Un tunnel sans fin, une impasse, un cul-de-sac. En d’autres termes, une situation complexe dans laquelle il était bien difficile de voir quelque chose de positif. Au lendemain de sa conversation houleuse avec Savannah, Grimes se repassait encore ses mots qui lui avait traversé le corps tout entier. Il en serrait les dents au volant de sa voiture. Elle avait été dure et dans un autre contexte, il aurait claqué la porte et l’aurait laissé digérer sa mauvaise humeur. Sauf qu’il avait aussi en tête cette boite de cachetons, vidée par ses soins dans l’évier de sa cuisine, et sa mine complètement décomposée qui témoignait vivement de son état dépressif. Un truc clochait. Un gros truc. Rien à voir avec le deuil que la famille Williams portait et qui aurait dont le chagrin aurait dû s’estomper avec le temps, ou laisser place à un déni, phase suivante dans l’étape de deuil… Savannah ne lui avait même pas parlé de son père. Elle n’avait pas fait référence à son décès, ni même à ses souvenirs. Non. Il y avait autre chose et malgré tous ses efforts, Cade n’était pas parvenu à mettre le doigt dessus. Leur dernier échange dressait un mur entre eux et au lieu de le briser, il lui fallait trouver un moyen de le contourner…

La nuit avait été merdique et entre plusieurs solutions, il avait choisi la pire pour sa fierté personnelle. Ça le crevait à l’intérieur…de ne pas pouvoir résoudre ça tout seul et surtout, de penser à ce frangin complètement déluré, qui ne pouvait pas l’encadrer, pour tenter d’avoir quelques indices sur l’état psychologique actuel de la jolie blonde. Il était pourtant bien en direction de Bayside en espérant que cette entrevue ne se solderait pas par un échec, aka un flot d’insultes dans un italien que Grimes comprendrait mais qui n’aurait pour répliques qu’un anglais trop vulgaire pour la situation. Silencieux et sans qu’une seule note de rock ne raisonne dans l’habitacle de la voiture, il chercha des yeux le numéro de maison et freina devant. Il avait été fort utile d’avoir une oreille attentive lors de ce repas de famille désagréable. Cade avait pu capter l’adresse d’Auden entre plusieurs jetés d’injures cachées.

Devant la porte, il hésita plusieurs secondes. Le regard fuyant sur le côté comme s’il cherchait une corde pour le tirer loin de cet endroit. Il voyait déjà le regard hautain du frangin Williams le toiser et lui donner des envies de meurtres… Mais l’image de Savannah, souriante cette fois, lui traversa l’esprit. C’était bien pour elle qu’il faisait ce gros, cet énorme effort. Du poing fermé, il frappa trois fois.  Se forçant à éviter sa première réplique et son expression de tordu, Grimes garda un air grave. – Faut qu’on parle. De Savannah. Non, il n’évoquerait pas sa relation avec elle, ni même leur histoire ou leurs projets (si projets il y avait) avec Auden. – Détends toi, j’compte pas te faire un récit de nos ébats ! J'peux entrer ou on commence en terrain neutre ?

La seule et unique raison pour laquelle je ne commence pas par le saluer avec un coup de poing au visage c’est parce que mes deux mains sont occupées par Sloan que je tiens contre moi. Avant, je ne me déplaçais pas sans mes pinceaux et aujourd’hui c’est mon fils qui a pris cette place. Je me suis promis à moi-même que ce n’était que le temps de ses premiers mois de vie mais Ginny comme mon amour pour ce petit être n’y croient tous deux pas un seul instant. Il est calme et presque endormi, le garçon, et il m’intime à calquer mon attitude sur la sienne sans même que je m’en rende compte. Mes yeux détaillent l’américain et s’occupent à lister mentalement tout ce que je déteste chez lui, sans jamais lui laisser le bénéfice du doute ou la moindre chance de s’expliquer. Ses mots, d’ailleurs, je ne les écoute finalement que d’une oreille distraite alors que je me contente de penser au moment où je lui refermerai la porte au visage - ce qui ne saurait tarder.

