Vendredi 26 février ☾- 9H15 -> Plusieurs jours qu’elle recule ce rendez-vous. Plusieurs jours qu’elle rumine encore et encore. Il le faut, c’est nécessaire. Peut-être qu’elle se trompe sur toute la ligne depuis le début. « Mademoiselle Sanders ? » Erin relève la tête pour regarder l’infirmière. Elle lui fait signe de la suivre. Elle se lève en serrant les bras tout contre elle. Comme une armure, elle se défend du monde qui l’entoure, qui l’effraie. Elle s’assoit sur la chaise et patiente. « Ça a commencé quand ? » Erin baisse les yeux, honteuse. Elle ne le sait pas vraiment. C’est grâce à Adriel qu’elle s’en est rendu compte. « Je l’ai su le seize février. Mais je pense que ça remonte à début janvier » Comment l’oublier … L’aiguille s’enfonce dans son bras. Erin détourne les yeux. Ses yeux fixent le carrelage sans grand intérêt. Physiquement elle et là mais on esprit est ailleurs. Ils sont censés se voir demain. Elle n’a que ça en tête depuis qu’elle lui a écrit cette lettre. Le chrono est lancé. Chaque minute qui passe la rapproche un peu plus de ce moment fatidique. Ce qui l’inquiète le plus c’est de pas pouvoir anticiper sa réaction. Nel n’est pas très expressif. Ils ne se connaissaient pas depuis très longtemps. Le couple se découvre tout juste. « Vous aurez les résultats demain. Vous pouvez venir les chercher au laboratoire. Ou sinon ils sont consultables sur notre plate-forme. » Erin hoche la tête. Elle adresse un bref sourire « Vous pouvez vous faire accompagner par votre généraliste. Il pourra vous éclairer sur vos choix » Elle se pince les lèvres en venant s’emmitoufler dans son châle. Toujours à la recherche de cette chaleur qui lui manque tant. Le choix … Elle ne le fera qu’avec lui. Elle est incapable de le faire toute seule. « Merci » Dit-elle simplement en prenant le petit dépliant qu’on lui tend.
Samedi 27 février ☼ - 10H00 -> Encore un réveil difficile. Elle est patraque. La nuit a été presque blanche. Elle tourne, se retourne. Erin mène un vrai combat avec sa couette. Brusquement, elle chasse sa couverture sur le côté pour courir jusqu’aux toilettes. Accroupis face à la cuvette, elle vomit ses tripes en se tenant les cheveux d’une main. Elias la tanne pour qu’elle aille consulter. Il commence à s’inquiéter pour elle. Ça fait un moment que ça dure cette histoire. Erin s’essuie la bouche et elle reste assise là par terre, dos contre le mur. Son visage vient se cacher dans ses mains. Irrémédiablement les larmes coulent à flots. Burton accourt aussitôt en gémissant. Il l’a regarde inquiet. Son museau glisse sous les mains de sa maîtresse pour lui faire relever la tête. De suite Erin enroule ses bras à l’encolure de son chien pour pleurer de plus belle. Elle est à fleur de peau depuis quelques jours. Pour un rien elle s’effondre...
11H30 ☾ -> Au volant de sa Volkswagen, elle est planté sur le parking du laboratoire. Ça doit faire dix bonnes minutes qu’elle attend là. Elle a peur de lire ce courrier. Elle aimerait se tromper. Tout ça n’est qu'une coïncidence… Non…non ce n'est pas possible. Erin se rend jusqu’à l’accueil presque à reculons. « Erin Sanders, je viens pour mes résultats » La secrétaire cherche dans ses courriers pour enfin lui tendre une enveloppe. « Voilà pour vous » L’étudiante la remercie d’un sourire puis s’éloigne pour rejoindre son auto sans oser ouvrir l’enveloppe. Elle préfère garder ça pour plus tard. Même si elle se doute du résultat.
17H30 ☾ -> Face à son miroir, Erin se maquille du mieux qu’elle peut pour cacher ses vilaines cernes. Elle veut qu’il la trouve belle comme au premier jour. Même si dans le fond, elle sait que Nel ne s’arrête pas seulement à une apparence physique. C’est bien plus profond que ça. Sanders est tombée sous le charme de son âme, de sa manière d’être ... lui. C’est un homme séduisant mais il l’est d’avantage au plus profond de son être. Au delà de ce que l’ont peut imaginer ! Elle enfile une robe toute en dentelle pour ensuite s’enrouler d’une veste volumineuse, presque trop grande. Les manches sont beaucoup trop longues pour ses bras. Ses deux ensembles sont contradictoire mais elle n’est à l’aise que comme ça. Erin a dû mal à assumer son corps. Elle ne se le reconnaît pas, plus … C’est devenu difficile pour elle de voir son reflet dans le miroir. Nel ne devrait plus tarder. Elle récupère son sac puis se dirige vers l’entrée. Burton ne la quitte pas d’une semelle. Erin apprécie l’avoir à ses côtés. Elle y trouve un certain réconfort. Il est surtout le seul à ne pas la juger sur tout ça. « Allez viens mon gros, il faut y aller » Elle referme la porte de l’appartement à clé pour ensuite retrouver sa voiture sur le parking. Burt’ va se coucher sur la banquette. Il lui faudra une demi-heure pour rejoindre le port de Bayside. Parce que c’est ici que tout à réellement commencé. Le reste n’était que le prélude de cette fabuleuse histoire. Son berger allemand sort de l’auto pour marcher à quelques mètres devant elle. Ça la rassure de l'avoir à ses côtés. On pouvait entendre les cordages taper sur les mats. La mer est plutôt calme ce soir. Une nuit clair comme ce fameux soir. La lune s'affiche dans son entièreté. Doucement elle s’avance jusqu’au ponton où sont amarrés les bateaux. Mais un seul d’entre eux l’intéresse. Belle étoile, il portait bien son nom ! Il est toujours aussi beau que dans ses souvenirs. Sa main vient caresser la coque. Le bois glisse sous ses doigts. Elle peut sentir ses imperfections. La peinture s’écaille par endroits, mais ça le rend unique. Il est parfait comme ça. Chacun de ses défauts sont les témoins de souvenirs dont lui seul à le secret. Elle balaye les environs d’un bref regard. Personne semble traîner dans le coin. Sa main agrippe un cordage pour se hisser à bord. « Burt’, vient » chuchote t-elle à son chien. Sans hésitation, il fait un bond pour la rejoindre. Revenir sur ce voilier lui fait remonter tout un tas d’émotions. Ses mains se posent ici et là. Chaque gestes lui font revivre des flashbacks intenses. Elle s’installe aux commandes puis elle ferme yeux tout en ayant les mains sur la barre. Ses lèvres s’étirent lorsqu’elle repense à ce moment où il lui a laissé l’occasion de manœuvrer le voilier. Il se tenait là, juste derrière elle pour la guider. Elle soupire. La brise vient faire virevolter sa chevelure d’or. « Je serais là … Je serai là aussi longtemps que tu m’en laisseras la chance. » Une larme coule le long de joue en repensant à ses quelques lignes qui lui avait écrit. Il lui promet d’être là, quoi qu’il se passe. Sera t-il toujours de cet avis quand il saura ce quelle va lui dire …? Ses paupières se rouvrent. Erin glisse sa main dans la poche de sa veste pour en sortir la fameuse lettre. Elle déchire l’enveloppe pour en sortir la feuille des résultats. Ses yeux filent droit vers le bas du courrier. Ce qui l’intéresse c’est uniquement la dernière ligne. Le verdict tombe. Ses doutes, ses craintes se confirment. Sanders est face à un mur. Elle ne peut que se rendre à l’évidence à présent. Le destin, le hasard, c'était écrit quelques part.
Burton lève la tête brusquement. D’instinct, Erin se retourne. Il est là. Son cœur fait un bon dans sa poitrine. Elle chiffonne immédiatement sa lettre pour la mettre dans le fond de sa poche. Elle veut lui dire mais pas comme ça. Erin se doutait un peu de l’issue. Elle avait donc écrit tout un texte pour lui annoncer. Il fallait que ça soit un peu "spécial". Peu importe sa décision. Difficilement elle ravale et fait un pas vers lui. « Bonsoir… » Ses mains glissent sur ses hanches. Sa tête vient se caler contre son torse. Sentir son odeur l’apaise. Elle se sent tout de suite mieux maintenant qu’il est là. Burton remue la queue. Apparemment il partage l’avis de maîtresse. Il semblerait que le courant passe bien entre eux. « Tu m’as tant manqué. » Souffle t-elle alors qu’elle tente de contenir ses larmes. C’est pas le moment de flancher. L’émotion est si forte. Erin relève la tête sans pour autant lâcher son étreinte. « Promet moi de ne pas m’abandonner. Tes choix seront les miens. Mais … ne me laisse pas » Ses doigts s'entrelacent avec les siens comme pour sceller ses paroles. Ses émeraudes se mettent à briller mais elle parvient à contenir ses larmes. Elle ravale. Sa tête revient se caler contre lui. Ses yeux se ferment. Pour finalement laisser une larme filer le long de son visage. C’est maintenant ou jamais. Erin prend une grande inspiration avant de chanter le premier couplet d’une petite voix en gardant les yeux clos.
Il viendra Il viendra tout droit Du cœur des étoiles Se poser sur mon bras Il viendra et j'aurai mal …
Il aura tout Ce qu'en rêve j'avais entrevu Qu'avant lui je n'avais su Il aura tout ce qui fait nous
Elle s’enfonce un peu plus dans ses bras. Ce besoin de ne faire qu’un avec lui se fait plus fort. Il va commencer à comprendre et elle s’accroche Erin. La peur qu’il fuit l’effraie totalement.
Il naîtra d'un trop grand amour Qui vit le jours Un soir de velours…
Un soir qu’ils ont partagé ici même sous une pluie de multiples couleurs. Erin relève la tête pour croiser son regard. Elle se voulait sincère, transparente avec lui.
