| so many songs we forgot to play ☾ jamie |
| | (#)Sam 20 Fév 2021 - 0:54 | |
| Les contacts avec Jamie s’étaient naturellement rarifiés, depuis leur dernière entrevue physique. Compte tenu de la tournure compliquée que la situation prenait, il s’était rapidement imposé comme une évidence qu’être vus ensemble n’apporterait rien de bon à personne, et Hayden n’avait dans tous les cas nullement ressenti le besoin ni l’envie de se mêler de ce qui ne la regardait pas. Entendre de la bouche de son ancien amant, et plus tard directement de celle de Joanne, qu’elle n’était pas réellement à blâmer pour le divorce des Keynes avait suffit à la conforter dans l’idée que conserver le recul qu’elle possédait déjà demeurait encore et toujours la meilleure option possible. Au-delà de cet aspect de culpabilité qu’elle tenait à conserver éloignée, la comédienne comprenait les enjeux sur la table, plus encore lorsque le divorce coïncidait avec la discussion à cœur ouvert qui les avait rapprochés des mois plus tôt. Hayden redoutait les décisions hâtives, ne désirait pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Elle n’était pas un pansement, pas plus qu’une solution de dédommagement. Elle avait senti Jamie sincère, c’était indéniable, mais elle voulait lui accorder le temps nécessaire à la réflexion, la possibilité de changer d’avis s’il le souhaitait. Elle-même n’était pas certaine de son positionnement, tant elle s’était évertuée à fuir l’introspection jusqu’à maintenant : réaliser qu’elle n’avait pas retrouvé le chemin de Brisbane par pure amitié avait été un constat déstabilisant, plus encore quand elle craignait une réciprocité inexistante. Comme depuis trois ans désormais, Hayden nageait dans les doutes et l’incertitude ; à la différence près que cette fois-ci, ce n’était plus la peur d’être rejetée qui l’agitait, mais bel et bien la crainte qu’une fois l’émotion passée et les questionnements achevés, Jamie ne décide subitement de faire marche arrière.
Vouloir se tenir à l’écart du tourbillon qu’elle craignait d’aggraver ne signifiait pas que la comédienne ne se sentait pas concernée par les événements en cours. Au détour d’un coup de fil quelques jours plus tôt, Jamie avait évoqué la date du jugement définitif du divorce, et Hayden avait écouté ses inquiétudes concernant l’argent qu’il tenait à léguer à Joanne mais qu’elle refusait obstinément d’accepter, tout comme la garde des enfants qui risquait de revenir entièrement à la jeune femme. Elle avait fait de son mieux pour le tranquilliser, consciente qu’elle ne disposait guère d’autres armes que ses paroles de réconfort. Jusqu’à ce que l’ancien rédacteur en chef la contacte le jour-même, et qu’elle se retrouve à emprunter la voiture de William pour répondre à sa demande d’évasion. Hayden n’avait pas conduit depuis des années, l’efficacité des réseaux de transports en commun londoniens l’ayant convaincu de vendre sa propre voiture il y a bien longtemps. La comédienne se ravisa de questionner Jamie à propos de la journée écoulée, partant du principe qu’il lui parlerait s’il le souhaitait ; qu'aurait-elle pu faire d'autre, de toute façon ? Lui demander s'il allait bien était hors de propos. Bien sûr, qu'il n'allait pas bien. « Direction Raby Bay, sir. » Les trois quarts d’heure de trajet ne furent pas bien long, au son de la radio qui crachait quelques titres d’une décennie lointaine. Hayden gara la voiture le long de la baie, entraînant Jamie à sa suite sur les chemins qui couraient vers la mer. « J’avais en tête de nous emmener au nouveau club de jazz qui vient d’ouvrir en ville mais, finalement, je me suis dit que tu aurais sûrement envie de prendre un peu l’air. S’éloigner de Brisbane me paraissait une bonne option. » Le vent marin était particulièrement agité ce jour-là, et Hayden le sentait faire virevolter ses cheveux à intervalles réguliers. En contre-bas, au niveau de la plage qui s’étendait à l’horizon, les familles en balade se mêlaient aux sportifs qui profitaient de la fin d’après-midi et de son climat plus indulgent. L’ensemble de la scène transpirait une tranquillité rassurante, à mille lieues sans doute du capharnaüm intérieur qui devait agiter l’esprit de Jamie. La comédienne en connaissait un rayon, sur les tempêtes internes, la plupart ironiquement causées par l’homme qui se tenait désormais à sa droite. Elle pouvait aisément imaginer le flux incessant de pensées, les problématiques ininterrompus, les regrets mêlés à la sensation d’avoir fait tout ce que l’on pouvait, prenant soudainement conscience que nos efforts avaient été vains. Hier comme aujourd’hui, Hayden ne se réjouissait pas de la situation traversée par l’ancien rédacteur en chef, pas plus que l’annonce de son divorce ne représentait une quelconque bonne nouvelle. Sa discussion avec Joanne quelques semaines plus tôt résonnait encore dans sa conscience comme une musique de fond particulièrement tenace, et la comédienne parvenait désormais à tirer le bilan définitif de toute cette histoire qui s’était