Son fils est né. Il a un beau prénom. Il est beau, tout court. Swann n’a eu le droit qu’à quelques photos mais il s’est extasié devant chacune d’elles et Lucia tout autant - parce que oui, bien sûr qu’il les lui a toutes montrées en présentant le garçon comme le plus beau nouveau-né du monde. Chaque nouveau né est le plus beau qui soit à ses yeux, surtout lorsqu’il s’agit d’une version miniature d’un membre de sa famille ou un de ses amis. Ariane est un démon, certes, mais elle est son démon préféré. Aujourd’hui, les bandages sur ses poignets sont moins imposants et voyants, il arrive à mettre des manches longues pour les cacher sans trop de problèmes. Il pense naïvement pouvoir passer au travers de la journée sans que la rousse n’en vienne à être au courant des derniers événements de sa vie, chose qu’il espérait voir se réaliser puisqu’il n’a pas envie de connaître son avis à ce sujet. Quel qu’il soit, l’anglais sait par avance que cela ne lui plaira pas. Elle était aux premières loges quand il a vu sa vie basculer et ne l’a pas vu depuis, il préfère agir comme si de rien n’était et se contenter d’être simplement heureux pour elle. Parce qu’il n’a pas besoin de mentir à ce propos, au moins : il est réellement heureux qu’elle soit devenue mère, que sa vie lui réussisse, que ses livres soient reconnus. Elle mérite tout ce qui lui arrive, malgré son éternelle mauvaise humeur et tout ce qui va avec.

Il vient aujourd’hui la féliciter à sa manière, quand bien même ce n’est finalement qu’une bonne excuse pour lui pour pouvoir voir de ses propres yeux cette petite merveille. Abel a déjà un mois ; Swann a l’impression qu’il est majeur et qu’il a raté toute sa vie. Ils ne sont pas du même sang mais il le voit comme un neveu supplémentaire, lui qui en a déjà bien plus que de doigts sur lesquels les compter. “Je t’ai pas prévenu que j’allais passer, ça aurait été trop vieux.” Déjà, il toque à la porte et n’attend pas longtemps avec qu’elle s’ouvre sur l’anglais muni d’un fier et immense sourire de vainqueur. Au pire des cas, il serait tombé sur Saül seul, ce qui n’aurait pas été un problème. Il était prêt à prendre le risque, de toute façon. “Pas d’alcool dedans, cette fois.” Il présente la nouvelle peluche comme son offrande pour ne pas s’attirer la colère des Dieux, toujours aussi heureux de ses remarques, tel un gamin. “Mais je dis pas que je t’en ai pas ramené une quand même. Je peux le voir ?” Il l’entend hurler, déjà, et même si ses oreilles sont déjà meurtries, il a toujours autant envie de voir le petit être et de lui offrir la peluche largement plus grande que lui encore. Ce n’est qu’ensuite qu’il fera passe à Ariane un interrogatoire en bonne et due forme, parce qu’elle ne passera pas au travers.

Non mais ta gueule sérieux. J’ai tout fait : je l’ai nourri, je lui ai listé toutes les façons de tuer de la moins salissante à la plus sanguinaire son pire ennemi. J’ai embrassé sa tempe, sa joue, son front, sa nuque dans l’ordre et dans le désordre, et je lui ai pointé le tiroir avec les couteaux pour qu’il soit toujours prêt à buter qui que ce soit s’infiltrerait en voleur dans l’appartement. Mais Abel est pas capable de se la boucler. Et si j’ai pas perdu mes deux tympans dans les prochaines semaines par sa faute ainsi que toute résistance à entendre les voisins et leur musique de merde aux petites heures du matin qui bousille le sommeil de l’héritier, ce sera qu’une question de temps avant que ça arrive pour de vrai.

“Je t’ai pas prévenu que j’allais passer, ça aurait été trop vieux.” blablabla si t’as pas un tranquillisant quelconque à mettre dans son lait pour le faire dormir je veux rien savoir de toi, Swann. C’est ça qu’il dit, mon coup d’œil quand j’ouvre la porte et tombe sur son air de type qui a pas quarante mètres de cernes sous les yeux. Alors c’est de ça que ça a l’air, quelqu’un qui dort. “Pas d’alcool dedans, cette fois.” mon sourcil se hausse, ma main remonte le long de l’embrasure de la porte et j’hésite entre l’étouffer avec la peluche qu'il brandit sous mon nez ou m’étouffer moi-même et abréger mes souffrances face à un Abel qui clairement déteste la vie presqu’autant que moi quand Saül doit aller faire acte de présence au bureau. Connerie. “Mais je dis pas que je t’en ai pas ramené une quand même. Je peux le voir ?” “Tout ça pour ça?” le simple fait que Swann suggère qu’il a de quoi brouiller mes sens et brûler ma langue suffit à ce que je le laisse passer dans l’appartement en bordel, sonore comme tout le reste.  

Bordel donc. Y’a des couvertures partout, des livres empilés, des notes avec. Le fait que mon cher et tendre obsédé du ménage se soit tiré ce matin pour jouer les adultes confirme que le reste de ma journée a été constitué de façons de déranger son ordre même pas involontaires. Je suis dépassée, et y'a sûrement un millier de gens qui s'en réjouissent, de voir la grande Ariane réduite à ramasser de la gerbe et à chanter des comptines en français parce que c'est la seule chose qui fonctionne une fois sur dix-neuf. “Si tu veux le voir, faut que tu signes une décharge qui me libère de toute faute si tu perds l'ouïe une fois que t'es entré dans sa chambre. ” je l'aime sur ma vie Abel. Faut pas en douter, même s'il arrive à me rendre folle 24/7. C'est bien notre fils à Saül et moi, vous direz.

