► All The Money or The Simple Life @Yelahiah Parker & MARCUS LECKIE Now there's a whole lot of faking And takin' and shakin' my hand

Cela faisait une semaine que la rumeur ne désenflait pas, au contraire. Saül était en Europe et le comité d'administration en avait profité pour se réunir sans lui. Marcus ne faisait pas partie de ces chevaliers de la table ronde, mais il ne manquait jamais de boire les paroles de ceux qui y siégeaient dès la sortie de la salle de réunion. Et ils avaient évoqué l’italien. Son siège, son addiction au jeu, sa récente crise cardiaque ; tout ce qui faisait peur à la Bourse et donc, aux actionnaires. Tout ce qui mettait son poste sur la corde raide. Le mot s’était répandu comme de la poudre à canon à travers Michael Hill, et puisque le fauteuil de CEO ne pouvait décemment pas prendre la poussière, allait de paire la liste des personnes pressenties à la succession. Si certains noms coulaient de source, internes ou externes à l’entreprise, Marcus fut le premier surpris d’entendre parler de lui-même de la sorte. Alors la réminiscence de la conversation qu’il avait eu avec Saül quelque temps auparavant eut des allures de prédiction. “Parfois j'ai envie de te filer les clefs de Michael Hills.” Cela lui avait paru insensé ce soir-là, et cela était toujours le cas. Des rumeurs, voilà ce que c’était. Un besoin naturel de la part des esprits aliénés des employés coincés dans leurs open space de rendre la vie en entreprise plus palpitante en inventant des intrigues. Le comité n’avait raisonnablement pas pu mentionner son nom. Et quand bien même cela aurait été le cas, Marcus ne nourrissait aucun intérêt pour le poste de Saül. Ce qu’il redoutait, c’était la réaction de celui-ci lorsqu’il apprendrait tout ceci. L’australien tentait de ne pas se laisser tourmenter par ces balivernes, mais il sentait son esprit retourner la situation dans tous les sens dans un coin de sa tête. Il n’en perdait pas l’appétit pour autant. Il n’était pas rare de le trouver à son bureau à l’heure du déjeuner -il s’agissait même d’une des rares occasions de l’y croiser. Cependant, il ne mangeait pas souvent seul. Les repas d’affaires étaient légion, mais ce jour-là il profitait de la paix de ces quatre murs plutôt que du brouhaha ambiant d’une salle de restaurant. Pieds sur la table, veste sur le dossier, cravate par-dessus l’épaule, ses sushis étaient évidemment plus délectables devant The Prom. Meryl Streep était l’une de ses héroïnes de toujours, assurément. Et l’heure suivante aurait pu être parfaite si la porte de la pièce ne s’était pas ouverte sur le silhouette de Yelahiah. Le jeune homme avait traîné plus que d’habitude dans les pattes des équipes du marketing puisque Saül montrait rarement son nez dans le bâtiment dernièrement. “Je suppose que t’as entendu le bruit qui court, comme tout le monde ?” fit Marcus en mettant le film sur pause. Une partie de l’apprentissage de la politique dans une entreprise de cette taille consistait à ouvrir grand les oreilles derrière les portes fermées. Le brun avait forcément entendu parler de la menace qui planait sur le poste de Saül. Et comme les poissons-pilotes l’avaient compris depuis la nuit des temps, on vivait plus longtemps sous le flanc du plus gros poisson dans l’océan.  

Il passe son temps dans l’entreprise, à observer tout ce qu’il peut. Il traîne dans les pâtes de Marcus dès qu’il le peut maintenant que Saül se fait de plus en plus absent. Il ne veut pas compter sur lui pour apprendre, pas alors qu’il a l’air de s’intéresser plus à une femme qu’à son boulot. Même si la femme en question est la soeur de Yele, il ne comprend pas comment il peut laisser passer sa carrière pour ça. Yele l’a fait une seule fois, à un seul moment de sa vie il s’est laissé emporter, il s’est un peu trop attaché et il a fini par perdre tout ce qui était important pour lui. Plus jamais il ne refera cette erreur, et il serait sûrement prêt à tout perdre, mais pas son nouveau boulot. Il y tient beaucoup trop, il arrive enfin à avoir de nouveau une vie normale, et c’est tout ce qui compte à ses yeux. Il rencontre des gens puissants qui peuvent lui apprendre à en devenir une, c’est tout ce qu’il a toujours voulu.

