Cold dark sea, wrapping it's arms around me. Pulling me down to the deep. All eyes on me. I push you away, although I wish you could stay. So many words left unsaid, but I'm all out of breath. So go, go, get out of here. Go away, get out of here
Andrew ne savait plus vraiment où il était, ni pourquoi il était ici. Le brouhaha ambiant, il ne l’entendait presque plus, il était dans un brouillard presque permanent depuis qu’il était arrivé là. Les verres avaient défilé à une vitesse folle dans ses mains, il ne les avaient même plus compté, à force. Quelques heures plus tôt, il était encore allongé sur son canapé. Il avait passé toute la journée du samedi en jogging, à regarder écouter la télévision, sans vraiment comprendre ce qui se passait. Il n’était même pas allé voir Tessa, et c’était une première, lui qui avait passé l’essentiel de son temps libre avec elle. Il avait besoin d’être seul. Il avait besoin de digérer tout ce qui s’était dit dans la semaine. Tout ce que Pete lui avait dit. Tout ce que Mia lui avait dit. Le prénom de Jax n’avait pas cessé de revenir, en boucle. Dans ses pensées, dans ses rêves. Le peu de fois où il avait réussi à s’assoupir, après avoir passé beaucoup trop de temps à tergiverser, il s’était souvent réveillé en sueur, paniqué à l’idée d’avoir retrouvé son fils. Il avait peur. Il avait mal. Il ne savait plus quoi faire, ni qui appeler. Alors vers dix-neuf heures trente, il avait enfilé un jean, son éternelle veste en cuir, attrapé ses clés. Et il s’était rendu ici. Dans ce bar.
C’était toute une histoire pour lui, ici. Il y avait passé beaucoup de soirées avec ses collègues, à l’époque. Avec Mary. C’était leur lieu de rendez-vous, à tous. Pour boire quelques coups, jouer au billard, chanter tous ensemble. C’était un de ses lieux préférés de Brisbane, parce qu’il lui rappelait beaucoup de vieux souvenirs. C’était là qu’ils avaient annoncé que Mary était enceinte de Mia à certains de leurs amis. Qu’ils avaient fêté leurs anniversaires. Et même si ce lieu était si significatif pour lui, et qu’il le ramenait à sa vie d’avant, il n’avait pas pu s’empêcher d’y amener Tessa, récemment. Parce que ça lui tenait à coeur. Parce qu’il avait envie qu’elle voit le lieu où il avait passé le plus clair de son temps.
Mais aujourd’hui, il était bien tout seul. Il s’était calé dans un coin, là où personne ne viendrait l’emmerder. Il buvait pour ne pas penser. Pour noyer ses émotions. Noyer son chagrin. Ne pas réfléchir. Il voyait son téléphone s’allumer de temps en temps. Il apercevait les lettres, même si un peu brouillées : Mia, Tessa. A chaque fois, il appuyait sur le bouton pour remettre l’appareil en veille. Il n’avait pas envie de dire où il était. Pas envie qu’on vienne le chercher. Il avait envie de s’en griller une, mais ce n’était pas comme à l’époque. On ne pouvait plus fumer à l’intérieur depuis longtemps. Alors il se leva péniblement, glissant son téléphone qui ne cessait de vibrer dans sa poche. Il se glissa, titubant, jusqu’à la porte d’entrée, pour rejoindre la porte de sortie. Arrivé dehors, il s’adossa au mur du bar, allumant sa cigarette. Il avait envie d’envoyer un message à Mary. Ou à Maxine. Il avait envie de prendre sa voiture, de partir loin. Faire un périple jusqu’à Sidney, sans s’arrêter. Jax, Jax, Jax, répétait sans cesse son cerveau. Les paroles de Pete, en boucle. Il tira une latte, essayant de faire disparaître cette ritournelle incessante. Les vibrations dans sa poche s’accentuaient. S’il avait jeté un coup d’oeil à son téléphone, il aurait su à l’avance que quelqu’un s’avançait vers lui.
C’est la première fois en une semaine que je peux enfin souffler et m’asseoir pour ne faire littéralement rien. Du repos visiblement bien mérité après avoir passé énormément de temps à l’hôpital avec Tessa, en plus d’avoir finalement repris l’entraînement de façon intensive pour me préparer à ma compétition qui aura lieu dans deux semaines. Et quelque part entre tout ça, je dois me garder du temps libre pour voir mon fils avec qui je suis en train de développer doucement une relation. Alors ce soir quand je m’assis sur le canapé à 19 h à peine, je m’assoupis presque immédiatement. Jusqu’à ce que la vibration de mon téléphone intelligent dans ma poche me réveille une heure plus tard. Je suis tellement endormi que je n’ai pas réussi à voir qui m’appelait sur mon afficheur avant de décrocher. « Allô? » C’est la voix de Tessa qui résonne de mon téléphone. Semble-t-il qu’elle n’arrive pas à rejoindre Andrew et elle s’inquiète pour lui. Comme elle est clouée sur son lit d’hôpital, elle me demande si je peux essayer de le trouver. « Je ne le connais pas Andrew, as-tu au moins une idée d’où il peut être? » dis-je en frottant mes yeux pour me réveiller. Selon elle, il pourrait être au Canvas, un lieu qu’il affectionne particulièrement et où il est allé avec elle. « C’est bon, je vais aller voir. Je t’écris de là-bas pour te donner des nouvelles. » Après avoir mis fin à l’appel, je grogne en me levant. Parce qu’une semaine plus tôt, j’avais dû me lancer à la recherche de Peter et que je me souvenais comme si c’était hier comment les choses s’étaient déroulées. Pas très bien, laissez-moi vous dire, et c’est d’ailleurs ce soir-là que j’ai appris que mon amie fréquente un homme qui a l’âge d’être son père. On ne peut pas dire que cette nouvelle mission me tente mais parce que ça vient de Tessa, je me force à y aller.
