Quatre jours. Le temps semble long, infini depuis que la perquisition du Club a eu lieu. Parce que depuis, je demeure dans un flou total, malgré le rassemblement dans ce hangar sur les docks la veille. Oui, Mitchell ne reviendra pas. Oui, Mitchell n’a plus sa place dans le Club. Oui, Raelyn Blackwell devient la nouvelle reine du royaume. Tout cela, c’est clair comme de l’eau de roche. Mais ensuite ? Parce que cette guerre de règne semble résolue mais qu’en est-il du reste ? De nous, ceux qui suivons le mouvement, pour diverses raisons, qui nous sont propre ? La mienne, c’est l’argent. Uniquement. Et là, je me rends compte que tout s’écroule et qu’en attendant, je me retrouve sans rien. Sans rien alors que la situation devient urgente, surtout lorsque ma sœur débute sa dernière année de lycée, que mon père continue à merder avec ses jeux d’argent et que des mecs louches continuent à venir frapper à notre porte, comme il y a encore trois jours de ça. Comme à mon habitude, je ne laisse rien transparaitre, je camoufle cette inquiétude grandissante en moi, ou presque. Parce que trois jours plus tôt, c’est Mila qui en a fait les frais, quand je n’ai pas su garder totalement mon sang froid dû à l’accumulation de beaucoup trop de choses en une journée. Et c’était bien rare de ma part de m’emporter. Parce que j’ai toujours voulu garder le contrôle, conservant toujours mes inquiétudes, ma haine, ma tristesse au fond de moi. Parce que je veux conserver cette image de femme forte, pour ma petite sœur, celle pour qui je serai capable de tout pour la voir heureuse. Parce que je lui ai fait la promesse de prendre soin d’elle, d’être toujours là pour elle et que je ne pourrais pas supporter de la briser.
Alors, parce que j’ai besoin d’avoir des réponses au plus vite, Alec finit par me proposer de venir le rencontrer chez lui ce soir. Après mon service à l’hôpital, c’est donc la direction de sa maison que je prends. Arrivée devant celle-ci, je prends quelques minutes pour appeler mon frère et prendre de ses nouvelles après son incident de samedi. Après qu’il m’ait assuré qu’il allait bien et après lui avoir dit que je me rendais chez un ami et que je ne pouvais pas passer le voir ce soir, je raccroche et descends de la voiture. Je frappe alors avant qu’Alec n’apparaisse dans l’encadrement de la porte. « Bonsoir Alec » je lance alors. Et pour une fois, le ton que j’emprunte à son égard est plutôt froid et distant. Il m’invite à entrer, ce que je fais, vite accueilli par son chien que je caresse doucement sur le haut de la tête, non sans sourire. Je m’avance jusqu’au salon avant de l’interroger « Tu as eu des nouvelles de Mitch ? ». Ma voix est posée, comme toujours, contrastant avec cette demande qui est, quant à elle, directe.
Quatre jours et chaque minute est plus longue, chaque heure interminable, chaque nuit apportant peu de repos ou de sommeil. Il n’aura trouvé qu’un peu de paix dans les bras de Mia, loin de tout ce capharnaüm qu’est devenue sa vie. Il a trahi son frère, pour la première fois de sa vie. Il a dit adieu à cette loyauté qui les liait depuis la naissance. Alec avait choisi Raelyn. Raelyn qui avait tout autant mérité sa loyauté, Raelyn à qui il devait bien plus que ça.
Mais peu importe ses actions, la culpabilité le rongeait toujours, lui collait à la peau sans qu’il n’arrive à s’en débarrasser. Il avait l’impression de devoir des comptes à bien trop de personne. Ce soir il avait décidé d’inviter Stacey, de tentait de la rassurer, peut-être d’expliquer ses actions, du moins dans la limite de ce qu’il pouvait lui avouer. Lorsqu’il ouvre, il a un regard alerte vers la rue, comme s’il avait encore l’impression d’être surveillé.