Elle a un drôle d’air, Ariane la maman. Elle a perdu un peu de poids mais gagné beaucoup de cernes, peut être que c’est normal que tout se balance ainsi. L’anglais sourit parce qu’il ne sait faire que ça, mais aussi parce qu’il est sincèrement heureux de la revoir dans ce contexte, même si son nourrisson lui arrache déjà les oreilles et qu’il a l’impression d’avoir perdu de l’ouïe à l’instant même où la porte s’est ouverte. Alors il tend son ourson en peluche comme une hache de guerre prête à être enterrée, comme le meilleur des drapeaux blancs aussi. Si jamais elle veut détruire quelque chose parce qu’elle en a marre du monde entier, ça pourra aussi faire l’affaire. Le cadeau est multifonction et s’adapte à ses envies. “Tout ça pour ça?” - “Tu m’as manqué aussi.” Il reprend avec ironie mais pense chacun de ses mots. Ariane ne l’aurait pas laissé jouer avec la corde sensible s’ils avaient gardé leur sérieux mais avec la française, tout est bien plus naturel entre deux menaces et trois couteaux sous la gorge. Il s’y adapte plutôt bien, en réalité.

Un pas dans l’appartement puis un autre. Il sent le lait, il sent les produits en tout genre. Il sent le bébé, aussi. Les bébés ont une odeur particulière - qui n’est pas celle de leur couche, non. Il sourit un peu plus encore, l’ourson sous son bras, la bouteille sous l’autre. Swann est sincèrement heureux d’être ici, malgré les pleurs incessants d’Abel. “Si tu veux le voir, faut que tu signes une décharge qui me libère de toute faute si tu perds l'ouïe une fois que t'es entré dans sa chambre. ” Elle pourrait lui dire n’importe quoi que son avis ne changerait pas : bien sûr qu’il a envie de voir Abel. Après tout, il est aussi là pour ça, tout comme il vient pour rappeler à la jeune femme qu’elle est humaine et qu’elle doit se ménager autant que possible (avoir un ami médecin, quelle fausse bonne idée). “Je dois signer de mon sang ou avec un stylo ça ira ?” Lucia n’aurait pas rigolé à la blague parce qu’elle a déjà vu bien de son son sang-encre ; Ariane, elle, ne le sait pas du tout et c’est bien mieux de cette manière. Ils ne sont là que pour faire tourner leur monde autour du petit garçon. “Je te serre un verre après. C’est l’heure de son biberon ? Il en boit combien par jour ? Saül n’est pas là ? Je peux lui apprendre God Save The Queen si tu veux prendre un peu de temps pour toi.” Il veut vraiment voir ce gamin, si jamais elle ne l’avait pas déjà compris à ses yeux brillants et son sourire plus véritable que jamais.

“Tu m’as manqué aussi.”
“Ouais, non, dis pas des horreurs comme ça.”

Ça lui va pas au teint. Ça sonne faux. Ça m’énerve : c’est de la triche, tout m’énerve. Quand Swann brandit le potentiel de boire mes soucis par contre, c’est une toute autre lueur qui éclaire mes prunelles. Pas de celles qui prévoient les différentes manières dont je lui arracherai chaque membre rien que pour le plaisir de le faire, mais bien la libération de pouvoir enfin picoler sans avoir besoin de chercher trop loin la prochaine bouteille que je pourrai vider. Le bonheur au fond, c’est juste une question de facilité.

“Je dois signer de mon sang ou avec un stylo ça ira ?” l’anglais se fait un genre de style de parcours du combattant dans mon salon, c’est du bout du pied que je repousse tout ce qui traîne sur mon chemin à moi sans faire le moindre effort pour me pencher et ramasser quoi que ce soit. Saül aura rien à rager en rentrant ici si y’a pas un peu de bordel à me remettre sous le nez. “Je savais que t’aurais dû être le parrain.” et c’est là où Wyatt et Yele grincent des dents et où je m’en fous complètement. Swann aurait fait un boulot impeccable et pas juste parce qu’il a l’air d’endurer à merveille les bruits de crécelle qui sortent de la gueule de l’envoyé de Satan sur cette Terre. Mon ange de malheur serait entre bonnes mains avec McGrath dans les pattes. “Je te serre un verre après. C’est l’heure de son biberon ? Il en boit combien par jour ? Saül n’est pas là ? Je peux lui apprendre God Save The Queensi tu veux prendre un peu de temps pour toi.” “Sérieux quand je pensais que personne pouvait être pire qu'Abel pour faire du bruit agressant c’était parce que j’avais oublié ton talent à parler pour rien dire.” il m’a perdue à "après". Sérieux dude, il est où le bouton off sur toi aussi?