Considérant l’état dans lequel son fameux Andrew pouvait se trouver, s’il était bien où elle le croyait, je décide de prendre ma voiture plutôt que ma moto. Je me stationne à proximité du bar et je l’aperçois, là, accoté contre le mur du bâtiment à fumer. Avant de sortir de ma voiture, je prends mon téléphone pour au moins rassurer Tessa en lui envoyant un SMS. « Je le vois. Je vais aller le voir, je t’écris tantôt. » Sans plus attendre, je sors de mon véhicule en rangeant mes clefs et mon téléphone dans les poches de mon pantalon et je m’approche d’Andrew d’un pas décidé. « Andrew? » Je ne sais pas s’il va me reconnaître étant donné que lui et moi ne nous sommes jamais vraiment parlés, mais moi je me souvenais bien de lui alors que j’avais raccompagné Peter jusqu’à la chambre de Tessa et que j’étais discrètement resté sur le pas de la porte pour m’assurer que les choses ne dégénéraient pas trop. À quelques pas de distance de lui, je m’arrête et je penche légèrement ma tête à la recherche de son regard avec le mien. « C’est Lawrence, l’ami de Tessa. On s’est vu à l’hôpital la semaine passée. » Je prends place à côté de lui, appuyant mon dos contre le mur du bâtiment. « Tu devrais répondre à ton téléphone, elle s’inquiétait pour toi. » Et elle a assez eu de s’inquiéter pour Peter qui était saoul mort il y a une semaine que je me retiens de rajouter. Parce qu’Andrew s’était fait un plaisir de répondre à Pete alors que, pour le moment, je le retrouvais dans un état presque similaire. Visiblement, Tessa avait un faible pour les cas désespérés. « Ça va? »
Cold dark sea, wrapping it's arms around me. Pulling me down to the deep. All eyes on me. I push you away, although I wish you could stay. So many words left unsaid, but I'm all out of breath. So go, go, get out of here. Go away, get out of here
Andrew continuait à sentir son téléphone vibrer dans sa poche. Mais il n’avait aucune envie de regarder. Il savait que Tess’ devait être morte d’inquiétude, et que Mia devait être en train de l’engueuler parce qu’il ne répondait pas. Mais sur le moment, il n’en avait rien à faire. Très probablement qu’il s’en mordrait les doigts le lendemain matin, et qu’il culpabiliserait pendant des jours après ça. Mais après tout, c’était ce pour quoi il était fait, non ? Fuir ses responsabilités, partir dès qu’un sujet le touchait de trop près. Refuser d’affronter ses problèmes devant les autres. Il était fidèle à lui-même. Peut-être bien qu’il méritait une médaille, comme Pete l'avait si gentiment dit, après tout. « Andrew? ». Le vieux releva la tête. Il peina d’abord à voir qui venait vers lui, si ce n’est que c’était un grand gars, baraqué, et qu’il croisait fortement les doigts pour ne pas qu’il lui casse la gueule. Il semblait l’avoir déjà vu quelque part, mais l’alcool qui s’était emparé de ses capacités cognitives l’empêchait de mettre un nom sur son visage. Andrew recracha la fumée de sa cigarette, essayant de rester concentré. « C’est Lawrence, l’ami de Tessa. On s’est vu à l’hôpital la semaine passée ». Il soupira longuement. C’était donc lui. Le grand gars qui se tenait dans le couloir en attendant qu’ils aient terminé leurs querelles. Il avait longtemps soupçonné que c’était le garde du corps de Pete, au vu de sa carrure. Andrew releva la tête vers lui, tentant un trait d’humour, comme à son habitude lorsqu’il se retrouvait dans une situation qui le mettait mal à l’aise. « C’est Pete qui t’envoie ? ». Il écarta les bras, faisant signe qu’il était disponible. « Vas-y, si tu veux m’amocher, je pense que c’est le moment ». Il laissa retomber ses bras contre son corps quand Lawrence mentionna Tessa et le fait qu’elle s’inquiétait. Il s’adossa de nouveau sur le mur, continuant à fumer sa cigarette, le visage perdu dans les tâches qui parsemaient le trottoir. « C’est bien la seule à s’inquiéter pour moi… ». Il savait que c’était faux, Mia devait aussi s’inquiéter pour lui. Et probablement que son cercle proche aussi. Lawrence tenta de lui demander si ça allait. Instinctivement, les yeux d’Andrew s’embuèrent. Son humeur était comme un funambule sur une corde, menaçant toujours de basculer d’un côté comme de l’autre. Un moment il était prêt à tout casser, l’instant d’après il aurait pu s’écrouler et fondre en larmes. Il ne releva pas la tête vers lui, sa fierté l’empêchant de montrer son visage à Lawrence. « J’imagine que ça va », lâcha t-il simplement, avant d’ajouter. « Comme quelqu’un qui visiblement aurait mieux fait de rester aux Etats-Unis plutôt que de revenir ici ». Il l’avait mauvaise, mais tous les mots qu’on lui avait sorti jusque là lui étaient restés en travers de la gorge. Il releva la tête vers Lawrence, cherchant des réponses à ses questions, comme si Lawrence avait pu comprendre, comme s’il avait pu réparer quinze années en un claquement de doigts. « Qu’est-ce que tu veux que je fasse, Lawrence ? Ils croient tous que je vais me barrer, que personne ne peut me faire confiance, que je vais abandonner Tess’, puis Mia, puis Bonnie, puis Jax ». Il avait énuméré sur ses doigts, manquant de se brûler avec la cendre de sa cigarette. Il avait le discours de quelqu’un qui avait bien trop bu. « Alors à part si t’as une solution miracle pour que tout le monde arrête de me prendre pour un vieux con, je crois que je n’ai pas besoin d’un baby-sitter ». Il sortit son téléphone de sa poche, tapotant quelques touches pour envoyer un message incompréhensible à son ex-femme, Mary. Message qu’il regretterait probablement dès le lendemain, mais sur le moment il n’en avait que faire. « Tu peux dire à Tess’ que ça va, que je le verrai demain ». Il marqua une légère pause. « Mais dis lui pas que j’étais là ». Il avait un peu honte, il devait bien l’avouer. Il avait craché à la gueule de son frère et maintenant il se retrouvait dans la même situation que lui. Seul et puant la transpiration et l’alcool à dix kilomètres à la ronde.