« Bonsoir Alec » Son ton est froid, inhabituel mais peu surprenant en réalité. Il s’était douté que Stacey n’allait pas prendre bien cette nouvelle. Il avait vu son visage pendant le discours de Raelyn, le regard d’incompréhension qu’elle lui avait lancé. Alec soupire, se décale pour la laisser entrer dans sa maison. « Salut Stacey. » Il referme la porte derrière elle la suivant jusqu’au salon, ignorant le chien qui lui reçoit un bien meilleur accueil, c’est qu’il en serait presque jaloux. « Tu as eu des nouvelles de Mitch ? » Le prénom de son frère lui arrache une grimace qu’il ne cherche pas à cacher. Il n’a rien à craindre chez lui. Il n’a aucune raison de craindre une oreille indiscrète ici. Aucune oreille de Raelyn ne traîne ici et pourtant chaque muscle de son dos se tende sous une tension présente depuis des jours. « Non. » La réponse claque avec froideur dans la pièce. « Pourquoi j’en aurais Stacey ? » demande-t-il en plantant son regard dur dans le sien, prenant la direction de la cuisine. Il va avoir besoin d’une bière pour affronter cette conversation. Une ou plusieurs en réalité. Bien sûr qu’il n’a pas de nouvelles de son frère. Pourquoi en aurait-il quand il l’a trahi ? Pourtant il a été le dernier à le voir avant cette perquisition. Malgré tout il a été incapable de le laisser se faire arrêter, incapable de voir son frère derrière les barreaux et s’il l’a sauvé, il l’a trahi quand même. « Tu veux quelque chose à boire ? » demande-t-il en ouvrant le frigo sans la regarder, son ton un peu plus doux. Une part de lui a honte et n’arrive pas à affronter son regard. Il serre les dents. Il a fait son choix, il doit l’assumer, même devant Stacey Gallagher. Il se tourne vers elle, il a l’impression qu’un fossé les sépare ce soir, un fossé qui n’existait pas quelques jours plus tôt et pourtant cela fait des semaines qu’il lui cache des choses, qu’il cache son changement d’allégeance. « J’espère que toi t’en as pas. » Sa voix est plus dure qu’il ne le voudrait. Il espère qu’elle n’a pas cherché à le contacter et pourtant ne doute pas une seule seconde qu’elle l’ait fait. Sauf qu’aujourd’hui un nouveau camp doit être choisi et ceux qui choisiront Mitchell seront laissés sur le bas-côté de la route.
« Salut Stacey ». Il me salue à son tour, lâchant ce soupir parce qu’il sait d’avance que cette rencontre ne sera pas agréable. Qu’en temps normal, lorsque je passe le pas de la porte de sa maison ou du restaurant, j’ai ce grand sourire au bout des lèvres et que nos échanges sont beaucoup plus simples que celui que nous nous apprêtons à avoir. Parce qu’il sait sûrement qu’il va me devoir des explications sur ce choix qu’il a fait de se ranger du côté de Raelyn, laissant son frère derrière lui. Un choix que, de toute évidence, je ne cautionne pas. Il le sait. Et sûrement un choix que je ne parviendrai pas à comprendre quelles que soient ses explications. Alors j’entre, me dirigeant vers le salon, me montrant plus sympathique envers l’animal qu’avec lui. Et sans transition, je lui demande s’il a des nouvelles de Mitchell. Je me tourne alors doucement pour lui faire face et je vois très bien la grimace qui s’affiche sur son visage, comme si entendre le nom de son frère le rebuter voire l’écœurer. J’arque un sourcil à cette réaction, mes bras venant se croiser sur ma poitrine, comprenant bien qu’il n’aime pas que je fasse référence à son frère « Non. Pourquoi j’en aurais Stacey ? ». Son ton est glacial, son regard l’est tout autant alors qu’il fuit rapidement en direction de la cuisine « Parce que c’est TON frère ? ». J’insiste, volontairement, en me tournant vers lui avant de m’avancer doucement vers sa direction « Ton frère qui est activement recherché ? Qui risque de finir par se faire attraper ou pire, tuer ? ». L’incompréhension était présente sur mon visage, la veille. Cette fois, elle laisse place à une mine accusatrice et à une certaine déception qu’il peut lire dans mon regard. Parce qu’il avait toujours été proche de son frère, que malgré la tension présente entre eux depuis plusieurs mois, je pensais qu’ils parviendraient à passer au-dessus de tout ça. Mais là, clairement, c’était une indifférence totale à l’égard de ce frère à qui il avait toujours été loyal « Tu veux quelque chose à boire ? ». On dirait qu’il cherche à se cacher, qu’il ne veut pas affronter mes questions, peut-être même la réalité des choses. Il cherche sûrement à se convaincre que les événements qui se déroulent ces derniers jours sont totalement normaux, qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter et que tout ira bien. « Une bière fera l’affaire », je lance aussi sur un ton plus posé, tout en soupirant. Je m’assois sur un tabouret derrière le comptoir alors qu’il daigne enfin