@LENA EDWARDS & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ and it's the fame that put words in her mouth, she couldn't help, but spit em out around your crooked conscious she will wind, and it's a lot to ask and not to sting, giver her less than everything, innocence and arrogance intwined.

(FORTITUDE VALLEY, STARBUCKS). Finalement, le plus difficile dans l’annulation d’un mariage à quelques semaines de sa tenue, ce n’est pas d’avoir le cœur réduit en miettes.

Ce sont les dettes qui en découlent.

Naïf, Kieran a fait un emprunt susceptible de pénaliser ses propres enfants (mais à quoi bon se soucier de ce détail, puisqu’il aurait été mort avant qu’ils ne puissent lui en vouloir) ; étendu sur plusieurs années (décennies), il a vite compris que la valeur de son rein ne suffirait pas à offrir à Méduse la vie dont elle rêvait. La jolie maison de quartier, le beau mariage, l’éducation privée des enfants ; jamais il n’aurait pensé que la facture serait aussi salée. Mais, le cœur sur la main à défaut d’avoir de l’argent dans les poches, l’illustrateur s’est fié à la jeune femme et ses expériences dans la finance ; après tout, il n’avait personne vers qui se tourner dans son entourage pour ce genre de conseils. Dommage, car nul doute que ça lui aurait été d’une aide précieuse.

Alors le voilà, notre protagoniste, la trentaine à peine entamée et des dettes assurées jusque sur son lit de mort, pour une maison dans laquelle il ne vit plus, un mariage brisé avant même d’avoir eu lieu et les rêves d’enfants qui s’éloignent toujours plus. Le job alimentaire de professeur n’est pas des plus épanouissants ; la majorité de ses élèves sont bien plus intéressés par la perspective d’apprendre à taguer leur plus beau majeur que de parvenir à maîtriser le dégradé. Les contrats privés, eux, deviennent encore plus rares qu’ils ne l’étaient déjà. Peu enclin à se vendre correctement, la minuscule réputation qu’il parvenait à avoir sur les réseaux sociaux est tuée dans l’œuf par son manque évident de créativité des dernières semaines. Bien plus inspiré lorsqu’il s’agit de dessiner ses propres humeurs (peu joyeuses) que les petits bonheurs des autres, Kieran n’a plus la côte et passe la majeure partie de son temps libre devant la télévision au lieu de plancher sur ce comics auquel il rêve depuis des années sans jamais oser se lancer.

Aux grands maux les grands remèdes, il peut désormais ajouter la ligne « dessinateur de presse » à son C.V. pas bien imposant. Et loin d’être une fierté, l’ajout de ce job alimentaire est plutôt vu comme une régression ; et Kieran n’est pas fier d’avoir accepté la proposition d’un tabloïd de bas étage qui vise principalement à se vendre par le biais de scandales. C’est à l’encontre de ses valeurs et de son besoin de discrétion, mais ça paie le loyer, c’est ce que je ne cesse de lui répéter. D’autres sont tombés bien plus bas que ça, Kieran, alors tu n’as pas à t’en vouloir d’essayer de survivre. Le jeune homme appréciant la perspective d’avoir un toit sur la tête, ça vaut bien quelques sacrifices. Dont celui de dresser des caricatures peu flatteuses d’influenceuses pour un article mettant en avant les dérives de cette nouvelle profession. Drogues, scandales, monétisation de son corps, Lena Edwards était la cible privilégiée du rédacteur en chef lui ayant ordonné de dresser un portrait peu flatteur de la jeune femme. Complètement stone, à sniffer des rails sur son téléphone s’activant de notifications visant à féliciter sa chute au plus près des enfers. Une posture qu’il n’aurait jamais félicitée de lui-même pour la vivre de son côté ; mais en brave mouton obéissant, il n’a pas émis le moindre avis ni nuancé la caricature, ayant trop à cœur d’être dans les bons papiers de son patron pour continuer à supprimer les chiffres négatifs sur son compte en banque. Et puis, la jeune femme ayant plus d’un demi-million d’abonnés sur les réseaux, il est peu probable qu’elle s’intéresse au travail de bas étage d’un dessinateur méconnu, n’est-ce pas, Kieran ? C’est ce dont il essaie de se persuader, mais pour vivre les mêmes mésaventures que lui au quotidien, je peux lui assurer que le retour de bâton est inévitable et fera mal ; je ne sais pas quelles fées se sont penchées sur son berceau, mais le facteur « malchance » a été déversé en quantité. Alors je ne me surprendrais guère qu’il soit confronté à son dessin peu flatteur, pas directement par la principale concernée puisque cela me semblerait surprenant, mais bien par un de ses fans qui n’aurait pas apprécié l’article qui, en plus d’être racoleur, est particulièrement orienté. La neutralité de la presse n’existe pas ; il l’a toujours su, mais il y contribue désormais et autant dire que ce rôle n’est guère assumé par Kieran qui ne poste ainsi par ces dessins-là sur son compte Instagram, se contentant de partager son travail privé.

Mais ça paie les factures, qu’il ne cesse de se répéter alors qu’il pousse la porte de ce Starbucks en milieu de matinée. La vague d’étudiants et de fonctionnaires pressés passée ; il a l’assurance d’être à peu près tranquille pour le prochain sujet que son patron lui a demandé de croquer. Parfait modèle du cliché ambulant, il fait la queue pour un pumpkin spice latte (bien que je lui répète que c’est absolument dégueulasse et qu’il devrait cesser d’en consommer simplement parce que tout le monde en boit et que c’est à la mode). Il lorgne sur un donut au chocolat avant de se raviser en estimant que le prix justifie que le chocolat soit directement produit par Willy Wonka en personne – ce qui n’est pas le cas, conclusion : grosse arnaque. Et trop occupé à observer la façon dont on a massacré son prénom pour la énième fois (Keerane, merci pour lui), son regard ne se lève pas pour chercher une table libre alors qu’il avance de quelques pas, jusqu’à bousculer une silhouette sur son chemin. Là où d’ordinaire il aurait renversé la totalité de sa boisson sur sa pauvre victime, la chance semble être de son côté alors qu’il a son gobelet toujours bien en main.

Chance, que j’ai dit ?

Non, retour de karma serait bien plus approprié.

« Je suis vraiment désolé ! » Il s’exclame en relevant les yeux et... « Oh. » Parle, Kieran, dis quelque chose au lieu de faire ta plus belle imitation du poisson mort. « Vous êtes Lena Edwards, c’est... » Dingue, une blague, pas ma journée, une drôle de coïncidence, les options sont multiples. « ... cool. » Non, ça ne l’est pas, mais ça, elle n’a pas à le savoir. Il manqué de s’excuser une seconde fois, cette fois-ci pour sa caricature peu flatteuse, mais je lui souligne que ce serait une très mauvaise idée puisqu’il est peu probable qu’une femme comme elle ait pu s’intéresser à un type comme lui, quand bien même son portrait serait arrivé jusqu’à elle. Et puis, il est si insignifiant qu’il ne doit pas avoir sa tête sur google quand on cherche son nom, qu’il essaie de se rassurer. Oh, Kieran. Tu oublies que ton prénom et ton nom restent peu communs et que tu as fait les beaux jours d’une émission de télé-réalité pendant trois semaines, mettant à mal la discrétion que tu recherches toujours. Mais il fait fi de mon conseil en étant persuadé d’être suffisamment invisible aux yeux des autres pour qu’elle se contente de le prendre pour un stalker un peu paumé. « Ouais. Cool. Bonne journée et encore désolé. » Il se répète, tandis qu’il entreprend de lui passer à côté à la recherche d’une table libre, si possible isolée de toute autre présence humaine.

Sacoche sous le bras, premier dossier de la journée réglée, Lena se félicitait de son efficacité. Ces derniers temps, enfin, elle semblait pouvoir reprendre un rythme et une certaine sérénité bien méritée. Les chamboulements de ces derniers mois étaient loin d'être derrière elle, et il lui faudrait encore faire face à de nombreux affrontements, elle en était sûre, mais au moins, la blonde savait faire preuve de la maturité nécessaire pour séparer ces aspects de sa vie pour pouvoir se concentrer sur sa vie professionnelle. La journée était déjà bien entamée et elle s'apprêtait à retourner au bureau, mais avant, une pause s'imposait.