Je viens à peine d’arriver que je me demande pourquoi je suis ici à perdre mon temps. À l’âge qu’il est rendu, Andrew devrait être en mesure de prendre des décisions réfléchies sans avoir besoin qu’une femme de près de la moitié de son âge veille sur lui. « C’est Pete qui t’envoie ? Vas-y, si tu veux m’amocher, je pense que c’est le moment » Andrew écarte les bras comme pour me donner le champ libre pendant que je le fixe en haussant les sourcils. « Je n’ai pas pour habitude de frapper quelqu’un déjà à terre. » Parce que dans l’état dans lequel il se trouve, je suis convaincu que j’ai à peine besoin de le toucher pour qu’il s’écroule au sol. Si ça se trouve, il tombera même par terre en trébuchant dans ses propres pieds, sans mon aide. Je lui explique que c’est plutôt Tessa qui m’envoie et qu’elle s’inquiète pour lui, qu’il devrait répondre à son téléphone pour la rassurer. Ne sont-ils pas supposés former un couple? Depuis peu, de ce que je sais, et l’attitude d’Andrew m’irrite au plus haut point alors qu’elle est toujours sur son lit d’hôpital et qu’il semble si peu prendre en considération la façon dont elle doit se sentir présentement, face à son absence. « C’est bien la seule à s’inquiéter pour moi… » Accoté contre la façade du bâtiment, je croise mes deux bras contre mon torse sans le lâcher des yeux. « Et elle a besoin de son énergie pour aller mieux. » Pas pour s’inquiéter pour lui alors qu’il est dans sa crise de la cinquantaine ou je ne sais quoi. Poliment, je lui demande comment il va, me doutant bien de la vraie réponse même si j’en ignore totalement les raisons. En voyant dans quel état ma question met Andrew, je me gratte la barbe d’une main en soupirant discrètement. J’ai déjà assez de mal à gérer mes propres émotions sans devoir essayer de remonter le moral à un homme que je ne connais même pas. Et pour ça, Tessa m’en devra une. « J’imagine que ça va. Comme quelqu’un qui visiblement aurait mieux fait de rester aux Etats-Unis plutôt que de revenir ici » Je hoche la tête en silence, scrutant son visage à la recherche d’une quelconque explication aux paroles qu’il vient de prononcer. « Pourquoi t’es revenu? Pourquoi t’étais parti pour commencer? » Je tente de lui tirer les vers du nez pour comprendre un peu mieux son état en espérant réussir à lui remonter le moral du mieux que je peux, même si je ne suis pas trop convaincu de mon aptitude à le faire. « Qu’est-ce que tu veux que je fasse, Lawrence ? Ils croient tous que je vais me barrer, que personne ne peut me faire confiance, que je vais abandonner Tess’, puis Mia, puis Bonnie, puis Jax ». Je décolle mon dos du mur en levant mes deux bras en l’air, faisant deux bas avant de m’arrêter pour me retourner vers lui. « Tu fais ce qu’il faut pour leur prouver qu’ils ont tort! » dis-je en haussant le ton un peu parce qu’il s’agit d’une évidence pour moi. Je laisse retomber mes bras le long de mon corps en fronçant les sourcils, en repassant dans ma tête tous les noms qu’il vient de nommer. Mon attention s’arrête particulièrement sur le nom de Mia et je fais alors le lien qu’ils ont le même nom de famille. « Mia c’est ta fille? » Ne pus-je m’empêcher de lui demander en pensant à cette blonde que je n’arrive déjà pas à sentir sans que je doive en plus me coltiner son paternel en état d’ébriété. « Alors à part si t’as une solution miracle pour que tout le monde arrête de me prendre pour un vieux con, je crois que je n’ai pas besoin d’un baby-sitter » Je pose mes deux mains sur mes hanches en le fixant d’un regard réprobateur en secouant la tête. « Désolé, j’ai pas de fontaine de jouvence cachée dans mon appartement. » Je commence à dire sur un ton sec, visiblement agacé de son commentaire alors que je ne suis pas ici par plaisir. J’humecte mes lèvres en roulant les yeux, appuyant ensuite sur son torse avec mon index. « Tu penses que j’ai rien que ça à faire de récupérer tous les fucking alcooliques qui font partie de la vie de Tessa? Peter, toi… » Je prends une pause en espérant que l’information ferait son chemin dans sa petite tête. Il était vraiment mal placé pour faire la morale à Pete quelques jours plus tôt alors qu’il ne semble vraiment pas mieux au final. « Tu dis que t’as pas besoin d’un baby-sitter, ça parait pas. » Je me mets à faire les cents pas autour de lui, conscient que j’ai peut-être été trop loin alors qu’il n’est déjà pas au meilleur de sa forme. J’essaie de me consoler en me disant qu’il aura probablement tout oublié le lendemain. Je prends une grande inspiration avant de reprendre place sur le mur à côté de lui. « Tu peux dire à Tess’ que ça va, que je le verrai demain. Mais dis lui pas que j’étais là ». Je hausse les épaules en soupirant, tournant ma tête vers lui pour lui répondre d’une voix plus calme. « Trop tard. Et entre toi et moi, je t’aurais retrouvé où si tu n’étais pas ici? On ne se connait pas. » Et je n’allais certainement pas mentir à Tessa pour lui.
Cold dark sea, wrapping it's arms around me. Pulling me down to the deep. All eyes on me. I push you away, although I wish you could stay. So many words left unsaid, but I'm all out of breath. So go, go, get out of here. Go away, get out of here
L’esprit embrumé, Andrew ne comprenait pas très bien ce que ce Lawrence faisait ici. Il ne le connaissait pas. Si Tess’ lui avait parlé quelques fois de lui, ça ne faisait pas de lui le meilleur pote d’Andrew. Et même s’il l’avait aperçu dans le couloir de l’hôpital le jour où Pete était venu, et qu’il avait très certainement entendu les immondices qui s’étaient dit ce jour là, il n’avait aucune idée de quel côté le gars était. Alors, le vieux est méfiant.Peut-être qu’il a été envoyé pour le frapper, que c’est Pete qui l’avait envoyé, plus précisément. Après tout, est-ce que ça ne serait pas un peu mérité ? McKullan n’avait pas été très cordial avec le gamin. En tout cas, absolument pas digne d’un adulte de cinquante balais. « Je n’ai pas pour habitude de frapper quelqu’un déjà à terre. ». Touché. Andrew ne répondit rien, parce que tout au fond de lui-même, il sait que Lawrence a raison. L’espace d’un instant, il aurait voulu sortir de son corps, pour pouvoir s’observer depuis le haut. Constater que ce soir là, il n’était qu’un déchet, qui ne valait pas mieux que d’autres. Mais enfermé dans ses propres pensées, l’alcool circulant bien trop vite dans ses veines, il reproduisait ce schéma. Ce schéma qu’il avait tant détesté quand il avait vu Pete dans la chambre d’hôpital. Même le fait de parler de Tess’ n’y change rien. Lawrence essaie de le faire réagir sur son état, faisant remarquer que Tessa avait sûrement besoin de toute son énergie pour aller mieux. Andrew hausse simplement les épaules, tirant sur sa cigarette comme s’il allait y trouver l’inspiration, recrachant perpétuellement la fumée comme si toute son âme partait dans les airs au milieu des volutes blanchâtres. « Alors elle est très certainement mieux sans moi. Au moins pour ce soir ». Andrew le savait, il n’aurait pas été de très bonne compagnie de toute façon. Si Tessa se faisait un sang d’encre, cela aurait été très certainement pire si elle avait observé Andrew faire les cent pas, contentant sa colère envers Pete, Mia, le monde.