se retourner et affronter mon regard « J’espère que toi t’en as pas ». Je me fige lorsque son ton est plus dur, qu’il sonne comme un avertissement, comme si ma vie était en danger si c’était réellement le cas. Et peut-être qu’il peut lire la peur dans mon regard, parce que, mine de rien, son ton sonne aussi comme celui d’un grand frère protecteur. Je baisse le regard « Non, ». Une pause « j’ai essayé de l’appeler plusieurs fois… en vain ». Et ainsi commence le mensonge, celui dans lequel je suis obligé de m’engouffrer. Cela ne fera qu’un de plus au compteur. Car j’ai compris que je ne pourrais pas lui dire que j’ai retrouvé Mitchell, quand ce dernier m’a appelé au secours deux jours plus tôt, blessé par balle. Et j’ai compris aussi qu’Alec était devenu un ennemi de plus pour son frère… « Pourquoi je ne devrais pas en avoir Alec ? Parce que Raelyn t’en a donné l’ordre ? ». Je n’ai pas l’habitude de lui parler de la sorte, d’emprunter ce ton sec. Mais les images de son frère blessé, planqué, espérant ne pas se faire attraper, définitivement seul ne font que passer en boucle dans ma tête. L’inquiétude est grande, l’angoisse aussi quand, contrairement à d’autre, je vois bien plus que les nombreuses erreurs qu’il a pu connaitre. Des erreurs que je ne cautionne pas pour autant mais sur lesquelles je peux passer outre. Trop empathique peut-être, mais certainement attaché à la personne qui se cache derrière la carapace de Mitchell Strange, ancien chef de gang.
« Tu sais ce qu’il va advenir de nous ? », je demande sur un ton un peu plus calme mais qui ne cache pas pour autant la peur que je peux ressentir face à tout ce changement suite à la perquisition du restaurant et ainsi du bar clandestin. Car, en attendant, je ne peux plus travailler et il sait très bien à quel point c’est important pour moi.
« Parce que c’est TON frère ? ». Il roule des yeux, serre la mâchoire. Il est fatigué qu’on lui rappelle ce lien de parenté. Fatigué que pour certains cela justifierait qu’il sacrifie tout et que pour d’autres, cela ne sera jamais suffisant pour être aussi aveugle qu’il l’avait été. Il était torturé entre ces deux mondes. Torturé entre ces deux camps et ne sortirait vainqueur d’aucun de ses combats. « Ton frère qui est activement recherché ? Qui risque de finir par se faire attraper ou pire, tuer ? »
Il aimerait pouvoir lui dire qu’il est la raison pour laquelle Mitch n’a pas été attrapé, qu’il devrait être derrière les barreaux à l’heure qu’il est. Mais les mots ne sortent pas. Ce n’est pas qu’il ne lui fait pas confiance mais il sait pertinemment que ce secret-là, s’il sortait, ruinerait toute chance de retrouver un jour la confiance de Raelyn. Alors il se tait, accepte l’incompréhension, la déception qu’il voit dans les yeux de Stacey, il croise les bras. « Mitchell n’a eu que ce qu’il méritait. Je n’en ai rien à faire de ce qu’il devient. Qu’il finisse en taule, ou que Raelyn ou Lou lui mettent une balle dans la tête. » Les mots sont durs et sonnent faux même à ses propres oreilles. Il avait été incapable de supporter ‘l’idée que son frère soit arrêté, alors qu’il se fasse tuer n’était pas quelque chose qu’il pouvait envisager sereinement, qu’il pouvait accepter. Mais Alec avait toujours été doué pour se mentir à lui-même et ce mensonge-là devrait convaincre tout le monde.
Mitchell est mort à ses yeux, il se répète la phrase en boucle, dans l’espoir d’arriver à s’en convaincre, d’en l’espoir de ne plus ressentir de culpabilité d’avoir abandonné son ainé à son sort, de l’avoir trahi. Il y aurait des conséquences, il le sait pertinemment. Il avance vers le frigo comme si de rien n’était ouvrant le frigo lui proposant à boire comme si de rien n’était. « Une bière fera l’affaire. » Il en sort deux, lui tendant, affrontant enfin son regard alors qu’il porte la sienne à ses lèvres. Il a peur qu’elle ait des nouvelles de Mitchell, peur qu’elle se mette en danger d’une manière ou d’une autre par sa proximité avec lui. « Non. j’ai essayé de l’appeler plusieurs fois… en vain. » Ses épaules se détendent. Elle ne lui jamais menti, il ne voit pas pourquoi elle aurait des raisons de commencer maintenant. « Pourquoi je ne devrais pas en avoir Alec ? Parce que Raelyn t’en a donné l’ordre ? ». Il grimace face au ton auquel elle s’adresse à lui, s’avançant vers elle. « Parce que toute allégeance à Mitchell te mettra en danger et tu le sais. Tu crois que Raelyn va laisser les supporters de Mitch dans les rangs du Club ? Tu crois qu’elle va les laisser vivre leur vie tranquillement ? » Le ton est dur et chargé d’ironie, créant un peu plus ce fossé entre eux. « T’es pas stupide Stacey. » Il ne lui a jamais parlé de cette manière, bien trop inquiet en vérité, bien trop torturé par cette situation.