Puisqu’il a l’air tout aussi peu ravi de me voir, pourtant, c’est la curiosité qui a et garde le dessus. Je me doute qu’il n’espérait pas non plus tomber sur ma femme mais n’arrive pas à savoir pourquoi est ce qu’il vient toquer à ma porte. Je ne savais même pas qu’il avait mon adresse, en réalité, et je me serais sans aucun doute passé d’une telle information. – Faut qu’on parle. De Savannah. Toujours silencieux - ô miracle, beaucoup seraient prêt à payer cher pour une telle chose -, il gagne toute mon attention lorsqu’il parle de ma soeur. A son visage je comprends qu’il se passe quelque chose et qu’il y a de fortes chances pour que je n’aime pas ce qu’il a à me dire. S’il lui a fait du mal, physiquement ou non, il est un homme mort. Et cette fois-ci, Sloan ne saurait le sauver. – Détends toi, j’compte pas te faire un récit de nos ébats ! J'peux entrer ou on commence en terrain neutre ? Sa blague ne m’arrache pas le moindre sourire, tout comme le fait qu’il trouve bon de déjà me demander des choses alors qu’il est dans ma propre maison.

J’ouvre la porte un peu plus grand en la poussant du bout des doigts, toisant toujours son regard noir du mien qui l’est tout autant. Si je le fais rentrer, c’est simplement parce qu’il fait trop chaud dehors pour que je laisse Sloan s’y rendre plus de quelques minutes. Il ne jouit d’aucun privilège d’aucune sorte. “Si tu me racontes n’importe quoi, j’te fais sortir moi-même.” Savannah est la seconde raison pour laquelle je le laisse entrer et si j’en viens à apprendre qu’il l’a utilisé comme prétexte alors je ne donne réellement pas cher de sa peau. Je ne lui propose pas à boire ni même de s'installer ou aucune autre merde : plus vite on en a terminé et mieux c'est.

Il lui avait fallu plusieurs heures pour se convaincre que débarquer chez Auden pouvait être une solution. Et autant de temps pour que cette boule dans sa gorge prenne bien sa place avant qu’il ne la ravale…la fierté. Il la sentait encore au fond de ses entrailles devant la porte et puis, elle disparu pour de bon quand son poing vint frapper tout contre. Quand il ouvrit, Auden n’était pas seul. Mais rien de ce qu’il pouvait faire, dire ou porter n’avait d’impact à ses yeux. Un bref coup d’œil au bambin et Cade annonça la couleur sans même un signe de courtoisie. Il était bien là, chez lui, mais ce n’était pas pour autant qu’il allait faire copain-copain avec Auden. Il lui fallait son aide, pas son amitié. Grimes cru avoir son attention quand il évoqua Savannah. Ses yeux sournois montraient quand même de l’hésitation dans cette curiosité bien placée cette fois, et Cade comptait bien en profiter. - J'peux entrer ou on commence en terrain neutre ? Conscient qu’il entrait dans la gueule du loup, il aurait bien voulu se trouver n’importe où sauf ici. Il franchit le seuil de la porte lentement mais sûrement, ne le lâchant du regard qu’une fois l’ombre de l’intérieur sur lui.

La déco, il n’en avait rien à faire. Les gazouillis du petit ne constitueraient pas une excuse pour qu’il soit plus aimable non plus. Ca le faisait clairement chié de ne pas pouvoir régler ça tout seul et de faire cet honneur à Auden. Le petit ange sur son épaule devait être bien convaincant…et il portait un doux prénom féminin. “Si tu me racontes n’importe quoi, j’te fais sortir moi-même.” Grimes se tourna, ignorant cette menace qui aurait très bien pu sortir de sa bouche si la situation était inversée. – J’vais pas m’éterniser Papa, rassures toi. Lança t-il avec un sarcasme non dissimulé. Okay. Il fallait arrêter le duel ici sinon, ils allaient se sauter dessus avant même d’avoir engager la vraie raison de sa visite. Il serra les dents et prit un air un peu plus grave. – Savannah va mal. Ca il devait probablement le savoir. Avait-il seulement idée du degré de mal-être dans lequel elle se trouvait ? Pas sûr. Auden était probablement prit dans un tourbillon de couches. – Elle prend des anti-dépresseurs et elle reste enfermée toute la journée. Il reprit, un ton au dessus avant qu’Auden ne puisse répliquer un truc comme « C’est normal, c’est la période qui veut ça » - Williams…j’connais ces foutues étapes du deuil..ok ? Mais là… ça n’a rien à voir. Il n’avait pas besoin de révéler son inquiétude, elle se lisait dans ses mots. Auden ne pouvait pas faire la sourde oreille désormais car seule la présence de Cade ici relevait d’une situation délicate. – Elle refuse toute l’aide qu’on lui propose, y comprit le mien. J’arrive à rien ! Aie, ça, ça faisait mal à lâcher. – Et ça me tue de l’admettre mais…t’es son frangin. Dis moi si y’a quelque chose d’autre ! Un truc qu’il ne saurait pas. Une raison à cette dépression qui lui échappait. Une solution cachée. Allez Auden ! Je baisse les armes pour elle ! Fais pareil !

