Détruite. Voilà ce qu'elle était, Lena. Elle était venue en Australie pour deux choses : dans le but de se reconstruire une vie d'abord, pour retrouver sa mère ensuite. Si elle avait plus ou moins brillamment réussit à atteindre son premier objectif, le deuxième venait de lui glisser entre les doigts de la manière la plus brutale possible. Décédée. Voilà ce qui était écrit sur le document qu'on lui avait remis, voilà ce qu'elle avait trouvé au bout de la piste qui devait la relier à sa mère, celle qu'elle cherchait depuis des mois, celle dont elle rêvait depuis des années. Désormais il était trop tard pour avoir des explications, trop tard pour espérer pouvoir rattraper le temps perdu avec elle. A la blonde, il ne lui restait que des doutes qui seraient éternels, qu'elle emporterait dans sa propre tombe à son tour. Elle avait vrillé totalement en apprenant la nouvelle. L'espace d'une soirée, elle était retombée dans ses pires travers, réussissant à se mettre dans un tel état que le seul qui pouvait résoudre ses problèmes était Rudy. Et c'est dire l'état dans lequel elle était pour en venir à l'appeler, lui. Mais il était venu, et bien que certains moments de cette soirée étaient désormais flous dans l'esprit de la blonde, elle avait un sentiment partagé concernant la tournure que tout ça avait prit. Heureusement que le lendemain, elle avait reprit ses esprits. Lena était sur un bon chemin depuis quelques temps, elle était sur la voie de la guérison, se sentait un peu mieux, faisait tous les efforts du monde pour s'en sortir. Cet écart de comportement ne devait pas lui faire abandonner son ultime objectif de vue : aller mieux. Et si elle avait du mal à passer à autre chose, si elle avait eu du mal à se lever jour après jour pour faire son deuil, elle était bel et bien là, sur ses deux jambes, souriante et forte comme toujours. Parce qu'elle ne pouvait pas montrer que rien n'allait plus pour elle, les vautours qui lui tournaient autour n'attendaient que ça. Parce qu'elle avait déjà fait cette erreur une fois, et qu'elle ne laisserait pas une telle chose se reproduire. Son image était déjà bien ternie ces temps ci auprès de ses clients, elle ne voulait pas risquer d'empirer la situation avec un drame de plus à porter sur ses épaules en public. Alors elle était là, Lena. Au milieu de la vingtaine d'influenceuses choisies pour découvrir la nouvelle collection de cette fabuleuse marque dont, qu'on se le dise, elle n'avait rien à faire avec tout ce qui lui tournait dans la tête. Mais elle souriait, parlait à quelques unes de ses "consœurs" du métier, prenait le temps de créer du contenu pour ses réseaux comme la gentille petite influenceuse qu'elle était. Il n'y avait que ça à faire, de toute façon : avancer, continuer à vivre. Et elle aurait pu très bien passer cette journée et rentrer chez elle calmement, sans drame supplémentaire, sans raison en plus de se sentir mal. Mais c'était sans compter l'appel du photographe pour réunir toutes ces belles demoiselles en une photo de groupe. Parce que c'était se coller à toutes celles qu'elle avait du mal à supporter en général et qui, aujourd'hui, lui semblaient particulièrement insupportables avec leurs rires faux et leurs manières arrogantes. Et si leur proximité ne la dérangeaient habituellement pas, le fait que la très chère Primrose Anderson lui marche sur les pieds pour passer au premier plan l'agaçait soudain au plus haut point. Aïe. Qu'elle lançait le plus fort possible pour être sûre qu'elle l'entende. Tout ça pour un peu de reconnaissance, il y en a vraiment qui font pitié. Pas du genre à lancer un conflit, c'était trop pour elle aujourd'hui.

Quand tu as reçu l’invitation, tu étais aux anges. Tu l’es toujours même si ce n’est pas la première fois. Mais recevoir ce genre d’attention, c’est une preuve qu’on vient te reconnaître dans une sphère où tu t’épanouis depuis des années. Même si le terme “épanouir” ne serait pas très adéquat puisqu’il est clair que les sacrifices, les vices cachés et les coulisses sont beaucoup moins jolis et luxueux que tu le laisses prétendre. Primrose n’a pourtant pas de mauvaises intentions ; tu es simplement trop soucieuse d’une image qui n’est pas même pas la tienne, pas complètement en tout cas. Mais tu as quand même cette fierté dans le creux des pores qui te permet de camoufler ce visage double que tu dévoiles, telle une petite lune qui navigue et qui se montre selon son environnement. Tu ne te juges pourtant pas si durement, c’est plutôt moi qui aurait tendance à le faire mais il se trouve que tu ne m’écoutes pas vraiment ; si c’était le cas, tu remettrais beaucoup plus de choix que tu as fait en question. La petite conscience que l’on préfère étouffer, étrangler jusqu’à épuisement - très bien, qu’à cela ne tienne, respire tes mensonges et nage dans tes problèmes, il semblerait que ce soit la seule chose que tu saches faire.

Ton attention est totalement prise par ce qu’il se passe autour de toi. T’as un verre à la main, l’autre qui tient ton téléphone comme ton bien le plus précieux - évidemment, c’est l’outil ultime dans ce genre de soirées et il est clair que le moindre faux pas serait fatal. Tu souris poliment, tu discutes avec untel et d’autres, tu sympathises même avec le vigil parce que tu n’es pas non plus coupée de la réalité - il ne manquerait plus que ça et surtout qu’il t’a aidé à retrouver ton chemin, pauvre étourdie que tu peux être. Surtout, tu prends des photos, beaucoup de photos, sûrement trop de photos dont les trois quart ne serviront forcément à rien d’autres que de prendre de la place sur une carte où tu attendras les dernières miettes de disponibilité avant de passer en revu tous les clichés à foutre en l’air. Et c’est justement pour une photo plus officielle que la petite rose est appelée et qu’elle percute le pied d’une blonde après lui avoir bousculé l’épaule - elle est plus grande que toi, tu devrais donc logiquement passer devant, non ? “Aïe.” Tu arques un sourcil tout en relevant la tête vers la personne concernée, un mot d’excuse au bord de ta bouche en cœur que tu n’as pas le temps de prononcer. “Tout ça pour un peu de reconnaissance, il y en a vraiment qui font pitié.” Lena. La jolie, intrigante, populaire Lena. Oh il y a une bouffée de jalousie qui t’envahit, en même temps qu’une certaine frustration - certainement la même qui doit dégager d’une Lena au visage plus tendu que d’habitude. C’est étrange mais tu ne t’étales pas sur le sujet. “J’allais m’excuser mais si t’as décidé d’être aussi méprisante, je pense que je vais m’abstenir.” Lena qui n’a pas besoin de souligner que tu as envie d’être reconnue. Lena qui n’a pas besoin d’être reconnue puisqu’elle est déjà connue. Elle est payée pour participer à ces events, pour déballer sa vie sur les réseaux, pour montrer à quel point elle est une véritable influenceuse. Oh oui, tu l’envies, comme tu envies énormément et beaucoup trop de choses dans ce monde. Et c’est exactement pour cela que tu te fous devant elle ; t’as beau avoir l’apparence fragile, être un miroir qui manque de se briser à chaque instant, tu es persévérante dans ce que tu veux. Et là, maintenant, tout de suite, tu es prête à brandir ton plus beau sourire pour la caméra en face de vous. Tant pis si Lena Edwards tire la moue par ta faute, ce n’est pas ton problème. Tu as le droit à une parenthèse dans ta vie et tu comptes bien en profiter.