“Suis les hurlements de fin du monde.” après, après, après, après l’avoir vu donc. Ben faisons ça, maintenant que je le précède dans le couloirs bordés de bibliothèques que Williams a rangé selon son code de merdeux que je défais au fil de mes pas du séjour jusqu’à la chambre tout au fond. Porte ouverte, signe du menton, c’est à Swann de briller maintenant que je lui tends mes mains vides pour récupérer mon dû. “Ah ouais, c’est vrai, faut que je vienne moi aussi.” râle donc encore Ariane, fais donc encore comme si c’était le pire calvaire à subir que de constater à nouveau à quel point Abel est une merveille du monde en lui-même. Foutu bébé pour qui je déchaînerais des tornades sur la planète s'il fallait pour l'aider à mieux dormir. Appuyée sur l'embrasure de la porte, les prunelles vissées à la silhouette de Swann qui fera bientôt ses premiers pas dans la chambre de l'héritier, c'est un nouveau jeu aussi nul que fun qui commence. “Plus tu trouves de trucs qui me ressemblent sur lui, plus gros sera ton cadeau d’anniversaire.”

“Ouais, non, dis pas des horreurs comme ça.” L’anglais sourit sans ne rien ajouter, bien moins mal à l’aise que la rousse à l’idée de lui faire part de ses sentiments, surtout alors qu’ils sont aussi simples à formuler et sans aucune conséquences : elle lui a réellement manqué. “Je savais que t’aurais dû être le parrain.” Il aurait adoré être le parrain, cela va de soi, tout comme il aurait été parfait dans ce rôle en plus d’y mettre tout son coeur. Ariane en aurait rapidement eu marre de le voir continuellement traîner autour de sa progéniture, par contre, parce que les deux vont de pair. Lucia aussi aurait été là ; Lucia aussi aurait été heureuse de le savoir parrain parce que cela aurait signifie pouvoir passer du temps avec le gamin elle aussi. Maintenant, pourtant, la question ne se pose plus. Il reste éternellement le grand (grand) frère de tous les enfants qui gravitent dans son entourage et sa famille, et il sourit en se disant que les choses sont très bien telles qu’elles sont en ce moment. “C’est pas moi qui le dis.”

D’un sujet il passe à un autre et s’il n’est pas le parrain, rien ne l’empêche pourtant de proposer son aide et vouloir faire au mieux tant pour Ariane que son fils, même si ce dernier lui arrache les oreilles. “Sérieux quand je pensais que personne pouvait être pire qu'Abel pour faire du bruit agressant c’était parce que j’avais oublié ton talent à parler pour rien dire.” Ça signifie qu’il a tout pour devenir le meilleur ami d’Abel, ça, non ? Swann ne voit pas les reproches qui ne sont pourtant pas le moins du monde voilés. Ce n’est pas auprès d’Ariane qu’il compte cesser de parler pour se ranger, surtout si cela signifie arrêter de chanter les louanges de son pays. “Je vais faire semblant de pas avoir entendu que tu m’avais oublié.” Elle est devenue mère, c’est normal qu’elle s’occupe de bien d’autres choses que de la tête blonde de l’anglais. Ce n’est pas un reproche, il le jure. Il le pense moins, mais il est prêt à mentir pour ne pas avoir à entendre de quelconques violons. “Suis les hurlements de fin du monde.” - “Ok chef.”

Bon élève, il suit effectivement les cris de l’enfant jusqu’à arriver dans sa chambre, une Ariane toujours aussi joyeuse (non) et pleine de vie (non) sur ses talons. Il ne l’entend pas même râler, sûrement parce qu’il a activé le filtre afin de supprimer les faux-semblants de la rousse jouant à l’éternel bad cop grognon. Ça se voit qu’elle aime son fils et qu’elle serait déjà prête à tout pour lui. Elle s’arrête sur le pas de la porte ; il s’avance de quelques pas supplémentaires, se disant que quitte à ce qu’Abel soit réveillé alors autant tenter de le calmer en le prenant entre ses bras. Il ne rigolait pas lorsqu’il évoquait l’idée de lui apprendre l’hymne britannique ou même lui donner le biberon. Au contraire, il en serait heureux, surtout alors qu’il est encore assez léger pour ne ranimer aucune douleur le long de ses avant-bras fragilisés. “Plus tu trouves de trucs qui me ressemblent sur lui, plus gros sera ton cadeau d’anniversaire.” - “Mon anniversaire est dans trop longtemps, tu m’auras menacé de mort dix fois entre temps.” Il ne tombera pas dans le piège mais cela ne l’empêche pas pour autant de sourire béatement face au bambin, usant de toute la douceur du monde au moment de le prendre entre ses bras. Il fait attention au dos, à la tête, à ses petites mains, à son torse, à tout ce que Ginny lui a appris. Il a perdu l’audition entre temps mais ne s’en formalise pas, après tout ce n’est pas un sens qui doit être bien important. “Personne ne pourra croire que tu l’as échangé à la maternité. Pas de doute, c’est bien un mini-toi.” Il lui ressemble comme deux gouttes d’eau, tout comme il est le portrait craché de son père. Tant mieux pour lui, il sera bien entouré avec deux parents tels que ceux là, c’est indéniable. “T’as oublié de lui faire un bouton off ?” La prochaine question sera de lui demander s’il ne fait pas quelque chose de mal puisqu’Abel continue de pleurer et hurler. “Peut-être qu’il a faim ?” La nourriture est la réponse à tout, c’est bien connu.

