelques jours. Ca n’ira pas mieux parce que je ne sais pas comment ma sœur me pardonnera ou comment mes amis me pardonneront. Ca n’ira pas mieux parce qu’au-delà de l’alcool que je suis en train de boire, je ne suis pas heureux et je ne sais pas si je l’ai déjà été.

Je suis seul dans cette chambre d’hôtel et la solitude m’angoisse, me terrifie. Je replis mes genoux contre mon corps, entourant mes jambes de mes bras comme si j’essayais de me réconforter, de me rassurer. « Ca ira mieux demain. »  Mais je n’y crois plus une seule seconde.  Je réalise alors que je préfère tout oublier, tout effacer.  Je bois une nouvelle gorgée.

C’est pas la peine de venir vers moi c’est terminé.
Entre nous c’est pas possible.
T’as toujours été qu’une distraction Pete.

Je cherche le numéro de Molly sur mon téléphone, sans réellement savoir pourquoi. Elle ne répond pas.

T’es qu’une vermine Mulligan, elle voudra jamais de toi.
T’es pitoyable. J’ai honte.
L’alcool va détruire ta vie.

J’attrape la bouteille de vodka pour boire une nouvelle gorgée avant de taper une nouvelle fois le numéro de Molly, ma vision brouillée de larmes. « Répond Molly. »  Ma gorge se serre et j’ai l’impression d’être incapable de respirer.

T’es juste un putain d’égoiste.
T’es irrécupérable.
T’es une déception de plus.
Tu me dégoutes.


Je me dis qu’elle est avec Finn. Je me dis qu’elle est heureuse quelque part sans moi, que je ne lui ai apporté que du malheur. Elle ne répond toujours pas et mon cœur est secoué de tremblement que je n’arrive pas à calmer.

T’es une déception pour tout le monde même pour ta propre famille.
Tu pouvais pas tomber plus bas.
T’es un moins que rien.
T’es qu’un déchet.
Tu les mérites pas.
Tu mérites pas de porter leur nom.
La seule erreur ici c’est toi Pete.

Elle décroche. Silence. Je pose ma main sur mes lèvres comme pour étouffer un gémissement de douleur. Les larmes coulent. Je réalise que je l’appelle mais que je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Je l’ai appelée elle parce qu’elle est la seule personne qui a toujours su me rendre le sourire. Je l’ai appelée elle, parce qu’elle m’a serrée dans ses bras le jour de la fête nationale et m’a promis que tout finirait par s’arranger.  « Molly ? »  Ma voix se brise. « Je te dérange pas ? » Ma main se repose sur ma bouche pour étouffer ma respiration haletante alors que je suis incapable de réfléchir.


@Molly Oakheart  

Je suis épuisée aujourd’hui, je n’ai pas arrêté de courir au travail, entre le refuge et le lonepine. J’ai même pu passer à l’hôpital pour passer quelques heures avec les enfants. Et je me suis endormie sur le canapé en rentrant. Je suis enroulée dans un plaid, et je me suis endormie pendant près d’une heure. Lorsque j’ai fini par ouvrir les yeux, Finn m’avait invité à passer la soirée avec lui. J’ai souris comme une enfant de mon téléphone, comme s’il arrivait à m’apporter de plus en plus de bonheur. Mais ce ne sont que des soirées entre amis, je ne veux pas imaginer quoi que ce soit, je ne veux pas croire qu’il me porte autant d’intérêt que moi je lui en donne. On passe de bons moments, et je veux seulement profiter de ces petites bulles de bonheur sans me poser plus de questions. On doit passer à autre chose, on l’a dit avec Pete, et c’est ce que je fais lentement.

J’ai passé une belle soirée, mais je ne pouvais pas rentrer tard. Je sais qu’une longue journée m’attend le lendemain au refuge, et je ne peux pas me permettre d’être fatiguée. Pete m’a appelé une fois, et je n’ai pas répondu, je me suis dit que ce soir, il pourrait se débrouiller sans moi. C’est quand je suis arrivée devant mon appartement, au moment de dire au revoir au roux que j’ai commencé à m’inquiéter. J’avais 6 appels manqués, et il ne s’arrêtait pas. Alors j’ai laissé Finn devant la porte et j’ai décroché, sans même vraiment y réfléchir. « Molly ? » Sa voix est étranglée, il pleure, j’en suis certaine. Je déglutis, osant à peine lui répondre. “Tout va bien ?” Je pose la question mais je connais déjà la réponse. Je monte les marches et attrape les clefs de ma voiture, je ne sais pas où il est, mais je ne compte pas le laisser seul dans cet état là. “T’es où ?” Je n’attends même pas qu’il réponde à la première question, je veux seulement pouvoir m’assurer directement qu’il n’est pas sur le point de mourir. « Je te dérange pas ? » “Bien sûr que non.” Je déglutis, n’osant pas lui dire avec qui j’étais il y a encore quelques minutes. Je ne peux pas m’en vouloir de sortir, et pourtant, j’ai l’impression que c’est de ma faute s’il est dans cet état là. “T’as beaucoup bu ?” Là encore je connais la réponse, je sais qu’il est possible qu’il ne me dise pas la vérité. “Pas de mensonge.” Je garde mon téléphone collé à mon oreille, je ne veux pas qu’il raccroche, j’ai besoin de m’assurer qu’il ne fasse pas de bêtises.

