Les membres du Club s’étaient tous empressés de partir après le discours de la nouvelle boss. Ils avaient sans doute peur des représailles immédiates qui pesaient sur certaines, certaines avaient envie de débriefer sur les évènements hors de la vue de Raelyn. D’autres ont sans doute dû prendre leurs clics et leurs clacs et se barrer loin de Brisbane. Voyant la chute de Mitchell comme l’opportunité de se racheter une conduite et de profiter de l’énorme raffut pour partir en catimini. Quitte à ce que l’on remarque leur absence un peu plus tard, ce n’était pas grave. Tant qu’ils avaient le temps de s’en aller et de changer de mode de vie. Les adeptes de Mitchell se sont empressés de partir aussi. Mais quel sort leur réservait Raelyn ? Elle savait que lorsqu’elle promettait de traquer les fuyards et de s’occuper des traitres, elle ne mentait. Mais certains types du Club osaient encore la sous-estimer par son gabarit. Ils avaient tort. Elle est peut-être petite par la taille, mais elle a un énorme égo. Et quiconque ose la sous-estimer regrettera sans doute la seconde où il a foulé la moquette du Club.

Quelques bons fidèles de Raelyn étaient encore présents pour s’occuper d’emmener dans un endroit sûr une petite partie de la marchandise. Sasha, elle, attendait que tout le monde se barre car sans se concerter elle savait très bien qu’à l’issue de cette réunion, Raelyn et elle allaient forcément se concerter pour en tirer quelques conclusions et envisager les manœuvres à venir. Sasha n’était clairement pas son bras droit dans le Club, mais elle avait assez confiance en elle pour discuter de certains sujets majeurs de l’organisation. De plus, elle lui demandera sans doute faire d’aller rendre visite à certaines personnes ou de tirer des informations de certains membres du Club qui ne comptent pas se rallier à la cause de Raelyn. Il fallait tout faire éviter que ces derniers donnent du crédit à Mitchell, et de ce fait, la force de riposter ou de revenir. Il en était hors de question. À l’heure actuelle, il devait être avec les flics, ou pire avec Lou. Inutile de répéter pourquoi il n’était plus digne du Gang. Une page se tournait. Il fallait désormais laisser la place aux femmes. Les laisser montrer aux hommes ce qu’elles étaient capables de faire. Elles en avaient aussi dans le ventre. Raelyn portait ce Club depuis des années et la propriété lui revenait de droit

Sasha n’avait pas vu Stacey ou encore Alec partir de l’entrepôt. Elle n’avait pas pris le temps d’aller voir la première. Comment se sentait-elle ? La connaissant elle devait être submergée par la nouvelle et être prise d’inquiétude. Surtout que le Club était désormais sous scellés, ce qui signifie que le bar est hors d’accès pour une durée indéterminée. Cette contrainte allait engendrer de nombreux problèmes concernant la gestion des membres du Club. Comment Raelyn allait-elle réorganiser le gang ? Que faire de ceux qui dépendaient du Club ? Mitchell partait en laissant un peu de bazar derrière lui. Pas étonnant comme cadeau d’au revoir. « T’as du feu, Chef ? » Demanda-t-elle à la blonde lorsque l’entrepôt fut enfin vide. Sasha aussi avait fait mine de partir. Personne n’avait réellement besoin de savoir que la jeune femme bossait pour Raelyn bien avant les évènements d’aujourd’hui. Personne ne devait se douter de quelques choses. Sincèrement, c’était une des rares fois où Sasha était totalement d’accord avec la blonde. Ses choix, son discours, son attitude. Tout était ok, et Sasha n’avait rien à redire. « Je n’aurais jamais pensé que les choses seraient aussi simples. Tu te rends compte ? T’as éjecté l’aîné Strange, et t’as le dernier comme bras droit. Si c’est pas hallucinant ça. » Elle aurait peut-être mal au coeur de parler comme ça de lui, s'il n'avait pas menti toutes ses années. Sasha alluma sa cigarette avec le briquet tendu par la blonde. Elle avait tant de questions à poser à Raelyn, mais chaque chose en son temps. Il fallait prioriser les actions et se concentrer sur ce qui était le plus nécessaire pour la réorganisation du Club. « On a des idées d’endroits pour le Club ? Ou il faut se mettre à prospecter comme des agents immobiliers ? Ils font chier. »

to all of the queens who are fighting alone
Raelyn Blackwell & @Sasha Sinclair

Evidemment qu’elle est là Sasha. Evidemment qu’elle a prétendu sortir, fait le tour de l’entrepôt ou je ne sais quoi pour finalement revenir sur ses pas et me parler. Pour n’importe quoi d’autre, pour quelqu’un ignorant la nature de notre lien à toutes les deux, son petit manège est certainement passé inaperçu mais je jurerais que c’était écrit sur ses lèvres et dans son regard quand elle a passé la porte. J’aurais été déçue qu’elle ne le fasse pas, j’aurais remodelé l’image d’ambitieuse que je me fais d’elle, celle qui me ressemble trop pour que je n’éprouve pas de respect pour la brune, et j’aurais revu mes attentes à la baisse. Mais elle est là, sa curiosité et sa soif d’action l’ont poussée à m'attendre sur le pas de la porte et lorsqu’elle m'apostrophe je lui fais fais comprendre d’un signe de tête mon intention de poursuivre cette discussion dehors. Sans verser dans la paranoïa, je n’ai pas envie de devenir la cible d’une paire d'oreilles qui traînerait et je préfère que nos pas nous entraînent un peu plus loin de l’entrepôt où la réunion vient d’avoir lieu. « T’as du feu, Chef ? » Ma main glisse dans mon sac pour y récupérer mon paquet, dont je tire une cigarette que je coince entre mes dents, et mon briquet, que j’utilise pour moi-même avant de le lui tendre.