Le monde dans lequel Lena évoluait était fait de faux semblants. Dans l'évènementiel, les sourires étaient omniprésents même dans l'ambiance la plus morose. Dans l'influence et sur les réseaux, il était normal de ne montrer que les bons aspects d'une vie, que les bonnes facettes d'une personne. Et si l'écossaise aimait ce monde là habituellement, si elle était épanouie et faisait l'effort d'être toujours sincère et de montrer l'envers du décor dès que possible, elle ne supportait plus cette mise en scène constante ce soir. Parce qu'elle avait des choses plus importantes en tête, parce qu'elle n'acceptait plus son destin. Aurait-elle pu passer plus de temps avec sa mère si elle n'avait pas perdu son temps à se construire sa propre vie ? A-t-elle tout donné lors de ses recherches, a-t-elle fait assez d'efforts ? Elle était triste d'avoir appris le décès de sa génitrice, mais plus encore elle culpabilisait de n'avoir pu la retrouver à temps. Des tas de questions se bousculaient dans la tête de la jeune femme, des tas de questions qui se retranscrivaient sur son visage, tendu. Elle avait espéré pouvoir faire acte de présence à cette soirée, comptant s'en échapper le plus vite possible pour rentrer se morfondre chez elle - ou dans les bras de Rudy. Il semblait pourtant que les organisateurs aient décidé de la faire traîner en longueur, et si elle se prêtait au jeu avec difficulté, elle ne voulait malgré tout pas blesser quiconque en s'échappant trop tôt de l'évènement. Une photo de groupe : voilà ce qui sonnerait le glas de son départ, voilà le dernier effort qu'elle ferait aujourd'hui. Si celle ci devait se dérouler sans encombres, c'était sans compter sur la présence d'une petite vedette de seconde zone qui se prenait pour meilleure que tous, s'efforçant de pousser toutes les autres filles présentes pour être au premier plan. Tentative pathétique de se faire remarquer, c'en était trop pour Lena qui déjà piquait Primrose pour son comportement. J’allais m’excuser mais si t’as décidé d’être aussi méprisante, je pense que je vais m’abstenir. Les yeux levés au ciel et les sourcils haussés, l'écossaise ne cachait plus son agacement pour l'Anderson. Elle qui, en temps normal, aurait fait attention à rester cordiale, n'avait aucune envie de prendre sur elle face à ce qu'elle considérait comme une gaminerie. Je suis déjà surprise que t'aies pu y songer. Qu'elle grommelait, définitivement exaspérée. Elle avait du mal à reprendre son sourire de façade quand le photographe leur fit signe que les clichés allaient être pris, mais elle tentait de faire au mieux. Après quelques instants, la majorité des influenceuses s'étaient déjà évaporées, leur fausse sororité à peine immortalisée. Pacifique de nature, Lena se tournait néanmoins vers Primrose, cherchant, sans trop en comprendre la raison, à la confronter. Ça y est, t'es contente, t'as eu ta photo ?

“Je suis déjà surprise que t'aies pu y songer.” Il y a tellement de choses qui pourraient surprendre Lena concernant Primrose. Elles ne se connaissent que superficiellement, que dans le cadre de rencontres comme celle organisée ce jour où elles ne sont que des joujoux utilisés pour vanter d’autres joujoux à la vue de tous. Ou au moins, de toute la population milléniale qui passent leurs journées les yeux rivés sur leurs écrans et qui ne manqueront aucune des publications qui sont postées à chaque seconde de l’event. Ce n’est que du marketing, de la publicité quasi gratuite mais cela suffit pour que Primrose s’en émeut d’avoir été invitée. Elle s’émeut facilement de beaucoup de choses et être présente lui donne l’impression d’exister dans quelque chose. Qu’elle n’est plus la soeur, qu’elle n’est pas la stripper, qu’elle n’a pas besoin de drogue pour être heureuse (ça, c’est l’esprit qui le pense mais le corps qui contredit, vicieux petit truc qui la rappelle à l’ordre de temps en temps), qu’elle peut faire autre chose que des gâteaux. D’ailleurs, elle passe souvent du temps près des buffets pour observer ce qui est préparé et présenté, son palais appréciant les goûter autant que ses doigts s’affaireront sûrement plus tard à les reproduire. Il y a tout ceci que Lena ne sait pas, tout comme le manque de confiance d’Anderson qu’elle réussit pourtant à camoufler devant une retenue certaine en ne réagissant pas, en restant les lèvres closes mais tirées dans un fin sourire qui a le mérite d’être sincère. Parce que même si certaines personnes se donnent en spectacle, il y a quelque chose d’appréciable à être ici et c’est toujours le vent de confiance que la jolie brune accepte. Même si aucune personne de cette assemblée n’aura à savoir qu’elle en a stressé des jours et des nuits avant le jour J.

