| Your heart screams “yes” but your head says “no”. (Malleen) |
| | (#)Lun 1 Mar - 21:00 | |
| Deux semaines. Sans un contact, sans un regard. Sans un toucher, sans un baiser. Deux semaines, une éternité. Le temps avait cette fâcheuse tendance à vous filer entre les doigts dans les bons moments, et à s’étendre dans les mauvais. Un phénomène aussi frustrant qu’insaisissable, contre lequel Colleen ne pouvait pas lutter. Ces deux dernières semaines en étaient l’illustration parfaite. Les journées s’étiraient, les secondes s’égrainaient au compte-goutte, comme un robinet mal fermé qui laisse les perles s’écraser lentement au fond de l’évier, les unes après les autres. Ploc, ploc, ploc. Si Colleen tendait l’oreille, elle était presque certaine de pouvoir l’entendre, ce rythme lent, indolent, frustrant, étouffant. Celui du temps qui s’était figé. Elle s’efforçait de le tromper, d’accélérer le rythme de son quotidien, reprenant ses bonnes vieilles habitudes, celles adoptées au moment du lancement de Race of Australia. Elle multipliait les consultations à l’hôpital, se portait volontaire pour remplacer ses collègues au pied levé et comblait même son emploi du temps déjà bien chargé d’heures passées au service pédiatrie ; le sourire des enfants qu’elle consolait était le remède le plus efficace qu’elle ait trouvé pour apaiser son cœur brisé. En parallèle, elle avait repris les cours de danse et de yoga, la danse lui permettant d’évacuer la pression et le yoga de s’évader. Oui, tous les moyens étaient bons pour tenter de tromper le temps, mais ses efforts demeuraient insuffisants et il continuait de s’écouler bien trop lentement à son goût.
Et puis le jour de la Saint Valentin arriva. Pour éviter de tourner en rond toute la journée, seule un dimanche, écrasée par le poids de sa culpabilité et de ses regrets, elle s’était portée volontaire pour animer de nombreuses activités toute la journée auprès des enfants malades de l’hôpital. C’est d’ailleurs ce qui justifia le passage express à son bureau, en fin de journée, pour récupérer quelques dossiers qu’elle avait prévu d’ordonner en rentrant chez elle. Avant même qu’elle puisse se diriger vers l’armoire, un détail attira son attention. Un détail de taille, puisqu’il s’agissait d’un énorme bouquet de fleurs placé au milieu de son bureau. Coupée dans son élan, elle se figea alors, les yeux écarquillés. Ce fut comme si une sirène s’était brusquement enclenchée dans son esprit, une alerte qui clignotait frénétiquement et au-dessus de laquelle les lettres DANGER s’inscrivaient en caractères gras et soulignés. Elle essaya de trouver une explication rationnelle, une explication qui n’incluait pas celui auquel elle pensait constamment. Mais c’était peine perdue. Qui d’autre aurait pu lui envoyer un tel bouquet ? Un admirateur secret ? Un fan de Race of Australia qui ne l’avait pas oubliée ? Colleen n’y croyait pas une seconde, et effectivement, quand elle tendit une main tremblante vers la petite carte attachée au bouquet, elle y découvrit le prénom qu’elle s’était efforcée de ne plus prononcer depuis deux semaines. Malgré elle, un sourire s’invita sur ses lèvres. Son cœur se gonfla d’espoir, son rythme cardiaque s’emballa, résonnant jusque dans ses tempes. Il pensait à elle. Il n’avait pas tourné la page – pas encore, du moins. Peut-être même que la situation était aussi difficile à vivre pour elle que pour lui. Et puis, tout aussi rapidement, son sourire s’effaça et son regard s’assombrit. Ce bouquet ne signifiait pas qu’elle pourrait le retrouver. Rien n’avait changé, en deux semaines. Lou n’avait toujours pas remis les pieds à Logan City. Marius ne le savait peut-être pas, mais leurs bonnes résolutions n’avaient pas fait progresser la situation entre mère et fille. Si la nouvelle de leur séparation était parvenue jusqu’à Lou, cela n’avait rien changé à sa vision des choses ; et si ce n’était pas le cas, Colleen refusait toujours obstinément de l’en avertir, fidèle à sa promesse. Quoiqu’il en soit, leurs efforts demeuraient vains. Colleen était dans une impasse.