Lawrence prend quand même le temps de savoir comment Andrew se porte. Et au vu de la tête qu’il fait quand le vieux lui répond, Andrew prend conscience que tout comme lui, il n’a aucune idée de qui il est. Il l’interroge sur pourquoi il est revenu. Pourquoi il parti. La lame planté dans le creux des reins de McKullan ne fait que s’enfoncer plus profondément. Andrew le regarde du coin de l’oeil. « Tu sais pas qui je suis ? Personne t’a parlé de moi ? ». Il ne disait pas du tout ça sur un ton vantard, au contraire. Il était plutôt surpris que personne ne lui ait parlé de son passé. Cela voulait dire que ni Pete, ni Mia n’avait rien à voir avec tout ça. « Je suis parti pour poursuivre quelque chose qui manquait à ma vie. Et je suis revenu quand je me suis rendue compte que courir après une chimère, ça ne servait à rien, et que ce dont j’avais besoin était ici, à Brisbane. C’était sans compter que cette chimère se trouvait finalement elle aussi à Brisbane ». Jax. Ce nom résonnait encore dans ses oreilles, faisant vibrer ses tympans de manière désagréable. Personne ne lui fait confiance, qu’il sort à Lawrence, comme s’il pouvait comprendre, comme s’il allait le prendre dans ses bras pour le rassurer. Lawrence lui fait remarquer à juste titre qu’il ne fait rien pour changer cette vision que les autres ont de lui. Mais là encore, Andrew n’a pas le recul nécessaire pour se rendre compte qu’il est un déchet. « Mia c’est ta fille? ». Le prénom de sa fille le secoue comme une décharge électrique. Qu’aurait-elle pensé, si elle l’avait trouvé là ? Sûrement tout le mal du monde. Déjà qu’elle ne pensait pas grand-chose de lui. Qu’il n’était qu’une déception, à ses yeux. Pouvait-il creuser sa tombe encore plus profondément. Andrew se renfrogna, s’appuyant un peu plus contre le mur froid, comme s’il pouvait s’y fondre. « C’est plus que ma fille. C’est ma princesse. La prunelle des mes yeux. Je crèverais pour elle ». Il avait du mal à penser que c’était réciproque, en ce moment. Mais lui aurait tout fait pour elle, même si ça n’intéressait très probablement pas Lawrence.
Andrew n’avait pas très envie que Lawrence reste ici. Il avait certainement suffisamment de pensées pour lui tenir compagnie cette nuit là, pas besoin d’ajouter une montagne de muscles sur le tas. Mais Lawrence était d’un tout autre avis. Il s’approche de lui, pointant son index sur son torse. « Désolé, j’ai pas de fontaine de jouvence cachée dans mon appartement. Tu penses que j’ai rien que ça à faire de récupérer tous les fucking alcooliques qui font partie de la vie de Tessa? Peter, toi…Tu dis que t’as pas besoin d’un baby-sitter, ça parait pas ». La lumière peinait à se faire dans le cerveau du vieux, bien trop confus et imbibé à cette heure tardive. « Je ne suis pas alcoolique. Je n’ai rien à voir avec ce Pete. ». Ca valait ce que ça valait, mais Andrew n’était venu là que pour replonger dans des vieux souvenirs, et accessoirement, noyer ses pensées dans l’alcool. Mais ça n’arrivait jamais. Et jamais il ne ressemblerait à Pete. Il releva les yeux vers Lawrence. « J’aurais dû faire quoi, à ton avis ? T’aurais fais quoi, toi, si t’avais appris que ton fils était sous tes yeux, à deux pâtées de maison, depuis tout ce temps ? ». Andrew ignorait si cette réflexion résonnerait d’une façon particulière ou non chez lui. Mais il s’en foutait.
Tessa revint une nouvelle fois sur le tapis. Le vieux ne voulait pas qu’elle sache où il était. Il ne voulait pas que l’image qu’elle avait de lui se dégrade. Parce que c’était la seule qui avait encore un peu d’estime pour lui. Qui le mettait encore sur un piédestal, alors qu’il ne le méritait certainement pas. Il ne voulait pas qu’elle sache qu’à l’heure actuelle, il ne valait pas mieux que son frère. « Trop tard. Et entre toi et moi, je t’aurais retrouvé où si tu n’étais pas ici? On ne se connait pas. ». Andrew baissa les yeux quelques instants. Il était honteux. Il ne voulait pas parler de Tess’. « Tu m’aurais sûrement trouvé quelque part entre la plage et chez moi…Elle aurait sûrement su où j’étais, aussi…». L’espace d’un instant, il aurait préféré avoir pris le chemin de la mer plutôt que du bar, ce soir là. Sentir la brise sur son visage, le sel et le sable caressant et griffant sa peau. Ses yeux remontèrent pour fixer un point dans le ciel, une étoile, quelque chose auquel il aurait pu se rattacher. Son esprit divaguait. « T’as déjà eu peur de mourir tout seul, Lawrence ? De finir ta vie en sachant que personne n’en aura rien à carrer ». Les yeux d’Andrew s’embuèrent presque instinctivement. La gorge nouée, il voyait Mia, enfant, qui séchait ses larmes quand il était triste, ses cheveux blonds dansant autour de lui. « J’ai pas envie de finir tout seul, Lawrence. Et j’sais pas quoi faire pour changer ça ».