Il aura de toi Ce qui me touche Tes yeux et puis la bouche Un de toi Entre nous Un de toi
Tu seras Perdu d'aimer éperdument Toi qui ne nous voulais À jamais qu'en amants
De ma souffrance Nous sera née cette innocence Près de lui tu me diras C'est un peu moi Et c'est tout toi
Il naîtra d'un trop plein d'amour Qui vit le jour Un soir et rien autour
Sa main vient caresser son visage d’un geste délicat tandis qu’elle se perd dans le bleu de ses yeux. Elle essaye d’analyser sa réaction. Est-ce qu’il comprend … est ce qu’il a peur ? Où est-il simplement heureux … Elle continue sa chanson jusqu’au bout. C’est sa manière de s’exprimer. Plus facile que de simples mots. Erin pouvait transmettre toutes ses émotions à travers ses paroles. Sa voix reflétait ses sentiments les plus intimes. La peur, la crainte. Ce sentiment nouveau de porter la vie. Son corps qui change chaque jour. Ce corps qu’elle n’accepte plus depuis plusieurs semaines…. Pas tant qu’il ne lui dira pas ce qu’il pense de tout ça.
Il aura de toi Ce qui fait mouche Tes yeux quand tu me touches Un de toi Entre nous Un de toi Un enfant de toi
Ses mains partent à la recherche des siennes. Erin vient les glisser sur son ventre d’un geste lent. Sentir la chaleur de ses paumes à cet endroit lui donne un frisson. C’est agréable et effrayant à la fois. Son visage glisse dans le cou de Nel pour aller lui chuchoter le dernier couplet dans le creux de son oreille.
Rien qu'à nous Un de toi Un enfant de toi Un de toi Entre nous Un de toi Entre nous Un de toi Entre nous Un enfant de toi Entre nous …
La chanson prend fin. Commence une attente interminable. Sanders n’est plus sûr de rien. Est-ce qu’elle fait ce qu’il faut ? Elle a peur qu’il la juge mal. Cette grossesse c’est … un accident. Elle n’a jamais voulu tomber enceinte. Pas maintenant. C’est trop tôt. Ils viennent tout juste de se mettre ensemble. Ce n’est pas raisonnable. Ils commencent à peine à se découvrir. Ils ont le temps avant de passer à cette étape. Loin d’elle de vouloir l’enchaîner avec un bébé. Si ça se trouve il ne souhaite même pas devenir père. Ils n’ont jamais évoqué ce sujet. Mais elle ne fera pas une croix sur eux. Impossible. S'il ne veut pas de cet enfant … Elle fera le nécessaire. Mais en aucun cas elle lui imposera. C’est la première fois qu’elle s’attache autant à quelqu’un, la première fois qu’elle porte le fruit d’une union, le fruit d’un amour sincère.
« Je t’aime Nel … »
Sa bouche contre la sienne, Erin l’embrasse avec amour. Un baiser un peu salé dû aux larmes qui commencent à perler au coin de ses yeux. Elle venait de lui dire je un t’aime pour la toute première fois. Et ce n’était pas pour l’amadouer. C’est son cœur qui parlait pour elle. « Peu importe de ce que tu décides, ton choix sera le mien. » Ils leur restaient un mois … un mois pour décider de l’avenir de cet enfant.[/hide]
« Bonne fin de journée, Caulfield. » lança Scott Preston, client régulier et privilégié de l’Emporium Hotel, à Geo. Il se devait d’être aux petits soins avec ce type de clients. Cela s’était montré compliqué, jusqu’à il y a encore quelques jours. Pour cause, Geo enchaînait les dérapages, les sorties de piste. Il avait été recadré plusieurs fois par con supérieur. Il avait même été mis à pied dix jours, mais c’est la confrontation en décembre avec Mia qui l’avait aidé à se remettre sur les rails. Ce n’était pas tout, Andrew lui était d’une aide précieuse. Gérer ses problèmes avec l’alcool n’était pas simple. Il y avait des jours avec et des jours sans. Le plus important était le soutien indéfectible de ses proches. Grâce à eux, il remontait la pente, se construisait une meilleure version de lui-même, jour après jour. Dans ses motivations, il y avait également sa petite blonde. Une tornade haute comme trois pommes au caractère bien trempé. Il en était bien amouraché, Caulfield. Il ne voulait pas devenir une épave, risquer de la perdre ou lui faire du mal. Ses activités au sein du Club lui mettaient suffisamment la pression pour ça. Alors petit à petit, brique après brique, il avançait. La route serait longue, mais il y parviendrait. « Bonne fin de journée, Monsieur. » répondit Geo, refermant la porte derrière le client. La berline noire s’éloigna dans l’allée et disparu au tournant d’une rue. Geo venait de terminer officiellement son service. Il se dirigea vers les vestiaires, se fit héler par son responsable au passage. Celui-ci le congratula pour « l’amélioration visible de son attitude ». Drôle de formulation, mais reconnaissance acceptée. Geo quitta l’établissement avec une sensation nouvelle qui prenait place au fond de lui. Elle n’était pas désagréable, au contraire.
Il retrouva rapidement le confort de sa maison. Il alluma le poste de radio sur sa station favorite. Il monta le son, fila sous la douche. Il ne devait pas être en retard, ce soir. Il allait retrouver Erin, mais il n’y avait pas que ça. Dans le carnet rouge qu’ils alimentaient tous les deux à renfort de messages, dessins, photos et plus, elle y avait laissé un mot, il y a quelques jours. De celui-ci transparaissait une certaine inquiétude, de la détresse. Des craintes. Quoi que cela fut exactement, Geo ressentit la peur de la jeune femme. Elle faisait état d’un secret, du genre qui n’avait pas lieu d’avoir entre eux. De quoi pouvait-elle bien parler ? Etait-ce lié à sa famille, son frère, son père peut-être ? Geo, comme à son habitude, avait eu du mal à coucher sa réponse sur le papier. Il y mit le temps, mais il finit par refermer le carnet, le rangeant à l’abris des regards. Il serait là pour elle, aussi longtemps qu’elle lui en laisserait la chance.
Il s’efforçait de ne pas trop y penser. Imaginer Erin souffrir était loin de le ravir. Il s’imaginait mille scénarios dans sa tête. Son esprit vagabondait dans une escalade fantasque incontrôlable. Il soupira, augmenta la température de l’eau. Il ferma les yeux et laissa la chaleur prendre possession de ses pensées. En quelques instants, elles se dissipèrent. Geo se sentit comme plus léger. Mais lorsqu’il ressortit de la cabine et jeta un oeil à l’heure, son esprit redevint aussitôt tout aussi chargé. L’échéance approchait. Et s’il n’était pas à la hauteur ? Il se dirigea vers la chambre, enfila des vêtements propres. Il sortit sur le perron fumer une cigarette. Son portable posé sur le garde fou lui rappelait constamment que les minutes s’égrenaient les unes après les autres, incontrôlablement. Bon sang, voilà bien un moment qu’il n’avait pas été si inquiet. La dernière fois, c’était lorsqu’il avait été appelé par Andrew pour lui signaler l’accident de surf de Mia. En la revoyant sur ce lit d’hôpital, son corps sous un enchevêtrement de fils et câbles en tout genre, il frissonna. Il éteignit sa cigarette et rentra chez lui.
Il était temps de partir. Il saisit son casque, ses clefs, ses clopes. Il claqua la porte et fila vers la marina. « Rejoins-moi samedi prochain. Là où tout à commencé. » Cette nuit du trente-et-un décembre avait été magique. Pas uniquement parce qu’ils avaient fait l’amour. Parce qu’il s’était senti aimé, et qu’il l’aimait en retour. Parce qu’elle lui témoignait des gestes de tendresse, parce qu’elle l’acceptait tel qu’il était. En repensant à cela, Geo ne pu se demander, pour la énième fois, ce qui pouvait bien inquiéter Erin à ce point. En arrivant au port, il laissa sa moto, son casque. Il se dirigea vers le voilier Belle-Étoile. C’était bien là qu’il s’attendait à la trouver. Et comme il s’y attendait, elle était là. Elle n’était pas seule. A ses pieds, Burton. Geo était plutôt fan de ce grand chien. Il n’en avait jamais eu, mais le courant passait plutôt bien entre eux. Fait curieux toutefois, il ne se leva pas pour l’accueillir, ni pour protéger Erin. Sans doute ressentait-il toute la détresse de la jeune femme. A cette pensée, son estomac se noua un peu. Il mit un pied sur le navire, approchant doucement. « Bonsoir… » lui lança-t-elle. Elle semblait fatiguée. Ses yeux ne pétillaient pas comme d’habitude, sa voix était lointaine. Sans attendre de réponse, elle lova son corps contre le sien. Geo referma ses bras autour d’elle pour une étreinte d’une infinie tendresse. Comme si cela pouvait l’aider, lui ôter un peu de ce poids. « Bonsoir. » répondit-il à son tour. « Tu m’as tant manqué. » avoua-t-elle. Geo sourit faiblement, son menton sur sa chevelure dorée. « Toi aussi. » admit-il sobrement. C’était encore si nouveau, tout ça. Il découvrait l’amour et ce que cela impliquait, et la communication en faisait évidemment partie. Burton semblait partager l’opinion de sa maîtresse. Geo tendit la main pour qu’il renifle son odeur. Geo ne lâchait pas Erin pour autant, caressant son dos du plat de la main. Il pouvait sentir qu’elle était fébrile. Instinctivement, il l’enlaça de ses deux bras à nouveau. Il ne dit rien, la laissant cheminer à son rythme. Il était là, il voulait qu’elle le sache. « Promet moi de ne pas m’abandonner. Tes choix seront les miens. Mais … ne me laisse pas » Geo fronça les sourcils. Il ne comptait pas l’abandonner, mais que diable cachait-elle pour être si inquiète qu’il l’abandonne ? Pour elle soit si fatiguée, si fébrile ? Son regard croisa le sien alors qu’elle relevait son visage vers le sien. « Je suis là. Je le resterai. » souffla-t-il, comme une promesse. Il n’avait aucune raison, aucune envie de la quitter. Il savait qu’il regretterai probablement ce choix un jour. Il ne voulait pas la blesser ou l’inquiéter. Mais chaque chose en son temps et aujourd’hui, c’était elle qui avait besoin de lui.
