| Nothing aches like a broken heart. (Malleen) |
| | (#)Ven 29 Jan 2021 - 13:45 | |
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“How long have you been dating him?” “I haven’t, this was gonna be the first time!” “And when were you planning on telling me about this? On your wedding?” “No! Well… At the rehearsal dinner at least…” “He’s my teacher!” “I know!” *
Un mug de thé brûlant à la main, Colleen grimaça et remonta le plaid jusqu’à son menton, le regard rivé sur la télévision. En son for intérieur, elle savait qu’elle devrait probablement l’éteindre immédiatement, que les similitudes entre la scène fictive qui se jouait à l’écran entre Lorelai Gilmore et sa fille Rory et ce qu’elle avait elle-même vécu avec Lou récemment étaient bien trop douloureuses à supporter. Pourtant, elle ne pouvait s’y résoudre. C’était comme une torture qu’elle s’imposait, mais sa curiosité l’empêchait d’y mettre un terme.
“Are you mad?” “Yes!” “Right. Because I’m dating him?” “Because you lied to me!” “I kept information from you…” “Information that I should’ve had!” *
Colleen n’avait jamais regardé Gilmore Girls auparavant. Ce n’était pas tant qu’elle snobait les séries américaines par esprit patriotique lorsqu’elle vivait encore à Londres, mais plutôt qu’il y avait suffisamment de bons shows britanniques pour qu’elle ne ressente pas le besoin de découvrir ceux réalisés outre-Atlantique. Toutefois, sa curiosité avait été piquée au vif quand l’algorithme de Netflix lui avait proposé le show et qu’elle avait découvert le synopsis, mettant à l’honneur une relation mère/fille peu banale. Peut-être qu’inconsciemment elle s’était imaginée que la fiction comblerait le trou béant que l’absence de sa fille avait creusé dans son cœur ; que, d’une certaine manière, elle pourrait vivre par procuration. Ou peut-être aussi qu’elle avait des penchants masochistes insoupçonnés… Toujours était-il qu’elle avait lancé le programme sans trop y réfléchir, et qu’elle s’était rapidement prise d’affection pour le duo mère/fille. La complicité des deux personnages n’était pas sans lui rappeler celle qu’elle avait toujours ressentie avec Lou, et pourtant à bien d’autres égards, les points communs qu’elle partageait elle-même avec Lorelai Gilmore s’arrêtaient probablement à quelques caractéristiques physiques communes – cheveux bruns, regard clair et grande taille – car elle n’aurait pu être plus différente du personnage incarné par Lauren Graham… Du moins, jusqu’à ce que ledit personnage s’emmourache du professeur de sa fille et que soudain, la fiction devienne plus difficile à visionner pour Colleen.
“I mean, there’s a million guys in this world and you end up with Mr. Medina.” “You think I don’t get the weirdness factor? Believe me, the last thing I intended to do was date your teacher!” *
Et soudain, c’en fut trop. La gorge serrée, Colleen saisit la télécommande et appuya d’un coup sec sur le bouton off pour éteindre la télévision. Elle sentit le regard de Marius peser sur elle, mais détourna le visage pour éviter qu’il ne voie son expression. D’un geste un peu brusque, elle porta le mug de thé à ses lèvres et en but une longue gorgée, le liquide lui brûlant la langue et lui piquant les yeux. Puis elle se pencha vers la table basse, posa le mug et récupéra le roman qu’elle y avait laissé, avant de resserrer l’étreinte du plaid autour de son corps et de s’enfoncer de nouveau dans le canapé. A ses côtés, Marius, qui était manifestement plongé dans sa lecture, resta silencieux et elle lui en fut reconnaissante : elle n’avait pas la moindre envie de revenir sur le sujet. Les sourcils froncés, elle lut un paragraphe avant de réaliser qu’elle n’en avait pas saisi un traître mot, son cerveau tournant à plein régime et son esprit à mille lieux de sa lecture. Elle soupira puis retenta l’expérience, qui tourna encore une fois au fiasco au bout de quelques secondes. Peu importait sa détermination et tous les efforts qu’elle entreprenait pour se concentrer, elle n’y arrivait pas. La scène avait ravivé sa souffrance. Cela faisait des semaines qu’elle n’avait pas vu Lou, des semaines qu’elle ne lui avait pas adressé la parole. Quand elle l’avait quittée la dernière fois, elle lui avait promis de lui laisser suffisamment de temps et d’espace pour accepter la situation. Et même si c’était difficile, même si elle mourrait d’envie de retourner sur le campus universitaire ne serait-ce que pour l’apercevoir quelques instants, elle tenait à respecter sa promesse. C’était la moindre des choses après le mal qu’elle lui avait fait. Par respect pour sa fille, elle se devait de tenir et de ne pas faiblir. Seulement les jours s’écoulaient, les semaines s’étiraient, lentement, cruellement, et au bout du compte le constat était sans appel : Lou n’avait toujours pas trouvé la force de la pardonner. Colleen lui reconnaissait une volonté de fer doublée d’une rancune tenance mais avait espéré, naïvement sans doute, que l’amour que lui portait sa fille serait suffisamment fort pour compenser son amertume. De toute évidence elle s’était trompée, et son coeur se brisait un peu plus chaque jour à la perspective de ne pas pouvoir arranger les choses. Comment le pourrait-elle ? Elle n’avait aucun moyen de revenir en arrière, le mal était déjà fait. La balle était dans le camp de Lou ; pour sa part, elle ne pouvait qu’attendre et espérer un revirement de situation.
Quand sa quatrième tentative de lecture échoua, Colleen passa une main sur ses tempes et abandonna définitivement le livre sur l’accoudoir. Désespéré, son regard chercha alors un point d’accroche dans la pièce et se posa naturellement sur la photo de Marius et elle, encadrée sur le meuble télé. Il s’agissait d’un cliché pris lors de leur escapade sur la plaine côtière de la Sunshine Coast à l’occasion de l’anniversaire de Marius. Un sourire triste se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Elle se souvenait du week-end dans les moindres détails et pourtant appréhendait le souvenir à la manière d’un rêve ; comme si, en réalité, elle ne l’avait jamais vraiment vécu. Comme s’il était trop beau pour être vrai. Leur parenthèse au cœur des monts Glass House avait été parfaite du début à la fin, et avait atteint tous les objectifs qu’elle s’était fixés : elle leur avait permis à tous les deux de s’évader, de passer des journées entières ensemble et d’oublier le temps de quelques jours toutes leurs préoccupations. Mais surtout, la surprise avait plu à Marius, et c’était bien ce qui avait le plus compté aux yeux de Colleen. Elle avait rarement ressenti un tel bonheur de toute sa vie, et si le contact de la nature y était pour beaucoup, ce n’était rien comparé à ce que la proximité de Marius lui avait apporté. Elle en avait la certitude désormais : il était sa seconde chance au bonheur. Une chance folle, inespérée, une chance qu’elle avait encore du mal à réaliser. Elle la mesurait pleinement, toutefois, et ne prenait rien pour acquis – pour en avoir fait l’expérience, elle savait qu’elle pouvait tout perdre du jour au lendemain. Alors elle faisait de son mieux, s’évertuait à le rendre heureux de la même façon qu’il la rendait heureuse, en espérant que cela serait suffisant. Car si elle le perdait lui en plus de Lou, elle n’était pas certaine de pouvoir le supporter.
Elle réalisa qu’une larme roulait sur sa joue au moment où celle-ci glissait sur son menton, et l’écrasa d’un geste vif avant de se tourner vers Marius, qui avait surpris son geste. Troublée, elle planta son regard triste dans le sien et esquissa un sourire peu convaincant avant de lui lancer la première chose qui lui passa par la tête. « Tu as faim ? ». Elle fit mentalement la liste des ingrédients qui étaient dans le réfrigérateur, puis son visage s’illumina subitement. « Tu sais qu’en France, ils font des crêpes le 2 février ? » Marius, qui avait vécu là-bas, pouvait difficilement ignorer cette tradition – et elle comptait bien là-dessus pour faire diversion et éviter qu’il ne s’inquiète à son sujet. « Je t’avoue que je ne sais pas vraiment pourquoi, tout ce que je sais, c’est qu’il nous reste des fruits et au moins une tablette de chocolat noir pour pouvoir les accompagner… ». Rien que d’en parler et d’imaginer la délicieuse odeur qui envahirait le loft quand elle ferait chauffer la poêle lui donnait l’eau à la bouche. Et peut-être, peut-être, que la diversion fonctionnerait pour elle aussi finalement, et que sa gorge finirait pas se desserrer et l’image de Lou, par disparaître de son esprit – momentanément, du moins.