Après avoir caressé distraitement les roses du bout des doigts, elle s’éloigna du bouquet et récupéra ses dossiers. Cette nuit-là, elle ne ferma pas l’œil. Se tournant et se retournant dans son lit, elle fut incapable de mettre ses pensées en sourdine pour trouver le sommeil. Elle fit quelques exercices de respiration, mit en pratique des techniques de relaxation, ouvrit même un livre pour se changer les idées. Mais la confusion qu’elle ressentait était bien trop grande pour être apaisée aussi aisément, et le lendemain, quand elle retourna à l’hôpital, de lourdes cernes sombres soulignaient son regard. Pour la première fois depuis des années, Colleen se résigna même à accepter une tasse de café pour tenter de retrouver un semblant d’énergie, mais le liquide brûlant lui laissa un goût amer en bouche et fut bien insuffisant pour pallier son manque de sommeil. Dès qu’elle entra dans son bureau et que son regard se posa sur le bouquet de fleurs laissé sur le bureau la veille, sa gorge se serra et elle fut incapable de penser à quoi que ce soit d’autre. Elle essaya de se mettre au travail malgré tout, poussant précautionneusement les fleurs sur le coin de son bureau. Ses efforts échouèrent. A chaque fois qu’elle essayait de se concentrer sur son planning, son regard était attiré par les fleurs écarlates et son nez par la délicieuse odeur qu’elles dégageaient. Désespérée, elle prit le bouquet entre ses mains et le posa sur une étagère au fond de la pièce, espérant que cela suffirait et qu’elle pourrait avancer dans son travail. Un nouvel échec. Elle le déplaça à deux nouvelles reprises, d’abord derrière elle pour ne plus l’avoir directement dans son champ de vision, puis au fond de la poubelle vide dans un mouvement d’humeur. Rien n’y fit. Le parfum floral avait eu le temps de pénétrer l’air, se propageant dans la pièce exactement comme l’espoir s’était infiltré dans son esprit quelques heures auparavant : en traître. Elle ne parvenait plus à réfléchir. Ses pensées la ramenaient sans cesse au beau visage de Marius et aux souvenirs qu’ils partageaient. Alors dans une énième tentative, elle finit par récupérer le bouquet de fleurs au fond de la poubelle. Elle détacha l’étiquette qu’elle déposa à côté de son ordinateur, quitta la pièce et traversa le couloir pour rejoindre le bureau de sa collègue. De sa main libre, elle frappa à la porte et quand Izzie lui ouvrit, elle lui tendit le bouquet. « Tiens, c’est cadeau. Joyeuse St Valentin en retard, ma belle ». Avant de refermer la porte au nez d’une Izzie quelque peu hébétée.
Si elle parvint plus ou moins à se concentrer le reste de la journée, la nuit qui suivit ne l’épargna pas plus que la précédente. Pour ne rien arranger, une nouvelle livraison arriva le lendemain alors qu’elle revenait de salle d’accouchement. Quand elle découvrit le paquet soigneusement emballé sur le bureau, elle haussa les sourcils, intriguée. Sans doute s’agissait-il d’une commande qu’elle avait fait livrer à son bureau, et qu’elle avait par la suite oubliée. Ou alors… Elle s’approcha du paquet, les sourcils haussés, et son regard reconnut aussitôt la courbe des lettres couchées sur l’emballage cartonné. Marius. Son cœur s’emballa et se serra à la fois. Elle déchira le papier, retira la protection qui recouvrait l’objet et fixa un long moment l’aquarelle avec une curieux mélange de fascination, d’irritation et de résignation. Elle n’eut aucune difficulté à distinguer le paysage que Marius avait voulu représenter. La plage de Gold Coast. La plage de leur premier baiser. Les souvenirs revinrent la briser et elle se mordilla l’intérieur de la joue, bouleversée. Ne faisant pas confiance à ses jambes pour supporter son poids, elle s’assit sur la chaise de bureau et saisit l’aquarelle qu’elle inclina vers elle pour mieux en scruter les détails. Elle aurait pu passer des heures ainsi, le regard perdu dans les couches de couleur superposées, dans les vagues qui se dessinaient en arrière-plan. Ce fut un coup de téléphone qui la tira de sa torpeur et la força à retrouver ses esprits.
Le lendemain, une nouvelle aquarelle à l’effigie des pics volcaniques des Glass House Mountains fut livrée. Le surlendemain, ce fut la façade du Canvas. Au bout de trois jours, la livraison quotidienne des aquarelles s’était installée comme une habitude, et Colleen n’avait toujours pas dormi. Chaque matin elle guettait l’arrivée de son petit colis, comptant les heures et les minutes, qu’elle soit dans son bureau ou en salle d’accouchement, seule ou avec ses patientes. C’en devint carrément une obsession. Si une nouvelle aquarelle arrivait, cela signifiait qu’il continuait de penser à elle et que l’espoir était permis. Mais l’espoir était un traître. L’espoir était un poison. Ces aquarelles ne signifiaient pas que la coupure était terminée. Tant que Lou ne serait pas revenue à la raison, Marius refuserait probablement de revenir vers elle. Ces cadeaux étaient précieux et elle en mesurait pleinement la signification ainsi que les efforts entrepris. Mais au bout du compte, ils ne faisaient qu’attiser sa douleur et briser un peu plus son cœur déjà meurtri.
L’épuisement finit par avoir raison d’elle. Au bout du cinquième jour, elle décida que c’en était assez. L’espoir et l’émerveillement avaient laissé place à une profonde lassitude. Privée de sommeil, elle ne parvenait plus à raisonner correctement et l’irritation prenait progressivement le dessus. Elle ne pouvait pas tenir ainsi, en plus de se tuer moralement elle commençait à en souffrir physiquement. Alors elle fit ce qu’elle s’était promis de ne pas faire. C’était un samedi, pourtant son instinct lui soufflait que le nouveau doyen du département des arts de l’université du Queensland se trouvait sur le campus, alors c’est dans cette direction qu’elle se dirigea. Une petite voix à l’intérieur de sa tête lui souffla que c’était une mauvaise idée, car en plus de faire une entorse à leur accord elle avait toutes les chances d’être repérée par Lou ; or si elle croisait le chemin de l’étudiante et que cette dernière découvrait la raison de sa venue, elle anéantirait automatiquement tous les efforts que Marius et elle avaient faits pendant deux semaines. Mais tant pis. Au Diable la raison ! Elle avait beaucoup trop de choses sur le cœur pour se contenter d’un message ou d’un appel. Elle balaya ses réticences et traversa le campus universitaire en se faisant toute petite, le regard vissé droit devant elle, imperturbable. Ne connaissant que l’emplacement de son bureau de professeur, elle espéra que Marius n’en avait pas changé depuis la dernière fois qu’elle avait mis les pieds sur le campus, et ce malgré ses nouvelles fonctions en tant que doyen. Une fois postée devant la porte, elle frappa plusieurs coups d’un geste déterminé et impatient, le cœur battant à tout rompre. Les secondes lui parurent interminables ; le temps, une fois encore, jouait avec ses nerfs. Elle entendit des pas, puis la porte s’ouvrit et le visage de Marius apparut.
