Droite, gauche, esquive. Gauche, droite et encore droite. Gauche, gauche, recule. Répète et recommence ; encore et encore.
Le monde s'est dissipé. Les odeurs, les sons, les couleurs, plus rien d'autre ne compte que sa respiration, les battements de son cœur résonnant jusqu'à ses tempes et la cadence robotique à laquelle Jackson frappe contre le sac. Déjà plus d'une demi heure qu'il tourne en boucle sans même prendre le temps de s'hydrater. Au rythme des impacts, le temps devient subjectif ; le corps s'active mais le regard est vide, l'esprit complètement déconnecté de la réalité. Personne dans le dojo n'aurait l'idée de lui conseiller de se ménager. Les écouteurs sont là aussi bien pour dissuader les conversations que pour l'abrutir de décibels. Isolé dans un coin, Mills est dans son univers, seul face à ses doutes, ses peurs, ses frustrations et ses colères. Une jungle psychique qu'il débroussaille à sa façon, arrachant les racines de ses insécurités à grands renforts de sueur et de courbatures. La fatigue est une alliée redoutable. Boxer à n'en plus pouvoir n'est qu'une façon comme une autre de l'invoquer. Méfiant de tout mais se refusant à devenir le genre de mec qui ne croit plus en rien, Jax fait le choix d'honorer le tangible : quand les batteries sont vides, la machine s'arrête. C'est aussi simple que cela.
Soudain, une main s'agite dans le champ de sa vision périphérique. On cherche à attirer son attention. Jackson pile net, les dents serrées, le corps tendu. Son être tout entier transpire l'agressivité mais son regard se veut plus interrogatif qu'accusateur lorsqu'il se tourne vers l'un des coachs venu l'interrompre. Ses lèvres bougent sans que Mills n'entende le son de sa voix. A la hâte, le combattant enlève l'un de ses gants afin de pouvoir extraire les écouteurs de ses oreilles. Quoi ? Questionne-t-il, essoufflé. " Y'a quelqu'un pour toi. " Répond le professionnel avant de désigner une silhouette féminine située à l'entrée de la salle. Jackson plisse les paupières sans parvenir à la reconnaître. Intrigué, il abandonne ses affaires au pied du sac, passe sa serviette autour de son cou puis remonte l'allée centrale. En chemin, il en profite pour s'essuyer le visage et les dessous de bras.
Ce n'est qu'une fois arrivé à la hauteur de la brune qu'il reconnait la fille du Starbucks. Elizabeth. Après plusieurs jours sans la voir revenir, Jax avait fini par croire que la jeune femme s'était finalement contentée de la vérité brute : Connor est mort, fin de l'histoire. Salut. Lance-t-il, ne pouvant s'empêcher de sourire face au reflet que le grand miroir du hall leur renvoie : celui de la beauté sophistiquée de l'une contrastant avec la sauvagerie primaire de l'autre.
Elle y avait pensé et repensé. Toute la semaine cela l’avait torturée. Connor…ou plutôt Jackson était au centre de toutes les images mentales d’Elizabeth. Elle avait beau se dire qu’il fallait qu’elle tourne la page, qu’elle fasse son deuil, ça ne marchait pas. Ce n’était pas aussi simple que ça. Elle avait besoin de comprendre. Comment Connor était-il décédé ? Avait-il regretté de l'avoir laissée ? Mais au final, est-ce que cela changerait quoique ce soit à ce qu'elle avait enduré ? Non. Mais il fallait quand même qu'elle en sache plus. On a tous cet un ex pour lequel on se dit « un jour, il regrettera sa décision ». Etait-ce cela qu'elle cherchait ? Un pseudo désir de vengeance pour satisfaire son ego ? Si c'était ça, c'était pitoyable. Bon sang, il était mort...Elizabeth n'arrivait pas à mettre du sens dans ce qu'elle ressentait et pensait et plutôt que de rester enfermée dans un ressassement qui la torturait, elle préférait agir. Jackson lui avait proposé quelques jours plus tôt la possibilité d’en savoir plus en venant le rencontrer mais elle avait décidé de prendre le temps d’y réfléchir avant de se lancer. Et si se replonger dans toute cette histoire lui faisait perdre davantage de plumes ? Elle s’était persuadée qu’elle ne pouvait rien perdre de plus mais une petite voix à l’intérieur d’elle lui soufflait que c’était faux. Mais elle ne pouvait pas restée ainsi à retourner le passé dans tous les sens, il fallait qu'elle tourne la page. Et si pour cela il fallait avoir une discussion avec Jackson, alors elle le ferait. Un échange gênant avec questions/réponses, car après tout le frère de Connor avait probablement des interrogations lui aussi, et chacun prendrait un chemin différent. Oui, voilà. C'était le plan parfait.