Je suis assis au sol, pantin désarticulé, tentant de retrouver une respiration normale, les larmes roulant abondamment sur mes joues,  les jambes repliés contre moi comme si j’essayais de me rassurer. Les cadavres de bouteilles jonchent le sol, j’ai déjà bien trop bu au point où je ne suis pas certain du déroulement de la soirée, au point où je suis uniquement conscient de cet instant où je suis assailli de toutes ces pensées négatives qui me rongent depuis des jours. Je n’arrive pas à voir autre chose que le regard déçu de ma sœur et de ma famille, je n’arrive pas à oublier les mots prononcés par Mia et plus j’y pense plus je réalise à quel point elles ont dit vrai. Molly est la seule personne qui me vient à l’esprit parce qu’elle aura été une lumière dans un océan de pensée bien trop sombre. Alors j’ai réussi à la trouver dans mes contacts, à l’appeler, cherchant à entendre sa voix et à me rassurer.

« Tout va bien ? » Je ne réponds rien, ma respiration difficile, une main toujours sur ma bouche dans l’espoir de ne pas laisser entendre les sanglots qui menacent de passer la barrière de mes lèvres. « Oui… »  Non, rien ne va depuis des jours, voir des semaines, si ce n’est pas des mois.  Je porte la bouteille à mes lèvres pour boire une gorgée de plus. « T’es où ? » Là non plus elle n’aura pas de réponse, je ne veux pas qu’elle vienne, je ne veux pas qu’elle me voit ainsi. J’ai simplement envie d’entendre le son de sa voix.  « Bien sûr que non. » répond-t-elle quand je lui demande si je dérange. « Je veux pas te déranger… Je…ve-veux, pas-pas te…gâcher la soirée. » J’ai dû mal à parler, dû mal à formuler des phrases dans mon cerveau. « T’as beaucoup bu ? »  Je secoue la tête alors qu’elle n’est pas là pour me voir, il aurait suffi d’un regard pour se rendre compte de mon état et de quelques mots pour comprendre à que mes paroles sont décousues. « j’voulais..j’voulais… »  Tu voulais quoi Peter ? Lui parler ? Lui dire quoi ?  « Pas de mensonge. » Un sanglot passe la barrière de mes lèvres sans que je ne le contrôle. « Oui. » Oui j’ai bien trop bu. Mes paroles sont décousues et si dans mon esprit j’ai l’impression de répondre à ses questions dans le bon ordre, je ne me rends pas compte que les phrases ne s’enchaînent pas de la bonne manière. « Je suis désolé Molly…je suis tellement désolé.. »  Je suis désolé d’être moi, désolé de l’avoir fait souffrir pendant des années, désolé de lui gâcher sa soirée, désolé d’être incapable de la laisser tranquille, désolé d’avoir besoin d’elle. « J’veux pas… » Chaque mot est difficile, chaque respiration plus compliquée que la précédente. Je ne me rends pas compte des secondes qui s’étirent entre mes phrases. « J’veux pas te déranger. » Ma tête me tourne, je tente de m’allumer une cigarette, posant la bouteille, gardant le téléphone, mais d’une main je suis incapable de quoique ce soit et la cigarette roule sur le parquet de la chambre. « Ils ont raison tu sais. » je souffle. « Je suis un putain de déchet. »