“Mon anniversaire est dans trop longtemps, tu m’auras menacé de mort dix fois entre temps.”
“Tu me connais si bien des fois c’est flippant.”

Et moi pareil, que ma voix chantante semble vouloir lui dire. Oh Ariane, si seulement tu savais. Mais j’ai pas le moins du monde le temps de jeter ne serait-ce qu’un demi coup d’oeil vers ses poignets cicatrisés (pas assez pour que je remarque rien) que déjà Swann obéit au doigt et à l’oeil et me suit dans le couloir.

Abel, sérieux, quel enfer. C’est le meilleur bébé de l’univers, c’est ma raison de vivre. C’est un futur génie, le sauveur du monde ou celui qui va le mener à sa perte. C’est mon fils et je tuerai (prendre note du temps de verbe, futur, c’est acté) qui que ce soit lui fera du mal même si c’est juste de le pousser sans faire exprès dans le métro. Pourtant pour l’heure, entre lui ou un orchestre symphonique de death metal, la différence est très minime. “Personne ne pourra croire que tu l’as échangé à la maternité. Pas de doute, c’est bien un mini-toi.” c’est le plan. En plus, Saül a l’air d’être particulièrement prompt à ne pas lâcher le morceau sur le fait que le père est en pourparler quand on est à cours de menaces l’un envers l’autre. Mais oui, il a ses yeux, il a mon nez. Il a notre caractère et il rendra la planète en entier complètement folle. Je suis si fière de lui que j’en pleurerais presque si j’avais le moindrement une force quelconque encore restante en moi.

“T’as oublié de lui faire un bouton off ?” “Peut-être qu’il a faim ?”

C’est pas sa faute, Swann, il a bien lu les manuels, suivis les cours via ses soeurs, passé chacune des étapes les unes après les autres dans sa liste mentale avant de finir par vomir ses recommandations inutiles au beau milieu de la chambre en bordel, dans l’appartement en bordel. “Il veut sa mère.” mais il a mangé Abel, il a bu. Il a dormi, sa couche est changée, il a pas mal nulle part j’ai validé. D’un pas vers lui, je tends les bras, l’attrape et le cale contre moi, son nez trouvant imperceptiblement sa place au creux de mon cou.  “Et son père.” dès que je le lâcherai pour le remettre dans son berceau, ce sera la crise de nerfs à nouveau. Soit pour moi, soit pour Saül. Il hurle à s’en époumoner, mais voilà que depuis deux secondes et cinquante-quatre millièmes - j’ai compté - il a arrêté de pleurer. “Aussi j’pense que c’est juste comme ça qu’il a appris à communiquer.” ma mère dirait que c’est exactement ce que je mérite pour avoir été l’enfant le plus infernal qu’elle a eu entre mes frères et moi. Je tiens le morceau en statuant que j’étais peut-être une merde bébé, mais que Yele m’a bien rattrapée ado et que Wyatt fait un boulot impeccable en son genre en tant qu'adulte.

“Si tu fais le moindre bruit et que tu le réveilles j’te le laisse et je pars sans billet de retour. Encore.” une menace de plus? Il a dit que j'attendrais pas à son anniversaire. Nous y voilà donc, lance le décompte Swannie.

“Tu me connais si bien des fois c’est flippant.”
Clin d’oeil. Personne n’aurait parié sur eux, pas même eux, mais voilà où ils en sont aujourd’hui. Ariane a même arrêté de lui faire ses gros yeux de personne méchante. La plupart du temps, en tout cas. Parfois, ils reviennent. Habitude, sûrement.

Peut être qu’il a faim est la réponse universelle de Swann dès qu’un enfant semble mal aller. Même s’il vient de manger, il peut toujours avoir un petit creux supplémentaire et ce n’est pas l’anglais qui risque de vouloir réfuter cette hypothèse. Les rares fois où il semblerait avori faux, il serait capable de dire que ce n’est que l’exception qui confirme la règle - et ce peu importe le nombre d’exceptions qu’il pourrait y avoir. “Il veut sa mère.” Oh. Ce n’est pas la réponse à laquelle s’attendait Swann et quiconque semblerait voir de la déception dans son regard aurait parfaitement raison. Il aurait aimé pouvoir aider l’aider ou au moins arranger un peu les choses. Se savoir parfaitement inutile est l’un des sentiments qu’il déteste le plus en ce monde, même s’il concède sans mal qu’Ariane a une place bien plus importante dans la vie de l’enfant qu’il n’en aura jamais. Après tout, il n’a même aucun lien avec lui et pourrait se contenter de dire qu’il est mignon, comme le ferait n’importe quel ami avant de passer au sujet suivant. La vérité, c’est que les enfants dans son entourage l’aident à leur niveau à aller mieux, sans même le savoir. Même les hurlements d’Abel y font ; à leur manière. “Et son père.” L’un ne va pas sans l’autre, c’est évident. Swann est heureux de savoir que l’arrivée de l’enfant n’a en rien changé la vie de couple d’Ariane. Traumatisme d’un enfant qui n’a jamais connu son père, sans doute. “Aussi j’pense que c’est juste comme ça qu’il a appris à communiquer.” Elle essaye de déjà trouver des excuses au bambin et l’anglais trouve son intention louable, quand bien même il n’a pas un seul instant pensé à en vouloir à cet enfant qui commence à peine à évoluer dans un monde trop grand pour lui.