Ce soir elle avait donc bouclé son travail relativement tôt. Elle avait pris le temps de déguster un verre de whisky pour s’encourager avant la confrontation avec Jackson. Elle savait déjà par avance la difficulté qu’elle allait avoir à se persuader qu’il ne s’agissait pas de Connor. Sans compter le fait qu’elle ignorait encore les informations qu’elle allait découvrir et que cela pourrait venir tout changer.
Vingt heures tapantes. Elle était devant la porte du lieu de rendez-vous, le dojo. Elle prit une grande inspiration et rentra. Elle croisa un jeune homme très sympathique à l’accueil qui lui demanda ce qu’elle voulait. Evidemment. Elizabeth n’avait rien du look de la femme qui vient s’entrainer. Avec ses talons aiguilles et son tailleur, elle détonait de l’environnement d’arts martiaux. Elle aperçut Jackson au fond de la salle. Il se défoulait sur un sac de frappe. Il avait l’air concentré car le coach dut faire des signes de main pour attirer son attention. Elle avait pratiqué un peu de boxe à une époque. Elle avait d'ailleurs beaucoup progressé mais elle avait arrêté, ayant trop peur de ce qui pourrait sortir d’elle si elle lâchait tout. Peut-être aurait-elle du continuer car un jour ou l’autre, ce qu’on retient à l’intérieur de nous nous rattrape…
Jackson s’approcha et la salua de façon simple mais efficace. Ils avaient au moins cela en commun.
« Bonsoir »
Un court silence s’installa. Le coach s’était éloigné, leur lassant volontairement la place pour pouvoir échanger.
« Est-ce que vous pourriez m’accorder quelques instants ? »
Elle n’avait pas la force de le tutoyer. Ce vouvoiement lui permettait de mettre de la distance avec l’image du Connor charmant et souriant encore bien présente dans sa tête. Elizabeth n’était pas une grande bavarde mais elle savait qu’il fallait qu’elle donne plus de matière à Jackson pour qu’il puisse la nourrir, que l’aliment soit bon ou mauvais…
« Je…j’aimerais en savoir davantage sur le décès de Connor. C’est...quelqu’un qui a compté pour moi »
Cela lui faisait bizarre de l’admettre à haute voix, de formuler cette vérité qu’elle savait pourtant déjà. Elle était encore dans une phase de choc, ne réalisant pas qu’elle ne le croiserait plus jamais. Elle ne savait pas si Jackson allait vouloir en savoir plus. Elle avait décidé d'improviser. De toute façon, en soit, elle n'avait pas grand chose à cacher si ce n'est un ego abimé et un cœur esseulé.
Quelques instants. Jackson approuve d'un hochement de tête. Il sait qu’il lui faudra plus d’un instant au singulier pour raconter toute l’histoire à cette femme dont la simple présence en ces lieux prouve que ses explications l’intéressent. D’un signe du menton, Mills désigne un espace un peu plus isolé au sein duquel les mères papotent les samedis après-midi pendant que, de l’autre côté de la baie vitrée, leurs enfants se tapent dessus avec des frites en mousse. Ce soir, cette salle dédiée aux accompagnateurs est vide ; Toutes les personnes présentes dans le dojo sont occupées soit à s’entraîner, soit à assurer la gestion des lieux.
Alors qu’il tire une chaise à l’intention de la brune, Jackson s'interroge intérieurement. Son intuition lui souffle de bien choisir ses mots, que sa façon de narrer les événements risque de peser un poids non négligeable dans la balance de cette conversation. Aussi prend-t-il le temps de s’asseoir à son tour et d’observer longuement le visage de son interlocutrice avant d’entamer ses révélations : Il est mort d’une balle dans la tête. Impassible, Mills s’interdit de toucher sa cicatrice que le faible éclairage de la salle d’attente rend plus difficile à distinguer qu’en plein jour. Une curiosité parfaitement justifié mais qu’il a conscience d’être malsaine l’anime tandis qu’il se complaît dans l’entre-deux de cette situation. Révéler d’entrée de jeu que Connor n’avait de réel que son identité effective risque de braquer Elizabeth. Jax aimerait en apprendre d'avantage sur ce " quelqu’un qui a compté pour moi " et la nature du lien là liant à son double infiltré. Il se racle donc la gorge, essayant d’avoir l’air d’un frère en deuil à la recherche de réponses : Vous étiez proches ?
