Il attendait patiemment l’arrivée de son rendez-vous, debout devant l’entrée, une cigarette bloquée entre ses lèvres. Il tira dessus avec insistance, cherchant à aspirer toute la nicotine possible, en espérant que cela puisse l’aider à se détendre. Il savait pourtant que cela était vain : il n’avait jamais été à l’aise dans la séduction, dans le flirt. À vrai dire, il n’avait jamais compris ce qui, en lui, pouvait intéresser les femmes. Il ne se trouvait pas particulièrement beau, pas particulièrement divertissant, pas particulièrement intéressant. Alors dans ce cas, comment pouvait-il faire le beau en exagérant outrageusement ses prétendues qualités ? Il secoua la tête, écrasa son mégot, et veilla à mettre le filtre dans la poubelle. Il attendit encore quelques instants et, finalement, aperçut une tête blonde familière s’approcher de lui. Les lèvres du pilote s’étirèrent en un léger sourire, et il entreprit de faire quelques pas pour aller à sa rencontre. Carlisle avait donné rendez-vous à Victoria dans un petit aéroport, en périphérie de Brisbane. Là où les terminaux ne se succédaient pas, où les hôtesses de l’air ne se rendaient pas, où les compagnies aériennes nationales ne se posaient pas. La première fois qu’il était revenu ici après avoir démissionné de chez Cathay Pacific, il avait eu un réel choc ; comment allait-il pouvoir se passer du brouhaha, des annonces diffusées régulièrement dans de nombreuses langues étrangères, et des sourires échangés avec les douaniers ? Comment allait-il pouvoir passer d’un avion de ligne à un avion de tourisme ? Il avait fait demi-tour aussitôt, comprenant qu’il avait un deuil à faire. Le deuil de sa vie professionnelle, et de ses ambitions futures.
« Comment ça va ? » Demanda-t-il, après l’avoir saluée d’une traditionnelle accolade. Il espérait de tout coeur qu’elle ne se méprendrait pas sur ses intentions, en sautant trop rapidement à des conclusions hâtives. Il n’était pas détaché ; il était simplement maladroit. « On y va ? » Il désigna d’un coup de menton le tarmac de l’aéroport, vide de toute trace humaine. Ceci n’était pas étonnant : il avait volontairement demandé à Victoria de venir tôt afin d’éviter les embouteillages au moment du décollage ou de l’atterrissage. Carlisle affectionnait tout particulièrement le calme et la solitude, et il avait eu envie de partager cet instant avec Victoria. « L’avantage d’être dans un endroit de seconde zone, c’est qu’on n’a pas d’attente. » Confia-t-il en souriant, alors qu’ils avançaient d’un pas assuré en direction de l’avion de tourisme que Carlisle s’apprêtait à piloter. « Je n’ai pas poussé le vice jusqu’à mettre des aviators. » Plaisanta-t-il, désignant de l’index ses lunettes de soleil. Néanmoins, il était resté fidèle à la marque Rayban, en optant pour des Wayfarer. Il ressentit un léger pincement au coeur en réalisant qu’il était loin de ses anciens standards, où il transportait des centaines de passagers d’un pays à un autre, voire même d’un continent à un autre. Une fois de plus, il se demanda si, un jour, il serait capable de faire le deuil de son ancienne profession. « À toi l’honneur. » Dit-il en se décalant de l’entrée, afin d’y laisser monter Victoria. Il lui emboîta le pas, referma derrière lui — un travail qui, auparavant, était effectué par le commandant de bord. « Je te laisse t’installer sur le siège de droite. » Dit-il, alors que Victoria semblait attendre les instructions de l’Australien. Il s’installa à son tour derrière les commandes, et effectua les vérifications d’usage. Il ressentit un pincement au coeur, alors que ses doigts actionnaient les boutons qui devaient l’être, tandis qu’il faisait un appel à la tour de contrôle pour s’assurer que la voie était libre. « T’es prête ? » Demanda-t-il en tournant la tête vers sa co-pilote, dont les mèches blondes tombaient librement sur ses épaules. À cet instant, l’homme situé dans le mirador lui fit savoir qu’il avait l’accord pour son décollage. Il le remercia, et entreprit d’effectuer les manoeuvres préalables nécessaires à un décollage. « C’est parti. » Murmura-t-il, plus pour lui que pour elle.
