There's no room for innocence
Lucia Whitemore & @Swann McGrath

tw tentative de suicide

C’était censé être une belle journée.

Les dégâts causés sur la devanture de chez Pearson ne sont plus qu’un mauvais souvenir depuis longtemps, le mariage de Kate et Mike Sanders va bientôt avoir lieu et, si la mariée est stressée, l’organisation se déroule sans accroc. Je me sens épanouie dans mon travail, je me sens de plus en plus à l’aise aux côtés d’Evelyn et de Maze, plus récente addition à mon quotidien.

C’était censé être une belle journée.

Une si belle qu’en rentrant de l’agence, j’ai fait un détour par une petite pâtisserie qui vend, d’après Swann et moi, les meilleurs mud cakes de ce côté de la ville. Plutôt que deux parts, j’ai acheté un gâteau entier en nous imaginant tous les deux blottis sous la couette en train de nous gaver de chocolat sans penser le moins du monde aux conséquences. Le geste n’est pas anodin : je sais que Swann traverse une période difficile et je m’en sens en partie coupable. Je n’ai pas joué de rôle dans la découverte qu’il a faite à Paris, mais sans moi, jamais Lawrence ne l’aurait agressé, jamais il n’aurait eu besoin de répliquer, de me défendre, et jamais le chanteur n’aurait porté plainte contre mon petit ami. Recevoir le document officiel a été dur à encaisser pour lui, se faire renvoyer de son poste chez les juniors encore plus. Je me suis répandue en excuses, mais le mal est fait et, face à sa souffrance, je me sens démunie.

Un peu de chocolat guérit tous les maux non ?

J’y crois, la soirée sera tout aussi belle que la journée. « Swannnnnn ? J’ai ramené le dessert ! » Il ne répond pas mais je ne m’en formalise pas, pas tout de suite en tout cas mais je m’étonne du comportement de Pancakes qui vient me chercher à la porte mais dont les aboiements ressemblent plus à des plaintes qu’à un accueil dont il a la spécialité. Je me penche pour couvrir l’animal de caresses et de baisers, sans me douter de la cause de son agitation. « Tu m’as manqué toi aussi sois pas jaloux. Qu’est ce qu’il t’arrive petit père ? » Le chiot part en courant et, sans me presser, je dépose le gâteau sur la table du salon avant de partir à sa recherche, sourcils froncés.

Mon sang se glace quand je pousse la porte de la salle de bain et un cri inhumain s’échappe de ma gorge. Si je reste tétanisée face au cauchemar qui se déroule sur mes yeux, je ne suis capable d’agir que grâce à mes réflexes. Je sors de mon corps et le laisse agir : ce n’est pas moi qui crie, ce n’est pas moi qui me précipite au chevet de Swann, assis par terre et appuyé contre la baignoire, et baignant dans son sang. Ce n’est pas moi qui tente de soulever ses paupières, qui hurle, qui pleure, qui tremble, qui cherche la source de tout ce sang, qui attrape finalement ses bras et qui comprend. Ce n’est pas moi qui compose le numéro d’urgence, presque incapable de formuler le moindre mot. « Mon… Mon petit ami il. Il s’est coupé. Il y a du sang partout. Il s’est coupé les bras. Il... » Mon coeur bat si fort que j’ai la sensation qu’il cherche à s’échapper de ma poitrine, mes larmes roulent sur mes joues et tombent se mélanger au sang de Swann, et je comprends à peine ce que me dit la personne à l’autre bout du fil.

« Oui. » Oui, il est inconscient.
« Je… Je sais pas. Oui, je crois. » Je crois qu’il respire.
« Il y a vraiment beaucoup de sang. »
« 407 Doggett Street. »

Si la jeune femme me donne d’autres indications, elles ne pénètrent pas mon esprit. Les yeux ronds, l’air hagard, je me love contre Swann et de la paume de ma main - que je trouve sur le coup ridiculement petites - je tente de faire pression contre ses plaies. Peut-être ne faut-il pas. Je n’en sais rien, tout ce sang m’empêche de réfléchir convenablement et, lorsque les secours finissent par arriver, je ne suis plus qu’une poupée de chiffon qui les suis docilement.

❈❈❈❈

On m’a laissée dans la salle d’attente pendant plusieurs heures, des heures qui ont ressemblé à des jours, sans que je ne trouve la force d’appeler qui que ce soit. On est venue me trouver, on m’a guidée jusqu’à sa chambre en m’expliquant qu’il était tiré d’affaire, qu’il ne garderait pas de séquelles de la tentative. La tentative de quoi ? Lily, je crois que c’était elle, a hurlé sur les autres soignants en réalisant que je portais toujours mes vêtements couverts du sang de mon petit ami. C’est elle aussi qui m’a tendu une blouse d’hôpital et l’un de ses pantalons de travail pour que je me change, en m’ordonnant avec la bienveillance d’une mère d’aller me débarbouiller. Ces dernières heures sont floues pour moi : comme la découverte du corps inanimé du blond, j’ai la sensation de les avoir vécues hors de mon corps.