Alors que Lena soit de mauvaise humeur, cela est un fait assez troublant. D’habitude, elles jouent toutes les deux un jeu silencieux, à coup de sourire et de piques avec un verre à la main, le téléphone de l’autre. Il est certain que Primrose ne se sent pas à la hauteur de la jolie blonde mais le tout est de faire croire le contraire. Bizarrement, son comportement réussit à s’adapter dans ces situations où il faut faire preuve de force, tout en n’oubliant cependant jamais cette fragilité délicate qui la caractérise toujours. “Ça y est, t'es contente, t'as eu ta photo ?” Mais ça, par contre, ce n’est pas quelque chose qui caractérise Lena. En tout cas, c’est assez inhabituel pour que Primrose relève un sourcil de surprise, presque coupée de mots tellement qu’elle ne s’y attendait pas. “Euh, oui, j’imagine.” Elles savent aussi bien l’une que l’autre que cette photo ne vaut pas grand chose. Ce n’est pas la photo qui importe mais la place pour y être vue, qu’on se souvienne d’elles, qu’on les rappelle et qu’elles montrent à quel point elles “s’adorent”. “Tu n’as pas vraiment l’air d’être dans le jeu, aujourd’hui. Il ne fallait pas venir si c’est pour cracher ta mauvaise humeur sur leur faux gazon. Je suis sûre qu’ils avaient toute une liste pour te remplacer.” C’est un constat parce que Lena a le visage renfermé, les traits crispés d’habitude d’apparence plutôt avenante, elle respirait la froideur et la colère en même temps. Pas sûr que la critiquer soit la meilleure des idées pour désamorcer la bombe, Anderson.

Personne ne connaissait réellement Lena ici. Personne ne savait ce qu'elle avait vécu. Personne n'avait jamais appris ce qu'il s'était réellement passé avant ou après son overdose. C'était pour son bien, pour sa carrière : mais pour elle aussi. Parce qu'être parmi toutes ces jolies filles qui vendraient leur mère pour avoir une place au premier plan de la photo lui semblait dangereux, et qu'elle ne pouvait risquer de perdre sa dignité face à elles et au reste du monde. Elle aurait très bien pu se contenter de partir tranquillement de son côté pour enfin réussir à se poser et à penser à toutes les choses déprimantes qu'elle avait à penser, mais rentrer dans le pathétique jeu de compétition qui régnait entre les influenceuses présentes ici lui semblait être désormais une bien meilleure idée. Euh, oui, j’imagine. Elle fut surprise de ne pas entendre une meilleure répartie que celle ci, et s'apprêtait donc à reprendre son chemin pour faire comme si rien de cet échange ne s'était déroulé ce soir. Mais c'était mal connaître Primrose que d'imaginer qu'elle s'arrêterait ici. Tu n’as pas vraiment l’air d’être dans le jeu, aujourd’hui. Il ne fallait pas venir si c’est pour cracher ta mauvaise humeur sur leur faux gazon. Je suis sûre qu’ils avaient toute une liste pour te remplacer. Le regard sombre, le visage crispé, elle répondait sans attendre une seconde. T'as pas l'air de comprendre. C'est pas qu'un jeu. Peut-être que pour toi ça l'est, mais moi je sais pas sourire en faisant mine que tout va bien quand c'est pas le cas. Son ton était monté, Prim était désormais la proie parfaite pour que la blonde puisse évacuer la colère qui s'était réveillée en elle à l'instant. Il était important qu'elle puisse lui faire comprendre que tout était bien plus réel que ce qu'elle ne voulait bien admettre. Que ce monde fait de faux cils et de paillettes avait beau miroiter du beau et de la perfection, personne n'était dupe sur les revers de ce spectacle incessant. C'est bien pour ça que Lena avait abandonné cette idée d'image toujours impeccable. Elle avait compris que seul le monde réel avait de l'importance ; que la vérité finissait toujours par transparaître. C'est peut-être pour ça que même de mauvaise humeur ils me préfèrent à une coquille vide de plus. Elle n'était pas une habituée des critiques et des compétitions en tout genre, préférant malgré le monde de requins dans lequel elles évoluaient le sentiment d'appartenir à une sororité. Mais si rabaisser son entourage aujourd'hui était le seul moyen pour elle de se sentir juste un peu mieux, c'est là la stratégie qu'elle adopterait face à Primrose. Alors elle crachait sur ces blondes insupportables qui ne savaient pas penser par elles mêmes mais qui se vantaient d'influencer d'autres personnes. Elle critiquait le stéréotype dans lequel la majorité de ceux qui ne la connaissaient pas la catégorisaient. Il n'y avait plus que ça à faire, après tout.

“T'as pas l'air de comprendre. C'est pas qu'un jeu. Peut-être que pour toi ça l'est, mais moi je sais pas sourire en faisant mine que tout va bien quand c'est pas le cas.” Oh c’est clairement un art que Primrose a perfectionné avec le temps. Elle peut remercier sa famille pour cela, pour laisser passer son apparence avant son intérieur. Elle est douée pour faire bonne figure alors que tout se décompose de l’intérieur, alors qu’elle n’a que simplement envie de rouler en boule quelque part et de profiter d’une accalmie avant le prochain orage. La jolie brune ne peut que laisser apercevoir à la lueur de ses prunelles bleutées une certaine crainte face à l’inconnu, et Lena lui présente un nouvel inconnu qui l’intrigue autant que ça la désarme. Elle ne s’attendait pas à ce qu’elle morde de la sorte, à ce qu’elle perde patience aussi vite. Lena est un modèle, une figure dans le milieu et son réseau donne l’impression qu’elle a absolument tout ce dont rêvent les jeunes de maintenant ; pouvoir vivre la belle vie sans forcément travailler, juste en s’exhibant et en étant payée à faire de la promotion pour des marques dont on se fiche. C’est bien là tout le souci certainement : “donner l’impression” et c’est ce qui semble se fissurer chez la jolie blonde en face d’elle, qui ajoute aux mots froids l’expression de son visage qui est tendu et crispé ; elle n’a plus rien de la jolie figure que Primrose admire autant qu’elle envie et jalouse de derrière son écran. Les octaves augmentent et la brunette regarde autour d’elle, comme pour s’assurer qu’il n’y a personne et surtout, pour bien comprendre et assimiler que c’est à elle que Lena s’adresse et non à quelqu’un d’autre. “C'est peut-être pour ça que même de mauvaise humeur ils me préfèrent à une coquille vide de plus.” Outch. Est-ce qu’elle serait en train de lui balancer qu’elle est une coquille vide ? Primrose ne sait plus trop quoi dire ni même quoi faire ; renchéir finirait par alerter tout le monde en plus de faire monter Lena un peu plus en pression mais se taire serait aussi une preuve de faiblesse et dans ce monde-là, il est hors de question que la brune se laisse marcher sur les pieds. Elle peut montrer qu’elle aussi sait mordre et le jeu en vaut la chandelle, à ses yeux brillant de paillettes qu’elle souhaite avoir toujours plus dans son existence morose. Alors elle passe des phalanges dans ses cheveux tout en se mordant la joue intérieure avant de lâcher un bref soupir. “Pourquoi tu es venue si ça ne va pas, Lena ?” Cette fois, ce n’est pas une critique. Elle ne lui ressortira pas la liste de “coquilles vides”, c’est une question sincère. Après, il est certain que Primrose peut comprendre aussi pourquoi Lena s’est forcée (visiblement) à faire honneur de sa présence ; c’est son rôle, elle est payée pour, exactement comme elle au strip club. Le monde n’est pas aussi beau qu’il n’y paraît, Lena ? Pourquoi il y a une carapace ? Elle se fissure ? Depuis combien de temps tu tiens le jeu ? Et pourquoi ? Oh Primrose est curieuse mais Primrose gardera tout ça pour elle. Il y a des chances que Lena l’envoie purement sur les roses qui tapissent le fond de verdure superficielle derrière elles donc elle ne va pas s’y risquer. “Enfin, ça ne me regarde pas mais ça gâche le moment.” Un peu plus et on pourrait presque croire que tu t’en soucies, Anderson. Elle n’y peut rien, elle n’est pas méchante et Lena ne mérite quand même pas qu’elle soit peste envers elle, surtout si elle n’est pas dans un état optique pour. “Tu n’es pas obligée de sourire tout le temps, personne ne t’en voudra si tu te montre plus humaine et moins idéalisée.” Certainement pas Primrose, qui se laisse avoir beaucoup trop facilement par des clichés de perfection et qui les idéalisent bien trop ; voir Lena sous ce jour est un angle différent et appréciable. Rien n’est jamais parfait et parfois, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Même si la brunette a du mal à comprendre pour l’instant la portée de ce message, profitant juste de chaque instant qu’on lui offre, prenant tout ceci comme une bénédiction éphémère dont elle a toujours nourri l’ambition.