Elle s’y était préparée. Elle avait imaginé la scène cent fois, mille fois. Celle de leurs retrouvailles. Dans ses rêves les plus fous, elle se jetait dans ses bras et tout était oublié : la séparation, le spectre de leur dernière – et seule – dispute, les décisions prises... Mais la réalité était autre. La réalité était toujours plus sévère que les songes et les illusions. Elle avait répété son discours, s’était efforcée de maquiller son expression et d’enfouir ses sentiments. Lui demander à quoi il jouait, pourquoi il lui envoyait ces aquarelles, jour après jour, remuant le couteau dans la plaie, celle qui était creusée dans son cœur, invitant l’espoir dans ses pensées, cette fichue lueur qui ne lui laissait aucun répit. Le discours bien ordonné qu’elle avait mémorisé s’effaça à la seconde où elle aperçut ses traits. Il lui avait tellement manqué qu’elle en aurait pleuré – encore une fois. Elle parvint juste à temps à maîtriser ses émotions et s’éclaircit la voix alors que peu à peu, l’objet de sa visite lui revenait à l’esprit. Le bouquet et les aquarelles. Elle se ressaisit et fronça les sourcils. « Il faut qu’on parle ». Détachant son regard du sien l’espace d’une seconde, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour vérifier que personne n’était à proximité, puis s’engouffra à l’intérieur du bureau sans laisser le temps à Marius de l’en dissuader. Elle referma la porte derrière elle et s’y adossa, le contact du bois dans son dos lui permettant de rester droite et de ne pas vaciller. Elle planta son regard dans le sien, s’efforçant d’écarter ses sentiments pour s’accrocher à la raison. Le cœur contre la tête. « A quoi tu joues, Marius ? » La question manquait de conviction, aussi s’éclaircit-elle la voix pour la seconde fois afin de gagner en assurance. « Tu voulais qu’on prenne nos distances pour voir où ça nous mènerait et si ça améliorerait les choses avec Lou, mais tu m’envoies ces cadeaux, jour après jour, et… Tous ces souvenirs, je… Comment veux-tu que je me concentre sur autre chose quand tu me rappelles perpétuellement à quel point tu me manques ? A quel point je voudrais être avec toi ? Je n’arrive à rien ! A rien du tout, c’est insupportable ! Je me lève en pensant à toi, je me couche en pensant à toi, je passe chaque seconde de la journée, chaque seconde de la nuit à penser à toi ! Juste au moment où je commençais à m’y faire, à accepter les raisons de cette séparation et à prendre mon mal en patience, tu me fais ça ! Mais tu ne peux pas me dire de rester à distance et m’envoyer ces cadeaux ! C’est injuste ! Tu ne me laisses aucune chance de m’en sortir, je… Je… Et arrête de me regarder comme ça ! ». Elle secoua la tête, troublée, souffla, épuisée. Elle avait préparé son discours sur le chemin du campus, mais avait perdu ses moyens dès l’instant où leurs regards s’étaient croisés. Elle avait l’air d’une folle avec ses yeux cernés, sa bouche pincée, ses boucles décoiffées. Elle qui se maîtrisait habituellement avait jeté toutes les forces dans la bataille. Elle se rendait bien compte que son discours était décousu et partait dans tous les sens. D’ailleurs, elle en avait certainement trop dit. Mais elle avait parlé avec son cœur – ou plutôt avec ce qu’il en restait.