étirée bien trop longtemps. C’était la fin d’une histoire où chacun de ses protagonistes avaient perdu bien plus qu’ils n’avaient gagné, et où les erreurs accumulées avaient fini par laisser place à des trous béants que seul le temps parviendrait à combler un jour. Non, Hayden ne se réjouissait définitivement pas du casse-tête inextricable qui venait de s’achever ; au mieux, elle ne pouvait qu’espérer que chacun d’entre eux finiraient par tirer bénéfice de leur liberté retrouvée, qu’elle soit désirée ou non. « Quand j’étais enfant, je venais souvent ici. Plus loin, il y a un cabanon qui vend du très bon fish and chips, si tu as le cœur à manger un peu. Je t’invite. » La comédienne adressa un léger sourire à Jamie, heureuse de constater que peu importe la tournure des événements, leur mise à plat des ressentis enfouis durant toutes ces années leur permettait au moins d’échanger sur des sujets divers et variés, presque comme au bon vieux temps. « Tu n’es pas obligé de parler de ce qui s’est passé aujourd’hui, tu sais. J’ai suffisamment travaillé les monologues au théâtre pour pouvoir les transposer en dehors des planches. » Chaque chose en son temps, et un temps pour chaque chose. Observer l’horizon en silence lui semblait être un compromis acceptable, si Jamie ne se sentait plus vraiment à l’aise avec les mots. |
| | | | (#)Mar 23 Fév 2021 - 15:33 | |
| | ► so many songs we forgot to play
Can you imagine when this race is won Turn our golden faces into the sun
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Il avait retrouvé la Bugatti ferrée sur le parking du palais de justice après l’audience du divorce. C’était le genre de conséquences auxquelles il fallait s’attendre lorsque l’on s’accaparait une place réservée aux handicapés faute qu’une autre ne daigne se libérer avant de le rendre en retard. Faute d’être allé en chercher une plus loin dans la rue aussi. Mais l’immobilisation de sa voiture n’importait pas tant à l’anglais que la question que cela avait ensuite soulevé ; de toute manière, qu’allait-il faire du reste de sa journée ? Où serait-il allé ? Il ne s’imaginait ni se rendre à la Fondation afin de plonger sa tête dans le travail, ni rentrer chez lui et passer les prochaines heures seul avec ses pensées. Et pour quelqu’un dont le nombre d’amis restant se comptaient sur les doigts d’une seule main, cela réduisant drastiquement le champ des possibilités. Il ne fallut pas longtemps, néanmoins, pour sortir son téléphone et appeler Hayden. Car s’il écoutait son instinct, s’il se penchait sur ce dont il avait vraiment envie et besoin, le nom de la comédienne était la première chose qui lui venait spontanément à l’esprit. Ironique lorsque n’importe qui pouvait croire qu’elle était à l’origine de ce divorce. Elle était surtout la présence qui lui permettait de croire encore qu’il existait un après possible à tout ceci. Pas un objectif, pas une simple bouée de sauvetage -non, elle méritait mieux que d’être une roue de secours. Plutôt un point d’ancrage et une seconde chance ; celle de faire les choses correctement, cette fois. Libéré de ses engagements auprès de Joanne, Jamie songeait qu’il n’y avait plus de raisons de se priver plus longtemps de la présence de la brune. Si elle était l’unique bouffée d’air que son esprit réclamait, alors soit.
La seconde bouffée fut celle du bord de mer, chargée d’iode et d’un certain goût de liberté. Peu de mots avaient traversé ses lèvres depuis qu’il était monté dans la voiture d’Hayden. Un brin morose, le Keynes ne paraissait pourtant pas particulièrement en souffrance ni en colère. Il était résigné, mais même la résignation pouvait imposer un poids sur la poitrine. Dégourdir ses jambes et prendre quelques grandes inspirations, une fois à Raby Bay, lui firent le plus grand bien en une poignée de secondes. "Le bol d’air n’est pas de refus. Bien vu." félicitait-il avec un léger sourire. Même si le club de Nate s’était imposé comme l’un des lieux où Jamie se sentait en sécurité, détendu, Jamie appréciait tout particulièrement que ses pensées puissent vagabonder au gré des bourrasques au lieu de se heurter à des murs. Tantôt songeait-il à Joanne, tantôt aux enfants, mais surtout à ce sentiment de solitude qui avait toujours été son pire ennemi. Qu’il était capable de se laisser dévorer par celui-ci, le Keynes, qu’il pouvait faire des dégâts. Après tout, n’était-ce pas cette même angoisse, cette même impression d’abandon, d’isolement, cette sensation de vide qu’il avait tenté de combler avec Mina ? En un claquement de doigts, cela pouvait le mener à la panique, à la paranoïa, à la léthargie. Avoir conscience de tout ce qui était susceptible de briser son contact avec la réalité était son unique arme contre les vagues d’émotions extrêmes capables de le secouer. Et s’il avait fait des progrès en la matière, Jamie savait également que replonger dans les tourbillons de mélancolie et d’euphorie était une option s’il n’y prenait pas garde, que les prochaines semaines seraient une bataille.