Elle entrelaça ses doigts aux siens et ses yeux se mirent à briller. Elle semblait rassembler tout son courage. Geo pressa doucement sa main. « Je suis là. » Elle reposa doucement sa tête contre son torse, s’y réfugiant une dernière fois. Doucement, elle se mit à chanter quelque chose. Il savait qu’elle s’exprimait beaucoup par le chant, c’était une passion chez elle. Plus que ça, cet exutoire lui permettait de communiquer plus simplement, parfois. Alors Geo ne dit rien, tendant l’oreille pour ne rien manquer de son message.
« Il viendra Il viendra tout droit Du cœur des étoiles Se poser sur mon bras Il viendra et j'aurai mal …
Il aura tout Ce qu'en rêve j'avais entrevu Qu'avant lui je n'avais su Il aura tout ce qui fait nous »
Fixant l’horizon, Geo berçait doucement la demoiselle, parcourant son dos de sa main. Il ne comprenait pas le sens de ses paroles. Il sentit l’étreinte d’Erin se raffermir. Elle se cramponnait à lui, littéralement. Craignait-elle qu’il décampe à ce point, ou cherchait-elle la force d’aller au bout de sa chanson ?
« Il naîtra d'un trop grand amour Qui vit le jours Un soir de velours…
Il aura de toi Ce qui me touche Tes yeux et puis la bouche Un de toi Entre nous Un de toi
Tu seras Perdu d'aimer éperdument Toi qui ne nous voulais À jamais qu'en amants
De ma souffrance Nous sera née cette innocence Près de lui tu me diras C'est un peu moi Et c'est tout toi
Il naîtra d'un trop plein d'amour Qui vit le jour Un soir et rien autour »
Geo fixait l’horizon. Erin avait une voix douce, comme enveloppée de coton ou de velours. Pourtant, lorsque Geo comprit pleinement le sens de ses paroles, sa voix bien que d’une infinie douceur lui parut lointaine, abstraite. Il pouvait entendre les pulsations de son propre coeur résonner contre son torse. Des pulsations lentes mais intenses. Il peinait à réaliser. Avait-il bien compris ? Tout portait à croire que oui. La fatigue d’Erin, son inquiétude, Burton qui ne la lâchait décidément pas d’une semelle, sa veste bien trop large pour elle, son teint encore plus pâle que d’habitude. La main de la jeune femme caressa son visage. Mille pensées fusaient dans l’esprit de Caulfield. Il essayait de rester rationnel, mais lui aussi fut bientôt en proie aux craintes. Erin poursuivait sa chanson. Elle attrapa ses mains pour les poser lentement contre elle. Contre son ventre. Contre son ventre qui portait la vie, la sienne, la leur. Il se pétrifia. Il n’était pas certain d’être prêt pour ça. Il avait déjà suffisamment de mal à s’occuper de lui, alors d’un être innocent, fragile, demandant toute l’attention du monde comment le pourrait-il ? Et Erin, comment le vivrait-elle ? Elle était toujours étudiante, vivait avec son frère. Celui-ci serait probablement rouge de colère contre elle, contre Geo. Et sa famille, ses proches ? Que penseraient-ils qu’elle porte l’enfant d’un homme ayant presque le double de son âge ? Encore mille autres questions déferlèrent dans son esprit. Elles continuèrent encore à venir, même lorsqu’elle eut terminé sa chanson. Il retira ses mains de son ventre comme s’il avait s’agit d’une plaque brûlante. Pourtant, il allait devoir se ressaisir, Caulfield. Il ne pouvait pas garder le silence éternellement.
La chanson prit fin et installa un silence sur le Belle-Étoile. Un silence pesant, de ceux que l’on a irrépressiblement envie de briser. Un silence comme une longue apnée, suffocante. « Je t’aime Nel … » murmura-t-elle avant de l’embrasser. C’était trop tôt, trop rapide, trop soudain. C’était trop tout. Ce premier « je t’aime » qu’elle lui offrait contrastait tant avec l’aveu qu’elle venait de lui faire qu’il ne répondit pas. Pas immédiatement, du moins. « Peu importe de ce que tu décides, ton choix sera le mien. » ajouta-t-elle. Geo était complètement largué. Il avait du mal à assimiler tout cela. Il fit non de la tête. Ce n’est pas comme ça que cela fonctionnait.
L’équilibre qu’il s’efforçait de maintenir, de recréer, venait de prendre un sérieux coup. Il se détacha d’Erin, se dirigea vers le bord du bateau. Il avait besoin de respirer un instant. Il fixait l’horizon sur lequel se reflétait le soleil couchant, comme une myriade d’étoiles baignées d’un orange intense. Son esprit fit immédiatement le rapprochement avec le feu d’artifice de cette soirée-là. Il ferma les yeux, inspira profondément, expira de la même manière. Son coeur battait toujours aussi fort, comme s’il voulait sortir de son torse. Il était incapable d’y changer quoi que ce soit, pour le moment. « Erin… » souffla-t-il. Il se tourna doucement et fit un pas dans sa direction, amoindrissant la distance qui les séparait. Elle était enceinte de deux mois. Déjà, deux mois. Comment avait-elle fait pour garder cela pour elle si longtemps ? Combien de temps avait-elle souffert de porter cela seule ? « Depuis combien de temps..? » Il ne termina pas sa phrase. Il avait du mal, Caulfield. « Depuis combien de temps le sais-tu ? » Sa voix était calme, presque atone. Il ne ressentait ni colère ou autre animosité. Cela aurait été absolument insensé. Non, il était inquiet, profondément. Pour elle, pour lui, pour cet être minuscule qui était la raison de leur rencontre aujourd’hui.
« Tu as dit que mon choix serait le tiens… Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, Erin. » expliqua-t-il. Il hésita et rompit les quelques mètres qui la séparait d’elle. « Je ne t’abandonnerai pas. » souffla-t-il. Il était terrorisé par cette nouvelle, et l’envie de prendre ses jambes à son cou lui avait fortement traversé l’esprit. Parce qu’il avait peur de tout ce que cela impliquait. « Mais je ne peux pas décider seul. » ajouta-t-il. Cet être minuscule avait été conçu à deux. Son destin dépendait d’eux. Il n’osait pas regarder vers son nombril. Non pas par honte, ou lâcheté. Mais parce que la famille qu’il s’imaginait un jour construire arrivait à un moment de sa vie où il ne pouvait pas l’accueillir. Et à la pensée qu’il ferait un père pitoyable, sa gorge se serra. « Car moi aussi, je t'aime. » conclut-il. Il l'aimait éperdument. Si la nouvelle était difficile à encaisser, elle ne changeait rien à l'amour qu'il lui portait.
L’angoisse, la peur, c’est son quotidien depuis quelques jours. Ce poids commence à devenir trop lourd à porter. Erin a beau se confier à son entourage, elle n’arrive pas à se soulager de ses craintes. Une seule personne est capable de lui ôter et c’est lui … Personne d’autre que lui. Elle ne peut pas … Elle n’arrive pas, à faire un choix toute seule. Parce que finalement, ce qui l’inquiète le plus dans cette histoire ce n’est pas la vie qu’elle porte mais perdre celui qui lui permit de réaliser cet exploit. Elle l’aime…ho oui … elle l’aime à en crever. Erin ferait n’importe quoi pour Nel. Même ce choix difficile de renoncer d'être mère. La blonde n’a pas l’air de réaliser les conséquences de ses actes. L’amour rend aveugle. Le prévenir devenait plus que nécessaire. Les jours passent et ce bébé prend de plus en plus de place. Il doit être aussi gros qu’un petit poids, pourtant, il est le centre de ses inquiétudes. Porter des gilets, des sweats, ça ne fonctionnera pas éternellement pour le faire disparaître. Sanders n’ose même plus regarder sa silhouette dans un miroir. Elle se refuse de l’aimer. Et ça la tue de faire ça parce que ce petit être … c’est un petit bout de lui … Quand elle s’endort sous sa couette, sa main finit toujours par venir caresser son ventre. Elle a beau s’acharner à fermer les yeux, ce petit être, elle l’aime déjà. Elle l’aime comme une mère aime son enfant. C’est juste qu’elle refuse de l’admettre. C’est trop difficile. En agissant ainsi elle se protège. C’est juste un mécanisme d’auto défense. Ça sera moins compliqué de le laisser partir rejoindre les anges … Car elle ne doute pas qu’il en soit un.