La première bouffée est salvatrice. La première bouffée me fait l’impression d’une douce brume qui m’enveloppe et m’aide à reprendre contact avec la réalité. La vérité est que je suis survolté : comme shooté à l’adrénaline, ivre de pouvoir et l’air frais me fait du bien, lui aussi. « Je n’aurais jamais pensé que les choses seraient aussi simples. Tu te rends compte ? T’as éjecté l’aîné Strange, et t’as le dernier comme bras droit. Si c’est pas hallucinant ça. » « Simple ? » Un immense sourire dévoile mes dents et je secoue la tête, amusée par la fougue de la demoiselle. Il faut qu’elle la canalise et, quand ce sera chose faite, elle pourra devenir quelqu’un. Quand elle aura appris à observer, à écouter plus qu’à parler et à analyser. Ça viendra, je le sens et je me trompe rarement sur les gens que j’ai en face de moi. « Rends-moi service, surveille Alec. Je sais pas où me situer avec lui. » Il désire de tout son cœur mon pardon, ça j’en ai la certitude. Mais ne garde-t-il pas en lui encore trop d’amour et de loyauté envers son frère ? Un amour fraternel qui finirait par avoir ma perte, le jour où Alec déciderait finalement qu’il ne peut totalement renier son sang ? « Surveille le lui plus que les autres. » Mais surveille les aussi. Je n’ai pas besoin de le préciser, les prochains jours vont être décisifs et j’ai besoin de savoir qui est avec moi et qui fait simplement semblant. « On a des idées d’endroits pour le Club ? Ou il faut se mettre à prospecter comme des agents immobiliers ? Ils font chier. » « On a rien sans rien. » Une descente de police pour mettre Mitchell en fuite - je l’aurais préféré mort ou derrière les barreaux - et une autoroute pour reprendre ses activités. Je ne m’attendais pas à ce que tout me tombe tout cuit dans le bec, non, ça c'est l'apanage d’Aberline. « On a pas d’idées. » Mon on en aura. « L’entrepôt peut servir de lieu de rendez-vous pour les premiers jours, mais c’est dangereux. » Si la Ruche a attaqué une fois, rien ne les empêche de recommencer. « Je vais trouver. C’est qu’une question de jour. » Je porte ma cigarette à mes lèvre pour une bouffée de nicotine avant de m’arrêter de marcher, considérant que nous nous sommes assez éloignées, que nous sommes à l’abri des regards. « Je suis sûre que t’as pas perdu une miette des réactions des autres pendant que je parlais. Dis moi. Qu’est ce que t’as vu ? » Qui semblait satisfait ? Qui semblait en colère ?

De qui dois-je me débarrasser au plus vite ?

Il lui arrivait parfois de sourire, et ces élans d’amabilité (qui plus est, sincère) étaient toujours particuliers à recevoir pour Sasha. Elle arrivait même à se demander si c’était réellement sincère ? Mais elle arrivait toujours à la même conclusion : Raelyn ne se forçait pas. Et c’était peut-être ça qui la rassurait quand elle se posait des questions sur le respect ou l’estime qu’elle pouvait avoir envers elle. Aujourd’hui était un jour saint. Toutes les deux étaient heureuses et sur la même longueur, donc aucune raison de se prendre le bec. Mais en temps normal, il y a plus de moments où c’est électrique entre elles car elles n’hésitent pas à confronter leurs avis que de moments où elles se tressent les cheveux en se racontant leurs meilleurs potins. « Rends-moi service, surveille Alec. Je sais pas où me situer avec lui. » Sasha leva le regard vers elle, attentive. « Surveille le lui plus que les autres. » Raelyn insistait bien sur le cas d’Alec. Elle avait bien raison de vouloir se pencher sur lui. Rien n’était acquis et il ne se suffirait pas de son titre honorifique bien longtemps. Avec toute la bonne volonté qu’il semblait avoir cet après-midi. Un homme reste un homme. Il n’acceptera pas de se faire écraser par une femme sur le long terme. On n’était jamais sûr de rien, et les prochains jours allaient être décisifs pour le Club. Sasha tira sur sa cigarette avant de répondre. « Je peux faire plus que le surveiller, si c’est nécessaire pour avoir sa confiance. » Savait-elle qu’elle et Alec aurait pu flancher ? Bien évidemment, elle n’était pas aveugle. Elle a bien dû voir. Mais sans rien dire car si on essayait de réfléchir comme elle aurait pu envisager cela comme un atout à jouer plus tard. Un jeu de séduction qui pourrait toujours servir pour ses affaires. Malheureusement pour elle, tout était au point mort. Heureusement pour elle, Sasha était douée en la matière et elle n’aurait sans doute aucun mal à renouer avec le Strange. Elle recracha la fumée avant de cendrer de l’index, laissant la cendre s’écraser sur le sol.

« On a rien sans rien. » Le Club venait à peine d’être mis sous scellés, elle n’avait sans doute pas encore d’idées ou de moyen pour rebondir dans l’immédiat mais ça ne saurait tarder. « L’entrepôt peut servir de lieu de rendez-vous pour les premiers jours, mais c’est dangereux. » Sasha acquiesça d’un signe de tête. C’était totalement dangereux. Hors de question que les sbires de Maya l’abeille ne reviennent attaquer leurs locaux. « En attendant, on devrait changer la marchandise de place, assez souvent, on sait jamais. » Mais elle y avait sans doute déjà pensé. « Je suis sûre que t’as pas perdu une miette des réactions des autres pendant que je parlais. Dis moi. Qu’est ce que t’as vu ? » Raelyn s’arrêta de marcher. On n’était jamais trop parano dans ce milieu. Des mouchards pouvaient se trouver n’importe où. Sasha savait très bien ce que Raelyn allait dire à ce discours, et elle a profité que tous les membres du Club soient concentrés sur ses paroles pour analyser chaque expression du visage, et entendre chaque chuchotement. Un prénom sortit directement de sa bouche. « Naomi Carlson. » Sasha ne la connaissait pas personnellement. Mais elle connaissait son visage et son nom. Après quatre ans au sein du Club, Sasha connaissait toutes les escorts. Mais elle n’avait jamais parlé avec cette dernière. Elle lui était totalement indifférente, une escort parmi tant d’autres. Mais sa filature de cet après-midi n’était pas passée inaperçue aux yeux de Sasha. « Elle était trop à l’écart à mon goût. La déception se lisait sur son visage. Et puis je l’ai vu partir avant la fin de ton discours. C’était un départ définitif, ça se sent. » Renseigna-t-elle les yeux dans les yeux. Stacey avait, elle, semblait inquiète durant le discours. Puis sa réponse au message qu’elle lui avait envoyé, faisant référence à sa relation avec Mitchell. En réalité, c’était plus d’ordre personnel. Elle s’inquiétait pour sa sœur. Mais Sasha ferait en sorte qu’elle se recycle au sein du Club, sans passer par la case escortisme. Néanmoins, elle faisait confiance à Raelyn et c’était un point qu’elle se chargerait de consolider lorsqu’elle la verrait. « Stacey te fait confiance. » D’autres membres du Club semblaient septiques, mais Raelyn a dû le constater d’elle-même. « J’ai entendu des bribes de conversations. Certains t’ont traité d’opportuniste, d’autres de légitime. J’ai seulement vu Carlson partir. Je pense que les autres ont attendu la fin de ton discours pour fuir à la sortie de l’entrepôt, en pensant que c’était la porte d’entrée pour une nouvelle vie rangée. » Elle s’étouffa presque de rire. Un fuyard était un traitre et un traitre pouvait vite devenir une balance. Cette espèce fallait l’éliminer comme la peste.