A présent, le bip régulier des machines reliées à Swann me berce presque. On lui a donné de quoi dormir, je crois, et il a un air paisible sur le visage que je me surprends à envier. Je redémarre. Réinitialisation des fonctions motrices et cognitives. Dois-je appeler sa famille ? J’ai encore du mal à savoir si j’arriverais à parler sans trembler. Il est tiré d'affaire, alors je le ferai plus tard. Je ne lui laisserai pas le choix, mais je veux attendre qu’il soit réveillé. Je crois que je m’endors à un moment, ma main serrant la sienne, assise sur une chaise d’hôpital, le dos cassé et ma tête qui repose sur son matelas. C’est sa main qui remue dans la mienne qui me réveille. J’essuie mon visage de ma main libre et je rouvre les yeux. Il m’observe, et les larmes me montent rien que de le voir réveillé et alerte. Je réalise à quel point j’ai eu peur, je réalise à quel point j’ai retenu ma respiration ces dernières heures et, si je sais que je devrais être capable de me maîtriser, pour lui, je fonds en larmes et j’enroule mes bras autour de son cou. « T’es là... » Il est là, il est vivant, ses joues sont chaudes et ses bras se referment autour de mon corps, ils ne tombent plus ballants le long de son corps. Ma main glisse dans ses cheveux et je le serre un peu plus fort. « T’es là. »

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Dans l’ambulance, les urgentistes chuchotaient. Ils chuchotaient en me jetant parfois des coups d’oeils que je ne remarquais pas. Il chuchotaient alors qu’ils auraient pu s’exprimer à haute voix dans que je ne comprenne de quoi il en retourne : en état de choc, j’étais ailleurs. J’étais toujours ailleurs lorsqu’on m’a demandé de m’asseoir en salle d’attente et de patienter, et je l’ai fait docilement. J’étais toujours ailleurs quand Lily m’a trouvée, et si elle a bien tenté de me poser quelques questions pour comprendre ce qu’il s’était passé je n’ai rien su répondre d’autre que ”je l’ai trouvé comme ça” inlassablement suivi d’un ”il va bien ?”

Parce que je ne peux pas perdre Swann. Je ne peux pas le perdre et dès lors qu’on m’a laissé rester dans sa chambre, je me suis raccrochée aux bips réguliers de son moniteur cardiaque. J’ai observé les différentes perfusions, les fils reliés à son corps d’un air hagard, son trop mettre de mot sur ce que je ressentais : j’étais vidée, je le suis toujours après une nuit où je n’ai que peu dormi.


C’est le matin lorsqu’il se réveille, ou du moins je crois que c’est le matin, puisque le soleil filtre à travers les rideaux de la chambre. Le jour ne m’a pas apporté plus de réponses : si les médecins ont tous compris ce qu’il s’était passé, si Lily a certainement compris elle aussi ce qu’il s’était passé, ce n’est pas mon cas. Je ne peux penser tout haut que Swann a tenté de se suicider, cela me semble abhérrant, cela me semble être une mauvaise blague et il y a forcément une autre explication. Bien sûr, j’ai déjà vu les cicatrices sur ses poignets, mais elles sont anciennes, il ne le fait plus, ce n’est pas possible puisque nous sommes heureux tous les deux, malgré les épreuves qu’il affronte depuis le début d’année. Il est tombé. Il avait les ciseaux dans une main parce qu’il voulait ouvrir le courrier. Il a eu besoin de quelque chose dans la salle de bain et il a glissé, avec les ciseaux à la main. Je me suis répété ça toute la nuit, et si j’ai envie de m’y accrocher, cela n'a toutefois plus la moindre importance dès qu’il ouvre les yeux : j’appuie un genoux sur le matelas pour me hisser à son niveau et le serrer contre moi de toute mes forces. « Tu vas bien ? » Sa voix est rauque, mais il parle. Il est vivant, les joues chaudes, il parle et il sent la même odeur que d’habitude, plus celle du sang. « Tu t’es fait mal ? » Sans trop comprendre pourquoi il me pose ces questions, je garde un moment mes bras autour de son cou et ma joue contre la sienne, avant de reculer doucement pour l’observer. « Moi ? Non, je vais bien, je... » Avec une douceur infinie, je me reprends. « C’est toi qui est à l’hôpital. » Mais avec ma blouse et mes cheveux en bataille, pas étonnant qu’il ait pensé le contraire, et finalement je comprends pourquoi il a eu peur, lui aussi. « J’ai juste dit aux infirmières qu’il était hors de question qu’on dorme sans matching pyjamas, du coup elles m’ont donné ça. » J’hésite, avant d'ajouter d’une voix hésitante. « Lily m’a donné ça… Je… Je lui ai dit que je voulais attendre que tu sois réveillé pour prévenir tout le monde. Je sais pas si elle l’a déjà dit à Matt ou pas. » Ton frère et tes soeurs me semblait trop indélicat vu ce qu’il traverse.

Doucement et en tentant de prendre le moins de place possible, j’allonge mon corps à côté du sien et je viens poser ma tête contre son épaule. « Tu nous a fait peur, à Pancake et à moi. Je crois même que j’ai eu un peu plus peur que lui, mais lui répète pas que j’ai dit ça. » Ma voix tremble, souvenir des émotions déchirantes de la veille et mes mains l’imitent quand je les dépose doucement sur son torse. « Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ? » Les tremblements sont pires encore, d'un coup.