Revoir ce bateau flotter sous ses yeux c’est … Elle soupire en refermant sa veste un peu plus. Ce souvenir restera graver à tout jamais dans sa mémoire. Erin laisse ses doigts venir en contact de la coque. Les yeux mi-clos, elle laisse les flash-back l’envahir. Elle avait crier son nom de peur de rater le coche. Puis elle était montée sur ce voilier. Insouciante. Pour lui cacher les yeux et lui soumettre de deviner qui était la propriétaire de ses dix doigts qui lui cachaient les yeux. Des rires, des sourires, ils s’étaient confié l’un à l’autre ce soir-là. Sanders rouvre les yeux pour enjamber l’embarcation et venir à bord. Elle se donnait l’autorisation de le faire malgré que ce bateau ne lui appartienne pas. C’est son petit côté espiègle qui lui donne les ailes de le faire. Elle ne comptait pas partir avec. Si ? Son chien ne la quitte pas d’une semelle. Erin s’avance vers l’arrière. Là où se trouve la fameuse … marche … Les deux mains sur le garde-corps, ses émeraudes se fixent sur cet endroit. « Je ne veux faire qu’un avec toi .. » lui avait-elle soufflé au creux de son oreille. Aujourd’hui ils étaient trois … Combien de chance ils avaient pour que cela arrive ? Combien sur un million ! Cette nuit de pleine lune. Une lune magnifique qui les avait éclairer durant cet échange plus que charnel. Amoureux. Des frissons viennent la parcourir en repensant à cette étreinte. Erin a l’impression de sentir ses lèvres, ses caresses sur sa peau.. Nel c’était montrer très doux avec elle. Elle aimait la façon dont il l'a regardé. Ce n'était pas du tout pervers bien au contraire. Avec lui, elle se sentait reine. Le vent vient souffler dans ses cheveux. Son menton vient se pencher vers l’avant. Sanders se plonge encore dans ses souvenirs avec lui. Son « bonne année » la refait sourire. Un feu d’artifice avait éclaté en plein ciel. Mais pas seulement. Son corps tout entier c’était illuminer de mille feux quand ils avaient échangé leur premier orgasme. Erin avait l’impression de se sentir voler par dessus les voiles avec lui. C’était … magique. Tellement qu’ils avaient engendré la vie …
Elle se retourne vers le poste de conduite. Sa main vient chasser ses cheveux de son visage. Les mains sur la barre, elle serait prête à reprendre le large avec lui pour s’enfuir. Fuir se terrible dilemme. « Je crois que je suis en train de tomber amoureuse de toi » Elle ne le croit plus. Elle en est certaine. Erin a envie de le crier de toutes ses forces. « JE T’AIMEEE » Un flot de larmes l’envahit. C'est plus facile quand elle ne l'a pas en face d'elle. Mais ça fait tellement du bien de se l'avouer à soit même après tant d'années d'abstinence.« Je t’aimeeee ... » Murmure t-elle plus bas en pleurant toujours autant. Burton vient lui lécher la main comme pour lui apporter son soutien. Il faut qu’elle se calme. Elle est à fleur de peau ces derniers temps. Elle qui t’habitude est si joyeuse et souriante, son soleil s’était un peu éteint. Si bien que son médecin l’avait obligé à prendre quelques jours pour remettre de l’ordre dans tout cela. Sanders sèche ses larmes avec sa manche. Le comportement son chien lui met la puce à l’oreille. Elle se retourne et sursaute presque en voyant la silhouette de Nel sur le ponton. Il la rejoint sur le voilier. Elle ravale pour lui souffler un bonsoir timide. Avant d’aller se réfugier dans ses bras. « Bonsoir. » Les bras du brun viennent l’enrouler. Une sensation fort agréable pour elle. Sentir son odeur, son étreinte, c’est tout se dont elle avait besoin pour se sentir bien. Erin lui avoue qu’il a manqué dans son quotidien. Pour le moment ils se voient encore rarement. Peut-être pas assez. Alors à chaque fois qu’ils ont l’occasion de se retrouver c’est un véritable bonheur. « Toi aussi. » Erin resserre un peu plus ses bras comme pour s’assurer qu’elle ne rêve pas. Il est bel et bien là. Elle le supplie alors de ne pas l’abandonner malgré tout ce qu’il pourrait arriver. Ce qu’elle compte lui dire c’est assez lourd de conséquences alors elle s’inquiète. « Je suis là. Je le resterai. » Yeux dans les yeux. Nel lui fait la promesse de rester. Erin ne souhaite pas le piéger. Elle veut jouer cartes sur table avec lui. Pas de secrets, pas de cachotteries. Elle estime qu’ils doivent tout se dire. Quitte à ébranler leur couple parfois. Ça les rendra plus forts.
La voix de la blonde se met à fredonner un air. C’est la manière dont elle voulait lui annoncer. Une manière douce. Peut-être plus facile à digérer. Surtout plus simple à accepter pour elle. Erin chante pour s’exprimer. C’est comme ça depuis qu’elle est en âge de le faire. Son journal intime regorge de paroles qu’elle compose elle-même. Peu de gens ont l’occasion de les entendre. Mais celle-ci, elle était pour lui. Rien que pour lui. Nel la berce doucement. Erin savoure ce moment de tendresse en se disant que ça serait peut-être le dernier s’il ne n’acceptait pas cette annonce. Plus elle approche de la fin, plus l’angoisse revient au galop. Sanders relève les yeux pour voir l’expression de son visage. Il semble totalement perdu, déboussolé. Elle vient caresser sa joue tendrement. Comme si elle cherchait à s’excuser. Puis elle prend ses mains pour les poser sur son ventre afin qu’il comprenne le sens de sa chanson. Mais il les retirent aussitôt. Sa gorge se noue. Erin a l’impression d’être devenue repoussante à ses yeux. Le cœur lourd, elle lui dit « Je t’aime » pour la toute première fois. Le cri du désespoir. Pour ensuite lui offrir ses lèvres et s’assurer que c’est réciproque. Elle enchaîne presque désespérée, en lui disait qu’elle se plierait à ses choix. Il lui fait un non de la tête avant de s’éloigner vers le bord du bateau. Ce qu’elle craignait le plus était en train de se produire. Instinctivement elle s’enroule dans sa veste en tentant de retenir ses larmes. Elle se sent affreusement seule à cet instant. Mais elle respecte son choix d’établir une certaine distance entre eux. Burton à beau se coller à sa cuisse. Ce n’était malheureusement pas suffisant cette fois. Erin laisse ses jambes fléchir pour s’asseoir sur une caisse en bois. Son corps est devenu trop lourd à porter. « Erin… » Sur le moment elle ne réagit pas. Les yeux fixés sur la lune, elle essaye de faire le point sur tout ça. Les pas du brun l’a font réagir. Elle tourne la tête vers lui en osant à peine le regarder. « Depuis combien de temps..? » Elle baisse les yeux avant de répondre tristement « Depuis deux mois…depuis ce fameux soir… » Erin n’avait aucun doute là-dessus. Elle n’avait eu aucun rapport depuis lui. Elle lui avait été fidèle et loyale jusqu’au bout. « Depuis combien de temps le sais-tu ? » Elle vient passer ses mains sur son visage en poussant un soupir. « Depuis deux semaines. C’est Adriel qui m’a obligé de faire un test. Je pensais que j’étais juste malade. » Malade, pas enceinte … heureusement son meilleur ami avait vu juste. « J’avais besoin de temps pour réaliser avant de te le dire. Mais je n’ai jamais eu l’intention de te le cacher. » Même si ça doit lui coûter son couple. Sanders est franche et elle le restera avec lui. « Tu as dit que mon choix serait le tien… Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, Erin. » Elle lève les yeux sur lui en restant assise parce qu’elle n’est pas certaine de tenir sur ses jambes encore tremblantes. « Je veux pas perdre. Quitte à en payer le prix. Je veux pas te perdre Nel … » Toujours cette peur insaisissable qui la hante. Il l’avait déjà rejeté une fois et elle se rappelle très bien de cette atroce douleur. Pour rien au monde elle veut revivre ça. « Je ne t’abandonnerai pas. » De suite elle se relève pour s’enfouir dans ses bras. Cet aveu la rassure. « Mais je ne peux pas décider seul. » Sa main vient chercher la sienne alors qu’elle relève les yeux sur lui. Elle même ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait pour cet enfant. Sa priorité c’était Nel. Elle le faisait passer avant ses propres intérêts. « Je comprendrais que tu n’en veuilles pas. C’est si …soudain. Et j’avais pas en tête d’être …d’être … » Ce mot de veut pas sortir de sa bouche. Erin fait un blocage. Elle renie l’évidence. « C’est un accident. Je sais que des solutions existent. » Elle soupire « Je veux pas.. je sais pas. Tout ce que je sais c’est que c’est que je t’aime comme jamais je n’ai aimé quelqu’un. Et si aimer c’est aussi savoir faire des concessions pour l’autre, alors je suis prête à l’accepter. » Prête à renoncer. Prête à suivre ses choix et non les siens. « C’est TOI que je veux. C’est TOI que je choisis. Avec ou sans bébé, qu’importe. Ma priorité c’est toi Nel. » Ses doigts filent entre les siens. Elle referme sa paume comme pour sceller ses paroles à ses mots. « Car moi aussi, je t'aime. » Son ventre se met à tourbillonner, son coeur palpite. Une vague de chaleur l’importe. C’est bon … si bon. Malgré toutes ces divergences, là elle se sent papillonner face à cette révélation. L’entendre de ses lèvres c’est …divin. « On a toute une vie pour s’aimer. Laissons nous le temps pour ça. » Elle est jeune, dans la fleur de l’âge. L’occasion se représentera s’ils estiment que le moment est mal choisi. « Sache juste je t’en tiendrais pas rigueur. J’ai été maladroite. Je suis désolée. Je voulais vraiment pas te faire subir tout ça. J'espère que tu ne m’en voudras pas … » Il y a peu de chance qu’il lui dise de toute façon. « Il nous reste un mois … » Un mois pour agir et mettre fin à tout ça. Un mois pour se faire une raison et accepter que c’est pas raisonnable de brûler les étapes. Sa main vient plonger dans sa poche. Elle sort la feuille contenant les résultats de sa prise de sang. Erin lui tend pour qu’il constate de lui même. C’est écrit noir sur blanc. Elle est enceinte depuis le premier janvier. Une date qu’elle n’est pas prête d’oublier. Autant elle que lui. Et pas forcément pour de mauvaises raisons.
Il n’était pas arrivé vers le Belle-Etoile très serein, Caulfield. Un complexe duel se jouait dans son esprit. Pour la première fois de sa vie, il avait quelqu’un dont il voulait prendre soin. Une personne pour laquelle il ne désirait que bonheur et autres bontés. Bien sûr, il avait son meilleur ami, Andrew, pour lequel il était prêt à se battre, corps et âme. Il y avait aussi Mia, sa petite, bien que les relations ne soient pas encore au beau fixe entre eux. Cela ne changeait rien au fait qu’il l’avait protégé du mieux qu’il avait pu pendant des années. Il le ferait encore, sans hésiter. Mais Erin, c’était encore autre chose.
Mais il ne pouvait pas se laisser aller. Pas à ce sujet. Erin semblait rongée par ce secret qu’elle souhaitait partager avec lui. Si elle était en proie à la détresse, Geo ne pouvait se permettre d’être autant inquiet. Quoi qu’il se passe, elle avait besoin de son soutien, de sa présence. Elle avait besoin d’une épaule sur laquelle prendre appui. Il se devait de rester droit, de ne pas flancher. Autrement, elle aussi flancherait. Geo réfutait profondément cette idée.
Alors il s’était juré qu’à partir du moment où il aurait posé un pied sur le Belle-Etoile, il ne laisserait plus ses inquiétudes prendre le dessus. Il n’y aurait alors que davantage de place pour l’écoute et le soutien d’Erin. C’était ce qui lui importait le plus. Il était alors bien loin de se douter de la nouvelle qui l’attendait, et que tout ceci serait bien plus facile à dire qu’à faire.