Chacun de ses faits et gestes est épié par mes soins et je ne risque pas de relâcher mon attention de si tôt, peu importe s’il reste finalement ici une seconde ou une heure. Il est un étranger dans un lieu qui ne lui appartient pas et cela ne changera pas : il a intérêt, vraiment intérêt, à bien se tenir et ne surtout commettre aucun impair. Ma maison est tout sauf une zone neutre, et je ne doute pas qu’il n’aura aucun mal à le comprendre. Ici, les règles sont bien différentes qu’en Australie et elles n’ont encore moins de choses en commun avec les Etats Unis que nous avons l’air de partager - quand bien même ce pays est bien plus le sien que le mien, et tant mieux.

Je me contente d’une simple menace qui agira comme un bienvenue, espérant que cela lui suffise pour qu’il embraye de lui-même et ne commence pas à jouer au gars qui perd ses mots et ne sait pas par où commencer. Ni lui ni moi n’avons envie de passer plus de temps ensemble que nécessaire et si je l’accepte en ces lieux, ce n’est que parce qu’il a prononcé le nom de ma petite sœur - et surtout celui de la seule que je n’ai pas constamment envie de tuer, y arrivant même parfois. “J’vais pas m’éterniser Papa, rassures toi.” Abrège, Cade. Je ne soulève pas l’utilisation du mot “papa” et garde bien pour moi le haut le cœur qui m’envahit rien qu’à l’idée de l’envisager le devenir à son tour, utilisant Savannah comme poule pondeuse. Elle a déjà bien assez à faire avec Mathis et lui, il est bien mieux sans aucun lien intarissable qui la lie à elle. Les amours ça va, ça vient, et c’est bien mieux comme ça pour chacun d’eux. Je berce Sloan, fais semblant de calmer un petit bout qui l’est déjà. En réalité, c’est à moi que j’évite de déjà perdre patience. Savannah va mal. - “Qu’est ce que tu lui as fait ?” Mon premier réflexe reste de croire qu’il est la source de tous les maux et j’ai besoin d’interminables secondes pour croire qu’il n’est finalement peut-être pas celui à blâmer dans toute cette histoire. Si tel était le cas, il ne se serait pas présenté devant moi pour que je l’éxecute. Il est sans doute stupide, mais pas à ce point.

Sa réponse s’avère être bien loin de celle que j’avais anticipée et, au fond, espérée. La vérité n’est jamais amusante et la vie d’adulte est à chier. Mon regard, lui, s’assombrit en même temps que mes sourcils se froncent lorsqu’il commence à effleurer la raison de sa venue du bout des doigts. Elle prend des anti-dépresseurs et elle reste enfermée toute la journée. C’est con, là, parce que la première question qui me vient à l’esprit est un “qu’est ce qu’il s’est passé ?” alors que tout ceci est sans aucun doute dû à la mort de notre père, laquelle nous avons tous tôt fait de minimiser et oublier. Elle l’a toujours aimé, Savannah. Elle a toujours été la seule, aussi. La seule à avoir versé une larme ce jour-là, si on omet Damon. Il ne l’a pas vraiment connu, cela ne devrait pas compter. Il était triste parce qu’il n’a tout simplement jamais experimenté le deuil ; il apprendra. Williams… j’connais ces foutues étapes du deuil… ok ? Mais là… ça n’a rien à voir. Je serre les dents, énervé de pouvoir lui donner raison à propos d’un tel sujet. Inquiet, aussi, sûrement. Savannah est comme Ginny, elle est bien trop douée pour agir comme si tout allait bien quand justement rien ne va. Les autres membres de la famille, bien plus explosifs, sont aussi plus faciles à cerner. Elle refuse toute l’aide qu’on lui propose, y comprit le mien. J’arrive à rien ! Ce n’est pas une discussion qui devrait impliquer Sloan. Traversant le salon et passant devant l’américain, je viens déposer mon fils dans son berceau après avoir déposé un baiser silencieux contre sa tempe. L’instant d’après, je suis déjà en train de souffler, anticipant ce qu’il va me demander et la façon dont ma sœur réagira : ce sera un véritable chaos. Je l’imagine déjà se refermer sur elle-même comme j’ai pu le faire une année plus tôt. Le problème, c’est que je n’ai ni sa patience, ni sa délicatesse. Et ça me tue de l’admettre mais…t’es son frangin. Dis moi si y’a quelque chose d’autre ! Je suis son frère mais il la connaît sûrement bien mieux que moi, ce qui me tuerait à l’admettre. Elle s’est sans aucun doute bien plus confiée à lui en quelques mois (années ? ils se connaissent depuis combien de temps, ces deux là ?) qu’à moi-même en plusieurs dizaines d’années. "Au cas où ça t'ait échappé, on est pas vraiment du genre à s'appeler tous les soirs pour se raconter notre journée." Je transforme en un reproche à son égard ce qui devrait surtout en être un à mon propos : on ne se parle pas et on ne sait rien l'un de l'autre. Nos souvenirs et gènes en commun sont tout ce que nous partageons.

