Tu as passé la matinée à écrire. Tu t’étais dis que tu allais attendre un peu avant de te plonger dans un autre roman puisque tu viens d’apprendre que ton premier manuscrit allait devenir un scénario pour un film au grand écran, mais tu n’as pas pu t’en empêcher. Comme trop souvent, tu t’es laissée porter par l’inspiration d’un moment, d’un sentiment. La prochaine chose que tu savais c’est que tu venais de créer un nouveau personnage au passé trouble et aux tendances à la pyromanie et tu t’impatientais d’avance de le suivre dans ses aventures de folie. Si tu tenais à avoir le contrôle sur tout dans ta vie, l’écriture était bien le seul endroit ou tu te laissais portée par tes envies et tes idées pures, te permettant d’y aller pleinement sans aucune censure. C’est d’ailleurs quelque chose qui choque souvent ceux qui te connaissent pour autre chose que pour tes romans, de découvrir que derrière l’image parfaite que tu renvoie depuis toujours se cache au fond une femme aux idées souvent sadiques et à l’esprit parfois trop allumé. Quand tu annonces que tu es auteure et que tu parviens à vivre (et bien!) de ton écriture, on assume que tu écris des romans à l’eau de rose, que tu baignes dans la romance alors que ton style est pourtant tout autre, à l’opposé complètement des romans arlequins auxquels tu es trop souvent associée par défaut. C’est d’ailleurs le seul aspect de ta personnalité que tu laisses percevoir ouvertement, sans tenter de le cacher ou de l’embellir comme tu fais avec le reste. Le seul morceau de toi qui n’a pas besoin de plaire constamment parce que tu sais qu’elle fait son effet, ta plume, qu’elle ne laisse personne indifférent et c’est le plus important pour toi.

Tu n’es pas sortie toutefois, utilisant pour une rare fois cette pièce de la maison qui a été emménagé en bureau dès que vous avez pris possession de la place avec Lachlan, il y a déjà deux ans de ça. Le bureau est ton espace à toi et il est complètement à ton image. La bibliothèque au fond de la pièce est immense et remplie de romans en tout genre, le bureau croule sous des tonnes de papiers, des révisions révisées qui trouvent même place sur le plancher. Tu n’es pas une personne bordélique de nature, mais tu peines parfois à garder le contrôle, surtout pendant tes séances plus intenses d’écriture. Sur le bureau traîne aussi quelques corps morts de la journée, une assiette dans laquelle reposait autrefois les toasts que tu as mangé de nombreuses heures auparavant, ainsi que plusieurs tasses de thé dont une encore pleine que tu as complètement oublié au milieu de tes aventures. C’est avec l’intention de ne faire qu’un voyage que tu attrapes les différents morceaux de vaisselle, plaçant la tasse de thé pleine que tu fais tenir en équilibre sur l’assiette alors que de ton autre main tu prends les tasses  vides. C’est concentré à ne pas faire tout tomber que tu franchis les quelques mètres qui séparent ton bureau de la cuisine, ne réalisant même pas qu’il y a quelqu’un au milieu de ton salon. C’est seulement quand tu déposes tout sur le comptoir que tu remarques finalement que tu n’es pas toute seule et tu ne peux t’empêcher de sursauter lorsque tu lèves les yeux et fait face à un Rory qui semble être apparu de nul part. « Oh bordel, mais qu’est-ce que tu fais là? » Tu ne sais pas ça fait combien de temps qu’il est là, t’es même pas certaine de l’avoir entendu cogner, même s’il n’y aurait rien de bien surprenant au fait que tu ne l’ais pas entendu. Quand tu es dans la zone, tu as tendance à couper le reste du monde et c’est un détail que ton frère connaît. Tu n’as pas vu Rory depuis le temps des fêtes, ton cadet de retour depuis seulement quelques jours de son voyage outre-mer. Tu avais l’intention de l’appeler dans les jours à venir, mais comme toujours, tu avais perdu la notion du temps et il avait trouvé le moyen de venir jusqu’à toi. « Ça fait longtemps que t’es là? » que tu lui demandes finalement, pas vraiment surprise de le trouver là. Si ça se trouve, il a cogné et sonné plusieurs fois avant de rentrer, tu n’as juste rien entendu, comme d’habitude. « Je t’offre quelque chose? » T’es incapable de rester en place plus longtemps, ton estomac qui gronde pour te rappeler que tu n’as rien avaler depuis trop longtemps déjà alors que tu sors déjà deux bouteilles d’eau du frigo avant d’en tendre une à ton frère.

Son frère et ses sœurs commençaient à le connaître. Chaque fois qu'il revenait d'un tournage de plusieurs semaines, Rory éprouvait ce même besoin de passer du temps avec eux pour compenser son absence et se faire pardonner, entre autres, de les avoir laissés affronter seuls les dîners de famille où leurs parents ne rataient traditionnellement jamais une occasion de s'envoyer des piques. Depuis son retour à Brisbane, il avait donc notamment profité de moments avec sa cadette, Wendy ayant insisté pour faire un millier de choses, boire un millier de milk-shakes et comme souvent, lui dispenser un millier de conseils qu'il tâcherait plus ou moins de suivre. Il était plus âgé qu'elle, il ne pouvait pas lui laisser penser qu'elle était plus à même de le conseiller sur sa vie que l'inverse. Des efforts qui lui avaient aussi valu d'intercepter Garrett entre deux sempiternelles réunions auxquelles il ne comprendrait sans doute pas grand chose mais qui semblaient épanouir son aîné, et c'était de loin le plus important pour lui. Garrett s'était comme chaque fois intéressé à sa carrière, pour ne pas dire qu'il avait émis quelques réserves en voyant son frère se réjouir de tourner pour Netflix. Ça aurait toujours l'air fantasque et abstrait à ses yeux, Rory en était conscient, et tout ce qui comptait pour lui c'était que son frère l'accepte malgré tout. Plus que l'approbation de leur propre père, c'était la sienne qu'il avait toujours secrètement recherchée. Et parce qu'il y en avait une qui ces dernières semaines semblait aussi très occupée, c'est au domicile de sa sœur aînée que le brun se rendit ensuite, elle qui depuis les fêtes de Noël semblait absorbée par un million de choses. Il faut dire que ses fiançailles avec Lachlan étaient sur toutes les lèvres et que tout le monde ne parlait déjà plus que du jour où Rosalie s'unirait à cet homme que même Rory avait fini par apprécier. C'est vrai, il le trouvait un peu ennuyeux de prime abord mais tout le monde méritait une chance de faire ses preuves et en aucun cas il n'aurait refusé d'accueillir dans la famille l'homme que sa sœur avait choisi. Peut être parce qu'inconsciemment, il aurait voulu qu'elle fasse de même pour lui, si seulement elle avait su.

C'était l'autre raison à sa visite d'aujourd'hui et une décision qu'il avait prise quelques semaines plus tôt. S'il y a une chose que Rory avait toujours regretté au sein de cette famille, c'était les secrets et dieu sait qu'il s'était senti coupable d'avoir gardé le sien pendant plus de quatre ans. Dieu sait aussi qu'il avait souvent rêvé de profiter d'un dîner pour leur parler, à tous, de celui qui à l'époque partageait sa vie. Mais garder le secret sur son histoire avec Swann avait toujours été un gage de bonheur et plus encore, c'était ce dont l'anglais avait besoin pour s'épanouir dans leur couple sans craindre de décevoir qui que ce soit. Quand bien même Rory, justement, aurait été le plus fier du monde de pouvoir en parler comme de son petit-ami. Aujourd'hui, ce secret n'avait plus lieu d'être et c'est à son échange avec Swann qu'il repensait maintenant qu'il s'apprêtait à frapper à la porte de Rosalie. L'anglais lui avait dit vouloir parler de lui à ses proches, et c'est un désir qu'il éprouvait lui aussi au plus profond de son cœur. Parce que ça faisait déjà trop longtemps qu'il éludait leurs questions. Il n'avait pas pu leur dire combien il était heureux, à l'époque, de partager sa vie. Il n'avait pas pu leur dire, après leur rupture, à quel point le perdre lui avait été insupportable. Et encore récemment, Rory n'avait pu en parler librement qu'à Wendy, la seule à avoir toujours su. Son aînée pourrait avoir une réaction bien différente et il en était conscient, mais en dépit de ce qui les avait toujours malgré eux opposés il était convaincu qu'elle avait toujours voulu son bonheur. Son poing s’abattit plusieurs fois contre sa porte mais celle-ci resta désespérément close. L'idée de repasser lui traversa l'esprit mais à la place, Rory se munit du trousseau de clés de secours, songeant que puisque le véhicule de sa sœur était garé devant son allée elle ne l'avait sûrement pas entendu. Pénétrant à l'intérieur, il s'attarda à peine sur les quelques changements au niveau de la décoration – probablement une initiative de Lachlan, Rosalie devant dédier le plus clair de son temps à l'écriture – et eut à peine le temps de rejoindre la cuisine qu'il tomba nez à nez avec sa sœur. « Moi aussi je suis content de te voir, Rosie. » Ses lèvres se fendirent d'un sourire chaleureux, tandis qu'il laissa ses doigts glisser sur l'îlot central pour se saisir d'une pomme. « J'ai frappé mais t'as pas répondu. Et je sais que tu caches un trousseau de clés de secours sous le deuxième pot de fleurs près de la porte. » Un travail d'observation de longue haleine pour lequel il n'avait en vérité pas tellement de mérite. « Tu devrais changer de planque, d'ailleurs. Tout le monde fait ça dans les films. » Il en savait quelque chose, pour avoir tourné ce genre de scènes où un individu profite que son voisin s'éloigne de chez lui pour récupérer les clés planquées sous le pot de fleurs et entrer sans avoir à casser un carreau. Rory osait espérer que Rosalie n'avait pas d'ennemis dans le voisinage. « Je viens d'arriver. » Et il ne resterait pas longtemps si elle avait besoin de travailler au calme, il voulait juste entretenir avec sa sœur. Elle lui tendit une bouteille d'eau, et il souffla. « Merci. Tu devrais aussi avaler quelque chose, toi, t'as la mine de quelqu'un qui a sauté le déjeuner. T'étais entrain d'écrire, je me trompe ? » Depuis le temps, Rory savait reconnaître les signes lorsque Rosalie plongeait à corps perdu dans l'écriture d'un nouveau roman. Elle vivait pour ça et pouvait facilement en oublier le reste quand ce genre de choses l'absorbaient. « Je te dérangerai pas longtemps, j'espérais juste... qu'on pourrait discuter un peu, toi et moi. C'était pas évident de se retrouver seuls ces dernières semaines entre les fêtes et mon voyage à LA. » Or tout ce qu'il voulait, c'était quelques instants avec elle, sans leurs parents pour apostropher Rosalie sur ses fiançailles. Il leur en parlerait, à eux aussi, mais la vérité il la devait d'abord à ses frère et sœurs.