Il l’avait gardé contre lui lorsqu’elle s’était lovée dans ses bras. Peut-être se disait-elle que là, au creux de ses bras, elle ne risquait plus rien. Que rien ne pouvait plus l’atteindre. Ou peut-être qu’elle désirait simplement étreindre celui qu’elle aimait, alors qu’ils ne se voyaient encore que très peu. Quelle qu’en soit la raison, Geo était prêt à lui offrir ce dont elle avait besoin. Il serait l’épaule sur laquelle elle pourrait pleurer. Il serait le roc contre lequel elle pourrait se reposer. Il serait là.
Ses mots prirent une tout autre dimension dès lors qu’elle commença à chanter. Nel aimait sa voix. Il aimait aussi qu’elle ait une manière de s’exprimer qui la fasse se sentir elle-même. Il écoutait attentivement ses paroles. Au début, il ne comprit pas vraiment le sens de tout cela. Et puis lentement, pièce après pièce, le puzzle prit forme. Il s’était fait mille scénarios, durant les quelques jours précédant leur rencontre. Il s’était fait mille scénarios, alors comment diable n’avait-il pu envisager cette possibilité ?
Erin attendait un enfant. Un bébé. Un être minuscule, de quelques millimètres seulement. Fruit d’un artifice d’amour, de passion, de couleurs, de sentiments. Un fruit minuscule qui arrivait bien trop tôt, aux yeux de Caulfield. C’était trop tôt en tout points. Lui et Erin ne se fréquentaient que depuis quelques semaines. Elle n’avait pas terminé ses études, était jeune, n’avait pas réfléchi la situation. Lui n’avait pas d’emploi permettant d’élever sereinement un môme, passait parfois pour le père d’Erin lorsqu’on les apercevait ensemble. Il savait qu’il voulait fonder sa famille, mais pas comme ça. Pas si vite. Pas alors que lui-même était un véritable chantier ambulant. Cela faisait un bail que Caulfield n’avait pas ressenti une telle peur. Une peur viscérale. Il avait pensé à détaler, tant il se sentait soudainement minuscule. Mais il ne le fit pas. Parce qu’il l’aimait, parce qu’elle avait besoin de lui.
Il ne pu laisser ses mains contre son ventre. Comme s’il avait pu se faire aspirer, engloutir dans un tourbillon d’inquiétudes. Un tourbillon lui renvoyant « tu n’es pas assez, Caulfield ». Pas assez droit, pas assez bon, pas assez aimant, pas assez sain. Il fit quelques pas en arrière, inspirant profondément. Lorsqu’il revint vers elle, il voulut lui demander depuis combien de temps elle savait, pour cette grossesse. Mais sous l’emprise de sa propre peur, il y eut méprise sur la question, leur offrant un quiproquo bien malvenu. « Depuis deux mois…depuis ce fameux soir… » souffla-t-elle. Assise sur une caisse, elle semblait porter le poids du monde sur ses minces épaules. Geo s’agenouilla, replaçant ses cheveux blonds derrière son oreille. Il rectifia le tir, et sa question. « Depuis deux semaines. C’est Adriel qui m’a obligé de faire un test. Je pensais que j’étais juste malade. » lui répondit-elle. Geo hocha la tête. Il était prit de remords. Son rôle dans cette histoire était aussi important que le sien. Ce soir-là, la passion avait été si intense, si fulgurante, qu’il avait fait l’impasse sur les précautions. Il pressa doucement sa main en signe de soutien. Il n’était pas parfait, Caulfield. Mais il ne se défilerait pas. Pour l’heure, les mots avaient encore du mal à se frayer un chemin en dehors de son esprit. Il ne la laisserait pas tomber pour autant.
« J’avais besoin de temps pour réaliser avant de te le dire. Mais je n’ai jamais eu l’intention de te le cacher. » Geo fronça légèrement les sourcils. « Hey… » souffla-t-il doucement. Il pressa sa main à nouveau. Elle semblait être vraiment terrorisée par ce qu’il pourrait penser, dire, faire. Au point qu’elle affirmait que le poids de tout ceci lui incombait. Caulfield ne la laissa pas ajouter davantage d’inepties. Il lui dit donc que ce n’était pas ainsi que les choses fonctionnait. Il ne déciderait pas de l’issue de cette grossesse seul. Pour mille raisons valables, il ne le ferait pas. Pour mille autre, toutefois, il porterait Erin à bout de bras s’il le fallait. « Je veux pas te perdre. Quitte à en payer le prix. Je veux pas te perdre Nel … » toute la détresse dans sa voix le touchait profondément. Il ne l’avait jamais vue ainsi. Elle n’était pas seulement inquiète ou triste. D’elle émanait une véritable détresse, comme un cris du coeur. Alors il tenta d’apaiser ses inquiétudes, lui assurant qu’il ne comptait pas l’abandonner. Ce n’était même pas une option. Il ajouta qu’il ne pouvait décider seul de tout cela. Là, Erin se releva. Sa main nichée dans la sienne, ses yeux rivés dans les siens.
« Je comprendrais que tu n’en veuilles pas. C’est si …soudain. Et j’avais pas en tête d’être …d’être … » Elle ne termina pas sa phrase. Geo pinça ses lèvres, opinant du chef. « Je sais, Erin. » souffla-t-il doucement. Il n’était plus atone. Il avait retrouvé ses esprits et encaissait la nouvelle tant bien que mal. « On ne naît pas mère. On ne naît pas père. On le devient. » ajouta-t-il. « C’est un accident. Je sais que des solutions existent. » lança-t-elle avant de marquer une courte pause. « Je veux pas.. je sais pas. Tout ce que je sais c’est que c’est que je t’aime comme jamais je n’ai aimé quelqu’un. Et si aimer c’est aussi savoir faire des concessions pour l’autre, alors je suis prête à l’accepter. » ajouta-t-elle. Si seulement elle pouvait voir la lueur dans son regard. Il ne pétillait pas comme d’habitude, comme si toute la vie qui l’animait s’envolait un peu plus à chaque fois que le vent se levait. Des concessions. Voilà les mots qu’elle utilisait. « On doit prendre une décision. Et cette décision, on va la prendre ensemble, d’accord ? » Demanda-t-il, prenant son visage entre ses mains, pour capter son regard bien trop fuyant. Il caressa doucement sa joue puis laissa doucement retomber ses mains. La vérité, c’est qu’il avait peur. Peur d’être bien trop sûr de sa décision quand elle semblait tâtonner pour trouver la sienne. Comment pourrait-il lui en vouloir ? Il n’avait pas passé deux mois avec l’estomac dans la gorge, ni deux semaines à jouer à pile ou face avec son couple et une minuscule vie. « C’est TOI que je veux. C’est TOI que je choisis. Avec ou sans bébé, qu’importe. Ma priorité c’est toi Nel. » leurs doigts s’entrelacèrent. A son tour, il le dit, enfin. Je t’aime. Quelques lettres, rarement prononcées, et encore moins pour une personne avec qui il pourrait projeter un quelconque avenir. « On a toute une vie pour s’aimer. Laissons nous le temps pour ça. » Il opina du chef. Il souhaitait qu’elle prenne cette décision en pleine conscience. Autrement, il craignait de créer une bombe à retardements. « Sache juste je t’en tiendrais pas rigueur. J’ai été maladroite. Je suis désolée. Je voulais vraiment pas te faire subir tout ça. J'espère que tu ne m’en voudras pas … » Il l’attrapa par les épaules, vissant son regard dans le sien. « Arrête. » demanda-t-il. Comment pouvait-il lui en vouloir ? Pourquoi s’échinait-elle à porter le poids de toute cette histoire ? « On a été maladroits. Tous les deux. Je ne te laisserait pas te flageller sans rien faire. Tu as eu des semaines difficiles. Je n’étais pas là. Je suis désolé. » Il s’interrompit, prenant conscience que peut-être, il avait contribué davantage à ce sentiment étouffant de par son absence. « Je serai le roi des connards, si je t’en voulais. » souffla-t-il.
« Il nous reste un mois … » conclut-elle. Un mois, c’est le temps dont ils disposaient pour prendre une décision. Pour Geo, son point de vue était pragmatique et ne changerait probablement pas de perception. Pour Erin, les choses étaient différentes. Dans tous les cas, il ne lui imposerait pas son point de vue. Il était prêt à en parler des heures avec elle si elle le voulait, peser milles fois les pour et les contres. Mais il refusait catégoriquement d’imposer sa manière de penser. Il ôta ses mains des épaules de la jeune femme, réfléchissant un instant. « Je n’ai pas été là lorsque tu as eu besoin de moi. » répéta-t-il, se sentant coupable, quelque part. « Est-ce que… Et si tu venais chez moi, quelques jours ? Ce n’est pas une maison magnifique, pour tout te dire, je suis pitoyable en décoration. Je ne suis pas vraiment un cordon bleu. Mais si l’envie te prend de vouloir t’éloigner un peu… Tu peux venir. La porte te sera toujours ouverte. » Il jeta un oeil à Burton, couché près de sa maîtresse. Il ne perdait pas une miette de la conversation. « Et Burton est aussi le bienvenu » ajouta-t-il. Le chien tourna brièvement ses oreilles à l’entente de son nom. Autour d’eux, tout était calme. Le réveillon du trente-et-un décembre semblait bien lointain. Geo s’assied sur la caisse de bois, invitant Erin à en faire de même. Ils n’était pas pressés par le temps ce soir, n’est-ce pas ?
« J’aimerais te parler de mon père. » souffla-t-il, doucement. Parce que cela jouait beaucoup dans sa manière de percevoir cet évènement. Parce qu’il voulait qu’Erin sache. Parce que sans ça, son raisonnement pourrait passer pour un acte de lâcheté ou d’égoïsme. Certes, ce lien n’expliquait pas l’intégralité de sa position. Mais chaque chose en son temps, et tant qu’à faire, autant commencer par le début, n’est-ce pas ?