Je passe une main nerveuse et exaspérée dans mes cheveux, tentant en même temps de réfléchir à la façon dont je pourrais répondre à cela, et surtout comment je pourrais l'aider. Savannah, soyons clairs. Pas lui. "Ça fait combien de temps ? Elle te parle pas à toi, son petit roucouleur ?" Trop longtemps. Non. Les réponses sont évidentes, je ne fais que gagner du temps comme je peux parce que ça m'emmerde de pas avoir réponse à tout cette fois-ci. "Elle voit Mathis ?" Il est celui en qui elle tient le plus, bien avant le reste de la famille et bien avant lui. Il est un facteur essentiel de l'équation.

Il fallait que Cade fasse un max d’efforts pour ne pas s’arrêter à l’expression hautaine qui suait des traits de cher Auden. Dés leur première rencontre, il avait su qu’ils ne feraient pas copain/copain et pourquoi ? Parce ce mec était imbu de sa personne et ne réfléchissait qu’en prenant sa petite personne en compte. Il n’y avait qu’à le voir le toiser alors que Grimes n’avait même pas encore lâché la raison de sa visite. Se serait-il vraiment fait chier à débarquer chez lui si cela n’en valait pas la peine ? Il s’était bien passé de son aide, voire même de sa présence, jusqu’ici. Seulement, Cade devait cette fois ravaler sa fierté et, sans minimiser son sarcasme, il allait lui balancer que c’était le moment pour Auden d’agir en bien pour sa famille. Le bambin qu’il tenait dans ses bras et dont l’Ex agent fédéral n’avait même pas eu connaissance auparavant n’y changerait rien. Il était là pour Savannah et pas pour faire la petite causette. “Qu’est ce que tu lui as fait ?” Cette question le visant directement le fit serrer les dents. Il le toisa d’un regard noir qui parlait de lui-même et qui disait clairement « Fermes là et écoutes ». Non, il n’y était pour rien dans tout ça. Du moins, il l’espérait depuis les reproches que la jolie blonde lui avait tristement lancé à la gueule la veille. Il y avait quelque chose d’autre. Un truc sur lequel il ne parvenait pas à mettre le doigt et qui pouvait se nicher dans les méandres de l’histoire de la famille Williams. Après tout… Cade n’en savait que très peu.

L’ex agent fédéral ne lui disposa pas les faits comme s’il s’agissait d’une enquête et qu’il en faisait un rapport condensé. Les mots qu’il utilisait pour expliquer à Auden que sa sœur était dans un état dépressif inquiétant étaient sensibles. Et pour cause. Cade se sentait impuissant. Incapable de trouver la cause et la solution. -Et ça me tue de l’admettre mais…t’es son frangin. Dis moi si y’a quelque chose d’autre ! Il l’avait suivi du regard quand il avait couché le petit. Mais cet excès de paternité surprenante ne le dérouta pas de son chemin. Quand Auden se rapprocha, Grimes paria sur un « Démerdes-toi, c’est pas mon problème. » qu’il avait certainement pour habitude de répondre quand un semblant de bienveillance menaçait de planer dans son attitude. "Au cas où ça t'ait échappé, on est pas vraiment du genre à s'appeler tous les soirs pour se raconter notre journée." Ca, il l’avait bien vu mais ce qui était étonnant, c’était ce ton qui était redescendu d’un cran. – Et j’demande pas à ce que ça change. Il n’était pas là pour rabibocher frère et sœur. Juste pour tenter de sauver la fille à qui il tenait. Et ça passait par cet instant dont il se serait bien passé. Cade resta immobile et jaugea Auden, dans l’attente d’un truc qu’il pensait impossible malgré sa tentative. Dans sa caboche, il se voyait déjà se retourner en haussant les épaules et franchir le seuil de l’entrée pour ne jamais plus revenir.