Il est posé dans une salle, il prend une petite pause. Marcus était occupé et il n’a pas eu le droit de le suivre cette après-midi. Il ne sait pas depuis combien de temps il a allumé cette télévision, il ne sait même pas vraiment ce qu’il est en train de regarder. Il préfère rester dans sa tête, faire des listes et des tableaux mentaux pour enregistrer toutes les informations qu’il peut en marketing. C’est tout nouveau pour lui, et il adore apprendre, il a toujours adoré ça. Les minutes s’enchaînent et les informations enregistrées s’accumulent très rapidement. “Je suppose que t’as entendu le bruit qui court, comme tout le monde ?” Il ouvre la porte et il se tourne vers Marcus en souriant. “Qui n’est pas au courant ?” Les rumeurs courent, et, même s’il n’est pas du genre à s’intéresser à tout ce genre d’informations, celle là paraît importante. Marcus est lui aussi au courant et ça ne l’étonne pas, il fait partie des premiers concernés si Saül finit par briser ses engagements et son contrat. Il est le directeur, mais rien n’est éternel, et personne n’est irremplaçable. La loyauté de Yelahiah va au travail et aux plus gros travailleurs, ce n’est donc pas Saül ces derniers temps. “Il est dans la merde à quel point ?” Il ne sait pas s’il est là. “S’il revient pas j’ai pas fini d’être dans tes pattes.” Il sent que ça ne le dérange pas vraiment, ils s’entendent bien depuis que Yele a commencé à travailler.

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“Qui n’est pas au courant ?” Telle était la question qui faisait grimacer. Depuis le fameux conseil d’administration la rumeur enflait et il était encore rare d’entendre l’expression de surprise de quelqu’un venant de découvrir la nouvelle. C’était le sujet de prédilection aux déjeuners entre collègues, à la machine à café le matin et l’après-midi. Emettre des hypothèses et faire des prédictions concernant le successeur du Williams était devenu aussi populaire que la chasse aux spoils de Game of Thrones en son temps. Le roi est mort, vive le roi, qu’on pouvait presque entendre scandé avant l’heure. Et pour une fois, Marcus n’éprouvait aucun plaisir à entendre ou relayer les gossips. “Saül lui-même.” fit-il en soupirant. Il déposa ses baguettes sur le bord de la barquette de sushis sur la table et se redressa sur sa chaise. L’australien ne lui en avait pas parlé et n’en avait pas l’intention. Peut-être espérait-il que toutes ces suppositions à propos du poste de son ami seraient bientôt tuées dans l'œuf et qu’il ne s’agissait que d’un grand malentendu. Non, il n’en croyait rien, mais il le voulait si fort. “Il est dans la merde à quel point ?” Quelque part entre les semelles et le cou, à la louche. Il pouvait aussi bien avoir déjà un pied dehors que simplement se prendre une tape sur les doigts à son retour. Seul le conseil d’administration savait pour sûr ce qu’il s’était dit dans cette pièce ce jour-là. “J’en sais rien, admit Marcus, et cela lui coûtait. Je sais pas à quel point tout ça est sérieux. Assez, à mon avis, mais peut-être que les rumeurs grossissent le trait et qu’il a de meilleures chances de garder son poste que ce qu’on dit.” Il haussa les épaules pour conclure. Rien de tout ceci n’était en son pouvoir. Le marketing n’était pas invité à la fête lorsqu’il s’agissait de parler de ce genre de choses. Son rôle à lui était de faire en sorte que nul ne sache ce qui jouait entre les murs des bureaux de Michael Hill. Les bijoux brillaient, les ventes progressaient, le profit perdurait et c’était tout ce qui le concernait. Parler aux actionnaires, rassurer les investisseurs, faire jongler les chiffres et dessiner des graphiques, c’était le travail d’Anchise. Il en savait probablement bien plus que n’importe qui d’ailleurs mais embrasser ses bottines en nubuck pour obtenir des informations n’était pas au programme pour Marcus. Non, il lui fallait son propre siège dans ce fichu conseil, être dans la salle où tout avait lieu. Il l’avait mérité, après tout. “S’il revient pas j’ai pas fini d’être dans tes pattes.” Yelahiah ne semble pas peiné par le sort du CEO. Il change constamment de cheval sur lequel miser. Pourtant c’était à l’italien qu’il devait l’opportunité d’apprendre au sein de l’entreprise, et l’ingratitude était un excellent moyen de se mettre soi-même des bâtons dans les roues. “Il reviendra. Saül Williams n’est pas du genre à se laisser détrôner comme ça.” assura Marcus. Et s’il devait bel et bien partir, cela ne serait pas sans faire un maximum de bruit, tout le monde pouvait en être certain. “Vous êtes de la même famille maintenant, et ça a pas l’air de t’affecter plus que ça.” il ajouta. L'antipathie assumée dont était capable Yelahiah continuait de le surprendre. Il ne l’aurait pas relevé si cela n’avait pas été à propos de Saül, mais il s’agissait désormais de son beau-frère et pour Mac, rien n’était plus sacré que la famille. Jamais ne pourrait-il se réjouir du malheur d'un des siens.