Lucia a un regard différent lorsqu’elle se détache de lui et l’observe à nouveau et pourtant Swann est incapable d’en comprendre la raison. Puisqu’il n’a fait que lui demander comment elle se porte, il est pour une fois certain de ne pas avoir commis d’impair. Alors quoi ? « C’est toi qui est à l’hôpital. » Ils y sont tous les deux, elle ne fait que jouer sur les mots et utiliser des détails qui n’ont pas d’importance. Elle a une blouse blanche qu’elle n’aurait jamais choisie elle-même pour la simple et bonne raison qu’il ne va pas du tout avec son teint et qu’il lui donne une allure blanchâtre qui ne la met pas en valeur. Elle est beaucoup plus jolie quand elle sourit et plus encore quand le soleil australien se reflète sur sa peau de porcelaine, alors pourquoi est ce que ce n’est pas le cas ce soir (matin) ? Il ne sait pas comment il s’est retrouvé là à son tour mais c’est seulement parce qu’il vient de se réveiller et qu’il doit laisser le temps aux souvenirs de se manifester, comme toutes ces fois où il nous arrive de se réveiller au milieu de la nuit sans savoir où on se trouve. C’est pareil, là. Il y a une explication à tout. « J’ai juste dit aux infirmières qu’il était hors de question qu’on dorme sans matching pyjamas, du coup elles m’ont donné ça. » Il trouve la blague amusante, en tout cas. Il sourit et en rigole même assez doucement pour ne pas s’étouffer. L’anglais a envie de lui remettre lui-même les cheveux en place, il s’applique donc avec une précision chirurgicale, commençant par une mèche près de son visage. « Lily m’a donné ça… Je… Je lui ai dit que je voulais attendre que tu sois réveillé pour prévenir tout le monde. Je sais pas si elle l’a déjà dit à Matt ou pas. » Il n’y a pas à prévenir Matt. Il n’y a personne à prévenir. Les souvenirs reviennent en un éclair, comme si elle avait prononcé un mot magique. Son sourire se meurt rapidement alors qu’il exprime déjà son désaccord sur la question : il ne veut pas les déranger pour si peu. Il n’a même pas besoin qu’ils soient présents. Ses jours ne sont sûrement pas en danger et il sera très vite sorti de l’hôpital. “Les embête pas, c’est pas grave.” Et il le pense. Il le pense réellement.

Il doit retourner ses mains et s’appuyer sur le dos de ces dernières pour se décaler. Le faire normalement risquerait de faire sauter ses points ; il le sait simplement parce que la douleur est revenue en même temps que les souvenirs, et il déteste cette double sensation. « Tu nous a fait peur, à Pancake et à moi. Je crois même que j’ai eu un peu plus peur que lui, mais lui répète pas que j’ai dit ça. » S’il pensait déjà à reprendre la blonde dans ses bras lorsqu’elle s’est posée, ses mots ne font que confirmer ses envies et accélérer ses mouvements. Son bras opposé passe au-dessous de son corps et il se retourne maladroitement contre elle pour poser son visage près du sien, caressant ses cheveux de sa main. Il perd quelques baisers contre sa joue et fait bien attention à ne surtout pas laisser son bandage toucher sa peau, pour ne pas lui rappeler plus que nécessaire la situation. « Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ? » L’anglais prend une plus grande inspiration désormais. Il n’avait pas anticipé les conséquences de ses gestes sur les autres, il n’avait jamais pensé à ça. “Je voulais pas te faire peur. Je suis désolé. Je suis tellement désolé.” Pour elle bien plus que pour lui. C’est elle qui a tout enduré quand lui était simplement inconscient et sous anti douleur. On a tout fait pour lui faciliter la vie mais personne n’a jamais pensé à Lucia, à aucun moment. D’habitude, c’est lui qui remplit ce rôle. Ce soir, il a failli à la tâche. Si seulement il pouvait lui faire comprendre qu’elle est la plus belle chose de son quotidien et qu’il a agi par pur égoïsme de bas étage. “Je sais ce qu’il s’est passé.” Le couteau, le sang. Cela résume plutôt bien la situation, non ? Swann ne sait peut être pas grand chose, mais il se doute que répéter les événements ne fera pas de bien à la jeune femme et bien au contraire. “Tu attends depuis combien de temps ? Tu as pu dormir un peu ? Non attends, plus important encore, c’est quand la dernière fois que tu as mangé ?” Il veut qu’elle aille bien avant toute chose et ne juge pas utile et encore moins important de garder le sujet de la conversation tourné autour de sa petite personne. Les films et les machines reliées à son corps s’assurent déjà tous qu’il se porte au mieux. Il a donc le droit, le devoir et l’envie la plus profonde de s’inquiéter à son tour pour sa petite amie.

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Est-ce grâce aux médicaments qu’il a l’air si apaisé ? Est-ce parce qu’il a la chance d’en avoir eu qu’il n’est pas aussi inquiet que moi, qu’il ne pose aucune question et qu’il semble si détaché ? Est-ce qu’ils sont si puissants qu’il a vraiment tout oublié, qu’il est capable de sourire, de rire même et de s’appliquer à démêler une par une les mèches de mes cheveux ? Je ne sais pas, et si je préfère le voir comme ça que prostré et malheureux, je n’arrive pas à croire que ce soit vrai, que ce soit autre chose qu’une façon de prétendre que tout va bien quand au fond ce n’est pas le cas. Je doute de tout. Je doute de chaque sourire, de chaque soirée passée devant la télévision depuis son retour de Londres pendant lesquelles il avait l’air heureux, pendant lesquelles j’ai cru qu’il était heureux et je me demande ce que j’ai raté. J’ai raté quelque chose, je n’arrive pas à concevoir les choses autrement et toute la nuit, je m’en suis voulu terriblement. Je vis avec lui. Je passe toutes mes soirées à ses côtés et je partage son intimité. J’aurais dû me rendre compte. J’aurais dû recevoir et lire des signaux, j’aurais dû les interpréter assez tôt pour l’aider, pour que ce qu’il s’est passé hier soir n’arrive pas. Et hier soir, j’aurais dû être là hier soir, je n’aurais pas dû rentrer un peu plus tard, je n’aurais pas dû faire un détour par la pâtisserie et j’aurais pu empêcher ça, c’est une certitude. « Les embête pas, c’est pas grave. » Je fronce les sourcils l’espace d’un instant, avant que mon visage ne retrouve sa douceur.