Alors qu'elle entrait à peine dans le café, elle n'eut même pas le temps de choisir laquelle de ces boissons surcotées elle allait bien pouvoir consommer puisqu'un inconnu vint littéralement lui foncer dedans. Je suis vraiment désolé ! Par réflexe, elle jeta un œil à ses vêtements, vérifiant que rien n'était venu tâcher la tenue qu'elle avait pris une heure à choisir ce matin. Une vraie réaction d'influenceuse superficielle, qu'on aurait pu croire, mais c'était en réalité plus par fainéantise de devoir nettoyer tout ça qu'autre chose. Puis, elle jeta son dévolu sur son agresseur du jour qui semblait, pour le coup, totalement confus. Je crois que j'ai rien, ça va ! Qu'elle tenta de le rassurer en souriant - et de se rassurer elle même, pas la même occasion. Oh. Il faisait la même tête que s'il avait vu un mort, le pauvre. Elle espérait qu'il ne s'était pas cogné ou fait mal, ou bien elle risquait encore de devoir l'accompagner chez un médecin pour vérifier que son crâne n'était pas atteint- elle n'en avait pourtant ni l'envie ni le temps. Vous êtes Lena Edwards, c’est... Il l'avait reconnue, voilà ce qui expliquait sa surprise. ... cool. Il semblait malgré tout désemparé de la situation, sans qu'elle ne comprenne trop pourquoi, jusqu'à ce que son visage ne finisse par lui dire quelque chose. L'écossaise préféra cependant ne rien dire. Des visages, elle en voyait des tas. Euh... c'est bien moi. Et... En règle général, les personnes qui la reconnaissaient lui posaient au moins une ou deux questions, tentaient de l'approcher pour prendre une photo ou qu'importe. Lui, il était juste sonné, et ne la laissait même pas terminer sa phrase, n'enlevant en rien l'air surpris que Lena arborait depuis quelques secondes déjà. Ouais. Cool. Bonne journée et encore désolé. Déjà il s'éloignait pour partir s'installer et boire ce qu'il avait failli déverser sur elle ; déjà elle se reconcentrait sur le panneau qui indiquait chacune des boissons qu'il était possible d'acheter ici. Pas de soucis, bonne jour... Ils auraient pu en rester là, et Lena n'aurait jamais plus repensé à cet instant insignifiant dans son quotidien. Cependant, son esprit fit enfin les connexions nécessaires pour replacer le brun dans un contexte, un son air niais et désolé lui sembla soudain bien faux. Kieran ? Qu'elle lançait sans même se retourner vers lui, réalisant à peine elle même qui elle venait de croiser. Vous êtes Kieran Halstead. Elle s'amusait à reprendre ses mots, cette fois ci en se retournant vers lui, toujours pas assis, toujours hésitant à trouver la place qui lui conviendrait le mieux pour siroter son café - si tant est que cette fois ci, précisément, elle était presque sûre qu'il aurait mieux fait de le prendre à emporter.

Lena n'était pas le genre de personne à être foncièrement attachée à son image. Bien entendu, entre son poste d'organisatrice d'évènements pour une grande société et sa deuxième vie sur les réseaux sociaux, elle avait une certaine tenue à avoir, se retrouvait forcée d'y prêter attention. Mais la superficialité et la capacité à se gérer une image de marque ce n'était pas un trait de caractère qui pouvait lui être donné. C'est tout ce qu'elle haïssait chez son père, qui l'avait forcée, enfant, à se montrer parfaitement éduquée et polie, comme une image de marque pour la famille Edwards. En réalité, l'image de Lena n'était que celle qu'elle était réellement. Sa bienveillance, sa mobilisation pour la cause animale, son humour aussi. Elle ne cachait rien - ou presque, s'affichant même peut-être trop, bien souvent. Lena, ce n'était pas non plus le genre de personne qui prenait le temps de voir ce que l'on disait sur elle ou de répondre à ses détracteurs - en là était, sans nul doutes, sa plus grande force. Lorsqu'elle avait été affichée sur de nombreux tabloïds dès sa sortie de l'hôpital pour son séjour pour overdose, bien sûr qu'elle l'avait mal vécu, bien sûr qu'elle s'était demandé ce que les gens pourraient bien penser d'elle. Mais ça lui était vite passée, sachant pertinemment que ce qu'elle offrait au monde n'était que la vérité ; qu'ils la prennent et l'aiment ainsi, ou qu'ils la haïssent et parlent d'elle, ça, ça ne l'importait pas au fond. Ce qui la touchait au plus haut point, en revanche, c'était ceux qui disaient qu'elle était fausse. Qu'elle n'était que superficielle, creuse. Ceux qui la jugeaient uniquement sur son passé, à revenir deux ans en arrière pour parler de ses problèmes de drogues, alors qu'elle n'avait, depuis là, donné aucune raison à ces personnes de relancer ce sujet. Ceux qui ne s'intéressaient qu'au scandale, en somme. Et même encore là, la blonde n'était pas friande de vengeance, à courir après eux puisqu'en somme, selon elle, cela ne ferait qu'envenimer la situation et justifier le fait qu'elle n'était qu'à la recherche de son prochain buzz.

Pourtant, il fallait bien croire que ce jour était son jour - ou celui de malchance du cher Halstead, qu'elle reconnu comme étant l'auteur d'une œuvre magistrale à son effigie, dépeignant tout ce qu'elle détestait le plus. Elle n'aurait jamais reconnu son visage dans une foule s'il n'avait pas participé à cette émission dont tout le monde parlait ces derniers temps ; malheureusement pour lui, c'était le cas ici. Et, malgré le caractère plutôt pacifique de l'écossaise en temps général, il faut croire que Kieran allait prendre pour tous les journalistes qui avaient prit Lena en joug depuis qu'elle était connue, c'était décidé. Alors, pas trop déçu de ne rien m'avoir renversé dessus ? Ç'aurait pu faire une chouette caricature, pourtant, "l'influenceuse écervelée pète un câble à cause d'un café renversé". Peut-être qu'elle en faisait trop - tant pis.

Je n’accompagne peut-être Kieran que depuis quelques mois en comparaison de l’ensemble de sa vie, mais j’ai néanmoins suffisamment été témoin de ses diverses mésaventures pour ne pas me surprendre de ce manque de chance qui le frappe aujourd’hui. En l’espace d’un peu moins d’un an, j’ai déjà assisté à de multiples maladresses de sa part ; autant dans sa manière d’aborder les autres (on se souvient du succès tout relatif de votre première rencontre avec Eve, Kieran, n’est-ce pas ?), que le double sens toujours involontaire de ses propos autant que son humour désastreux plus susceptible de vexer les autres que de les faire rire aux éclats. Et puis il y a le reste, cette manie qu’il a de toujours s’assommer sans bénéficier de l’aide de qui que ce soit ou tout simplement de se blesser alors même qu’il se connait suffisamment pour redoubler d’attention. Il a manqué de se noyer durant Race of Australia, il ne vérifie même plus les éraflures sur ses genoux et ses mains à force de courir après son bus le matin sans prendre la peine de regarder devant lui, de la même manière il ne compte plus les coups portés à sa tête par inattention. Il semble être voué à se ridiculiser constamment ; en démontre encore de nombreux extraits de ladite émission ou, plus dernièrement, ce flash-mob dans lequel il s’est retrouvé contre sa volonté autant que les nombreux quiproquos desquels il est à l’origine au quotidien de par sa naïveté.

Alors non, contrairement à lui, je ne me surprends pas que son karma ait décidé de se liguer encore une fois contre lui en mettant sur son chemin cette influenceuse dont il a dressé un portrait peu flatteur.