Pourquoi tu es venue si ça ne va pas, Lena ? Si dans l'esprit de Primrose il était inconcevable d'allier un travail dans le monde de la jet set et un état psychologique plutôt mauvais, dans l'esprit de Lena, c'était bien d'autres questions qui lui torturaient inlassablement l'esprit. Pourquoi avait-elle eu tant de chance dans sa vie professionnelle jusqu'ici, quant au niveau familial rien n'allait jamais ? Quels étaient les intérêts de se faire connaître ainsi, de vivre une vie dont beaucoup rêveraient, si ce n'était pour avoir la chance de le partager avec son entourage ou de voir la fierté dans les yeux de ses parents ? L'espoir d'un jour pouvoir le faire étant désormais vain. Son père était toujours vivant, mais à ses yeux il était mort : il ne lui restait personne. Et si Jordan partageait son sang et beaucoup de ses centres d'intérêt, elle ne s'imaginait pas l'accabler de toute sa peine alors qu'ils ne se connaissaient que depuis quelques mois : elle l'avait déjà bien trop embêter avec ses histoires avec Knox. Enfin, ça ne me regarde pas mais ça gâche le moment. L'agacement de l'écossaise était clairement visible - en plus de sa mine déconfite, ce qui était loin de la mettre en valeur. Non, rien de tout ça ne regardait personne. Et si Prim avait presque raison de lui avoir demandé ce qu'elle faisait là dans cet état si elle ne voulait parler à quiconque de son mal-être, Lena, elle, n'entendait que des critiques et des reproches. Oh, toutes mes excuses, je suis désolée de gâcher ce moment. Qu'elle lançait plus sarcastique que jamais. Il faut bien dire que les deux jeunes femmes n'avaient pas les mêmes attentes pour ce genre d'évènements ; qu'elles n'avaient pas les mêmes attentes pour beaucoup de choses, en réalité. J'ai promis que je serais là, alors j'y suis. Pardon si mon manque de bonne humeur te gâche la journée. Bien qu'elle regrettait clairement d'avoir dû se parer d'une belle robe pour venir faire la potiche aujourd'hui, elle n'avait pu se décommander. Et puis, il fallait bien admettre que rester seule chez elle en pleurant n'était pas la solution qui lui permettrait de se sentir mieux. Tu n’es pas obligée de sourire tout le temps, personne ne t’en voudra si tu te montre plus humaine et moins idéalisée. Il semblait que cette phrase était la plus censée et la plus réaliste que Primrose ait prononcée un jour - en présence de Lena, tout du moins. C'est ce que je fais justement, mais c'est précisément ça qui a l'air de te déranger au final. Qu'elle trouvait intéressant de soulever, vu la première réaction de Primrose qui avait été de trouver son manque de sourire quelque peu mal placé. Enfin tu sais, toi t'es pas obligée de faire semblant de t'intéresser à moi. Elle n'était pas venue pour attiser la pitié de quiconque et encore moins celle de l'Anderson qu'elle avait toujours trouvé trop fausse. Si ce sont des excuses que tu veux, tu peux les oublier, c'est quand même toi qui à commencé à me marcher sur les pieds. Lena espérait clore ce chapitre de la soirée rapidement, mais elle était incapable de passer au dessus de sa colère. Sans doute surréagie, elle ne s'en rendait pas compte : c'est pourtant Prim qui payait pour tout aujourd'hui.

“Oh, toutes mes excuses, je suis désolée de gâcher ce moment.” elle soupire, Primrose, alors qu’elle essaie d’essayer mais c’est toujours aussi vain et encore plus quand c’est Lena qui est à l’origine, la cause et le réceptacle de ce genre d’attention. Autrement dit, jamais, mais quand même. Evidemment que la blonde ne va pas se mettre à pleurer et à se confier dans ses bras en lui admettant que sa vie est un enfer sans fin - enfin, c’est une hypothèse, mais Primrose imagine que pour tirer une tête pareille, il y a quelque chose (voire une pile de choses) qui ne va pas. Pourquoi est-ce que la brune n’a pas déjà tourné les talons pour voguer vers le monde meilleur des milles et un autres jouets à prendre en photo pour le présenter dans son illustre vitrine planétaire - réseau social, plus réseau commercial, ouais. Les petites filles voulant jouer dans la cour des grands, les teints clairs, les yeux dessinés en oeil de biche et les visages dénués d’imperfection que toutes adolescentes vont adorer détester et imiter et ça se chicane. Pour des futilités parce qu’elles ne sont douées que pour ça, les princesses du nouvel ère, bienvenue dans la génération où une photo mensongère vaut toujours bien plus qu’une réalité triste et sordide. Ça commence par être fun jusqu’au jour où ça ne l’est plus ; forcé de constater que pour Lena, aujourd’hui en tout cas, ça n’est plus fun du tout. “J'ai promis que je serais là, alors j'y suis. Pardon si mon manque de bonne humeur te gâche la journée.” deuxième soupir. c’est pas ce que je voulais dire. Primrose s’en fiche car Primrose ne traîne pas autour d’elle. Primrose l’envie, Primrose la jalouse, Primrose la zieute, mais de loin, à distance, à vingt pas d’elle. Juste de quoi observer comment elle fait, comment elle agit ; Lena est dans le milieu depuis bien plus longtemps qu’il est certain qu’elle sait mieux s’y prendre. Elle a le pas agile et assuré quand la brune a juste la sensation que ses chevilles fragiles vont se briser à force de tournoyer beaucoup trop à cause de son regard de gamine émerveillée par tout ce qui l’entoure. “C’est surtout la tienne que tu gâches”, qu’elle grommelle dans sa barbe sans pour autant s’assurer si Lena a entendu un traître mot ou pas.