"Ça fait combien de temps ? Elle te parle pas à toi, son petit roucouleur ?" Woaw. Passé cette ironie peu amusante, Auden Williams était capable de s’intéresser au sort des siens ! C’était un grand pas ! En soufflant presque de ne pas avoir à regretter sa décision, Cade répondit doucement et simplement. – Plusieurs semaines. Elle n’écoute rien… Il se garda bien de lui raconter leur dispute et les reproches de Savannah. Ce n’étaient pas ses oignons. "Elle voit Mathis ?" Bonne question. Très bonne question Auden. Cade s’en voulu instantanément de ne pas avoir eu l’idée de lui parler de Mathis… Le petit garçon était un sujet essentiel pour juger de l’état de Savannah ! Quel con tu fais Grimes ! – J’crois pas. Elle ne m’en a pas parlé… Fit-il un brin hésitant. – T’en a peut-être rien à foutre mais… j’l’ai jamais vu comme ça. J’veux savoir si ça lui est déjà arrivé. Il avait bien vu… ces anti-dépresseurs. Ils ne sortaient pas d’une récente consultation chez son médecin traitant ! – Elle a déjà pris ce genre de médocs avant ? Il fallait qu’il sache si Savannah lui cachait une fâcheuse tendance à la dépression. La faiblesse était une chose qu’elle n’avouerait pas d’elle-même.

Il peut me lancer tous les regards noir qu’il veut, ce n’est pas ce qui risque de me déstabiliser à aucun moment. J’ai vu bien pire et ne risque pas de me défouler, surtout alors qu’il est question de ma soeur qui va mal, selon ses propres dires. Qu’il arrête les pauses dramatiques, j’ai besoin qu’il aille droit au but pour savoir la gueule de quel connard je vais aller faire refaire. Savannah n’a jamais été douée pour choisir ses fréquentations masculines, il faut bien l’avouer. Même la parfaite petite soeur Williams a ses défauts, vous voyez, et si j’aurais bien envie de m’en moquer, cela ne fait que m’enrager davantage encore en cet instant. Bien décidé à ne pas mêler Sloan à cette histoire, j’invite Cade à rentrer et dépose le bambin dans son berceau, dans l’espoir de le tenir éloigné un jour de plus encore de tous les problèmes familiaux. J’imagine qu’il en connaîtra beaucoup lui aussi, ils sont bien assez nombreux comme ça. “Et ça me tue de l’admettre mais…t’es son frangin. Dis moi si y’a quelque chose d’autre !” Et moi ça me tue de l’admettre mais même en étant son frangin, il connaît sans doute bien plus de choses au sujet de Savannah que moi. On ne se parle plus depuis de nombreuses années, je ne suis pas la personne à qui elle se confie et l’inverse est tout aussi vrai. Il avait été douloureux pour moi de lui faire part du secret autour de Damon, un an plus tôt. Au moins, elle a tenu sa langue, et je l’en remercie pour ça. Je lui fait part de ces faits à ma manière, le prévenant ainsi que je ne pourrai sans doute pas l’aider autant qu’il l’espère. “Et j’demande pas à ce que ça change.” Ce ne sera pas le cas, il n’a pas à s’inquiéter. Notre famille est morcelée, fracturée.