La régularité de son pas était la seule chose qui n’intervenait pas dans le flux de pensées de l’anglais. Préservant le tout bien tout honneur de l’instant, il gardait ses mains au fond de ses poches. Il n’aurait jamais songé que la notion de contact physique avec Hayden puisse être aussi entravée, mais trois années et un hémisphère d’écart s’imposaient encore dans la distance qu’il entretenait avec elle. Ca, et la conscience que s’il la frôlait, il ne voudrait plus s’en détacher. Le regard distrait, observant à la fois l’horizon, le banc de sable, la verdure, il adressa de temps en temps un regard à la comédienne et un sourire complice. "Tu as été enfant, toi ? Nah, j'en crois pas un mot." Lui non plus, parfois, avait l’impression d’être né directement dans ses chaussures d’adultes. Jamie n’avait jamais vraiment eu le droit d’être un petit garçon, et ces années-là ne se rattrapaient pas. Derrière sa plaisanterie, il notait l’existence du cabanon dont Hayden avait fait mention. On pouvait croire qu’un divorce couperait l’appétit à n’importe qui, mais lui remarquait au contraire que toutes ces émotions avaient creusé son estomac. Un fish and chips ne lui ferait pas de mal, plus tard, sûrement.
Il n’avait jamais eu l’intention de s'épancher longuement au sujet de son divorce -son second divorce par ailleurs- auprès d’Hayden qui avait déjà été le témoin de toute sa frustration durant la procédure, néanmoins, il était reconnaissant qu’elle se montre autant prête à l’écouter de nouveau qu’à combler le silence selon ce dont il ressentait le besoin. "Donc si je ne dis rien tu me réciteras un peu de Beckett ?" plaisantait-il à nouveau. Quoi qu’il préférerait l’entendre chanter quelque chose, mais ses connaissances en musicals se heurtaient à sa piètre mémoire des titres de leurs chansons. Il avait toujours adoré sa voix -comme tout le reste- et croyait infailliblement en son talent. A dire vrai, il espérait qu’elle se remettrait à travailler sur les planches à Brisbane afin de la revoir sur scène, là où elle était plus solaire encore. Il continuait à craindre qu’elle reparte dans quelques mois. "T'en fais pas, ce n'est pas aussi…" terrible ? triste ? dévastateur ? Pourtant cela l’était, un peu des trois et plus que cela. Jamie ne le niait pas, mais il refusait que ce soient ces émotions qui l’emportent sur le reste. "Enfin, je me sens plutôt bien. C'est fait, c'était la chose à faire, et c'est derrière nous." Cette séparation ne devait pas être une douleur, mais une solution, une opportunité, une porte ouverte sur le reste de leurs vies, à Joanne et lui. Ils avaient perdu cette bataille, mais cela ne les définissait pas, ni maintenant, ni plus tard. C’était ce à quoi le Keynes voulait croire. “Je pense que je vais passer deux ou trois semaines en Angleterre malgré tout. Juste histoire de… prendre du recul.” Il avait du travail qui l’attendait là-bas, et il n’avait pas caché avoir le mal du pays depuis quelque temps. Suite à l’affaire avec Mina, Jamie n’était pas rentré ni à Londres ni à Chilham par crainte du jugement de ses compatriotes. Mais l’appel de ses racines était plus fort que sa honte. “Quinze mille kilomètres de recul.” il souffla avec un rire. Oui, cela devrait faire l’affaire.
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| | | | (#)Ven 5 Mar 2021 - 0:02 | |
| Savoir que sa décision de quitter Brisbane l’espace de quelques heures n’avait pas été perçue comme une insulte à un mariage fraîchement clôturé avait suffi à rendre la comédienne plus à l’aise avec la situation délicate dans laquelle elle se trouvait. Hayden n’y avait vu aucune mauvaise intention, simplement persuadée que, parfois, la prise de recul devait se matérialiser physiquement pour que l’on puisse en tirer un quelconque bénéfice. Jamie semblait se détendre à vue d’œil, et elle accueillit ses félicitations quant à son choix d’évasion d’un bref hochement de tête. Constater que l’ancien rédacteur en chef avait de nouveau le cœur suffisamment léger pour se laisser aller à leurs provocations habituelles revêtait une valeur bien supérieure à une quelconque forme de remerciements. « Je suis déçue de l’image faussée que tu as de moi. Figure-toi que j’étais une enfant adorable. » Ce qui, au fond, était une vérité tout à fait concrète : son début de vie s’était illustré par un calme olympien, à mille lieues des envolées théâtrales auxquelles Jamie faisait désormais référence. « La douleur muette est davantage à redouter. » Hayden avait déclamé la réplique tirée d’un roman de Beckett d’un ton exagérément dramatique, son sourire amusé trahissant l’aisance avec laquelle elle rebondissait sur les taquineries de Jamie. Si elle avait fermé les yeux quelques minutes, si elle avait visualisé la mer et la plage derrière ses paupières closes, et si l'espace d'un instant elle s’était laissé bercer par le bruit des mouettes