Il y a probablement une douzaine de choses que tu aurais dû être en train de faire aujourd’hui plutôt que de te plonger corps et âme dans un nouveau projet dont tu n’avais absolument pas le temps de t’occuper pour les douze prochains mois. D’un côté, il te fallait travailler le script de l’adaptation de ton roman, une écriture avec laquelle tu n’étais pas cent pour cent familière et qui te demanderait de faire beaucoup de recherches même si tu serais évidemment bien guidée par toute l’équipe qui avait acheté les droits sur ton roman. Comme dans toute chose que tu entreprenais, tu voulais être à l’aise et douée avant de te lancer et il te fallait donc priorisé ce projet avant toute chose, chose que tu n’avais évidemment pas fait aujourd’hui. De l’autre côté, il te fallait maintenant accordé tout ton temps libre (qui n’existe qu’en quantité très limité déjà à la base) pour les préparatifs de ton mariage avec Lachlan. Mariage qui était très attendu chez les Craine, tes parents n’ayant même pas tenté de masquer leur bonheur lorsque ton petit-ami de longue date avait finalement mis le genou par terre lors de la nuit de Noël, attendant minuit pile pour te demander si tu acceptais de lui faire l’honneur de devenir sa femme. Tu n’avais pas hésité une seconde lorsque tu lui avais répondu oui, un sourire sincère au visage, bien que tu n’aies pas pu t’empêcher d’avoir une pensée pour Wyatt au même moment ou tes lèvres trouvèrent celle de Lachlan. Tu t’étais promise de ne jamais vivre une double-vie comme ton père et pourtant, c’était exactement le chemin que tu empruntais depuis plus de cinq ans déjà. Cinq ans de mensonges. Cinq ans à préserver les apparences du couple parfait devant ta famille. Cinq à mentir à celui à qui tu allais pourtant promettre amour éternel et fidélité dans la prochaine année. Il n’y avait pas encore de date de choisi, et si tu peinais à finalement mettre tous les plans en action, tu savais que ça aussi, tu ne pourrais l’éviter éternellement. Même si cela voulait dire mettre une fin à ton histoire avec Wyatt qui aurait dû finir il y a longtemps déjà. C’est tout ça que tu fuis au milieu d’idées sordides et sanguinaires, mais la réalité te rattrape rapidement alors que tu fais face à ton frère que tu ne t’attendais pas à voir aujourd’hui. « Moi aussi je suis content de te voir, Rosie. » Tu te détends légèrement, assez pour faire une grimace à ton petit frère. « Tu m’as fait peur, idiot. » Toujours un petit mot doux pour témoigner de ta grande affection pour ton cadet. La vérité est que malgré la surprise de le trouver là, tu es contente de le voir. Si tu as continué de voir Garrett et Wendy à toutes les semaines lors du weekly family dinner, Rory a eu la chance de s’en sauver pendant quelques mois et son absence s’est bien fait sentir, surtout dans les dernières semaines alors que t’aurais bien utilisé une distraction supplémentaire pour ne pas avoir à continuellement éviter les questions de ta mère sur ton mariage à venir. « J’ai frappé mais t’as pas répondu. Et je sais que tu caches un trousseau de clés de secours sous le deuxième pot de fleurs près de la porte. » Tu souris rien qu’à l’idée que ton frère ait pu remarquer cela. Il t’est arrivé trop souvent de sortir sans tes clés et de faire face à une porte barrée et avec tous les voyages d’affaires de Lachlan, il était plus prudent pour toi d’avoir un rechange à porté de la main. « Tu devrais changer de planque, d’ailleurs. Tout le monde fait ça dans les films. » « Comment tu vas faire pour venir m’emmerder sans avertir si je change de cachette? » Il n’y a aucun reproche dans ta voix, t’es même plutôt amusée de la situation et tu es contente de voir ton frère que tu n’as clairement pas assez vu dans les derniers temps qui ont été bien occupé autant de ton côté que du sien.

« Je viens d’arriver. » Tu hoches doucement la tête alors que tu le regardes attraper l’une des pommes sur ton îlot. Tu lui offres de faire quelque chose mais la vérité c’est que ton frigo est à moitié vide. Ça fait une semaine que Lachlan est à l’extérieur de la ville et que tu ne prends pas vraiment le temps d’aller faire les courses et de te nourrir adéquatement. Tu es le genre à oublier de manger un peu trop souvent quand tu as l’esprit occupé ailleurs, ce qui est chose très courante pour toi. Tu attrapes donc une pomme à ton tour et croque dedans, ce qui semble déjà faire plaisir à ton estomac qui continue de se lamenter. « Merci. Tu devrais aussi avaler quelque chose, toi, t’as la mine de quelqu’un qui a sauté le déjeuner. T’étais en train d’écrire, je me trompe? » Tu secoues la tête doucement, prendre une autre bouchée de ta pomme avant de finalement répondre à Rory. « J’ai eu une idée de génie, j’ai oublié de manger. » Tu hausses les épaules et échappe un léger rire alors que tu traverses finalement l’îlot pour te retrouver à côté ton frère. « J’devrais être en train de travailler sur le scénario de mon premier roman, mais j’me suis laissée emporter. » Ça non plus, ça n’aurait rien de surprenant pour ton frère qui te connaissait bien, mieux que beaucoup malgré les secrets et les cachettes qui existaient entre vous, de ton côté certain et du sien sûrement aussi. Si Rory et Wendy étaient généralement bien plus authentiques que Garrett et toi pouviez l’être, tu restais persuadée qu’il y avait derrière les apparences quelques secrets bien gardés, autant pour l’un que pour l’autre. « Je te dérangerai pas longtemps, j’espérais juste… qu’on pourrait discuter un peu, toi et moi. C’était pas évident de se retrouver seuls ces dernières semaines entre les fêtes et mon voyage à LA. » Tout de suite, tu as l’impression que ton frère fait dans le très formel pour quelqu’un qui semble débarquer à l’improviste et tu devines qu’il n’est pas vraiment venu sans avoir une idée derrière la tête, un sujet qu’il souhaite spécifiquement abordé. Tu le connais toi aussi après tout et Rory n’est pas le genre à agir sur un coup de tête. « Tu me déranges pas du tout. J’ai besoin d’une pause de toute façon. » Il n’allait sûrement pas te croire puisqu’il savait parfaitement que tu pouvais passer des journées entières sans t’arrêter, mais tu veux lui faire comprendre que malgré tout, malgré ton horaire de fou, tes obligations et toutes ces autres choses que tu devrais être en train de faire, tu trouverais toujours un peu de temps à accorder à ton petit frère, même si tu peinais parfois à instiguer les rencontres et les moments toi-même. « Viens t’asseoir. » que tu lui proposes alors, passant doucement ta main dans son dos avant de t’installer sur l’une des chaises de la cuisine alors qu’il prend place devant toi. Tu guettes chacun de ses mouvements, chacune de ses expressions, tentant de voir s’il va bien, et à première vue, rien ne semble sortir de l’ordinaire. « Tu voulais me parler de quelque chose en particulier? » Tu prends directement les devants parce que t’es loin d’être la personne la plus patiente et que même s’il semble bien aller dans son ensemble, tu ne peux t’empêcher d’éprouver une pointe d’inquiétude. « Il s’est passé quelque chose pendant ton voyage à LA? » Tentative envoyée un peu aléatoirement, mais puisque c’est tout ce qui s’est passé depuis la dernière fois que vous vous êtes vus, tu te dis que c’est un bon point pour lancer la conversation.