@Molly Oakheart  

Cette soirée se passait bien, je rentrais chez moi en souriant jusqu’à ce que j’entende la voix de Pete à l’autre bout du fil. J’étais prête à aller me coucher, mais je ne compte pas le laisser tomber. Il ne va pas bien, je l’entends rien qu’à sa respiration saccadée. Je me demande comment je vais bien pouvoir le rejoindre, comment je peux l’aider alors que j’ai l’impression que cette fois il touche le fond. « Oui… » Je n’y crois pas une seule seconde, mais je ne relève pas. Il ne veut pas m’inquiéter, ce qu’il ne sait pas c’est que c’est trop tard, et que je serais prête à faire des heures de route pour aller l’aider. « Je veux pas te déranger… Je…ve-veux, pas-pas te…gâcher la soirée. » “Pete arrête, tu me déranges pas, dis moi où tu es.” Je ne lui dirai pas ce qu’il s’est passé ce soir, je ne m’intéresse qu’à lui.

j’voulais..j’voulais… » Je m’inquiète, il ne trouve pas les mots, je sens sa voix alcoolisée, et j’ai l’impression que c’est bien plus grave qu’on ne pourrait l’imaginer. « Oui. » Je ne comprends pas tout. “Oui quoi ?” Je dois capter son attention, je dois le garder au bout du fil, plus le temps passe plus je panique. « Je suis désolé Molly…je suis tellement désolé.. » Il s’excuse encore et je le laisse parler, je ne sais toujours pas où il est et je ne sais pas comment je vais bien pouvoir aller le rejoindre. “Je sais Pete…” Je sais qu’il est sincère cette fois, et qu’il comprend enfin tout ce qu’il m’a fait vivre pendant des années. « J’veux pas… J’veux pas te déranger. » “Je veux venir te voir.” Je ne lui laisse pas vraiment le choix, il faut qu’il veuille que je l’aide, je ne suis pas prête à le perdre. « Ils ont raison tu sais. Je suis un putain de déchet. » J’ai les larmes aux yeux, il ne peut pas se sentir aussi mal, il ne peut pas me dire des choses comme ça. “Je pense pas ça Pete, je suis là moi.” Et j’aimerais que ça lui suffise. “S’il te plaît laisse moi venir te voir.” Je reste accrochée au téléphone et je me dirige vers ma voiture, direction la maison de Pete.

« Pete arrête, tu me déranges pas dis, moi où tu es. » Mais  je ne peux pas lui dire,  elle ne peut pas me voir comme ça.  Pas dans cet état, pas encore une fois. Je dois apprendre à arrêter de dépendre d’elle et pourtant alors que tout va mal c’est elle que j’appelle. « Chez moi… » Un mensonge de plus. Une promesse brisée de plus. Je lui ai dis que je ne mentirais plus et pourtant addosé au lit de cette chambre d’hotel, je préfère mentir plutôt que d’être honnête, serrant la bouteille contre moi comme seul réconfort. « T’étais…..avec Finn ? » je demande en déglutissant difficilement.

Elle ne me dirait jamais que je la dérange mais au fond je sais que c’est le cas. Les pensées se mêlent et se mélangent dans mon esprit qui me semble engourdi.  J’étouffe un sanglot dans le creux de ma main, j’aimerais tenter de lui expliquer.  Je me confonds en excuses à la place, mes phrases perdant leur sens. « Je sais Pete… » Elle sait mais cela ne suffira jamais parce qu’au fond elle aussi je l’ai perdue depuis des mois, voir des années en réalité.  Elle sait mais elle ne pourra pas véritablement pardonner, pas entièrement, ça j’en suis persuadé.  Ce n’est pas le pardon que je cherche ce soir, moi qui suis rongé par le sentiment d’être un moins que rien. Non, c’est peut-être simplement de me raccrocher au son de sa voix alors que la panique laisse petit à petit place à un engourdissement.  « Je veux venir te voir. » Je ne réponds rien, laissant mes pensées dériver inévitablement vers tous ces voix qui raisonnent dans ma tête et qui me rappellent combien j’ai foiré.  

Un putain de déchet, c’est tout ce que je suis actuellement, ayant choisi de leur donner raison, d’accepter que c’est là que l’alcool me mènerait inévitablement.  « Je pense pas ça Pete, je suis là moi. »  Mais elle n’est pas là, pas vraiment et cela ne suffit pas et n’a jamais suffi. Même avec elle je n’ai jamais su arrêter de boire, je n’ai jamais su l’aimer comme j’aurais dû l’aimer et au fond je n’ai jamais su véritablement être heureux, préférant les illusions et le bonheur fictif de nouvelles aventures qui me porteraient ailleurs. « Tu de--devrais le penser. Tu devrais...après tout ce que je t’ai fait. » J’ai dû mal à articuler les mots et je dois être difficile à comprendre, la bouche pâteuse. « S’il te plait laisse-moi venir te voir. » « Ca sert à rien. » Ca sert à rien parce que je n’y suis pas, ça ne sert à rien parce que ça ne changera rien.  Un sanglot s’échappe de mes lèvres sans que je n’arrive à l’étouffer, je bois une gorgée de plus pour la peine, comme si je pouvais le noyer. « Je sers à rien. » A rien à part faire souffrir ma famille, à rien à part être un égoïste qui ne pense qu’à lui. « Je sers à rien depuis le départ. » C’était bien pour ça que mes parents biologiques m’avaient abandonné après tout ? Et comme l’avait si bien dit Mia, je ne méritais pas de porter le nom de ma famille adoptive non plus.  « Je…fais…..que… » je respire trop lentement, les secondes passent au ralenti et mes paroles sont entrecoupées de longs silences « faire…souffrir les gens. » dis-je douloureusement. « J’suis fatigué Molly… » je souffle en fermant les yeux. « Vraiment fatigué. »