to all of the queens who are fighting alone
Raelyn Blackwell & @Sasha Sinclair

« Je peux faire plus que le surveiller, si c’est nécessaire pour avoir sa confiance. » Je lève un sourcil, amusée, incapable de prétendre que la réponse de la brune me surprend. Sa vertue n’est plus qu’un lointain souvenir, son intégrité physique aux ordures depuis longtemps, si tant est qu’elle ait quelque chose à y gagner. Qu’elle fasse ce qu’elle veut du frère de Mitch, qu’elle joue avec lui comme elle a joué pendant des années, pendant que je ne le remarquais pas, qu’elle prenne son cœur entre ses mains pour mieux pouvoir l’écraser si ça lui chante. Protéger Alec n’est plus mon rôle et je n’y aspire plus. Ce sont ses intérêt à elle que j’ai à l’esprit lorsqu’après une brève réflexion je lui réponds. « Si tu le fais, c’est parce que tu le décides. » La période où elle n’était qu’un corps, un attrape mouche pour mes gros clients est révolue, je le lui ai promis. « On a déjà eu cette discussion. A ce niveau là, je te dirai plus ce que tu dois faire, et je veux pas le savoir. Surveille le, c’est tout ce que j’exige de toi. Je veux savoir jusqu’où va sa loyauté et je veux connaître l’étendue de ses remords. Il en a forcément. » Il en a puisqu’il s’agit de Mitch, il en a puisque, pendant des années, c’était lui et son frère contre le reste du monde. Il doit se dégouter, il doit être tiraillé, moi je veux anticiper le moment où plutôt que de ployer il rompra.

Et je serai là pour lui rappeler sa promesse. Je serai là pour lui rappeler ses fautes. Je veux que mon visage serve de garde-fou à sa loyauté, parce qu’il me le doit, au nom de cette vieille amitié qu’il prétend réelle. Il me le doit parce que je le mérite bien plus que son aîné. « En attendant, on devrait changer la marchandise de place, assez souvent, on sait jamais. » « Ok chef, tu veux la couronne ? » Je me moque gentiment d’elle, je souris en tirant une latte de ma cigarette tout en sachant qu’elle a raison : je réfléchis déjà à la suite. Locaux, lieux de réunions, elles sont là mes principales préoccupations du jour. « Fais moi confiance. » C’est le cas, je le sais. « Ce sera solutionné rapidement. » Quitte à louer temporairement d’autres entrepôts, quatre murs sur les docks ou à côté de la gare suffiront comme solution temporaire. Ensuite, il faudra remplacer le bar. « Naomi Carlson. » Le nom ne m’est pas inconnu, mais il traverse mon esprit sans que je m’en préocuppe. « Elle était trop à l’écart à mon goût. La déception se lisait sur son visage. Et puis je l’ai vu partir avant la fin de ton discours. C’était un départ définitif, ça se sent. » « Carlson peut bien aller élever des alpagas en Alaska en ce qui me concerne. » Elle ne compte pas, elle n’importe pas. Ce sont les hauts placés, les lieutenants de Mitchell qui m’intéressent. « Si elle est la seule à se barrer, je déboucherais une bouteille de champagne. Et je perdrais pas une goutte de sueur à tenter de l’en empêcher. » Elle n’existe déjà plus à mes yeux. « Assure toi qu’elle ne contacte personne. Ou en tout cas, qu’elle ne persuade personne de l’imiter. » Mais j’en doute, elle n’a pas l’influence, une fois Mitchell et Steven hors jeu. « Stacey te fait confiance. J’ai entendu des bribes de conversations. Certains t’ont traité d’opportuniste, d’autres de légitime. J’ai seulement vu Carlson partir. Je pense que les autres ont attendu la fin de ton discours pour fuir à la sortie de l’entrepôt, en pensant que c’était la porte d’entrée pour une nouvelle vie rangée. » Je fais rouler ma cigarette entre mes doigts en prenant appui contre la tige en métal d’un lampadaire. « Stacey importe déjà plus. Et tu sais pourquoi ? » J’esquisse un sourire avant de reprendre. « Parce qu’elle était derrière le bar. Elle connaît tout le monde. Elle entend les confessions de ceux qui ont bu un verre de trop. Garde la dans ta poche et dans la mienne, par la même occasion. »

« Quant aux autres... » Je prends une inspiration en tentant de me rappeler comment les choses s’étaient déroulées en 2015. « C’est le cours naturel des choses. C’est comme ça que les choses se sont passées quand Mitch a été arrêté et qu’il est sorti de taule. On rattrapera ceux qui comptent. » Je ferai du moins important d’entre eux un exemple, je ferai comprendre aux autres qu’il est dans leur intérêt d’être loyal. « Il risque d’y avoir du mouvement du côté du Bowling de Maya l’abeille également. » Je m’attends à avoir de ses nouvelles, à n’importe quel moment. « Il faut que je sache s’il se passe quelque chose. »

Nul doute que Raelyn constatait de manière amusée que derrière la loyauté de Sasha, se tramait un petit avec Alec dont elle ignorait la motivation. Et ce que Sasha aimait chez la blonde : c’est qu’elle ne cherchait jamais à comprendre. Elle respectait la vie privée des gens. Elle respectait les motivations personnelles dans la mesure où elles ne portaient pas atteinte au Club et à sa personne en elle-même. « Si tu le fais, c’est parce que tu le décides. » Oui, elle avait le droit de décider. Elle choisissait désormais si elle voulait coucher ou pas. Raelyn lui avait promis. Mais mettre Alec dans sa poche allait plus loin que de le surveiller pour le compte du Club. C’était cette sensation d’inachevé qui la motivait, et en soi, ça lui plaisait de gonfler son égo. Plus sérieusement, elle savait que si elle entretenait quelque chose de plus intime avec Alec, ce serait plus facile pour elle de faire en sorte qu’il se confie à elle. Dans la mesure où il ne doit pas se rendre compte de ses arrière-pensées. Raelyn lui rappela sa mission et Sasha hocha la tête enregistrant toutes ses paroles. « S’il s’avère être un traitre, il n’aura même pas le temps de penser à rejoindre Mitch, qu’on aura déjà tout anticipé. »