Andrew est dans un tel état lamentable que je n’arrive pas à comprendre ce que Tessa peut bien lui trouver, surtout pas lorsque je le compare à Adriel qui est toujours là pour elle après toutes ces années. Pete n’est pas suffisant qu’elle doit se trouver un amoureux qui a le même vice que son frère malgré les vingt ans de plus qu’il a? Sans compter que j’ai beaucoup de difficultés à imaginer comment son père pourrait bien réagir en apprenant que son ami fréquente sa fille. Est-ce que ça vaut vraiment la peine de sacrifier l’amitié que son père entretient avec Andrew pour une amourette qui, je crois, ne durera visiblement pas très longtemps au vu de l’attitude d’Andrew? Ce n’est pas à moi de répondre à cette question même si la réponse pour moi est évidente. Peut-être parce que j’ai justement perdu un ami pour une histoire de cul. « Alors elle est très certainement mieux sans moi. Au moins pour ce soir » Nous étions au moins d’accord sur un point. « Je suis d’accord. Elle n’a pas besoin d’une version 2.0 de la discussion qu’elle a eue avec Pete l’autre soir. » Et si l’alcool le faisait changer d’avis et qu’il avait soudainement envie d’aller lui rendre visite ce soir, j’allais m’arranger personnellement pour qu’il ne puisse pas se rendre à destination.
Ne connaissant absolument rien de la vie d’Andrew outre le fait qu’il est ami avec les parents des Mulligan, je lui pose des questions, tentant de comprendre un peu d’où il vient pour avoir une idée de ce qui peut bien se passer dans sa tête actuellement. « Tu sais pas qui je suis ? Personne t’a parlé de moi ? » Je hausse les sourcils en riant avant de le regarder de haut en bas. « Pourquoi je saurais t’es qui? T’es pas fucking Céline Dion. » À l’écouter parler, j’ai l’impression que je devrais en savoir plus sur lui que je n’en sais actuellement alors que, pourtant, je ne suis pas convaincu que ce genre d’information m’intéresserait si je n’étais pas un peu obligé de m’occuper lui en ce moment si je ne veux pas que Tessa m’en veuille un peu à moi aussi. « Je suis parti pour poursuivre quelque chose qui manquait à ma vie. Et je suis revenu quand je me suis rendue compte que courir après une chimère, ça ne servait à rien, et que ce dont j’avais besoin était ici, à Brisbane. C’était sans compter que cette chimère se trouvait finalement elle aussi à Brisbane » Hum what? Je hoche lentement la tête sans rien dire alors que, au fond, j’ai absolument rien compris de ce qu’il vient de dire. Tant que lui se comprend, c’est l’important. Je lui demande plutôt si Mia est sa fille lorsque je réalise qu’ils portent tous les deux le même nom. « C’est plus que ma fille. C’est ma princesse. La prunelle des mes yeux. Je crèverais pour elle » SU.PER. « Ouais bah arrange-toi donc pour ne pas crever aujourd’hui parce que je ne suis pas convaincu que ça lui ferait plaisir. » Moi, défendre les intérêts de Mia… on aura tout vu.
Le vieux m’exaspère et j’essaie de le brasser un peu pour qu’il se réveille de son fucking délire mais il est dans le déni. « Je ne suis pas alcoolique. Je n’ai rien à voir avec ce Pete. » Je hausse les sourcils en le fixant d’un air dubitatif. « Laisse-moi en douter parce qu’en ce moment, ça non plus ça ne parait pas. » Dès la moindre difficulté il tentait d’oublier en noyant sa peine dans l’alcool. Il n’y a absolument rien de sain dans ce comportement alors pourrait visiblement y prendre goût et finir dans le même état que Pete. À l’âge d’Andrew, il avait moins le temps de tout réparer s’il sabotait toute sa vie pour un buzz éphémère. « J’aurais dû faire quoi, à ton avis ? T’aurais fais quoi, toi, si t’avais appris que ton fils était sous tes yeux, à deux pâtées de maison, depuis tout ce temps ? » Sa question me prend par surprise alors que, ironiquement, c’est exactement ce qui s’est passé quelques mois plus tôt. Les traits de mon visage se détendent et mon regard s’adoucit pendant que je le regarde en silence. « J’ai un fils de trois ans et demi dont j’ignorais l’existence jusqu’à récemment. Ironiquement, il habite dans mon quartier. Il était littéralement sous mes yeux, comme tu viens si bien de le dire. La première chose que j’ai fait quand je l’ai su c’est de débarquer chez mon ex pour la confronter. L’idée de ne pas assumer ma paternité ne m’a jamais traversée l’esprit. » expliquais-je finalement d’une voix un peu plus douce. « Qu’est-ce que t’as fait, toi? » Au final, peut-être qu’Andrew et moi avons plus de points communs que je le pensais.
Sans doute inquiet de l’opinion que Tessa pourrait avoir de sa condition, Andrew me demande de ne pas lui dire où je l’ai trouvé mais il est trop tard. De toute façon, ça aurait été plutôt surprenant que je le trouve ailleurs alors que j’ignore tout de ses habitudes. « Tu m’aurais sûrement trouvé quelque part entre la plage et chez moi…Elle aurait sûrement su où j’étais, aussi…» Je soupire bruyamment en secouant la tête en signe de dénégation. Il fallait bien qu’il comprenne que je n’allais pas risquer d’altérer mon amitié avec Tessa pour lui en lui mentant, d’autant plus que la vérité finirait très probablement pas se savoir de toute façon. « Elle l’a su, pourquoi tu penses que je suis ici? » Et je n’aime pas tellement l’idée que Tessa ait trouvé où il était du premier coup, considérant l’endroit où je l’ai trouvé. Et ensuite il veut me faire croire qu’il n’est pas comme Pete? Ça ne m’inspire pas du tout confiance tout ça. « T’as déjà eu peur de mourir tout seul, Lawrence ? De finir ta vie en sachant que personne n’en aura rien à carrer » « On n’est pas ici pour parler de moi. » répondais-je du tac au tac, peu désireux d’aborder ce sujet avec lui alors que, en effet, j’ai déjà eu peur de mourir alors que j’avais sept ans. La mort, je l’ai regardée dans le blanc des yeux. « J’ai pas envie de finir tout seul, Lawrence. Et j’sais pas quoi faire pour changer ça » Je me frotte le visage à deux mains, conscient que le vieux il a besoin d’un pep talk et je ne me sens pas tellement d’attaque alors qu’on ne se connait pas. « Arrête de mettre la tête dans le sable en te saoulant, ce serait déjà un bon début. T’as vu Peter, t’as vu de quoi il avait l’air l’autre jour. L’alcool a l’air d’aider sa relation avec Tessa tu trouves? » Je lui dis la première chose qui me vient par la tête, sans savoir si ça aura vraiment l’effet escompté. « Tu ne veux pas mourir tout seul alors bats-toi. T’auras pas ce que tu veux tout cru dans le bec. Mia, Tessa… et les autres dont j’ai oublié les noms, vas les voir. Bats-toi pour eux. » Quoi dire de plus? Andrew n’entretiendra jamais avec eux la relation qu’il désire s’il n’y met pas du sien. À force d’attendre toujours après les autres, on perd du temps considérable qu’on ne pourra jamais récupérer.