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Gilmore Girls, S01E05, Cinnamon's Wake
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| | | | (#)Dim 31 Jan 2021 - 15:38 | |
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Confortablement installé sur ton canapé, tu es plongé dans ton livre. C’est un collègue qui te l’a conseillé et tu ne regrettes pas d’avoir suivi son conseil car tu as de suite été pris dans l’histoire et cela faisait longtemps que tu n’avais pas pris autant de plaisir à lire un roman. Colleen est installée près de toi, ses pieds confortablement installés sous tes cuisses et couverte d’un plaid alors que dehors il fait plus de trente degrés. Ah le bonheur de la climatisation … Elle met à profit la télévision que tu avais acheté pour pouvoir visionner Race of Australia et que tu as gardé par la suite sans jamais vraiment l’allumer. Elle fonctionne parfaitement bien toutefois et de ce que tu as cru comprendre, elle regarde une série télévisée qui se déroule dans une petite ville et qui met en scène un duo mère-fille. Quand elle t’en a parlé, tu n’as pas fait de commentaires mais tu avais senti ton coeur se serrer et la culpabilité était revenue de plein fouet. Depuis, tu essayais de ne pas y penser. Le bruit de fond des dialogues de la série ne te dérangeaient pas pour lire, loin de là mais quand Colleen commença à s’agiter, sans vraiment s’en rendre compte, ton regard fut attiré par les images qui se succédaient à l’écran et tu restais interdit alors que la scène qui se déroulait n’était autre que la fille qui reprochait à se mère de ne pas lui avoir parlé de sa relation avec son professeur. S’il n’y avait eu que toi, tu aurais coupé la télévision dès les premières scènes qui touchaient à ce sujet qui te semblait bien trop proche de votre réalité pour que cela soit agréable à regarder. Mais Colleen n’en avait rien fait. Non, son regard était fixé sur l’écran semblant incapable de s’en détacher. Du moins jusqu’à ce que quelque chose soit trop difficile à supporter et qu’elle s’empare de la télécommande. La dispute entre la mère et la fille à l’écran raisonnait encore dans ton esprit et tu ne pus t’empêcher de te demander si certains des arguments utilisés par la fille avaient été utilisés par Marylou. Toutefois, un coup d’oeil au visage de Colleen te fit comprendre que ce n’était pas le moment d’aborder le sujet. Tu restais donc silencieux, reposant ton regard sur ton livre alors que la jeune femme attrapait le sien.
Il était trop tard pour t’y remettre cependant … Maintenant que ton cerveau s’était déconnecté, tu n’arrivais pas à penser à autre chose qu’à cette situation qui ne s’arrangeait vraiment pas. Tu avais voulu croire que le temps serait votre allier, qu’avec un peu de temps Marylou comprendrait mais ce n’était pas le cas. Cela faisait des semaines que Colleen ne l’avait pas vue et même si elle faisait comme si tout allait bien, comme si ce n’était pas si grave que cela, tu savais à quel point cela lui pesait. Le lien entre Colleen et sa fille avait toujours été très fort et tu t’étais promis de ne jamais te mettre en travers de leur chemin. Tu pensais réellement bien faire en agissant comme tu l’avais fait, en laissant à Colleen le soin de parler à sa fille de votre relation. Mais rien ne s’était passé comme prévu et désormais, Colleen ne voyait plus sa fille. Et ça, c’était de ta faute. On a essayé de te dire que non, ce n’était pas de ta faute et que tu n’y pouvais rien mais aucun des arguments avancé ne t’avait convaincu. Si tu n’étais plus là, alors Colleen pourra retrouver sa fille. Elle pourra retrouver ce sourire éclatant qui avait disparu de son visage depuis bien trop longtemps … Tu avais envie d’être égoïste, tu avais envie de garder Colleen pour toi mais au fond, tu savais que c’était impossible. Peut-être que Colleen s’était persuadée que tu pouvais lui suffire mais ce n’était qu’un leurre et elle le découvrira assez tôt. Non, Colleen avait bien plus besoin de sa fille qu’elle n’avait besoin de toi.
Tu ne relevais pas la tête alors que les soupirs qu’elle poussait à tes côtés se faisaient plus nombreux. Pourtant, tu étais incapable de te concentrer sur les mots qui se trouvaient sous tes yeux. Combien de temps encore allais-tu être égoïste Marius ? La question tournait dans ton esprit, encore et encore jusqu’à ce que tu tournes la tête et ton regard se pose sur Colleen qui était en train d’essuyer une larme qui coulait sur sa joue. Le sourire qu’elle te lança pour te rassurer eut l’effet inverse. Il ne fit que te faire comprendre qu’il était temps que tu prennes ton courage à deux mains, qu’il était temps que tu fasses ce que tu redoutais tant mais qui était l’ultime sacrifice quand on aime quelqu’un n’est-ce pas ? « Tu as faim ? Tu sais qu’en France, ils font des crêpes le 2 février ? » Ses questions te surprennent mais tu hoches machinalement la tête. Ton esprit est bien loin de la Chandeleur et des crêpes qui peuvent aller avec. « Je t’avoue que je ne sais pas vraiment pourquoi, tout ce que je sais, c’est qu’il nous reste des fruits et au moins une tablette de chocolat noir pour pouvoir les accompagner… » C’est à ton tour de te forcer à sourire et tu doutes être plus convainquant que la jeune femme. Tu fermes ton livre que tu poses sur la table basse devant toi avant de te tourner complètement vers Colleen pour lui dire : « Ce sont des traditions païennes puis Chrétiennes pour fêter le début des semailles ou la présentation de Jésus au temple. Mais de nos jours c’est plus une excuse pour manger des crêpes. » Combien de temps allais-tu gagner ainsi ? Peu de temps, bien peu de temps … Tu sentis ta gorge se serrer alors que ton regard scrutait le visage de Colleen. Depuis combien de temps ne l’avais-tu pas vue réellement sourire ? Tu aurais dû te lever, tu aurais dû l’entrainer dans la cuisine et tu l’aurais fait en temps normal mais tu savais déjà que vous ne feriez pas de crêpes aujourd’hui. « Je suis désolé Colleen. » Te retrouvas-tu à dire alors que tu laissais tes doigts glisser sur la joue où une larme s’était échouée quelques secondes plus tôt. « Je vois à quel point il est de plus en plus difficile pour toi de ne pas voir Marylou. Tu n’as pas besoin de me le dire, c’est écrit sur ton visage. » Lui dis-tu avec un petit sourire triste. « Tu ne peux pas être heureuse sans elle mais vous pouvez l’être sans moi. » Prononcer ces mots devant Colleen, dans un murmure est bien plus difficile que tu ne t’y attendais. Marylou et Colleen étaient parfaitement heureuses toutes les deux avant que tu n’arrives dans leur vie. Cette entente, elles pouvaient la retrouver. La seule chose qui les gênait, c’était toi. Ton frère aimait dire que tu aimais jouer au martyr. Non, tu n’aimais pas ça du tout. Tu préfèrerais garder Colleen contre toi, ne jamais la laisser partir mais des fois, quand c’est pour leur bien, pour qu’ils retrouvent le bonheur, laisser partir ceux que l’on aime est la meilleure manière de les aimer.
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| | | | (#)Ven 5 Fév 2021 - 10:58 | |
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Colleen n’avait pas réalisé le désespoir avec lequel son regard s’était accroché à l’écran de télévision. Comme si, à travers la fiction, elle avait espéré découvrir un meilleur dénouement que celui qui avait brisé la relation de confiance entre sa fille et elle. Peut-être que Lorelai Gilmore s’en sortirait mieux qu’elle. Peut-être qu’elle trouverait les mots justes pour apaiser la colère de sa fille, usant de son sempiternel humour et de pirouettes verbales pour lui faire prendre conscience qu’elle n’avait jamais cherché à blesser Rory, que cette attirance qu’elle ressentait à l’égard de son professeur n’était pas destinée à la faire souffrir. C’était ce que Colleen avait tenté d’expliquer à Lou, des semaines plus tôt, en vain ; la jeune fille s’était braquée et plus elle avait essayé de se justifier, plus son regard s’était durci. Mais malgré leurs similitudes saisissantes, les situations restaient différentes. Car si à l’écran Lorelai s’était confiée à sa fille avant son premier rancard avec le professeur de littérature, Colleen, elle, ne pouvait pas en dire autant. Elle n’avait pas eu le courage de lui révéler la situation avant que celle-ci ne soit cruellement exposée sur les réseaux sociaux puis dans les tabloïds. Et c’était bien là le problème. A la rigueur, Lorelai était pardonnable. Mais elle, pouvait-elle vraiment en dire autant ? Ses choix n’avaient été qu’une succession d’erreurs, et elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Le retour de bâton était justifié. Au fond Lou avait raison de lui en vouloir, son silence était tout ce qu’elle méritait. Même s’il lui brisait le cœur. Même si Colleen se raccrochait désespérément à l’hypothèse qu’un jour, peut-être, elle pourrait lui pardonner. Elle ne pouvait faire autrement ; se résoudre à l’idée que sa fille ne revienne jamais vers elle lui était insupportable.