Tel le médecin que je ne serai jamais, je l’interroge sur les symptômes et la gravité des faits, une question après l’autre, pas à pas. Je ne sais pas être calme, mais au moins je tente de l’être, entre deux insultes que je lui dédie dans mon esprit. Il tente, mais pas assez à mes yeux. “Plusieurs semaines. Elle n’écoute rien…” Il n’a pas à faire le moindre reproche à ma soeur, surtout pas si je suis là pour l’écouter. Peu importe les erreurs de la famille, nous sommes les seuls à pouvoir nous les reprocher entre nous. Les étrangers doivent se contenter de nettoyer les dégâts et de sourire, c’est la règle. Plusieurs semaines, donc. Longtemps. Trop longtemps. Après la mort d’Elon, ou peut-être pile à ce moment là. Après le dernier repas de famille. Notre faute, peut être? Pourquoi est ce qu’elle ne nous aurait rien dit? “J’crois pas. Elle ne m’en a pas parlé… ” Si elle ne voit pas Mathis, tout est plus grave encore que ce que je pouvais penser. Une minute plus tôt, je ne savais même pas qu’elle allait mal et je la pensais en train de vivre des jours heureux près de son américain impoli et sans charme. Ce n’est pas le cas. “T’en as peut-être rien à foutre mais… j’l’ai jamais vu comme ça. J’veux savoir si ça lui est déjà arrivé.” - “J’en ai pas rien à foutre.” La famille reste la famille, je n’en aurai jamais rien à foutre, peu importe à quel point on a la capacité de s’auto détruire entre nous. Elle a besoin de moi ; de nous, et je continuerai à en avoir quelque chose à foutre aussi longtemps que je vivrai. On ne le montre pas aux tiers, c’est tout. “Elle a déjà pris ce genre de médocs avant ?” Fuck. Il me pose une colle et je déteste être pris de courant, tout comme je déteste tout autant ne pas avoir de réponse aux questions d’autrui. Il demande à propos de ma propre soeur et moi, j’en ai aucune putain d’idée. Est ce que Savannah a déjà pris des médocs? La réponse qui me vient en tête est “non, bien sûr que non” mais qu’est ce que j’en sais, au fond? Je ne savais même pas qu’elle en prenait en ce moment, j’ai tout à fait pu rater d’autres instants et je me déteste rien qu’à l’idée de ne pas avoir vu qu’elle allait mal au point d’avoir recours à ces merdes. “J’en sais rien. Je suis pas son foutu médecin, j’en sais rien.” Désormais, c’est bien plus contre moi même plutôt que lui que ma colère se tourne. J’en sais rien, c’est tout ce qu’il y a à retenir. “Je pense pas. Je vois pas pourquoi. Elle a eu des périodes difficiles mais pas… Pas à ce point.” Je ne m'étends pas sur lesdites périodes parce que ses mauvaises passes comme tout le reste sont passées sous silence envers les étrangers. Si elle le juge digne de confiance, alors elle lui a dit. Ça ne me regarde pas. "Elle était proche de notre père, c'est peut-être ça." L'histoire de Damon ne la concerne que par extension, elle n'a aucune raison d'en être affectée. Quoi, alors? "Qu'est ce qu'elle t'a dit exactement?" Commencer par le commencement, voilà ce qu'il faut faire.

Cade n’avait pas débarqué chez Auden pour faire copain/copain, ni même tenter de se faire bien voir en jouant les preux chevaliers. Une fois sa fierté mise de côté, il était parvenu jusqu’à la rue, puis jusqu’à la porte du frangin Williams en quête d’information, pas de pitié ni d’amour fraternel. Bien qu’il comptait quand même un peu sur celui qu’Auden pourrait avoir pour Savannah, et comme ça en savoir un peu plus sur ce passé si trouble que la jeune femme ne lui révélait pas. Quelque chose clochait et venait la perturber au-delà du simple trépas du paternel. Elle était devenue…aigrie, triste, et une mélancolie permanente entachait ses jolis traits depuis plusieurs semaines maintenant. Elle lui en avait foutue plein la tronche quand il avait tenté de la raisonner, et ce n’était pas seulement des paroles en l’air…Des pensées profondes, des sentiments enfouis en elle avaient surgies comme un lion qu’on lâchait dans l’arène. Alors le voilà à fouiner dans les méandres de l’histoire de cette famille qui n’avait pas été très accueillante à son égard et dans laquelle il s’était presque juré de ne jamais se perdre. Pour la sauver, il l’avait fait. Enfin…faudrait-il encore qu’Auden range ses crocs, à l’image de son fils qu’il avait couché pour engager une conversation plus sérieuse.

Etait-ce de la curiosité mal placée ? Ou bien Auden se souciait réellement du sort de sa petite sœur ? Il était passé du type hautain et menaçant au mec toujours hautain mais un brin concerné. Et c’était tout à fait ce dont Cade avait besoin. Son aide, ses précisions, rien de plus. “T’en as peut-être rien à foutre mais… j’l’ai jamais vu comme ça. J’veux savoir si ça lui est déjà arrivé.” S’il avait loupé un truc…si Savannah avait déjà eu ce genre de période noire et complètement décalé de la personnalité qu’elle montrait habituellement. “J’en ai pas rien à foutre.” GOSH, Auden Williams avait donc un cœur au fond, tout au fond de cette enveloppe de chair ? Bien. C’était bien. Ils pourraient peut-être avancer. “Elle a déjà pris ce genre de médocs avant ?” Voir ce tube orange chez elle l’avait tué de l’intérieur. Il connaissait les ravages de ces anti-dépresseurs merdique qui promettent un rétablissement psychique ou au moins un meilleur état d’âme mais qui ne sont en fait que des voiles dressés sur les vrais problèmes. Des voiles qui étouffaient leurs proies. Il ne laisserait pas Savannah étouffer. “J’en sais rien. Je suis pas son foutu médecin, j’en sais rien.” Le ton monte mais Grimes comprend vite qu’il transmettait ses craintes à Auden. Et en soi, ce n’était pas une mauvaise chose. “Je pense pas. Je vois pas pourquoi. Elle a eu des périodes difficiles mais pas… Pas à ce point.” Cade haussa les sourcils en faisant un pas vers lui. – Tu parles de Mathis et de son père ? Y’a eu autre chose ? De ce qu’il savait, et ce n’était pas des masses, Savannah avait laissé son fils à son père. Ca, elle lui en avait parlé et elle s’en voulait. Il connaissait les faits. Mais lui avait-elle tout dit ? Peut-être qu’elle avait volontairement omit de lui avouer un état dépressif ? Une tentative de suicide ? Un putain de truc qui récidivait aujourd’hui pour il ne savait qu’elle raison ?!