En tout cas Alec sera, et ce pendant un petit moment, la personne la plus surveillée du monde. En même temps, c’était tellement surprenant. Sasha elle-même avait du mal à comprendre pourquoi il a laissé tomber son frère. S’il était capable d’abandonner son aîné, il aura aucun mal de faire pareil avec Raelyn sur le moyen terme. « Ok chef, tu veux la couronne ? » Elle lui rendit son sourire alors qu’au fond d’elle, elle était préoccupée. Même si Raelyn gérait la situation. L’intérêt du Club ne l’avait jamais autant travaillé et elle n’avait pas envie que la Ruche frappe encore une fois et brise les dernières bases qui tenaient tant bien que mal le Club. Cette situation était dangereuse et ne devait pas se pérenniser. « Carlson peut bien aller élever des alpagas en Alaska en ce qui me concerne. » Carlson était également une invisible pour Sasha. Elles ne se sont jamais adressé la parole et peut-être même qu’elle ne la porte pas dans son cœur. En tout cas, ça ne l’étonnerait même pas. Il y a ce sentiment indescriptible de concurrence entre les escorts, alors qu’il faut noter qu’elles travaillent pour le même boss. « Vu la façon dont elle est partie, elle ne prendra même pas le risque de contacter à nouveau quelqu’un du Club. Elle a l’air d’être partie pour de bon. » Elle ne prendra même pas le risque de contacter Mitchell. Personne ne le fera, ils ont tout bien compris que c’était danger de mort lorsque Raelyn a mis les points sur les i. Mise à part peut-être… « Stacey importe déjà plus. Et tu sais pourquoi ? » Elle leva un regard alerte vers Raelyn. L’intérêt soudain qu’elle portait pour elle l’inquiétait presque, mais elle ne laissa rien transparaître et mima d’être attentive aux paroles de la blonde, cigarette à la bouche. « Parce qu’elle était derrière le bar. Elle connaît tout le monde. Elle entend les confessions de ceux qui ont bu un verre de trop. Garde la dans ta poche et dans la mienne, par la même occasion. » Elle recracha la fumée de sa cigarette. Stacey était son amie. Une des rares sur cette planète même. Ça avait été facile de tisser un lien sans préjugés car elles ont toutes les deux sautés à pieds joints dans les abysses du Club pour la stabilité financière. Cette seconde mission sonnait presque comme une petite trahison mais elle arrivera à trouver le juste milieu pour ne pas se mettre en porte-à-faux auprès de Stacey. « J’irai faire ma petite fouineuse. » Elle essayera, entre autres, de la dissuader de garder contact avec Mitchell. Elle serait vue comme une traitre et Dieu sait ce que la blonde réserve aux traitres. « Hmm… d’ailleurs, concernant tous ceux qui travaillaient au Club, tu as prévu quoi pour eux ? » Elle pensait directement à Stacey qui se voyait privée de son essentiel salaire. Et si Raelyn la voulait dans sa poche, il fallait lui promettre un emploi, un revenu afin qu’elle continue d’avoir foi au Club et en la bonne volonté de Raelyn.

Qu’allait-il advenir du groupe ? Dans quels nouveaux locaux pourront-ils rebâtir le prestige du Club. « C’est le cours naturel des choses. C’est comme ça que les choses se sont passées quand Mitch a été arrêté et qu’il est sorti de taule. On rattrapera ceux qui comptent. » Tomber pour mieux se relever ? C’était sans doute le cycle de la réussite. On ne pouvait pas être constamment au top et les erreurs permettaient de faire mieux. Le Club était tel un phénix qui renaît de ses cendres. Bientôt, il brillera de mille feux pour rayonner sur tout le Queensland. « En parlant de Maya l’abeille, je pourrais retourner voir le musicien. » Elle écrasa sa cigarette sur le sol. « L’autre fois, il a fait un peu le difficile. Mais si je la joue autrement, je peux sans doute en savoir plus. » Sasha a tellement de personnes dans le viseur désormais. Mais elle a toujours atteint ses objectifs, elle n’a jamais déçu Raelyn. Et même si Jet fait partie de ses cibles les plus coriaces, elle arrivera à le rallier à leur cause et à soutirer ce qu’elle souhaite.

to all of the queens who are fighting alone
Raelyn Blackwell & @Sasha Sinclair

« S’il s’avère être un traître, il n’aura même pas le temps de penser à rejoindre Mitch, qu’on aura déjà tout anticipé. » Je l’observe un instant, me faisant la remarque qu’il lui reste encore beaucoup à apprendre à la brune. Jeune, fougueuse et trop sûre d’elle, elle gagnerait à acquérir un peu d’humilité, au moins une humilité de façade. Elle se dévoile trop, manque de retenue et si avec moi c’est sans conséquence, cela lui jouera des tours un jour ou l’autre. Peut-être est-ce comme ça qu’elle apprendra. Peut-être est-ce mon rôle de l’en préserver en lui inculquant une ou deux leçons. J’avance encore à tâtons dans le rôle de mentor dont je me sens investie pour elle : j’ignore ce qu’elle doit apprendre seule et ce que je me dois de lui éviter. Mais elle me fait penser à Aberline par certains aspects, des aspects que je dois gommer. Elle ne peut se permettre d’être imprudente si elle veut demeurer à mes côtés.

Mais je ne dis rien. J’esquisse un sourire et je ne précise pas que certains cachent mieux leur jeu que ce qu’elle semble croire. Alec est un spécialiste dans l’art du mensonge : on lui donnerait le bon dieu sans confession mais je n’ai plus l’intention de tomber dans son piège, ma confiance, il ne la retrouvera pas. « Vu la façon dont elle est partie, elle ne prendra même pas le risque de contacter à nouveau quelqu’un du Club. Elle a l’air d’être partie pour de bon. » « Bon débarras. » Je ne suis pas sans ignorer qu’elle était trop proche de Mitchell pour que je prenne le risque de lui faire confiance, de toute façon.

« J’irai faire ma petite fouineuse. »
« Ça tombe bien, c’est pour ça que je te paye. »

Un sourire carnassier étire mes lèvres. Fouiner, dieu qu’elle est douée dans l’exercice. Elle sait être convaincante la brune et elle a de la ressource. Je fouille ma mémoire pour faire remonter les souvenirs de ma vingtaine. Étais-je comme elle ? Plus mesurée ? « Hmm… d’ailleurs, concernant tous ceux qui travaillaient au Club, tu as prévu quoi pour eux ? » Je hausse un sourcil. La question est légitime, mais je suis surprise qu’elle vienne de Sasha. « Pourquoi, tu t’inquiètes pour eux ? Ça te ressemble pas. » Il ne s’agit là que d’une taquinerie, mais je m’interroge cependant réellement : a-t-elle développé avec ceux du Club des relations moins superficielles que ce que j’aurais cru ? « Pourboires exceptés, ils seront payés pendant toute la période de transition. Dis le à ce qui te posent la question. » Il ne s’agit pas là d’une preuve de ma générosité ou d’un geste de charité : je ne suis pas assez idiote pour penser que la loyauté est gratuite.