Comment peut-il dire que ce n’est pas grave ? Pendant l’espace de quelques minutes, de quelques heures, j’ai cru le perdre. Quand j’ai poussé la porte de la salle de bain, quand j’ai vu tout ce sang sur le carrelage, j’ai réellement cru qu’il était mort, avant de m’approcher de lui pour chercher son pouls. J’ai eu son sang collé sur mes vêtements, sur mes bras et mes mains, collé sur mon visage et je dois encore en avoir collé dans mes cheveux, malgré les coups de gant vigoureux de Lily. « Je voulais pas te faire peur. Je suis désolé. Je suis tellement désolé » Ses bras se referment autour de mon corps, et je me sens à nouveau prêt à fondre en larmes. « Dis pas que t’es désolé. C’est moi qui le suis. J’aurais dû être là. » Hier soir, et avant. J’aurais dû prêter plus d’attention à son mal être et à sa détresse. J’ai pourtant l’impression d’avoir tenté de le faire, j’ai envoyé des messages et des smiley à longueur de journée, j’ai ramené des pâtisseries du travail dès que j’en ai eu l’occasion, je l’ai couvert de baiser sur le canapé à chaque fois que nous regardions un film.

J’ai essayé de l’aider, mais j’ai essayé comme une enfant. J’ai essayé avec candeur et, une fois n’est pas coutume, j’en ai honte, de cette candeur. J’ai honte de ne pas avoir su être une adulte quand Swann en avait besoin. J’ai honte de passer mon temps à m’enfermer dans une bulle hors du temps pour ne pas affronter les problèmes alors que je n’ai plus douze ans. Je me dis que quelqu’un d’autre à ma place aurait su comment gérer ça. « Je sais ce qu’il s’est passé. » Ma gorge se serre et je dois me concentrer pour ne pas ouvrir les vannes à nouveau. « Tu attends depuis combien de temps ? Tu as pu dormir un peu ? Non attends, plus important encore, c’est quand la dernière fois que tu as mangé ? » « On est là depuis hier soir. C’est le matin je crois. » Je ne suis pas d’une grande aide mais, moi aussi, même si je n’ai que peu dormi, j’ai perdu la notion du temps. « Lily m’a apporté des barres de céréales. » Je pointe du menton la table de nuit sur laquelle je les ai déposées sans y toucher.

J’ai l’impression d’être un robot. Plus tout à fait hors de mon corps sans l’avoir complètement regagné, je suis comme en pilote automatique quand je me détache de lui pour faire pendre mes jambes dans le vide et tenter de réfléchir. Je tourne la tête dans sa direction, d’un air penaud et désolé, et ma voix se brise avant même d’avoir commencé ma phrase. « Je vais envoyer un message à Matt et Ginny. » Ils préviendront le reste de la famille et même s’il m’a demandé le contraire, je ne peux faire autrement : j’ai besoin d’aide. Je ne peux pas gérer cette situation toute seule et, pour l’empêcher d’essayer de m’en dissuader, j’attrape mon téléphone et je dirige toute ma concentration vers l’appareil. Le message est vite tapé, dupliqué, et je réalise en reposant mon téléphone sur la table de nuit qu’à nouveau, j’ai fondu en larmes. Je tente de les essuyer avant de me hisser à nouveau sur le lit pour m’asseoir en tailleur à côté de lui. « Lily m’a donné ces vêtements parce que les miens étaient tâchés. » Parce qu’ils étaient pleins de sang. J’ignore ce qui me pousse à le préciser, mais c’est la première chose qui me traverse l’esprit. « Mais c’est pas grave, elle a dit qu’elle allait les laver et m’en ramener d’autres. » Ils seront certainement trop grands, je suis filiforme à côté de la plantureuse épouse de son frère, mais au moins ils sentiront bons le propre et plus l’hôpital. Doucement, j’attrape ses bras en prenant soin d’enrouler mes doigts bien au-dessus de son pansement et avec toute la douceur du monde. Je les caresse, je remonte jusqu’à ses épaules en dessinant des arabesques sans motif particuliers et je tente de réfléchir. Réfléchir à ce qu’il faudrait dire, si j’étais une vraie adulte accomplie. « Tu voulais quoi ? » Si tu voulais pas me faire peur, tu voulais quoi ? Qu’avait-il en tête, quand il a pris ces ciseaux pour meurtrir sa peau ? Je ne le brusque pas, ma voix est douce et posée quand, au fond, je me sens au bord du naufrage.

La lit d’hôpital est pour lui mais elle est la seule dont il a envie de s’occuper et de soigner à sa façon. Swann n’a d’autre choix que de se rendre compte qu’il va mal et que sa vie en est largement altérée mais il refuse de se rendre à l’évidence que ses actions l’impactent elle aussi, désormais. Il nie cette idée parce qu’elle ne lui convient pas et qu’elle fait de lui un petit-ami de pacotille qui ne se préoccupe même pas du bien-être de celle qu’il aime : et ça, c’est inimaginable. « Dis pas que t’es désolé. C’est moi qui le suis. J’aurais dû être là. » De l’autre côté de l’oreiller, il tourne à peine la tête pour pouvoir rouvrir les yeux et les poser sur elle. Sans arriver à sourire, il se contente de déglutir, désolé (il ne le dira jamais assez et aucun homme ne sera à la hauteur de ses pensées à ce sujet). “Tu ne pouvais pas savoir. J’avais pas prémédité ça.” Si elle s’était rendue compte de son niveau de mal-être, il aurait vécu ça comme une défaite et la conclusion aurait été plus ou moins semblable. C’est un jeu qu’elle ne pouvait pas gagner et qu’elle considère sans doute encore moins comme un jeu. Tous les scénarios étaient perdants.