aux alentours et par les rires des familles qui les dépassaient régulièrement, la comédienne aurait presque pu croire que toute cette situation s’apparentait à un retour à la case départ. Prétendre était son métier et, si elle l’avait voulu, il lui aurait été aisé de faire semblant, de jouer la carte de la naïveté à peine dissimulée et du renouveau, de faire comme si de rien n’était et d’oublier volontairement le chemin parsemé d’embûches qui les avait menés à ce moment figé dans le temps. Mais lorsque ses yeux bleus s’ouvraient de nouveau sur le monde autour d’elle, lorsqu’ils rencontraient la distance pudique qui s’imposait dorénavant naturellement entre leurs deux corps, lorsqu’ils s’attardaient un peu trop longuement sur la renonciation fatiguée qui se lisait sur chacun des traits du visage de Jamie, alors Hayden prenait conscience que le chemin allait être encore long, avant qu’un quelconque renouveau ne prenne ses racines à Brisbane. La course avait été éreintante, mais cela ne signifiait pas que la comédienne était prête à en oublier les étapes pour autant ; l’idée de bafouer les blessures qui se refermaient peu à peu en ignorant ce qui les avait provoquées en premier lieu lui était insoutenable. « En d’autres circonstances, tu aurais pu négocier une tirade entière, mais j’estime que l’on a largement dépassé notre dose de dramaturgie, ces derniers temps. » Elle exagérait, bien entendu, mais il n’en demeura pas moins qu’entendre de la bouche de Jamie qu’il ne se sentait pas aussi malheureux qu’elle aurait pu s’y attendre la soulagea légèrement. Pendant longtemps, Hayden avait évolué avec pour seule exemple du mariage celui de ses parents, et elle imaginait aujourd'hui encore la peine qui pourrait les tirailler, si tant était qu’ils puissent un jour décider de se séparer. Et puis, il y avait le contexte général du divorce, les différents scandales qui avaient éclaté autour de Joanne et de Jamie, sans parler de la douloureuse question des enfants en bas âge du couple. De tels aspects, lorsqu’ils étaient pris en compte, auraient pu être susceptibles de plonger l’ancien rédacteur en chef dans un trouble qu’Hayden elle-même n’aurait peut-être pas été en mesure de percer. C’était sans doute égoïste, mais prendre conscience que Jamie ne s’était pas muré dans le silence en refusant toute communication à son égard avait quelque peu dissipé le poids qui pesait sur sa poitrine. « Je ne suis sans doute pas la mieux placée pour m’exprimer à ce sujet, mais s’il y a bien quelque chose que j’ai appris ces dernières années, c’est qu’une décision ferme et tranchée vaut parfois mieux qu’un statu quo qui ne mène nul part. » Pour lui bien sûr, pour Joanne et sa lassitude déposée autour d’un café, pour toutes les personnes que la situation avait un jour affaiblies sans le vouloir. Il y avait bien d’autres opinions, que la comédienne aurait été en mesure d’exprimer à cet instant précis. Consciente de son manque de légitimité, elle s’auto-persuada de ne pas en divulguer de supplémentaires.
Hayden ne fut pas surprise d’entendre Jamie évoquer son désir de renouer temporairement avec les liens qui le rattachait toujours à son pays d’origine. Le parallèle avec son propre départ trois ans plus tôt la fit sourire, logiquement en accord avec une décision qu’elle jugeait sage. Elle observait les rôles s’inverser devant ses yeux, s’interrogeant quant à l'implication qu’il lui faudrait dorénavant tenir, maintenant que la vie avait commencé à s’apaiser autour de l’ancien rédacteur en chef, et que la comédienne avait fait toute la lumière sur son prétendu devoir de le sauver des situations inextricables dans lesquelles il se jetait à corps perdu. La comédienne se sentait suspendue entre deux mondes, consciente de ce qui la retenait des deux côtés de la planète, une sensation douce-amère en réalisant qu’il lui faudrait bientôt faire un choix. « Il n’existe aucune peine dans ce monde que Londres ne saurait résoudre, n’est-ce pas ? » Son regard avait naturellement retrouvé le chemin de celui de Jamie, l’ironie de ses propres paroles flottant dans l’air. « Tu penses que tu auras le temps d’assister à quelques musicals, une fois là-bas ? J’ai besoin d’un espion sur place qui me tienne au courant des nouvelles tendances. » Comme si elle ne possédait pas une ancienne troupe tout entière qui se chargeait de la tenir informée des moindres changements de programmation du West End. Il s'agissait surtout d'un moyen détourné d’exprimer son propre manque vis-à-vis de la capitale anglaise, consciente du caractère ambigüe qu’une telle déclaration pourrait revêtir. Elle ne voulait pas que l’ancien rédacteur en chef se méprenne sur ses intentions, elle qui avait prouvé par le passé qu’elle était capable de tout quitter en un clin d’œil. Ce n’était définitivement plus aussi simple, depuis leur dernière discussion et l’once d’espoir