Depuis combien de temps avait-elle les pieds sur terre ? Trois, cinq ou carrément neuf mois ? Victoria ne s’en souvenait plus, mais elle s’approchait dangereusement de l’année toute entière passée en Australie. Il était difficile de voir le temps passer, en enchaînant autant les projets en même temps, bien qu’elle n’ait pas de regrets en particulier, elle était tout de même heureuse de son activité phare du jour : un décollage avec un ancien client pour observer des endroits reculés. Elle qui s’était lassée des vols long courrier en solo, ne pouvait que se réjouir de cette possibilité de faire une escapade en plein ciel en bonne compagnie. L’architecte ne savait pas vraiment où cela allait la mener, que cela soit géographiquement ou bien sentimentalement, mais elle s’en fichait bien car elle comptait bien se laissée portée par les airs. Elle se permit d’être un peu plus décontractée qu’à son habitude, en laissant tomber ses chaussures à talons pour des baskets bien confortables qui traînaient au fond de son placard depuis bien longtemps. La blonde ne pu s’empêcher de lâcher un soupir de soulagement en les enfilant, qu’il était bon de savoir que ses pieds ne souffriraient pas une seule fois de la journée. Elle s’admira dans le miroir de son entrée, pour observer son débardeur au motif camouflage et son short marron, elle était quasi certaine que cela aurait pour effet de surprendre Carlisle, à vrai dire elle se surprenait déjà elle-même à se vêtir ainsi. Il lui avait fait l’impression d’être un homme simple, qui bien que soigné ne donnerait pas trop d’importance au style vestimentaire, elle ne se faisait donc pas trop de soucis sur la manière dont il allait la percevoir. Elle avait commandé un taxi, ne sachant pas trop où se trouvait le petit aéroport où il lui avait donné rendez-vous. Victoria se montra rapidement agacée de voir que son chauffeur tournait en rond, parce que pour une fois elle ne voulait pas être en retard. Après l’avoir menacé de ne pas le payer et de descendre dans les cinq prochaines minutes, il trouva miraculeusement le bon chemin. Elle regarda sa montre, elle était un peu juste mais cela ne la stressa pas plus de ça, car elle découvrit un endroit assez tranquille où elle n’aurait pas besoin de bousculer qui que ce soit pour se frayer un chemin. La blonde eut un sentiment d’exclusivité assez inédit, ce qui ne fera que de l’enorgueillir. Une vanité qui s’évapora plutôt rapidement lorsqu’elle retrouva Carlisle, car celui-ci l’accueillit d’une façon plus amicale qu’autre chose. Elle pencha légèrement sa tête en guise d’incompréhension l’espace de quelques secondes, avant de reprendre ses esprits en répondant à sa question. « En pleine forme et toi ? » Elle regarda l’endroit qu’il lui indiqua et commença à s’en rapprocher en lui emboîtant le pas. Elle ressentit un certain soulagement, car il avait l’air tout aussi impatient qu’elle de se retrouver dans l’avion. « C’est vrai, si seulement il pouvait toujours en être ainsi. » Bien qu’elle était de moins en moins familière avec cette fameuse attente dont il parlait, elle ne dirait pas non à la possibilité de pouvoir monter à bord aussi rapidement. « Ce n’est pas grave, je vais le faire à ta place. » Dit-elle en sortant sa paire d’aviators, qu’elle déposa sur sa tête jugeant qu’elle n’en avait pas besoin dans l’immédiat. Elle se montra bien sage, en attendant les instructions du pilote, étant totalement étrangère aux engins de tourisme comme celui-ci. Elle entra et s’installa sur la droite, comme il le lui était demandé. Curieuse, elle l’observa actionner différents boutons avant de regarder devant elle et de lui indiquer qu’elle était prête. Elle ne savait pas de quel degré de concentration il avait besoin pour piloter, alors elle se montra silencieuse et observatrice, jusqu’à ce qu’elle ne juge qu’ils ne se trouvaient suffisamment hauts et stables. « Tu as prévu un plan à suivre ou c’est au feeling ? » Est-ce qu’il avait préparé de quoi l’impressionner ou allait-il faire preuve d’amateurisme ? C’était la véritable signification de cette question qui avait l’air anodine. « Ça doit te faire drôle de ne plus avoir de copilote et une ribambelle d’hôtesses de l’air derrière toi. Cela devait être une sacrée pression, d’être responsable de la vie de tant de personnes. » De quoi la faire sentir toute petite à côté, elle qui passait le plus clair de son temps dans son bureau ou à regarder des ouvriers accomplir les tâches périlleuses…