« En parlant de Maya l’abeille, je pourrais retourner voir le musicien. » Le musicien. Le dealeur qu’elle a approché à moitié de son plein gré, à moitié sur conseil de ma part. Garder nos ennemis un peu plus proches que nos amis, voilà ce que je lui ai demandé de faire et elle s’est exécutée. « L’autre fois, il a fait un peu le difficile. Mais si je la joue autrement, je peux sans doute en savoir plus. » « Me dis pas que tu te ramollis. » Mes lèvres se referment sur ma cigarette, mes joues se creusent alors que je tire dessus, et je réfléchis pendant que j’expire la fumée blanchâtre. « T’as carte blanche avec lui. Surtout si tu sens que tu l’intéresses. » Je marque une pause, avant de lui adresser un mince sourire. « Et t’as intérêt à l’intéresser. Sinon je vais vraiment croire que tu t’es reposée sur tes acquis sous prétexte que j’étais absente. »

Sasha était encore jeune, pleine de fougue et de détermination. Raelyn a toujours salué ces qualités sans se gêner de lui rappeler que cette énergie peut manquer à un manque de vigilance. Bien qu’elle soit assez efficace dans son job, et qu’au fil des années elle arrivait à construire un certain savoir-faire, sa boss ne manquait jamais de la rappeler d’être un peu plus sur la retenue. Reproche que Sasha comprenait mal à ces débuts mais qu’elle commençait dorénavant à assimiler. Être humble et moins démonstrative lui semblait assez compliquer à appliquer, mais elle comprenait bien que cette attitude à adopter ne pouvait que lui apporter du bon. Et que Raelyn souhaitait la voir mûrir pour mieux prospérer dans ce monde où le moindre faux pas pouvait coûter cher. Mais la saveur des derniers évènements était bien trop bonne pour ne pas s’en frotter les mains, impossible pour elle de cacher son enthousiasme. Pour elle, tout est possible désormais. Tout était atteignable. Si Raelyn était capable de réaliser de grandes choses, Sasha pensait en être capable aussi. Mine de rien, elle voulait suivre ses traces. Elle voyait comme un mentor, un exemple, celle qui pourtant lui inspirant le mépris et l’incompréhension dans ses plus mauvais jours. Malgré tout ça, elle ne pouvait s’empêcher de l’admirer, et continuerait d’assurer ses arrières, quoi qu’il en coûte.

« Pourquoi, tu t’inquiètes pour eux ? Ça te ressemble pas. » Eux, elle n’en a rien à carrer, c’était seulement pour Stacey pour qui elle se faisait du souci. Pour une fois qu’elle regardait plus loin que le bout de son nez. Mais ça, elle ne l’avouera jamais réellement à Raelyn. Quel intérêt aurait-elle à savoir qu’elle avait tissé des liens avec la serveuse de son arrivée au Club, il y a quelques années ? Aucun. Elle lui avait toujours rabâché que son mode de vie n’était pas fait pour les relations sociales. Qu’elle ne pouvait pas construire de relations amoureuses, ou encore des amis. Dixit celle qui s’est enfermée dans un bateau pendant quelques semaines avec l’homme dont elle éperdument amoureuse. Cela fait partie des choses qu’elle pourrait lui reprocher. Des incompréhensions qu’elle a sur le cœur et qu’elle se retient parfois de lui balancer à la gueule. Mais l’heure n’était pas aux reproches. Elle se souciait juste de l’avenir de Stacey au sein de l’organisation. « Pourboires exceptés, ils seront payés pendant toute la période de transition. Dis le à ce qui te posent la question. » Sasha leva les yeux au ciel, appuyant le fait que Raelyn était bien sympatrique de leur assurer un salaire alors que leur productivité était égale à zéro, pour le moment. Alors qu’au fond, elle était simplement soulagée que Stacey pouvait, sans craintes, continuer d’assurer les besoins de son foyer. « Je savais pas que le Club faisait dans le chômage technique. En espérant pour toi que ça les tienne en laisse et qu’ils ne retournent pas leurs vestes. » Elle prit une dernière bouffée de sa cigarette avant de l’écraser au sol. « Me dis pas que tu te ramollis. » Jamais. Sasha avait toujours pris chacune de ses missions d’infiltration à cœur. Mais Jet s’était montré peu coopératif, ce qui n’arrangeait pas ses affaires. Leur rencontre s’était terminée prématurément, Sasha sentant qu’elle ne pourrait pas en tirer ce qu’elle souhaitait. Il s’était montré trop méfiant, et pour la première fois, son petit jeu de charme n’avait eu aucun fond. Si elle n’avait autant d’égo, elle l’aurait presque mal pris. « Et t’as intérêt à l’intéresser. Sinon je vais vraiment croire que tu t’es reposée sur tes acquis sous prétexte que j’étais absente. » Jet représentait un défi pour Sasha désormais, encore plus avec ce coup de pression bien appuyé de Raelyn. « J’intéresse tout le monde, Etish ne sera pas une exception. » Dit-elle en mettant ses cheveux derrière son épaule d’un coup de main. « Me penses-tu vraiment capable d’avoir profité que tu aies le dos tourné pour me tourner les pouces ? » Pendant son absence, beaucoup en ont profité pour jacter ou penser à leurs propres intérêts. Mais Sasha n’avait jamais cessé de tendre l’oreille, a toujours gardé les yeux ouverts autour d’elle. Raelyn avait peut-être été absente mais la brune lui avait toujours été loyale car elle savait qu’elle reviendrait. « J’ai continué à travailler pour toi pendant ton absence, sans que tu ne me donnes d’ordres. Je n’ai pas cessé d’apprendre, tu peux être sûre que je n’ai pas baissé ma garde. C’est bien ce tu m’as appris, non ? Ne jamais rien prendre pour acquis ? »