« Tu sais ce qu’il va advenir de nous ? » Le regard s’adoucie, se fait plus triste aussi face à ce lieu qu’il a perdu, son restaurant, le bar clandestin, quinze ans de sa vie. « On protège les nôtres Stacey. Tu seras payée. » murmure-t-il doucement. Il était certain que Raelyn assurerait les salaires et dans tous les cas il n’aurait jamais abandonné celle qu’il considérait comme une sœur depuis qu’elle avait fait sa place dans sa vie.
« Mitchell n’a eu que ce qu’il méritait. Je n’en ai rien à faire de ce qu’il devient. Qu’il finisse en taule, ou que Raelyn ou Lou lui mettent une balle dans la tête ». Je suis abasourdie par les mots qui sortent de sa bouche pour parler de son propre frère. Au point qu’il peut voir cet air horrifié s’afficher sur mon visage. Je ne comprends pas comment il peut en arriver à avoir de telles pensées à l’égard de Mitch, celui avec qui il partage le même sang, celui dont ce lien fraternel semblait indéfectible. Ses mots m’horripilent tellement que je manque de lui dire qu’il a presque eu gain de cause quand son frère a failli y passer après avoir reçu une balle par Aberline. Mais ce ne serait que me trahir moi-même en lui avouant ainsi avoir eu des nouvelles de Mitchell. Et quand je vois l’indifférence qu’il peut avoir, ses pensées morbides à son égard, je ne me risquerai pas de lui dire la vérité, quand il pourrait peut-être être celui qui lui mettrait cette balle dans la tête… « Comment tu as pu en arriver là, Alec ? ». A vouloir la mort de son frère, à être totalement indifférent de son sort. Me ment-il à ce moment même ? Ou se ment-il à lui-même ? « Tu ne peux pas dire ça… ». Parce que je ne me verrai pas moi-même prononcer de tels mots à l’égard de ma petite sœur, ou encore à l’égard de Lawrence. Quoi qu’il puisse se passer, même après une grosse dispute, jamais je ne pourrais en arriver à ce point. Du moins, je l’espérais…
« Parce que toute allégeance à Mitchell te mettra en danger et tu le sais. Tu crois que Raelyn va laisser les supporters de Mitch dans les rangs du Club ? Tu crois qu’elle va les laisser vivre leur vie tranquillement ? ». Il est catégorique et ferme quant au fait que je puisse avoir encore un quelconque lien avec Mitchell. Parce qu’évidemment, je suis consciente de ce qu’il me dit, je le sais pertinemment que je me mets en danger en étant encore en contact avec son frère … Je sais aussi très bien que si cela venait à s’apprendre, je risquerai gros. Mais j’en suis incapable. Pas après notre rencontre d’il y a trois jours où je l’ai retrouvé sacrément amoché par cette balle reçue. Pas même après qu’il m’ait parlé de tous les travers qu’il avait pu commettre, pas quand il a décidé de s’ouvrir à moi et de me faire confiance. Alors, mes sourcils se froncent, trahissant une certaine colère mais aussi une inquiétude. Car je sais qu’Alec a raison… « T’es pas stupide Stacey ». J’écarquille les yeux parce qu’il ne s’est jamais adressé à moi de la sorte. « Je ne suis pas stupide mais j’ai un cœur ! ». Moi au moins, j’ai envie de rajouter mais il le comprendra par lui-même. Et comme je ne veux pas qu’il soupçonne que j’ai pu avoir de ses nouvelles, je préfère ajouter à la hâte « S’il venait à m’appeler Alec, je ne pourrais pas l’ignorer ». Alec me connait, il connait ma personnalité depuis plus de trois ans. Je ne suis pas du genre à faire partie des méchants je ne suis pas non plus du genre à laisser quelqu’un derrière moi. Il le sait, je suis dévouée et reconnaissante. Surtout envers eux. Ils m’ont offert tout deux la possibilité de m’en sortir un peu plus quand je ne voyais plus d’issues. Alors, trahir, oublier Mitchell du jour au lendemain était hors de ma portée. J’appréhendes sa réaction lorsque les derniers mots sortent parce que je ne sais pas s’il va exploser de colère et me défendre de le faire si jamais ça venait à être le cas. Mon regard pourtant ne flanche pas et maintient le sien.