« T’étais…..avec Finn ? » Je déglutis, je ne sais pas si je dois répondre à cette question. Il va mal mais on s’est promis de ne plus se mentir. “Il y a quelques heures… je t’ai dit que tu me dérangeais pas.” Ce n’est pas un vrai mensonge, il y a seulement le mot heures qui aurait dû être remplacé par minutes. « Tu de--devrais le penser. Tu devrais...après tout ce que je t’ai fait. » Sa voix est saccadée, et j’ai de plus en plus de mal à comprendre ce qu’il dit et ce qui peut lui arriver. “Je t’ai pardonné Pete, faut que tu l’acceptes.” Parce que finalement, c’est lui qui a du mal à accepter le fait que je sois capable de lui pardonner ses actes. Je n’ai pas envie de lui en vouloir, je n’ai pas envie de passer à côté de ce lien et de cette amitié qu’on pourrait créer tous les deux. C’est du passé, et je n’ai pas envie de lui faire des reproches.

Il est chez lui, je ne sais pas si je dois le croire mais je suis déjà dans ma voiture. Il n’y a pas de temps à perdre, et je suis terrifiée à l’idée qu’il soit en train de faire une bêtise. « Ca sert à rien. » Je ferme les yeux une seconde et je démarre, je ne vais pouvoir quitter la conversation, alors je le met en haut parleur pour être sûre de ne pas être arrêtée par la police. « Je sers à rien. » Je déteste qu’il dise une chose pareille, je pince les lèvres et je ne réponds pas. Je sais qu’il ne prendra pas compte de ce que je peux lui dire. « Je sers à rien depuis le départ. » “Arrête Pete…” Je ne peux pas retenir ces quelques mots, je déglutis, et je sens que j’ai les larmes aux yeux.

J’arrive devant chez lui « Je…fais…..que… » Il n’arrive plus à parler, et je me demande ce qu’il a bien pu faire ou prendre. “J’arrive.” La porte de chez lui est ouverte malgré le fait que la maison semble complètement vide. Je l’appelle, et je cours vers sa chambre, il n’y a personne. Il n’est pas là et il m’a menti, maintenant, je n’ai aucune idée de l’endroit où je pourrais le trouver. « faire…souffrir les gens. » Je sens qu’il s’en veut beaucoup. « J’suis fatigué Molly… » Je n’aime pas ce qu’il dit. “T’endors pas…” Mon cerveau bouillonne, et je me demande comment je peux le retrouver. J’angoisse, et j’ai l’impression de ne pas réfléchir assez vite. Sa localisation, et mon regard se porte immédiatement sur mon téléphone. « Vraiment fatigué. » “Reste au téléphone avec moi Pete.” C’est plus un ordre qu’autre chose, et j’espère qu’il va m’écouter. Il a l’air d’être dans un hôtel et je me demande si c’est vraiment possible, ou si mon téléphone m’induit en erreur. Mais je n’ai pas le choix, et je me dirige vers l’adresse indiquée, en essayant d’attirer son attention.

« Il y a quelques heures… je t’ai dit que tu me dérangeais pas. » Elle était avec Finn quand je l’ai appelé à plusieurs reprises, quand je l’ai dérangée avec mes problèmes. Je n’aurais pas dû l’appeler et pourtant j’aurais été incapable de ne pas le faire ce soir.  Ses mots n’arrivent pas à me convaincre malgré son honnêteté malgré l’absence de mensonges. « Je t’ai pardonné Pete, faut que tu l’acceptes. » Mais je n’ai jamais su l’accepter, tout simplement parce que je ne me suis pas pardonné, j’ai agi comme un con avec elle pendant des années et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même si aujourd’hui nous sommes sur des voies différentes, deux lignes parallèles qui ne sont plus vouées à se croiser.  