Elle pensait se libérer d’un poids en lui dévoilant sa grossesse. Mais lorsqu’il ôte ses mains de son ventre, Erin a la sensation d’être devenue repoussante à ses yeux. Son cœur se fend, sa gorge se noue. Encore plus lorsqu’elle le voit s’éloigner de quelques pas. Chaque petit mètre qu’il parcourt lui semble interminable. Ses jambes flageolent. Sanders s'assoit sur cette malle en bois brut. Enroulée dans sa veste, elle cherche une étreinte rassurante. Chaude et apaisante qu'elle semble être la seule à pouvoir combler pour le moment. L’inquiétude la ronge. Nel est sous le choc de l’annonce. Erin ose à peine poser les yeux sur lui. Honteuse. Elle lui annonce que ça fait deux mois. Instinctivement, ses yeux se fixent sur la marche où ils ont conçu cet enfant; dans une étreinte emplit d’amour et d’une infinie tendresse. Elle ne regrette en rien ce moment charnel avec lui. Erin aurait juste voulu être moins tête en l’air avec sa pilule. Ils n’en seraient pas là aujourd’hui. Plutôt que de se demander ce qu’ils décideraient comme avenir pour cet enfant, ils pourraient s’étreindre et profiter de se découvrir un peu plus. Elle s’emmitoufle un peu plus dans sa veste en reniflant ses larmes qui perlent inlassablement. Nel s’approche pour s’agenouiller à ses côtés. Lorsque la main du brun replace ses cheveux derrière l’oreille, Erin ferme les yeux en laissant échapper une larme trop lourde à retenir. Il reformule sa question. Elle précise alors que ça fait deux semaines qu’elle traîne ce poids. C’est le temps qui lui avait fallu pour réaliser ce qui se passait. Encore aujourd’hui, elle a du mal à l’admettre. Il serre sa main sur la sienne pour lui apporter son soutien. Le moindre petit geste avait son importance. Même aussi infime soit-il. En agissant ainsi, Nel lui montre qu’il ne compte pas fuir ses responsabilités. Ça la rassure, ça l’apaise. Sa tête vient se pencher sur son épaule. Les yeux fixés sur leurs mains liées, l’étudiante précise qu’elle ne comptait pas lui cacher. Elle se voulait transparente et sincère, tout comme leur relation naissance. Parce qu’elle est persuadée que c’est du sérieux entre eux. Les secrets n’ont pas lieu d’être. « Hey… » Elle pince ses lèvres et renifle une nouvelle fois ses larmes. D’une voix désespérée, elle lui souffle qu’elle ne veut pas le perdre. Son choix sera le sien même s’il ajoute qu’il ne le fera pas sans elle. Elle ose enfin relever ses yeux embués sur lui pour lui avouer qu’elle ne s’attendait pas à devenir mère si tôt. « Je sais, Erin. » Ça l’effrayait même si elle se surprenait à imaginer un avenir à trois. Un jour qui sait. Elle avait ce don avec les progénitures des autres. Il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’elle ferait une merveilleuse maman. « On ne naît pas mère. On ne naît pas père. On le devient. » Ils n’avaient jamais abordé le sujet. Erin aurait aimé connaître ses envies futures, mais le moment est mal choisi pour parler de cela maintenant. Alors elle se contente de hocher la tête et de sécher ses joues avec sa manche. « On doit prendre une décision. Et cette décision, on va la prendre ensemble, d’accord ? » Nel lui saisit son visage avec ses deux mains. Erin n’a d’autre choix que de planter son regard dans le sien. Elle se sent affreuse. Ses yeux jonglent de gauche à droite. Elle comprenait que sa décision était plus ou moins prise. Son comportement … ses mots … ses gestes … il ne voulait pas de cet enfant. Elle pose ses mains sur les siennes. Elle gonfle ses poumons pour expirer doucement. « D’accord … » La suite elle la connaissait plus ou moins. Ce petit dépliant elle l’avait lu de long en large, en travers. La réponse tient en trois lettres. Trois lettres qu’elle n’assume pas pour le moment. Même si elle laisse croire le contraire. Erin se rassure comme elle peut en entrelaçant ses doigts avec les siens. Elle voulait sceller ses mots à ses gestes en lui avouant que la chose qui lui importait le plus c’était lui et uniquement lui. Sa priorité restera son couple même si ça lui coûte de prendre cette lourde décision.
Erin se noie dans les excuses. Elle endosse la responsabilité de ses actes. Persuadée qu’elle est la première à avoir merdé. Après tout c’est elle qui lui avait farouchement demander d’aller plus loin ce soir là. « Arrête. » Sanders se stoppe aussitôt dans son élan. « On a été maladroits. Tous les deux. Je ne te laisserais pas te flageller sans rien faire. Tu as eu des semaines difficiles. Je n’étais pas là. Je suis désolé. » Erin vient glisser sa main dans ses cheveux d’un geste tendre. Elle est bien consciente que leur relation est tout sauf conventionnelle. Mais à aucun moment elle ne lui reproche de ne pas avoir été là. C’est elle qui avait fait le choix de ne pas l’intégrer dans l’immédiat. Préférant se réfugier dans les bras de son meilleur ami. Une erreur peut-être. Mais avec Adriel, Sanders n’avait plus rien à prouver. Ils se connaissaient tellement bien. Les mots n’étaient même pas nécessaires pour qu’ils se comprennent. Alors qu’avec Nel tout est à construire. Erin découvre doucement les valeurs d’être en couple. C’est encore timide qu’elle s’y aventure. « Ne dit pas ça. Quand je t’ai demandé d’être là ce soir, tu es venu sans poser de questions. » Alors certes, ils ne se voyaient que par épisodes. Ça demande à être un peu plus fréquent pour souder solidement cet amour naissant. Mais le brun n’a pas manqué à ses devoirs. Pas aux yeux de sa belle en tout cas. « Je serai le roi des connards, si je t’en voulais. » Erin vient déposer ses lèvres sur sa joue avant de caler sa tête contre lui. Une manière de lui dire merci de ne pas lui en vouloir pour tout ça. « Je n’ai pas été là lorsque tu as eu besoin de moi. » Elle relève la tête en plissant légèrement ses yeux. Nel s’entête à s’en vouloir pour quelque chose qui n’a pas lieu d’être. « Arrête. Tu es là ce soir, c’est tout ce qui compte. Et tu sera là demain, je n'en doute pas. » Plus ... Et il ne fuyait pas contrairement à d’autres hommes qui n’auraient pas chercher bien loin suite à une telle annonce. Erin se place face à lui pour ensuite venir enrouler ses bras à son cou. Du bout des doigts, elle caresse sa nuque sans rien attendre en retour. Sa simple présence lui suffisait. « Est-ce que… Et si tu venais chez moi, quelques jours ? Ce n’est pas une maison magnifique, pour tout te dire, je suis pitoyable en décoration. Je ne suis pas vraiment un cordon bleu. Mais si l’envie te prend de vouloir t’éloigner un peu… Tu peux venir. La porte te sera toujours ouverte. » Elle reste quelques secondes muette. Erin ne s’attendait pas à une telle proposition de sa part. Il lui avait proposé un café, pas un aménagement temporaire. Mais l’idée de se réveiller dans ses bras et de vivre un quotidien avec lui ne lui déplaisait pas. Doucement, la commissure de ses lèvres s’étire. Son regard retrouve un semblant d’enthousiasme. « Et Burton est aussi le bienvenu » Le chien lève aussitôt la tête pour regarder le brun en penchant légèrement la tête sur le côté. Il avait compris qu’on parlait de lui. Erin lui caresse affectueusement la tête puis reporte son intention sur Nel. « Rien ne me ferait plus plaisir. Mais il ne faut vraiment pas que ça te dérange. » Elias va se poser mille et une question c’est certain. Elle va devoir inventer une fausse excuse pour ne pas éveiller ses doutes. Adriel ou Tessa serviront certainement de bouc émissaire. Quoi que son meilleur ami est incapable de mentir … Mulligan est peut-être un choix plus sûr. Nel se rassoit sur la caisse et il invite Erin à faire de même. Elle s’exécute. « J’aimerais te parler de mon père. » Elle passe son bras dans son dos et incline sa tête sur son épaule. « Je t’écoute .. » Dit-elle tout bas. Ils avaient déjà plus ou moins parlé de leurs pères respectifs. Et dans ses souvenirs, le sien ne valait pas mieux que son propre géniteur. Nel avait su être une oreille attentive quand elle avait eu besoin de se confier à ce sujet. Elle voulait lui rendre la pareille ce soir. Sa main glisse vers la sienne pour entrelacer ses phalanges aux siennes. Bercer par la mer et le chant des cordages qui tapent sur les mâts, elle est prête à en apprendre d’avantage sur celui qu’elle aime tant.
Ce n’était simple pour personne. Pas pour Geo, qui tentait tant bien que mal d’assimiler la nouvelle de cette grossesse à mesure que les minutes s’égrenaient. Ca l’était encore moins pour Erin. Elle composait entre sa détresse et celle de Caulfield. Mais celui-ci avait eu du mal à ne pas réagir autrement. C’était trop soudain, trop tôt, trop tout. Alors il avait prit du temps, juste un peu, le strict minimum. Juste assez pour tenter de consolider les esprits de deux êtres qui s’étiolaient. Car si Caulfield ne se voyait pas se réjouir follement à cette annonce, pour Erin, le combat était autre. Elle n’avait qu’une idée en tête. Leur couple, ce qui les liait, eux. Caulfield. Elle répétait que son choix serait le sien. Comme si Caulfield pouvait choisir du sort de la vie qui grandissait dans son ventre. Comme s’il en avait le droit. Comme s’il le devait. Mais il était hors de question qu’il assume ce rôle. Peut-être que d’autres n’auraient eu aucun scrupule, caressant tendrement le dos de leur belle, retenant leur souffle dans l’espoir qu’elle ne fasse pas volte-face. Il était loin d’être parfait Caulfield, mais bien loin de lui l'idée d’agir en pseudo Juge.