Des pellicules entières de films hypothétiques défilent derrière les parois de sa boîte crânienne. Jackson s’essaye à imaginer la brune en compagnie d'un lui sans cicatrice à la tête et sans problème de mémoire. Étaient-ils amis ? À quel moment le lieutenant de police va-t-en-guerre qu’il incarnait en 2020 avait-il rencontré ce genre de Lady perchée-sur-talons-hauts ? Avaient-il partagé des rires, des repas, des secrets ? Du sexe ? Cette pensée réveille le sentiment de compression dans sa poitrine, celui-là même que Jackson avait ressenti après que leurs mains se soient effleurées au Starbucks. Instantanément, tous ces capteurs se mettent en alerte. Mills brûle de savoir qui est cette femme affectée par son sort, quand bien même elle prétend le connaître sous un autre nom. Les identités multiples, il connaît, c'est la raison d'être de son métier. Jackson a juste besoin d’un coup de pouce afin de se réapproprier la sienne - celle sous laquelle il est né - maintenant que la dernière en date s’est dissipée telle la nuit chassée par le jour, laissant derrière elle 10 mois de zones d’ombre sans étoiles pour éclairer sa lanterne.
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Dernière édition par Jackson Mills le Lun 17 Oct 2022 - 16:55, édité 3 fois
Il lui indiqua un espace plus isolé, une salle juste à côté, ce qu’elle trouva effectivement plus adapté pour pouvoir échanger. De toute façon, ils n’avaient pas le choix. Elle n’allait certainement pas le ramener chez elle et encore moins aller chez lui, si c’était pour voir plein de photos de lui et Connor. Sans compter le fait qu’elle n’avait absolument pas confiance en son corps à côté de lui. Sa raison avait beau lui crié que l’homme qu’elle avait aimé était mort, elle ne pouvait pas s’empêcher de sentir une certaine attirance pour Jackson, visualisant le fantôme de son amant en lui. Glauque, mais il était tout de même son portrait craché…et elle ne pouvait très clairement pas contrôler les réactions qui traversaient sa chair.
Jackson lui tira une chaise pour qu’elle puisse s’y installer. Elle ne put s’empêcher de se dire que Connor aurait tout à fait pu en faire de même. Il prit place en face d’elle. Elle pouvait enfin le voir tel qu’il était car leur rencontre au Starbucks n’avait été qu’un flou artistique pour Elizabeth, alors noyée par son flot d'émotions. Il dégageait quelque chose de dur dans son regard, elle n’arrivait pas à distinguer la douceur qu’elle avait pu lire dans celui de Connor même si ce dernier mettait toute son énergie à la cacher.
« Il est mort d’une balle dans la tête. »
Elle prit le temps de respirer calmement. Au moins, il n’avait pas souffert. C’était à plutôt positif non ? Mais qui dit balle, dit flingue…Elle s’imaginait donc que cela avait du se passer lors d’une mission. Cela faisait parti des risques du métier. Alors qu’elle envisageait un avenir avec lui, elle s’était demandé si elle arriverait à tenir ses nerfs lors des interventions qu’il pouvait faire. Elle avait décidé qu’elle avait ce qu’il fallait dans les tripes. Elle avait les épaules grandes de part les responsabilités qu'elle endossait au quotidien et une capacité à savoir éloigner les affects lors des moments intenses. D'ailleurs, la scène qu’elle vivait maintenant était la preuve qu'elle était effectivement capable d'encaisser les coups. Elizabeth ne flancha pas, elle ne versa pas une seule larme, elle restait imperturbable face à l’horreur de la réalité du décès de Connor. Cela ne retirait rien à la douleur interne qui se propageait en elle mais elle savait qu’elle pourrait s'en relever. C’était plutôt ironique au final de se dire qu’elle vivait mieux la découverte de sa mort que quand il l'avait abandonnée...
Jackson se racla à la gorge et ramena la belle à l’instant présent.
« Vous étiez proches ? »
Elle avala sa salive, prit le temps de peser le pour et le contre de ce qu’elle pouvait dévoiler au frère de Connor. Elizabeth était très pudique sur sa vie privée, résultat d’une déformation professionnelle en plus d’une pudeur naturelle, et c’était encore pire avec des inconnus bien entendu. Elle se contenta donc de glisser un « On peut dire ça oui ». Puis elle repensa aux quelques moments qu'ils avaient passé ensemble, à l'intensité de ce qu'ils avaient pu ressentir tous les deux, à cette connexion unique qui l'avait poussée à faire le grand saut...
« On était proches oui »
La réalité de ce constat la poussait davantage à vouloir essayer de comprendre ce qui avait pu se passer du côté de Connor après son départ.