to all of the queens who are fighting alone
Raelyn Blackwell & @Sasha Sinclair

Un coup d'œil à ma montre m’indique qu’Amos ne tardera pas à se montrer pour venir me récupérer et un coup d'œil à Sasha me met la puce à l’oreille. Se préoccupe-t-elle réellement du sort de ses camarades de misère ? Cherche-t-elle simplement à anticiper une potentielle rébellion en cas de suspension des salaires ? Je ne fais pas dans le bénévolat, mais il s’agit là d’une erreur que je ne ferai pas : je ne suis pas idiote, l’argent est la première pierre de la loyauté et s’il venait à manquer, beaucoup remettrait en question leur fidélité envers le gang. Le salaire d’une serveuse représente une misère, par rapport à l’argent de la drogue. « Je savais pas que le Club faisait dans le chômage technique. En espérant pour toi que ça les tienne en laisse et qu’ils ne retournent pas leurs vestes. » « Ça les tiendra en laisse. L’argent facile a toujours cet effet là. » L’argent facile reste la principale motivation de la plupart des recrues du gang, de toute façon. « Rassure ceux qui te parlent de ça. Dis leur qu’ils retrouveront vite une activité professionnelle. » Même la forme qu’elle prendra reste pour l’instant floue et incertaine.  

« J’intéresse tout le monde, Etish ne sera pas une exception. »
« Je préfère ça. »

Sasha est orgueilleuse, Sasha souffre d’un besoin perpétuel de prouver sa valeur et ça la rend prévisible. Moi, ravie de constater que je l’ai piquée, j’esquisse un sourire en coin. Ces traits de caractère font d’elle un élément fiable et efficace, et c’est exactement ce qui me plait chez elle. « Me penses-tu vraiment capable d’avoir profité que tu aies le dos tourné pour me tourner les pouces ? » Elle est plus piquée que je ne l’aurais cru la brune, elle défend sa valeur et son dur labeur quand je n’ignore rien de l’atout qu’elle représente. Elle possède une fougue sans borne et, à nouveau, sa réaction m’arrache un sourire. « J’ai continué à travailler pour toi pendant ton absence, sans que tu ne me donnes d’ordres. Je n’ai pas cessé d’apprendre, tu peux être sûre que je n’ai pas baissé ma garde. C’est bien ce tu m’as appris, non ? Ne jamais rien prendre pour acquis ? » « Je sais tout ça Sasha. » Je retrouve mon sérieux pour lui répondre d’un air grave. « Tu serais pas là si je savais pas tout ça. » Elle n’a plus besoin de me prouver sa loyauté, comme elle n’a plus besoin de me prouver qu’elle est digne de travailler avec moi, de travailler pour moi. « Garde ta fougue pour lui. Moi, t’as pas besoin de me convaincre. » Bras croisés sous ma poitrine, je m’appuie contre le plus proche. « Je sais ce que je te dois. » Elle a joué son rôle de petite espionne à mon service à la perfection, pendant que je préparais à reprendre le contrôle du Club. « Et tu sais que je sais témoigner de ma reconnaissance. » Comme je sais qu’elle ne fait rien gratuitement, la brune. Et elle a raison, le bénévolat n’a jamais conduit nulle part dans notre milieu. « Considère qu’à partir d’aujourd’hui, t’es plus une escort. Ou plutôt que tu l’es si tu le décides et quand tu le décides. » Moi, ce n’est plus que pour ses talents de petit oiseau qu’elle m’intéresse, qu’elle laisse le fardeau de la prositution aux autres, celles qui sont moins subtiles et plus limitées.

Sasha avait touché dans son égo. Raelyn savait la piquer comme à son habitude, alors que Sasha avait les bras croisés sur sa poitrine, le torse bombé, presque vexée. Mais elle calmait tout de même ses ardeurs, il ne fallait pas oublier qu’elle avait sa boss en face d’elle. Et même si elle se permet quelques aises de langages à son égard grâce à la confiance -et même si on a du mal à y croire, une certaine complicité- elle n’oublie pas d’instaurer un minimum de respect. Si quelqu’un de lambda avait osé l’a heurté, elle n’aurait pas attendu une seule seconde pour lui rentrer dedans. Mais avec Raelyn, c’était évidemment différent. Ça l’atteignait quelques minutes et après, c’était oublié. « Je sais tout ça Sasha. » Encore heureux. La jeune femme était sans doute une des seules personnes faisant preuve d’une fidélité sans faille au sein du Club. Elle avait fourni les efforts nécessaires pour acquérir sa confiance et ce n’était que la moindre des choses que d’obtenir la reconnaissance de la blonde. « Tu serais pas là si je savais pas tout ça. » Depuis ce jour où elle est allée la chercher dans cette miteuse boîte de nuit de banlieue, depuis qu’elle a mis au club découvrant ce monde impitoyable, Raelyn a toujours été là. Elle est entrée les yeux fermés dans le milieu de l’escorting, comme aveuglée par l’argent facile et l’aisance financière. Le chemin pour s’adapter a été long, et la vie lui a mis de nombreuses claques avant qu’elle puisse gagner cette confiance en elle et être la femme qu’elle est en 2021.

« Je sais ce que je te dois. » Jeremiah restait dans un petit coin de sa tête. Il lui avait donné du fil à retordre et elle consacrera sa soirée à élaborer un petit plan pour se retrouver seul à seul avec lui. Peut-être que cette fois-ci elle jouera la carte de la franchise ? Elle n’endossera plus jamais le costume de la cruche. Elle le mettra au pied du mur et elle saura le mettre au piquet et soutirer toutes les informations nécessaires et pourquoi pas rameuter une nouvelle recrue au sein du Club. « Et tu sais que je sais témoigner de ma reconnaissance. » Sasha était restée silencieuse depuis un moment, ne voulant pas interrompre Raelyn qui semblait vouloir lui annoncer quelque chose. La chute de Mitchell instaurait, par la force des choses, des changements au sein du Club. Un souffle nouveau qui renouvellerait le fonctionnement de l’organisation. Elle osait espérer, qu’après son implication, que Raelyn lui aspirait quelque chose d’autre. Une sorte de promotion, par exemple. « Considère qu’à partir d’aujourd’hui, t’es plus une escort. Ou plutôt que tu l’es si tu le décides et quand tu le décides. » La jeune femme eut du mal à retenir un sourire. Elle avait choisi de vendre son corps, elle n’y a, en aucun cas été forcée. Mais il y a toujours mieux que de coucher avec différentes personnes même si elle a su développer une sorte de résilience qui lui permettait de ne pas devenir dingue. Mais après quatre d’escorting, pourquoi ne pas aspirer à plus ? Il était peut-être temps de passer à autre chose et de s’impliquer d’une autre façon au sein du Club. Bien évidemment, l’escorting était rentable, voire une des professions les plus rentables si on tombait sur un client qui dépensait sans compter. Si on lui proposait autre chose à faire, elle ne serait pas aussi bien payée sans les pourboires de ses clients les plus fidèles. « Du coup, je vais faire quoi maintenant ? Enfin officiellement ? » Elle savait qu’il y aurait toujours une face cachée concernant ses occupations au sein du Club. Personne n’est au courant de son lien avec Raelyn, et tant qu’elle travaillait pour elle, il y aura toujours une part de secret qu’il y a intérêt à cacher des autres. « Je vais devenir espionne professionnelle ? » Elle sortit une seconde clope de son paquet avant de l’allumer. « Y a pas mal de job de ce côté-là en vrai, y a plein d’abeilles qui bourdonnent en ce moment. »