« D’accord … » souffla Erin. Après un moment de discussion, Erin finit par accepter de réfléchir à cette situation et d’aviser d’un choix ensemble, quel qu’il soit. Caulfield n’était pas dupe, toutefois. Il se blâmait d’être si transparent, parfois. Avec lui, c’était tout ou rien. Il était autant capable d’être un bloc de marbre qu’un livre ouvert. « Ne dit pas ça. Quand je t’ai demandé d’être là ce soir, tu es venu sans poser de questions. » ajouta-t-elle lorsqu’il se reprocha de ne pas avoir été suffisamment présent. Mais rien n’y faisait, il savait qu’il avait merdé. Parce qu’il ne voulait pas tout gâcher avec elle, tout casser ou tout bâcler, il agissait comme s’il avait tout à prouver, et plus encore. Il avait parfois la sensation de marcher sur des oeufs. Ca carburait dans sa caboche, malgré les paroles rassurantes de la jeune blonde. « Arrête. Tu es là ce soir, c’est tout ce qui compte. Et tu sera là demain, je n'en doute pas. » Justement. Il allait être là, au sens propre. Et elle aussi, si elle le voulait. Peut-être pas demain, littéralement, mais lorsqu’elle le voudrait. Il l’invita chez lui pour autant de temps qu’elle le désirait. Si cela pouvait lui faire du bien, alors sa porte était grande ouverte. « Rien ne me ferait plus plaisir. Mais il ne faut vraiment pas que ça te dérange. » souffla-t-elle. « Ne dit pas ça. » répondit-il. Il n'était pas du genre à agir contre son gré, Geo. C’était donc acté. Il ne devait pas sortir du droit chemin, encore moins maintenant. Il savait qu’il ne pouvait pas être exemplaire, de toute façon, il ne le désirait pas. Il voulait simplement être assez bon pour mériter l’amour d’Erin. Pour mériter l’amour de sa petite. Pour mériter celui d’Andrew. Celui de tout ceux qui plaçaient des espoirs en lui. Alors cette invitation sonnait comme une chance, aux oreilles de Caulfield. Une chance de devenir quelqu’un de meilleur. Une chance d’être un meilleur amant, pour Erin. D’être la personne dont elle avait réellement besoin.
En attendant, il fallait qu’il prenne la parole. Il fallait qu’il se livre à Erin. Parce qu’il connaissait bien plus de choses à son sujet que l’inverse. Il ne souhaitait pas, d’une part, qu’elle tombe davantage amoureuse d’un fantôme. Si elle devait l’aimer, alors qu’elle l’aime pour qui il était vraiment. Avec ses cicatrices et ses casseroles. Alors sur cette caisse de bois, la tête de sa belle contre lui, il lui demanda à lui parler de lui. Enfin, de son père, précisément. C’était, bien entendu, intimement lié à ce qu’ils traversaient en ce moment. « Je t’écoute .. » dit-elle tout bas. Il joignit nerveusement ses mains, comme si cela pouvait l’aider à démêler son esprit. Allez, Caulfield, le premier pas est le plus dur. « Je t’ai dit que je suis originaire des États-Unis. J’ai grandi à Bandon, dans l’Oregon. C’est une ville de pêcheurs. Tous nos voisins étaient marins, le mari de mon institutrice était marin… Enfin, tu vois le tableau. » Et aujourd’hui encore, tout le ramenait à la mer. Bercé par les vagues, le Belle-Etoile faisant doucement et régulièrement claquer ses cordages contre son mat. « Ma mère était infirmière. Martha, elle s’appelle Martha. Mon père… Robert. Tout le monde l’appelait Bob. Tu dois t’en douter, il était pêcheur. On vivait à quelques mètres de la plage tous les trois. Je n’ai pas de frère, pas de soeur. C’était juste nous. Juste nous trois. » Il inspira profondément, silencieusement. Il passa son bras autour des épaules d’Erin, l’attirant un peu plus contre lui. Il ne tenait pas à ce qu’elle attrape froid, d’autant plus qu’elle semblait exténuée. « Bref. C’est peut-être parce que je voyais la vie à travers le prisme d’un môme de six ans, mais pour moi, tout était parfait. Aller à l’école, jouer sur la plage, manger les gâteaux préparés par ma mère. La vérité, c’est qu’on ne comprend pas tout, quand on a six ans. » Nouvelle pause, le temps de rassembler ses idées, ses esprits. Le temps d’articuler tout cela en phrases. Le temps de se préparer à parler de ça pour la première fois depuis des années. « Mon père partait souvent en mer pendant dans jours. Dans cas-là, pour son retour, on préparait un copieux petit-déjeuner avec ma mère. On se levait bien avant le lever du jour pour que tout soit prêt aux aurores. Ensuite, on déjeunait et on repartait tous se coucher jusqu’à midi. Mais ce jour-là… » Allez, du nerf, Caulfield. « Ce jour-là, rien ne s’est passé comme prévu. On préparait des pancakes, avec ma mère, quand mon père est rentré. Je me souviens que son ciré dégoulinait d’eau. Il avait retiré ses bottes maladroitement, en pestant après les poissons. Enfin, en pestant après la famille riche de la ville qui sucrait les subventions de tous les petits pêcheurs indépendants. Ils pêchaient tant et tant que mon père et son équipage partaient plus longtemps en mer mais revenaient avec des quantités de poissons toujours plus dérisoires. Ca ne remboursait même plus le carburant, à la fin. Alors parce qu’il était malheureux, parce qu’il avait peur, sans doute à cause d’autres motifs encore qu’un môme de six ans ignore, il buvait. C’était léger, c’était contrôlé, disait-il. Ma mère avait ce regard inquiet lorsqu’il se versait un whisky. » Geo frissonna en constatant à quel point il était similaire à son père. Lui qui lui en voulait tant, il marchait dans ses traces, et pas dans les plus glorieux. « Ce jour-là, il est rentré ivre. Ma mère l’a compris, a tenté de le raisonner pour qu’il cesse de crier. Moi, je faisais cuire les pancakes. J’étais habitué aux cris. Mais le bruit de la main de mon père qui s’abat sur la joue de ma mère… » il secoua négativement la tête. C’était la première fois. Ce fut également la dernière. « J’ai quitté la poêle des yeux. Pas longtemps, mais ça a suffit à me laisser un joli souvenir. » Il retroussa sa manche, révélant son bras brûlé. La boucle était bouclée. « Je me souviens de l’eau froide sur mon bras. La cuisine qui semblait fondre sous mes yeux tant je pleurais. Le parfum de ma mère dans son manteau, lorsqu’on est partit pour l’hôpital. » Il réfléchit un instant. La conclusion de cette affaire ne lui plaisait guère. « Je ne me souviens pas des paroles ou du visage de mon père, ce jour-là. Je ne me souviens que de la colère, de la violence et l’odeur de whisky. » Il pinça ses lèvres. L’espace d’un instant, son étreinte autour du corps d’Erin se fit plus légère. « Il n’était plus là à notre retour de l’hôpital. J’ai grandi sans lui. Je l’accepte, aujourd’hui. Ca n’a pas toujours été le cas. Je lui en ai longtemps voulu. Je me suis beaucoup remis en question, aussi, même si ma mère m’assurait que je n’étais pas fautif. » Mais aujourd’hui, tout cela lui jouait des tours. Comment pourrait-il être un bon père alors qu’il n’avait aucune idée de comment s’y prendre ? « Je suis loin d’être parfait. Ces vices que j’ai reproché à mon père… Je tend à les imiter. Je travaille à m’en débarrasser. Mais c’est long, c’est pénible. Mais j’y arriverai. Parce que je sais pourquoi je le fait, désormais. » avoua-t-il, caressant un instant le bras d'Erin. Il le faisait pour Mia, pour Andrew, pour sa belle Bonnie. Pour leur avenir, leur famille. Il le sentait, comble du sort pour un homme qui ne croit pas au destin et consort. Il le pressentait. C’était elle, c’était eux, et un jour, ils seraient trois, quatre, cinq, qui sait. Mais l’heure n’était pas encore venue. « Je crois que je n’en suis pas capable… » souffla-t-il. Elle était là, la triste conclusion. Aujourd’hui, sa vie était un merdier tel qu’il ne pouvait accueillir sa famille. Il ne se sentait pas capable d'être père. Un géniteur donne la vie. Un père aime, un père accompagne, un père élève, un père soigne. Il savait qu’il voulait fonder sa famille. Il savait avec qui. Il ne savait simplement pas quand il le pourrait. Le regard rivé sur ses mains, il ressassait le passé, le mélangeait au présent à cet avenir incertain.
Le voilier danse doucement au rythme des clapotis qui s’écrasent sur la coque. Les cordes tapent sur le mat. Créant une ambiance douce et paisible. Tout le contraire des tourments qui envahissent Erin. Elle est effrayée. Totalement perdue. Elle se persuade que seul l’avis de Nel compte. Laissant ses propres envies enfouies au plus profond d’elle. Elle ne réalise pas les conséquences que peuvent avoir ses actes. Tout ce qui compte pour elle c’est lui et uniquement lui. La peur de le perdre et si forte qu’elle ferait n’importe quoi juste pour avoir la chance de continuer cette idylle avec lui. Sanders se persuade que c’est celui qui lui faut. Celui avec qui elle veut construire quelque chose. Une maison, un château, peu importe. Pierre après pierre, ils deviendront invincibles. Erin lui promet d’y réfléchir. Cette lourde décision, ils la prendront à deux. Main sur le ventre, elle sent son cœur se déchirer. Tout n’était qu’une histoire de jours … Tout semble aller trop vite. Le regard rivé sur le plancher marin, elle ferme les yeux en sentant ses caresses. La chaleur de sa main lui fait du bien. Sa présence tout court est un soulagement. Alors quand il s’auto-critique de ne pas être présent pour elle, Erin rectifie aussitôt en soulignant que ce soir il est belle et bien là. Nel ne s’en rend peut-être pas compte mais c’est déjà une bonne chose. Et il n’a pas fui en apprenant la nouvelle. D’autre l’aurait fait sans le moindre scrupule. C’était la preuve qu’il tenait un minimum à elle. Assez pour l’accompagner dans ses démarches. Assez pour l’inviter à aménager chez lui quelque temps. Sa tête vient s’incliner sur son épaule. Erin avait peur de le déranger dans son quotidien. Faut avouer qu’elle n’est pas toute sage. Même si les derniers événements lui font perdre son éclat naturel. « Ne dis pas ça. » Qu’il lui souffle pour la rassurer. Il avait l’air de tenir à ce qu’elle vienne chez lui. Mais pas seulement pour un bon café. « Alors dans ce cas je viens avec grand plaisir. » Elle glisse tendrement sa main dans sa nuque en le regardant affectueusement. Ses yeux débordaient d’amour pour lui. Et même s’il ne montrait pas de grand enthousiasme pour cette grossesse, Sanders ne lui en tenait pas rigueur. Ce n’est pas comme s’ils en avaient parlé avant. À aucun moment ils avaient abordé ce sujet-là. Ils se découvraient tout juste.