« C’est arrivé quand ? »
Etait-ce arrivé une semaine après ? Trois mois après ? Cela pouvait sembler être un détail mais il avait de l’importance à ses yeux. S’il ne l’avait pas recontactée sur seulement une ou deux semaines, il était encore probablement sous le choc de l’arrivée soudaine de cette nouvelle vie. S’il n’avait pas donné de nouvelles pendant plusieurs mois, alors c’était définitivement un traitre qui l’avait juste lâchement laissée derrière lui, balayant tout sur son passage avec son ambition de grimper dans l’échelle sociale.
Elle réalisa ensuite soudainement que son comportement était très autocentrée. Elle ne voulait certainement pas paraître insensible à la situation de Jackson. Elle décida donc d'être plus humaine et de s'intéresser également à lui en plus du passé de Connor. Après tout, il avait tout de même perdu un frère.
« Vous êtes arrivé sur Brisbane il y a longtemps ? Si jamais vous avez besoin d'aide pour quoique ce soit, vous pouvez vous tourner vers moi »
Connor avait peut-être agi comme un déserteur égoïste mais Jackson ne méritait pas de récupérer les pots cassés de son frère et de galérer dans une grande ville. Peut-être connaissait-il des personnes ici mais peut-être que non...Elle ne put donc s'empêcher de lui proposer un soutien. S'il était venu sur Brisbane, c'était d'ailleurs peut-être pour en apprendre plus sur Connor. Elizabeth faisait l'hypothèse qu'ils n'étaient pas très proches car Connor n'en avait jamais parlé alors que lui savait pour sa fratrie. Il aurait donc tout à fait pu le mentionner à ce moment-là. Elle décida donc de tendre une perche à Jackson pour voir s'il s'en saisirait. C'était aussi pour lui l'occasion de pouvoir parler un peu s'il le souhaitait. Il est parfois tellement plus simple de s'ouvrir à un inconnu qu'un ami...
« Et vous, vous étiez proches ? Il ne m'avait jamais parlé de vous »
Être proche, un concept aussi simple qu'abstrait. Que pouvait bien vouloir dire " êtres proches " dans le vocabulaire d'Elizabeth ? Faisait-elle allusion à une proximité physique telle que celle qu'ils partageaient à cet instant ou bien d'une proximité affective ? Et s'il s'agissait d'affecte, comment expliquer son impassibilité apparente à l'entente des conditions particulièrement violentes de la mort ? Perplexe, Jackson garde le silence et observe les moindres faits et gestes de la brune, cherchant dans son langage corporel les non-dits que le verbale passe sous silence. Indécis, il médite intérieurement sur le paradoxe que représente à ses yeux le fait de communiquer avec quelqu'un prétendant avoir fait partie de son cercle privé tout en étant incapable de mettre ne serait-ce qu'un souvenir sur ce visage aux yeux de chat et au sourire séduisant.
« C’est arrivé quand ? »
La question le ramène à la complexité de la chronologie de l'année écoulée. Ses derniers souvenirs clairs remontant au mois de février 2020, Mills en déduit que sa rencontre avec Elizabeth date plus ou moins du printemps. Or, le rapport d'enquête fait mention d'un virage à 180 degrés dans les plans d'infiltration et d'un départ précipité pour Sydney fin mai. Cela leur laissait donc une fenêtre de 3 mois pour passer du statut d'inconnus à celui de proches au point qu'elle choisisse l'emploi du vebre " compter " dans la description de son lien avec le lieutenant Connor. Les lèvres de Jackson se pincent tandis qu'il retient les interrogations les lui brûlant. Novembre. Répond-il sobrement. Avait-il gardé contact avec elle alors que l'équipe dans son intégralité avait été mutée de toute urgence dans le Sud ? Il doutait d'en avoir eu le temps ou l'occasion compte tenu du contexte extrêmement périlleux pour son intégrité et celle des autres membres du PSI.
« Vous êtes arrivé sur Brisbane il y a longtemps ? Si jamais vous avez besoin d'aide pour quoique ce soit, vous pouvez vous tourner vers moi » Un sourire désabusé lui échappe tandis qu'il tente d'occulter l'ironie de la situation. Lui proposerait-elle son aide si elle savait ce qu'il ne lui a pas encore révélé ? J'ai grandi ici, ça devrait aller. Mais je retiens la proposition. Souligne-t-il, misant sur l'espoir qu'elle se remémore avoir prononcé ces mots une fois mise au courant de toute l'histoire car l'étau se resserre et le choix de l'honnêteté devient de plus en plus pressant, notamment lorsqu'elle ajoute : « Et vous, vous étiez proches ? Il ne m'avait jamais parlé de vous. »
S'installe alors un silence assourdissant durant lequel l'agent sous-pèse chacun de ses mots. Les secondes s'étirent, interminables, jusqu'à ce que la migraine ne commence à s'attaquer au cerveau de Mills, l'incitant à se montrer fidèle à lui-même dans ce genre de circonstances : expéditif. C'est moi.