C’est à son tour de demander des explications et des éclaircissements parce que Lucia est la seule chose et personne à laquelle il peut se raccrocher en cet instant. On pourrait lui dire qu’il a passé des mois dans le coma pour une raison x ou y que cela ne l’étonnerait même pas. Les mots de sa petite amie font foi. « On est là depuis hier soir. C’est le matin je crois. » Dans son esprit, le McGrath tente de compter les heures depuis ce moment, il tente de deviner à quelle heure elle l’a découvert et surtout, surtout, de savoir combien de temps elle est restée à ses côtés à se poser une infinité de questions. Empathique, il ne sait pas ce qu’on ressent exactement lorsqu’un de ses proches tente de se suicider mais il arrive à en deviner les grandes lignes. Ce qui ressort le plus reste la culpabilité et il la connaît assez pour savoir qu’elle ne lui en voudra pas. Ce ne sera pas le cas de tous ses proches mais pour Lucia, c’est une certitude absolue. Il hoche la tête pour lui assurer qu’il comprend bien ce qu’elle lui dit et qu’il est à ses côtés dans toutes les épreuves qui commencent à se dessiner face à eux. « Lily m’a apporté des barres de céréales. » Dans un autre moment, ils se seraient battus pour savoir lequel des deux aurait eu le droit de manger celle au chocolat blanc et aux fruits rouges. Ce sont les meilleurs, sans aucun doute. En cet instant, il se contente de se rendre compte qu’elle n’a sûrement rien mangé des barres proposées par sa belle-soeur et amie.

Ses doigts remontent et descendent doucement le long de ses bras sans savoir quoi faire. Il y a plus de larmes qu’il ne peut en sécher et même s’il s’active à toujours les balayer du bout de l’index dès qu’il en voit l’ombre d’une, il doit presque aussitôt réitérer l’opération. Son coeur se serre lorsqu’elle s’éloigne mais l’anglais en profite pour se relever à son tour sur le lit, maladroitement, lentement. « Je vais envoyer un message à Matt et Ginny. » Résigné, il ne sait qu’hocher de la tête à nouveau. Elle sait que ce n’est pas ce dont il a envie mais comprend pourtant qu’elle n’écoute pas ses désirs. Pas cette fois. Sa fratrie sera tenue au courant à un moment ou à un autre et au plus tôt c’est au mieux ce sera. Sûrement. C’est ce qu’il se répète, en tout cas. “Ils ne savent pas encore. Pour Londres.” Ils ne savent pas encore qu’on est pas de la même famille. Ce n’est pas une excuse pour qu’elle ne les prévienne pas, bien au contraire. Il ne fait qu’anticiper une discussion qu’ils se devront d’avoir et ne veut pas que Lucia soit prise en étau entre deux camps. Elle a su dès qu’il a de nouveau posé le pied en Australie mais à ce jour, elle reste encore la seule personne au courant. « Lily m’a donné ces vêtements parce que les miens étaient tâchés. » Je suis désolé. Tellement désolé. « Mais c’est pas grave, elle a dit qu’elle allait les laver et m’en ramener d’autres. » - “Peut-être qu’elle te donnera ton t-shirt préféré de sa penderie. Notre plan est en marche.” L’anglais essaye de trouver des raisons de sourire ; il essaye surtout de la faire sourire, elle. Il parle d’habits parce qu’il sait que c’est toujours associé à quelque chose de positif pour Lucia mais sous-entend maladroitement qu’ils auraient pu planifier toute cette soirée simplement pour gagner un tee-shirt. Tout est encore maladroit mais Swann essaye réellement de la faire se sentir moins mal, surtout alors qu’il sait être la cause première de ce mal-être.

Elle caresse ses bras ; il dépose un nouveau baiser contre sa joue. Elle sent les produits en tout genre, elle sent l’hôpital. Déjà, il ne rêve que de rentrer chez eux et d’oublier toutes ces dernières heures. « Tu voulais quoi ? » A quel point ce serait déplacé de répondre par un simple “je sais pas” ? Elle ne peut pas comprendre le cheminement de pensées qu’il a eu et l’anglais reste persuadé que personne d’autre ne le pourra non plus. Avant même de trouver les mots adéquats, il hoche doucement sa tête de la négative. “Pas te faire peur.” Répondre à une question par la négative n’est jamais une bonne chose, avouons le nous. “C’est pas de ta faute. Je continuerai de te le répéter.” Autant de fois qu’il le faut pour qu’elle ne commence à envisager qu’il puisse avoir raison, ou qu’il puisse lui dire ça parce qu’il le pense réellement et pas pour la faire se sentir mieux. Elle est l’une de ses rares certitudes à ce sujet : elle n’a pas joué un rôle en faveur de cet acte. “J’aimerais pouvoir te répondre. Je sais simplement pas quoi te dire.” Ce ne sont pas des sentiments et autres émotions sur lesquels il peut poser des mots aisément. Même en prenant du recul, il n’arrive pas à trouver des formulations appropriées.  “Je voulais pas aller jusque là. J’aurais jamais voulu te faire subir tout ça.” Bien plus que pour lui, c’est pour elle qu’il a peur et qu’il craint les conséquences de ce geste. Il a déjà subit les conséquences, lui. La première vague, en tout cas.  “Ils vont venir. C’est bien, tu pourras voir un peu de monde comme ça.” A nouveau, il essaye de lui sourire doucement, trouvant des bonnes nouvelles là où il est surtout la cause de toute la noirceur autour. Matt et Ginny viendront à la seconde même où ils recevront le sms ; ils ne sont peut-être pas du même sang mais ils restent faits du même bois. S’il ne sait pas comment ils réagiront à son égard, il sait au moins qu’ils seront de parfaits soutiens pour Lucia et qu’elle pourra au moins se confier à eux.