to all of the queens who are fighting alone
Raelyn Blackwell & @Sasha Sinclair

Si certains me dépeignent comme un être imbu de lui même, je ne suis ni une hypocrite ni une ingrate : je sais ce que je dois à la brune. Carte maîtresse dans mon jeu, petit ange de discorde, elle a été une puissante alliée et un atout dans ma manche au fil des années et, surtout et plus récemment, dans ma prise de pouvoir. Elle n’a fait que relater la vérité, mais elle a planté la graine du doute, discrète mais robuste, dans l’esprit de beaucoup au Club et sans elle pour raconter mon histoire, celle d’Aaron, celle du meilleur ami du boss auquel ce dernier a planté un couteau dans le dos, celle de l’alliée à laquelle il a menti pendant des années, le discours n’aurait pas été aussi percutant. Je sais que ma défection a fait mauvais genre. dans les rangs du Club et en apprendre la cause lui a porté le coup fatal. La confiance des membres du Club s’étiolait déjà après des mois d’absence et d’errance de leur leader et elle ne se remettra pas de le savoir déloyal, j’en ai la certitude.

Forte de la certitude que Mitchell n’a fait que récolter ce qu’il a semé mais amère qu’il ait réussi à fuir, la soirée s’achève en demie teinte pour moi. J’ai marqué les esprits, je le sais et je le sens, et la plupart me suivront. Pourtant, j’aurais préféré savoir le félons six pieds sous terre ou derrière les barreaux, puisqu’il ne mérite ni de vivre ni d’être libre. J’apprendrai à prendre mon mal en patience. J’apprendrai à nourrir la certitude qu’il finira par avoir ce qu’il mérite, un jour ou l’autre et à lui refuser le droit de m’empêcher de savourer entièrement ma victoire. Elle, elle devrait avoir le goût du pouvoir et de la réussite, pas l’aigreur de la trahison.

Si la brune est donc une pièce maîtresse dans mon jeu, il n’en reste pas moins vrai qu’elle est, pour l’instant, trop transparente pour ce que j’attends d’elle et, doucement, je le lui rappelle en l’intimant à tempérer ses ardeurs. Alors qu’elle me rappelle sa loyauté - c’est inutile, j’ai confiance en elle - je lui rappelle que s’épuiser ne sert à rien, puisque je connais sa valeur. Lui parler de ce que j’envisage pour elle, ce n’est pas une manœuvre pour l’endormir : elle a mérité de briser ses chaînes, ou en tout cas d’en revêtir des moins entravantes. « Du coup, je vais faire quoi maintenant ? Enfin officiellement ? » « Officiellement ? Tu veux mettre à jour ton profil Linkedin c’est ça ? » Un sourire étire mes lèvres et si Amos et moi avons déjà pensé au rôle que la brune pourrait jouer demain dans l’organisation et au sein du Casino, je garde pour l’instant ces projets pour moi tant qu’ils ne sont pas concrets. « Ce que tu feras officiellement, tu le sauras bien assez vite. » Du reste, je ne lui demande pour l’instant pas plus que ce qu’elle fait déjà : être mes yeux et mes oreilles, mais sans forcément écarter les cuisses si elle ne le désire plus. « Je vais devenir espionne professionnelle ? » « Pourquoi pas astronaute tant que tu y es ? » Sa fougue m’amuse autant qu’elle m’exaspère parfois. Sur l’heure, je l’autorise puisque nous ne sommes que toutes les deux, et que son mode de fonctionnement colle assez bien au mien. « Y a pas mal de job de ce côté-là en vrai, y a plein d’abeilles qui bourdonnent en ce moment. » « C’est vrai... » Mais si je ne sous-estime pas Aberline, elle ne peut être ma priorité quand reconstruire le Club revêt les couleurs de l’urgence. « Mais pour l’instant, c’est pas à ça que je pensais. Pour l’instant, ce sont tes petits camarades sur lesquels je veux que tu surveilles. » Ou qu’elle garde l’oeil. « Les prochaines semaines vont être déterminantes et on ne peut pas se permettre d’avoir une pomme pourrie dans notre panier. » Les dissidents pourraient empoisonner l’esprit des plus faibles, et je ne peux l’autoriser. « La plupart des gens t’apprécient et te font confiance. Alors je sais que c’est nouveau, mais c’est l’intérieur que je veux que tu observes James Bond. »

« Officiellement ? Tu veux mettre à jour ton profil Linkedin c’est ça ? » Sasha levait presque les yeux au ciel. Presque parce qu’elle ne se permettrait pas de laisser entrevoir le simple signe d’exaspération sur son visage. Elle respectait énormément Raelyn, quand bien même son sarcasme devenait agaçant pour la jeune femme. Et actuellement sur son profil LinkidIn, c’est écrit « soins et services aux personnes âgées ». Une demi-vérité, ou une vérité arrangée. Sa question restait tout de même légitime. Autant de changements fondamentaux au sein du Club incluaient évidemment des changements dans son fonctionnement. Et il était évidemment que des changements allaient donc s’opérer du côté de Sasha. La jeune femme avait coopéré au bon fonctionnement de cet engrenage, et Raelyn ne manqua pas de la rassurer sur ce fait en récompensant donc sa loyauté et son bon travail. « Ce que tu feras officiellement, tu le sauras bien assez vite. » Tous les liens qui la rattachaient au monde de l’escorting se détachaient déjà, et un léger poids en elle s’envola. Léger car elle devra encore se faire rémunérer par ses fidèles clients le temps que Raelyn lui en dise plus sur ses nouvelles fonctions. Le temps que le Club se remette officiellement sur pieds.