“C'est ce que je fais justement, mais c'est précisément ça qui a l'air de te déranger au final.” c’est pas tant le manque de sourire que la présence des mauvaises ondes. C’est le regard meurtrier donnant la sensation qu’elle peut se jeter sur elle à tout moment, les crocs sur le point de s’enfoncer dans sa chaire pour en éparpiller les morceaux - t’en as d’autres, des images joyeuses comme ça ? Pour la photo, elle aurait pu faire un effort, ça ne dure pas si longtemps que ça, après tout. “Enfin tu sais, toi t'es pas obligée de faire semblant de t'intéresser à moi.” C’est là qu’elle a tort, Lena ; Primrose s’est toujours intéressée à elle. Elle ne l'a juste jamais su. Après tout, c’est le risque quand on s’expose sur les réseaux, n’est-ce pas ? On idéalise, on fantasme, on envie, on jalouse, on hait, on imite, on s’intéresse. Elle ne fait pas semblant, Primrose ; elle se soucie juste pour les mauvaises raisons. Qui ont l’air d’être les bonnes aujourd’hui car après tout, si Lena a besoin d’un puching ball aujourd’hui, il semblerait que Primrose se soit désignée sans même le savoir. “Si ce sont des excuses que tu veux, tu peux les oublier, c'est quand même toi qui à commencé à me marcher sur les pieds.” “Je cherche pas d’excuse.” je pense qu’on en est pas là, très loin, même. “Sourire quand tout va mal, ça devrait être facile pour toi, depuis le temps que tu fais tout ça.” C’est sûrement un terrain risqué de dire ça mais quitte à être face à une Lena qui se fait remarquer plus pour sa mauvaise humeur que pour autre chose, autant se faire l’avocat du diable que Primrose n’est pas assurée d’être. “On est payées pour ça, après tout, non ? C’est une règle de base. Et tu l’enfreinds, aujourd’hui. C’est étrange venant d'une pro comme toi.” ça fait exploser l'image de perfection, c'est pas plus mal non plus.

C’est surtout la tienne que tu gâches Entendre que c'est sa propre attitude qui gâchait sa journée - et plus largement sa vie - était difficile pour Lena. Si difficile qu'elle préférait rétorquer en agressant Prim, la targuant de tous les torts, lui précisant bien qu'elle n'aurait aucune excuse aujourd'hui pour aucun comportement que la blonde aurait pu avoir. Ce n'était pas elle qui avait commencé, après tout. Ce n'était pas elle qui lui avait écrasé le pied volontairement, qui avait voulu la flanquer à l'arrière plan. Non, Lena était innocente en tout points : c'est ce qu'elle s'amusait à se répéter encore et encore, persuadée qu'à force de le faire, la fiction deviendrait réalité. Elle était loin d'être si parfaite, à vrai dire. Mais le rôle dans lequel elle était ancrée depuis si longtemps lui collait à la peau, à tel point qu'elle ne se rendait plus compte qu'il en était un. Était-elle toujours joyeuse et lumineuse ? En grande partie, oui. Mais son sourire était il naturel en tout temps ? Rien n'était mois sûr. Et si Prim le savait et l'accusait de trop en faire, Lena refusait d'accepter ces critiques totalement ironiques lorsqu'on sait à quel point la plus âgée d'entre elles faisait tous les efforts du monde pour lui ressembler. Je cherche pas d’excuse. Fort heureusement, même dans le cas contraire, elle n'en aurait pas eu. Si c'est pas ça que tu veux, c'est quoi ? Pour quelle raison pouvait-elle bien vouloir perdre du temps avec une Lena trop triste pour sourire sur une photo ? Ne voulait-elle donc que l'enfoncer encore plus ? Sourire quand tout va mal, ça devrait être facile pour toi, depuis le temps que tu fais tout ça. Elle ne le savait pas, mais la phrase de Primrose était d'un euphémisme amer : Lena était née sous la contrainte d'être parfaite, et n'avait cessé de s'ajouter une telle pression tout au long de sa vie, même en étant plus sous le joug de son père. Sauf que je suis humaine, si tu l'avais oublié. Et que parfois, c'est pas possible de faire semblant. Cette journée en était la parfaite illustration. On est payées pour ça, après tout, non ? C’est une règle de base. Et tu l’enfreinds, aujourd’hui. C’est étrange venant d'une pro comme toi. Primrose avait une façon parfaitement superficielle de voir leur métier, au même titre que bien d'autres personnes d'ailleurs. C'est pour cette raison qu'elle avait tant de mal à se faire comprendre, l'écossaise, avec sa vision trop honnête de la situation. Idéaliser les choses : oui, c'était nécessaire parfois, voir presque indispensable dans certaines situations. Mais ça n'enlevait rien au fait que même si son sourire était quelques fois forcé, ses intentions étaient toujours claires et les messages qu'elle voulait faire passer toujours sincères. Quand est-ce que tu vas comprendre qu'il n'y a pas de règles ? C'est un business, mais c'est notre propre vie qu'on vend. Tout ne peut pas être que des mensonges et des faux sourires. Elle essayait de l'expliquer, ses mots étaient sans doute maladroits mais ils sortaient sans qu'elle n'ait le temps de réfléchir à ses propos. Si pour toi c'est le cas, c'est plutôt à toi de te poser les bonnes questions. A moins de ne pas avoir de coeur, personne ne peut ravaler ses émotions pour toujours. Et en ça résidait le fond du problème : être honnête et se montrer faible ou être fort et mentir étaient deux solutions acceptables pour la société, à chacun de voir laquelle il souhaite prôner.