Il ne sait pas vraiment quoi penser de tout ça. Il est ici pour apprendre à devenir le meilleur, et, apparemment, Saül ne l’est plus vraiment. Il préfère se fier à Marcus qui donne l’impression qu’il est capable d’absolument tout pour son boulot. C’est comme ça qu’il veut devenir le Parker. Il ne veut pas abandonner toute une entreprise sur un coup de tête, en prenant le risque de faire couler la boite et toutes les personnes qui y travaillent. “Saül lui-même.” Il secoue la tête. Comment il peut ne pas voir que c’est une catastrophe et que plus le temps passe, plus les employés pensent qu’il n’a plus sa place à la tête de sa propre entreprise. Il s’inquiète Yele, parce que c’est tout de même Saül qui lui a laissé sa chance et qui lui a permis de sortir la tête de l’eau quand il était au plus mal. “J’en sais rien. Je sais pas à quel point tout ça est sérieux. Assez, à mon avis, mais peut-être que les rumeurs grossissent le trait et qu’il a de meilleures chances de garder son poste que ce qu’on dit.” Marcus a l’air assez inquiet, et je me demande s’il est vraiment sincère au fond. Parce que tout le monde sait que si Saül finissait par partir il serait en tête de liste pour reprendre le poste.

“Il reviendra. Saül Williams n’est pas du genre à se laisser détrôner comme ça.” “Je l’espère.” Parce qu’il ne peut pas s’empêcher de penser au fait qu’il va devoir assumer une famille, qui est aussi en partie la sienne. Et Yelahiah n’a aucune envie d’être celui sur qui ils se reposent tous quand les problèmes d’argent apparaissent. Il comment tout juste à se remettre à flot, à vivre la vie qu’il mérite, alors il ne veut pas que ces histoires viennent tout gâcher dans son travail mais aussi dans sa vie familiale. “Vous êtes de la même famille maintenant, et ça a pas l’air de t’affecter plus que ça.” Yele reste quelques secondes silencieux en observant Marcus. Il plisse les yeux, ne comprenant pas vraiment ce qu’il veut dire par là. Il a la particularité d’avoir du mal avec l’empathie. Il se concentre sur ses objectifs et sur le travail, et il lui faut une bonne minute pour analyser la phrase du brun et comprendre ce qu’il essaye de lui demander. “Je fais rarement dans l’affect et dans l’empathie.” Parce qu’il ne sait pas, parce que ce sont des sentiments qu’il a beaucoup de mal à éprouver et ça depuis l’enfance. “Je dois l’attendre dans son bureau jusqu’à ce qu’il décide de revenir pour m’apprendre ? Même quand il est là j’ai pas l’impression d’apprendre assez. Et je mélange pas famille et travail.” Il ne lâche pas Marcus des yeux. “Si ma soeur a des problèmes je serai là pour l’aider, mais jusque là ma priorité c’est travailler et apprendre.” C’est ce qu’il a toujours aimé faire dans sa vie, et c’est ce que cette boîte et Marcus lui apportent depuis quelques mois déjà. “Et si je ne vois que par Saül, j’ai aucune chance de rester dans les parages si un jour ils décident de le virer.” Cette idée me fait grimacer. “T’as des plans pour qu’il le soit pas ou il va se débrouiller tout seul ?”