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| | | | (#)Mer 17 Mar - 8:36 | |
| Il fallait te rendre à l’évidence. L’homme solitaire que tu avais été n’existait plus aujourd’hui. C’était un constant qui te faisait mal parce que tu t’étais toujours dit que la solitude était devenue une amie si proche qu’elle ne te manquerait jamais et que tu finirais ta vie avec elle. Mais entre toi et ce destin peu prometteur, était apparue, presque comme par magie, cette brunette venue d’Angleterre. Tu te souviens encore de son regard émerveillé alors qu’il se posait partout autour d’elle quand elle aménageait. A cet instant, tu n’avais pas imaginé une seule seconde l’importance qu’elle pourrait prendre dans ta vie. Comme quoi, cette dernière n’était jamais à court de surprises … Tu avais plus vécu seul qu’à deux dans ta vie, cette solitude aurait dû te paraître normale, comme une amie retrouvée mais il n’en était rien. Les deux semaines qui venaient de s’écouler pouvaient s’apparenter à de la torture et tu n’étais pas certain d’exagéré. La présence de Colleen à tes côtés était devenue une habitude. Avoir le luxe de se réveiller à ses côtés, pouvoir la serrer dans tes bras, vous balader main dans la main, l’embrasser … Tout cela, tu l’avais pris pour acquis et désormais, tu en dégustais le manque. La seule chose qui te permettait de rester à peu près sain d’esprit et surtout, de ne pas aller frapper à la porte de Colleen à Logan City était ton nouveau poste. Tu en avais officiellement pris le titre au même moment que la jolie brune avait claqué la porte de ton loft et encore une fois, dans une période de trouble certain, ton travail était ce qui te permettait de garder la tête hors de l’eau. C’était ridicule peut-être mais tu lui devais une fière chandelle. Il occupait pleinement ton esprit, demandant ton attention toute la journée et ne te laissant que peu de répit. C’était un soulagement mais ce serait mentir que de dire que c’était suffisant. Tu ne pouvais t’empêcher de penser à Colleen, dès que ton esprit s’évadait hors des murs de l’université. Elle était là, dans chacune de tes pensées. Tu ne comptais même plus le nombre de fois où tu t’étais dit : ‘Il faut absolument que je raconte ça à Colleen ce soir, elle trouvera cela drôle.’ Et ton sourire disparaissait aussi rapidement qu’il était arrivé car il ne fallait que quelques secondes pour te rappeler que tu ne raconterais rien à Colleen en rentrant ce soir car ton loft était vide et sans vie. Et puis dès que tu t’asseyais dans le canapé, tu ne pouvais t’empêcher de revoir la scène qui s’y était déroulé, cette fois en spectateur extérieur et c’était un supplice. Donc tu avais repris tes mauvaises habitudes, tu passais le plus clair de ton temps à l’université et pour l’instant, tout le monde trouvait cela normal. Après tout, il allait te falloir un peu de temps pour prendre tes marques dans ton nouveau poste.
A chaque fois que tu rentrais le soir, alors que dans l’habitacle de ta voiture résonnaient des notes de jazz, tu te demandais si Colleen pensait à toi elle aussi. Tu repensais aux mots qu’elle avait prononcé, au sous-entendu qu’elle avait fait. Cette pause, tu ne l’avais pas proposée parce que tu la voulais, tu l’avais proposée parce qu’elle te semblait être la seule solution pour que Colleen renoue des liens avec Marylou. Est-ce que cela avait fonctionné ? Tu n’en avais pas la moindre idée. C’est quand Moïra t’appela un soir et te parla de la Saint Valentin que tu eus une idée. Certes, il n’était pas question de reprendre réellement contact avec Colleen mais tu pouvais au moins lui prouver que tu pensais à elle non ? Tu écoutais ta nièce te parler de ses dernières aquarelles alors qu’un plan se dessinait dans ton esprit. Est-ce que c’était une bonne idée ? Probablement pas. Est-ce que tu allais le faire quand même ? Oui car cela t’occupera ce week-end et te permettra de te donner un objectif, quelque chose qui allait rendre cette attente vivable. Une fois la semaine terminée, tu arrivais à dormir quelques heures le vendredi soir mais le samedi matin, tu t’installais sur ton balcon dès les premières lueurs du soleil avec ton matériel de peinture et tu te mis au travail. Les souvenirs revenaient, nombreux et il ne fut pas difficile de peindre les lieux qui étaient importants pour Colleen et toi. Le temps te file entre les doigts et tu te rappelais de passer le coup de téléphone au fleuriste juste à temps pour le lendemain. Quand le soleil se coucha, tu te sentis pour la première fois en plus de deux semaines, un peu plus serein. Le lendemain, tu te rendis chez le fleuriste dès l’ouverture pour écrire la carte alors que ton bouquet était en pleines finitions. Tu le regardais partir avant de quitter la boutique et de retourner te mettre à l’oeuvre. Tu passais la journée à peindre de nouveau, t’interrompant pour répondre aux coups de téléphones de Beth et de ta mère et aux quelques textos de Moïra qui se servait de toi comme encyclopédie pour terminer ses devoirs. Une fois toutes les aquarelles sèches, tu les glissais chacune dans une enveloppe sur laquelle tu inscrivais le nom de Colleen et l’adresse du service de pédiatrie. Allez, désormais, c’était partit …