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Lucia Whitemore & @Swann McGrath

« Ils ne savent pas encore. Pour Londres. » Bien sûr qu’ils ne savent pas. Bien sûr qu’il n’a pas réussi à leur dire et ce n’est ni surprenant ni une preuve de faiblesse : je n’aurais su comment gérer la situation si j’étais à sa place. Je m’en veux, je m’en veux de les appeler alors qu’il m’a demandé de ne pas le faire, je m’en veux d’aller à l’encontre de ses désirs pour la première fois depuis le début de notre relation mais je ne le fais pas par égoïsme. Je ne le fais pas pour moi, mais pour lui. Pourtant, je n’arrive pas à me défaire du sentiment de lui planter un couteau pas dans le dos, mais de face. Façon de parler puisque je n’arrive même pas à le regarder tandis que mes doigts glissent sur l’écran de mon téléphone. « Et je leur dirai pas. Je leur dirai jamais, tu le feras toi, quand tu en auras envie et quand tu seras prêt. » Je ne veux pas qu’il pense que je cherche à forcer le destin, à les forcer à avoir cette conversation. « T’es pas obligé de le faire maintenant. Mais c’est ta famille, on peut pas ne pas les prévenir pour... » Mes yeux glissent sur ses bandages une seconde de trop, et je me mords la lèvre en le réalisant.

Ce sont sa famille. Matt, Ginny, Jill et même Ariane. Qu’importe ce que raconte sa mère. Qu’importe que leur père ne soit pas le sien. Ils se comportent comme une famille, il s’aiment comme une famille et à mes yeux c’est tout ce qui devrait compter. « Peut-être qu’elle te donnera ton t-shirt préféré de sa penderie. Notre plan est en marche. » A nouveau assise à ses côtés, je lui retourne un sourire teinté de tristesse. J’aimerais blaguer avec lui. J’aimerais prétendre que rien n’est grave. J’aimerais redevenir ce couple d'adulescents insouciants qui plaisantent de rien et surtout de tout. J’aimerais enfermer notre innocence dans une jarre en verre pour la protéger et qu’elle ne puisse s’envoler, mais la situation me rattrape et, avec elle, des sentiments d’adultes. J’ai peur pour lui. J’ai peur pour l’avenir, j’ai peur qu’il recommence. J’ai de la peine, je me dit que si ce n’est ”pas de ma faute”, je n’ai pas non plus été l’élément suffisant à retenir son bras, à l’empêcher de se faire du mal. « Je continuerai de te le répéter. » « Je te crois. » Mais cela n’empêche pas une larme de rouler sur ma joue, une de plus : plus personne ne les compte de toute façon. Je n’ai pas envie de l’accabler. Je n’ai pas envie de tout ramener à moi quand c’est son mal être. Je n’ai pas envie de lui dire que cela me blesse profondément et que je ne comprends pas qu’il ait été capable de passer à l’acte quand il m’a moi. Est-ce que je ne compte pas assez ? Est-ce que c’est ça ? Suis-je un joli rayon de soleil trop faible pour passer à travers ses nuages ? « J’aimerais pouvoir te répondre. Je sais simplement pas quoi te dire. » Et je n’ai pas envie de le forcer à se replonger là dedans. « Je voulais pas aller jusque là. J’aurais jamais voulu te faire subir tout ça. » Je déglutis et je baisse les yeux en réalisant qu’une fois de plus, il s’en veut pour moi, pas parce qu’il s’est fait du mal à lui. « Ils vont venir. C’est bien, tu pourras voir un peu de monde comme ça. » Mes doigts caressent doucement ses bras une fois de plus, avant de les délaisser pour sa mâchoire et pour ses joues. « Je les ai pas appelé parce que j’en ai besoin tu sais. Je l’ai fait parce que je pense que toi tu en as besoin. » Je ne veux pas qu’il se dise que c’est mon envie de compagnie à laquelle j’ai pallié. « Moi j’ai besoin que de toi. En bonne santé. Heureux. » En vie. Surtout en vie. « Et toi t’as besoin d’eux pour ça. » Doucement, je dépose un baiser au coin de ses lèvres. « T’as ressenti quoi quand... » Quand tu es allé trop loin. S’est-il senti libéré ? A-t-il eu peur ? A-t-il cru qu’il allait mourir ?  A-t-il eu une pensée pour moi ? S’est-il dit qu’il ne voulait pas me quitter ? Ma voix, déjà à peine audible, se brise un peu plus lorsque je rajoute une ultime question aux allures d’affirmation. « C’était pas la première fois. » Comment être sûre que ce sera la dernière ? « Je peux pas te perdre tu sais... » «  » Je serais incapable de m’en remettre si cela devait arriver, j’en suis certaine.  