Il imagine sans mal ses collègues tomber à la renverse s'ils le voyaient faire. Son manque de tact est fracassant, pas pour rien qu'il est l'action de l'équipe et non la réflexion ou la formulation. Jackson Mills, le lapidaire.
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Dernière édition par Jackson Mills le Sam 27 Fév 2021 - 10:02, édité 1 fois
La réponse fut l’effet d’une bombe dans l’esprit d’Elizabeth. C’était arrivé bien après son départ fin mai. Il n’avait donc pas cherché à la contacter. Il avait définitivement tourné la page. Quelque part, tant mieux pour lui si ça avait pu lui permettre d'être en paix au moment de son décès…Mais elle ne pouvait cacher une pointe de déception en elle. Avait-elle réellement compté pour lui ? Elle ne le saurait jamais désormais. Elle n’avait que ses souvenirs avec lui pour y chercher des réponses. Ou bien peut-être devait-elle arrêter de partir à la quête de réponses qu’elle n’obtiendrait jamais ? La curiosité est un vilain défaut qui ne peut pas toujours être satisfait.
Lorsqu’Elizabeth proposa son aide, Jackson lui précisa qu’il avait grandi à Brisbane. Evidemment, maintenant qu’elle entendait cette information à l’oral, elle la trouvait logique. Connor aussi avait passé la plupart de sa vie à Brisbane donc forcément, c’était pareil pour son frère. Pas grave, le but était de proposer un soutien à une âme en peine qui était liée à celle de quelqu’un qui avait compté, qu’elle le veuille ou non. Jackson ne put retenir un sourire, peut-être avait-il été touché par sa sollicitude ?
Elizabeth tenta alors d’en savoir plus sur la relation entre les deux frères. Un long silence prit place. Avait-elle été trop loin ? Peut-être que sous ses airs solides, Jackson était plus affecté par le décès de son frère qu'il ne voulait le montrer ou l'admettre. Elle culpabilisa un peu, elle ne voulait pas le mettre mal à l’aise. Elle se préparait mentalement à attraper son portable dans ses affaires, le consulter et s’esquiver avec une fausse excuse quand soudain Jackson parla enfin.
« C'est moi. »
Elle le regarda, interloquée. Elle était dans une incompréhension totale. Avait-elle raté quelque chose ? Est-ce qu’elle avait été si préoccupée par le fait de chercher une excuse qu’elle n’avait pas écouté une parole qu’il avait prononcée ? Non, impossible. Il fallait qu'elle demande un éclaircissement.
« Comment ça c’est moi ? Qu’est-ce que cela signifie ? »
Le temps que Jackson réponde, elle commença à construire des scénarios. Etait-il lui aussi de la police et avait-il été celui qui a tiré sur Connor ? Est-ce que ce genre de scène tragique n’arrivait pas que dans les séries ou les films ? Mais après, tout, c’était tout à fait possible. Jackson avait une très bonne forme physique, il était clairement formé au combat étant donné les exercices qu’il pratiquait quand elle était arrivée. Cela ne voulait pas automatiquement dire qu’il était des forces de l’ordre mais cela pouvait être un indice. Cet instant était très bizarre…Elizabeth avait un mauvais pressentiment sur ce qu’elle allait découvrir. Jackson n’avait encore rien rajouté et finalement, elle n’était pas sûre de vouloir tout savoir. Connor était mort, point.
« Ecoutez, c’était peut-être une erreur de venir vous rencontrer, je suis désolée pour le dérangement. »
Elle tenta de se lever et elle sentit la main de Jackson se poser sur son bras. La décharge émotionnelle était intense. Ce qu’il dégageait était intense. Il était intense. Exactement comme…Connor. Leurs regards se croisèrent et se figèrent l’un sur l’autre. Sa main n’avait pas quitté son bras. Elle pouvait le savoir sans même y prêter attention car son cœur battait à tout rompre, sa poitrine était en feu.