“Si c'est pas ça que tu veux, c'est quoi ?” tout ce que t’as sauf le mal-être visible qui l’assaillit et se porte sur ses jolis traits de poupée aux cheveux blonds étincellants. Je l’envie, Lena, je n’ai jamais vraiment su le dénier envers moi-même et cela semble se voir bien plus que je n’oserai l’affirmer. Dans un sens, cela me pousse à vouloir quérir ce qu’elle a ; l’envier me donne des ailes, fantasmer de cette vie qu’elle développe et partage et étale sur les réseaux me nourrit d’une ambition qui prend une ampleur de plus en plus dévorante et obsédante. Je n’étais arrivée sur les réseaux que pour présenter mes pâtisseries et maintenant, me voilà dans un event pour promouvoir une marque ; je suis utilisée, je ne suis qu’un jouet, un moyen de communication de bas prix pour ladite marque mais mon bonheur d’avoir été invité et donc considérée camoufle incroyablement bien ce détail qui me passe royalement au-dessus de la tête. Sûrement parce que contrairement à Lena, c’est encore nouveau pour moi, tout ça, c’est un véritable petit rêve que je touche du bout des doigts alors qu’elle, elle a déjà des années d’expériences avant moi. Mais cela ne m’empêche pas d’être agacée de la voir de la sorte ; triste, absente, donnant l’impression de ne pas vouloir être là. Elle vit une vie que tout le monde rêverait d’avoir, pourquoi ne peut-elle pas en profiter ? Pourquoi faut-il qu’elle porte tous ses bagages de façon aussi visible ? Au lieu de lui répondre, j’hausse les épaules. Je ne cherche rien en particulier ; si j’avais plus de cran, je lui dirai de se secouer et de faire un effort. Mais je n’ai pas de courage, ni de cran et encore moins la capacité de parler plus fort qu’autrui. Ce qui peut être un problème dans un monde comme celui dans lequel j’ambitionne d’évoluer.

“Sauf que je suis humaine, si tu l'avais oublié. Et que parfois, c'est pas possible de faire semblant.” Si elle savait à quels niveaux je peux la comprendre. Je passe tellement de temps à maîtriser mon masque, à me faire discrète, silencieuse, à espérer qu’on m’oublie ou qu’on ne me voit pas juste pour qu’on croit que tout va bien. Ce qui finit toujours par me porter préjudice mais je suis têtue, il faut croire. Lena est lassée ; elle est fatiguée de toute cette mascarade et même si ça m’intrigue, je ne demande pas à savoir. Je veux continuer à voir mon rêve comme un monde parfait alors que je sais très bien les sacrifices que ça demande ; j’en fais moi même un peu plus à chaque fois, ce qui m’a presque valu de finir sans abri de nombreuses fois. “Quand est-ce que tu vas comprendre qu'il n'y a pas de règles ? C'est un business, mais c'est notre propre vie qu'on vend. Tout ne peut pas être que des mensonges et des faux sourires.” Les mots claquent et c’est un discours presque moralisateur qu’elle est en train de me faire. “Si pour toi c'est le cas, c'est plutôt à toi de te poser les bonnes questions. A moins de ne pas avoir de coeur, personne ne peut ravaler ses émotions pour toujours.” Et pourtant, je ravale mes pulsions passagères exactement comme ma salive à ce moment précis. J’aurai bien envie de lui préciser que j’ai un coeur, qu’il crie tous les jours, qu’il a mal en permanence, que je ne fais que le cloîtrer dans son coin pour pouvoir travailler, pour pouvoir vivre, pour ne pas penser à la peur, à l’anxiété, à ce sentiment que je ne serai jamais assez bien. Mais encore une fois, je me tais, je réfléchis à mes mots car contrairement à Lena que je pique et qui vient de finir par se défouler un peu sur ma personne, je ne compte pas l’émotion laissée me gâcher toute cette journée. “Si ta façon d’éliminer les concurrentes est de leur faire peur, je la trouve un peu limite. Mais je prends note.” J’ai conscience que ce n’est pas ce qu’elle fait. Mais je suis arrogante, ici. Je suis presque hautaine et cela, malgré le petit sourire de coin sur la commissure des lèvres qui trône. J’essaie de faire de l’humour et autant que ça ne me va pas. Lena ne va pas en rire et moi non plus. Je suis pitoyable. “Si t’y arrives pas, pourquoi tu continues à le faire ? Si t’as l’air si misérable dans cette vie de rêve, pourquoi tu ne l’abandonnes pas ? Qu’est-ce qui t’en empêche ?” Ces questions-là, par contre, sont sincères et je suis curieuse des réponses, si j’y ai le droit. Je ne compte pas m’immiscer dans l’existence de Lena mais la curiosité est un défaut dont je m’incombe de temps en temps.

Lena avait l'impression d'être la pire moralisatrice du monde aujourd'hui. Elle n'avait rien contre Primrose, habituellement - en dehors du fait qu'elle entrait dans une catégorie de personnes superficielles que l'écossaise avait du mal à supporter - mais ses commentaires étaient difficilement supportables ce soir là. Et si elle aurait simplement pu fuir en furie de cette soirée, elle perdait du temps à expliquer sa vision des choses à une personne qui n'avait pas du tout la même façon de voir les choses qu'elle : elle avait la sensation de se frotter à un mur. Si ta façon d’éliminer les concurrentes est de leur faire peur, je la trouve un peu limite. Mais je prends note. La compétition, la reconnaissance, la gloire, la réputation.. tant de choses que Lena s'attristait de voir mis en avant sans cesse dans une société qu'elle déplorait. Les choses seraient tellement plus simple si leur monde était fait d'un peu plus d'entraide et de sororité. Mais t'es pas possible de déformer tout ce que je dis ! Elle s'énervait clairement, montant presque le ton ce coup ci. Si t'étais pas à ce point là dans une compétition, tu comprendrais ce que je veux dire. Ce qui n'était clairement pas le cas. Du moins, c'est ce que la blonde pensait. Si t’y arrives pas, pourquoi tu continues à le faire ? Si t’as l’air si misérable dans cette vie de rêve, pourquoi tu ne l’abandonnes pas ? Qu’est-ce qui t’en empêche ? Et pourtant une lueur d'espoir s'affichait dans ses yeux. Pourquoi Prim posait elle tant de questions ? Lena finissait par croire qu'il y avait une raison plus subtile que celle de glaner des informations pour la détruire, mais elle restait prudente. J'ai pas dit que tout était à jeter, au contraire. Non, parce qu'elle savait à quel point elle et toutes les autres filles dans cette pièce étaient chanceuses de pouvoir vivre de cette façon là. Elles étaient enviées, appréciées, adulées. Qui ne rêverait pas de ça ? C'est juste trop, là, de devoir faire semblant quand ça va pas, d'avoir ces exigences alors que j'ai autre chose à penser. Le décès d'une mère dont elle n'avait quasiment aucun souvenirs et qu'elle avait passé des années à chercher, en somme. Elle ne préciserait pas ces détails, persuadée qu'ils seraient utilisés contre elle tant le monde dans lequel elle évoluait était fait de vautours. Des vautours toujours habillés en marque de luxe et mis sur leur trente-et-un, mais des vautours quand même, toujours prêts à bondir sur une occasion pour mettre la concurrence en charpie. Parce qu'au delà des paillettes et des strass, tout ce que Lena voyait ici était une jungle où régnait la loi du plus fort. Elle fit une pause un instant, se demandant pourquoi elle prenait le temps de répondre à une fille qui n'avait visiblement même pas envie d'essayer de la comprendre. Et de voir qu'on est littéralement en train de se marcher dessus pour être devant les autres, pardon, mais ça me donne encore moins envie de faire des efforts. Qu'elle lançait dans une énième pique pour rappeler à quel point le comportement de Primrose avait été ridicule à ses yeux.