Si Rory savait bien une chose au sujet de sa sœur, c'est qu'il aurait pu choisir n'importe quel autre moment pour s'inviter chez elle et malgré tout la couper dans ce qu'elle était entrain de faire. Parce que ceux qui la connaissaient le savaient : Rosie ne se posait jamais, elle était pour ainsi dire toujours en mouvement et son frère en venait même parfois à se demander quand elle trouvait seulement le temps de reprendre son souffle. Sa carrière d'auteure occupait déjà le plus clair de son temps mais depuis qu'elle devait aussi gérer les préparatifs de son mariage, Rosie assumait une charge de travail qu'aucun être humain au monde ne parviendrait sans doute à assumer sans se dédoubler. Seulement, sa sœur avait toujours été dotée d'un sens de l'organisation impressionnant, courir d'une tâche à l'autre et rester malgré ça impeccable en toutes circonstances était un exploit qu'elle accomplissait tous les jours. Depuis son adolescence, et cette époque où le jeune Rory observait déjà sa sœur avec des yeux admiratifs. S'il les avait aussi tôt pris pour modèles, Garrett et elle, c'est parce qu'ils lui avaient toujours donné l'impression que c'était facile, de convenir aux attentes de leurs parents et d'exceller en tout. Raison pour laquelle il avait espéré marcher sur leurs traces et s'était lancé à corps perdu dans le football lorsqu'il paraissait évident qu'il avait ça dans le sang. Rien n'aurait pu le rendre plus fier que d'être à son tour pris pour modèle par Wendy et vu comme un exemple de réussite par ses parents et ses aînés. Au lieu de ça, il avait fini sur une table d'opération et ses rêves s'étaient envolés en même temps que ses espoirs de faire leur fierté. Mais ça n'avait pas d'importance tant qu'ils continuaient de l'aimer malgré tout, et si Rory avait pu douter de bien des choses au fil des années, leur amour n'en avait jamais fait partie. « Tu me connais, j'ai toujours eu un faible pour les entrées fracassantes. » Surtout quand il s'était absenté pendant plusieurs semaines, il saisissait dans ces cas là la première occasion pour rattraper tout ce qu'il avait raté et oui, ça sous-entendait souvent de débarquer chez ses aînés à l'improviste. Et malgré le léger agacement que provoquaient toujours ce genre de surprises chez sa sœur, Rory restait convaincu qu'elle s'ennuierait bien trop s'il n'était pas là pour l'arracher à ses séances d'écriture. Preuve en était que son double des clés n'avait pas changé de place depuis des mois et que ça ne pouvait pas juste être parce que Rosie devait avoir été trop absorbée pour s'être souvenue de cette cachette. « Je trouverai un autre moyen, c'est bien à ça que ça servent les petits frères non ? » Et son sourire s'étira d'amusement tandis qu'il se pencha en avant et glissa. « C'était marqué dans le manuel fourni le jour de ma naissance, juste au-dessus de la ligne qui dit que je peux être ni repris ni échangé. » Quel dommage, un échange était d'autant moins possible que vingt-neuf ans avaient passé désormais. Ils étaient tous condamnés à le supporter, y compris quand son manque d'affection le poussait à débarquer chez eux à l'improviste pour passer du temps auprès des siens. Mais promis, il faisait de son mieux pour être un peu plus gérable d'année en année. Son besoin d'être toujours plus proche de sa famille et plus particulièrement de son frère et de ses sœurs, c'était la seule chose qui ne changerait pas.

Rosalie, elle, portait sur son visage qu'elle avait du passer les trois dernières heures (au moins) à écrire. Ça n'avait rien d'étonnant quand on la connaissait, mais c'est parce que Rory savait comment était sa sœur pendant ces élans d'inspiration qu'il tenait à prendre soin d'elle quand elle n'en faisait pas une priorité. Il n'était pas à proprement parlé inquiet, Rosie avait toujours été une force de la nature qu'absolument rien ni personne ne saurait réellement ébranler, mais ça n'était pas parce qu'il était plus jeune qu'elle qu'il ne pouvait pas veiller à son bien être en l'absence de Lachlan. Il serait toujours son frère, peu importe qu'elle soit sur le point de porter le nom d'un autre et d'unir son destin à l'homme qu'elle avait choisi. « Oublié, ou repoussé le moment où t'aurais à t'éloigner de ton bureau ? » Un sourire complice au coin des lèvres, il ne portait aucun jugement et se contentait de souligner l'idée que sa sœur devait estimer que sauter le déjeuner était moins grave que de perdre le fil de ce qu'elle faisait. Et il pouvait la comprendre, pour être lui-même facilement absorbé lorsqu'il apprenait un script et travaillait sur un personnage. « Emporter à quel point ? Y'a une chance pour que j'ai une exclu sur le prochain roman de la grande Rosalie Craine ? » C'est le regard brillant de curiosité qu'il rebondit sur l'idée que sa sœur ait probablement un tout nouveau projet en préparation, ce qui le poussait toujours à réprimer un millier de questions qu'il rêvait déjà de pouvoir lui poser. Rory était un amoureux des histoires, qu'elle soit couchées sur du papier ou portées à l'écran. Sa sœur et lui ne se ressemblaient peut être pas sur tout, mais ça, ça les avait toujours rapprochés. Et parce qu'il n'était pas juste venu prendre de ses nouvelles et s'assurer qu'elle allait bien, Rory finit par lui avouer que ce qu'il espérait surtout en lui rendant visite, c'était passer un moment seul à seul avec elle pour discuter. Il en avait besoin, parce qu'il y a des années qu'il aurait sûrement du initier cette conversation et que même s'il n'avait jamais regretté d'avoir gardé le secret aussi longtemps pour protéger son histoire avec Swann et son bonheur avec l'anglais, aujourd'hui c'est à sa sœur qu'il ressentait le besoin de se confier. Elle le fit asseoir et Rory tritura ses mains comme chaque fois qu'il était nerveux. Il l'était, bien sûr, de ne pas savoir comment sa sœur accueillerait sa démarche. Rory avait toujours recherché son acceptation dans chaque chose qu'il avait pu faire et encore aujourd'hui, un rejet lui briserait le cœur. « Oui, il y a quelque chose que je voudrais te dire. Mais ça a rien à voir avec LA. » Et percevant un début d'inquiétude dans les traits de sa sœur, il glissa sa main jusqu'à la sienne pour la serrer un instant. « Tout va bien, t'inquiète pas. Je vais bien et il s'est rien passé de grave. » Ni à LA, ni ailleurs. Ce qu'il voulait lui dire, ça n'était rien de grave ou qui doive l'inquiéter. Il restait terrifié à l'idée de se confier à elle, parce que c'était bien moins anodin pour lui que lorsqu'il lui parlait de son tout nouveau rôle ou de son envie d'adopter un chien. Ici, c'est son cœur qu'il lui ouvrait et une blessure profonde qu'il ravivait, mais il avait terriblement besoin de lui parler de Swann. « Tu te rappelles, toutes les fois où ces dernières années les conversations ont tourné autour de ta relation avec Lachlan ? » Un sourire perça sa carapace ; bien sûr qu'elle s'en souvenait. C'était devenu le sujet de discussion favori chez les Craine, avec la réussite professionnelle de Garrett. « Souvent, maman profitait de l'occasion pour me demander si j'avais rencontré quelqu'un et si je pensais moi aussi à me poser. En général, je me contentais de sourire et d'éluder ses questions, et quand vous vous y mettiez vous aussi je vous promettais à chaque fois que le jour où je tomberai amoureux de quelqu'un, je vous le ou la présenterai aussitôt. » Il l'avait si souvent promis qu'au bout d'un moment, son cœur ne se serrait plus sous le coup de la culpabilité – il ne leur avait pas caché la vérité parce qu'il n'avait pas confiance en eux, il l'avait fait par amour. « Maintenant est-ce que tu te rappelles de Swann, Rosie ? » Son regard chercha le sien avec fébrilité, prononcer son nom devant sa sœur et alors qu'il s'apprêtait à lui parler de leur histoire était l'une des choses les plus difficiles qu'il ait eu à faire. Parce qu'il savait qu'une fois qu'il lui aurait tout dit, Rosie ne pourrait même pas se consoler d'avoir été laissée dans l'ignorance en se disant qu'au moins, son frère était heureux. Mais il l'avait été, infiniment.