La semaine avait été longue et c’était étirée en longueur. Tu ne t’étais pas vraiment attendu à recevoir quoi que ce soit de la part de Colleen mais tu ne pouvais t’empêcher d’imaginer ses réactions, de te demander sans cesse si elle appréciait tes cadeaux ou non. Enfin, l’université s’était vidée en ce vendredi soir. Au loin, sur le campus, tu pouvais entendre des cris et de la musique. Cela te fit sourire. Il était bien loin le temps où tu faisais la fête. installé dans ton bureau, tu travaillais sur des dossiers. Ils s’empilaient depuis le début de l’année mais tu n’allais pas t’en plaindre, loin de là. Des cernes se dessinaient sous tes yeux mais rien que tu n’arrives à gérer ou à expliquer. Tu étais en train de finir la dernière page d’un projet que voulait mettre en place une collègue quand des coups furent frappés à ta porte. Fronçant les sourcils, tu regardais l’heure et tu étais légèrement inquiet à l’idée que quelqu’un vienne te rendre visite. Ce n’était pas tant qu’il était tard, c’était plutôt qu’il n’y avais plus rien dans les bâtiments académiques à cette heure-ci. Toutefois, tu posais ton stylo sur le bureau et tu te levais pour aller ouvrir la porte. Quelle ne fut pas ta surprise quand de l’autre côté, tu découvris Colleen. La surprise de la trouver sur le pas de ton bureau était telle que tu ne sus quoi dire. Tu étais à deux doigts de te pincer pour vérifier que tu ne t’étais pas endormi sur ton bureau et que tu n’étais pas en train de rêver. « A quoi tu joues, Marius ? » Le son sérieux de sa voix te ramena à la situation actuelle et tu te décalais instinctivement de la porte. Alors qu’elle semblait se préparer à une épreuve, tu pris le temps de l’observer. Son visage était marqué, comme le tient, par des traits fatigués. Tu sentis ton coeur se serrer à l’idée qu’elle ne dormait pas. Son visage rayonnant te manquait, tu aurais tant aimé qu’elle te sourit pour que les nuages qui s’étaient installés sur ta vie ces dernières semaines se dissipe mais il n’en était rien. Elle n’était clairement pas là pour rien et tu sentais que tu n’allais pas aimer ce qu’elle allait t’annoncer. Pourtant, peu importe les mots qui sortiraient de sa bouche, tu pouvais déjà sentir une partie de la tension qui t’habitait de quitter. Qu’elle soit là pour te crier dessus ou te remercier, Colleen était là, devant toi. Tu pouvais sentir des effluves de son parfum alors qu’elle arpentait la pièce, incapable de se calmer. Dans le silence assourdissant de la pièce, tu l’entendis prendre une grande inspiration avant de te dire : « Tu voulais qu’on prenne nos distances pour voir où ça nous mènerait et si ça améliorerait les choses avec Lou, mais tu m’envoies ces cadeaux, jour après jour, et… Tous ces souvenirs, je… Comment veux-tu que je me concentre sur autre chose quand tu me rappelles perpétuellement à quel point tu me manques ? A quel point je voudrais être avec toi ? Je n’arrive à rien ! A rien du tout, c’est insupportable ! Je me lève en pensant à toi, je me couche en pensant à toi, je passe chaque seconde de la journée, chaque seconde de la nuit à penser à toi ! Juste au moment où je commençais à m’y faire, à accepter les raisons de cette séparation et à prendre mon mal en patience, tu me fais ça ! Mais tu ne peux pas me dire de rester à distance et m’envoyer ces cadeaux ! C’est injuste ! Tu ne me laisses aucune chance de m’en sortir, je… Je… Et arrête de me regarder comme ça ! » Tu levais les mains de chaque côté de ta tête, comme pour t’excuser sans vraiment t’excuser. Tu avais été trop obnubilé par le message que tu avais voulu faire passer la dernière fois pour observer Colleen. Mais alors qu’elle venait de se mettre en colère devant tes yeux, tu ne pus t’empêcher de penser qu’elle était belle. Qu’elle était magnifique même … Alors les mots qu’elle prononçait entraient par une oreille et ressortaient un peu par l’autre car elle aurait pu te dire des mots doux, la seule chose qui s’imprimait dans ton esprit, c’est qu’elle était là. Tu n’avais qu’à tendre le bras et faire deux pas, tendre le bras et ta peau toucherait la sienne. Mais tu n’avais pas besoin qu’elle te dise que c’était une mauvaise idée. C’était toi qui avais insisté pour tenter cet éloignement, tu devais en subir les conséquences. Pour ne pas être trop tenté, tu glissais tes mains dans tes poches car tu n’avais envie que d’une chose, c’était de la prendre dans tes bras et de chasses ses cernes et ses tracas. « Je … » Ta voix te paraissait venir de loin, vraiment comme si tu étais dans un rêve. Toutefois, le regard de Colleen ne laissait aucun doute, elle attendait une réponse un peu plus fournie. « Je voulais juste que tu saches que je pense à toi, que je ne peux pas t’oublier. » Maintenant que tu prononces ces mots à haute voix, tu as l’impression d’être un adolescent. C’est pathétique peut-être mais Colleen était partie de chez toi en mettant en doute tes sentiments, en mettant en doute le fait que tu ne voulais qu’une chose, continuer à l’avoir dans ta vie. Alors de manière détournée, en lui envoyant ces attentions à l’hôpital, tu avais pensé bien faire. Ou du moins pas trop mal faire. Cependant, comme d’habitude, tu avais mal fait. Tu laissais échapper un faible soupir avant de lui dire : « Je ne voulais pas t’empêcher de dormir ou te tourmenter, ce n’était pas le but. Je suis désolé. » Et tu l’étais vraiment. Parce que Colleen n’avait pas très bonnes mines et tu devais lutter pour ne pas sortir tes mains de tes poches et la prendre dans tes bras ou toucher sa peau si douce, qui t’appelait … « Tu as revu Marylou ? » Finis-tu par lui demander, espérant une réponse positive alors que cela n’allait probablement pas être ce qui t’attendait. Toi, tu ne l’avais pas croisée depuis la reprise des cours mais tu savais qu’elle s’asseyait désormais dans l’amphithéâtre de Joanne et cela te rassurait pour ton boulot mais aussi pour la qualité de l’enseignement qu’elle recevait.