There's no room for innocence
Lucia Whitemore & @Swann McGrath

« Je peux me débrouiller seul. » Je n’aime pas ça décider à la place des autres. Je n’aime pas ça, donner l’impression que je sais mieux que Swann ce qui est bon pour lui. Je n’ai absolument pas cette prétention dans 99.9% des cas mais aujourd’hui je me sens investie d’une mission de protection, parce que j’ai le sentiment d’avoir échoué. Mon petit ami allait mal, mal au point de tenter de mettre fin à ses jours et je n’ai rien vu. Je me suis contentée de lui envoyer des messages vocaux ou je lui répétais que je l’aimais dix fois d’affilé, j’ai envoyé des textos remplis de smileys en tout genre et j’ai ramené des pâtisseries à l’appartement en pensant pouvoir soigner toutes les blessures avec des sucreries. Je me suis conduite comme une enfant, pas comme l’adulte dont il avait besoin pour l’aider à traverser pour ça et aujourd’hui je n’ai d’autre choix que de me remettre en question. Ai-je raté des signaux évidents ? Suis-je restée aveugle à son mal être et sa détresse alors qu’il tentait sans un mot de m’en faire part, comme une bouteille à la mer ? Je me refais le fil des dernières semaine en quête de réponse, en quête de quelque chose qui aurait pu m’alarmer mais je suis plus frustrée de constater que tout se mélange dans ma tête. « Je sais que tu peux te débrouiller seul. Mais t’y es pas obligé. » Je voudrais respecter ses désirs, mais aujourd’hui ce serait égoïste de le faire alors le texto est rapidement envoyé, tandis que moi je retrouve ma place à ses côtés sur le lit.

« Je serai toujours là pour toi, Lucia. » J’acquiesce mais je me demande en silence qui aurait séché mes larmes, qui m’aurait tenue dans ses bras si j’étais arrivée trop tard hier soir ? Qui aurait regardé Netflix en plein soir de semaine et même le week-end dans un pyjama assorti au mien s’il avait perdu un peu plus de sang, un peu trop de sang ? Il ne voulait pas me laisser, mais il voulait partir non ? J’ai envie de croire qu’il n’a pas fait exprès. Mais j’ai beau être candide, je ne suis pas pour autant idiote et je sais que je ne peux pas me voiler la face. « J’ai pas prévu de partir. » Son bras s’enroule autour de mes épaules et je dépose doucement ma joue contre son torse. Il n’a pas prévu de partir, qu’est ce que cela veut bien pouvoir dire ? Je sais une chose, que ce n’est pas le moment pour l’oppresser et le replonger dans ses souvenirs de la veille. Pourtant, j’ai besoin de savoir qu’il ne le fera plus, même si je sais qu’il aura beau me promettre et me jurer le contraire quatre fois par jour que cela ne changera plus rien à ma peur de voir tout ça se reproduire. « J’ai pas… J’ai pas vraiment envie d’en parler. » « T’es pas obligé de le faire. Je suis désolée… » Tout ça n’est pas à propos de moi : c’est lui qui va mal et il ne devrait pas être obligé de prendre le temps de me rassurer. « On peut parler de ce que tu veux. »

« C’est pas drôle, de faire ça. Mais c’est plus impressionnant qu’autre chose, tu sais. » Ce qui est plus impressionnant encore c’est de le trouver assis dans son sang et inconscient. Si c’est la première chose qui me traverse l’esprit je ne dit rien, il est hors de question qu’il se sente un peu plus coupable. Je n’ai pas envie de l’accabler, je n’ai pas envie de devenir un problème ou une pression de plus sur ses épaules. Je me contente de fermer les yeux pour ravaler mes larmes, et d’enfouir mon visage dans sa tunique d'hôpital pour disparaître entre ses bras. « Ils ne me garderont pas longtemps et après on pourra reprendre notre vie. Je te promets qu’il n’y aura plus jamais de problème. » « Tu peux vraiment promettre ça ? » Ce qu’il a fait l’autre soir, n’est-ce pas répondre à l’appel d’une pulsion ? Qu’est ce qui me dit, qu’est ce qui lui dit qu’un soir il n’aura pas le sentiment que toutes ses angoisses sont à nouveau devenues plus importantes que les choses bonnes et importantes de sa vie ? Qu’il n’aura pas à nouveau le sentiment d’être proche du naufrage ? Est-ce ça qu’il a ressenti ? A-t-il fait une liste des pour et des contres ou le plus négatif l’aurait largement emporté sur le positif ? Notre relation, fait-elle au moins partie du positif à ses yeux ? Oui, bien sûr que oui. Je le sens quand il m’embrasse, je l’entends quand il me dit je t’aime et je le sens quand il me sert dans ses bras. Comment m’assurer d’être toujours plus importante que tous les moins ? Comment devenir cette bouée qui l’empêchera de couler la prochaine fois ?

La réponse, je ne la trouverai pas aujourd’hui. Je n’ai pas envie d’insister, je n’en ai pas le droit puisqu’il a besoin de se reposer. Il verra des médecins qui, je l’espère, l’aideront. Je l’aiderai du mieux que je peux également. Il ne doit plus se sentir seul, il ne doit plus se sentir désemparé et je dois tout faire pour ça. « Ils ont même pas voulu me donner de jelly au chocolat tu te rends compte ? J’en avais eu quand je m’étais cassé le bras. » J’en avais eu quand l’infirmière de service m’avait demandé mon nom de famille et avait compris mon lien de parenté avec Hannah, surtout. « Tu crois que si c’est toi qui demande ils oseront dire non ? » On peut parler de tout ce que tu veux Swann. « Tu crois que je pourrais rester ici s’ils te gardent en surveillance ? » Je sais d’avance que je n’arriverai pas à dormir à l’appartement. Il faudra que j’y retourne pourtant, il faudra que j’aille m'occuper de Pancake mais je n’ai pas la force d’aller nettoyer la salle de bain, je n’ai pas la force d’aller nettoyer tout ce sang, le sien.