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Après avoir détaillé Yelahiah du regard, Marcus attrapa de nouveau ses baguettes et attrapa un des sushis de son plateau. Il le goba goulument après une courte trempette dans la sauce soja. Après tout, il était toujours l’heure de déjeuner et le Leckie avait une après-midi chargée devant lui. Partager l’heure avec le jeune homme plutôt qu’avec Ryan Murphy ne le dérangeait guère, mais son estomac n’était pas d’avis de faire l’impasse sur le repas par égard pour lui. “Je fais rarement dans l’affect et dans l’empathie.” répondait le brun à la remarque de Mac. Oui, il l’avait relevé plus d’une fois, et à chaque fois, cela le surprenait. Il était sûrement temps qu’il retienne le mode de fonctionnement de Yelahiah et qu’il cesse de s’en étonner, mais ce comportement était si diamétralement opposé au sien qu’il ne pouvait s’en empêcher. Marcus était le chaleureux, l’émotif pour ainsi dire, en comparaison avec l’apprenti face à lui. Il était professionnel, cela allait sans dire, et bien sûr qu’il avait œuvré plus d’une fois à faire licencier ceux qu’il considérait comme des boulets à ses pieds, dans son propre intérêt ou dans celui de l’entreprise -il n’avait pas volé sa réputation. Mais il lui était impensable d’être un robot dédié au travail, il avait besoin d’employer son surplus d’énergie dans l’humain. “Je dois l’attendre dans son bureau jusqu’à ce qu’il décide de revenir pour m’apprendre ? Même quand il est là j’ai pas l’impression d’apprendre assez. Et je mélange pas famille et travail.” Entre deux mastications, l’australien glissa une approbation. “C’est pas un mauvais principe.” Lui ne se serait jamais vu travailler avec un membre de sa famille, directe ou indirecte. Avoir son filleul dans les parages était le haut de sa jauge. Mais les Leckie, bien qu’ils étaient soudés, étaient trop différents les uns des autres pour embrasser des carrières similaires. Norah avait investi sa générosité dans la santé, Caelan avait canalisé son énergie dans le bâtiment. Marcus était celui qui pouvait vendre une glace à un esquimau, alors il en avait fait son métier. “Si ma soeur a des problèmes je serai là pour l’aider, mais jusque là ma priorité c’est travailler et apprendre. Et si je ne vois que par Saül, j’ai aucune chance de rester dans les parages si un jour ils décident de le virer.” Le carriérisme, comment Marcus pourrait-il le lui en tenir rigueur ? Placer ses pions avec stratégie était l’apanage de tous ceux qui savaient comment évoluer au sein d’une entreprise. Être ami avec les bonnes personnes, pêcher les bonnes informations. Arrivé où il en était, Mac jetait rarement un coup d’oeil par-dessus son épaule pour scruter l’art et la manière qu’il avait eu de se hisser jusque là. Pourtant il avait probablement été dans les chaussures de Yelahiah un jour. “Tu oublies mon immense influence dans cette boîte. Je les laisserai pas virer mon petit Yele.” fit-il, l’air ironique mais pas moins sincère. Il avait bel et bien de l’influence. Il protégerait bel et bien le jeune homme. Il n’avait pas de souci à se faire tant qu’il n’était pas perçu comme une menace.