Quand la tension s’apaise un peu, et parce qu’il n’y a pas que le sort de Mitchell qui m’inquiète, je lui demande ce qu’il va advenir de nous… peut-être que le nous est utilisé autant pour les autres employés du bar comme du restaurant… autant, inconsciemment, il est utilisé pour Mila et moi… Parce que sans l’argent du Club, les choses vont redevenir compliqués assez rapidement, surtout quand il y a encore quatre jours de ça, deux types sont venus frapper à la porte. « On protège les nôtres Stacey. Tu seras payée ». Je soupire, entre soulagement et inquiétude tout de même, alors que mon regard fixe cette bouteille de bière qu’il m’a servi « Je l’espère. Ça va devenir vraiment compliqué sinon ». J’attrape alors la bouteille et vient à en prendre une gorgée, la gardant ensuite dans la main pour faire danser le liquide à l’intérieur « Je me suis disputée avec Mila, vendredi soir… à cause de tout ça. Je veux pas la laisser tomber. Je tiens à tenir ma promesse… ». Il n’y a toujours pas de regard vers lui, mais il peut entendre une certaine tristesse dans ma voix, même si les mots sont prononcés un peu mécaniquement. Parce que je n’ai jamais voulu montrer le poids qu’avait cette responsabilité sur mes épaules, celle de l’adulte dans la maison des Gallagher, sauvant les meubles comme elle le pouvait, quand le paternel, lui, en était incapable.
Les mots sont durs, ils lui servent à prendre de la distance, à couper tout lien avec l’ainé, à détruire ce lien qui les a unis pendant des années. Il les prononce avec froideur, le visage fermé, indifférent à son air abasourdi, indifférent à l’horreur qu’il lit sur ses traits. Non, ce serait mentir, Alec n’est pas indifférent. Il ne se reconnait pas dans le reflet qu’elle lui envoie de lui-même. Son cœur se serre, rongé par la culpabilité. Culpabilité pour l’ainé, mais culpabilité d’avoir encore une fois trahi Raelyn en le sauvant de cette perquisition. « Comment tu as pu en arriver là, Alec ? » Des années à ne pas reconnaître son frère, des années à le voir faire tous les mauvais choix, des années à le choisir lui au lieu de se concentrer sur sa propre vie. Des années de regrets. « Tu ne peux pas dire ça… ». Il soupire, fatigué de cette discussion avant même qu’elle n’ait réellement commencé. « Tu vas pas me faire croire que t’es aveugle à toutes les atrocités que Mitchell a commises Stacey, ni à la personne qu’il est devenu. Le Club est mieux sans lui. »
Est lui-même, est-il mieux sans son ainé ? Oui. Il n’y a pas d’autres possibilités envisageables, sinon il n’assumera jamais le choix fait. Il plisse les yeux en la regardant persuadé que s’il y a bien une personne que son frère a pu contacter, c’est elle. Il tente de lui rappeler la stupidité d’une possible rencontre, ce qu’elle risque, parce qu’il ne supporterait pas de la voir blessée à cause de Mitchell. « Je ne suis pas stupide mais j’ai un cœur ! » Son visage se ferme un peu plus, sa mâchoire se contractant de colère. Si c’est ainsi qu’elle veut le voir, tant pis, c’est ce qu’il sera. Il ne répond rien, restant silencieux, blessé par les mots mais n’ayant rien à répliquer. « S’il venait à m’appeler Alec, je ne pourrais pas l’ignorer » Les mots ont le mérite de lui faire braquer son regard sur elle, de dévoiler un peu son inquiétude. « Je connais mon frère, s’il y a quelqu’un qu’il appellera c’est toi. Je sais pas où il est et j’en ai rien à foutre mais il va essayer de trouver ses alliés. » Il s’approche de la jeune femme, agrippant son bras. « Promets-moi que tu le verras pas Stacey. Raelyn ne sera pas clémente avec les fidèles de Mitch. Par contre elle récompensera la loyauté au Club. Et le Club maintenant c’est elle. Promets-le-moi Stacey. Pense à ta sœur. » Il appuie là où il sait que ça fera mal, la raison même de sa présence dans cette organisation. Il joue sur sa culpabilité pour tenter de la protéger, pour la convaincre de choisir le bon camp.