Cold dark sea, wrapping it's arms around me. Pulling me down to the deep. All eyes on me. I push you away, although I wish you could stay. So many words left unsaid, but I'm all out of breath. So go, go, get out of here. Go away, get out of here
« Je suis d’accord. Elle n’a pas besoin d’une version 2.0 de la discussion qu’elle a eue avec Pete l’autre soir ». Andrew serra les dents. Il n’aimait pas vraiment la façon qu’avait Lawrence de parler de lui. Il n’avait rien à voir avec Pete. Ni de près, ni de loin. Et même l’alcool qu’il avait dans le sang ne lui ferait pas dire le contraire. Pete était un alcoolique. Il était malade. Il avait besoin d’être soigné, d’aller dans un institut, quelque part. Andrew n’était pas du tout comme ça. Il ne buvait pas, peu, presque jamais. Il ne disait pas non à un verre de vin en rentrant le soir ou à une petite bière entre amis de temps en temps, mais il ne ressentait pas cette envie oppressante de se diriger vers une bouteille dès que ça n’allait pas. Ce week-end, c’était…exceptionnel. Qui n’aurait pas eu envie de se foutre une murge après avoir appris que son fils potentiel était en fait à Brisbane depuis toutes ces années, alors qu’on avait fui et parcouru la planète entière pour essayer de le retrouver ? Se mettant sa famille à dos par la même occasion ? Alors il n’avait pas envie qu’on le compare à Pete. Il observa longuement Lawrence, les yeux brumeux. Et il répéta une phrase qui tournait en boucle dans sa tête. « Je ne suis pas alcoolique, Lawrence, rentre-toi ça dans le crâne ». Hors de question qu’il aille raconter à qui voulait l’entendre qu’il traînait dans les bars et qu’il ressemblait plus à une vieille loque qu’à un homme de bonne famille. Et plus que tout, même si ce soir là il avait un peu de mal à l’admettre, il n’avait pas envie que Tess’ ait cette image de lui.
Andrew était réellement surpris qu’il n’ait pas entendu parler de lui, ne serait-ce qu’une fois. Brisbane était grand, mais son nom avait fait quelques unes de journaux quelques années auparavant. Et même si ce Lawrence ne devait pas pas être bien vieux quand toute cette histoire avait commencé, il se demandait pourquoi personne n’avait vraiment parlé de lui. S’il connaissait Mia, elle aurait sûrement raconté à quel point il était un mauvais père, tout comme Pete, par ailleurs. Et Tess’ ? Tess’ aurait tout aussi bien lui parler en long, en large et en travers de la vie de celui qui partageait sa vie. « Pourquoi je saurais t’es qui? T’es pas fucking Céline Dion ». Andrew leva les yeux au ciel, jouant avec les cendres de sa cigarette. Il ne put s’empêcher de sourire toutefois, sa remarque le faisant plutôt rire. « Je crois que je chante un peu moins bien qu’elle…Par contre, je crois qu’on a tous les deux un point commun : les écarts d’âge avec nos partenaires respectifs ». Il tira une nouvelle latte sur sa cigarette, essayant d’expliquer comme il le pouvait ce qu’il s’était passé. Il ne savait pas si c’était très clair, mais au vu de la tête du gaillard, ça ne l’était pas nécessairement. Ils préfèrent parler de Mia, sujet sur lequel il était à la fois beaucoup plus facile pour Andrew de s’épancher - et en même temps, pas tant que ça. Lawrence lui fit remarquer qu’il devrait bien éviter de crever, que ça ne ferait sûrement pas plaisir à Mia. Il fronça les sourcils, fixant une tâche sur le sol. Ce n’était pas prévu au programme. Il avait disparu suffisamment longtemps. Il n’avait pas envie de disparaître définitivement. Pas cette fois.
La conversation dévie. Andrew ne peut pas s’empêcher de parler de son fils. Même si cela paraît encore lointain, presque irréel. Parce qu’au fond, même si tout le monde lui soutient que Jax est bel et bien son fils, qu’est-ce qui le prouve à part les dires de tout le monde ? Aucun test n’a été réalisé, encore. Il aurait voulu s’enfermer dans cette croyance, dans cette pensée que peut-être tout le monde se trompait. Mais quelque chose tout au fond de lui, une intuition, lui soufflait le contraire. Lawrence lui parla de son fils, dont il avait visiblement appris l’existence quelques temps auparavant. Andrew se radoucit presque. Il avait soudainement de l’empathie pour lui. Il était touché qu’il lui ait parlé de ça. Alors quand il lui demanda ce qu’il avait fait, il ne savait pas trop si c’était par simple reconnaissance, mimétisme, ou parce que l’alcool déliait sa langue, mais il avait envie de raconter. « J’ai eu un fils. Il y a longtemps. On était jeunes, beaucoup trop jeunes, et on avait pas de quoi s’en occuper. Alors on l’a laissé, pour qu’il ait une meilleure vie, pour qu’il puisse s’épanouir ». Il avait encore du mal avec ce moment sombre de sa vie. Sur le moment, il n’en avait trop rien pensé. Il n’avait pas nécessairement était pour cette décision, mais ce n’était pas son corps, et c’était une décision qui se prenait à deux. « Ça m’a bouffé. Pendant des années, ça m’a bouffé. Et il est arrivé ce moment, un trop plein, où j’ai voulu partir à sa recherche pour essayer de reconstruire ce qui manquait ». Il espérait que Lawrence ne dirait rien. Ne le jugerait pas. Parce qu’il en avait eu assez des jugements de tout le monde sur ce sujet. A commencer par Mary, puis Mia. Personne ne comprendrait jamais ce qu’il avait ressenti et personne ne serait jamais capable de se mettre dans ses bottes pour comprendre. Il avait juste eu l’impression de s’éteindre doucement, à petit feu, pendant toutes ces années, et de ranimer une petite flamme quand il était parti le chercher.