Pourtant, Kieran n’a personnellement rien contre elle. À vrai dire, il ne la connaissait même pas avant que son patron lui demande d’en faire sa cible – et peut-être est-ce ce qui l’a aidé à dresser une caricature aussi virulente. Je suis le premier à me surprendre de l’acceptation de ce poste qui nécessite d’avoir un certain second degré (qu’il ne possède pas) autant qu’un désir de provocation (qu’il ne possède pas plus). Foncièrement gentil, notre protagoniste n’est pas l’homme de la situation – pourtant l’aspect financier de la chose l’oblige à le devenir et comme trop souvent, il mue en fonction des désirs des autres, laissant de côté les siens. Pire encore, sa course à l’argent met à mal ses valeurs ; comme le fait de ne jamais blesser qui que ce soit. Car à entendre le ton froid dont elle fait désormais l’usage pour prononcer son identité, il est évident que la jeune femme n’est pas passé à côté de son œuvre et que celle-ci n’est probablement pas affichée au milieu de son salon. Acculé, le jeune homme reste figé, n’osant même pas adresser un regard à la jeune femme, comme l’enfant pris sur le fait qu’il est désormais du haut de ses trente ans. « Euh... non ? » Il rétorque dans un premier temps, bientôt convaincu par mes (faux) soupirs que là n’est pas la bonne solution. « Oui. » Il pince les lèvres en un sourire gêné, laissant le silence les envahir tandis que, comme trop souvent, son esprit dérive vers tous les scénarios susceptibles de se produire à présent. Spoiler alert : aucun ne lui est favorable.

Je perçois son angoisse qui grimpe, le grand dadais qu’il est menacé par une demi-portion – la scène peut prêter à sourire. Elle me fait sourire, d’ailleurs, je dois admettre, mais notre protagoniste rit bien moins et ainsi suis-je obligé de reprendre mon rôle qui est de le rassurer. Ce n’est pas bien difficile, en réalité ; d’après moi quelques explications seront suffisantes pour atténuer la froideur de la jeune femme à l’égard de mon pantin. Le principal concerné, lui, ne voit pas les choses ainsi et se remémore un élément des plus importants : la base de fans qu’elle possède, susceptible d’être lancée comme une arme de destruction massive contre lui. Il n’est pas sans ignorer le pouvoir des réseaux sociaux et des dégâts que ceux-ci peuvent causer – autant dire qu’il anticipe le fait d’en être la dernière victime. Ce serait un juste retour des choses, pense-t-il, mais je m’oppose rapidement à cette idée alors que je souligne qu’il n’a fait que son travail, comme elle fait le sien et qu’il serait ainsi mal venu de le lui reprocher. Et, il ne gagne pas des billets par milliers simplement parce qu’il pose une photo, lui.

Le silence autant que le suspense devient pesant pour notre protagoniste et je ne suis pas savoir que ses réactions sous la pression ne sont pas des meilleures ; elles sont même très souvent à l’origine de ces mêmes quiproquos évoqués plus tôt.

« Ça peut toujours se faire, vous savez. »

Qu’est-ce que je disais ?

Il est certain qu’il sera désormais plus compliqué de formuler des excuses, Kieran, si tu n’es pas capable d’y mettre du tien. Écarquillant les yeux en réalisant le poids de ses propos, Kieran finit par tendre sa boisson tout en affichant un sourire nerveux. « Euh, je veux dire, vous pouvez le renverser sur moi, si vous voulez, je-je comprendrais. »

Ce qui est bien avec Kieran, c’est qu’il me surprend toujours. Vous voyez, j’étais convaincu que malgré sa maladresse, sa réaction précédente démontrait d’une certaine assurance acquise depuis que je le côtoie. Force est de constater qu’il s’écrase toujours autant et qu’il aime vraiment beaucoup tendre l’autre joue, à croire qu’il aime ça. Dois-je me poser des questions ?

« Vous avez vu l’article. » Il finit par souligner l’évidence sur un ton plus calme – presque trop, presque désintéressé, mais ça, il ne s’en rend pas compte. Le but est d’exposer des faits ; de discuter entre adultes même s’il ne colle pas tout à fait à cette catégorie. « J’ai juste fait mon travail, ça n’a rien de personnel. » Il justifie, sincère ; avant de reprendre : « Je suis désolé si ça vous a blessé. » Et là-aussi il est parfaitement sincère, peu importe si elle ne le croit pas, dans quel cas il se sentira obligé de formuler des excuses jusqu’à ce qu’elle les accepte. À cet instant, Kieran regrette plus que jamais d’avoir pris cet emploi, conscient qu’il n’est pas fait pour lui et que malgré ses efforts, il n’arrivera pas à être celui qu’on attend. Et cet échec est effarant, parce qu’il s’ajoute à la longue liste de tous les précédents.

Euh... non ? Il questionnait lui même sa propre réponse, et Lena haussa un sourcil, surprise, un poil moqueuse. Elle l'avait reconnu, il le savait, et sa tentative d'esquiver la discussion était clairement minable. Oui. Il semblait presque déçu d'être lui même à cet instant précis, agaçant Lena de son air faussement innocent. Qu'il assume sans vouloir se défiler, ou il risquait de rendre leur échange encore moins chaleureux. Quelle était la probabilité pour que cette rencontre inopportune se produise ici, aujourd'hui ? Quelle était les chances pour que Kieran ne vienne prendre son café au même endroit que Lena, celle qu'il avait prit pour cible peu de temps auparavant ? Depuis un certain temps, la jeune femme s'était convaincue que rien n'arrivait par hasard. Une sorte de sécurité pour elle que de s'imaginer devoir suivre un chemin tout tracé. Certains diraient que ces sornettes ne les empêcheront jamais de prendre leur destin en main, d'écouter leurs propres décisions ; elle non. Elle commençait à croire dur comme fer que toutes les difficultés, aussi nombreuses aient-elles pu être dans sa vie, l'avaient forgée, l'avaient faites avancer. Elle n'en espérait pas moins que celles ci finissent un jour par cesser d'arriver au moment le moins propice ; s'il pouvait y en avoir ; mais sa rencontre avec son détracteur lui prouvait encore une fois qu'elle devait avoir raison. L'univers lui donnait l'occasion de se défendre.

Ça peut toujours se faire, vous savez. Alors qu'elle s'était jusqu'alors empêchée de se laisser submerger par la colère, son agacement s'amplifia d'un coup devant les provocations de Kieran. Il l'avait humiliée une fois, visiblement l'exercice avait dû lui plaire s'il était prêt à le reproduire ? Le regard de Lena s'assombrit très nettement. S'il voulait faire face à une influenceuse vengeresse en plein caprice, il aurait bien vite ce qu'il était venu chercher en continuant sur cette voie là. Pardon ?! Elle se retenait de vomir un flot de paroles qu'elle aurait sans doute regretté de retrouver dans la presse sous le titre merveilleux qu'elle venait d'offrir au jeune homme, et fut bien heureuse de ne pas avoir prononcer tous ces noms d'oiseaux qui lui passaient à l'esprit lorsque son interlocuteur fit volte face sur ses propos.  Euh, je veux dire, vous pouvez le renverser sur moi, si vous voulez, je-je comprendrais. Ça aussi, elle s'empêcha de le faire, pas assez hystérique pour réellement se lancer dans une telle confrontation. On notera que sa main droite était néanmoins machinalement partie en direction du café qui lui était si gentiment tendu, l'espace d'une seconde. Son léger bégaiement laissait entendre à Lena que le ton critique et hautain prit dans la caricature ne représentait pas réellement le caractère de son auteur, qui lui semblait à ce moment précis plus enfantin et timide qu'autre chose. Contrairement à ce que vous pensez de moi, je ne m'abaisse pas à ce genre de choses. Se permettait-elle de dire, le ton piquant.