Il s’éloigne, buvant une gorgée de sa bière, le sujet des salaires venant sur le tapis. Son regard se fait plus doux alors qu’il lui assure qu’elle sera payée. « Je l’espère. Ça va devenir vraiment compliqué sinon. Je me suis disputée avec Mila, vendredi soir… à cause de tout ça. Je veux pas la laisser tomber. Je tiens à tenir ma promesse… » Le visage froid laisse place au visage plus sincère, à celui qu’elle connait, alors qu’il vient poser une main sur son épaule un court instant. « Ca s’arrangera pas avec Mila, je vois comment tu tiens à elle, tu ferais tout pour elle. Elle le sait au fond. Tu sais que je te laisserais pas tomber Stacey. Je vous laisserais pas tomber. » lui dit-il doucement.
« Tu vas pas me faire croire que t’es aveugle à toutes les atrocités que Mitchell a commisses Stacey, ni à la personne qu’il est devenu. Le Club est mieux sans lui ». Je relève à peine mon regard sur lui, peut-être parce que je sais qu’il a raison mais que je suis incapable de tourner le dos à son frère. J’aimerai lui faire part à ce moment de l’état dans lequel je l’ai retrouvé, que je suis inquiète pour lui mais il semble désormais être dans le camp adverse, alors je ne veux pas m’y risquer. Lui pourtant à qui je fais une confiance aveugle, je viens soudainement à m’en méfier. Il y a eu cette promesse faite à son frère quelques jours plus tôt quand je l’ai vu de ne rien lui dire, mais pourtant il y avait aussi cette envie de mettre au courant Alec pour tenter, peut-être, de réconcilier les deux frères. Les voir se déchirer à ce point, voir une telle trahison de la part du cadet envers son ainé me fendait le cœur, eux que j’avais connu si proche.
« Je connais mon frère, s’il y a quelqu’un qu’il appellera c’est toi. Je sais pas où il est et j’en ai rien à foutre mais il va essayer de trouver ses alliés ». Je relève mon regard sur Alec alors qu’il s’approche, un regard triste en pensant à Mitchell, en sachant bien où il est mais décidant de garder ce secret pour moi… pour lui « Promets-moi que tu le verras pas Stacey. Raelyn ne sera pas clémente avec les fidèles de Mitch. Par contre elle récompensera la loyauté au Club. Et le Club maintenant c’est elle. Promets-le-moi Stacey. Pense à ta sœur ». Une promesse que je ne peux pas tenir quand elle a déjà été brisée avant même qu’il ne me la demande. Alors, au lieu de promettre quelque chose que je ne saurai tenir, je préfère réagir au fait qu’il utilise ma sœur pour me faire culpabiliser, dégageant mon bras de son emprise « N’utilise pas Mila contre moi Alec… Mitch ne lui ferait jamais de mal… ». Mitch peut-être pas mais si quelqu’un venait à découvrir que j’étais toujours proche de lui, il n’est pas improbable qu’il y ait des représailles contre moi… mais aussi ma sœur. Et ça, je ne me le pardonnerai jamais. Je ne ferai pas subir à ma sœur ce que notre père nous faisait déjà subir. Je soupire alors, ayant le sentiment de me retrouver entre deux chaises et de devoir faire un choix que je n’ai pas envie de faire « Je te le promets » je souffle alors, en relevant mon regard sur lui après lui avoir tourner le dos quelques secondes. Je ne sais pas si cette promesse je la tiendrai, mais il a visé juste en parlant de Mila, ce qui me fait réfléchir à cette éventualité de revoir Mitchell, s’il venait à me recontacter. Mais en le sachant blesser comme il l’était, je sais aussi que la promesse que je venais d’adresser à Alec relevait plus du mensonge que de la vérité.