La peur a fait accéléré ton myocarde mais la surprise est bonne et tu es contente de poser les yeux sur ton petit frère. Rory qui n’a pas eu à entendre les mêmes questions répétées de quinze manières différentes par ta mère au sujet de tes nouvelles fiançailles, au sujet de ce mariage à venir à la date toujours inconnue pour le moment. Rory qui a eu la chance de ne pas avoir à endurer les remarques mesquines de la femme de Garrett, qui n’a pas vu les regards fuyants de l’aîné, qui n’a pas entendu les multiples soupirs de la benjamine qui aurait sans doute – comme tout le reste du clan – préféré être ailleurs qu’à la grande table à dîner de la famille Craine. Rory qui pourtant, semblait vouloir rattraper le temps perdu, du moins avec ton frère, ta sœur et toi, peut-être un peu moins avec vos parents qui comme toujours, font semblant de tout et de rien. Il sait pas Rory, que t’es devenue une professionnelle toi aussi, de faire semblant. Il y a des jours ou ça te démange, de tout lui dire. Tu oses croire que s’il y a bien quelqu’un dans ta famille, dans ta fratrie même qui ne te jugerait pas, c’est lui. Mais les mensonges sont trop nombreux, le fossé bien trop profond pour y remédier, surtout pas sur un coup de tête, comme ça, sans vraiment y réfléchir. Et puis, t’es bien trop ancrée dans ton personnage. Peut-être qu’il serait fier Rory au fond, s’il savait. Tu sais que non, mais t’aimes bien te faire des à croire, comme toujours. « Tu me connais, j’ai toujours eu un faible pour les entrées fracassantes. » Ça t’arrache un petit rire. Les Craine, vous aimez tous d’une manière ou d’une autre faire des entrées fracassantes, s’assurer d’attirer l’attention. Garrett au haut de sa compagnie, toi au milieu des soirées mondaines de la littérature, Rory devant la caméra et Wendy de quelconque façon qu’elle puisse trouver pour faire rager tout le monde. Semblables dans vos manières d’êtres mais si différents sur le fond, sur les motivations, sur les besoins. Si vous vous ressemblez tous physiquement, c’est parfois surprenant de réaliser que vous avez tous été élevés par les mêmes parents tellement vous pouvez être différents. Mais la famille, c’est sacrée, ou du moins, c’est ce qu’on dit. « Je trouverai un autre moyen, c’est bien à ça que ça servent les petits frères non? » Ça aussi, ça t’arrache un petit rire alors que tu secoues légèrement la tête. « C’était marqué dans le manuel fourni le jour de ma naissance, juste au dessus de la ligne qui dit que je peux être ni repris ni échangé. » « Crois-moi, si c’est moi qui avait écrit ce manuel, les règles auraient été bien différentes. » que tu lui lances sans aucune hésitation avec une autre grimace en prime.

C’est sans doute avec Rory que tu peux te permettre d’être la plus détendue. Si avec ton aîné vous vous entendez pour garder les rôles en place, quoiqu’il arrive et qu’avec ta cadette il est nécessaire de montrer l’exemple (qu’elle ne suivra pas malgré tes millions de tentatives), avec Rory il y a une certaine simplicité qui te fait du bien. Comme la simplicité avec laquelle il reconnaît chacune de tes habitudes et de tes manies lorsqu’il est question de ton écriture. Il est le seul qui semble porter attention à chaque détail. « Oublié, ou repoussé le moment ou t’aurais à t’éloigner de ton bureau? » « Y’a une différence? » Pour toi, c’est du pareil au même. T’oublies tout pour ne pas avoir à te couper dans ton élan. T’oublies tout du monde extérieur, rien n’a plus d’importance que les mots qui coulent de ton esprit jusqu’au papier (ou l’écran plus souvent qu’autrement, t’es pas aussi vieux jeu que le Parker). « Emporter à quel point? Y’a une chance pour que j’ai une exclu sur le prochain de la grande Rosalie Craine? » Tu lui souris mais tu secoues déjà la tête. Il sait Rory, que tu partages rien avant que ce ne soit fini, avant que ça ne soit parfait. Il y en aura des dizaines, des centaines de révisions sur ce qui est encore bouillant dans ta tête et même si tu sais que Rory n’aurait que de bons commentaires à te faire, tu es de ceux qui ne donnes jamais rien avant le temps. « Il faudra que tu attendes la parution, comme tout le monde. » Tu le taquines, comme tu sais si bien le faire. « Bon okay, je pourrais peut-être me laisser convaincre de te montrer la dernière version, avant tout le monde. » Un autre sourire taquin vient habiter tes lèvres. Sans aucun doute, il sera l’un des premiers à lire tes mots, comme il a été l’un des premiers à avoir le nez dans ton premier roman, et puis le deuxième et le troisième aussi. « T’auras peut-être même droit à une dédicace. » Ton sourire se fait plus sincère cette fois. T’as jamais osé faire une dédicace personnalisé dans tes romans jusqu’à maintenant, mais c’est une idée qui te trotte en tête étonnamment, pour celui-là.

« Oui, il y a quelque chose que je voudrais te dire. Mais ça a rien à avoir avec LA. » Tu hoches vaguement la tête, pas particulièrement rassurée même si tu fais de ton mieux pour ne pas laisser paraître ton inquiétude. Tu essayes de ne pas sauter aux conclusions trop vite quand il te dit vouloir te parler. C’est plus fort que toi, tu t’imagines déjà le pire et il le ressent Rory alors que ses mains viennent se poser sur les tiennes dans un geste qui se veut rassurant. « Tout va bien, t’inquiète pas. Je vais bien et il s’est rien passé de grave. » Tu souffles doucement, un peu plus rassurée cette fois-ci alors que tu lui donnes le temps de faire le tri de ce qu’il veut te dire. Il est particulièrement solennel dans sa manière d’être et tu te doutes qu’il veut pas seulement te parler de quelque chose de sans importance. Alors tu attends, même si ce n’est pas ton fort. Tu lui souris, aussi tendrement et doucement que tu en es capable. « Tu te souviens toutes les fois ou ces dernières années les conversations ont tourné autour de relation avec Lachlan? » Ce n’est pas du tout ce que tu t’imaginais comme préambule, particulièrement parce que ça n’avait jamais vraiment arrêter. C’était même pire que jamais, avec le mariage à venir. « T’étais pas là mais crois-moi, c’est encore d’actualité. » C’est mi-sarcastique et mi-amusé que tu rétorques, tes doigts toujours liés à ceux de ton cadet. « Souvent, maman profitait de l’occasion pour me demander si j’avais rencontré quelqu’un et si je pensais moi aussi à me poser. En général, je me contentais de sourire et d’éluder ses questions, et quand vous vous y mettiez vous aussi je vous promettais à chaque fois que le jour ou je tomberai amoureux de quelqu’un, je vous le ou la présenterai aussi. » Tu continues de hocher de la tête, tu te souviens parfaitement. Il avait toujours été très discret sur sa vie amoureuse Rory, malgré les rumeurs des derniers mois que tu savais fausses parce que Rory ne t’avait jamais menti et tu ne voyais pas quel intérêt il aurait de le faire maintenant. Tu voudrais lui demander si c’est pour t’annoncer qu’il a rencontré quelqu’un qu’il fait toute cette mise en scène, mais t’as l’impression qu’il est pas au bout de ce qu’il veut te dire alors tu restes silencieuse, tu attends la suite, tu la sens qui s’en vient, au bout de ses lèvres. « Maintenant est-ce que tu te rappelles de Swann, Rosie? » Plot twist. Le nom est familier, évidemment qu’il l’est. « Swann? Grandeur moyenne, blond, fort accent anglais? » Il y a un moment déjà que tu n’as pas entendu le nom sortir de la bouche de ton frère. Un moment déjà que Rory n’a pas emmené l’anglais a un souper de famille du dimanche soir. « Tu veux dire que Swann et toi... » Êtes ensemble? Étiez ensemble? Tu ne veux présumer de rien, surtout puisque tu étais dans l’impression que les deux jeunes hommes n’étaient que des amis. « Ça fait longtemps? » Tu ne sais pas comment réagir, il te manque trop d’informations, trop de détails. Alors tu fais quelque chose qui t’est toujours aussi difficile à faire : tu attends que Rory daigne t’en dire un peu plus.