qui en avait découlé. « Quelques années en arrière, je t’aurais sans doute proposé de t’y rejoindre le temps d’un week-end. Depuis quand est-ce que je suis devenue si sage, Jamie ? » Hayden laissa échapper un léger rire, prouvant le manque de sérieux de sa proposition. Il était de toute évidence beaucoup trop tôt pour ce genre de plans sur la comète, et puisqu’il leur fallait ralentir le rythme sans outrepasser les limites du respect pour quiconque, la comédienne ne pouvait qu’espérer silencieusement que l’ancien rédacteur en chef trouverait ses réponses par lui-même. « Tu auras tout le loisir de me rappeler l’hypocrisie de ma demande plus tard, mais je souhaite de tout cœur que ton exil ne dure pas trois ans, comme une connaissance commune. » Et si quinze mille kilomètres de terres et de mers venaient subitement à les séparer, alors soit. Ils n’étaient définitivement plus à ça près. |
| | | | (#)Jeu 25 Mar 2021 - 19:05 | |
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“On pourrait écrire une pièce de tout ça.” plaisantait-il, à moitié. Après tout, pourquoi pas. Joanne, Hayden et lui avaient produit bien assez de scènes dramatiques pour remplir trois actes sans le moindre effort. Il y avait la rencontre avec la petite blonde, l’amour immédiat, pour un premier acte optimiste chamboulé uniquement par la rencontre avec la comédienne. Acte deux, le départ de celle-ci, l’affaire Mina, la dégringolade du mariage avec Joanne. La dernière partie, ils l’écrivaient désormais. Rien n’était certain, et probablement que rien ne serait plus simple qu’aux scènes précédentes. Le temps de l’innocence avait disparu et le rideau était trop fraîchement baissé sur les erreurs et les blessures de la partie transitoire. Il y avait toutes les leçons à apprendre et les liens à reconstruire. L’espoir d’un happy ending pour eux tous était certainement prématuré, pourtant l’anglais voulait croire qu’ils y avaient droit, tous les trois. Ensemble, séparés, amis, amants, amours devenus souvenirs ou fautes transformées en regrets. Il le devait, Jamie, il avait besoin de croire qu’à la fin tout irait bien s’il ne voulait pas se retrouver noyé dans la mélancolie en moins de temps qu’il n’en avait pour distancer le grand chien noir. Parce que les thérapies de groupe, ce n’était vraiment pas pour lui et qu’il n’avait pas l’intention de faire marche-arrière. Parce qu’il en avait assez que les choses n’aillent jamais dans son sens, comme si sa vie se résumait à nager à contre-courant. Il n’avait jamais été doué pour le lâcher prise, le Keynes. Mais pour la première fois qu’il acceptait le déroulement des événements sans se battre par simple principe de donner tort à l’univers, il se surprenait à trouver la vie plus simple. Cette volonté chez lui de constamment défier le destin l’aurait normalement poussé à torturer son petit monde durant de longs mois supplémentaires en refusant le divorce et en se battant par tous les moyens à sa disposition pour sauver ce mariage -ou plutôt, pour repousser encore et encore l’inévitable quitte à prendre en otage le bien être de Joanne. Le soulagement qu’il avait ressenti au moment de ratifier le jugement lui avait confirmé que là était la seule bonne décision à prendre. Une rupture nette, sans heurts, sans esclandres. S’il avait été aussi résolu tout au long de ces dernières années, bien des choses auraient été différentes, sans doute. “J’ai appris exactement la même chose, quel hasard.” fit-il avec un sourire. Quel dommage que ces grandes leçons s'apprenaient toujours aux dépends de quelqu’un.
Jamie avait la sensation que quitter Brisbane quelque temps était potentiellement un gâchis de temps qu’il pourrait passer à enfin concrètement reconstruire sa relation avec Hayden. Et d’un autre côté, il avait conscience que s’il ne s’accordait pas ces quelques semaines de recul, il ne serait pas autant en mesure de lui proposer de meilleur de lui-même. Ce n’était pas à elle de l’aider à retrouver son équilibre après le divorce. C’était à lui de déterminer quelle direction il souhaitait prendre désormais. “Il n’y a pas si longtemps je pensais au contraire que tous les maux du monde se trouvaient à Londres.” Tous les souvenirs de ses jeunes années, de son frère, de son père, de son premier mariage, ses premiers scandales. Il s’était installé à l’autre bout du monde afin de fuir tout ceci, mais aucun de ces fantômes n’étaient restés aux portes de l’aéroport en Angleterre. Londres n’avait jamais été le problème. Le mal du pays ne lui faisait pas pour autant regretter sa décision de changer de vie en Australie. “Je pensais que c’était toi qui l'insufflait, la tendance.” rétorquait-il à la comédienne qui ne perdait pas le nord. Aller au théâtre ne serait pas le premier réflexe du Keynes sur place, mais maintenant que l’idée était énoncée, il songea qu’il pouvait bien s’accorder ce plaisir.