“Si tu fais le moindre bruit et que tu le réveilles j’te le laisse et je pars sans billet de retour. Encore.” Pris sur le fait accompli, il lève les mains en direction du ciel - comme le font les méchants dans les films, pour prouver qu’ils n’ont plus d’arme dans leurs mains et ne vont rien essayer de plus. Il faut simplement se rendre à l’évidence qu’il n’a rien de menaçant mais ça, tout son entourage le sait déjà. “T’es toujours un rayon de soleil, Ariane, ça fait plaisir à voir.” Elle non plus n’a pas changé, et croyez le ou non, c’est une bonne chose. “Si je fais pas de bruit, j’ai au moins le droit de cuisiner un truc? T’as maigri, j’ai l’oeil des personnes âgées pour voir ça.” Il veut juste aider et s’occuper les mains, alors toute occasion est bonne à prendre.

“T’es toujours un rayon de soleil, Ariane, ça fait plaisir à voir.”
“Si je fais pas de bruit, j’ai au moins le droit de cuisiner un truc? T’as maigri, j’ai l’oeil des personnes âgées pour voir ça.”
“Y’a des cicatrices sur tes poignets.”

Il a levé les bras, il a fait le malin en disant qu’il ferait de mal à personne, mais le truc c’est que devenir mère amène des tas de pouvoirs de super-héros or some shit. Quand je finis par me pencher pour caler Abel contre moi, mes iris ont le temps de valider qu’il a pas bouffé trop de sa couverture de laine que Ginny a stupidement envoyée par courrier express, mais surtout que Swann s’est pas manqué. Garde ton calme Ariane, fais genre, et le nez bouillant de mon fils dans ma nuque agit comme un super calmant ou estimation de, mais pas vraiment. Maintenant que je le berce aussi machinalement que mes prunelles viennent se vriller à celles de celui qui me ressemble un peu trop pour que je sache pas comment tout ça risque de finir. “Tu cuisines juste si tu fais les mêmes recettes que Saül mais en mieux.” il y arrivera pas, jamais, mais c’est fun de me dire que pour une fois que quelqu’un met les pieds dans la cuisine de La Serre, c’est pour merder les plats de mon cher et tendre époux.

Abel, donc, petit génie qui se ferme comme une huître dès lors qu’il voit les ingrédients s’étaler sur l’îlot de travail trop petit pour la quantité que j’y éparpille, en mode prépare-toi à gérer ta merde Swann, je fais que commencer. La dernière fois que je l’ai vu, pour de vrai, c’était à Londres et ça s’est mal terminé. Exhibit A. Quand j’en viens à m’installer sur l’un des sièges et que le suppôt de Satan qui a mon nez risque d’éclater de nouveau en sanglots si je lui donne pas son foutu hochet, pas celui qui est silencieux non le putain de jouet avec les quinze grelots dessus pas un de moins, c’est que un bruit aussi fade que métallique qui emplit la pièce. Parle, parle pas, tu fais ce que tu veux Swann. En attendant, c’est juste pire, parce que je prépare mes armes et parce que je prépare tout le reste. “C’est arrivé quand?” on commence par les bases, encore heureux que la bouteille de scotch soit trop loin pour que je puisse l’attraper sans déranger le combat de l’héritier avec son hochet du démon au tintement aussi infernal que le silence du (pas) McGrath. Too soon?

“Y’a des cicatrices sur tes poignets.”
“Tu fais chier.”

Tout allait parfaitement bien jusque là. Il était heureux de rencontrer Abel, il était heureux de retrouver Ariane. Il était heureux, tout court, parce qu’il a pu voir à quel point la rousse pouvait l’être et à quel point la maternité pouvait lui faire du bien, peu importe ce qu’en disent tous ceux qui ne la connaissent absolument pas. Swann est assuré d’en savoir plus sur sa personne que bien plus de personnes en ce monde et c'est largement dû au fait qu'il en devine beaucoup, au milieu des non-dits et de tout le reste. Ils ne se font pas de cadeaux, c'est la règle et c'est aussi la raison pour laquelle Ariane ne mâche pas ses mots et encore moins la conclusion à laquelle ils les mènent. Il arrête de sourire, il arrête de gesticuler aussi. Ses yeux sont - presque - aussi perçants que ceux de la rousse tenant de sonder son âme ou n'importe quoi d'autre. Il fait que la seule chose qui la retient de ne pas le frapper, c'est son cher nourrisson qu'elle tient contre ses bras. C'est drôle, quand on y pense, à quel point tout se rapproche aux bras et aux mains pour les hommes. “Tu cuisines juste si tu fais les mêmes recettes que Saül mais en mieux.” Il n'a plus envie de cuisiner, maintenant. Elle est douée pour faire semblant, il l'est aussi. Quand c'est auprès de personnes qu'il aime réellement, pourtant, tout devient plus compliqué, si ce n'est dire impossible. Ses poignets le brûlent, il déteste toute l'influence qu'a le cerveau sur le corps, c'est stupide de ressentir des choses qui n'existent même pas. Ses plaies se cicatrisent, elles ne lui font plus aussi mal depuis bien longtemps déjà. Il a mal parce qu'ils en parlent et qu'elle est une personne de plus (trop?) qui en vient à l'apprendre alors qu'il aurait préféré ne pas avoir à de nouveau être associé à "celui qui s'est taillé les veines". Il a assez donné à ce niveau là.