Mais aujourd’hui, il se sentait perdu. Il ne savait plus quoi faire pour gagner la confiance et l’amour des siens. C’était en partie pour ça qui s’était réfugié ici, ce soir. Plongé dans les vieux souvenirs qu’il avait dans ce bar, perdu au milieu des souvenirs d’un temps où tout était plus simple. Où il semblait heureux, du moins en façade. Où il ne savait pas encore, où il n’avait pas réussi à mettre les mots sur ce mal qui le rongeait petit à petit. Adossé au mur du bar, Andrew aurait eu envie de se fondre à l’intérieur. De devenir une brique, pour arrêter de réfléchir, de remuer tous ses sentiments. « Arrête de mettre la tête dans le sable en te saoulant, ce serait déjà un bon début. T’as vu Peter, t’as vu de quoi il avait l’air l’autre jour. L’alcool a l’air d’aider sa relation avec Tessa tu trouves ? Tu ne veux pas mourir tout seul alors bats-toi. T’auras pas ce que tu veux tout cru dans le bec. Mia, Tessa… et les autres dont j’ai oublié les noms, vas les voir. Bats-toi pour eux ». Andrew ne releva pas tout de suite la tête, laissant les mots de Lawrence glisser dans sa peau et s’imprégner jusque dans ses veines. Le vieux était fatigué. Il n’avait pas, plus envie. Il glissa les main dans ses poches, la gorge nouée, les yeux à la fois embués par l’alcool et les larmes qui étaient montées toute seule. « Je suis épuisé, Lawrence. J’ai plus envie de me battre. Je sais plus comment faire pour me battre. J’ai passé quinze ans de ma vie à me battre, à remuer ciel et terre. J’ai plus vingt ans. J’ai envie de me poser. De profiter de ma famille. De mes proches. De faire les bons choix ». Les yeux toujours fixés au sol, il haussa les épaules. « J’ai pas envie de courir après tout le monde. Alors je vais leur laisser du temps ». C’était un peu un qui m’aime me suive, mais le vieux était au fond du gouffre et n’avait plus envie.
« Je ne suis pas alcoolique, Lawrence, rentre-toi ça dans le crâne » Peut-être que le vieux a raison, je ne le connais pas suffisamment pour savoir s’il dit la vérité ou non. S’il dit vrai, il a vraiment mal choisi son moment pour aller se saouler la gueule et ne pas donner de nouvelles à Tessa qui est coincée sur son lit d’hôpital. Il semble avoir déjà oublié que Peter lui a fait le même coup il y a quelques jours à peine. Pour lui faire plaisir, je ne lui réponds rien mais je ne suis pas pour autant convaincu qu’il me dit la vérité. Les alcooliques n’ont pas tendance à se vanter de leurs problèmes, au contraire, ils sont plutôt portés à les nier. J’espère pour Tessa et pour lui que ce n’est pas quelque chose qui se reproduira parce qu’il entendra parler de moi bien assez vite s’il ose lui faire du mal.
Andrew a l’air surpris que je n’en sache pas plus que ça sur lui et son commentaire pique ma curiosité. Je me demande ce qu’il a bien pu faire de sa vie pour qu’il y ait la possibilité que j’aie entendu parler de lui, il n’est pas célèbre à ma connaissance et je ne me gêne pas de lui demander pourquoi je saurais qui il est en le comparant avec Céline Dion. « Je crois que je chante un peu moins bien qu’elle…Par contre, je crois qu’on a tous les deux un point commun : les écarts d’âge avec nos partenaires respectifs » J’aurais pu rire de son commentaire si je n’étais pas irrité par son état actuel et qu’à cause de ça je passe ma soirée ici à essayer de lui remonter le moral plutôt que de me reposer chez moi pendant mon soir de repos. « Désolé de péter ta balloune mais René Anélil est mort depuis quelques années déjà. Je peux par contre au moins te donner que t’as meilleur goût que Céline. » Parce qu’on va se le dire, René n’arrivera jamais à la cheville de Tessa. La réponse d’Andrew laisse toutefois planer le mystère sur les raisons pour lesquelles je pourrais savoir qui il est. Mia et moi n’avons jamais été proches, et nous ne le serons probablement jamais, ce n’est définitivement pas elle qui allait me parler de lui.
Il aborde le sujet d’un supposé fils qui était sous son nez dans le même quartier depuis toujours et, ironiquement, son histoire ressemble un peu à la mienne sur certains détails. Sans savoir ce qui s’est passé pour qu’il perde cet enfant de vue, je fais preuve d’un peu de compassion considérant que je suis bien placé pour comprendre la douleur qu’il peut ressentir dans sa situation. Histoire de le mettre un peu en confiance, et peut-être un peu aussi parce que je sens qu’il pourra comprendre ce que je vis, je lui confie la découverte de ma paternité ce qui semble délier la langue d’Andrew à son tour. « J’ai eu un fils. Il y a longtemps. On était jeunes, beaucoup trop jeunes, et on avait pas de quoi s’en occuper. Alors on l’a laissé, pour qu’il ait une meilleure vie, pour qu’il puisse s’épanouir. Ça m’a bouffé. Pendant des années, ça m’a bouffé. Et il est arrivé ce moment, un trop plein, où j’ai voulu partir à sa recherche pour essayer de reconstruire ce qui manquait. » Je hoche lentement la tête en silence, tentant de me mettre à sa place. J’aurais été incapable d’abandonner mon enfant mais je peux comprendre qu’il ait cru à l’époque qu’il s’agissait de la meilleure chose à faire pour son fils. Visiblement, il avait au moins pu retrouver cet enfant après tout ce temps, ce dernier aurait pu signer un document comme quoi il ne voulait pas être retrouvé et Andrew n’aurait probablement jamais pu avoir de nouvelles de sa part. « Selon ce que tu dis, I guess que tu l’as retrouvé. » J’ai presque envie de lui demander comment tout ça s’est passé mais je me retiens, craignant que la réponse ne soit pas positive et que ça ne fasse que l’enfoncer encore plus. De toute façon, je n’ai aucun doute que le vieux m’en parlera s’il en a envie, sinon ce n’est pas vraiment de mes affaires.