Vous avez vu l’article. Bravo, Sherlock. La blonde soupirait, exaspérée parce qu'elle ne comprenait pas les intentions de son interlocuteur. Elle ne comprenait pas comment quelqu'un qui paraissait si peu sûr de lui pouvait être amené à se lancer dans de telles critiques sans connaître les sujets de celles ci. Son manque d'assurance ne ressemblait en rien aux journalistes qu'elle avait pu croiser jusqu'alors. J’ai juste fait mon travail, ça n’a rien de personnel. Il s'excusait bien plus sincèrement que prévu, laissant Lena abasourdie, s'étouffant seule dans ses bougonnements. Je suis désolé si ça vous a blessé. Le pseudo-artiste en rajoutait une couche, et sa mine innocente aurait presque réussit à calmer l'écossaise dans sa crise anti-journalistes de l'année. Parce que vous espériez que ça ait quoi comme répercussions ? Que ça me fasse plaisir ? Ses sourcils toujours haussés, elle divaguait entre agacement et incompréhension. Que je sache, j'ai jamais vu quelqu'un sauter de joie en voyant autant de conneries sortir sur soi, aussi jolis soient les dessins qui les accompagnent. Elle glissait un compliment et s'en rendait compte un peu trop tard, les mots déjà prononcés. Elle ne pouvait qu'espérer qu'il ne retienne pas cette partie de son discours. Vous par exemple. Vous apprécieriez qu'on vous colle l'image d'un pauvre type qui n'a tellement rien d'intéressant dans sa vie qu'il se retrouve à jalouser celles des autres ? Peut-être étais-ce vrai pour le coup, elle n'en savait rien. Mais le caricaturiste caricaturé, ça aussi ç'aurait fait un bon titre dans la presse.

C’est tellement plus facile dans les films.

C’est très exactement ce que Kieran se dit alors que l’air renfrogné de la jeune femme ne laisse guère place à l’imagination quant à ce qui l’attend. Au mieux, une remise en place et une humiliation en bonne et due forme au milieu des badauds qui se délecteront du spectacle qui sera l’excitation brève d’un quotidien morne. Au pire, un coup de poing qui vaudra mille mots ou une quelconque menace de poursuites judiciaires qui saura lui faire regretter d’avoir accepté ce boulot moins d’un mois après son engagement – un record, bravo Lena, merci Kieran.

Alors, oui, Kieran. C’est évidemment plus facile dans les films, le problème étant que ta vie n’en est pas un et qu’il faut assumer les conséquences de tes actes.

Et Dieu sait qu’il aimerait pourtant être dans une œuvre de fiction – comme il le souhaite de manière perpétuelle, en réalité – car si cela était le cas, la solution à cette situation serait toute trouvée : il parviendrait à manier les mots avec aisance et sarcasme pour que le combat ne soit pas aussi inégal qu’il semble s’annoncer.

Ça, c’est pour la partie attaque.

Parce que je ne vous apprends rien si je souligne qu’il y a deux réactions face au danger. Et bien évidemment que Kieran préfère la fuite. Alors, bien sûr, il est compliqué d’y opter de manière physique au risque d’être parfaitement ridicule à courir hors de ce café avec un équilibre tout relatif – d’autant qu’on ne va pas se mentir, je le connais et je sais que la précipitation lui fera oublier certains détails susceptibles d’accentuer son humiliation ; comme le simple fait de penser à ouvrir la porte.

Il pourrait m’écouter, il pourrait se confronter à la jeune femme ; à défaut il se contente de proposer cette alternative. Après tout. Un peu de café bouillant n’a jamais fait de mal à personne, n’est-ce pas ? (Si, ça fait mal, justement, un détail qu’il met de côté parce qu’il est comme ça, Kieran et que si vous lui demandez gentiment qu’il sacrifie un doigt pour tester votre nouvelle scie circulaire, il le fera avec plaisir plutôt que de prendre le risque de vous contrarier).

« Pardon ?! » La proposition n’est pas accueillie avec l’enthousiasme qu’il espérait ; il s’en attriste, je m’en réjouis. Peut-être est-ce une erreur de formulation, qu’il songe et il ne peut s’empêcher de réitérer la demande – à croire qu’il a une sérieuse envie de se faire brûler au second degré. Dieu merci, Lena refuse, non sans justifier ceci de façon à donner à notre protagoniste l’envie soudaine d’être enterré vivant. Bon, à défaut, vous remarquez qu’au moins, il le serait en un seul morceau et avec une peau intacte, ce qui est déjà un progrès considérable en l’espace de quelques minutes. « Oh, d’accord. » Attendez, c’est qu’il aurait presque l’air déçu ? Je ne sais vraiment plus quoi faire de toi, Kieran. « J’ai juste pensé que... peut-être, ça vous aurait fait du bien. » Alors bien sûr, il aurait aussi pu lui proposer de simplement lui coller une gifle, mais son nez à peine remis de sa fracture il n’est pas certain que cela aurait été apprécié (je te confirme, Kieran, ton nez autant que moi n’aurions vraiment pas apprécié le geste).

Finissant pas verbaliser l’évidence dans l’espoir d’entamer une conversation entre adultes (enfin, il s’agit de mon espoir, je vous rappelle que celui de Kieran vise à quitter les lieux rapidement), c’est également l’occasion pour lui de glisser des excuses brèves, mais néanmoins sincères. Elle ne le sait pas et ne peut guère le savoir, mais bien évidemment que l’attaque n’avait rien de personnel. Néanmoins, sur la balance de ses priorités, le fait d’éponger ses dettes a gagné face au maintien de certaines valeurs. « J’espérais que vous seriez trop occupée pour vous intéresser à un article dans un journal de bas étage. » Il admet en haussant les épaules. Dans son imaginaire, la jeune femme n’a pas une minute à consacrer à un quelconque journal, trop occupée à vivre sa vie de rêve. Si seulement. « Les conneries ne viennent pas de moi, je me suis contenté de les dessiner. » Est-ce vraiment une précision nécessaire ? Certainement que non, mais il est désormais trop tard pour regretter celle-ci. Autant qu’il est trop tard pour regretter d’avoir voulu donner encore plus d’argent à une multinationale – s’il avait été dans un café de quartier, il n’en serait pas là non plus. Et j’ai beau essayé de le raisonner quant au fait que la situation ne semble pas aussi fermée qu’il le croit, rapport à ce compliment glissé qu’il ne peut pas prendre en considération de par le fait qu’il n’envisage pas qu’il puisse être sincère, Kieran est persuadé que la situation ne peut guère être améliorée. « Probablement, oui. » Qu’il rétorque quant à sa question – et je ne crois pas que cela était la réponse attendue, Kieran ni que la justification à laquelle tu songes soit la plus appropriée. « Enfin, non. » C’est mieux. Tu es prié de t’arrêter là, Kieran. « Mais ce serait véridique alors je ne pourrais pas m’en plaindre. » Bien. Je note que tu ne retiens définitivement aucune leçon. Quel intérêt de lui partager un tel détail ? Pour qu’elle t’affiche comme tu l’as fait, sauf qu’elle utilisera son public de milliers de followers et que tu peux tirer une croix sur ta carrière si tu te fais griller par une influence comme elle ? « Je... » Se rendant compte de ce malaise dans lequel il s’enterre sans son aide, il se reprend rapidement. « Écoutez, je vous l’ai dit. Que ça vous plaise ou non, que ça me plaise ou non, je suis payé pour ça et je dois faire ce qu’on me demande. » Et pour le coup, ce n’est pas écrit en petits caractères sur le contrat, mais en lettres scintillantes police 18. « Je pense, et j’espère, que ça n’a pas dû avoir trop d’impact sur vos abonnés ou vos contrats. » Il souligne, avec un léger sourire pour accentuer le fait qu’il ne pense pas à mal, malgré tout ce qu’elle peut croire. « ... N’est-ce pas ? » Qu’il finit par ajouter, le sourire qui diminue et l’inquiétude qui s’accentue ; il ne manquerait plus que ça et dans quel cas il n’est pas certain que la balance puisse continuer à peser en défaveur de ses propres valeurs.