“T’as des plans pour qu’il le soit pas ou il va se débrouiller tout seul ?” demanda Yelahiah, mettant Marcus dans une position délicate. Jusqu’à présent, il n’avait rien fait pour atténuer les effets de la rumeur qui flottait dans les couloirs de Michael Hill, et il n’avait pas prévenu le premier concerné. Tout cela était particulièrement inhabituel de sa part ; il était l’homme de confiance de Saül, son ami, son acolyte. Et dans d’autres circonstances, il l’aurait averti, il ferait campagne pour lui. Si une partie de lui n’avait pas cette sensation que le Williams était bel et bien en train de se transformer en épine dans le pied de l’entreprise, une partie de lui que Marcus n’osait pas voir en face, alors il l’aurait défendu bec et ongles sans hésiter. “Je suis pas fier de le penser mais je crois que Saül a besoin de ce coup de jus.” minimisait-il, la bouche pincée. Comme le disait Yelahiah, même lorsqu’il était présent, l’italien n’était pas vraiment là, et cela durait depuis un moment. Mac compatissait à tous ses tracas, mais il parvenait de moins en moins à trouver des excuses à ses absences. Il tenait à son ami autant qu’il tenait à son patron, et cette rumeur, si elle n’était que cela, était exactement ce dont il avait besoin pour se sortir du cycle dans lequel le divorce avec Elise l’avait plongé. “Je protégerais toujours ses arrières, c’est évident, mais…” Pas à son détriment. Le brun secoua la tête et balaya la pensée. Il saisit un maki du bout de ses baguettes et le porta à sa bouche. “Well, je ne me fais pas trop de souci pour lui.” Saül n’allait pas se faire virer. Tout irait bien à la fin. Il en était persuadé, même si la moitié de l’entreprise pensait sûrement le contraire -ou le souhaitait. “C’est Anchise qui doit danser la macarena dans son bureau en revanche.” ajouta Marcus, riant doucement en s’imaginant la scène. Le directeur financier était la tête de liste en termes de succession au poste de Saül, et le Leckie ne doutait pas que celui-ci était en train de creuser lui-même la tombe du CEO en prévision de sa destitution -et de son couronnement. Travailler pour Anchise n’était pas une perspective qui ravissait Marcus.

Yele est carriériste. Il était déjà égoïste avant, mais la perte de son métier de chirurgien l’a rendu encore plus insupportable et égocentrique. Il n’apprécie pas particulièrement les gens et les liens amicaux ou amoureux. Il préfère se concentrer sur son travail, et une nouvelle manière de gagner sa vie. Il aime ce qu’il fait, et il aime apprendre aux côtés de grands hommes comme Saül ou Marcus. Ce sont des requins dans leurs domaines, et c’est exactement ce que veut devenir le jeune Parker. Personne dans sa famille n’a emprunté ce genre de chemin, il n’a aucun autre exemple que ces hommes là. Alors il enregistre tout ce qu’il peut, et il travaille le plus possible. C’est ce qu’il a de mieux à faire. “C’est pas un mauvais principe.” Il hoche la tête, il ne comptait pas changer de stratégie. Il a peur pour sa place si Saül en venait à se faire virer de la boîte. Il se doit d’assurer ses arrières, il en a besoin. Il ne peut pas se permettre de perdre ce qu’il a maintenant. “Tu oublies mon immense influence dans cette boîte. Je les laisserai pas virer mon petit Yele.” Il sourit en imitant les gestes de Marcus pour attraper les sushis. “Je regrette pas mon choix de mentor alors !” Il répond sur le même ton que lui, il ne pensait pas trouver quelqu’un avec qui il s’entendrait aussi bien dans ce monde.