Sentant l’émotion la rattraper, elle avait fini par éteindre la télévision et récupérer son livre afin de se changer les idées. Seulement, si le silence était revenu dans la pièce de vie dès que les dialogues s’étaient tus, son esprit, lui, était en pleine effervescence et l’empêchait de se concentrer pleinement sur sa lecture. Les questions s’y bousculaient, les remords se multipliaient. Elle aurait voulu se prendre la tête entre les mains pour faire cesser ce vacarme, mettre la musique et pousser le volume à son maximum dans l’espoir qu’elle recouvrirait ses pensées assourdissantes. Ou, à défaut, ouvrir une bouteille et espérer que l’alcool se chargerait d’éteindre le feu qui s’était déclaré dans son esprit et dans son cœur. Mais elle n’en fit rien, à part remuer dans le canapé, agitée, incapable de tenir en place, se débarrassant du livre sur l’accoudoir, repoussant le plaid dans lequel elle s’était enveloppée en quête de réconfort et dont la chaleur lui semblait désormais insupportable. Sa mâchoire se crispa, son regard s’arrêta sur le mug de thé posé sur la table basse avant de remonter lentement en direction de la photo sur le meuble télé. Rien n’y fit, cependant ; son cœur continuait de tambouriner désespérément dans sa cage thoracique, ses pensées la torturaient et sa frustration grandissait au fil des secondes qui s’égrainaient. Une larme finit par rouler sur sa joue et quand elle s’en rendit compte, elle la chassa avec agacement. Elle croisa alors le regard de Marius et tenta de masquer son trouble en contraignant ses lèvres à dessiner un sourire. Puis, se doutant qu’elle n’était pas très convaincante, elle essaya de faire diversion avec des banalités sorties de nulle part, espérant que l’évocation des crêpes et de la Chandeleur serait suffisante pour détourner son attention et le ramener à des souvenirs plus agréables. C’était naïf de sa part ; si elle avait fouillé son regard à cet instant précis, elle aurait perçu la culpabilité dans ses beaux yeux bleus et compris ce qui se tramait alors dans son esprit. Elle aurait réalisé que cette situation l’affectait bien plus qu’il ne le laissait paraître. Mais elle ne vit rien, aveuglée par sa propre douleur, concentrée sur son malheur. Quand était-elle devenue égocentrique au point d’ignorer la souffrance de ses proches ?
Le visage de Marius se fendit d’un sourire quelque peu forcé, et après avoir refermé son livre il lui révéla les origines de la Chandeleur à la manière d’un professeur qui répond aux questions de son élève : sur un ton empreint de patience. « Mmh » Acquiesça-t-elle, le regard un peu vague. « En Angleterre, on n’est pas vraiment portés sur cette tradition. Par contre on a le Pancake Day. En Australie aussi je crois ? » Elle fronça les sourcils, pas encore très au fait des traditions Australiennes. « Là-bas, c’est un peu une institution. Il y a des courses de pancakes dans les rues de Londres, les gens prennent ça au sérieux… Je me souviens que je préparais moi-même des tas de pancakes et– ». Elle s’interrompit brusquement, sur le point de mentionner Lou avant de se reprendre. Elle s’éclaircit la voix et détourna les yeux. « Bref, c’était quelque chose ». Tout compte fait, cette histoire de crêpes n’était peut-être pas la plus brillante des idées. Elle soupira d’un air las, fatiguée que ses souvenirs la ramènent sans arrêt à Lou et à sa culpabilité. Les doigts de Marius se posèrent sur son visage et elle planta ses yeux bleus voilés de tristesse dans les siens. Il lui dit être désolé. Elle s’apprêta à répliquer qu’il n’y pouvait rien, mais il poursuivit. Elle était décidément très mauvaise comédienne, en plus d’être d’une grande naïveté ; malgré son silence, il parvenait à lire en elle comme dans un livre ouvert et comprenait à quel point elle était accablée par la situation. Elle ne dit rien. Du moins, jusqu’à ce qu’il prononce la dernière phrase. Elle se figea alors, incrédule, les yeux rivés sur lui. Tu ne peux pas être heureuse sans elle mais vous pouvez l’être sans moi. Elle sentit son cœur se rétracter alors qu’elle prenait conscience du sens de ses paroles, et eut un mouvement de recul. « Ne dis pas ça » Fit-elle sur un ton plus sec qu’elle ne l’aurait voulu. Elle ne voulait pas l’entendre, c’était insensé. Il n’avait pas à culpabiliser, elle était l’unique responsable de cette situation épouvantable. « N’y pense même pas » Reprit-elle en le regardant droit dans les yeux. « Ce n’est pas vrai, je ne peux pas être heureuse sans toi. Je t’interdis de penser le contraire ». La présence de Lou lui était indispensable, et elle avait toujours juré de la faire passer avant tout le monde. Mais elle n’était pas prête à sacrifier sa relation avec Marius pour autant, ce n’était tout simplement pas une option. Car le mal était fait de toute façon. Il n’y avait aucun retour en arrière possible. Elle avait trahi la confiance de sa fille, et rien ni personne ne pouvait changer cela.
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| | | | (#)Dim 7 Fév 2021 - 21:57 | |
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Des adolescents et des jeunes adultes, tu en avais devant toi quasiment tous les jours depuis plus de quinze ans. Tu aimerais dire que cela t’a permis de mieux les comprendre, de pouvoir mieux naviguer ces individus qui te semblent si loin de toi. Pourtant, force est de constater que ce n’est pas le cas. Il n’avait pas été difficile de comprendre pourquoi Marylou avait mal pris la nouvelle de ta relation avec sa mère. Tu avais d’abord pensé que c’était le secret de cette relation qui l’avait blessée mais tu avais fini par comprendre que c’était bien plus profond que cela. Tu avais été idiot de penser que tes étudiantes ne pouvaient pas tomber amoureuse de toi. Cela te paraissait toujours complètement fou mais tu n’aurais pas dû penser que c’était irréaliste et impossible. Oh elles étaient amoureuses d’une image bien entendu parce qu’elles ne connaissaient pas l’homme qui se cachait derrière le professeur mais pour elles, si jeunes, elles ne voyaient pas la différence. Tu avais pensé, naïvement tu l’admettais, qu’en laissant le temps faire les choses, Marylou reviendrait vers sa mère et qu’après s’être expliquées, elles pourraient reprendre une relation normale, enfin, si une relation mère-fille pouvait être qualifiée ainsi. Ta naïvement continuera à te perdre apparemment car comme les fois où Alice te disait avoir croisé Tommy, tu avais refusé de voir ce qui se passait sous ton nez. Mais plus de deux mois après la parution de ces photos dans les magazines people, il était impossible de continuer à te voiler la face. La situation entre Colleen et sa fille était loin de s’être arrangée. Elle ne s’était pas empirée mais vu qu’elles ne se parlaient plus du tout, tu ne voyais pas comment cela pouvait être pire. Ce que tu voyais par contre, c’était le désespoir de Colleen et à quel point cette situation l’affectait. Oh, elle le cachait bien entendu, elle essayait en tout cas de faire comme si de rien n’était. Toi, tu essayais de la distraire, d’être là pour elle le plus possible et parce que tu aimais passer du temps avec Colleen. C’était devenu plus que nécessaire depuis votre escapade aux Glass House Mountains. Voilà pourquoi tu avais préféré vivre dans le déni jusqu’ici, parce que tu savais que ce que tu devais faire allait te rendre plus malheureux qu’autre chose.
La preuve que les choses ne s’arrangeaient pas était la scène à laquelle tu venais d’assister. La série que regardait Colleen s’était dangereusement rapprochée de la réalité, à tel point que la jolie brune avait trouvé cela insupportable. Tu la sentais agitée à tes côtés, un état dans lequel elle se trouvait de plus en plus ces derniers temps. Tu faisais ton maximum pour l’aider mais tu n’étais pas Marylou, tu ne pouvais pas aller voir sa fille pour essayer de la convaincre de quoi que ce soit, cela ne ferait qu’aggraver les choses. Tu avais veillé à ne pas être celui qui avait corrigé les travaux de la jeune femme, Joanne s’en était occupée et c’est Joanne qui sera sa professeur d’histoire de l’art l’année prochaine. C’est à regret que tu laissais filer la jeune femme qui était une excellente élève mais c’était la meilleure chose à faire, pour tout le monde. C’était d’ailleurs un miracle que tu n’aies pas encore eu la visite d’August Wells ces derniers mois … Pas que tu l’attendais avec impatience mais tu avais eu le sentiment que c’était un homme qui n’aimait pas ne pas avoir le dernier mot. Les livres que vous tenez entre les mains n’arrivent plus à attirer votre attention et Colleen, lassée d’essayer de prétendre autrement te propose de faire des crêpes. Après tout, c’est la Chandeleur n’est-ce pas ? « Mmh. En Angleterre, on n’est pas vraiment portés sur cette tradition. Par contre on a le Pancake Day. En Australie aussi je crois ? » Tu hoches la tête en guise de réponse. « Là-bas, c’est un peu une institution. Il y a des courses de pancakes dans les rues de Londres, les gens prennent ça au sérieux… Je me souviens que je préparais moi-même des tas de pancakes et– » Il ne fallait pas être un génie pour comprendre vu la mine triste de Colleen qu’elle préparait ces pancakes pour Marylou ou avec elle, un moment mère-fille aujourd’hui inimaginable. « Bref, c’était quelque chose » Tu reconnaissais à la sage-femme une force de caractère admirable. Il fallait une persévérance tenace pour continuer à faire comme si de rien n’était. Mais plus le temps passait, plus les fissures étaient visibles et tu refusais d’être la raison pour laquelle Colleen n’avait plus de relation avec sa fille. Tu ne pouvais juste pas l’imaginer. Perdu dans tes pensées, tu ne lui répondis pas. Vous saviez tous les deux qu’il n’y aurait pas de crêpes aujourd’hui ou du moins, tu le savais. Parce que tu avais longtemps hésité, tu avais été égoïste mais il était temps de capituler, du moins, de capituler momentanément. Quand tu pris la parole, tu vis d’abord que Colleen ne t’écoutait qu’à moitié. Mais ta dernière phrase fut comme un électrochoc. Son regard se plongea dans le tient et tu y lus l’incompréhension. « Ne dis pas ça » Le ton sec de Colleen te surprit. C’était une évidence pourtant non ? Dans l’équation, c’était toi le nouveau venu, c’était toi qui étais de trop n’est-ce pas ? « N’y pense même pas. Ce n’est pas vrai, je ne peux pas être heureuse sans toi. Je t’interdis de penser le contraire » Tu ne pus t’empêcher de fermer les yeux quelques secondes avant de passer ta main dans tes cheveux. Tu avais tellement envie de la croire, tu avais envie que ce soit vrai mais même si cela l’était, il n’en restait pas moins que ta présence dans la vie de Colleen était ce qui en avait éloigné Marylou et tu avais du mal à croire que Colleen ne finirait pas par t’en rendre responsable. « C’est de ma faute si Marylou refuse de venir te parler. Je … On a cru que c’était un crush d’adolescente, refusant de prendre cela au sérieux mais … Si je disparais quelques temps, ce sera peut-être plus facile pour elle de revenir vers toi. » Tu imaginais que Marylou n’avait aucune envie de te croiser chez sa mère, tout comme elle n’avait pas envie de te croiser à l’université. « J’ai veillé pour qu’une collègue l’ait dans son cours cette année, elle n’aura pas à me voir ni à l’université, ni ailleurs … » Tu doutais que Marylou et toi fréquentez les mêmes endroits de toute manière, les chances de la croiser par hasard à Brisbane étaient donc minimes. Voyant le regard rempli d’incompréhension de Colleen, tu finis par dire en soupirant : « Je ne veux pas être la cause de la fin de ta relation avec ta fille. Je sais à quel point elle compte pour toi. Même si tu ne m’en veux pas aujourd’hui, je ne veux pas que tu te réveiller un jour en ayant changé d’avis. » Finis-tu par dire en baissant la tête. C’était ton coeur que tu étais en train de déchirer mais tu essayais de garder la tête haute en te disant que c’était pour la bonne cause.