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| | | | (#)Ven 26 Mar - 12:58 | |
| Elle l’avait rejoint sur une impulsion, sans réfléchir, sans considérer en amont les conséquences de ses actes. C’était son instinct qui l’avait guidée jusqu’ici, sur ce campus universitaire qui faisait naître en elle tant de sentiments contradictoires. Le soulagement, la douleur ; l’espoir, la crainte ; la détermination, l’incertitude. Ses talons avaient claqué d’un pas résolu sur la pierre jusqu’à atteindre la porte du bureau ; focalisée sur son objectif, elle n’avait pas montré un seul geste de faiblesse, maintenant le menton haut, les épaules bien droites et le regard braqué sur sa destination. Elle était restée imperturbable tout au long du chemin, mais cette façade s’effrita à la seconde où le visage de Marius lui apparut. Les sentiments qu’elle avait essayé d’enfouir au plus profond d’elle-même refirent surface et sa souffrance lui revint en pleine figure. Une gifle aurait été moins douloureuse. Elle n’avait jamais cessé de penser à lui au long de ces deux semaines d’absence, mais sa mémoire ne lui avait pas fait honneur. Même avec ces cernes qui assombrissaient son regard fatigué, même avec cette hésitation nichée au fond de ses yeux clairs, elle le trouvait plus beau que jamais. Si elle n’avait écouté que son cœur, elle se serait jetée dans ses bras sans perdre une seconde. Elle l’aurait enlacé, empli ses poumons de son parfum familier, cherché ses lèvres. Désespérée, elle se serait abandonnée à lui. Mais sa raison était tenace, elle l’avait toujours été. Dès le début, quand ils s’étaient rapprochés et qu’elle avait ressenti la force de leur attraction, elle était restée campée sur ses positions et avait résisté. Le cœur et la raison s’étaient livrés une bataille sans merci dès les premiers instants de leur histoire, et si le premier avait fini par l’emporter, le second n’en demeurait pas moins impérieux. Là encore, tout était une question de lutte. Son cœur lui soufflait de profiter de ces retrouvailles qu’elle venait d’engager, la raison lui ordonnait de maintenir une distance respectable avec Marius. Plusieurs secondes s’écoulèrent, indécises. Elle scrutait le regard de Marius, tentait de trouver les réponses à ses questions dans ses yeux bleus, mais c’était peine perdue et quand elle en prit conscience, elle parvint enfin à se ressaisir. Elle était venue avec un objectif bien défini en tête, et malgré la tentation que représentait ces retrouvailles, elle n’avait pas le droit de céder.
Il s’écarta lentement et la laissa pénétrer à l’intérieur du bureau. La porte se referma derrière Colleen mais elle n’était pas prisonnière ; il n’appartenait qu’à elle de repartir dès qu’elle en ressentirait le besoin, car elle savait que Marius ne la retiendrait pas. Elle le dévisagea intensément, tentant à la fois de ralentir la course effrénée de son cœur et de se remémorer l’objet de sa visite. En vérité, elle ne manquait pas d’arguments pour justifier sa venue, là, sur un terrain qui n’aurait pu être plus hostile en raison de la proximité de Lou : elle était épuisée, déboussolée, agacée, résignée. Elle avait besoin d’y voir clair, de comprendre réellement quelles étaient les intentions de Marius. Au fond, elle le connaissait suffisamment pour deviner qu’il n’avait jamais voulu lui faire de mal, et que lorsqu’il lui avait fait parvenir le bouquet de fleurs et les aquarelles, ses intentions avaient été honorables. Seulement Marius avait beau agir avec bienveillance, il n’en était pas moins maladroit. Pour elle, recevoir ces preuves d’attention s’était apparenté à une torture. Chaque fois qu’elle avait posé les yeux sur une nouvelle aquarelle, les souvenirs avaient ressurgi en elle avec une rare violence, la ramenant vers tous ces endroits liés à leur histoire. Il ne pouvait pas continuer à souffler le chaud et le froid de cette manière, lui imposant d’une part de prendre leurs distances, et d’autre part de réveiller les souvenirs qu’ils partageaient. S’il voulait vraiment lui laisser une chance de s’en sortir, il devait se faire oublier, et c’était précisément ce qu’elle était venue lui faire comprendre – du moins, avant que le fil de ses arguments ne s’emmêle brutalement et qu’elle perde tous ses moyens face à lui. La faute à la fatigue, probablement, ou à cette tension palpable qui chargeait l’air en électricité. Son discours la laissa plus épuisée que jamais, mais irritée également. La colère s’était progressivement immiscée dans ses paroles et quand elle parvint enfin à se taire, elle réalisa que tous ses muscles s’étaient crispés. Marius leva les mains pour se défendre, mais ne lui répondit pas tout de suite. A bien l’observer, elle se demandait même s’il l’avait vraiment écoutée. Ses yeux luisaient d’un mélange de surprise et de fascination, et si elle n’avait aucune difficulté à saisir la première émotion, la seconde en revanche la laissait perplexe.