« Comment ça c’est moi ? Qu’est-ce que cela signifie ? »S'y étant préparé, Jackson encaisse les interrogations d'Elizabeth sans rien laisser paraître du sentiment de culpabilité allant de paire avec sa mémoire défaillante. Un sentiment omniprésent et indécrottable, qu'il se traîne où qu'il aille comme un chewing-gum collé à la semelle de sa chaussure mais dont le poids pèse un peu plus lourd en cette soirée de retrouvailles. « Ecoutez, c’était peut-être une erreur de venir vous rencontrer, je suis désolée pour le dérangement. » Par réflexe, Mills tend le bras et ne réalise qu'il tient celui de la brune prisonnier qu'une fois que son regard en capture l'image saisissante. Sa peau noire contre celle, diaphane, de son interlocutrice ; les veines et les muscles saillants contre les courbes délicates et parfaitement lisses : le contraste lui saute aux yeux.
Cela se passe en une fraction de seconde : Jax prend à la fois conscience qu'il vient de dépasser une limite invisible mais aussi de la bouffée de chaleur incendiant sa cage thoracique pour lui monter directement à la tête. Choqué, il capte le regard d'Elizabeth afin d'en sonder la profondeur. Il lui est impossible de croire que cet embrasement n'est qu'un effet de son imagination. Pour une raison qu'il peine à identifier, Jackson retient sa respiration. La partie la plus rationnelle de son esprit tape du pied dans un coin de sa tête parcequ'elle ne comprend pas ce qui est train de se passer.
-Attend. Lache-t-il, au prix d'un effort de concentration. Ses doigts refusent de couper le contact. C'est à peine s'il parvient à contenir la pulsion de tirer sur le bras de la jeune femme pour la rasseoir sur sa chaise. Figé, Mills attend que sa fréquence cardiaque redescende. Il se sait sur les nerfs en ce moment mais n'avait plus vécu ce genre d'embardée émotionnelle depuis ...
Le souvenir est flou, partiellement déformé dans ses variables sensorielles mais suffisemment intense pour lui imposer un sursaut spectaculaire lui faisant lâcher prise et se plaquer au dossier de sa chaise. Le siège recule d'un bon mêtre en grinçant contre le sol de béton. Jackson attrape son crâne entre ses mains. Coudes en appui sur les genoux, il siffle comme un serpent mécontent. Derrière ses paupieres fermées - contre lesquelles il presse ses paumes - défilent des images furtives. Sa main parcourant un corps nu avant de finir sa course sur une hanche féminine ; ses doigts décoiffant des cheveux bruns soigneusement attachés. La sensualité de ces réminicences est gachée par la douleur lancinante qu'il ressent à la tête. Mills grogne pour revenir à la réalité, raccrocher à l'instant présent en cherchant Elizabeth du regard.
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Dernière édition par Jackson Mills le Mer 3 Mar 2021 - 6:02, édité 1 fois
C’en était trop. Il fallait qu’elle parte. Mais ce satané bras l’attrapa. Ce geste la retenait physiquement mais psychiquement aussi. Comment pouvait-elle tourner les talons alors que ce qu’elle ressentait était bien réel ? Etait-elle en train de devenir folle ? Elle avait appris à ses dépens que tout ce qui avait un rapport avec Connor la déroutait. Ressentir autant d’intensité, était-ce un cadeau de la vie ou une malédiction qui l’empêcherait d’être heureuse ? La raison l'incitait à l'encourager à la libérer. La réalité en était toute autre. Elle ne voulait pas qu’il la lâche, elle ne voulait pas partir et elle voulait comprendre ce qui se passait. Et à priori, lui aussi n’avait pas le souhait de la voir disparaître car il ne relâcha pas la pression de sa poigne.
« -Attend. »
Elle pouvait sentir la fébrilité de son mot, comme si cela lui avait demandé beaucoup d’efforts de le prononcer. Il semblait perdu. En tous cas, quelque chose le travaillait, et pas qu’un peu. Un sursaut le parcourut et il se laissa retomber en arrière. Le grincement de la chaise dans son mouvement de recul sur le sol était insupportable. Mais en un seul coup d’œil, on pouvait identifier que ce n’était apparemment pas aussi rude que ce que ressentait Jackson. C’est à cet instant précis qu’Elizabeth mit totalement de côté ce qui se passait en elle pour se concentrer sur lui. Le voir retomber sur la chaise brusquement eut l’effet d’un fracas externe et interne pour elle. La douleur était visible sur Jackson, il se replia sur lui-même, prenant sa tête entre ses mains. Elle ne pouvait pas l’abandonner dans cet état Malgré le passé compliqué qu’elle partageait avec son frère et malgré le fait que tout le monde pensait qu’Elizabeth Warren était une reine de glace, elle ne pouvait laisser une âme en peine dans une totale solitude. Pas comme certains avaient pu le faire…Non, laisser quelqu'un, cela devait se faire en douceur. Même si en réalité, si elle était honnête envers elle, ce qu'elle n'était évidemment absolument pas, elle n'était pas si sûre d'être capable d'arriver à mettre de la distance avec lui.