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| | | | (#)Ven 12 Fév 2021 - 12:18 | |
| Colleen l’avait pressenti. Tout était sur le point de s’effondrer. C’était comme une brûlure logée à l’arrière de sa nuque qui la démangeait, comme un voile qui recouvrait son sempiternel optimisme jusqu’à l’étouffer complètement. Une intuition qu’elle essayait de refouler, contre laquelle elle luttait de toutes ses forces ; la conviction profonde que le bonheur était en train de lui échapper. Elle tentait vainement de s’y raccrocher, mais qui était-elle pour se battre contre la fatalité ? Elle avait voulu croire en sa chance, mais tout cela était trop beau pour être vrai. Elle avait lu suffisamment de comédies dramatiques pour savoir que venait inévitablement le moment où les choses prenaient une tournure indésirable, qu’il y avait toujours un élément déclencheur pour provoquer le malheur des protagonistes. Dans sa situation, c’était son propre mensonge qui l’avait menée à sa perte. Si elle en était là aujourd’hui, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Ses choix avaient blessé ceux qu’elle aimait le plus, et après Lou, voilà que Marius évoquait à son tour la nécessité de s’éloigner d’elle. Elle avait tout gâché. Elle aurait dû se méfier davantage, prendre conscience que le bonheur exquis auquel elle avait goûté ne pouvait durer éternellement. Le pire, c’est qu’elle n’était même pas capable de déterminer le moment précis où les choses avaient basculé. Etait-ce à Bayside, lors de leur promenade le long de la plage où ils avaient été surpris par les deux jeunes et leurs téléphones portables ? Les nombreuses fois où elle avait discuté avec Lou mais avait été trop lâche pour lui révéler la vérité ? Ou devait-elle remonter encore plus loin ? A cette première soirée passée au loft de Marius ? A leur premier baiser échangé sur la plage de Gold Coast ? A son départ pour le tournage de Race of Australia ? Ou bien même, bien plus tôt encore, quand elle avait accepté de participer à l’émission ? Elle avait multiplié les erreurs, elle s’en rendait compte à présent. Parce qu’elle pouvait bien tenter de se trouver toutes les excuses du monde, c’était voué à l’échec. Elle aurait dû se contenter de la vie qu’elle avait commencé à mener en arrivant en Australie, une vie dénuée de complications, un quotidien facile à supporter ; elle aurait dû se raccrocher davantage à ses réticences initiales et éviter de se bercer d’illusions. De cette manière elle n’aurait blessé personne. Ni Lou, ni Marius.
Et pourtant, en dépit de ces certitudes qui s’ancraient un peu plus en elle à chaque instant qui passait, elle ne parvenait toujours pas à lâcher prise. Elle faisait preuve d’un égoïsme affligeant et en était parfaitement consciente, mais elle refusait obstinément d’imaginer un futur sans Marius. En l’espace de quelques mois à peine, il avait pris une telle place dans son cœur qu’elle tremblait à la seule perspective de le voir s’éloigner d’elle. Il l’avait aidée plus que n’importe qui d’autre au cours de la période agitée qui avait suivi la diffusion de Race of Australia. Solide, il avait été son refuge, son roc, son pilier ; sans lui elle ne savait tout simplement pas comment elle serait parvenue à tenir. Et aujourd’hui plus que jamais, elle avait besoin de lui. Alors, quand il avait émis l’hypothèse qu’elle pourrait être heureuse sans lui, elle avait vu rouge. Subitement, ses pires craintes se réalisaient, le cauchemar devenait réel. Son bonheur était déjà entaché, mais que lui resterait-il si elle devait prendre ses distances avec Marius également ? Incapable de se contenir, sa langue claqua peut-être un peu trop sèchement quand elle lui répondit, et elle s’en voulut immédiatement. Les yeux plongés dans les siens, elle essaya de déchiffrer la lueur nichée dans son regard mais tout ce qu’elle découvrit fut la peine qui y était installée. Le pire, dans cette histoire, était qu’il essayait de prendre la décision la plus juste qui soit pour elle. Contrairement à elle il n’était pas animé par l’égoïsme ; même si cela lui en coûtait, il était prêt à faire un sacrifice que, pour sa part, elle ne parvenait même pas à envisager. Il détacha son regard du sien et leur connexion se rompit. Colleen garda ses yeux braqués sur lui malgré tout, le cœur lourd. Il rejeta alors la faute sur lui-même, clamant que c’était à cause de lui que Lou refusait de lui adresser la parole. Parce que dès le début de l’année elle avait eu le béguin pour lui et qu’ils avaient tous deux refusé d’en prendre pleinement conscience, les choses avaient dérapé. Selon lui, du moins. Colleen, elle, n’en croyait pas un traître mot. Elle savait qu’il n’y pouvait rien. Il avait raison sur un point, et un seul : ils avaient été naïfs de penser que Lou pourrait accepter leur relation, dans la mesure où elle avait elle-même développé des sentiments pour son professeur. Mais qu’importait, désormais, puisque la brune s’était personnellement chargée de tout gâcher en la tenant dans l’ignorance la plus complète ? Elle était persuadée que si Lou ne revenait pas vers elle, ce n’était pas à cause de la personne qu’elle fréquentait mais bien parce qu’elle avait été trahie par la personne en qui elle avait toujours eu une confiance aveugle. En somme, la faute revenait à Colleen, et aucunement à Marius.
Alors qu’elle demeurait figée, les questions sans réponse se multipliant dans son esprit, il ajouta qu’il s’était débrouillé pour ne plus enseigner à Lou cette année, et que c’était l’une de ses collègues qui s’en chargerait. A nouveau, elle fut frappée par tous les efforts qu’il faisait pour elle ; car il ne fallait pas oublier qu’en plus de l’affecter personnellement, cette situation pesait aussi sur sa sphère professionnelle. « Marius… » Commença-t-elle en se penchant vers lui. Elle posa ses mains de chaque côté de son visage et l’inclina légèrement dans sa direction pour que leurs regards se retrouvent. « Ce n’est pas de ta faute, arrête ». Sur ce point, elle serait intraitable ; que cette idée puisse seulement effleurer son esprit lui était insupportable. « Tu penses vraiment que si tu t’éloignes, Lou rappliquera dans la demi-heure ? Comment pourrait-elle le savoir de toute façon, puisqu’elle refuse de m’adresser la parole et que je lui ai promis de la laisser tranquille ? Ça n’a aucun sens ! ». Elle réalisa que le ton de sa voix s’était fait plus sévère et elle se radoucit aussitôt. « Ce n’est pas de ta faute » Répéta-t-elle en fronçant les sourcils. « Si j’avais été plus honnête avec elle dès le début, on n’en serait pas là aujourd’hui. C’est moi qui ai merdé. Tu n’as pas à t’en vouloir ». Elle fit de son mieux pour lui transmettre cette certitude à travers son regard, mais n’était pas certaine d’y être parvenue. Marius semblait vraiment touché par ce qui lui arrivait, et la culpabilité emplissait ses beaux yeux bleus. Elle ne parvenait pas à croire qu’en plus de faire souffrir Lou, elle était en train de tout gâcher avec lui aussi. Quand ce cauchemar se terminerait-il ? Quand verrait-elle enfin le bout du tunnel ? Comment pourrait-elle se faire pardonner ses erreurs ? Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle n’en voyait tout simplement pas l’issue. Et Marius, en dépit de sa volonté de le rassurer, poursuivait en émettant des doutes quant à la suite des événements ; elle ne lui en tenait peut-être pas rigueur aujourd’hui, mais il ne voulait pas prendre le risque qu’elle se réveille un jour en lui rejetant la faute. Si une telle chose était encore possible à ce stade-là, le cœur de Colleen se serra davantage encore et l’espace d’un instant, elle fut tentée de considérer son hypothèse de la façon la plus objective qui soit. En tout état de cause, cela lui semblait absurde. Elle n’imaginait pas un seul instant être capable d’en arriver là. Mais sous le coup de la colère ou de l’amertume ? Au beau milieu d’une dispute par exemple ? Serait-ce possible ? Colleen se mordilla l’intérieur de la joue et secoua la tête. La réponse était évidente. « Jamais » Répondit-elle, implacable. « Parce que je suis intimement persuadée que tu n’es pas responsable de la situation, et ce serait vraiment cruel de ma part de te rejeter la faute ». Elle soupira, consciente que si elle n’était pas une personne cruelle, elle agissait néanmoins dans son propre intérêt depuis un moment déjà et qu’elle refusait de voir plus loin que le bout de son nez. Elle était désespérée à l’idée de perdre Marius. « Ne t’éloigne pas. S’il-te-plaît, s’il-te-plaît, Marius, ne fais pas ça ».