Nel retourne s’installer sur cette malle. Il semble un peu nerveux. Erin le regarde dubitatif jusqu’à ce qu’il l’invite à s’asseoir à ses côtés. La blonde elle le rejoint sans broncher. Son corps frêle vient se coller à celui du brun. Cette chaleur humaine est plus que nécessaire pour Erin. Elle s’incline contre son épaule tandis que lui joint ses mains aux siennes. Intimement liés, elle tend l’oreille pour écouter ses confidences. « Je t’ai dit que je suis originaire des États-Unis. J’ai grandi à Bandon, dans l’Oregon. C’est une ville de pêcheurs. Tous nos voisins étaient marins, le mari de mon institutrice était marin… Enfin, tu vois le tableau. » Elle hoche la tête tout en posant les yeux sur leurs mains. Ses doigts sont si fins comparés aux siens. Il en avait nouer des cordages et des filets. « Ma mère était infirmière. Martha, elle s’appelle Martha. Mon père… Robert. Tout le monde l’appelait Bob. Tu dois t’en douter, il était pêcheur. On vivait à quelques mètres de la plage tous les trois. Je n’ai pas de frère, pas de sœur. C’était juste nous. Juste nous trois. » Vu comme ça il avait l’air d’avoir un père et une mère aimants. Ils n’étaient que trois, mais c’est suffisant pour former une famille. Elle se sent enveloppée dans son étreinte. Chaude et rassurante à la fois. Erin se laisse fondre dans ses bras en fermant les yeux doucement. Elle était bien là, contre lui. « Bref. C’est peut-être parce que je voyais la vie à travers le prisme d’un môme de six ans, mais pour moi, tout était parfait. Aller à l’école, jouer sur la plage, manger les gâteaux préparés par ma mère. La vérité, c’est qu’on ne comprend pas tout, quand on a six ans. » Ses phalanges viennent s’entremêler. Elle sent que la conversation perd de sa vitesse. Un mauvais pressentiment qu’elle voudrait effacer. Sanders n’était pas beaucoup plus vieille quand son père avait foutu le camp. « Mon père partait souvent en mer pendant dans jours. Dans cas-là, pour son retour, on préparait un copieux petit-déjeuner avec ma mère. On se levait bien avant le lever du jour pour que tout soit prêt aux aurores. Ensuite, on déjeunait et on repartait tous se coucher jusqu’à midi. Mais ce jour-là… » Elle ravale. Le regard emplit de compassion, Erin lève les yeux sur lui en caressant ses mains avec tendresse. « Ce jour-là, rien ne s’est passé comme prévu. On préparait des pancakes, avec ma mère, quand mon père est rentré. Je me souviens que son ciré dégoulinait d’eau. Il avait retiré ses bottes maladroitement, en pestant après les poissons. Enfin, en pestant après la famille riche de la ville qui sucrait les subventions de tous les petits pêcheurs indépendants. Ils pêchaient tant et tant que mon père et son équipage partaient plus longtemps en mer mais revenaient avec des quantités de poissons toujours plus dérisoires. Ca ne remboursait même plus le carburant, à la fin. Alors parce qu’il était malheureux, parce qu’il avait peur, sans doute à cause d’autres motifs encore qu’un môme de six ans ignore, il buvait. C’était léger, c’était contrôlé, disait-il. Ma mère avait ce regard inquiet lorsqu’il se versait un whisky. » Elle se tort les lèvres, perplexe. « Il était ivre ?.. » Ce n’était pas vraiment une question en soi. La réponse, Erin la connaissait. De son côté, son père ne buvait pas. La comparaison n’était pas possible à ce niveau. Mais ils semblaient porter le même discours rassurant. Celui qui transpire le mensonge à plein nez. « Ce jour-là, il est rentré ivre. Ma mère l’a compris, a tenté de le raisonner pour qu’il cesse de crier. Moi, je faisais cuire les pancakes. J’étais habitué aux cris. Mais le bruit de la main de mon père qui s’abat sur la joue de ma mère… » Instinctivement sa main se resserre contre la sienne. C’est comme si le claquement de la gifle raisonnait dans sa tête. Elle imagine le traumatisme qu’il a dû avoir. Qu’il subit encore aujourd’hui. « J’ai quitté la poêle des yeux. Pas longtemps, mais ça a suffit à me laisser un joli souvenir. » Nel tire sa manche. La cicatrice sous les yeux, elle passe ses doigts dessus pour mieux l’apprivoiser. « J’imagine que ça a été douloureux. Et pas seulement physiquement »C’est ce qu’elle présume. Il n’avait rien d’une chochotte. Même à six ans il devait déjà être un dur à cuir. « Je me souviens de l’eau froide sur mon bras. La cuisine qui semblait fondre sous mes yeux tant je pleurais. Le parfum de ma mère dans son manteau, lorsqu’on est parti pour l’hôpital. Je ne me souviens pas des paroles ou du visage de mon père, ce jour-là. Je ne me souviens que de la colère, de la violence et l’odeur de whisky. » L’alcool…cette odeur qu’elle avait déjà sentie en étant proche de lui. Etait-il sur le point de suivre les traces de son père ? Impossible.« Il n’était plus là à notre retour de l’hôpital. J’ai grandi sans lui. Je l’accepte, aujourd’hui. Ca n’a pas toujours été le cas. Je lui en ai longtemps voulu. Je me suis beaucoup remis en question, aussi, même si ma mère m’assurait que je n’étais pas fautif. » « Et tu ne l’es pas sois en sûr » Elle lui interdisait de penser une telle chose. Aucun enfant n’est responsable des actes de ses parents. « Je suis loin d’être parfait. Ces vices que j’ai reproché à mon père… Je tends à les imiter. Je travaille à m’en débarrasser. Mais c’est long, c’est pénible. Mais j’y arriverai. Parce que je sais pourquoi je le fait, désormais. » Ses caresses lui font le plus grand bien. Erin se sent importante à ses yeux. Elle n’est pas seulement devenue la fille qui lui plait. Mais aussi celle qui lui donne envie de se battre contre ses vieux démons. « Je serais là pour toi comme toi tu l'as été pour moi. Je t’aiderai. Mais je t’interdis de te comparer à ton père. Je sais que tu ne me lèvera jamais la main dessus. Ensemble, on y arrivera »Le plus important c’est la volonté de vouloir s’en sortir et il l’avait. C’était elle, seulement elle … « Je crois que je n’en suis pas capable… » Le verdict était tombé. Il n’était pas prêt. Pas maintenant.«Non…ne dit pas ça. » Elle passe sa main sous son menton pour lui relever la tête. « Tu en est capable. Et je suis certaine que tu fera un bon père. C’est juste pas le bon moment … » Elle baisse les yeux un instant. Réalisant qu’elle devra fait le nécessaire avant la fin du mois. Sa main glisse dans ses cheveux alors qu’elle le regarde de nouveau. « C’est pas le bon timming c’est tout » Déçue ? Dur à dire. Même elle ne sait pas vraiment si elle est prête dans sa tête. Un enfant, ce n’est pas rien. Sans parler que c’est un engagement à vie.
Le vent vient souffler dans ses cheveux. Instinctivement, Erin referme son veston. Il ne fait pas spécialement froid. Mais la fatigue, les événements récents font qu’elle est un peu fébrile ce soir. Ils restent un moment là. Assit sur cette malle en bois noble. Silencieux, la mer parle pour eux. Erin se lève la première. Elle lui tend la main en lui adressant un léger sourire. « Tu m’accompagnes ? » Bientôt elle pourra se contenter de dire « On rentres » Ça ne sera pas leur chez eux à proprement parlé. Mais elle aura le bonheur de s’endormir dans ses bras. Mieux ! De se lever le matin et de découvrir son visage comme premier tableau. Des petits riens qui font pourtant de grandes choses. Ils marchent tous les deux en direction la Volkswagen. Burton les suit de prés. Toujours un oeil bien veillant vers sa maitresse. Lorsqu’ils arrivent au niveau de la petite auto, Erin se place face à Nel. Elle lève ses deux mains dans les siennes en entrelaçant ses doigts. « On se voit bientôt. Promis-je fais vite. » Elle avait très envie de s’immiscer un peu plus dans sa vie. Et elle sentait qu’il avait autant besoin d’elle à ses côtés. Ses bras s’enroulent à son cou pour venir l’embrasser avec un amour infini. Leurs lèvres se détachent mais elle reste à quelques millimètres de sa bouche. « Je t’aime » murmure t-elle simplement. A contre coeur, Sanders se détache. Elle note son numéro de portable sur le seul bout de papier qu’elle a en sa possession. - La feuille des résultats. - Ça n’avait plus d’importance. Tout était clair comme de l’eau de roche. « Si tu veux parler. Si t’as besoin de me joindre. N’hésite pas. » Les rôles s’inversaient. Ils étaient tous les deux dans le besoin. Y a pas de raison que se soit plus elle que lui. Elle ne demande pas son numéro en échange. Libre à lui d’utiliser se moyen de communication. Elle ouvre la portière à son chien. Burton rejoint tout de suite la banquette. Le moment de se quitter est venu. C’est toujours aussi désagréable … Erin s’apprête à monter dans sa voiture mais elle fait volte face pour venir se blottir dans ses bras. Une dernière étreinte, un dernier câlin. Cette fois elle se détache pour de bon et prend place derrière le volant. Elle tourne la clé puis enclenche la première. S’attarder rendrait les choses plus difficiles. Elle lui souffle un baiser avec sa main puis s’éloigne au volant de sa coccinelle. Se quitter pour mieux se retrouver. Cette discussion avait permis à Erin d’y voir plus clair. Surtout de se prendre compte qu’il l’aimait tout autant, voir plus. Elle se sentait moins seule. Soulagée de lui avoir enfin dévoilé cette grossesse. La coccinelle s’éloigne dans la pénombre. On peut encore entendre son flat-4 au loin. Un bruit bien singulier qu’on reconnaît facilement si on prend le temps d'écouter. Une mélodie que Nel assimilera bien vite à sa Bonnie.