Malgré le fait qu’on ne se connait vraiment pas, Andrew se confie et je ne sais pas tellement comment réagir face à des confidences de cette importance. Je tente de le motiver en lui disant de se battre pour les gens auxquels il tient mais mes mots n’ont pas l’air de faire l’effet escompté. « Je suis épuisé, Lawrence. J’ai plus envie de me battre. Je sais plus comment faire pour me battre. J’ai passé quinze ans de ma vie à me battre, à remuer ciel et terre. J’ai plus vingt ans. J’ai envie de me poser. De profiter de ma famille. De mes proches. De faire les bons choix. J’ai pas envie de courir après tout le monde. Alors je vais leur laisser du temps. » Une fois de plus, je hoche la tête en silence, sans le juger, parce que je n’ai aucune idée de ce qu’il a déjà tenté pour arranger la situation. Tout ce que je peux faire pour l’aider, ce soir, c’est l’écouter et au moins m’assurer qu’il rentrer chez lui en toute sécurité. « La première décision que tu peux prendre c’est me laisser te ramener chez toi, t’es visiblement pas en état de conduire. Allez, viens. » dis-je en tendant un bras pour lui faire signe de me suivre. Je ne suis peut-être pas le meilleur pour trouver les bons mots pour réconforter les gens, mais j’espère qu’au moins mon oreille plus ou moins attentive lui aura fait du bien.
Andrew ne sait plus très bien ce qu’il fait là. L’espace d’un instant, il a l’impression d’observer la scène depuis le ciel, comme s’il était sorti de son corps. Et il se rend compte de l’absurdité de la situation. Lui, fait comme un rat, dernier résistant du comptoir avec les quelques pochtrons du coin, peinant à tenir debout, obligé de s’adosser au mur pour que sa tête arrête de tourner ne serait-ce que quelques minutes. En face de lui, un homme qu’il ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam, qu’il a croisé rapidement dans un couloir d’hôpital et qu’il vient lui faire la morale. La question que tout le monde aurait pu se poser à ce moment-là était claire : qu’avait-il fait pour mériter ça ?. Mais lui savait très bien que tout ce qui arrivait ce soir était profondément mérité. Comme si le karma s’abattait sur ses épaules, cette nuit-là. Comme si les astres s’étaient alignés pour lui faire comprendre à quel point son existence s’était résumée à enchaîner les erreurs et à accepter, quand c’était trop tard, qu’il avait eu tort. Il devait bien l’avouer, il était toutefois plutôt content que Lawrence ait débarqué. Il avait pu souffler, quelques instants. Et il avait l’air plutôt marrant. Peut-être que dans d’autres circonstances, ils auraient pu être amis. Voire proches. « Désolé de péter ta balloune mais René Anélil est mort depuis quelques années déjà. Je peux par contre au moins te donner que t’as meilleur goût que Céline". Andrew ne put s'empêcher de rire, même si au fond de lui, il riait jaune. Est-ce que lui aussi, il allait bientôt passer l’arme à gauche ? La cigarette qu’il tenait dans la main tendait à lui dire que ses années étaient comptées. Peut-être qu’au fond, cela aurait été mieux pour tout le monde qu’il ne soit plus là, qu’il ne revienne jamais. La solution aurait peut-être été qu’il disparaisse à tout jamais. Mais pour l’instant, il était toujours présent. Il avait toujours les deux pieds sur terre, même si sa tête était quelque peu embrumée.
Au fil de la conversation, les langues se délient. Leur passé commun semble les rapprocher, facilitant les confidences sur le sujet. Les deux semblaient avoir plus en commun qu’ils ne le pensaient, finalement. Andrew tente d’expliquer tant bien que mal ce qu’il s’est passé, quelques dizaines d’années plus tôt. Les images défilent presque devant ses yeux. Il revoit tout, l’accouchement de Mary, l’odeur si particulière de la salle d’accouchement. Le moment où ils ont dû le laisser partir. « Selon ce que tu dis, I guess que tu l’as retrouvé. ». Andrew baissa les yeux. Est-ce qu’il l’avait vraiment retrouvé ? Il n’en était pas si certain, au fond. Il avait un nom. Un visage. Mais ça ne voulait pas dire qu’il l’avait vraiment retrouvé. Que tout se passerait comme si de rien n’était. “Je crois que je l’ai retrouvé, je ne sais pas. Il faudrait demander ça à Pete”. C’était lui qui avait balancé l’info, après tout. C’était à cause de lui s’il était là ce soir.
Andrew continua son monologue. L’alcool parlait plus que lui, au final, mais ce qu’il ressentait au fond de lui transpirait quand même au travers de ses mots. Il se sentait seul, terriblement seul, et fatigué de devoir faire des efforts. Il avait envie de se poser. « La première décision que tu peux prendre c’est me laisser te ramener chez toi, t’es visiblement pas en état de conduire. Allez, viens”. Andrew releva la tête vers lui. Ça aurait été le choix le plus judicieux à faire. Le choix raisonnable. Mais il n’avait pas envie de rentrer avec lui. Il n’avait pas envie de continuer à échanger là-dessus. Il avait une autre idée derrière la tête. Une idée qu’il regretterait probablement. Ou pas. Seul l’avenir le dirait. “C’est gentil, mais je vais plutôt rentrer en taxi”. Il tâtonna sa poche pour vérifier qu’il avait son portefeuille. Il devait lui rester encore quelques billets - les seuls qu’il n’avait pas étalés sur le comptoir pour payer sa descente aux enfers. Ca suffirait amplement pour l’emmener là où il voulait aller.
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