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| | | | (#)Dim 14 Fév 2021 - 11:00 | |
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Cela faisait plusieurs semaines que tu envisageais les différents scénarios qui pouvaient se présenter, que tu tournais et retournais les choses pour qu’enfin la solution miracle fasse son apparition mais la vie n’avait jamais été clémente avec toi et elle n’allait pas commencer maintenant. Tu n’avais pas d’enfant et pourtant, une partie de toi ne pourra s’empêcher de considérer ta nièce comme l’enfant que tu n’avais jamais eu et que tu n’auras jamais. Elle avait été tienne en quelques sortes quand ton frère était incarcéré mais tu gardais ces pensées bien enfouies au fond de toi car si ton frère l’apprenait, il trouverait le moyen de se sentir menacé et tu pourras dire au revoir à toute rencontre avec Moïra. Le fait que tes moments avec Moïra soient conditionnés à l’état de ta relation avec ton frère ne te ravissait pas vraiment mais tu n’avais pas le choix. Dans la situation de Colleen, c’était différent. Marylou était une adulte ou quasiment une adulte et tu avais espéré, naïvement, qu’après quelques semaines loin de sa mère, elle comprendrait. Ou à défaut de comprendre, elle accepterait votre relation. Toutefois, cela était loin d’être le cas vu que Colleen n’avait pas eu de nouvelles de la part de sa fille. Tu avais arrêté de demander, tu ne supportais plus très bien cette lueur triste dans le regard de celle que tu aimais. Ton frère aimait dire que tu adorais jouer au martyr mais ce n’était pas vraiment ce que tu étais en train de faire. Tu n’étais pas un grand scientifique et encore moins un grand mathématicien mais dans cette équation, c’était toi qui étais venu te rajouter. C’était toi l’intrus. Vous aviez essayé d’attendre que Marylou revienne vers Colleen mais le status quo semblait s’être installé pour durer et si la persévérance de la fille était tenace, le désespoir de la mère ne se faisait que plus grandissant. Alors si le status quo ne marchait pas, ne deviez-vous pas tenter autre chose ? Disparaître de l’entourage de Colleen pendant quelques temps ferait peut-être du bien à Marylou ? Ne dit-on pas ‘Loin des yeux, loin du coeur’ ? Tu avais encore du mal à concevoir que la jeune femme puisse avoir ou ait eu des sentiments à ton égard mais si c’était le cas, ta disparition temporaire devrait l’aider à revenir vers sa mère non ? Il y avait beaucoup de peut-être et de si dans toute cette histoire mais tu ne pouvais pas rester les bras croisés à attendre que les choses se passent. Tu ne pouvais pas laisser Colleen tomber chaque jour un peu plus dans une tristesse chronique dont tu ne savais que faire pour la voir disparaître. Est-ce que s’éloigner de Colleen était la bonne solution ? Tu n’en savais absolument rien. Mais vous pouviez au moins essayer, tu pouvais t’éloigner le temps que la mère et la fille se rapprochent de nouveau ou aient une chance de s’expliquer à minima, réellement s’expliquer dans un dialogue qui allait dans les deux sens. Alors que tu parles, les yeux de Colleen s’élargissent et c’est la peur que tu y lis désormais. Cela te trouble car tu ne sais pas de quoi elle a peur. Ses mains viennent se poser sur ton visage, te forçant à plonger de nouveau ton regard dans le sien alors qu’elle te dit : « Marius… Ce n’est pas de ta faute, arrête » Pas de ta faute … Tu aimerais croire que c’était vrai. Mais tout finissait toujours par être de ta faute. Si Tommy n’arrivait pas à te supporter c’était parce que tu avais toujours joué la supériorité, si Beth ne voulait plus te parler c’était parce que tu étais parti à Paris sans prévenir, si Alice était partie c’était parce que tu n’avais pas fait assez d’efforts … Les exemples étaient trop nombreux pour les énumérer tous mais encore une fois, même si la faute n’était peut-être pas uniquement de ton côté, tu n’étais pas tout blanc dans cette histoire. « Tu penses vraiment que si tu t’éloignes, Lou rappliquera dans la demi-heure ? Comment pourrait-elle le savoir de toute façon, puisqu’elle refuse de m’adresser la parole et que je lui ai promis de la laisser tranquille ? Ça n’a aucun sens ! » L’expérience t’avait montré que les gens finissent toujours par savoir. Il y avait des dizaines de manières de veiller à ce que Marylou apprenne que tu n’étais plus dans la vie de sa mère. Même si Marylou ne répondait pas à ses messages, elle devait les lire donc il suffirait de lui en envoyer un. Et si elle refusait de parler à Colleen, tu avais encore le privilège de pouvoir la convoquer à l’université à la rentrée en prétextant lui annoncer le changement de professeur qui l’attendait. Mais Colleen avait raison sur un point, elle ne rappliquerait pas tout de suite. Toutefois, si l’optique de te croiser dans la maison de Logan City disparaissait, elle y reviendrait certainement avec un peu moins d’appréhension. « Si ce n’est que s’assurer qu’elle soit au courant, cela peut facilement se faire. » Tu n’étais pas à court d’idées mais ce n’était pas le coeur du problème : « Je sais qu’elle ne reviendra pas tout de suite. Mais si elle est certaine de ne pas me croiser à l’université ou à Logan City, ce sera probablement plus facile pour elle de revenir, au moins pour que vous puissiez rouvrir une ligne de communication. » Parce que tu n’étais pas idiot, tu savais que les choses n’allaient pas se faire en quelques jours ou en deux discussions. Mais ce qui tuait Colleen à petit feu c’était le silence total de sa fille. Si déjà elles se reparlaient un peu, les choses seraient différentes. « Ce n’est pas de ta faute. Si j’avais été plus honnête avec elle dès le début, on n’en serait pas là aujourd’hui. C’est moi qui ai merdé. Tu n’as pas à t’en vouloir » C’était une partie du problème, en effet. Jamais il ne t’était venu à l’esprit d’essayer de pousser Colleen à parler de votre relation à sa fille. Tu aurais peut-être dû mais tu avais jugé que Colleen savait mieux que quiconque ce dont sa fille avait besoin. Posant ta main sur celle qui caressait ta joue, tu lui dis : « On a tous les deux merdé Colleen mais si ma vie m’a appris une chose, c’est qu’avec beaucoup d’efforts, on peut se faire pardonner. » Enfin, pardonner était un bien grand mot, pas sûr que Tommy te pardonne vraiment un jour mais vous pouviez vous supporter et être dans la même pièce. Tu doutais que Marylou puisse en vouloir à sa mère avec autant de ferveur que ton frère t’en voulait, la trahison n’avait rien à voir et était bien plus préjudiciable dans le cas de ton frère. Tu fis ensuite remarquer à Colleen que tu ne voulais pas qu’elle se réveille un jour et qu’elle se rende compte que tu étais la raison pour laquelle elle ne voyait pas sa fille. Il était hors de question qu’elle ait à faire un choix. Pourquoi devrait-elle le faire quand elle pouvait avoir les deux ? « Jamais. Parce que je suis intimement persuadée que tu n’es pas responsable de la situation, et ce serait vraiment cruel de ma part de te rejeter la faute » Tu secouais la tête doucement, peu convaincu. Oh tu étais certain que Colleen ne te mentait pas mais elle n’avait aucun moyen de savoir ce qu’elle penserait dans quelques mois, voire dans quelques années. Non, tu ne pouvais pas faire ce pari … « Ne t’éloigne pas. S’il-te-plaît, s’il-te-plaît, Marius, ne fais pas ça » Ton regard se plongea dans le sien qui te suppliait. Ce n’était clairement pas de gaité de coeur que tu faisais ce choix, loin de là mais tu devais le faire, tu n’avais pas d’autres choix. Tu te levais brusquement et te mit à marcher devant la table basse avant de passer une main sur ton visage. « Je peux pas rester et continuer à voir la tristesse s’installer chaque jour un peu plus dans tes yeux Colleen. Je … Pas quand je pouvais essayer de l’éviter. » Tu ne savais pas si cet éloignement allait changer quelque chose, peut-être que oui, peut-être que non mais au moins, vous auriez essayé. Au moins, vous montriez à Marylou que vous ne pensiez pas qu’à vous, que cette fois, c’était à elle que vous pensiez avant tout le reste. « Je sais pas si ça va marcher mais au moins on aura essayé. Je … Je veux pas que tu aies à choisir d’accord ? Etre avec moi ne devrait pas rimer avec l’absence de ta fille dans ta vie. Je sais à quel point elle compte pour toi et on sait tous les deux que tu ne pourras pas être pleinement heureuse tant qu’elle ne sera pas à tes côtés. » Sa fille avait l’avantage de l’ancienneté, elle devait passer en premier dans tous les cas, cela n’avait jamais été négociable ou remis en doute de ton côté. « Je … Ca me brise le coeur à moi aussi mais tu mérites une chance d’arranger les choses avec ta fille. Je ne compte aller nulle part. » Cette dernière phrase, tu la prononçais en plongeant ton regard dans le sien. C’était important qu’elle le sache et qu’elle comprenne que tu ne cherchais pas un échappatoire à votre relation. Si tu t’écoutais, tu l’enfermerais dans ton loft et vous n’en sortiriez plus mais c’était égoïste et irréaliste. Il faut toujours composer avec les éléments qui vous entourent.