« Ca s’arrangera avec Mila, je vois comment tu tiens à elle, tu ferais tout pour elle. Elle le sait au fond. Tu sais que je te laisserais pas tomber Stacey. Je vous laisserais pas tomber ». Il reprend ce rôle de grand frère qu’il a toujours eu depuis que je le connais. Il a cette main qui vient se poser sur mon épaule, ce geste réconfortant accompagné de ses paroles. Un sourire finit par apparaitre sur mon visage, comme pour le remercier parce que je ne doute pas de sa sincérité. « Tu n’as pas envie de saisir l’occasion pour tout quitter Alec ? Ce mensonge dans lequel nous vivons continuellement… Mentir à Mila, mentir à Lawrence, mentir à mes plus proches amis… Je le fais et je reste parce que c’est nécessaire, j’en ai besoin... Mais toi, qu’est-ce qui te retient ? » Il n’y avait plus ce frère à qui il avait toujours été loyale, lui qui m’avait déjà fait part que cette vie n’était pas celle qu’il affectionnait le plus.
Ses doigts relâchent leur emprise sur son bras. « N’utilise pas Mila contre moi Alec… Mitch ne lui ferait jamais de mal… ». En est-elle sûre ? Lui ne l’est pas. Il ne l’est plus depuis longtemps quand il s’agit de son frère. « Tu en es certaine de ça ? » Son regard s’ancre dans sien. Mais ce n’était pas de Mitchell qu’il parlait, mais bel et bien du Club, des représailles qui viendraient si Stacey décidait de suivre l’ancien boss du Club. Si Stacey ne donnait pas sa loyauté à Raelyn. Mila pouvait très facilement être un dommage collatéral de cette situation qui pouvait être évitée si Stacey ne revoyait pas Mitchell et ne lui apportait pas son aide.
« Je te le promets. » Elle se détourne, lui tournant le dos et il espère qu’elle tiendra cette promesse. Il espère qu’elle ne retournera pas vers Mitchell, qu’elle ne sera pas prise dans ce piège-là qui pourrait être fatal.
« Tu n’as pas envie de saisir l’occasion pour tout quitter Alec ? Ce mensonge dans lequel nous vivons continuellement… Mentir à Mila, mentir à Lawrence, mentir à mes plus proches amis… Je le fais et je reste parce que c’est nécessaire, j’en ai besoin... Mais toi, qu’est-ce qui te retient ? » Il l’observe un long moment sans rien dire. Bien sûr qu’il y avait pensé. Tout quitter sans un regard en arrière. Jusqu’ici sa loyauté pour son frère l’en avait empêché. Aujourd’hui, il réalisait que c’était plus que ça. Il y avait le Club, il y avait Raelyn, il y avait son sens du devoir à cette organisation qu’il avait aidé à construire.
« Le Club c’est ma famille Stacey. » Plus de quinze ans à le construire, plus de quinze ans à s’y consacrer, plus de quinze ans à le faire prospérer, à protéger ses membres. Plus de quinze ans qu’il avait construit cet empire sur Brisbane avec son frère. Et si Mitchell ne faisait plus partie du gang, s’il avait été usurpé, Alec restait bien incapable de quitter ce monde. Il n’y avait pas que ça bien sûr. Il avait promis à Raelyn de la soutenir et c’est ce qu’il ferait. Il lui était redevable et comptait bien se racheter. « C’est ta famille aussi Stacey. » Sa voix se fait plus douce. Il cherche à la rassurer. « Je sais que tu restes parce que c’est nécessaire. Mais au-delà de tout ça, on est soudés. J’ai passé presque la moitié de ma vie à construire le Club avec Mitchell. Et ça fait quelques années qu’il est en train de tout détruire. Je reste parce que je suis loyal au Club Stacey. » Et parce qu’il n’avait pas le courage d’admettre qu’il méritait cette autre vie, qu’il la voulait véritablement. Il n’avait pas le courage de claquer la porte au passé et de repartir de zéro.
« Tu en es certaine de ça ? » . Je lui adresse un regard en coin, le fusillant en partie du regard pour cette remise en question et tout en dévoilant une certaine inquiétude aussi par celui-ci. Il y a une part de doute parce que l’image de Mitch m’a toujours été dépeinte négativement. Parce qu’il y a quelques jours de ça, il s’est livré un peu plus à moi, et a pu me raconter les horreurs qu’il a pu commettre. Alors, oui, une part de moi a pris peut-être peur, quand pourtant l’empathie finit toujours par l’emporter, la naïveté sûrement beaucoup aussi. Je reste silencieuse, détournant le regard, préférant apporter cette bière à mes lèvres.