Puisqu'il ne dit rien de tout ce qu'il pense et se contente de garder un visage fermé et dur, Ariane croit bon d'effectivement agir comme s'il allait cuisiner quoi que ce soit. Elle s'occupe, elle aussi. Elle devient utile pour un instant. Elle a même sûrement l'impression de l'aider. Il ne veut pas lui retirer ça, pas déjà ni même encore. “C’est arrivé quand?” Abel gagne un jouet et il n'a le droit qu'à un interrogatoire. Le trentenaire est désormais jaloux du bambin qui n'a que quelques semaines de vie à peine; c'est dit. "Y'a pas longtemps." S'il précise la date, elle s'en voudra d'avoir été dans un autre pays à ce moment là. S'il le fait, elle en voudra juste ensuite à toutes les personnes de son entourage qui ne sont apparemment toujours pas dotées du don de télépathie. Dans un cas comme dans l'autre, ce serait totalement injuste et autant de problèmes en perspective qu'il souhaite éviter. Son problème, justement, c'est qu'à trop vouloir ne jamais rencontrer de problèmes, il les affronte tous en même temps le moment venu. "Ça fait mal, oui c'est à cause de ce que j'ai appris à Londres, oui je sais que je suis stupide, non je ne vais pas recommencer." Là où il aurait utilisé des tournures différentes (aka des mensonges) pour répondre à d'autres personnes, il préfère aller jusqu'à anticiper les questions lorsqu'il s'agit d'Ariane et même y répondre sans détour ni même aucune émotion dans la voix. Avec elle, tout est différent. "Je nous fais gagner du temps pour l'interrogatoire, comme ça on est sera rapidement débarrassés."

“Tu fais chier.”
“À tes souhaits.”

Non il a pas éternué et ouais je suis très consciente qu’il rage comme un gamin à qui on a piqué son jouet pour le tendre à mon fils et demandez-moi si j’en ai quelque chose à foutre la réponse va étonner foutument personne. "Y'a pas longtemps." la tête dans le frigo, j’ai pris pour acquis que Swann allait pas lever le petit doigt pour la suite et donc, c’est à mes blanches mains que reviennent la partie de faire à manger quand ni lui ni moi ne bouffera quoi que ce soit. C’est pas poli de boire à même la bouteille de vin comme de la reposer à mes côtés sur le comptoir sans la lui offrir au préalable, mais que voulez-vous, on peut pas tous inculquer de bonnes valeurs à notre progéniture et ma mère adorait le rouge, elle partageait jamais. "Ça fait mal, oui c'est à cause de ce que j'ai appris à Londres, oui je sais que je suis stupide, non je ne vais pas recommencer." c’est qu’il est un véritable livre ouvert le blond et si j’aligne burrata, pâtes fraîches, tomates et basilic sous ses yeux mais surtout sur l’îlot de travail, c’est pas pour autant que je suis pas accrochée solidement à sa fréquence. Oscillant entre le moins de détails possible et le plus de miettes avec, il fait de l’équilibrisme Swann, il essaie d’être le seul mis dans la merde et potentiel à blâmer et même si c’est tout à son honneur, soyons honnêtes, ça me fait chier de pas en vouloir à la Terre entier. Oh, j’ai des raisons d’haïr tout son entourage, j’ai même pas assez de doigts pour les compter. Mais pour le moment, je compte les brèves expirations qu’il s’autorise entre les éclats de son discours.

"Je nous fais gagner du temps pour l'interrogatoire, comme ça on est sera rapidement débarrassés." “J’ai rien demandé d’autre.” qu’il me range pas dans le noyau de sa famille larmoyante qui a dû le bassiner avec toutes les questions qu’un psychologue lui aurait dégainées de son précieux formulaire à remplir pour le laisser sortir du cabinet médicamenté. Swann sait mentir, Swann sait ce que je lui fais subir comme traitement s’il me ment, Swann a toute ma confiance et si Swann décide de me dire quelque chose, c’est autant parce qu’il en a envie que parce que c’est la vérité. “Tu dis ce que tu veux.” et pour le reste, je saurai très facilement le lire pour y gratter les réponses dont j’ai besoin, pas nécessaire de se saigner (ahah, too soon ?) sur le sujet. “Et t’es pas juste stupide, t’es un vrai imbécile comme il s’en fait plus.” qu’on soit clairs. Je serai pas celle qui lui flatterai les cheveux et qui lui dira que la Terre sans lui serait merdique. Elle serait horrible, la Terre sans lui, elle me rendrait répugnante de rage, elle me donnerait envie de le ressusciter juste pour le défoncer bien comme il faut ensuite. Ça aussi, il le sait. “On fait quoi, après ça?” ce que je sais pas par contre, c’est à quoi ressemble sa suite, sa trame, ce qu’il a à l’agenda. “Rien à battre de l’avant, mais si tu me dis pas c’est quoi ton plan de match pour le maintenant j’ai repéré des endroits sur tes poignets où y’a rien encore.” il a fait une connerie, il s’en repend, l’eau bout derrière moi, j'ai le couteau qui quitte les tomates pour tourner entre ma paume et mes prunelles sont plus plantées encore dans les siennes qu’elles ne l’ont jamais été auparavant.