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| | | | (#)Lun 15 Fév 2021 - 18:56 | |
| Renoncer pour mieux avancer. Marius avait-il raison ? Etait-il grand temps de déposer les armes ? Le doute s’immisça en traître dans l’esprit de Colleen. Jusque-là elle n’avait pas voulu y songer. Dans son esprit buté, le préjudice était causé et rien ne pourrait jamais l’effacer. Avec du temps et de la patience il se dissiperait peut-être suffisamment pour que sa fille trouve la force de revenir vers elle, mais elle était cette fois lucide et savait qu’il ne disparaîtrait jamais véritablement ; le spectre de sa trahison flotterait toujours au-dessus de sa relation avec Lou, quoi qu’il en advienne. Voilà pourquoi la culpabilité la rongeait, jour après jour, sans qu’elle puisse faire quoi que ce soit pour freiner sa progression. Pour la première fois de sa vie, elle avait commis une erreur monumentale sur laquelle elle ne pouvait pas revenir. Bien sûr que son parcours de mère n’était pas immaculé ; elle avait beau partager une relation privilégiée avec sa fille avant de tout gâcher, elle ne pouvait prétendre avoir toujours pris les bonnes décisions. Seulement, à la différence de cette fois-ci, aucune de ses actions n’avait jamais été irréversible ; quand elle avait cédé aux caprices de sa fille et regretté la facilité avec laquelle cette dernière l’avait menée en bateau, il avait été facile de réagir ; quand au contraire elle s’était montrée trop ferme, elle avait su lâcher du lest par la suite pour compenser sa rigidité. Tout était question d’équilibre, et à terme sa détermination lui avait permis d’enfin le trouver. Lou et elle avaient bâti une relation solide, fondée sur la confiance et l’honnêteté, une relation empreinte de complicité. C’était la raison pour laquelle sa trahison, inédite, avait un goût aussi amer. Colleen s’était sentie si heureuse dans la bulle qu’elle partageait avec Marius qu’elle l’avait préservée en point d’en devenir égoïste, d’en ignorer ses principes et de reléguer la personne qui comptait le plus pour elle au second plan. Les secrets n’avaient jamais eu leur place dans sa relation avec Lou ; elle s’était toujours efforcée de demeurer transparente en toutes circonstances et de ne rien lui cacher. Maintenant qu’elle avait commis l’irréparable, elle se rendait bien compte que c’était précisément ce qui avait fait la force de sa relation avec Lou.
Quoi qu’il en soit, Marius n’était pas responsable de cette situation, et elle refusait de lui faire porter ce fardeau. Les yeux dans les siens, elle tenta de se montrer à la fois ferme et convaincante : il n’avait pas à se sentir coupable, car la faute lui revenait entièrement. Malgré tout, elle réalisa en scrutant son regard clair que ses arguments n’étaient pas suffisants pour le faire changer d’avis. Il lui échappait déjà, se murait dans ses propres remords qui n’avaient à ses yeux aucune raison d’être. Cette prise de conscience soudaine lui fit l’effet d’une gifle. Jusqu’à présent ils avaient tous les deux soigneusement évité le sujet et elle ne s’était jamais rendue compte que cette situation l’affectait tout autant qu’elle. Elle refusa pourtant d’admettre que ses paroles étaient sans doute plus sensées que les siennes et que leur hypothétique éloignement puisse avoir la moindre valeur aux yeux de Lou. Dans la mesure où elle lui avait promis de lui laisser suffisamment de temps pour considérer les choses et n’avait aucune envie de briser cette promesse, elle ne voyait pas bien comment l’étudiante pourrait découvrir que Marius et elle s’étaient effectivement éloignés dans son intérêt. Mais là encore, il se montra plus têtu qu’elle et prétendit qu’ils pourraient toujours remédier à cette situation. Elle secoua la tête. « Non » Répliqua-t-elle. « Je lui ai promis que je la laisserais revenir vers moi et il est hors de question que je revienne sur ma décision, même pour cette raison. Je lui ai déjà causé suffisamment de tort comme ça... Et si tu penses le lui dire toi-même, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée non plus ». C’en était même une très mauvaise : Marius devait se préserver sur le plan professionnel. Elle ne se rappelait que trop bien de la fois où il lui avait raconté qu’August avait débarqué sur le campus universitaire pour régler ses comptes avec lui, tout ça parce que Lou avait jugé bon de l’accuser d’avoir flirté avec elle quand il s’agissait précisément du contraire. Colleen n’était pas idiote : elle savait que ce genre d’accusation aurait pu coûter très cher à sa carrière. Or si Lou avait été capable de cela sous l’effet de la colère, Dieu seul savait ce qu’elle pourrait faire dans la situation actuelle… Marius avait pris la bonne décision en veillant à ne plus l’avoir en cours à partir de la rentrée, et il n’était pas question de revenir là-dessus. Alors il avait peut-être raison en lui disant que si elle était certaine de ne pas le croiser à Logan City, Lou y reviendrait probablement plus facilement, mais cela ne réglait pas le problème de la communication : aucun d’eux n’avait la possibilité de lui transmettre l’information, et Colleen n’avait aucune envie de faire appel aux médias pour la relayer – elle n’imaginait que trop bien qu’ils s’en donneraient à cœur joie.
Soupirant de plus belle, elle lui répéta que c’était elle qui avait commis une erreur et qu’il n’y était pour rien, espérant vainement que le message puisse enfin s’imprimer dans son esprit. Mais c’était mal connaître Marius, qui refusa de l’entendre et s’entêta à partager la faute. Il n’abandonnerait pas son idée aussi facilement. Elle se demanda depuis combien de temps il étudiait cette possibilité de s’éloigner. Etait-ce récent ? Ou l’idée avait-elle eu le temps de s’enraciner, au point qu’aucun des efforts qu’elle entreprendrait serait suffisant pour l’en déloger ? Curieusement, cette idée éveilla sa colère. Y pensait-il, chaque soir où ils se retrouvaient, à chaque instant qu’ils passaient ensemble ? Quand ils se parlaient, quand ils s’enlaçaient, quand ils faisaient l’amour ? Et puis, plus importante que la colère, vint la peur. Vulnérable, Colleen ne put s’empêcher de songer au pire. Et si soudain, ce qu’elle avait à lui offrir n’était plus suffisant pour lui ? Et s’il avait changé d’avis, avait fini par se lasser ? Etait-ce le moyen qu’il avait trouvé pour forcer l’arrêt de leur histoire ? Alors que l’idée lui effleurait l’esprit, à l’instant même où elle le suppliait de ne pas s’éloigner d’elle, sa mâchoire se contracta. Elle connaissait suffisamment Marius pour savoir qu’il n’était pas lâche, et si la peur ne lui avait pas ôté toute capacité à réfléchir de façon rationnelle, elle aurait réalisé que ce qu’elle imaginait était stupide. Mais elle était à bout. Eprouvée par l’absence de sa fille, par le poids des remords et désormais par la volonté de Marius, son optimisme avait fini par foutre le camp.