Rory n'était pas dupe, sa sœur n'était pas vraiment dérangée par sa visite surprise, c'était simplement la façon qu'elle avait toujours eu de réagir lorsque l'un d'entre eux perçait sa bulle et envahissait son espace vital. Il fallait bien les habituer dès leur plus jeune âge à la laisser profiter de ses élans d'inspiration lorsqu'ils la prenaient, Rosalie avait toujours eu une plume au bout des doigts et personne n'aurait pu remettre en question le talent qui l'avait toujours habité. C'est aussi parce qu'il savait à quel point elle avait toujours vécu pour son art et qu'elle pourrait passer des journées entières en tête-à-tête avec son ordinateur que Rory prenait parfois soin de débarquer sans prévenir. Et ce n'était sûrement pas elle qui risquait encore de s'en étonner, après tout elle l'avait littéralement vu grandir et lui avait toujours connu cette tendance à vouloir rapprocher toute la famille, comme si quelque part il avait pris à cœur de réparer une partie des erreurs de leur père. « Tu écriras tes propres règles dans le manuel de tes futurs enfants, je me fais pas de souci pour ça. Tant que la première d'entre elles c'est que leur oncle aura le droit de les voir aussi souvent qu'il en aura envie. » Un sourire faussement innocent étira ses lèvres. Pour l'avoir déjà vu à l’œuvre avec les enfants de Garrett, Rosalie savait exactement ce qui l'attendait pour le jour où elle fonderait sa propre famille et qu'il prendrait son rôle d'oncle à cœur là aussi. Doucement, pourtant, il déposa sa main sur la sienne et la serra un instant. L'atmosphère redevint plus silencieuse et bien que Rory n'ajoute rien, sa façon de retrouver le regard de sa sœur ferait comprendre à Rosalie qu'il était convaincu qu'elle ferait une mère formidable, comme c'aurait été le cas des années plus tôt si la vie ne l'avait pas cruellement privée de la chance de le devenir. Rory avait été là le soir où ça s'était passé, il avait traversé ça avec elle et il pouvait donc lui promettre, même sans avoir à prononcer le moindre mot, que ce serait différent la prochaine fois.

Son sourire se fit mutin lorsque Rory perça l'évidence à jour : sa sœur n'avait pas oublié de déjeuner, elle avait simplement perdu la notion du temps pendant qu'elle écrivait et ça son cadet ne pourrait pas l'en blâmer, il ne connaissait que trop bien la place que sa passion avait toujours eu dans sa vie. « Ça en a sûrement pour Lachlan quand il est là, mais vu la bague que t'as au doigt je crois pas que ça doive beaucoup le déranger. » Bien sûr que non, Lachlan semblait éperdument amoureux de Rosalie et personne au sein de la famille Craine ne pourrait sans doute prétendre avoir été étonné lorsqu'il l'avait demandée en mariage à Noël. Comme pour des fiançailles princières, les pronostics allaient bon train dans le cercle familial et leurs parents attendaient avec impatience le jour où ils pourraient marier un autre de leurs enfants. Rory, lui, avait bien plus important en tête que l'idée de se marier : il voulait une exclue sur le prochain roman de sa sœur et attention, pas le genre d'exclue dont se contenterait n'importe quel fan. Rory vivait toujours le processus d'écriture des romans de Rosalie comme si c'était lui qui devrait soumettre ensuite son manuscrit à son éditeur, autant dire que chacun de ses succès le rendait presque plus heureux que ses propres réussites. « Génial Rosie, t'es la meilleure. Je te revaudrai ça en achetant 14 000 exemplaires de ton bouquin. Justement je trouvais mon loft un peu vide en l'état. » Il lui sourit, bien trop heureux de pouvoir se vanter auprès de Wendy d'avoir obtenu de leur sœur la promesse de découvrir la version définitive de son bouquin avant l'heure. « Promis, je ferai pas comme pour le premier lorsque j'ai pris des notes et pesté parce que le personnage principal s'appelait pas Rory. » Juré, il ne lui ferait pas le coup cette fois-ci. « Après, s'il s'appelait Rory, je serais content quand même... » Tellement qu'il s'en vanterait partout dès la parution du bouquin mais promis, ce n'était qu'un détail et ça ne l'empêcherait pas de le trouver aussi brillant que le dernier. Son regard s'illumina un peu plus lorsqu'elle parla de lui faire une dédicace et s'il se retint de lui suggérer d'ors et déjà quelques idées, c'est parce que la plume inspirée c'était elle et non lui.

Il était si proche de tout lui dire, à présent. Si proche de mettre des mots sur ce qui était resté un secret pendant plus de quatre ans sans que jamais Rory ne s'autorise à le trahir, quand rien ne comptait plus que de partager la vie de Swann. Il n'avait jamais pu l'aimer au grand jour, ni même le présenter à sa famille autrement que comme un ami, mais aujourd'hui tout était différent et son cœur, lui, pouvait enfin se libérer de ce secret. Rory pouvait voir l'inquiétude dans le regard de sa sœur et pour ça, il s'empressa de la rassurer. Il ne lui était rien arrivé et la seule raison pour laquelle il était pétri d'appréhension et terrifié à l'idée que ses confessions puissent être mal accueillies par sa sœur, c'est parce qu'il en avait fait un secret pendant si longtemps que cet aveu lui semblerait peut être arriver trop tard. Eux qui s'étaient promis de toujours tout se dire, eux qui s'étaient jurés de ne jamais reproduire les erreurs de leur père. Rory était convaincu de n'avoir rien dit pour les meilleures raisons du monde, pourtant, et il referait les choses de la même manière parce qu'elles lui avaient permis de vivre quatre ans d'un immense bonheur avec Swann. « Je suis désolé, j'ai l'impression que t'aurais bien eu besoin que je détourne l'attention vers une de mes histoires de tournages. » Il savait bien que Rosalie était heureuse de ces fiançailles, simplement lassée de l'intérêt inarrêtable de leurs parents. « Je suis vraiment heureux pour toi, Rosie. Tu le mérites. » La sincérité de ses mots n'avait d'égal que celle de son sourire, alors que l'émotion si profonde qu'il éprouvait à l'idée de voir bientôt sa sœur épouser son fiancé lui rappelait celle qu'il avait éprouvé lors du mariage de Garrett. Ses aînés méritaient ce bonheur pour l'énergie qu'ils avaient toujours déployé pour être de meilleurs modèles que leurs parents et pour ça, Rory voudrait les voir éternellement heureux. A défaut de l'être lui-même, il pouvait au moins se confier à sa sœur sur ce qu'il lui tenait profondément à cœur de lui avouer et la seule mention de Swann, enfin, suffit à lui donner le courage dont il avait besoin pour le faire. « C'est ça. » Son sourire se fit plus doux. Repenser à toutes les fois où Rosalie les avait vus ensemble Swann et lui sans jamais se douter qu'ils l'étaient littéralement lui serra un instant le cœur. « Swann et moi on a été ensemble, oui. » Et la dernière fois qu'il avait parlé si bas et si doucement en fixant sa sœur comme un gamin soucieux de la décevoir, c'était justement le jour où il lui avait avoué qu'il aimait aussi les garçons. En vérité, il n'avait jamais aimé que lui. « Pendant un peu plus de quatre ans. On a... rompu l'année dernière, à peu près au moment où toutes ces histoires au sujet de mon dernier tournage ont commencé. » Ça n'avait rendu les choses qu'un peu plus difficiles mais au moins, Rory avait pu prétendre durant des mois qu'il allait mal et perdait pied parce que ces histoires lui pesaient. C'était le cas, mais la réalité était pour autant différente et elle le savait à présent. « J'aurais aimé pouvoir vous le dire. J'aurais aimé pouvoir vous le présenter tel qu'il était vraiment à mes yeux, vous dire combien je l'aimais et que... » Il baissa les yeux, sentit sa gorge se serrer d'émotion et ses doigts triturer nerveusement ses manches. Pourquoi était-ce si dur de simplement rétablir la seule vérité qui ait jamais importé ? « Et que j'aurais fait n'importe quoi pour lui. C'est pour ça, pour lui, que je vous ai rien dit. » Parce qu'il n'aurait pas risqué un seul instant de le perdre, qu'il était prêt pour ça à vivre cette relation caché de tous parce que ça n'avait jamais altéré leur bonheur, simplement compliqué les choses. « Seule Wendy savait. Tu sais comme elle a toujours su lire en moi. » Rory tenta un sourire, mais bien vite ce dernier se fana. « Je suis désolé, Rosie. Vous le cacher a été la chose la plus dure que j'ai eu à faire de ma vie. » Après celle d'avoir du renoncer à Swann, comme si c'était finalement la manière qu'avait trouvé le destin de le punir. Elle n'avait pas idée à quel point ça avait été dur de ne rien pouvoir lui dire, à quel point ça l'était de nouveau aujourd'hui de le faire. Il avait été tellement heureux, il aurait juste voulu pouvoir partager ça avec elle.