Le visage fermé, elle attendit qu’il daigne enfin lui répondre et lui fournir des explications. Elle suivit son geste des yeux quand il enfonça ses mains dans les poches de son pantalon, puis son regard revint se planter dans le sien alors qu’il s’exprimait enfin. Elle se figea. Entendre ces paroles lui faisait un bien fou, et en même temps cela ne faisait qu’attiser davantage sa colère. Il s’excusa, et elle, elle secoua la tête. « Tu m’as forcé la main, Marius. Tu ne m’as pas vraiment laissé de choix, la décision, tu l’as prise à ma place ». C’était un constat plus qu’une accusation, mais sa voix était emplie d’amertume. « Et je crois que j’ai compris que tu le faisais dans mon intérêt ». Elle en avait douté, au début. Prise au dépourvu par la décision de Marius, elle avait vu rouge. Cette séparation forcée servait-elle vraiment ses intérêts ou était-elle une manière déguisée de se débarrasser d’elle ? La question l’avait taraudée mais à présent, il n’y avait plus de doute possible – elle le connaissait assez pour savoir qu’il n’était pas sadique, et qu’il ne lui faisait pas de la peine intentionnellement. « Mais pour que ça marche, il faut me laisser une chance d’y arriver » Reprit-elle. « Là, c’est comme si… Comme si tu m’envoyais des signaux contradictoires ! Comment voulais-tu que je ne réagisse pas après avoir reçu toutes ces aquarelles ? Tu me pensais vraiment capable de rester à distance ? ». Le seul fait de ne pas le toucher, là, tout de suite, lui coûtait une énergie considérable. Elle était incapable de continuer ainsi, à se tourmenter, à désespérer, à ne plus pouvoir trouver le sommeil la nuit. Cet éloignement, censé la rendre plus heureuse à terme, produisait l’effet inverse. C’était un échec complet, et Marius en eut la confirmation quand il lui demanda si elle avait eu des nouvelles de Lou et qu’elle serra les mâchoires tout en détournant son regard du sien. « Non ». Un mot, trois lettres, pour résumer leur défaite. Ils s’étaient donnés du mal pour faire évoluer les choses, et cela n’avait servi à rien. Strictement rien. « Je suis toujours sans nouvelle. Tout ça, là » Fit-elle en esquissant un geste vague les désignant tous les deux, « n’a servi à rien ». Elle appuya l’arrière de sa tête contre la porte d’un air abattu, soupira, puis planta ses yeux dans les siens. « Mais si tu veux qu’on continue ainsi, très bien, continuons. On peut toujours espérer un revirement de situation… Peut-être que d’ici deux mois, six mois, un an, dix ans, ma fille comprendra enfin ce que nous avons essayé de faire ! ». Elle avait voulu paraître détachée, mais son sarcasme ne suffisait pas à étouffer la douleur qui transperçait sa voix. Elle était trop fatiguée pour être capable de taire son désespoir.
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| | | | (#)Dim 16 Mai - 10:44 | |
| L’idée que Colleen puisse venir te trouver ne t’avait pas vraiment traversée l’esprit. Cela aurait dû être une évidence pourtant et il était sans doute temps que tu arrêtes de nier qu’une partie de toi n’avait attendu que ça. Ce n’était pas ce qui t’avait poussé à envoyer les fleurs et tes aquarelles à la jolie brune mais peut-être que c’était une partie de l’équation et tu avais bien conscience de l’hypocrisie de la démarche. Mais le regard de Colleen quand elle t’avait plus ou moins accusé de vouloir te débarrasser d’elle avec cette idée de prise de distance t’avait brisé le coeur. Rien que le fait qu’elle puisse l’envisager, même sous le coup de la colère te faisait peur parce que tu n’avais pas envie que la jeune femme pense que tu cherchais à t’éloigner. Tu n’étais pas l’homme le plus courageux de Brisbane mais si jamais tu avais voulu mettre fin à ta relation avec Colleen, tu n’aurais pas pris ce type de chemin détourné, tu aurais assumé ta décision. Rien que d’y penser, tu avais la nausée donc tu chassais ces pensées de ton esprit car tu ne comptais pas laisser Colleen s’échapper, pas si tu pouvais l’empêcher. Mais avec ta belle anglaise venait sa fille et c’était une variable de l’équation que vous aviez ignoré bien trop longtemps. Désormais, elle était impossible à ignorer, en particulier quand tu avais vu les conséquences de l’éloignement entre la mère et la fille sur Colleen. Les Warren étaient sans aucun doute la famille parfaite quand il s’agissait de parler de famille dysfonctionnelle. La seule chose qui vous reliait, c’était la certitude que si vous aviez un problème, vous pouviez compter les uns sur les autres. Jamais personne ne le dira mais vous le saviez au fond de vous. Quand Tommy avait déposé Moïra chez toi, tu n’avais même pas envisagé de ne pas t’occuper de ta nièce alors que Dieu sait qu’il existait des milliers de raisons qui auraient justifié que tu n’endosses pas ce rôle. Mais à part ça, votre famille n’était qu’une pelote de malentendus, de disputes et de rancoeur. Ce que partageaient Colleen et Marylou était quelque chose de fort, c’était une relation d’une pureté et d’une beauté que tu ne pensais exister que dans les livres. Tu refusais d’être la raison de la fin de cette relation.