Je lui pose cette question, celle de savoir s’il ne veut pas saisir l’occasion pour tout quitter à son tour, quand cela est inenvisageable pour moi. Je sais que la loyauté d’Alec envers son frère est celle qui la poussait plus à choisir cette vie-là plutôt qu’une autre. Lui permettre de repartir de zéro, de construire sa vie comme il l’entend, sans plus personne pour lui dire comment la mener « Le Club c’est ma famille Stacey ». Je relève mon regard sur lui, attentive à ses paroles « C’est ta famille aussi Stacey ». A ça, je soupire, avant d’acquiescer doucement. Parce qu’il n’a pas tort. Le Club est devenu ma famille, m’ouvrant grand les bras pour me venir en aide. Alec, le premier, je lui devais beaucoup. Son frère, ensuite, qui s’est trouvé être cette oreille attentive, cherchant lui aussi à me protéger coute que coute. Amos avait ce rôle là aussi, dans une moindre mesure par rapport aux frères mais quand même. Je me sentais entourée, écoutée, protégée. Je sais qu’à n’importe quel instant je peux compter sur eux. Je pense aussi à Sasha avec un air attristé parce que nous nous sommes éloignés ces derniers temps. Elle représente pourtant beaucoup pour moi, quand nous nous sommes toujours serrées les coudes depuis nos débuts dans l’organisation. Alors oui, le Club est finalement une famille, avec qui j’ai créé des liens forts, et sûrement indéfectible… sauf au moindre faux pas, celui de la trahison à leur égard « Je sais que tu restes parce que c’est nécessaire. Mais au-delà de tout ça, on est soudés. J’ai passé presque la moitié de ma vie à construire le Club avec Mitchell. Et ça fait quelques années qu’il est en train de tout détruire. Je reste parce que je suis loyal au Club Stacey ». Il évoque à nouveau Mitch, un nouveau regard peiné s’affichant en repensant à cette loyauté qu’il avait envers lui et qui, désormais, est tourné vers le Club. Le Club étant désormais Raelyn Blackwell. J’acquiesce, tout simplement et décide qu’il est grand temps de partir, un besoin de prendre l’air, de réfléchir à tout ça, à cet échange que nous venons d’avoir. « Merci… » je finis par dire en me levant du tabouret sur lequel je suis assise « Merci de m’avoir rassurée… », je pourrais aussi ajouter que je le remercie pour ses conseils de m’éloigner de Mitch, ou lui promettre encore une fois que je ne l’approcherais plus mais je n’en suis pas capable parce que je ne veux pas mentir encore. Je termine la dernière gorgée de ma bière, m’approche de lui pour lui dire au revoir, en déposant cette fois un baiser sur sa joue « Au revoir Alec ». Mon visage est fermé, il y a un mince sourire qui s’affiche sur mon visage avant que je ne tourne les talons. Une dernière attention pour Otis et au moment même où je ferme la porte derrière moi, Sasha demande à ce qu’on se rejoigne sur les docks.
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Quatre jours. Le temps semble long, infini depuis que la perquisition du Club a eu lieu. Parce que depuis, je demeure dans un flou total, malgré le rassemblement dans ce hangar sur les docks la veille. Oui, Mitchell ne reviendra pas. Oui, Mitchell n’a plus sa place dans le Club. Oui, Raelyn Blackwell devient la nouvelle reine du royaume. Tout cela, c’est clair comme de l’eau de roche. Mais ensuite ? Parce que cette guerre de règne semble résolue mais qu’en est-il du reste ? De nous, ceux qui suivons le mouvement, pour diverses raisons, qui nous sont propre ? La mienne, c’est l’argent. Uniquement. Et là, je me rends compte que tout s’écroule et qu’en attendant, je me retrouve sans rien. Sans rien alors que la situation devient urgente, surtout lorsque ma sœur débute sa dernière année de lycée, que mon père continue à merder avec ses jeux d’argent et que des mecs louches continuent à venir frapper à notre porte, comme il y a encore trois jours de ça. Comme à mon habitude, je ne laisse rien transparaitre, je camoufle cette inquiétude grandissante en moi, ou presque. Parce que trois jours plus tôt, c’est Mila qui en a fait les frais, quand je n’ai pas su garder totalement mon sang froid dû à l’accumulation de beaucoup trop de choses en une journée. Et c’était bien rare de ma part de m’emporter. Parce que j’ai toujours voulu garder le contrôle, conservant toujours mes inquiétudes, ma haine, ma tristesse au fond de moi. Parce que je veux conserver cette image de femme forte, pour ma petite sœur, celle pour qui je serai capable de tout pour la voir heureuse. Parce que je lui ai fait la promesse de prendre soin d’elle, d’être toujours là pour elle et que je ne pourrais pas supporter de la briser. 