“Mais t'es pas possible de déformer tout ce que je dis !” C'est une façon qui m'est propre pour ne pas m'attacher, ne pas non plus m'impliquer émotionnellement et personnellement. J'ai vite compris qu'un masque est bien plus sécuritaire à porter dans ce genre d'endroits. Prétendre d'être une autre, de ne rien ressentir autre que la joie superficielle d'être présente. Nous sommes caressés dans le sens du poil alors qu'au final, nous ne sommes que des vulgaires pantins qu'ils utilisent à leurs bénéfices. Je choisis de voir les choses différemment, de prendre plaisir dans ce milieu où j'ai la pensée superficielle que j'existe. Un échappatoire pour celle qui ne se réfugiait que dans sa cuisine ; me voilà maintenant à servir des marques qui ont connaissance de ma personne. L'approbation de mes pairs, voilà ma perpétuelle recherche. Un but sordide mais qui me hante, moi qui fut toujours mal dans ma peau, mal dans ma place, mal sur terre. “Si t'étais pas à ce point là dans une compétition, tu comprendrais ce que je veux dire.” Pourtant, c'est cette compétition qui me permet d'avoir la tête hors de l'eau. Je refuse de voir à quel point elle me descend plus bas que terre ; Lena n'a pas besoin que je puisse comprendre. Lena n'a pas non plus à savoir toutes les choses que je fais, aussi bien dans le passé que dans le présent pour en arriver là. C'est sûrement mon amour propre qui refuse de compatir, ou en tout cas de montrer des signes de compassion. Dans un autre registre, je lui aurai proposé mon soutien. Mais la situation actuelle est telle que je me persuade que je ne peux pas me montrer faible. Même devant une Lena qui le paraît aussi ouvertement. J'ai un plaisir malsain à remarquer que même les grandes figures ont leur faiblesse ; c'est l'avantage quand j'ai déjà donné temps pour en arriver là. Je suis forte, c'est l'illusion que je me donne en tout cas. Alors j'hausse les épaules, l'air de rien.

Pourtant, ma curiosité me pousse à continuer cette conversation. Mes interrogations que je formule doucement parce que je ne suis pas non plus capable de méchanceté réelle, qu’au-delà de la compétition, je reste aussi une humaine malgré tout. J’aurai beau étouffer ma personnalité, le naturel revient toujours au galop. “J'ai pas dit que tout était à jeter, au contraire.” J’arque un sourcil parce que là, elle me perd. Lena me donne la sensation de haïr tout ce qui se trame autour de nous mais visiblement, en grattant un peu, il y a encore de l’espoir qu’elle ne veuille pas se défaire de tout. “C'est juste trop, là, de devoir faire semblant quand ça va pas, d'avoir ces exigences alors que j'ai autre chose à penser.” Je me retiens de dire que c’est mon quotidien. Je passe mon temps à faire semblant. A tenter de sourire alors que rien ne va. C’est triste de constater que ma vie ne se résume quasiment à ça, même avec une famille et des amis aimants. “EEt de voir qu'on est littéralement en train de se marcher dessus pour être devant les autres, pardon, mais ça me donne encore moins envie de faire des efforts.” Je baisse la tête, laissant paraître malgré moi une petite faiblesse dans ce personnage public que je me suis créée ; elle ne baisse pas la tête, normalement, cette Primrose-là. Mais la vraie ne peut s’en empêcher et je finis par joindre mes doigts ensemble pour éviter de les trifouiller nerveusement, un tic qui ne ferait que rendre ma position plus délicate. Je réfléchis beaucoup trop alors que je relève la nuque avec un léger soupir. “Je comprends sûrement mieux que tu ne peux l’imaginer.” J’ose l’affirmer. M’impliquer dans une situation similaire. “Je suis sûre qu’on peut toutes comprendre plus que tu ne le penses.” Je préfère alors faire une généralité car c’est bien plus sûr à mes yeux. “La compétition est un moyen d’éviter de penser au… reste.” Aux émotions, aux sentiments, au fait que nous sommes humaines. “Je ne suis pas dans le milieu depuis aussi longtemps que toi mais c’est ce que je vois autour de moi, ce sont des personnes qui tentent simplement de se protéger. Porter un masque est réconfortant car on le maîtrise. Être soi-même est… Bien plus compliqué.” J’hausse une épaule, bien consciente que c’est exactement ce qui doit se passer en ce moment pour Lena. Dans un sens, c’est réconfortant. Mais de l’autre, c’est assez surprenant.