Voir Colleen, là, dans ton bureau, cet endroit qui te servait d’échappatoire depuis si longtemps, c’était une torture. Mais une torture moindre que celle que tu lui avais imposée ces dernières semaines. Jamais tu n’avais imaginé que tes attentions puissent être la cause de tels troubles pour la femme que tu aimais et tu t’en voulais d’avoir été égoïste. Tu aurais dû savoir que ce ne serait pas une bonne idée, tu ne semblais pas regorger de bonnes idées ces derniers temps … Alors même si tu mourais d’envie de tendre la main, de poser le bout de tes doigts sur ton visage, tu te retins parce que tu ne voulais pas la tourmenter plus. Tu te contentais de boire son visage, de boire son odeur pour la graver dans ton esprit car ni toi, ni elle ne pouviez savoir quand la situation allait s’arranger avec Marylou. Si cela devait durer des mois, allais-tu tenir la distance ? Tu étais incapable de le dire et tu te sentais fébrile rien qu’à l’idée de l’envisager. « Tu m’as forcé la main, Marius. Tu ne m’as pas vraiment laissé de choix, la décision, tu l’as prise à ma place. Et je crois que j’ai compris que tu le faisais dans mon intérêt » Si au moins tes attentions avaient servi à lui faire comprendre ça, c’était déjà un bon début. Parce que tu n’avais pas pensé à toi quand tu avais pris cette décision, tu n’avais pensé qu’à elle. Tu ne gagnais rien à t’éloigner de Colleen, tu perdais même tout à vraie dire. Mais tu restais persuader que c’était la bonne chose à faire, laisser Colleen retrouver un semblant de relation avec sa fille avant que ta présence ne lui soit imposée dans un cadre qui n’avait plus rien à voir avec l’université. Si elles arrivaient à surmonter cela, tu savais qu’il allait falloir que tu aies toi aussi un certain nombre de discussions avec Marylou mais cela viendra plus tard, bien plus tard. « Mais pour que ça marche, il faut me laisser une chance d’y arriver. Là, c’est comme si… Comme si tu m’envoyais des signaux contradictoires ! Comment voulais-tu que je ne réagisse pas après avoir reçu toutes ces aquarelles ? Tu me pensais vraiment capable de rester à distance ? » Tu n’avais pas été jusque là dans ta réflexion, c’était ça la vérité. Si tu étais honnête avec toi-même, ces attentions et ces aquarelles avaient été une manière de lutter contre le manque, contre ce vide que l’absence de Colleen avait soudainement laissé dans ta vie et une fois envoyées, tu n’avais pas pensé aux dégâts qu’elles pouvaient provoquer chez leur destinataire. « Je n’ai pas réfléchi, je n’ai pas pensé que … Je suis désolé, vraiment. » Tu avais l’impression d’être un vinyle qui se serait coincé sur une même réplique, encore et encore. Ton égoïsme était certainement ton pire défaut, ce n’était pas ton frère qui te dirait le contraire. Prenant une grande inspiration, tu ajoutais : « Je vais arrêter. Je sais que c’est difficile à croire mais je n’ai jamais voulu te faire de mal. » Au contraire même, tu aurais voulu faire réapparaître sur ses lèvres un de ces sourires dont elle avait le secret et que tu t’étais habitué à voir tous les jours dans ton quotidien. Les choses auraient sans doute été plus simples si Colleen n’avait pas été maman mais elle n’aurait pas été la femme dont tu es tombé amoureux si elle n’avait pas Marylou à ses côtés. Et en parlant de la jeune adulte, tu demandais à Colleen si elle avait eu des nouvelles de sa fille. Elle n’aurait pas eu besoin d’ouvrir les bouche, l’expression de son visage te donnait déjà la réponse mais elle ajouta : « Non. Je suis toujours sans nouvelle. Tout ça, là ... n’a servi à rien. Mais si tu veux qu’on continue ainsi, très bien, continuons. On peut toujours espérer un revirement de situation… Peut-être que d’ici deux mois, six mois, un an, dix ans, ma fille comprendra enfin ce que nous avons essayé de faire ! » Elle avait peut-être compris que tu avais les meilleures intentions du monde mais Colleen n’était toujours pas d’accord avec ton plan. Le sarcasme qui teintait chacun de ses mots ne laissait aucun doute. Tu savais que tu ne serais pas capable de rester éloigné trop longtemps, tu pouvais être têtu et déterminé mais tu en avais assez de souffrir et tu avais envie d’être heureux. Mais tu étais certain que Marylou et toi vous partagiez un but commun et que c’était ce but qui allait vous permettre, une fois les premiers tumultes passés de vous entendre. Vous vouliez tous les deux que Colleen soit heureuse et elle ne le sera pas sans sa fille, ça tu en es persuadé. « Je sais que tu veux qu’elle revienne vers toi d’elle-même mais tu ne veux pas essayer de la contacter ? » Tu marchais sur un sol glissant, tu t’élançais sur de la glace, sans patins et sans rien pour te rattraper mais tu ne pouvais pas t’empêcher de lui poser la question. Car tu étais persuadé que Marylou saurait apprécier cette distance si elle l’apprenait bien entendu. « La plupart des gens dénigrent les lettres manuscrites mais cela pourrait être un compromis pour Marylou et toi. Une prise de contact non intrusive qui laisse encore la balle de son côté et te donne la possibilité de t’expliquer en choisissant bien tes mots. » Des fois dans une conversation, on se laisse emporter et l’autre est bien trop vite blessé. Une lettre peut se travailler, s’écrire et se réécrire jusqu’à atteindre un résultat satisfaisant. Marylou sera assez curieuse pour l’ouvrir. Peut-être pas le jour où elle la recevra mais elle finira par l’ouvrir et tu ne doutes pas que Colleen saura trouver les mots. Est-ce que c’est une bonne idée ? Tu n’en sais rien, mais c’est une idée. « Cependant, je pense que tu me surestimes beaucoup, je ne pourrai pas rester loin de toi pendant six mois, un an ou dix ans, pas quand tu es tout près. » Et puis presque dans un murmure, tu ajoutais : « Je n’en serai pas capable … » Pas quand tu savais qu’elle aussi n’attendait que ça, vos retrouvailles …
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| | | | | | | | Your heart screams “yes” but your head says “no”. (Malleen) |
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