« Tu écrirais tes propres règles dans le manuel de tes futurs enfants, je me fais pas de souci pour ça. Tant que la première d’entre elles c’est que leur oncle aura le droit de les voir aussi souvent qu’il en aura envie. » Il y a un éclair de malice dans les yeux de Rory alors que tu ressens un poids nouveau dans le fond de ton ventre à l’évocation de tes futurs enfants. Et il semble le ressentir aussi, ton petit frère, alors que son visage se fait un peu plus sérieux la seconde d’après et que sa main vient trouver la tienne dans un geste qui se veut bienveillant. Tu pinces les lèvres légèrement, détestant cet éclair de vulnérabilité qui te traverse alors que les souvenirs se font toujours aussi douloureux. Tu rêves toujours, maintenant plus que jamais, du jour ou tu seras finalement maman, mais cette simple mention te ramène toujours dix ans en arrière, à ce moment ou tu as bien failli le devenir. Et il est immense, le trou que cette perte a laissé dans ta vie, dans ton coeur et il le sait Rory alors qu’il te regarde avec une tendresse qui te fait du bien. Rory qui ne dit rien mais qui dit tout de son regard bleuté, des mots qui n’ont pas besoin d’exister entre vous tellement ils ont souvent été murmuré dans tes rares instants de faiblesse. De ce sens, il est l’un de ceux qui te connaît le mieux Rory, le seul a porté ce secret sur ses épaules, quand bien même il aura insisté longtemps pour que tu dises tout à qui de droit. Si seulement il savait, que le qui de droit avait une place encore si importante dans ta vie, il n’approuverait pas ton cadet. Mais tu te contentes de lui rendre son sourire, tes doigts serrant les siens. Tu dois te concentrer sur le futur et cesser de ressasser le passé. « Tu sais bien que ce sera la première règle du manuel. » Tu ne plaisantes pas cette fois, pas de grimace ou de ton sarcastique. Tu vois bien comment Rory est avec Saskia et Hadrian, et tu es impatiente du jour ou il pourra être aussi attentionné avec tes enfants aussi.

« Ça en a sûrement pour Lachlan quand il est là, mais vu la bague que t’as au doigt je crois pas que ça doive beaucoup le déranger. » Tu échappes un petit rire alors que tes yeux se baissent automatiquement sur l’alliance qui orne ton doigt depuis quelques mois maintenant. C’est vrai que certains de tes comportements pourraient être dérangeant pour le Wandel, et dieu sait qu’il y en avait des bien pires que ta tendance a oublié le reste du monde quand tu écris, mais Lachlan avait toujours fait preuve d’une patience infinie envers toi, acceptant chacun de tes travers sans faire de vagues. Ça avait toujours été simple avec lui, trop simple sans doute. « J’crois que si ça le dérangeait on en serait pas là en effet. J’t’ai dit qu’on avait décidé d’une date? » Une date qui approche à la vitesse grand V. Une date qui te serre le coeur pour toutes les mauvaises raisons. Une date pour le meilleur et pour le pire. T’as pas forcément envie de rentrer trop longuement dans les détails du mariage alors quand Rory passe des commentaires sur ton prochain roman, tu sautes sur l’occasion de changer de sujet. Il veut une exclusivité, mais tu ne peux rien promettre. Ou presque. « Génial Rosie, t’es la meilleure. Je te revaudrai ça en achetant 14 000 exemplaires de ton bouquin. Justement je trouvais mon loft un peu vide en l’état. » « 14 000 seulement? Qu’est-ce que t’es radin quand tu veux. » que tu t’empresses de répliquer sur le même ton de plaisanterie que lui. « Promis je ferai pas comme pour le premier lorsque j’ai pris des notes et pesté parce que le personnage principal s’appelait pas Rory. Après s’il s’appelait Rory, je serais content quand même... » Tu roules des yeux et secoue négativement la tête. « Je ne comprendrais jamais pourquoi tu tiens tant à ce que mes personnages de serial killers portent ton nom. » Tu ris un peu plus parce que tu ne pourrais jamais t’imaginer donner le nom d’un de tes proches à tes personnages. Il n’est pas rare que tu viennes prendre inspiration de ton quotidien pour certains éléments, des traits de personnalités ici et là, mais jamais au point de nommer complètement un personnage en honneur à quelqu’un. Tu as un trop grand besoin de séparer fiction de réalité et ça commence d’abord et avant tout avec le nom de tes personnages. « Et puis si jamais tu oses prendre des notes à nouveau, c’est pas à une semaine de silence que tu vas avoir droit, mais à un mois. Considères toi averti. » Et il savait Rory, que tu ne plaisantais pas vraiment sur ce dernier point malgré le sourire sur tes lèvres. Tu pouvais être rancunière quand tu t’y mettais et tes romans, ils sont sacrés. Rien de moins.

« Je suis désolé, j’ai l’impression que t’aurais bien eu besoin que je détourne l’attention vers une de mes histoires de tournage. » Tu hausses les épaules légèrement. Entre les centaines de questions de ta mère sur le mariage et toutes les tentatives futiles de Garrett et Lachlan pour changer la conversation vers leur boulot que personne ne semble comprendre sauf ton père, il était évident que des anecdotes de tournage auraient pu être la distraction nécessaire pour t’aider à survivre aux traditionnels dîners du dimanche soir. « Je suis vraiment heureux pour toi Rosie, tu le mérites. » À ça tu te contentes de lui offrir un sourire, continuant de jouer la parfaite comédie au sujet de ton couple qui est pourtant si loin d’être si parfait qu’il ne le croit. Là n’est pas la question toutefois alors qu’il semble se préparer pour te dévoiler quelque chose qui lui pèse. Tu es surprise parce que de toute ta fratrie, tu imaginais Rory comme étant celui ayant le moins de secrets. Ça ne prouve qu’une chose, que peu importe le temps passé avec une personne, tout ce que tu penses savoir et connaître, on cache tous quelque chose. Toi la première. « C’est ça. Swann et moi on a été ensemble. » Swann donc. Tu ne mets pas longtemps à comprendre la base de ce qu’il essaye de te confier, même si les détails manquent pour que tu aies une vue d’ensemble de ce qui pèse tant ton petit frère. Été est le premier indice que tu possèdes. Passé. Une relation qui n’est plus. Ça te surprend d’autant plus qu’il ressente le besoin de t’en parler aujourd’hui, mais tu patientes, attend la prochaine dose d’informations qu’il se sent prêt à t’offrir. « Pendant un peu plus de quatre ans. On a… rompu l’année dernière, a peu près au moment ou toutes ces histoires au sujet de mon tournage ont commencé. » Tu repenses à cette même époque l’année dernière, à quel point ton frère semblait perdu, à quel point il semblait souffrir de tout ce qui se disait à son sujet dans les médias. Jamais tu n’aurais pu croire qu’il y avait encore plus qui se déroulait derrière les rideaux. « Je suis désolée Rory... » Tu ne sais pas vraiment quoi dire, tu as soudainement l’impression qu’il te manque de nombreux morceaux de ton frère soudainement, comme si cette révélation venait réécrire ces années sans toutefois les changer réellement. « La rupture, ça a un lien avec ce qui s’est passé ou…? » Et tu réalises à ce moment même que Rory, dans toute sa bonté et toute sa naïveté était bien plus secret que tu n’avais pu le réaliser jusqu’à maintenant. Mais de vous tous, il restait sans doute le plus honnête, le plus vrai, malgré tout. « J’aurais aimé pouvoir vous le dire. J’aurais aimé pouvoir vous le présenter tel qu’il était vraiment à mes yeux, vous dire combien je l’aimais et que… Et que j’aurais fait n’importe quoi pour lui. C’est pour ça, pour lui, que je vous ai rien dit. » « Oh. » Tu commences tranquillement à comprendre le pourquoi du secret, toi qui était tellement surprise par la révélation que tu n’avais pas encore commencer à te demander le pourquoi derrière le secret. « C’était d’être avec un garçon qu’il n’assumait pas ou d’être avec quelqu’un de connu? » Ou un mélange des deux peut-être, tu ne sais pas. Encore une fois, c’est toi qui assumes, peut-être un peu trop, qui donne des conclusions qui sont peut-être erronées alors que tu ne peux t’empêcher de te demander comment ton frère a pu accepter de se cacher aussi longtemps aux yeux de ceux qu’il aime. Mais ne fais-tu pas la même chose Rosie, en cachant Wyatt depuis si longtemps? La pensée est cruelle, mais elle disparaît aussi vite qu’elle apparaît alors que ton frère enchaîne sur ses révélations. « Seule Wendy savait. Tu sais comme elle a toujours su lire en moi. » Il y a un éclair de jalousie, quelques secondes à peine, qui traverse ton visage. Elle est mal-placée cette jalousie alors que ça a toujours été ainsi, Garrett et toi d’un côté, Rory et Wendy de l’autre. Ça ne voulait pas dire que vous vous aimiez moins, Rory et toi, juste que la proximité ne s’était jamais fait aussi facilement que tu l’aurais voulu. « Je suis désolé, Rosie. Vous le cacher a été la chose la plus dure que j’ai eu à faire de ma vie. » « T’as pas à t’excuser Rory, je comprends. » Et il n’avait pas la moindre idée justement, à quel point tu pouvais comprendre. « C’est moi qui suis désolée de pas avoir su être là pour toi quand ça s’est terminé... » Tu te pinces les lèvres doucement, te redresse de sur ton siège et tu viens prendre place sur la chaise à côté de Rory. « Tu veux m’en dire plus? » que tu proposes finalement, ne voulant pas nécessairement l’obliger à revivre le beau et le moins beau de cette longue histoire, mais tenant aussi à lui offrir la chance de le faire, s’il en ressent le besoin.