Lucia fait au mieux et elle agit aussi bien que possible en sa présence, il est le seul à éternellement compliquer les choses alors que son credo est justement de ne pas faire de vagues. « Je sais que tu peux te débrouiller seul. Mais t’y es pas obligé. » C’est ce qu’il veut, pourtant. C’est ce qu’il désire avant toutes choses en cet instant : ne pas se faire remarquer, ne déranger personne, raser les murs, ne pas faire de zèle. Il ne veut être un boulet au pied de personne, que ce soit sa petite amie ou sa fratrie. Il sont tous occupés avec leur mari ou leur femme, avec leurs enfants pour la plupart aussi. Ils étaient ensemble la veille au soir et lorsqu’ils feront le parallèle, ils s’en voudront tous. Déjà, Swann déteste cette idée tout comme il déteste en être le fautif. Pourtant, il n’empêchera pas Lucia de les prévenir. Il lui a dit ce qu’il en pensait mais il sait aussi que tout ceci doit être difficile à gérer pour elle et qu’elle a besoin d’aider comme elle le peut. Ils seront doux avec elle, ils l’aideront - il se raccroche à cette idée.

L’anglais repousse à plus tard les explications qu’il est encore incapable de formuler et partager avec qui que ce soit. « T’es pas obligé de le faire. Je suis désolée… On peut parler de ce que tu veux. » Ses doigts caressent sa peau pour la rassurer : elle n’a pas à être désolée, il ne lui en veut absolument pas. Personne ne nous apprend comment réagir dans des moments tels que celui-ci et la jeune femme s’en sort admirablement bien. Un jour, il la remerciera comme il se doit, quand les choses seront derrière eux et que tout fera moins mal - physiquement et mentalement. Il n’a en réalité pas envie de parler de quoi que ce soit et l’homme qui a toujours eu une langue bien pendue se retrouve sans mots, fatigué d’un rien. La faute aux médicaments, qu’il ne cesse de se répéter, comme pour se donner bonne conscience et rejeter la faute sur autrui. “On est bien comme ça, t’en fais pas.” Elle fait déjà tout son possible pour lui et désormais il n’a besoin que de la serrer un peu plus contre lui pour aller mieux. Il sait déjà qu’il va mieux.

Les questions qu’elle pose sont légitimes mais Swann a éternellement du mal à etre mis face au fait accompli. « Tu peux vraiment promettre ça ? » Il se rend compte que non. Il y croyait, pourtant. Il y croyait de tout son coeur, il le voulait tout autant. Maintenant, la terre tremble et ses certitudes avec. Ce n’est pas la faute de Lucia, bien sûr, elle ne fait que lui faire prendre conscience de ses mensonges qu’il déguise en simple vérité. “Je le pense.” Pendant plus de dix ans il n’avait jamais rien tenté et il est persuadé que s’il a rechuté cette nuit, ce n’était qu’à cause d’un surplus de tout et de trop. Maintenant qu’il a assez eu mal, littéralement, il est vacciné pour longtemps. Maintenant qu’il sait qu’elle subira à son tour chacune de ses actions, il se sait vacciné pour toujours. Bien plus pour elle que pour son propre corps, il apprendra à passer au-delà de ses propres sentiments et à se maîtriser. C’est promis, il apprendra à rester heureux sans se soucier du reste et de donner une place prédominante à ses idées noires. Elles n’ont pas lieu d’être.

« Ils ont même pas voulu me donner de jelly au chocolat tu te rends compte ? J’en avais eu quand je m’étais cassé le bras. »
“T’as essayé les yeux de chien battu ? Ça fonctionne toujours.”

Le problème c’est surtout que cette fois-ci, ce n’est pas la jolie Whitemore qu’il faut soigner. Il aurait aussi peu touché à ses jelly que elle à ses barres de céréales, de toute façon. Ils le savent l’un comme l’autre mais Swann préfère réfléchir à des détails dans le genre plutôt que de penser au reste. Le plan de sa petite amie fonctionne à merveille et, une fois les yeux fermés et son esprit simplement concentré sur le corps de la jeune femme contre le sien, il en vient presque à oublier où est ce qu’ils se trouvent. « Tu crois que si c’est toi qui demande ils oseront dire non ? » - “Je vais invoquer la Reine d’Angleterre, personne ne peut dire non à la Reine.” Il répond dans un sourire, les yeux toujours clos. Sa respiration s’est calmée, son torse s’élève à un rythme bien moins soutenu désormais. Bientôt, ils seront là et bientôt, il devra réellement poser des mots sur ce qui le dérange et démange tant. « Tu crois que je pourrais rester ici s’ils te gardent en surveillance ? » Cette fois-ci, cela ne le regarde pas que lui et il n’en a aucune idée. Il ne sait pas quel est le processus, il ne sait pas ce que les médecins vont faire de lui. Il n’a même aucune idée de quoi envoyer à Martin ; est ce qu’il s’absente un jour ou une semaine ? deux ? Non, deux ce serait trop. Il ne veut pas que ce soit deux. Il ne voudrait même pas que cela se compte en semaines. “Je demanderai à ce que tu puisses rester. Avec les yeux doux et l’argument de la Reine.” Parce qu’il l’aime et qu’il se rend enfin compte à quel besoin il a besoin d’elle, surtout. “Merci d’être restée.” Avec lui cette nuit ; avec lui, tout court. Ses bras se resserrent à peine plus contre elle, il caresse sa peau du bout des doigts et profite de sa présence tant qu’il le peut encore.