Je ne devrais pas dire ça. Pourtant je me rends compte que je pense chaque mot que je prononce pour la première fois à voix haute.  Ce soir j’ai l’impression d’être un moins que rien, ce moins que rien que ma famille et mes amis ont dépeint. Ce soir je sais qu’ils ont raison et le dire à voix haut n’aide en rien à me sentir mieux. « Arrête Pete… » Je l’entends le tremblement de sa voix, les larmes qui doivent briller dans ses yeux, mais je me sens déjà loin, fatigué, les mots difficiles à prononcer.  “J’arrive.”  Elle arrive mais je ne suis pas chez moi,  et mes yeux se ferment alors que je m’appuie un peu plus en arrière. Cinq minutes. Je veux juste me reposer cinq minutes.   “T’endors pas…”  Ouvrir les yeux me semble bien trop difficile. « Reste au téléphone avec moi Pete. » « D’accord. » je murmure.


Je ne me sens pas glisser. Si je garde le téléphone dans ma main contre mon oreille, il n’y plus aucun mot qui est prononcé. Ma respiration ralentit, difficile et de plus en plus compliquée. Mon esprit est ailleurs. Je me laisse glisser sur le sol car ma tête tourne.  Je n’ai l’intention de fermer  les yeux qu’un instant, une seconde ou deux, une minutes ou deux pour me reposer, pour que ma tête arrête de tourner, la bouteille se renverse, le peu de vodka restante se déversant sur le sol.  Ma main finit par se relâcher sans que je ne m’en rende comptes,  le téléphone finissant non loin de moi.

Elle est loin Molly, sûrement chez moi à présent.  Elle ne viendra pas ici.  Elle a beau être à l’autre bout du fil,  juste avant de perdre conscience je me sens terriblement seul.

***

La route est longue entre la villa de Dylane Bradford et cet hôtel en plein centre-ville. Des routes sont en travaux. Le traffic plus important que d’habitude.  Dans cette chambre jonchée de bouteille de d’alcool, il n’y a que le corps de l’homme, de ce gamin, allongé dans une marre d’alcool. Il est inconscient et bientôt on ne pourra plus le réveiller. Son corps rejette le trop d’alcool et le vomissement cause l’étouffement sans même qu’il ne soit conscient du fait qu’il est en train de mourir.

Il est trop jeune pour mourir. Il est trop joyeux pour être aussi si triste. Trop entouré pour être aussi seul.

Il est alcoolique et dans quelques minutes c’est l’arrêt de sa respiration qui causera l’arrêt cardiaque.





@Molly Oakheart  

Je suis terrifiée, je ne veux pas qu’il meurt, je ne veux pas qu’il se fasse du mal de cette manière. Il boit parce qu’il est triste, et je suis incapable de l’aider à aller mieux. J’essaie de lui parler, de garder son attention. Je ne sais pas ce qu’il se passe, je sais seulement qu’il m’a menti et qu’en réalité il n’est pas chez lui. Je ne comprends pas ce qu’il veut, est ce qu’il veut vraiment mourir ? Je ne l’accepte pas. C’est égoïste, et je ne le suis pas souvent. Mais ce soir, je n’accepte pas qu’il puisse disparaître et m’abandonner de cette manière. « D’accord. » C’est un murmure, j’ai beau le relancer et lui poser des questions plus rien ne va, il ne me répond plus. Je roule le plus vite possible, je ne fais attention ni à la circulation ni aux gens qui m’entourent.

Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais ça a raccroché et il ne répond plus. J’angoisse, et je fonctionne tel un robot. Je réfléchis, j’agis, exactement comme je le fais quand je suis avec les pompiers. Je ne mets pas d’affect, et je préfère ne plus penser à l’état dans lequel il pourrait être. J’arrive à l’hôtel, et je ne sais pas combien de fois je supplie la réceptionniste de me donner le numéro de la chambre de Pete et de l’ouvrir. Ce qu’elle finit par faire, sentant qu’il est vraiment en danger. La porte s’ouvre sur le spectacle que je n’arriverai sûrement jamais à effacer de ma mémoire. Je vais vers lui, je pose mes genoux et je l’aide à lever la tête, il est en train de s’étouffer et il respire à peine. Les seuls mots qui sortent de ma bouche sont qu’il faut appeler les urgences le plus vite possible. Mes vêtements sont pleins d’alcool et de vomi, mais je m’en fiche. La seule chose qui m’importe à cet instant, c’est la vie de Pete.