Il lui avait toujours été plus difficile de discerner les émotions de sa sœur aînée, celle-ci sachant toujours comment intérioriser ce qu'elle éprouvait, pourtant Rory reconnut la lueur d'émotion qui l'espace d'un instant brilla au fond de son regard. Parce qu'ils savaient tous les deux quels souvenirs cette partie de la conversation réveillait, tout comme Rosie sentirait à la façon dont sa main serra la sienne qu'il était là, comme il l'avait été ce soir-là et comme il le serait toujours. C'était un secret qu'il avait accepté de porter avec elle le soir où il avait vécu l'une des plus grandes peurs de sa vie, le soir où Rosie avait probablement vécu l'un des pires jours de la sienne. Il le lui avait promis, il ne dirait jamais rien à qui que ce soit et surtout pas à Wyatt, pas avant qu'elle ne se sente peut être prête un jour à lui en parler. En attendant, il ne pouvait s'empêcher de vouloir veiller sur elle même si ça n'était pas son rôle, même si l’aînée c'était elle et celle qui avec Garrett avait toujours fait un parfait exemple pour lui. Il voulait qu'elle sente que rien n'avait changé, même si personne ne pourrait sans doute imaginer en la voyant par quelles épreuves Rosie était passée. « Du premier tome, tu veux dire. » Il glissa de son sourire en coin, l'air amusé d'imaginer Rosie à l’œuvre avec ses futurs enfants qui, il le savait, seraient chanceux d'avoir une mère comme elle. Il avait toujours pensé qu'elle était faite pour ça, et qu'elle mériterait de connaître ce bonheur autant qu'elle méritait toutes les bonnes choses qui lui arrivaient.

Son futur mariage, justement, trônait dans un coin de la tête de Rory, qui s'imaginait déjà revêtir son plus beau costume et glisser des œillades complices à Wendy pendant que leur sœur avancerait vers l'autel dans une robe magnifique. Il s'y voyait déjà, faire danser leur mère au son d'un orchestre savamment choisi et dévaliser le buffet. « Tu m'as dit que vous organisiez ça pour la fin de l'année, et je pense toujours que c'est le moment parfait. Ça va me laisser le temps de vous écrire un discours digne de ce nom. » Et s'il gardait un sourire aussi haut sur son visage, c'est parce qu'ils savaient tous les deux qu'il serait tenté d'y insérer un nombre incalculable d'anecdotes que sa sœur n'était peut être pas pressée d'entendre le jour de son mariage. C'est qu'il ne pouvait pas seulement leur souhaiter d'être heureux toute la vie ensemble, il fallait aussi que le moment ait quelque chose d'intime et là où Wendy se chargerait sans nul doute de leur concocter une diapositive drôle et émouvante, Et naturellement, il n'allait pas passer à coté de l'occasion d'obtenir une ou deux exclue sur le prochain roman de sa sœur, en tant que premier fan auto-attitré. « Je peux monter jusqu'à 20 000 si tu dis à Garrett qu'au fond j'ai toujours été ton frère préféré. » Oh, elle était facile celle-ci, et ils savaient tous les deux que Rosie ne pourrait jamais infliger pareil affront à leur aîné. Ils avaient toujours été si fusionnels tous les deux que Rory avait bien souvent eu du mal à se faire une place dans leur relation, eux qui lorsqu'il était encore haut comme trois pommes aimaient souvent s'en débarrasser pour avoir leurs discussions sans être gêné par leur petit frère un peu entreprenant. « Parce que j'ai secrètement toujours rêvé d'incarner le méchant de l'histoire. Et puis j'y peux rien si tu as un truc pour les psychopathes. » D'accord, c'était probablement un truc de Craine d'être fascinés par ce qui dérogeait à toutes les règles et toutes les mœurs qu'on leur enseignait, dans cette famille où tout se devait toujours d'être irréprochable. Rory l'avouerait sans honte, il n'avait jamais été rebelle au point de devenir l'exact opposé de ce que ses parents attendaient de lui mais il s'était souvent demandé ce que serait sa vie s'il n'avait pas baigné dans les apparences dès sa naissance. « Tiens tiens, des menaces. Déjà quand j'étais petit tu savais te montrer ultra dissuasive quand je menaçais de dire aux parents que t'avais un petit copain. » Autant dire qu'il savait que sa sœur n'était pas le genre à faire des menaces en l'air et qu'il avait tout à craindre d'elle s'il prenait le risque d'aller contre ses recommandations. Et Rory était peut être joueur, mais certaines choses n'avaient pas changé depuis son enfance et notamment le fait qu'il ne fasse toujours pas le malin quand sa sœur faisait les gros yeux.

C'était le moment qu'il redoutait jusque dans sa chair et Rory jurerait qu'il ne s'était jamais senti aussi vulnérable face à sa sœur aînée qu'à cet instant. Parce que ça lui demandait un courage immense que d'effleurer devant elle un sujet encore aussi sensible, que de prononcer le prénom de celui qu'il avait aimé durant quatre ans sans jamais pouvoir confier à ses frère et ses sœurs à quel point, justement. Il était celui qui évitait les questions indiscrètes aux dîners de famille, celui dont on se demandait toujours quand il retrouverait enfin l'amour, lui qui n'en avait toujours eu que trop à donner. Ils ignoraient tous qu'en réalité, l'amour il l'avait déjà auprès de lui et tout le bonheur qui allait avec. Et si Rory y avait souvent songé avant ça, il y songeait plus encore aujourd'hui : il y a tant de moments passés avec Swann dont il aurait voulu que sa famille soit témoin. Un sourire d'une infinie tristesse se dessina sur ses lèvres lorsqu'il repensa à cette soirée où tout avait pris fin, sentant de nouveau son cœur se tordre à l'idée de ne pouvoir en parler à sa sœur qu'aujourd'hui. « Oui et non. J'étais moins présent depuis déjà quelques mois à cause du tournage, et les choses auraient du revenir à la normale avant que cet incident vienne tout bousculer. » C'était une réalité infiniment douloureuse aujourd'hui encore, de ne pas savoir s'il aurait pu sauver sa relation avec Swann si seulement les choses s'étaient déroulées autrement. S'il n'y avait pas eu Byers, s'il n'y avait pas eu l'agression de Penny et ses conséquences. Ils se l'étaient dit, la première fois que Swann et lui s'étaient revus : entre eux, ça n'était pas voué à se finir ainsi. « J'étais perdu, quand je suis rentré de Sydney après cette altercation avec Byers. J'ai pas appelé Swann alors que j'aurais du et... tout s'est fini peu de temps après. » Il n'avait pas la force d'entrer dans les détails, la seule chose que Rosie devait savoir c'était pourquoi cette rupture était venue se rajouter à la liste de choses avec lesquelles il avait du apprendre à vivre en un temps malheureusement très court. « Un peu des deux, je crois. Je suis le seul homme dont il soit tombé amoureux, et je crois qu'une partie de lui a toujours craint que ses proches puissent le percevoir différemment s'ils savaient. » Rory baissa doucement la tête, un éclair d'émotion passant dans son regard alors qu'un sourire malgré tout des plus tendres fleurit sur ses lèvres. « Ça m'était égal de me cacher, je voulais juste être avec lui. » Et sa sœur n'en serait pas surprise, elle savait peut être mieux que n'importe à quel point il pouvait être sentimental et prêt à tout pour ceux qu'il aimait. Bien sûr qu'il aurait aimé vivre cette histoire au grand jour, et suffire à ce que Swann n'ait plus jamais peur du regard des autres – il avait toujours été le petit-ami parfait à ses yeux à lui, après tout. Mais il ne voudrait pas pour autant réécrire une ligne de leur histoire. Serrant la main de sa sœur dans la sienne, il souffla. « Tu pouvais pas savoir, Rosie. C'est moi qui n'ai rien montré, moi qui me suis renfermé sur moi-même. C'était tellement plus facile de parler d'autre chose, de me concentrer sur votre bonheur à vous. » Sur le sien, sur celui de Garrett, sur les histoires de cœur de Wendy. Ça l'aidait bien plus que tout le reste, de les savoir heureux quand lui avait besoin d'une raison de continuer à se lever le matin. Il s'y était raccroché, parce que sa famille avait toujours été sa plus grande force. « Pas aujourd'hui, non. Je crois... que je préfère te parler du reste quand je serai prêt. » Il reprit doucement, à demi-mot, sentant combien ces confessions les avaient déjà tous les deux remués et fait naître une émotion rare sur le visage de sa sœur. Il aimerait lui parler du reste, de cette demande en mariage qui à l'époque n'avait pas reçu la réponse qu'il espérait ou de cet endroit où Swann et lui avaient l'habitude de se retrouver, mais ça pouvait attendre. Rosie puisait ce qu'elle écrivait dans ses émotions et il ne pouvait pas s'ouvrir complètement à elle en une seule fois, ça leur demanderait à l'un comme à l'autre plusieurs conversations pour pleinement réapprendre à se confier l'un à l'autre. « Je voulais juste que tu saches que ça a été très dur pour moi de te le cacher. Je veux pas de secrets entre nous, j'en ai jamais voulu. » Et comme s'il avait attendu ce moment-là depuis qu'il était entré, il passa doucement un bras autour de ses épaules de sa sœur pour l'éteindre, le cœur déjà un peu plus léger.