« Oh, d’accord. » Qu'il lançait en étant presque déçu de ne pas se faire brûler le visage avec son café. « J’ai juste pensé que... peut-être, ça vous aurait fait du bien. » Elle fronça les sourcils, surprise de sa répartie, ne sachant pas quoi répondre. Sans doute qu'il avait raison ; que ça lui aurait permis de lâcher les nerfs rien qu'un instant, mais elle ne s'abaisserait pas à ça. « J’espérais que vous seriez trop occupée pour vous intéresser à un article dans un journal de bas étage. » Occupée elle l'était, surtout que c'était loin d'être son genre de chercher absolument à savoir tout ce qui pouvait se dire sur elle. Il n'avait pas eu de chance, et c'est tout. « Les conneries ne viennent pas de moi, je me suis contenté de les dessiner. » Au moins il admettait avoir raconté des mensonges. Ce qu'elle appréciait moins était sa façon de se déresponsabiliser, et à cela elle répondait en l'attaquant, lui demandant comment il aurait réagit si la situation avait été à l'inverse. « Probablement, oui. » A chacune de ses réponses absurdes Lena fronçait les sourcils. Et l'instant d'après, il changeait son fusil d'épaule, sans doute conscient de ne pas être cohérent. « Enfin, non. » Comme tout le monde. « Mais ce serait véridique alors je ne pourrais pas m’en plaindre. » Son honnêteté surprenait toujours plus la blonde, qui s'en serait presque voulue d'avoir touché aussi juste. « Écoutez, je vous l’ai dit. Que ça vous plaise ou non, que ça me plaise ou non, je suis payé pour ça et je dois faire ce qu’on me demande. » Tentait-il de se justifier, de se dédouaner de la chose. C'est pourtant bien son nom qui figurait sous l'illustration caricaturale de l'écossaise, et c'est pourtant bien lui qu'elle avait dans son collimateur à l'instant. Que c'est triste d'être contraint à faire des choses auxquelles on ne croit pas pour de l'argent. Elle s'exprimait avec un air de dédain peu habituel pour elle. C'était pourtant malheureusement le cas de la majorité des gens sur cette terre, et la blonde était bien consciente de la chance qu'elle avait de pouvoir faire ce qu'elle aimait pour gagner sa vie. Mais Kieran était en dessous de tout pour elle, qui ne pouvait comprendre comment on pouvait croire à sa réussite en profitant de critiques sur quelqu'un d'autre. Il semblait pourtant sincère dans ses explications et elle pouvait presque entendre les remords dans sa voix. « Je pense, et j’espère, que ça n’a pas dû avoir trop d’impact sur vos abonnés ou vos contrats. » Lui souriait légèrement, tentant sans doute de montrer sa bonne foi ; elle était outrée de sa remarque pour mille et une raisons. « ... N’est-ce pas ? » Elle prit une grande inspiration, se retenant de déverser un flot de paroles qu'il ne méritait sans doute pas d'entendre - non, malgré tout, il n'était pas coupable de tous les malheurs de l'humanité. Parce que les seuls soucis dans tout ça sont mes abonnés et mes contrats ? Au grand damn de Kieran, il avait lancé un sujet pour lequel Lena se battait à chaque instant. Elle qui avait déjà été victime de harcèlement suite à la nouvelle de son overdose, elle qui avait vu des personnes de son entourage subir trop de choses à cause des médias ne pouvait laisser quelqu'un réduire des personnes à leurs contrats. Êtes vous au moins au courant que derrière tout ça se cachent des vrais personnes ? Elle se surprit elle même à hausser quelque peu le ton, réussissant à faire une brève pause pour ne pas enrager - surtout que des regards intrigués commençaient à se figer sur elle. Je suis assez solide pour supporter et savoir que ces conneries ne sont que ça. Avait-il entendu des choses sur son passé ? Connaissait-il ce par quoi elle était passée ? Si c'était le cas, elle aurait presque pu comprendre que son image à elle était faussée à ses yeux. Elle aurait presque pu l'excuser de sa naïveté, vu tout ce qu'on avait déjà pu lire sur elle dans les médias ; vu le portrait qui lui était dressé depuis quelques temps déjà. Mais on a déjà vu des gens se faire du mal pour moins que ça. Bien sûr que son ton était dramatique, bien sûr qu'elle en faisait peut-être un peu trop. Sur l'instant, c'est pourtant la seule chose qu'il lui semblait légitime de faire. A travers tout ça, peut être bien qu'elle éviterait un drame à l'avenir - ou peut-être que le rôle de super héroïne qu'elle venait de se coller elle même lui donnait l'impression d'avoir une mission pour rien. J'espère au moins que ce ne sera pas votre cas après notre rencontre, ça vaut pas le coup non plus. Avait-il des torts ? Oui. Voulait-elle qu'il culpabilise un peu ? Oui aussi. Mais méritait-il de se torturer ? Sans doute que non, et pourtant, au vu de son air naïf, elle craignait que ce soit ce qu'il ne fasse.

Elle ne veut pas lui renverser son café brûlant sur le visage ; il râle, je respire (si tant est que cela me soit réellement possible). Je pourrais faire la liste des innombrables raisons pour lesquelles cette décision nous est favorable (à chaud – littéralement – pensons notamment aux frais médicaux qu’il s’épargne, autant que les jolies brûlures qui ne parsèmeront pas son visage que cette humiliation publique qu’il s’évite), mais Kieran ne voit pas les choses sous cet angle. À acte fallacieux, punition à la hauteur selon la vision du monde du dessinateur et ce café brûlant n’aurait été que le juste prix à payer pour la colère dans laquelle il semble avoir plongé cette femme, visiblement outrée par son travail – qui ne le serait pas, ceci dit ? Les accusations pleuvent ; les justifications s’enchaînent alors que le jeune homme ne voit aucune porte de sortie à cette situation détestable. Je ne peux m’empêcher de souligner que pour quelqu’un qui aime être invisible, ce boulot n’est pas vraiment le plus adéquat, Kieran, mais encore une fois la valeur de l’argent est bien plus importante que ses valeurs morales. « Que c’est triste de ne pas toujours avoir le choix pour s’en sortir. » Les mots s’échappent d’entre ses lèvres avec une précipitation que j’ai forcée et qu’il aurait souhaité retenir ; son ton n’est pas agressif, mais notre protagoniste les perçoit comme tel, tandis qu’il ravale sa salive alors que je l’empêche de s’excuser. Ou plutôt, il l’a déjà fait, quel intérêt de réitérer en espérant qu’elle comprendra plus facilement au bout de la dixième fois qu’à la première ? Si Kieran imite à la perfection le disque rayé, j’existe principalement pour contrer ses vieilles habitudes ; il est temps de se renouveler et si je ne suis pas dupe au point de croire qu’il assumera chacune de ses (mauvaises) décisions en un claquement de doigts, je peux au moins espérer qu’il cesse de les justifier à longueur de journée. Si l’opinion de Kieran n’est pas aussi tranchée que la mienne, de mon côté je ne peux m’empêcher de trouver ironique, la manière dont elle critique sa façon de faire. Bien sûr qu’il est facile pour elle d’émettre un tel avis sur la question, quand l’argent semble tomber du ciel en quantité déraisonnable alors que d’autres n’ont rien. Ne me jugez pas, je me doute que derrière la vie parfaite qu’elle montre sur Instagram, il y a du travail (écoutez, je fais au mieux pour ne pas être trop incisif, laissez-moi l’ironie, merci), mais le fait est que ses revenus sont assurément supérieurs à ceux de Kieran et que ce n’est pas elle qui doit accepter le premier job venu dans l’espoir de ne pas se faire virer de son appartement parce qu’elle a voulu prendre en charge le mariage dont rêvait sa moitié alors même qu’elle n’avait déjà pas un sou de côté auparavant. Alors si la blonde peut se permettre d’avoir la critique aussi facile, qu’est-ce qui m’empêche d’en faire de même ? Bien sûr, cette critique s’exprime à travers la voix de Kieran et c’est lui que je mets dans de sales draps, mais face à la situation qui le fait évidemment paniquer, je sais aussi qu’il me laisse plus facilement le contrôle et qu’arrivera bien un moment où il ne s’écoutera plus pour m’écouter moi et uniquement moi. Et mes avis bien tranchés, mon cynisme presque agressif, qui l’empêcheront de continuer à prendre l’avantage comme elle le fait.

Bien sûr, cette perspective tient lieu de scénario parfait et je devrais savoir depuis le temps que rien ne se passe jamais comme prévu avec le Halstead.