A l’annonce de son départ, Jamie avait guetté la réaction de la brune. Son orgueil espérait une pointe de déception au coin de ses lèvres, un rictus triste, un indice lui indiquant qu’il lui manquerait même pour si peu de temps. Que lorsqu’il reviendrait, il y aurait quelqu’un pour l’accueillir, quelqu’un souhaitant qu’il revienne bel et bien. Ils s’étaient pourtant peu croisés depuis le retour d’Hayden à Brisbane, notamment par respect pour Joanne et ne pas risquer d’alimenter la presse à scandale. Il était certainement présomptueux de croire que la jeune femme se languirait de lui après des semaines à n’entretenir le contact qu’à travers leurs téléphones, alors il se laissa être agréablement surpris de l’entendre admettre que dans d’autres circonstances, elle l’aurait rejoint au bout d’un moment. Était-ce pour être avec lui ou uniquement pour la ville, Jamie ne voulait pas vraiment la réponse à la question. “Je serais presque déçu.” feignait-il. A dire vrai, il fut lui-même tenté de lui proposer de venir avec lui avant qu’elle ne le mentionne, et il s’était tu pour les mêmes raisons qui la poussaient à écarter cette possibilité. “Mais tu as raison, c’est plus sage.” Chaque chose en son temps. La pensée était presque ironique lorsque l’anglais regardait presque six ans en arrière, lorsque sur une plage comme celle qu’ils pouvaient apercevoir plus loin, il avait proposé à une certaine petite blonde de le suivre à l’autre bout du monde pour quelques jours alors qu’ils se connaissaient à peine. Il n’y avait pas une erreur qu’il n’avait pas commise tout au long de cette relation avec Joanne. Et Jamie n’avait pas l’intention de les reproduire une seconde fois. Enfin, il se rassura avec la douce ironie d’Hayden qui lui demandait de ne pas quitter le pays durant des années à son tour. Il ne laisserait pas ses enfants derrière lui en Australie et il ne désespérait pas d’être un père plus à la hauteur qu’il ne le fut jusqu’à présent pour eux. Mais il reviendrait aussi pour elle, ce qu’il traduisit plus pudiquement tout haut ; “Pas d’inquiétude, tu n’es pas débarrassée de moi.”
Il fit volte-face et décida de poursuivre la conversation en marche arrière, ce qui sonnait comme la meilleure fausse bonne idée du moment. Mains dans les poches, devant Hayden d’un pas ou deux, il reculait au rythme où elle avançait et bien sûr, ne regardait à aucun moment derrière lui. Son regard malicieux complétait la manœuvre adolescente tandis qu’il affichait un petit sourire espiègle. “Et à mon retour, j’ai la ferme intention de formellement vous inviter à dîner, Miss Siede.” déclarait-il solennellement. Un rendez-vous galant en bonne et dûe forme, cette fois, dont la perspective seule officialisait son intention de reprendre où ils s’étaient arrêtés quelques années auparavant, en commençant par le début. Bien qu’il eût conscience que montrer aussi ouvertement son envie d’être avec la comédienne une poignée d’heures après avoir signé son divorce puisse paraître tout particulièrement déplacé, Jamie ne voulait pas se montrer hypocrite et dissimuler ou réprimer ses sentiments pour elle au nom d’il ne savait quelle période d’abstinence émotionnelle -dont il estimait être acquitté au moment de son retour de Londres. Cependant, le karma ne parut pas de cet avis et fit apparaître derrière lui une fillette en trottinette qui se heurta à l’arrière de ses jambes, trébucha et s’étala sur le bitume. “Oh m-... pardon! Je suis tellement désolé.” Mortifié, Jamie se précipita vers l’enfant. Plus loin, ses parents accéléraient également le pas vers eux. “Tout va bien ?” Bouche fermée, la petite fille acquiesça -mais il ne fallait pas parler aux inconnus malgré tout. Plus de peur que de mal, la fillette au casque vissé sur la tête n’avait rien de plus grave à déplorer qu’un peu de poussière sur ses vêtements. En un rien de temps, la mère déboulait pour la remettre sur pieds. Le regard qu’il échangea avec celle-ci suffit amplement à le convaincre de se reculer -et continuer à se sentir comme le pire être humain à fouler la terre, le regard foudroyant des mères avaient ce pouvoir-là. On entendit Jamie vaguement balbutier avant que la famille reprenne son chemin ; “Encore désolé…”
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| | | | (#)Dim 1 Aoû 2021 - 3:43 | |
| Ecrire une pièce tirée des nombreux rebondissements qui avaient pu régir leur trio infernal tout au long des années écoulées ? La comédienne secoua doucement la tête, exprimant son désaccord le plus complet à ce qu’elle savait être une façon de parler plus qu’une véritable suggestion. La longueur de la supposée pièce ne posait nullement un problème, pas plus que le présumé contenu de qualité, capable d’offrir à coup sûr son lot de rebondissements en tout genre. Plus elle y pensait, cependant, plus Hayden prenait conscience de la complexité toute personnelle de l’ensemble de cette histoire qui la rendait, elle le savait, probablement incompréhensible aux yeux de la plupart des spectateurs extérieurs à toute cette situation. Malgré tout, la jolie brune demeurait certaine des leçons apprises tout au long du chemin, et entendre de la bouche de Jamie qu’il semblait en avoir tiré des similaires la fit sourire. Un jour peut-être, tout ceci serait totalement derrière eux et, s’il était certain qu’Hayden n’oublierait jamais tout à fait la douleur, les peines et les moments de doute, elle demeurait persuadée qu’à terme, ils seraient capables d’en tirer plus de joie que de tourment. Ou du moins l’espérait-elle de tout cœur.
C’était presque ironique, de constater à quel point la jeune femme avait longtemps songé que la résolution de tous ses problèmes se trouvait à Londres, alors que Jamie avait cherché à y échapper pendant de nombreuses années. Il n’y avait pas que ce sujet précis qui les opposait, bien sûr, mais il s’agissait de celui qui surprenait toujours autant Hayden, même des années plus tard. Elle connaissait les démons que l’ancien rédacteur en chef avait laissé au cœur de la capitale londonienne, mais elle le connaissait suffisamment pragmatique pour avoir toujours songé qu’il parviendrait à dissocier les mauvais souvenirs des lieux où ils avaient pris naissance. Mieux valait tard que jamais, cependant, et Hayden ne pouvait que se réjouir de la décision de Jamie de renouer avec ses racines pendant quelques semaines, même si cela signifiait marquer une nouvelle pause dans le développement du tournant de renouveau que leur relation venait de prendre. Mais le temps était tout ce qui leur restait, après tout, et la comédienne supposait qu’ils n’étaient dorénavant plus à quelques années près.