« Du premier tome, tu veux dire. » Tu parviens à étirer tes lèvres en un léger sourire alors que les souvenirs de ce qui est sans doute l’une des pires journées de ta vie te reviennent malgré tout, comme un flot que tu n’as jamais vraiment appris à contrôler au fil des années. C’est toujours aussi douloureux d’y penser et tu t’efforces de rester dans le moment présent pour ne pas te laisser être vulnérable devant ton frère. Tu n’as jamais aimé montrer le moindre signe de faiblesse devant tes cadets, tu préfères de loin garder ce rôle qui montre la femme en contrôle de tout, celle qui ne se laisse pas chambouler par la moindre petite chose. Mais il sait Rory, malgré tout. Il comprend plus que tu ne le laisses voir, et il comprend aussi de ne rien dire pour te préserver ne serait-ce qu’un peu. Les apparences, toujours les apparences. Un jeu que vous avez tous les deux appris à maîtriser bien trop tôt dans vos vies. Et c’est de ça qu’il s’agit encore lorsque ton mariage se retrouve au coeur de la discussion, même si ça, Rory ne le sait pas et ne pourrait certainement pas le comprendre. Parce que tu le joues bien devant ta famille, le rôle de la fiancée heureuse. Et si tu peines un peu plus dernièrement, tu fais tout de même tout ce qu’il faut pour qu’elles restent lisses et parfaites, les apparences. « Tu m’as dis que vous organisiez pour la fin de l’année, et je pense toujours que c’est le moment parfait. Ça va me laisser le temps de vous écrire un discours digne de ce nom. » « Je te mets au défi de me faire pleurer. » C’est que vous carburez au défi, les Craine et il sait Rory, que ça en prend beaucoup pour que tes yeux ne se mouillent. Il y a une chose dont tu ne doutes pas toutefois, c’est que si quelqu’un en est capable, c’est probablement lui. Le grand romantique de votre famille, celui avec le coeur sur la main, celui qui malgré la manière dont il a été élevé, a toujours su faire passer le bonheur des autres avant le sien. Il est tellement différent de Garrett et de toi, même Wendy qui semble souvent être à l’opposée de tout ce que tu crois et de tout ce que tu prônes semble plus se rapprocher de vous que Rory et jamais tu ne le dirais en tant de mots, mais il t’impressionne ton petit frère. Et tu l’envies aussi, d’une certaine façon. D’avoir su être différent, d’avoir su être bon. « Je peux monter jusqu’à 20 000 si tu dis à Garrett qu’au fond j’ai toujours été ton frère préféré. » Tu lèves les bras en l’air, secoue la tête. « Oh non non, je ne prends pas de parti prix. » Et puis même si les préférences n’avaient jamais été difficiles à deviner parmi la fratrie, il s’agissait d’une règle non-écrite de ne jamais confirmer une préférence quelconque. Et puis au final, ton lien avec l’un et l’autre avait beau être différent, l’amour que tu leur portais ne se comparait et ne se mesurait pas non plus. « Parce que j’ai toujours rêvé d’incarner le méchant de l’histoire. Et puis j’y peux rien si tu as un truc pour les psychopathes. » Tu te contentes de lever les épaules avec un sourire en coin au bord des lèvres. Faut croire que vous avez tous un petit côté tordu. « Tiens tiens, des menaces. Déjà quand j’étais petit tu savais te montrer ultra dissuasive quand je menaçais aux parents de dire que t’avais un petit copain. » Rory qui mettait toujours son nez partout, mais qui avait rapidement appris à ne jamais dire aux parents quoique ce soit sous peine d’être grandement puni par toi ou par Garrett. C’est que vous pouviez être drôlement effrayants quand vous vous y mettiez, ton aîné et toi. « Tu m’as déjà vu ne pas mettre une menace à exécution? Non? C’est ce que je pensais. » Ton air sévère se change tranquillement en sourire toutefois alors que tu connais assez ton frère pour savoir que cette fois-ci, il n’oserait pas annoter ton nouveau roman.

L’ambiance change du tout au tout quand Rory approche un sujet sensible qui semble lui peser. La mention d’un amour terminé, amour garder secret résonne plus que de raison avec toi alors qu’il partage quelques souvenirs de sa relation avec Swann. Tu écoutes attentivement, poses quelques questions sans toutefois creuser trop loin, tenant à laisser le temps à ton frère de dire les choses comme il le souhaite. Jamais tu n’aurais pu imaginer qu’il gardait un tel secret pendant tout ce temps et tu ne peux t’empêcher de penser qu’il est peut-être un peu plus Craine que tu ne l’imaginais, lui qui avait toujours inspiré une honnêteté complète. Tu écoutes attentivement, tentant tant bien que mal de ne pas porter de jugements hâtifs. « Oui et non. J’étais moins présent depuis déjà quelques mois à cause du tournage, et les choses auraient du revenir à la normale avant que cet incident vienne tout bousculer. » Tu hoches doucement la tête, cet incident demeure aussi un grand mystère dans la vie de ton frère, un secret qu’il dit garder pour quelqu’un d’autre sans jamais entrer dans les détails. « J’étais perdu, quand je suis rentré de Sydney après cette altercation avec Byers. J’ai pas appelé Swann alors que j’aurais du et… tout s’est fini peu de temps après. » « Je suis tellement désolée Rory. » Que pouvais-tu dire de plus après tout? Tu n’avais rien vu, rien su et tu ne pouvais pas changer les choses pour ton frère, que ce soit vis à vis de son ex ou vis à vis de cette situation qui avait grandement endommagée sa réputation et mis sa carrière en pause pendant plusieurs mois. Il semblait allait mieux depuis quelques semaines toutefois, depuis son retour de Los Angeles et tu voulais croire que les choses s’arrangeaient pour lui. C’est tout ce que tu pouvais vraiment lui offrir désormais. « Un peu des deux, je crois. Je suis le seul homme dont il soit tombé amoureux, et je crois qu’une partie de lui a toujours craint que ses proches puissent le percevoir différemment s’ils savaient. » Ça, tu pouvais bien trop facilement comprendre. « Ça m’était égal de me cacher, je voulais juste être avec lui. » Tu n’avais pas besoin de poser de nombreuses questions pour comprendre que ton frère avait réellement été amoureux de l’anglais et si tu aurais voulu pouvoir vivre ce bonheur avec lui quand il s’était présenté dans sa vie, tu ne pouvais qu’accepter la situation telle qu’elle était et apprécié qu’il se sente assez en confiance pour t’en parler aujourd’hui. Tu étais après tout la dernière personne en position de juger quiconque gardant une relation secrète, même si la situation était complètement différente. Tu viens prendre place à ses côtés, tes doigts qui serrent les siens comme témoignage que tu es là, que tu comprends, que tu ne lui en veux pas pour son silence. Et des désolées, de ne pas avoir vu, de ne pas avoir compris, de ne pas avoir été là comme il aurait eu besoin de toi. « Tu pouvais pas savoir Rosie. C’est moi qui n’ai rien montré, moi qui me suis renfermé sur moi-même. C’était tellement plus facile de parler d’autre chose, de me concentrer sur votre bonheur à vous. » Tu te pinces les lèvres légèrement. T’aurais quand même dû te rendre compte. T’aurais dû être plus attentive. Penser un peu moins à toi et être une meilleure sœur. Ça non plus, ce n’était pas ta plus grande force toutefois. « Pas aujourd’hui, non. Je crois… que je préfère te parler du reste quand je serai prêt. » Tu hoches doucement la tête, souffle un léger « D’accord. » avant de te redresser sur ta chaise, ta main toujours liée à la sienne. « Je voulais juste que tu saches que ça a été très dur pour moi de te le cacher. Je veux pas de secrets entre nous, j’en ai jamais voulu. » Oh, mais qu’est-ce que cette pointe de culpabilité que tu ressens alors que ton regard vient trouver celui de ton cadet? « Moi non plus, je ne veux pas de secrets entre nous. » Tu lui offres un doux sourire alors que ses bras viennent se placer autour de tes épaules et tu te laisses tomber dans cette étreinte, alors qu’il se serre ton coeur, de savoir que tu lui mens à lui et à tout le monde depuis tellement longtemps que tu sais même plus comment on se sent, quand on est complètement honnête.