"Elle était proche de notre père, c'est peut-être ça." Cade leva légèrement la tête, comme si cette hypothèse ne lui suffisait pas. Ce deuil l’avait affecté mais elle lui avait paru plus forte que ça. "Qu'est ce qu'elle t'a dit exactement?" Il laissa ces pensées de côté et revint à sa question. Non, il n’irait pas jusqu’à évoquer la dispute qui ne les concernaient qu’eux deux même si les mots de Savannah avaient été tranchants et plein de sens. – Pas grand-chose justement. Il baissa la tête, coupable d’un petit mensonge. Il reprit en relevant la tête. – Qu’elle était fatiguée de faire semblant… de sourire… et qu’elle ne méritait pas c’qui lui arrivait. Un blanc et puis… - J’crois pas avoir toutes les cartes en main pour déchiffrer ça alors… peut-être que tu pourrais aller lui parler… Le ton était bas, la fierté…bien loin désormais. Il s’en remettait à lui, conscient qu’il était au bout de ce qu’il pouvait faire seul.

J'évoque à peine les 'périodes difficiles' qui ont pu alimenter la vie de ma cadette. Ce n'est pas mon rôle que de lui en parler parce que je n'ai rien à faire au milieu de leur couple et ne souhaiter surtout pas y mettre mon nez. Je n'aime pas vraiment ce Cade mais il semble au moins se soucier de Savannah (sa petite amie, ew) et c'est un bon point pour lui. Il lui en reste encore de nombreux autres à décrocher. L'américain fait un pas en ma direction; je campe sur mes positions. Tu parles de Mathis et de son père ? Y’a eu autre chose ? 'Mathis et son père' n'est pas une histoire qui peut être résumée facilement, elle a eu à faire à bien des obstacles différent au cours des années. Il ne peut pas se contenter de quelques mots pour résumer son fils et toute sa vie, pour autant je n'ai aucune idée de ce que je peux ou non lui répondre. Ce n'est pas comme si je m'étais tenu au courant de la vie de ma soeur, non plus. J'en ai foutrement aucune idée, une fois de plus. "Pas à ma connaissance, non." C'est clair, c'est honnête. Je n'ai rien de plus à lui dire, aucune précision à donner. S'il ne connaît rien de plus, c'est qu'il n'a pas à le savoir. On a tous un caractère de merde mais on se confie à ceux qu'on aime, dans la famille. L'existence et l'emplacement de la virgule sont importantes dans cette phrase: on ne se confie rien entre nous.