L’heure était à la patience, donc, mais la comédienne ne dissimula nullement son soulagement en entendant Jamie lui confirmer son retour programmé, aussi égoïste ce sentiment puisse-t-il se révéler être. Il n’était pas question de promesses vaines, pas plus que de certitudes que l’éloignement de l’ancien rédacteur en chef n’allait pas finir par lui faire comprendre que le nouveau départ qu’il désirait tant s’offrir n’incluait pas Hayden dans l’équation. Il s’agissait d’un aspect des choses que la jeune femme ne perdait jamais de vue, la possibilité bien réelle qu’au fond, la hache de guerre enterrée ne débouche sur rien d’autre qu’une amitié nouvellement retrouvée. Mais au fond, et si cela signifiait qu’elle pouvait continuer à arpenter les promenades le long des plages au côté de Jamie, la comédienne estimait que ce sort n’était pas si mal, et cela ne signifiait pas que tout espoir était vain. Ce dernier continuait de s’exprimer tout autour d’eux, dans les rires des personnes qui les entourait jusqu’à la brise teintée d’iode qui respirait la liberté. Tout semblait plus simple, désormais, et le sourire doux qui étira les lèvres d’Hayden à l’entente de la proposition de l’ancien rédacteur en chef ne fit qu’affirmer plus encore la sérénité retrouvée que la comédienne embrassait à corps perdu. « Oh, dans ce cas, je ne peux que me féliciter des trois semaines de réflexion qui s’offrent à moi. » Elle marqua une pause faussement exagérée, mimant une prise de conscience soudaine qui la poussa à revenir sur ses propos. « Finalement, et puisque la vie est bien trop courte, j’ai la ferme intention de formellement accepter votre invitation à dîner. » Hayden en était là, à gentiment moquer le discours de Jamie, lorsque la collision se produisit. Plongés dans leur flirt adolescent, aucun des deux protagonistes n’avaient remarqué la présence de la fillette et de sa trottinette, et la jeune femme assista impuissante à sa chute. Le reste des événements se déroula bien trop rapidement pour qu’elle n’ait l’opportunité d’en changer le cours d’une manière ou d’une autre, mais sa rapidité d’esprit prit rapidement le relais. Quelques enjambées suffirent pour qu’Hayden ne rejoigne un Jamie dépité qui fixait le couple et leur enfant s’éloigner, et la comédienne n’écouta que son instinct en saisissant le jeune homme par le bras, l’entraînant à sa suite à la poursuite de la famille qui n’accueillit pas cette nouvelle interruption de bon cœur. « Excusez-moi, mon ami a oublié de vous donner quelque chose. C'est pour la petite, pour s'excuser de l'avoir fait tomber. » Hayden farfouilla un instant dans son sac à main, finissant par en extraire un stylo à l’aspect résolument banal, si ce n’était sa couleur vive et son extrémité à l’image d’un koala à la tête dodelinante qui attira instantanément l’attention de la fillette qui s’en saisit quelques secondes à peine après avoir demandé la permission à ses parents d’un air suppliant. Ces derniers finirent par serrer poliment la main au duo, et Hayden anticipa la réaction de Jamie en haussant vaguement les épaules. « D’accord, j’ai peut-être paniqué et pris la première chose qui me passait sous la main. C’est un peu vieux jeu et je suis presque certaine qu’il est gravé au nom de l’entreprise de Samuel mais, au moins, j’ai sauvé ton honneur. » Elle désigna d’un mouvement de tête la fillette redevenue souriante, et que l’on devinait jouer avec la fonction laser du stylo. « Quelque chose me dit que tu vas laisser un souvenir impérissable à ses parents. » La comédienne laissa échapper un petit rire, détachant finalement son regard des silhouettes qui disparaissaient dans la foule pour venir le reposer sur Jamie. « C’est peut-être une bonne chose que je ne sois pas mère de famille, finalement. Tu as vu mon manque flagrant de goût pour les cadeaux ? » L’habituelle dissimulation d’un véritable manque sous couvert de l’humour n’était jamais bien loin mais cette fois-ci, Hayden ne se sentait pas amère. Détendre l’atmosphère lui paraissait plus important que de s’apitoyer sur son propre sort – ce qu’elle ne faisait que très rarement, de toute façon. |
| | | | (#)Mer 1 Sep 2021 - 18:13 | |
| | ► so many songs we forgot to play
Can you imagine when this race is won Turn our golden faces into the sun