Elle prit soigneusement l’autre chaise restante et la plaça avec précision près de celle de Jackson, pas trop proche mais pas trop éloignée non plus. Elle s’assit dessus, toujours en silence, et déposa délicatement ses doigts de fée sur son épaule, à côté du tissu du débardeur qui le recouvrait, directement au contact de sa peau. Elle ne savait pas l’expliquer mais à ce moment, elle ne pouvait pas réfléchir. Elle n’avait de toute façon, à l’évidence, pas toutes les données à sa connaissance pour le faire. Elle décida donc d’écouter son instinct. Et ce dernier lui criait que Jackson avait besoin d’elle, de la sentir. Aussi étrange que cela pouvait paraître, ils avaient bel et bien eux aussi une connexion. Elle était capable de sentir que la caresse qu’elle lui adresserait pourrait le calmer. Et ce fut le cas. Elle sentit sa respiration s'apaiser. Elle était toujours près de lui, peut-être plus que ce qu’elle n’avait imaginé en plaçant sa chaise. Sa main dégageait de la chaleur, elle pouvait presque sentir une brûlure apparaître à ce simple contact mais, justement, n’était-elle pas en train de se brûler à nouveau les ailes en s’approchant trop près d’une source dangereuse pour elle ?
Elizabeth se déplace. Si il ne la voit pas derrière ses paupières étroitement closes dans le but de protéger son nerf optique de la moindre lumière agressive, Jackson entend ses pas et sent autour de lui les mouvements remplis de son parfum. Un spasme musculaire anime son deltoïde lorsque la main féminine se pose sur son épaule. Réflexe reptilien : son corps encore sous le choc de la douleur ressentie se méfie désormais du contact avec cette étrangère. Malgré cela, voyant qu’aucun autre pic ne lui transperce l’encéphale, Mills parvient à calmer sa fréquence cardiaque. Sa respiration se régule, se cale sur celle de son soutien. Une fois les résidus d’images mentales dissipés, Jax ne ressent plus que le trouble de venir d’accoucher dans la douleur d’un souvenir jusqu’alors oublié.
Peu à peu, l’agent retrouve ses moyens et ses capacités à communiquer : Cette mémoire de merde… Ronchonne-t-il dans sa barbe, contrarié, avant de tourner la tête en direction de sa voisine et de constater qu’elle est plus proche de lui qu’il l’imaginait les yeux fermés. À cette distance, il lui est possible d’apprécier chacun des traits de la jeune femme ; de saisir son trouble comme une preuve qu’il n’est pas le seul à avoir raté une marche dans l’escalier de cette conversation. Désolé pour ça. Qu’il reprend en se dégageant d’elle à la recherche d’un peu d’espace au sein duquel panser la plaie de sa fierté mise à mal par l’état prostré dans lequel il se trouvait quelques secondes auparavant. Le combattant en lui digère mal c’est uppercut psychique.
Debout face à la baie vitrée, dos à Elizabeth, Jackson observe sans les voir les différents pratiquants occupés à se taper sur la gueule, là-bas, sur les rings. Un soupir lui échappe. Lourd. C’est moi. Répète-t-il, ténébreux. D’un pas, il pivote sur lui-même afin de faire face à son interlocutrice. Connor.
Écartant les bras, Jackson se présente tel qu’il est, offrant son corps encore moite de sueur au jugement du regard d’Elizabeth. Il ne s’imagine pas qu’elle puisse nier la vérité au point de rester persuadée qu’il est le jumeau de celui dont elle porte désormais le deuil. Aussi incline-t-il la tête afin d’exposer sa cicatrice. Du bout de l’index, il en pointe les contours encore luisant. Agent Jackson Mills. Police fédérale. Ajoute-t-il, factuel, faisant tomber le masque sur son métier et tout ce que l’imaginaire collectif en connaît de « missions secrètes », d’espionnage et de « rapports classés secret défense ».
Dans le silence assourdissant qui régnait, que ce soit à l’intérieur de lui, à l’intérieur d’elle ou bien dans l’air ambiant, Jackson murmura.
« Cette mémoire de merde… »
Elizabeth était toujours confuse, elle maintint son soutien par sa présence. Que pouvait-elle faire de plus ? Elle devait lui laisser le temps de reprendre ses esprits pour tenter d’en savoir plus. Car, là, il était évident que sa curiosité avait bien trop été attisée.