A défaut d'avoir autant d'information que je le souhaiterais, c'est à Cade que j'en demande désormais, utilisant une formulation à peine différente pour ne pas attirer une quelconque empathie inutile. Pas grand-chose justement. Tout ce que j'en retiens donc, c'est que nous sommes autant inutile l'un que l'autre. Il n'y a aucun sourire arrogant sur mon visage, désormais. J'aurais aimé pouvoir en avoir un, avoir ne serait-ce une raison suffisante. Ce n'est pas le cas, bien au contraire. Qu’elle était fatiguée de faire semblant… de sourire… et qu’elle ne méritait pas c’qui lui arrivait. Merde. J'avais commencé à comprendre que les choses pouvaient être assez graves, mais certainement pas à ce point. Savannah est sans aucun doute la plus sensible de nous tous mais je n'aurais jamais pu deviner que les choses iraient jusque là. On aurait dû le voir venir. On aurait dû le voir, tout court. On ne devrait pas avoir à se reposer sur les interventions de tiers personnes. J’crois pas avoir toutes les cartes en main pour déchiffrer ça alors… peut-être que tu pourrais aller lui parler… Il ne fait plus le fier et moi non plus. On ressemble à deux imbéciles incapables de poser des mots sur des sentiments, mais les faits sont là: il s'inquiétait pour Savannah et désormais il en est de même pour moi. Au moins, elle est capable de dire ce qu'elle ressent. Je ne sais pas ce qu'il serait advenu sinon, et croyez moi, je n'ai aucune envie de le savoir. "T'as bien fait de venir." Je ne suis pas un adepte des relations humaines mais ce n'est pas pour autant que je ne sais pas m'y prendre un minimum. J'imagine que savoir qu'il a eu le bon réflexe sera déjà une bonne chose de plus pour lui, à défaut que je puisse le rassurer sur tout le reste. "Je vais aller lui parler." Et elle va détester que je décide soudainement d'être un grand frère après toutes ces années. "Je te promets rien, mais je vais essayer." Accepter la possibilité de ne pas arriver à mes fins est difficile, qu'on se le dise, et je ne le fais que parce qu'il est question de ma petite soeur. Mon hochement de tête est entendu, il n'empêche en rien mon visage de rester fermer et mes yeux noirs toujours ancrés dans les siens.

Il devrait se sentir mal à l’aise d’avouer que Savannah et lui ne s’étaient pas confiés plus que ça l’un à l’autre. Ca laissait penser qu’ils préféraient nettement passer leurs temps sous la couette plutôt qu’à se livrer à des confessions nocturnes, chacun bien installés confortablement contre son oreiller, les larmes aux yeux à force de se remémorer ce qui n’avait pas marché. Et Auden pouvait le voir comme un abruti qui ne prenait pas le temps de s’intéresser à la vie passée de sa frangine et pourtant… il était là, devant lui, à ravaler sa fierté pour comprendre ce qui aurait poussé la blondinette à en arriver là, à rêvasser, à ressasser devant une boite de cachets. Non, il ne connaissait certainement pas toute l’histoire sur la relation que Savannah avait entretenu avec le père de son fils. Il ignorait aussi beaucoup de ce qui s’était passé dans sa tête pour qu’elle laisse Mathis derrière elle. Et d’un coup, il s’en voulu. Cade n’était qu’un égoïste qui ne s’impliquait pas, de peur que les autres ne s’impliquent de trop dans sa petite vie. Ça, Sav’ le lui avait reproché la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Et bien qu’elle n’était pas dans son état normal, c’était sorti de sa bouche…

Auden semblait devenir penaud lui aussi. Le ton avait baissé. Tous les deux semblaient maintenant sur la même longueur d’onde, sans pour autant se lancer des fleurs. Le seul but de cette conversation, c’était Savannah, et rien d’autre. Grimes balança quelques mots qui l’avaient marqué et qui résumaient bien l’état de la jolie blonde. Il la revoyait les lui cracher à la figure, les yeux remplis d’un mélange de larmes et de haine incontrôlée. Cette image lui fit avouer texto que sans l’aide d’Auden, il ne pourrait rien. - J’crois pas avoir toutes les cartes en main pour déchiffrer ça alors… peut-être que tu pourrais aller lui parler… Il était démuni. Il se sentait vide, incapable, et il détestait ça. "T'as bien fait de venir." C’était cool de le rassurer là-dessus. Au moins, il n’avait pas perdu son temps. "Je vais aller lui parler." Cade hocha de la tête silencieusement, ce qui valait sans aucun doute un « merci » digne de ce nom. "Je te promets rien, mais je vais essayer." Essayer, c’était progresser. Peu importait la façon dont Savannah réagirait à cette visite, elle lâcherait forcément d’autres choses au passage qui pourrait leur permettre de l’aider. – Okay alors appelles moi quand tu passes la voir. Il se permit d’attraper un stylo sur le coin d’un meuble et il inscrit son numéro de portable sur le coin d’une feuille qui trainait là. – Vas y doucement. Y’a des trucs dangereux qui trainent dans son salon. J’m’en voudrais de t’avoir conduit à l’hosto. Ou pas car rien n’avait changé. Il avait toujours envie de vomir quand il voyait l’air hautain sur le visage d’Auden. Le petit ange sur l’épaule de Williams avait juste gagné le combat contre le petit diable ce jour là…Cade lui lança un regard bien moins agressif qu'en arrivant et pris la direction de la sortie.