« Les prochaines semaines vont être déterminantes et on ne peut pas se permettre d’avoir une pomme pourrie dans notre panier. » À ses yeux, la pomme pourrie du moment était sans nul doute Alec. Il avait perdu de sa superbe ces derniers mois après sa trahison envers Raelyn et il avait perdu sa légitimité -pour Sasha- d’exercer au sein du Club. Le type avait délibérément laissé tomber son frère pour rester aux côtés de la blonde. Quel frère de sang pouvait faire ça ? Enfin, c’est ce qu’il souhait peut-être faire croire, et c’est pour cette raison qu’il était le premier fruit trop mûre de sa liste. Ensuite, il y avait Jet, puis les autres. Stacey était à avoir à l’œil, mais n’était évidemment pas un fruit pourri. Sa gentillesse et sa pureté faisait d’elle une des personnes les plus humaines de cette organisation. Ces traits de caractère lui causeront un jour du tort. Entre surveiller les membres du Club et ne pas lâcher l’affaire avec Jet, et si c’est possible de faire pareil avec ses petits camarades, Sasha n’aura peut-être finalement pas trop le temps de satisfaire les désirs de ses quinquagénaires préférés. « La plupart des gens t’apprécient et te font confiance. Alors je sais que c’est nouveau, mais c’est l’intérieur que je veux que tu observes James Bond. » Comment faire pour observer l’intérieur quand le Club n’existe plus physiquement parlant ? Écouter le moindre bruit de couloir ou être sûre de croiser telle ou telle personne au bar semblait compromis lorsque celui-ci était désormais sous scellés. Sasha devra improviser, suivre les gens, les inviter à boire un verre à son appartement. Elle devra sociabiliser en dehors du Club, tout ce qu’elle déteste. Mais malgré son caractère -assez- exécrable, les gens du Club l’apprécient comme a pu le souligner Raelyn. « Le premier tri a été fait aujourd’hui, un petit nombre de personne a profité de la zizanie pour s’échapper ni vu ni connu. Mais il doit bien avoir quelques petits groupes qui ruminent dans leur coin car la situation ne leur profite pas du tout. » Sasha espérait d’ailleurs que personne n’ait remarqué qu’elle travaillait pour Raelyn, ce qui pourrait lever sur le stratagème qui a été monté pour évincer Mitchell. Le téléphone de Sasha vibra dans sa poche, l’avertissant d’un message de Stacey. Elle tombait -malheureusement- à pic, et la coïncidence ne pouvait être que parfaite pour Raelyn qui souhaite que Sasha garde un œil sur elle. Stacey venait de répondre au message que Sasha lui avait envoyé juste après la réunion. « Stacey m’a envoyé un message, elle va me rejoindre ici pour discuter. » Sasha cacha son malaise. Cette situation incommodante dans laquelle elle se trouvait n’arrangeait pas du tout sa relation avec Stacey car un énorme fossé s’était creusé entre les jeunes femmes. Mais la jeune femme ne devait rien laisser transparaître devant sa chef. « Tu vois, tu me donnes des missions je ne perds pas temps. Tu sais où me trouver si tu as besoin de moi, on se tient au courant ? »

to all of the queens who are fighting alone
Raelyn Blackwell & @Sasha Sinclair

« Le premier tri a été fait aujourd’hui, un petit nombre de personnes a profité de la zizanie pour s’échapper ni vu ni connu. Mais il doit bien avoir quelques petits groupes qui ruminent dans leur coin car la situation ne leur profite pas du tout. » « Sous-estiment pas les lâches. Ceux qui disent rien mais n’en pensent pas moins. Ce sont eux qui hésiteront pas à me planter un couteau dans le dos si on leur en laisse l’occasion. » Je ne suis pas naïve et je ne suis pas utopiste : j’ai conscience de travailler main dans la main avec ce qui se fait de pire en terme d’espèce humaine, comme j’ai conscience que Mitchell n’était pas le premier et ne sera pas le dernier à ne pas avoir ce qu’il faut entre les deux jambes pour assumer ses pensées, ses actes et ses décisions. Mon boulot dans les semaines à venir va être simple : m’entourer de personnes de confiance pour assurer un nouveau leadership au sein du Club, comme pour assurer ma sécurité. Je ne peux me permettre d’offrir ma confiance aux hommes en qui Mitchell avait confiance, comme je ne peux me permettre d’insulter ceux qui autrefois possédaient une once de pouvoir en les réduisant à la condition de laquais. Je me promets de dresser la liste des gens à surveiller, et je me promets aussi de ne pas verser dans la paranoïa puisque c’est elle finalement qui est à l’origine de toutes les mauvaises décisions de mon prédécesseur. Sasha, en plus d’être une alliée en qui j’ai confiance, sera un parfait atout pour déceler les pommes pourries de mon panier avant qu’elles ne contaminent le reste de la récolte. « J’ai confiance en toi Sasha. Me le fait pas regretter. » J’esquisse un sourire, mais il s’agit pourtant en partie d’un avertissement : je ne tolèrerais ni la trahison, ni l’inefficacité.

Je la vois pianoter sur son téléphone et, bien vite, elle m’éclaire sur ce qui a happé son attention. « Stacey m’a envoyé un message, elle va me rejoindre ici pour discuter. » Je hoche la tête doucement. Stacey n’était qu’un pion dans l’organisation de Mitchell, a-t-elle le potentiel pour devenir quelque chose d’autre ? Et quel est le lien qui les unit, ma petite souris et elle ? « Tu vois, tu me donnes des missions je ne perds pas temps. Tu sais où me trouver si tu as besoin de moi, on se tient au courant ? » Je tire une dernière latte sur ma cigarette avant de la jeter à terre et de l’écraser de la pointe de mon talon. « Brave petite. » Je ne l’insulte pas : je plaisante et mon ton est empreint de cynisme. « Je sais où te trouver. » Je jette un coup d'œil à la montre accrochée autour de mon poignet : Amos n’est pas loin et il ne devrait pas tarder à venir me récupérer. « Donne pas ta confiance à n’importe qui et te fies pas aux apparences. Du reste, j’ai presque plus rien à t’apprendre et tu connais mes équipes mieux que moi. » Et c’est précisément ce que je lui demande, de prendre le temps de connaître les membres du Club, de devenir leur meilleure amie pour pouvoir repérer les traîtres et me remonter l’information. « Sois prudente. » J’ajoute le conseil dans un souffle, consciente que je nourris pour la demoiselle une affection qui dépasse l’intérêt professionnel : elle me plaît, cette tête brûlée ambitieuse. Elle me rappelle la jeune femme que j’étais il y a plusieurs années en arrières.

RP terminé