Le dédain se transforme en agressivité, les réflexions en faits avérés ; les abonnés et les contrats n’ont aucun poids face aux conséquences psychologiques qui peuvent découler d’un tel article. Certains vous diront qu’il ne s’agit que d’un tabloïd en quête de ventes et qu’à ce titre il n’y a aucun crédit à lui accorder, mais je sais aussi qu’en termes de dommages psychologiques, Kieran en connaît un rayon – moi aussi, sinon je n’existerais pas – et que le sujet ne nous fait plus sourire. Ni lui, dont les traits se figent, ni moi, mettant mon hostilité et mes provocations de côté. Je suis sans voix – au sens propre, certes, mais surtout au sens figuré. « Oui, oui, bien sûr, je le sais. » Qu’il souligne avec gêne, tandis que son regard glisse autour de lui lorsqu’elle élève le ton. La curiosité des clients commence à être piquée, des regards s’attardent sur eux et, à cette évidence, Kieran commence à paniquer. « Est-ce qu’on peut... sortir, ou au moins s’asseoir ? » Qu’il finit par demander, mal à l’aise de toute cette situation. Certes, les regards sur lui sont déplaisants, mais ce sont aussi les paroles de la jeune femme qui le touchent en soulignant ces détails auxquels il n’avait pas pensé au préalable. Et pour ce que ça vaut, moi non plus, Kieran, alors nous sommes deux dans le même bateau. « Je-je n’ai jamais... » Voulu ça. Voulu faire du mal aux autres. Et pourtant, c’est ma spécialité, qu’il songe, alors que j’essaie de contrer cette idée, pourtant accentuée depuis quelques semaines par tous ceux qui le côtoient de près ou de loin. « Je n’ai pas pensé à ça. » Qu’il finit par admettre. À ses yeux, ce ne sont que des caricatures sans intérêt fait par un type sans intérêt, pourquoi leur accorder de l’importance ? À mes yeux, je fais réaliser au jeune homme que si les rôles avaient été inversés, il aurait été de ceux qui s’avèrent moins solides – réflexion face à laquelle il préfère d’ailleurs rester muet. Il aurait voulu ajouter une fois encore qu’il n’était pas responsable de l’article, mais seulement d’une foutue illustration, sa première et peut-être sa dernière, si les remords le rongent autant. « Vous auriez pu vous faire du mal ? » Il questionne, probablement trop intrusif et pas assez à l’écoute, qu’elle va croire, alors qu’il précise rapidement : « Enfin, vous dites que vous êtes assez solide, maintenant, mais... » Mais quoi, Kieran ? Est-ce que tu veux vraiment la réponse à cette question que tu n’oses pas poser ? « Laissez tomber, c’est trop personnel, désolé. » Il finit par plonger son regard sur sa boisson qui refroidit sans oser soutenir celui de Lena – comme trop souvent avec le jeune homme. « J’ai besoin de ce boulot. » Elle ne peut probablement pas comprendre de sa position privilégiée, mais il ne peut pas tout envoyer valser en un claquement de doigts. Ce serait compromettre bien trop de choses – mais est-ce que cela vaut de compromettre ton intégrité, Kieran ? « Je-je ne peux pas vous faire d’excuses officielles ni démissionner, mais je vais faire attention, je vous assure. » Autant dans ses coups de crayon que dans ses propres jugements ; car être mis devant le fait accompli lui fait admettre une vérité qu’il cachait derrière ses justifications : difficile d’être totalement neutre sur l’histoire de la jeune femme lorsqu’elle fait autant écho à la sienne, mais ça, il ne le dira pas et c’est une justification qui restera entre lui, moi et vous.  

« Que c’est triste de ne pas toujours avoir le choix pour s’en sortir. » Il avait plus de répartie qu'il n'en avait eu jusque là, et sa réponse interpella Lena. Elle était consciente de la chance qu'elle avait, mais s'était donné du mal pour être ce qu'elle était devenue, et bien souvent les gens avaient tendance à l'oublier. Elle ne rebondit pas ce sur point, estimant qu'il ne connaissait pas son parcours au même titre qu'elle ne savait rien du sien ; mais préférait le piquer sur un autre point primordial à ses yeux. « Oui, oui, bien sûr, je le sais. » Au moins il était au courant que derrière l'image dans les médias se cachaient des âmes sensibles, capables d'avoir des émotions et de subir le monde dans lequel ils vivent. Bien. Ça n'empêchait pourtant pas la blonde de hausser le ton, s'énervant d'autant plus sur ses actes maintenant qu'elle savait qu'ilé tait doté d'un coeur et d'une conscience lui même. Des regards intrigués se tournaient vers eux, et bien qu'une scène aurait pu être intéressante pour lui à caricaturer, il proposait de fuir les spectateurs indiscrets. « Est-ce qu’on peut... sortir, ou au moins s’asseoir ? » Elle regardait autour d'elle et décida que les regards étaient effectivement trop indiscrets pour poursuivre ici, debout au milieu de la pièce. Elle le suivait à une table, frustrée de ne pas avoir encore commandé de café ; ravie de pouvoir continuer à argumenter avec l'Halstead. Et à tout cela elle ajoutait qu'il faudrait songer à penser aux esprits plus faibles qui auraient pu se faire du mal à cause de ce genre d'articles. « Je-je n’ai jamais... » Il balbutiait, elle levait les yeux au ciel. « Je n’ai pas pensé à ça. » Elle opina du chef l'air sarcastique, mais n'en pensait pas moins. C'est pourtant la première chose à laquelle un esprit censé penserait. Venait-elle de l'insulter ? A demi mot seulement, et pas intentionnellement. Elle croyait de plus en plus sincèrement en la bonne foi de cet homme, mais avait toujours du mal à comprendre ses réactions infantiles. Mais encore une fois, Kieran la surprit. « Vous auriez pu vous faire du mal ? » Son air interloqué montrait très clairement à quel point elle ne s'attendait pas à cette question, à quel point aussi elle n'avait aucune idée de la réponse. Oui, elle avait eu un incident qui l'avait menée à l'hôpital plusieurs semaines durant. Mais peut-on réellement dire que l'overdose qui l'avait menée là était intentionnelle ? Dans l'objectif de se faire du mal ? « Enfin, vous dites que vous êtes assez solide, maintenant, mais... » Elle eut comme un mouvement de recul, désemparée. « Laissez tomber, c’est trop personnel, désolé. » Elle aurait pu s'ouvrir et répondre à la question, mais son volte face l'en dissuadait à l'instant. Oui, ça l'est. Devrait lui suffire comme réponse. « J’ai besoin de ce boulot. » Sur ce point elle n'insisterait plus, ayant bien compris qu'il ne s'était mis dans cette situation que par nécessité et non par choix ou besoin de rabaisser de parfaits inconnus. « Je-je ne peux pas vous faire d’excuses officielles ni démissionner, mais je vais faire attention, je vous assure. » Des excuses officielles ? C'était plutôt de mise pour des personnes politiques, ce qu'elle n'était pas et ne comptait jamais devenir. Concernant sa démission, l'écossaise n'y avait pas songé, et elle fronça les sourcils en entendant ce mot. Comment pouvait-il avoir pensé que c'est ce qu'elle recherchait ? En fait, elle même ne savait pas trop quel était son objectif ici - mis à pars mettre cet homme mal à l'aise intentionnellement. Je... bien sûr que non vous n'allez pas démissionner. Et bien sûr que je ne m'attend pas à des excuses, personne ne fait plus ça. Mais faire attention me paraît déjà bien. Lena commençait à se calmer un peu, à reprendre un ton décent et acceptable, faisant se détourner enfin les yeux des curieux qui les observaient maintenant depuis quelques bonnes minutes. Vous m'avez l'air de bonne foi, vraiment. Je m'excuse mais c'est sur vous que mon agacement est tombé, vous devez comprendre qu'à force.. tout ça est usant. Son changement de comportement soudain pouvait sembler surprenant, mais il s'accompagnait surtout d'une remise en question. Le brun avait prouvé au fil de la discussion qu'il n'avait jamais eu l'intention de nuire, et, pour ce que ça valait, Lena le croyait. Et pour être franche, j'aurais pu très mal le vivre il y a quelques temps. Je l'ai mal vécu. C'est pour ça que tout ça me.. dégoûtes. Elle ne pouvait se montrer plus honnête qu'à cet instant précis.