Quand il détacha sa main de la sienne et se leva brusquement, elle le suivit du regard, les sourcils froncés. Il refusait de rester. Il refusait de poursuivre ainsi en sachant pertinemment que cela ne faisait qu’empirer la situation. Il lui offrait une alternative, et nul ne savait si elle aboutirait mais ils se devaient au moins d’essayer, tel était le sens de ses paroles. Or Colleen avait beau savoir qu’il marquait un point et qu’elle ne pouvait résolument pas être heureuse sans sa fille, elle restait obstinée, farouchement obstinée. Il lui affirmait qu’elle n’avait pas de choix à faire entre Lou et lui, mais n’était-ce pas le sien, de choix, qu’il lui imposait ? « Je ne mérite rien du tout ! » S’exclama-t-elle, en reprenant ses mots. Elle ne méritait ni le pardon de Lou ni les efforts de Marius. « Alors c’est comme ça et pas autrement, c’est ce que tu es en train de me dire ? Que peu importe ce que moi j’en pense, ta décision est déjà prise ? » Lança-t-elle, ne parvenant pas à contenir son amertume et encore moins à considérer les choses avec lucidité. Elle ne pouvait pas croire qu’ils envisageaient de faire des crêpes ensemble dix minutes plus tôt et que désormais, il était question de se séparer pour voir si peut-être, hypothétiquement, cela pouvait changer les choses et ramener Lou à la raison et à la maison. Cette distance qu’il prévoyait, c’était trop lui en demander. A la seule idée de ne plus pouvoir se réfugier dans ses bras à la fin d’une journée de travail éprouvante passée à vérifier son téléphone portable toutes les dix minutes dans l’espoir d’avoir reçu des nouvelles de Lou, son cœur se contractait et les larmes menaçaient de noyer son regard. C’était injuste. Elle avait déjà perdu Lou, et maintenant il lui demandait de renoncer à la seule chose qui la réconfortait, à savoir sa présence à lui ? Et puis il lui affirmait ne vouloir aller nulle part, mais comment pouvait-il être certain qu’à terme, il ne finirait pas par s’habituer à cette situation ? C’était impossible. Alors elle se leva à son tour, agitée, incapable de rester assise dans ce canapé plus longtemps, et braqua son regard sur lui. « Depuis combien de temps exactement tu as cette idée en tête ? Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes, tu ne… C’est trop dur ! » Lâcha-t-elle, frustrée, et tant pis pour l’aveu de faiblesse. « Combien de temps ça va durer ? Puisque j’ai l’impression que tu as déjà tout planifié, mmh, combien de temps ? Et est-ce que tu veux que je m’en aille maintenant, aussi ? Est-ce que ce serait plus facile ? » S’emporta-t-elle. A chaque question qu’elle énonçait, la culpabilité l’accablait un peu plus. Au fond d’elle, elle avait conscience d’être cruelle ; il faisait de son mieux pour l’aider, et elle, tout ce qu’elle réussissait à faire en échange était l’accuser.
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| | | | (#)Dim 21 Fév 2021 - 11:19 | |
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L’hésitation avait été là jusqu’au dernier moment. Pouvais-tu réellement faire une croix sur Colleen pendant quelques semaines voire quelques mois ? Non, cela te semblait complètement fou, encore plus maintenant qu’il n’était plus question de se cacher, qu’il n’était plus question de retenir vos Je t’aime qui avaient longtemps étaient tus. Tu détestais cette situation. Tu aurais aimé pour une fois être dans un de ces films américains où après quelques temps difficiles, tout s’arrangeait comme par magie et les protagonistes pouvaient vivre leur bonheur pleinement. Mais il était bien là le problème, tout cela n’était que de la magie et la réalité était bien loin d’être aussi clémente que tous ces téléfilms que vous regardiez pour passer le temps et oublier justement que les problèmes ne se réglaient pas en un claquement de doigts. Voir Colleen s’effondrer devant une série télévisée et voir son regard si vide et si triste par la suite avait été l’élément déclencheur. Tu ne pouvais pas continuer à ne rien faire, à observer ce spectacle de l’extérieur en attendant que la situation s’améliore. Tu faisais partis de ceux qui pensaient que si l’on ne faisait rien, la situation ne pouvait pas changer. Alors il te fallait agir, il te fallait faire quelque chose. Et tu avais tourné et retourné le problème dans tous les sens sans trouver une meilleure option que celle qui avait passé le bout de tes lèvres, que celle qui venait de blesser Colleen. Tu l’avais vue recevoir ce coup, c’était comme si tu lui avais donné une claque. Tu comprenais qu’elle ne s’attendait pas à cette proposition, encore plus quand elle te soutenait que cela n’allait rien changer car Marylou n’avait strictement aucun moyen de savoir que sa mère et son ancien professeur ne se voyaient plus. A tes yeux, c’était un problème qui pouvait vite être réglé mais Colleen ne semblait pas du même avis : « Non. Je lui ai promis que je la laisserais revenir vers moi et il est hors de question que je revienne sur ma décision, même pour cette raison. Je lui ai déjà causé suffisamment de tort comme ça... Et si tu penses le lui dire toi-même, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée non plus » Tu n’avais aucune envie d’avoir cette discussion avec Marylou aux vues de vos derniers échanges et surtout, tu n’avais aucune envie de te retrouver seul avec la jeune femme. Tu n’étais pas complètement idiot, ton amour pour Colleen n’allait pas te faire prendre ce risque inconsidéré. Toutefois, ce que la jolie brune n’avait pas pris en compte dans cette histoire, c’était les commérages d’université. Tu savais qu’en t’éloignant de Colleen, tu allais reprendre tes mauvaises habitudes. Ce sera le seul moyen pour toi de tenir le coup en te plongeant dans ton boulot. Et Dieu sait que tu en avais des tonnes en ce moment alors que tu prenais ton nouveau poste de doyen. Alors que tu te faisais plus absent des couloirs de l’université, ta présence accrue laissera place à toutes sortes de commérages qui finiront inévitablement par arriver aux oreilles de Marylou. « Je n’ai pas l’intention de chercher à discuter avec ta fille, nous savons tous les deux que ce serait une terrible idée. » Dis-tu pour rassurer Colleen car tu voyais bien qu’il était important pour elle que ce soit Marylou qui fasse ce premier pas vers elle. « Toutefois, je ne maitrise pas les commérages universitaires et si je me remets à passer mes jours et mes nuits sur le campus, tu peux être certaine qu’ils seront nombreux. » Les camarades de la jeune femme ne tarderaient pas à lui demander si si sa mère et leur professeur n’étaient plus ensemble. La question serait de savoir si la fierté de Marylou serait plus grande que sa curiosité et ça, c’était un pari que tu étais prêt à prendre. Si déjà Marylou revenait à Logan City plus souvent, les chances qu’elle y croise sa mère se multipliaient. Tu ne savais pas vraiment si cela changerait les choses mais vous pouviez bien essayer non ?
Ton idée était bien loin de plaire à Colleen, c’était certain. Ses soupirs se multipliaient et tu voyais bien qu’elle commençait à s’agacer. Une partie de toi en était assez satisfait car cela voulait dire qu’elle était attachée à toi au point qu’envisager de s’éloigner lui coûtait beaucoup. Les Je t’aime je vous prononciez depuis plusieurs mois prenaient tout leur sens. Ta proposition, cette solution qui n’en était peut-être pas une était ta manière à toi de lui montrer ton amour même si elle ne semblait pas du tout le voir comme cela. Elle te laissa avancer tes arguments mais ne tarda pas à répliquer : « Je ne mérite rien du tout ! Alors c’est comme ça et pas autrement, c’est ce que tu es en train de me dire ? Que peu importe ce que moi j’en pense, ta décision est déjà prise ? » Vous n’alliez apparemment pas être d’accord sur le fait qu’elle méritait ou pas tes efforts donc tu laissais cela de côté pour te concentrer sur sa question. Elle était en colère et la dernière fois que tu l’avais vue dans cet état, c’était sur la plage avant que la peur ne vienne prendre le dessus. Ce fut à ton tour de soupirer parce que non, tu ne voulais pas lui imposer cette situation mais tu essayais de trouver une solution, quelque chose à essayer pour sortir de cette situation qui la faisait souffrir et cette proposition te semblait la meilleure. « Non ce n’est pas ce que j’essaie de te dire. » Répondis-tu à ton tour avant de marquer un temps de pause. Tu marchais sur des oeufs, tu le sentais bien mais tu ne pouvais pas t’arrêter maintenant. « J’essaie de trouver une solution, de faire bouger les lignes pour changer le status quo. Cela fait déjà trois mois que Marylou refuse de te parler. Et si ce changement de lignes la faisait bouger elle aussi ? Est-ce que tu n’as pas envie de voir si c’est une possibilité ? » Parce qu’attendre sans rien faire c’était bien mais ce n’était pas suffisant. Trois mois c’était déjà bien assez pour laisser une chance à Marylou de revenir vers sa mère. Ne tenant plus en place sur le canapé, Colleen se leva et s’agita elle aussi. Tu te rendis compte à ce moment-là que c’était la première dispute que vous aviez. Après plus de six mois de relation, c’était la première fois que vous vous disputiez ainsi. Cela te terrifiait car tu avais peur que cette dispute soit la dernière mais tu ne pouvais pas revenir en arrière, pas maintenant. « Depuis combien de temps exactement tu as cette idée en tête ? Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes, tu ne… C’est trop dur ! Combien de temps ça va durer ? Puisque j’ai l’impression que tu as déjà tout planifié, mmh, combien de temps ? Et est-ce que tu veux que je m’en aille maintenant, aussi ? Est-ce que ce serait plus facile ? » Ses derniers mots eurent l’effet d’une claque. Facile ? Collent pensait que c’était facile ? Tu ne pus t’empêcher de secouer la tête en laissant échapper un rictus. Non, c’était tout sauf facile, c’était on ne peut plus difficile même comme situation. Les questions de la jolie brune étaient nombreuses et tu n’avais pas la réponse parce que contrairement à ce qu’elle pensait, tu n’avais rien planifié du tout. Et contrairement à ce qu’elle pensait tu ne cherchais pas à te débarrasser d’elle. « Parce que tu crois que c’est facile pour moi ? Tu crois vraiment que ça va être facile de ne plus t’avoir dans mes bras tous les soirs, de ne plus voir ton sourire quand je me réveille le matin, de ne plus recevoir tes textos dans la journée pour me rappeler de faire une pause et de manger ? Non, ce sera tout sauf facile. » Dis-tu en appuyant sur ce dernier mot que tu venais presque de vomir. Tu poussais un soupir avant d’ajouter : « Je ne sais pas combien de temps Colleen, je n’ai rien planifié du tout. Je préfèrerais que tu ne partes jamais mais il n’y a pas que nous dans cette histoire. On l’a toujours su même si on a longtemps voulu l’ignorer. » C’était plus facile quand vous rencontriez quelqu’un à vingt ans et que vous n’aviez pas de bagages. Mais tu n’échangerais ta place pour rien au monde. « Je ne cherche pas à me débarrasser de toi contrairement à ce que tu penses. Si je m’écoutais, je ne te laisserais plus quitter mon loft. Mais je n’ai pas le droit d’être égoïste, pas quand tu as autant besoin de ta fille qu’elle a besoin de toi. » Laissas-tu échapper dans un murmure alors que ta main était venue se poser sur la joue de Colleen. Oh, elle la chassera sûrement bien assez tôt mais tu veux profiter de ce contact tant que tu as encore le droit de le faire, tant qu’elle n’est pas encore partie.