“Je suis pas fier de le penser mais je crois que Saül a besoin de ce coup de jus.” Yele fronce les sourcils, peut-être bien. Il ne veut pas parler de son avis sur cette situation. Il sait terriblement que dans ce monde les murs ont des oreilles. Il se méfie d’absolument tout le monde, c’est nécessaire. “Je protégerais toujours ses arrières, c’est évident, mais…” Il fronce les sourcils à nouveau et capte le regard de Marcus. “Well, je ne me fais pas trop de souci pour lui.” Ses lèvres se pincent. “Il a l’air de savoir ce qu’il fait, et je suis certain qu’il ne laissera personne lui marcher sur les pieds.” Ce serait mal connaître Saül Williams que de penser qu’il laisserait qui que ce soit prendre sa place à la tête de l’entreprise. “C’est Anchise qui doit danser la macarena dans son bureau en revanche.” Il pouffe de rire en imaginant la scène. “Ca risque de faire des étincelles.” On ne s’ennuie jamais dans ce genre d’entreprise, surtout quand on a l’honneur de faire partie des hautes sphères.

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Étrangement, au cours de sa vie professionnelle, Marcus n’aurait jamais pensé être du genre à prendre qui que ce soit sous son aile. Pourtant cela faisait sens, lorsqu’on le connaissait en dehors du cadre du bureau. Il suffisait de le voir avec ses frères, sa sœur, son neveu et sa nièce. C’était inscrit quelque part dans son ADN qu’il serait un guide pour qui voulait bien de sa sagesse. Mentor, le mot lui parut si disproportionné. Il n’en était pas moins vrai, si le brun se penchait sur le parcours du jeune homme au sein de l’entreprise et la manière dont il avait pris à coeur de lui en apprendre les ficelles de quinconce avec Saül. Il pouvait tenter de se persuader que ce rôle lui permettait seulement d’asseoir un peu plus sa place et son influence dans l’entreprise, que ceux qu’il prenait sous son aile lui devaient loyauté, il serait mentir d’ommettre la satisfaction personnelle qui découlait d’être témoin des succès de ceux qu’il guidait au jour le jour. La loyauté, au fond, était une illusion dont il se berçait. Après tout Marcus était particulièrement bien placé pour savoir que les couteaux volaient dans les couloirs droit dans le dos des uns et des autres, que viendrait un jour où il ne serait pas épargné. Il voyait Yelahiah faire en sorte d’être du bon côté de l’histoire, au bon endroit au bon moment, et il se voyait lui-même avec des dents rayant le parquet quelques années plus tôt. Il n’y avait pas de loyauté qui tenait lorsqu’un poste était ouvert ou un autre libéré. Peut-être qu’il s’était adouci des quatre coins, l’australien. Et puis non ; en songeant à Terry à qui il avait demandé de vider son bureau de bon matin, il balaya cette folle idée. Michael Hills avait le don de tailler deux choses à son image: les gemmes et les gens. "Ça risque de faire des étincelles.” commenta le jeune homme sans cacher une certaine excitation face au tournoi de joute qui se préparait pour récupérer le siège du roi dont on annonçait la mort avant l’heure. Mais comme il l’avait très justement dit, Saül ne se laisserait pas marcher sur les pieds. Les vautours seraient rapidement remis à leur place. “Beaucoup de bruit pour rien, si tu veux mon avis.” conclut Marcus avant de prendre le dernier de ses sushis entre ses baguettes. Oui, l’affaire serait bientôt oubliée, le Williams ne serait pas inquiété. Pourquoi l’être après tout ? Depuis qu’il le connaissait, et cela faisait désormais vingt ans, Saül s’en sortait toujours, qu’importe la situation. Il trébucherait vaguement, peut-être. Mais à la fin, ce grand paquebot qu’était Michael Hills continuait sa route.

[sujet terminé]