Si son regard oscille entre la jeune femme et la porte derrière elle, ce n’est pas parce que le soleil attire son attention, mais bien parce que cette échappatoire l’attire plus qu’elle ne le devrait. Il n’a jamais aimé les situations conflictuelles, Kieran et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle alors que le ton froid de la jeune femme ne laisse pas placer à la discussion. Bien, qu’elle dit et il ne peut s’empêcher de se poser mille et une questions, comme il le fait d’ordinaire. Bien, elle le croit ? Bien, elle se moque de lui ? Bien, elle n’est pas du tout convaincue par les arguments qu’il avance ? Je sais qu’il se triture l’esprit bien plus qu’il ne le devrait et il ignore comment il doit interpréter ce qui semble être la conclusion à cette partie de la conversation (peut-on vraiment parler de cela, en sachant qu’il s’agit plus d’une écoute de sa part concernant les reproches qu’elle peut lui faire ?). Car il est vrai que Kieran écoute avec attention tout ce qu’elle peut lui dire, conscient d’être un imbécile. Pas uniquement pour lui faire plaisir, mais surtout parce qu’il s’agit de la vérité : tout ce qu’il souligne, il n’y a pas pensé un seul instant. Ce n’est pas qu’il ne le voulait pas, ce n’est pas qu’il minimise ce genre de conséquences (il serait bien mal placé pour cela), seulement cela n’aurait pas pu servir ses propres avantages. Et si j’appréciais qu’il se montre égoïste pour une fois dans sa vie, cette jeune femme ne fait que mettre en évidence à quel point cela ne lui réussit pas. Il s’en veut, inévitablement, alors qu’il ne sait plus vraiment comment se comporter. Il prend toujours des pincettes avec autrui, mais à cet instant, il n’en a plus en réserve : tout ce qu’il pourra dire ou faire sera retenu contre lui. Et la jeune femme n’est pas la seule avocate du diable alors que les regards se retournent vers eux et que je le sens terriblement mal à l’aise, au point de verbaliser son besoin de s’éloigner. À sa grande surprise, elle accepte, ce qui les amène à s’isoler, mais être à l’abri des regards ne facilite pas pour autant cet échange alors qu’elle se fait l’autrice d’une énième pique. Et si jusqu’ici je dois reconnaître que le combat de cette Lena est parfaitement compréhensible et que je le félicite (et qu’à vrai dire, je suis sûre qu’ils pourraient être de meilleurs alliés que des ennemis), je ne peux pas prendre parti pour elle alors que je suis aux premières loges du malaise de Kieran. Il s’est trompé, il est stupide et il n’est définitivement pas doté d’un esprit censé, c’est une certitude qu’il a depuis des années et qui ne fait que se confirmer aujourd’hui. « Oh, oui, oui, c’est sûr. » Pardon, qu’il manque d’ajouter, avant de se reprendre, pour une question qui lui semble de première nécessité à cet instant. Est-ce qu’elle aurait pu se faire du mal ? Est-ce que si elle n’avait pas été aussi forte qu’elle ne l’est aujourd’hui, les choses auraient été différentes pour elle ? L’air sur son visage lui suggère aussitôt que cette curiosité est déplacée. Abort mission, abort mission. Et là encore, la confirmation ferme de la jeune femme le laisse interdit alors que je suis témoin des centaines de questionnements qui se bousculent dans sa petite tête. À cet instant, je crois que ni lui ni moi n’avons d’arguments pour sortir de cette situation, à part une tentative de s’excuser à nouveau et l’assurance d’éviter que cette situation se reproduise. On pourrait croire qu’il le souligne uniquement pour apaiser la colère de Lena, mais Kieran est sincère dans sa démarche. Tentant un sourire (forcé) quand elle admet que c’est déjà bien, cela n’enlève pas le malaise du dessinateur, alors qu’il peine à soutenir son regard, quand bien même le ton de sa voix est plus engageant. « C’est pas grave. Je peux comprendre. » Ou essayer, du moins, bien sûr qu’il n’a pas la vie qu’elle mène et qu’il n’en sait rien si cela est effectivement usant ou non. « Surtout que ça provient d’imbéciles qui ne savent pas de quoi ils parlent. » Il ne s’était pas beaucoup renseigné sur elle et tout ce que son directeur lui avait dit était suffisant pour qu’il ne daigne pas faire plus de recherches et s’épargne une opinion encore plus biaisée qu’elle ne l’était à l’origine. « Ça vous arrive souvent, alors ? » Il s’ose à questionner, la certitude qu’elle ne lui renverse pas sa boisson sur la figure. « Oh. » Qu’il laisse échapper par la suite, pris au dépourvu lorsqu’elle répond à sa question précédemment posée de façon hésitante. Il ignore la manière dont il est supposé réagir alors qu’elle fait preuve d’une telle honnêteté, bien évidemment déstabilisé par le fait que ses fautes soient accentuées, une certaine culpabilité autant qu’une évidente inquiétude concernant la jeune femme. « Je réalise que j’ai beaucoup à apprendre sur le sujet. » Oh, vraiment ? Pourtant, il ne faut pas grand-chose de plus qu’un regard dans le miroir, Kieran. « Mais je suis, euh... tant mieux si c’est derrière vous. » Il voudrait presque lui dire qu’il est heureux pour elle, s’en empêchant en réalisant que cette familiarité serait probablement mal perçue. Tout ce qu’il peut souligner est le fait qu’elle ne semble pas être ce qu’elle paraît ; mais puisqu’elle ne semble plus décidée à s’énerver contre lui, inutile de lui donner de nouvelles raisons de le faire simplement parce qu’il vit dans un monde de clichés qu’il est difficile de déconstruire.

« Oh, oui, oui, c’est sûr. » Son innocence et l'acceptation des dires de la blonde sans rechigner une seconde l'agaçaient encore plus sans doute que toute cette situation en elle même. Si elle s'en était prise à lui dans son élan de vendetta annuel, c'est qu'elle avait besoin d'en vouloir à quelqu'un à cet instant précis et Kieran était l'accusé parfait pour elle. Elle avait ses raisons, bien sûr, et son combat était tout à fait justifié. Mais la véhémence dont elle avait pu faire preuve un peu plus tôt n'avait pas été nécessaire et elle s'en rendait bien compte désormais, ceux malgré ses yeux qu'elle levait encore une fois au ciel alors que son adversaire au combat s'écrasait une nouvelle fois face à elle. Non, il n'y avait pas à dire, elle préférait nettement lorsqu'il y avait une répartie intéressante. Mais au lieu de ça elle se retrouvait avec un interlocuteur inquiet de ce qu'elle aurait pu se faire, du danger qu'elle aurait pu encourir à cause de toute ces mascarades médiatiques et d'image. Question personnelle, trop personnelle pour Lena qui s'empressa de lui faire remarquer. Elle n'avait pas à lui donner d'explications et ne comptait pas le faire, il ne méritait pas de connaître ce genre de détails sur sa vie, lui qui s'était amusé d'en dépeindre une image complètement faussée. « C’est pas grave. Je peux comprendre. » Il était encore une fois compréhensif, encore une fois de son côté, encore une fois trop gentil pour être vrai. « Surtout que ça provient d’imbéciles qui ne savent pas de quoi ils parlent. » Elle ne pu s'empêcher de laisser s'échapper un rire sarcastique. Se rendait-il au moins compte de l'ironie de la situation ? Se rendait-il compte du fait qu'il n'avait aucune crédibilité dans ses propos, qu'il ne passait que pour une pauvre âme perdue dans un monde trop compliqué pour lui ? A qui le dites vous. Qu'importe, il réitérait sa question, décidément déterminé à comprendre ce qui traversait l'esprit de l'influenceuse, bien qu'il était un peu tard maintenant. « Ça vous arrive souvent, alors ? » Oui, elle aurait préféré qu'il prenne le temps de l'analyser avant de diffuser cette caricature dans les journaux. Alors elle lui expliquait, elle avouait que oui, elle s'était fait du mal. Elle aurait pu aller plus loin dans son histoire, mais s'arrêtait assez tôt pour ne pas entrer dans les détails : repenti ou pas, il ne méritait toujours pas d'en savoir plus que ce qu'elle n'aurait décidé de lui dévoiler. Ça arrive tout le temps, c'est bien ça le problème. Répétez à quelqu'un des horreurs tous les jours, il finira par le croire. Ça avait déjà détruit plus d'une personne, ça en détruirait mille autres dans le futur, c'était une certitude. « Oh. » Il était prit au dépourvu et elle le voyait bien à sa mou perplexe. « Je réalise que j’ai beaucoup à apprendre sur le sujet. » Elle ne pu qu'acquiescer, sans s'en rendre compte d'ailleurs. Aussi elle s'arrêtait au moment où elle s'en rendait compte, refusant de brusquer Kieran pour qui elle se prenait étrangement d'affection au fil de leur conversation. Il l'agaçait au plus haut point, de son innocence au travail qu'il avait fourni pour lui rendre la vie dure en dessinant des mensonges sur sa vie ; mais il était aussi une victime de cette société sur laquelle il n'avait aucun pouvoir d'action, âme perturbée qu'il était. C'est vrai, ça vous éviterait de faire des erreurs comme ça. Elle se permettait encore une reproche : il les méritait bien. Mais pas au point de culpabiliser trop longtemps, pas au point d'en démissionner ou de changer de carrière pour ça. Après tout, peu importe la voie choisie, tout le monde passe par des doutes et des échecs. Il faudrait juste songer à ce qu'ils n'aient de conséquences sur personne. « Mais je suis, euh... tant mieux si c’est derrière vous. » Lena opina du chef, tentant de calmer le jeu, tentant de se montrer compréhensive face à Kieran qui essayait de faire des efforts, qui était visiblement de bonne foi. Ça l'est parce que j'ai appris avec le temps qu'il n'y a que moi qui sait ce que je vaux. Parce que c'est mon métier, que j'ai choisi de vivre avec. Sa voix était bien plus douce, elle se voulait pédagogue désormais. Mais tout le monde n'a pas choisi cette vie, tout le monde ne supporte pas ces complications là.