Je comprends sûrement mieux que tu ne peux l’imaginer. Ses yeux se lèvent au ciel. De trop nombreuses fois on lui avait fait le coup du "je te comprend" sans aucune valeur. Difficile de savoir si Primrose était réellement compatissante ou juste coincée dans un scénario qui la ferait bien voir. Je suis sûre qu’on peut toutes comprendre plus que tu ne le penses. A cela elle secouait la tête de gauche à droite pour affirmer son désaccord : si elle voulait bien laisser le bénéfice du doute à une ou deux filles présentes ici ce soir, certaines n'avaient aucun scrupule à quoi que ce soit et Lena le savait bien. La compétition est un moyen d’éviter de penser au… reste. La blonde se demandait ce que Primrose pourrait bien ressentir de si horrible pour avoir besoin d'éviter de penser à quoi que ce soit : elle songeait qu'à cet instant, seules ses propres émotions comptaient. L'écossaise avait tort sur ce point là, bien évidemment, mais c'est ainsi qu'elle le ressentait. Un léger sourire ironique s'affichait sur son visage lorsqu'elle pensait qu'elle, pour oublier, c'était toujours loin de la compétition qu'elle se dirigeait : des soirées plus discrètes et certaines substances nocives semblaient bien plus réconfortantes que cette soit disant compétition. Je ne suis pas dans le milieu depuis aussi longtemps que toi mais c’est ce que je vois autour de moi, ce sont des personnes qui tentent simplement de se protéger. Porter un masque est réconfortant car on le maîtrise. Être soi-même est… Bien plus compliqué. Ces mots raisonnaient bien plus en elle que Lena n'aurait voulu le dire. Elle qui appréciait se vanter d'être toujours honnête en toutes circonstances ne se rendait pas bien compte d'à quel point elle se mentait à soi même, le jeu d'acteur dans lequel elle était plongée depuis toujours l'empêchant d'y voir réellement clair. La réalité était pourtant bien plus complexe qu'elle n'en avait l'air, car là où elle ne prônait voir que du noir ou du blanc s'étalait en réalité une large palette de gris. Il n'empêche qu'elle faisait sincèrement l'effort de se montrer si authentique que possible et que celles qui, comme Primrose, se targuaient de ne jouer qu'une énorme comédie, ne cessaient de l'agacer. Elle leur portait la faute d'une société fausse et toujours plus problématique, d'un manque de confiance constant chez la majeure partie des personnes qui n'avaient pas la chance d'avoir leur vie. Se protéger, ouais. Elle était pensive, les yeux dans le vide. Sans doute avait-elle raté l'occasion de le faire, sans doute s'était elle trop exposée. Je ne peux pas le nier, s'exposer vraiment c'est compliqué. Elle soupirait Lena, fatiguée d'avoir à s'expliquer sur ses choix, fatiguée d'être jugée sans cesse. Mais au final, passer son temps à jouer les imposteurs, c'est passer à côté de tellement de choses. Alors je crois que je regrette rien, que j'ai raison de me montrer même sous un mauvais jour. Même si ça lui avait valu des problèmes familiaux, même si ça lui avait valu des problèmes dans son travail aussi. Elle pensait à son père qui réussissait sans doute sa vie aujourd'hui mais qui ne faisait que se mentir à lui même, qui se retrouvait seul une fois le rideau de son spectacle quotidien refermé. Elle refusait de finir comme lui et de devenir une autre personne, l'une de celles qui mentent jusqu'à leur famille parce qu'elles ne savent plus faire autrement. Je comptais pas faire long feu de toute façon, alors maintenant que j'ai fait acte de présence j'crois que je vais rentrer. Il valait mieux, tant pour elle que pour l'ambiance de toute cette rencontre. Ça te fera plus de place sur la prochaine photo. Qu'elle lançait sans réfléchir et sans pouvoir s'en empêcher, regrettant presque que ces derniers mots aient franchis le seul de ses lèvres tant Prim paraissait, pour une fois, un peu plus sincère et innocente qu'à son habitude.

Se protéger, ouais. elle n’a pas l’air convaincu par mes mots, Lena, et je ne pourrai pas la blamer. Nous ne sommes pas dans un lieu ou un univers dans lequel la sincérité prône ; moi-même, je m’habille d’une couverture et d’un masque qui ne me ressemblent pas. C’est une façon d’exister comme une autre, un moyen de m’échapper de mon train-train sordide pour voir un peu de lumière ailleurs. Alors elle est dubitative, plongée dans des pensées qu’elle seule semble atteindre et percevoir et moi, je ne peux que voir que même les grandes figures des réseaux peuvent aussi s’effondrer un jour ou l’autre. Je ne peux pas le nier, s'exposer vraiment c'est compliqué. donc elle n’ose pas s’exposer, mais c’est ce qu’elle fait pourtant. Je ne suis pas vraiment à ma place de jouer les inquisitrices sur ses états d’âme. Il n’y absolument rien qui me pousse à le faire mais je le fais quand même. Dans une certaine limite, en tout cas, car je n’ai pas l’impression que Lena m’écoute quoiqu’il arrive. Elle vit une jolie vie, un joli rêve en tout cas, le tout serait au moins de continuer à prétendre - mais il faut croire que même les professionnels ont dû mal avec ce concept un moment ou un autre. Je peux me satisfaire de voir que moi, je n’ai encore aucun mal à jouer celle que je ne suis pas pour avoir la satisfaction de participer à ce genre d’évènements. Mais au final, passer son temps à jouer les imposteurs, c'est passer à côté de tellement de choses. Alors je crois que je regrette rien, que j'ai raison de me montrer même sous un mauvais jour. je me demande ce qu’elle veut dire par “passer à côté de tellement de choses”. J’ai l’oeil curieux posé sur elle et je pourrai presque lui demander plus d’explications mais l’expression fermée de Lena m’y empêche.

Elle n’a pas envie de bavarder plus et je pense l’avoir assez emmerder jusqu’à maintenant. Je ne peux pas pousser les gens non plus ; j’ai peut-être une figure plus avare ici mais il n’empêche que je reste à ma place quand il le faut. Je n’aime pas la confrontation et encore moins les disputes. D’autant que le lieu n’y est pas propice et que je préfère garder mon image propre et nette. Je comptais pas faire long feu de toute façon, alors maintenant que j'ai fait acte de présence j'crois que je vais rentrer. voilà, si je n’en étais pas encore certaine, maintenant je suis assurée de voir que Lena a envie d’être partout sauf ici. Ce qui n’est pas étonnant à vrai dire. Ça te fera plus de place sur la prochaine photo. je souffle légèrement. “Lena…” c’est presque sur un ton pour la contrer que je souffle son prénom avec la pire des réflexions à venir mais non, elle ne viendra jamais parce que je ne vois pas ce qu’il y a à dire d’autres - outre le fait que je passe pour une égocentrique, ce qui n’est sûrement pas surprenant non plus sachant que je vis et je respire, je me ruine et je me détruits pour mener une belle vie auprès de mes abonnés. “Je pense que ça serait le mieux, en effet. Je te souhaite bon courage pour… Tout ce que tu as géré.” il n’y a rien de plus à rajouter, à part un léger sourire compatissant avant de tourner les talons. Je ne comprends que trop bien que je fais partie des imposteurs. Que je joue un jeu qui finira par se retourner contre moi, exactement pour Lena en ce moment. Mais j’aime ce jeu, pour l’instant. Tant pis si je me brûle les ailes plus tard ; je ne veux voir que le présent. Je me suis battue, je me suis saignée pour en arriver là où j’en suis. Et ce n’est pas Lena Edwards et sa petite baisse de moral qui remettront tout cela en question. Je m’en fais la promesse.