Il la trouve étrange, Ariane, à réagir d’un millier de façons différentes en une seule fois. Elle est énervée et empathique à la fois, même si jamais elle ne le lui dira. Sinon, pourquoi est-ce qu’elle se mettrait soudainement à cuisiner? Sinon, pourquoi est ce qu’elle ne l’aurait pas insulté de tous les noms en plaçant une tape à l’arrière de son crâne? Il commence à reconnaître les différents types de réactions et pour peu il pourrait les classer dans un tableau. Ce serait intéressant, sans doute. Swann estime avoir assez de recul sur les événements pour que cela ne l’affecte pas mais il ne souhaite à aucun de ses proches de tomber dessus; parce que les conséquences seraient toutes autres pour eux. Chacun d’un côté de l’ilôt central, il l’observe s’occuper tout en faisant lui-même la conversation, répondant à des questions muettes. “J’ai rien demandé d’autre.” - “Tu te serais posée ces questions à un moment ou à un autre.” Ils finissent tous par le faire mais peu osent les former à haute voix et Swann, lui, n’a aucun mal à en parler à Ariane parce qu’elle est une des rares de son entourage, si ce n’est la seule, à avoir assez de force pour prendre du recul sur les événements.

“Tu dis ce que tu veux.” C’est faux, il ne peut pas totalement dire ce qu’il veut. Il y a des limites à tout, même avec la rousse. Elles sont sans doute bien plus éloignées qu’avec les autres mais elle reste son amie et elle s’inquiétera pour lui s’il lui montre réellement à quel point il n’arrive pas à se compter comme le personnage principal de l’action. Pour le moment encore, l’anglais se contente de l’observer d’un point autre, détaché, absent. “Et t’es pas juste stupide, t’es un vrai imbécile comme il s’en fait plus.” - “Je t’aime aussi.” Et il ne ment pas: il aime sincèrement Ariane, même quand elle utilise une forme à peine subtile pour l’insulter. Apparemment, elle n’a pas pu résister bien longtemps. Swann ne cherche pas à se défendre: elle a raison. Son geste était stupide et il est un véritable imbécile, c’est fair. L’anglais s’était attendu à de telles paroles, il n’est pas déstabilisé par leur arrivée et tant qu’elle ne confond pas la chair du blond avec celle des tomates et tient son couteau loin de lui, il ne s’en plaindra pas.

“On fait quoi, après ça?”
“Non.”

Comment ça, non? Sa mine se durcit aussitôt et son visage se referme, là où il avait assez pris sur lui pour laisser la rousse dire ce qu’elle avait à dire et… à sa façon. Pour autant, il ne peut pas la laisser s’immiscer à ce point dans sa vie sans qu’il n’ait son mot à dire. “Il n’y a pas de ‘on’. Pas pour ça.” Il y en avait un à Paris, à Londres. Il y en avait un avant, à Brisbane, il y en a toujours un aujourd’hui. A une exception près: qu’elle ne tente pas de jouer le rôle de celle qui veille sur lui et se préoccupe de sa santé mentale comme physique. Bien trop de personnes sont déjà à pied d'œuvre. “Rien à battre de l’avant, mais si tu me dis pas c’est quoi ton plan de match pour le maintenant j’ai repéré des endroits sur tes poignets où y’a rien encore.” Elle a un regard de braise mais des yeux bien trop clairs pour être aussi menaçants que peuvent l’être les iris noires de Swann. Soutenir son regard n’a rien de nouveau et ce n’est pas parce qu’elle est plus froide qu’elle ne l’a jamais été qu’il voit son socle secoué. “C’est pratique, t’as déjà le couteau dans la main en plus.” Ce n’est pas avec elle qu’il voudra parler psy, objectivité avec soi-même, clémence, force, courage et tout le reste. Il préfère jouer de l’ironie et si elle lui montre les espaces encore libres alors il se ferait une joie de les combler rapidement.
C’était pas ça, le but?

Swann qui dit tout pour moi, ou tout ce qu’il doit dire. On a déjà dû le bassiner avec quarante milles interrogations et conseils. La vérité c’est que s’il a pas envie d’écouter il va seulement hocher de la tête, offrir son sourire de chérubin et jouer les hypocrites repentis avec qui que ce soit sera en face de lui. “Tu te serais posée ces questions à un moment ou à un autre.” “On saura jamais.” qu’il pense que je suis comme les autres me fait chier, je ne manquerai pas de le lui faire remarquer. Un regard noir, deux trois manœuvres plus sèches que les autres, et on est repartis pour un tour d’insultes.

“Je t’aime aussi.” le simple fait qu’il soit encore là suggère qu’il sait. Il avait pas prémédité, il voulait juste contrôler quelque chose. Soit. Qu’il contrôle, qu’il s’en donne le droit. C’est pas ça le plan pour la suite ? “Non.” ahaha, oh Swann. “Comment ça, non ?” la coupe de vin trouve mes lèvres, mes yeux ont trouvé les siens y’a une vie de ça. Vas-y, dis-moi tout, pense-toi naïf à ce point. “Il n’y a pas de ‘on’. Pas pour ça.” “Si tu me gardes loin ça va être pire.” et il le sait, ça se sent à des kilomètres. Je jouerai pas les psys. Je jouerai pas les thérapeutes. Je jouerai pas celle qui prend le rôle de forcenée à avoir pitié et à lui promettre que tout va bien aller. Mais s’il pense que c’est un done deal, qu’il m’en parle, qu’il me suive à Paris, qu’il me ramène à Londres, qu’il se confie et qu’après c’est fini, il est encore plus imbécile que je le croyais. Fais chier que je lui ai déjà dit, ça aurait été un excellent moyen de le lui rappeler à nouveau.