« Désolé pour ça. »
Il décida de prendre de la distance. Elizabeth interpréta cet éloignement comme un besoin de plus d’espace pour retrouver de l’air. Mais Jackson semblait également être un homme fier et il pensait probablement ne pas avoir besoin d’une femme pour s’en sortir. Comme beaucoup, il se fourvoyait. Même à travers toutes les grandes figures masculines de l’histoire du monde, on pouvait toujours apercevoir une femme dans un coin, prête à exercer le pouvoir qu’on ne leur soupçonnait pas. Jackson s’approcha de la baie vitrée, dos à elle. Son regard semblait vagabonder, peut-être autant que sa réflexion. Elizabeth s’apprêta à rompre son silence à elle mais Jackson la prit de court.
« C’est moi. »
Il se retourna et lui fit face. Elle savait déjà au fond d’elle ce que signifiait cette phrase mais elle le laissa poursuivre avec plus que jamais la soif de compréhension.
« Connor. »
Elle ferma ses yeux, dépitée, comme si la sentence d’un procès venait de tomber. Avec peine, elle les rouvrit et Jackson ne tarda pas à donner une explication qui donnerait du sens à cette annonce explosive. Il inclina la tête pour présenter sa cicatrice. Elle n’avait pas besoin d’en savoir plus pour assembler les pièces du puzzle. La question de la mémoire qu’il avait soulevée quelques secondes plus tôt, le fait qu’il ne l’avait pas reconnue au Starbucks et la marque apparente d’une blessure par balle…
« Agent Jackson Mills. Police fédérale. »
Police fédérale…Pas lieutenant. Connor n’était pas sa réelle identité. Elle avait l'impression d'avoir reçu une claque violente sur le visage et ce fut à son tour de l'entourer de ses mains. Pourquoi lui avoir menti ? Probablement car il se devait de maintenir le secret autour de sa mission. Elle était parfaitement capable de le raisonner mais l’émotion prenait le dessus et effaçait la moindre déduction logique. Il lui avait délibérément prononcé une série de faits qui n’étaient pas réels en la regardant droit dans les yeux. Avait-il au moins été honnête sur ses sentiments ? Les relations n’étaient-elles pas interdites durant les infiltrations ? N’avait-elle été qu’une distraction comme un militaire qui a une courte autorisation ?
« Tu ne te souviens pas de qui je suis »
Ce n’était pas une question, juste un fait qui était désormais évident mais il fallait qu’elle le prononce à haute voix.
« Depuis quand ? Novembre ? »
Elle voulait la confirmation. Jackson acquiesça. Il l’avait laissée. Il l’avait abandonnée, la laissant à son propre sort, dans un gouffre sans fin de souffrances…Et il n’avait pris aucune nouvelle d’elle. Mission dangereuse ou pas, comment un être humain pouvait-il tourner le dos à quelqu’un dans un tel chagrin ? Il ne pouvait pas jouer la carte de l’ignorance, il avait vécu autant qu’elle les moments intenses qu’ils avaient partagés…il savait ce qu’elle ressentait, même si il avait décidé de l’oublier en partant. Et puis, bon sang, c’était lui qui l’avait convaincue de leur laisser une vraie chance.
« Comment est-ce que t’as pu faire ça ? »
Et comme si elle réalisa en prononçant sa question qu’il avait une mémoire en peine, elle précisa sa pensée.
« Tu m’as lâchement abandonnée, tu m’as laissée derrière toi comme si je n’étais rien, comme si ce qu’on avait vécu n’avait été qu’une page qu’on tournait en une seconde »
Elle sentait les larmes monter, elles avaient envie de sortir mais elle puisa dans toute sa main de fer pour les contenir. Hors de question de lui laisser la satisfaction de la voir faible.
« Tu m’as brisé le cœur Connor…Jackson…Peu importe ton nom, tes actions sont le reflet de qui tu es. Et moi je ne veux rien à voir affaire avec quelqu’un comme toi »
Elle se releva brusquement mais fièrement. Elle en fit tomber son sac avec sa jambe qui était venue l’effleurer. Peu d’objets en sortirent, son portable, son badge ABC et un paquet de mouchoirs (qu’elle utiliserait probablement dans sa voiture une fois qu’elle serait seule). Elle ne se laissa pas perturber, ramassa le tout et prit son sac en mains, prête à partir. Elle ne voulait pas en savoir plus car à chaque nouvelle information qu’elle découvrait, elle souffrait davantage. Et elle ne pouvait pas retomber dans ce qu’elle avait vécu l’année dernière. Non, elle s’était trop battue pour se relever. Elle le regarda une dernière fois, tourna les talons et se dirigea vers la sortie. On pouvait entendre son pas déterminé résonner à travers le bruit de ses escarpins sur le sol. C’était à son tour de le laisser à son propre sort.