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Ils ne reprendraient pas là où ils s’étaient arrêtés. Les choses ne sauraient être aussi simples, elles ne l’étaient jamais. Mais ni Jamie ni Hayden n’en avaient envie, en réalité ; ils avaient au moins gagné cela en sagesse. Lorsque la comédienne s’en était allée, le Keynes avait perdu une amante, cependant il avait également dit au revoir à une amie. S’il voulait faire les choses dans l’ordre, il devait d’abord réparer les liens avec cette dernière avant d’espérer renouer sentimentalement. Il n’avait pas caché son affection, il ne comptait pas faire comme si de rien n’était ; il n’avait pas plus l’intention de forcer les choses, aller plus que vite et plus loin que ce que Hayden était prête à offrir -et ce que lui, dans sa condition toute nouvelle, avait également à proposer. Un dîner sonnait comme une bonne idée, un point de départ. Le connaissant, même si Jamie espérait faire simple, il rendrait les choses bien plus formelles qu’elles n’avaient besoin de l’être. Pas de déjeuner sur le pouce pour le Lord, rien de moins décent qu’un restaurant de standing, elle devait s’en douter. Elle accepta malgré tout, malgré le fait qu’elle nourrissait l’espoir en lui de reconstruire leur relation avortée probablement inconsciemment. “Vous m’en voyez absolument honoré.” fit-il, souligné d’une pirouette qui le menait irrémédiablement au drame. Il ne saurait dire si la petite fille s’était mise à pleurer tandis qu’il se précipitait vers elle pour s’assurer qu’elle ne s’était rien cassé. Il n’osa pas la toucher pour autant et laissa ses parents se charger d’inspecter les dégâts de son étourderie -lui-même n’aurait guère apprécié qu’un inconnu se permette de poser une phalange sur sa fille qu’importe les circonstances. Désarçonné, la petite famille s’éloigna plus rapidement qu’il ne l'eût réalisé et Jamie demeura là, bras ballants et mortifié, sans rien trouver à dire ni à faire. Hayden sentit visiblement qu’il était de sa responsabilité de corriger le tir. Le stylo à tête de koala parut être le bienvenu auprès de la fillette. Quant aux parents, ils partageaient le même air dubitatif que celui que l’on pouvait apercevoir entre les sourcils du Keynes. “Je suis à peu près sûr que Samuel te reprocherait d’avoir confié son merchandising à quelqu’un ne faisant pas partie de son cœur de cible. Un truc du genre.” L’esprit ultra-pragmatique, pour ne pas dire robotique, du cadet Siede recelait de ce genre de mystérieuse absence d’empathie. Et quand bien même lui serait-il expliqué en long, en large et en travers les motivations même purement spontanées de sa sœur, il ne verrait que l'irrationalité du geste. Néanmoins, le cadeau improbable faisait son effet. Comme par magie, toute égratignure semblait avoir disparue. La mère, en revanche, dégaina un dernier regard par-dessus son épaule en leur direction. “C’est l’effet que je fais souvent.” Qui dirait le contraire ? Quiconque ayant rencontré un jour le Keynes en gardait forcément un souvenir marquant. Cela ne signifiait pas que le souvenir était reluisant. Etait-ce parce qu’il avait piqué une colère en public pour quelque obscure raison ? Parce qu’il avait signé le plus gros chèque du bal de charité, autant par générosité que par égo ? Parce qu’il avait préféré arborer du crème lorsque tous étaient en noir car suivre le courant n’avait jamais vraiment été sa tasse de thé ? Il y avait bien trop de choses à dire à son propos pour quelqu’un qui prétendait aspirer au calme et à la simplicité. Maintenant que les victimes de sa maladresse s’en étaient allées, Jamie reprit la marche -dans le bon sens cette fois, leçon retenue. Loin d’être aveugle, il devina la pointe de regret entre les mots d’Hayden à propos de sa maternité inexistante. Il ne put s’empêcher de se dire que si les choses avaient été différentes entre eux, cette amertume n’aurait pas lieu d’être. Mais de fait, Louise ne serait pas Louise, et même la plus grande nostalgie ne pourrait lui faire souhaiter qu’elle n’ait pas existé au profit d’un autre bambin hypothétique. Hayden avait encore le temps, de toute manière. “C’est qu’un critère pour les pourris gâtés, il réagit à propos de son argument. Et puis de mon temps, on gagnait pas un stylo aussi facilement.” Cette simple phrase lui creusa une douzaine de rides supplémentaires, fit pousser une mèche de cheveux gris au sommet de son crâne et lui donna un lumbago. Bien sûr, le sarcasme était présent -mais fallait-il encore le préciser, lorsqu’on le connaissait ? “Tu ferais une bonne maman, t’en fais pas pour ça.” il ajouta, sincèrement cette fois. Et bien que le léger coup de coude qu’il donna à la comédienne pourrait faire passer le commentaire pour de l’humour, il n’en soulignait que la complicité. Finalement, ils arrivèrent au bout de la promenade, là où se situait le cabanon dont Hayden lui avait fait mention plus tôt. Malgré la légèreté affichée par le brun, l’appétit était restreint. Sa précédente conversation avec Joanne à la sortie du palais de justice continuait de le travailler dans un coin de sa tête. L’apaisement que Jamie ressentait, il le savait être de courte durée ; en réalité, cette journée n’était que la première d’une suite de bouleversements auxquels lui, elle, les enfants et même leur entourage allaient devoir s’adapter. “Le fish and chips a intérêt à être à la hauteur.” Il jugera des chips, elle du fish, et cela serait son second jugement le plus important de la journée.
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| | | | | | | | so many songs we forgot to play ☾ jamie |
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