De là, je sais pas du tout où il veut aller. “C’est pratique, t’as déjà le couteau dans la main en plus.” la discussion est pas close, c’est pas une page qu’on tourne, et encore moins un bouquin qu’on ferme. Il ferme ses barricades Swann et je pourrais pas être plus fière de le voir mettre en place les mécanismes que je l’ai encouragé à entretenir du plus loin que je me souvienne parce qu’on se protège jamais assez du monde extérieur. Mais c’est pas pour autant que je tolère qu’il boucle tout à double tour. “Ils feraient une crise cardiaque commune s’ils t’entendaient.” eux, les autres, les ratés à qui tu me compares et desquels je m’assure de mettre le plus de distance possible avec moi pour que tu captes à quel point ils servent à rien. C’est un dialogue de sourd et c’est pas parce que j’ai perdu la bataille aujourd’hui que j’ai perdu la guerre. C’est pas parce que je détourne mon attention de lui pour finir le repas qu’il est loin de mon champ de mire et c’est certainement pas parce que je lui largue un immense plat de pâtes sous le nez une poignée de minutes plus tard qu’on en parlera plus jamais. Je trouverai mon angle, je trouverai ma manière. J’ai juste besoin d’un peu plus de temps. Je suis patiente pour lui. Il en vaut autant la peine que je le déteste de s’être érigé si naturellement et si haut dans ma vie sans que ça paraisse forcé. “Passe ça sur les hormones.” l’absence de questions, la bouffe, le silence, ce qu’il veut. Si c’est pas aujourd’hui, ça serait demain. Patiente, j’ai dit.

“Non.”
“Comment ça, non ?”

Face à l’enfant gâtée à qui on refuse quelque chose pour la première fois, Swann compte camper sur ses positions. Elle a le regard dur mais il ne trésaille pas le moins du monde devant ce dernier, lui qui au contraire aurait été déçu de découvrir quelque chose d’autre à la place. Ses mots l’éloignent un peu plus à chaque fois et il sait que cela ne lui plaira pas, bien sûr, mais c’est aussi tout ce dont il a besoin. “Si tu me gardes loin ça va être pire.” Pire que quoi, Ariane? Ces dernières semaines, les limites ont été repoussées et ses nerfs mis à rude épreuve et il doute sincèrement qu’elle puisse empirer les choses. Elle a une vie à laquelle elle tient plus que tout et cette dernière lui importe plus que Swann, c’est normal. Il ne luttera pas contre, il n’en est même pas désolé. Lui aussi aimerait avoir une famille propre et il espère pouvoir la fonder avec Lucia dans un avenir proche, quand tout ira un peu mieux à défaut que ce soit pire, comme le dit si bien la rousse.

A ses côtés, il n’hésite pas une seule seconde à utiliser un humour noir et tranchant, rigolant seul du fait qu’elle tienne un couteau tranchant entre les mains. Elle prend sans doute grand soin de l’affûter chaque semaine, bien plus pour le plaisir personnel que par strict besoin. “Ils feraient une crise cardiaque commune s’ils t’entendaient.” Il sourit froidement, fièrement. “C’est pour ça qu’ils ne m’entendent pas.” Il ne se serait jamais osé à de tels mots avec sa famille et ses amis, c’est un fait. En réalité, il n’y a qu’à Ariane qu’il puisse dire de telles choses parce qu’il sait égoïstement qu’elle pourra encaisser autant que lui a besoin de les prononcer et de prendre du recul sur les événements qui font pourtant partie intégrante de sa vie et de son histoire.

La suite se fait dans un silence que l’Anglais n’avait pas vu venir mais dans lequel il se sent rapidement plutôt à l’aise, picorant dans l’assiette pour ne pas s’attirer davantage les foudres de la rousse. Elle gagne du terrain là où elle le peut encore et Swann ne lui retirera pas ça parce qu’il sait à quel point c’est important pour elle. “Passe ça sur les hormones.” Les hormones ce sera, alors. Il fait du mieux qu’il peut pour retenir un sourire, de peur qu’il soit mal interprété. Il n’est pas soulagé ni même heureux d’avoir gagné une quelconque bataille mais simplement amusé d’observer pour la première fois une Ariane qui n’arrive pas au bout de ses idées. Elle a toujours su le sonder mieux que personne et il l’avait jusque là laissé faire, chose qu’il ne peut plus accepter aujourd’hui. Avec sa famille, elle a bien d’autres problèmes à gérer, surtout alors qu’il se sent pleinement capable de s’occuper des siens. Poli, il prend tout de même le temps de terminer son repas dans un silence quasi religieux et au moment de partir, il redevient le petit frère qu’elle a toujours détesté. Ses lèvres se posent contre son front et y restent une seconde (elle l’aurait frappé à la deuxième seconde). “Merci pour le repas.” Elle comprendra. Elle reviendra à l’attaque, aussi, mais ce sera un problème pour le Swann du futur et celui du présent n’en a rien à faire.