Spoiler:

Le rire qu’elle laisse échapper a le don de le mettre mal à l’aise. Je plaide coupable ; si Kieran, de son côté, n’aurait pas cherché d’explication à celui-ci, de mon côté je ne peux m’empêcher de souligner la nature peu sincère de cet éclat de joie – ça n’en est pas, de toute évidence. S’agit-il alors de moquerie ? C’est la seconde option qui s’immisce dans son esprit, parce qu’elle est récurrente, habituelle et qu’il n’y a jamais d’entre deux avec Kieran. Est-ce néanmoins suffisant pour le faire réagir ? Absolument pas, alors qu’il reste stoïque, quitte à paraître impassible, pour ne pas montrer qu’il est touché par ce stupide rire aux interprétations nombreuses, mais toutes à son désavantage. Je lui suggère de cesser de prendre les choses autant à cœur, mais il ne m’écoute pas, Kieran, alors qu’il tente (maladroitement) de se sortir de cette gêne en reconnaissant ses propres fautes. Ce n’est pas bien difficile compte tenu qu’il croit dur comme fer être un de ces imbéciles et ce, bien au-delà du seul cadre professionnel. Il se dénigre autant que cela le blesse – allez comprendre la logique dans la tête de ce garçon (ma seule existence est déjà un indice conséquent quant à cela). Les mots justes, mais durs, de Lena, autant que le ton de sa voix, ce regard ferme et maintenant ce rire ne font qu’accentuer son envie de disparaître, même si elle semble être en mesure de se radoucir par moment. Cela l’apaise un court instant, avant qu’il ne songe à la réalité des faits : il est bien incapable de savoir comment se comporter face à une attitude aussi changeante. Il se calque sur les désirs des autres, sur ce qu’il croit qu’ils attendent de lui, mais comment trouver cette réponse lorsque l’interlocuteur ne donne aucun indice ? Lena est trop fluctuante avec lui et s’il saisit les nuances de son attitude, il est bien incapable de l’interpréter. À défaut de parvenir à faire la paix avec la jeune femme, il songe au fait que sa bonne volonté est susceptible de plaider en sa faveur – et puis, dans le fond, il n’est pas manipulateur, Kieran et sa démarche est sincère. Il n’est jamais trop tard pour s’éduquer sur certains sujets (ce qui est ironique quand on sait à quel point il sait de quoi elle parle). Mais jouer à l’imbécile lui a souvent réussi – il faut croire que cette jeune femme est l’exception qui confirme la règle. « Ça arrive tout le temps, c'est bien ça le problème. Répétez à quelqu'un des horreurs tous les jours, il finira par le croire. » Il ne montre rien, Kieran, toujours stoïque, alors que mon rire – le sien, finalement – résonne dans son esprit. L’ironie, vous disais-je. N’est-il pas ce quelqu’un à qui on a répété des horreurs tous les jours, à tel point que cela dicte sa vie à l’heure actuelle tant il y croit ? Mais ça, elle n’a pas à le savoir et il n’a pas plus à y croire tandis qu’il reste campé sur ses positions (à mon détriment) quant au fait qu’il ne peut pas comprendre et qu’il est preneur de toute forme d’explication. Pourtant, il est démuni, le dessinateur, alors qu’il se contente de hausser la tête pour acquiescer, demeurant silencieux, n’ayant pas de réponse qui semble adéquate à ce constat émis par Lena. « Je vais faire de mon mieux. » Il souligne par la suite ; au mieux pour ne pas reproduire ces erreurs-là, sans pour autant savoir exactement ce qu’il est supposé faire. C’est vrai, ça, Kieran, comment ? Il pourrait démissionner, c’est la réponse la plus évidente, celle à laquelle il songe tandis que j’accentue un fait : il n’a pas les moyens de quitter ce travail qui est source de revenu non-négligeable. Il pourrait aller s’excuser personnellement auprès de chacun des individus dont il fait le portrait (peu flatteur), mais ce serait une perte de temps conséquente en plus d’une prise de risque certaine alors que tous ne réagiront pas avec la même diplomatie (vraiment ?) que Lena. Une réaction suffisamment rassurante pour qu’il se permette de faire preuve de plus de familiarité, tout en restant prudent quant aux termes qu’il emploie. Le discours de la jeune femme respire une certaine confiance malgré un malaise précédemment évoqué et il ne peut que se sentir admiratif – autant qu’être encore plus mal à l’aise à l’idée d’avoir entaché sa réputation sur la base d’aucune connaissance et la seule motivation d’un chèque à la fin du mois. « Je sais, oui. » Qu’il répond finalement, dans une tentative de calmer définitivement le jeu (qu’il croit) avec une pointe de sincérité (que je souligne). S’il ne pensait pas être confronté à une telle discussion en entrant dans ce café et qu’il n’a pu y échapper une fois les présentations (forcées) faites, les conséquences qui découlent de cet échange, elles, peuvent être maîtrisées. C’est ce dont je le persuade alors que je le sens qui s’inquiète de plus en plus, qui s’interroge sur ce travail qui semble être plus racoleur qu’autre chose et qu’il est en proie à de nombreux doutes que le montant négatif de son compte en banque ne parviendront pas toujours à effacer. Relevant les yeux vers la jeune femme, il finit par pincer les lèvres avant de reprendre la parole. « Je dois y aller. » Fuir, Kieran. Fuir est le mot qui est le plus adapté, n’est-ce pas ? « Je vous présente encore mes plus sincères excuses et je vous promets de faire mieux dans le futur. » Ouh. De belles paroles ; dommage qu’elle ne te connaisse pas autant que moi et qu’elle ne soit pas consciente que ces promesses ne sont existantes que sur papier. Et soutenant son regard un dernier instant comme preuve de sa bonne foi, le jeune homme finit par s’éclipser, l’estomac suffisamment noué pour que son café soit abandonné sur une table et oublié jusqu’au lendemain une fois de retour chez lui, les pensées bien trop accaparées par d’autres choses que ces clichés ambulants dans lesquels il vit – jusqu’au choix de sa boisson.

@Lena Edwards