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| | | | (#)Ven 26 Fév 2021 - 15:55 | |
| Bien sûr qu’il avait raison. Bien sûr que la proposition qu’il lui faisait était la plus intelligente, la plus raisonnable, la plus sensée. Malgré son entêtement, Colleen ne pouvait le contredire sur un point : elle était incapable d’envisager l’avenir sans sa fille. Sa vie ne tournait pas complètement autour de l’étudiante, mais la présence de cette dernière à ses côtés n’en était pas moins indispensable à ses yeux. Si elle se trouvait aujourd’hui en Australie, n’était-ce pas grâce à elle ? Certes, elle avait considéré son départ de Londres comme une possibilité de refaire sa vie loin d’August, mais elle avait fait ce choix en grande partie pour Lou également. Dans l’absolu, elle était capable de presque tout pour elle – presque, parce que ce que lui demandait Marius lui semblait irréalisable. Imaginer les prochaines semaines, voire les prochains mois, sans lui était aussi insupportable que de les concevoir sans Lou. Elle avait besoin de lui. Cela dépassait le stade du désir et de la volonté, c’en était véritablement devenu une question de besoin. Elle s’était fait la promesse de ne plus jamais dépendre de quelqu’un d’autre pour se préserver, mais force était de constater qu’elle avait également échoué dans ce domaine. La présence du bel Australien ne la réconfortait pas seulement, il n’était pas un banal pansement qu’elle aurait collé sur sa plaie en attendant que celle-ci cicatrise. Il n’était ni un passe-temps ni une amourette et quand elle lui disait qu’elle l’aimait, ce n’était certainement pas pour flatter son égo. Ses sentiments étaient réels, ancrés en elle depuis longtemps ; ils s’étaient manifestés dès que leurs échanges avaient gagné en consistance, quand elle avait perçu la sensibilité qui se dissimulait derrière la carapace fermée. Elle avait besoin de lui. Un besoin sain, un besoin qu’elle n’essayait pas de cacher, un besoin vital. Comment ferait-elle pour affronter son quotidien sans lui ? Supporter l’absence de Lou lui coûtait déjà une telle énergie, était-elle seulement capable de la multiplier par deux ? Cette perspective lui donnait envie de vomir et de crier à la Terre entière son désespoir. Comment pouvait-on passer du bonheur le plus complet à un tel déchirement ?
Il avait raison, mais cela ne rendait pas les choses plus faciles à appréhender pour autant, et Colleen était bornée au point de refuser de l’admettre. Elle s’accrochait, faisait de son mieux pour lui prouver par A + B que sa théorie ne tenait pas, et que leur éloignement ne ferait pas revenir Lou puisqu’elle n’avait aucun moyen de découvrir ce qu’ils sacrifiaient pour elle. Mais ses arguments ne tenaient pas. Marius s’appliquait à les réfuter les uns après les autres, comme s’il avait élaboré sa stratégie bien avant cette discussion. Sur la défensive, elle batailla tout en réalisant peu à peu qu’elle perdait du terrain et qu’elle luttait contre bien plus raisonné qu’elle. Désarmée, elle ne lui répondit pas quand il lui affirma que s’il reprenait ses vieilles habitudes en passant tout son temps à l’université, les rumeurs finiraient par gonfler et atteindre les oreilles de Lou. Elle se contenta de secouer la tête tout en détachant son regard du sien, accepter à voix haute qu’il avait raison étant bien au-dessus de ses forces. Elle avait les lèvres pincées, les sourcils froncés et tous les muscles crispés. Son corps entier semblait tendu, rigide. La peur et l’impuissance généraient sa colère, une colère qu’elle dirigea maladroitement contre Marius alors qu’elle n’était en réalité destinée qu’à elle seule. Parce qu’il était à l’origine de cette proposition et qu’elle ne pouvait tout simplement pas raisonner de façon lucide, elle se mit à douter de ses intentions. Egoïste, elle ignora la souffrance dans son regard pour se concentrer sur celle qu’elle ressentait. Et elle l’accusa. De lui imposer son choix, d’avoir tout planifié, de ne pas prendre en compte ce qu’elle ressentait, ses besoins. Elle était cruelle et s’en rendait bien compte. Elle se détestait d’énoncer ces doutes à voix haute, de lui poser des questions qui sonnaient comme des accusations. Et elle eut encore plus envie de se gifler quand il se défendit à son tour, avançant qu’il essayait simplement de faire évoluer les choses et que cette situation ne l’arrangeait pas non plus. Malgré ses oreilles qui bourdonnaient, elle parvint à l’entendre, à l’écouter, et sa gorge se serra quand elle imagina à son tour ne plus se réveiller à ses côtés, ne plus pouvoir l’étreindre le soir venu ou même le contacter à n’importe quel moment de la journée.
Les larmes revinrent en traître border son regard puis rouler sur ses joues devenues écarlates. Honteuse, touchée en plein cœur, elle se retourna pour qu’il ne puisse plus la voir mais il revint se planter face à elle et poser sa main sur sa joue. Elle fut saisie par des envies contradictoires ; tentée de fermer les yeux pour profiter de ce simple contact, ce toucher qui serait probablement le dernier, et en même temps croiser son regard, scruter son beau visage pour graver dans sa mémoire la douceur de ses traits, la sincérité qu’elle décèlerait au fond de ses yeux bleus. Une dernière fois. Si seulement elle pouvait enrouler ses mains derrière sa nuque et le serrer si fort contre elle qu’elle en aurait mal aux bras, mal à la poitrine. Si seulement elle pouvait l’embrasser, encore une fois, une dernière fois. Mais cela reviendrait à admettre que c’était vraiment fini, du moins jusqu’à ce que la situation s’améliore, et elle ne le pouvait pas. Elle ne le voulait pas. Alors elle n’en fit rien. Plutôt que de céder à ses envies, elle posa ses doigts sur sa main pour l’écarter de sa joue, sans le regarder. « Peu importe » Parvint-elle à articuler en ravalant sa colère mais sans parvenir à étouffer la souffrance qui pesait sur ses mots. En réalité, ça importait, bien plus que n’importe quoi d’autre. « Si tu le dis… Si tu penses que ça peut faire la différence. Très bien » Se résigna-t-elle, le ton de sa voix dénué de conviction. Elle se sentit soudain trop faible pour poursuivre la bataille. A quoi bon, de toute façon, quand il était évident qu’il avait raison ? « Je… J’ai besoin d’air ». Et elle se dégagea. La fuite comme seule alternative possible. Si elle plantait son regard dans le sien, elle savait qu’elle ne pourrait plus partir. Et pourquoi faire durer le plaisir, pourquoi se torturer en restant plus longtemps dans ce loft alors qu’elle savait qu’elle y vivait ses derniers instants – avant longtemps ou définitivement, telle était la question. Rester, c’était l’assurance d’avoir encore plus de difficultés à s’éloigner par la suite. Elle s’éclaircit la voix, comme pour ajouter quelque chose, mais les mots restèrent coincés au fond de sa gorge et elle demeura finalement muette. Se gardant bien de prendre le risque de le regarder une dernière fois, elle se pencha pour récupérer son livre et son téléphone portable puis s’éloigna afin les fourrer dans son sac à main. Et elle sortit. Pas uniquement pour prendre l’air et revenir une fois calmée, ou quand les larmes cesseraient enfin de couler. Elle sortit pour s’enfuir.
For nothing aches like a broken heart Lying awake in the lonely dark Nothing aches like a broken heart Don't try to love again too soon You're rubbing salt in an open wound Nothing aches like a broken heart@Marius Warren
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| | | | | | | | Nothing aches like a broken heart. (Malleen) |
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