« Ça va. » Répondit-il, avant d’ajouter aussitôt : « J’ai hâte d’être en l’air. » Depuis sa démission de chez Cathay Pacific, il ne volait que trop rarement à son goût. Pourtant, chacune de ses escapades dans les cieux avait un goût délicieux de liberté et d’abandon. Il n’avait malheureusement pas l’occasion de s’adonner souvent à ce plaisir, qu’il partageait pour la première fois avec autrui. Victoria, en l’occurrence. « Je dois bien reconnaître que, pour ma part, j’ai rarement attendu. » Admit-il en haussant les épaules. « Et si jamais c’était le cas, pour une raison ou une autre, on avait accès à des salons privés. » Spacieux, toujours confortable, parfois luxueux, où les membres de l’équipage pouvaient se détendre ou se reposer avant leur vol. Carlisle savait qu’il avait eu une chance inouïe ; peu nombreux étaient les personnes qui avaient eu l’occasion d’être ainsi traités, et de découvrir l’envers du décor. Il laissa échapper un petit rire lorsqu’il la vit enfiler ses lunettes de soleil, et inclina légèrement la tête en la voyant sourire. « Ça te va bien. » Déclara l’ancien pilote en souriant légèrement, presque gêné de lui faire un tel compliment. Il ne savait pas très bien où il en était dans sa vie privée, ni même ce vers quoi il tendait pour l’avenir. Alors, quelle place devait-il accorder à son flirt innocent avec Victoria ? Quelle importance devait-il lui fournir ? Quelles étaient les intentions de la blonde, en général et plus spécifiquement à son égard ? Carlisle n’en savait rien, mais il ne pouvait nier une chose : cette relation, pour laquelle il ne se mettait pas de pression, lui faisait un bien fou. Il pensait à autre chose, oubliait ses tracas. Il laissait le charme de la blonde opérer sur lui, presque impatient de ressentir la légèreté des premiers instants. « Un uniforme et un chignon serré, et tu passerais tout à fait pour une hôtesse de l’air. » Fit remarquer l’Australien. Il espérait qu’elle ne le prendrait pas mal, parce qu’il s’agissait d’un véritable compliment : il avait toujours trouvé que les hôtesses de l’air avaient beaucoup de charme. Carlisle proposa à son invité de monter à bord et, naturellement, il la laissa passer devant lui pour qu’elle puisse s’installer plus facilement. « Eh, mais tu n’as pas mis de talons ! » S’exclama le fils Bishop en souriant, surpris de voir Victoria dans une paire de baskets. Il lui avait semblé que la jeune femme était plutôt du genre control freak, qui était toujours tirée à quatre épingles — des artifices dont Carlisle savait pertinemment qu’il ne restait plus rien, une fois le soir venu. Et c’était exactement pour cette raison qu’il préférait le naturel ; il avait moins la sensation d’être dupé. « Tu as bien fait. » Confia-t-il en s’installant à son tour, sans préciser que pour la plupart des gens, leurs pieds avaient tendance à gonfler quand ils étaient en altitude. Il boucla sa ceinture, et entreprit d’actionner chaque bouton qui devait l’être. Après avoir eu l’accord de la tour de contrôle, il exécuta les gestes habituels — ceux qu’il avait fait mille fois, auparavant. Leur montée fut parfaitement silencieuse, et Victoria ne reprit la parole que lorsqu’ils furent stabilisés. « J’ai prévu un plan de vol. » Confia l’ancien pilote en faisant la moue, un brin embêté de l’admettre. Il ne révéla rien de la raison majeure qui l’avait poussé à agir avec professionnalisme : le risque d’accident. Même s’il avait confiance en lui et en ses capacités de pilotage, l’Australien devait impérativement se montrer prévenant et méticuleux. Si un drame survenait, il fallait que les secours soient en mesure de les localiser et ce, le plus rapidement possible. Mais il préféra garder le silence sur ces faits, conscient que cela pouvait angoisser sa passagère. « Mais s’il y a des endroits que tu souhaites impérativement voir, ça peut se faire aussi. » Déclara-t-il en tournant légèrement la tête vers elle. Il connaissait quelques unes des plus belles vues de Brisbane et de ses alentours, et il comptait bien se transformer en guide touristique pour la jolie blonde. « C’est vrai que c’est plus calme. » Admit-il en haussant les épaules. « Malgré l’habitude, malgré l’expérience, il n’y a pas une seule fois où quand j’ai décollé, je n’ai pas pensé au pire. » Confia-t-il en haussant les épaules. « Même s’il s’agit du moyen de transport le plus sûr du monde, et que nous pouvons anticiper sur la plupart des catastrophes qui pourraient se produire… Il reste toujours une inconnue, un élément sur lequel nous n’avons pas d’emprise. » Dame Nature était parfois capricieuse. L’attitude d’un passager pouvait aussi bouleverser un vol. Ou une défaillance technique. « On a des stages et des mises en situation pour… Savoir comment agir, en cas de problème. Mais je t’avoue qu’on espère toujours ne pas être obligés d’en arriver là. » Déclara-t-il en haussant les épaules. Mais lui croyait au destin : si les choses se produisaient, c’était pour une bonne raison. « Tiens, regarde. » Dit-il en pointant du doigt un endroit bien connu des habitants de Brisbane : le Lone Pine Sanctuary. « Tu reconnais l’endroit ? » Demanda-t-il, alors que ses lèvres s’étiraient en un sourire.
« Moi aussi j’ai hâte. » Sa ponctualité en était une belle preuve, elle ne voulait pas manquer une minute de ce vol particulier. Il lui fit part de son privilège, qui n’était de n’avoir quasiment jamais attendu dans un aéroport et d’avoir accès à un endroit pour se détendre les rares fois où c’était le cas. Cela fut suffisant pour éveiller une pointe de jalousie chez la blonde, car il s’agissait de l’endroit où elle avait le plus perdu de temps de sa vie, si elle n’avait pas eu une certaine addiction aux voyages elle aurait très certainement fait une croix sur le voyage en avion pour cette raison. « Je pense que c’est plutôt mérité, vous avez des métiers épuisants où vous subissez les jets-lags en plus d’effectuer de nombreuses heures, rares sont les domaines avec autant d’amplitudes horaires. D’ailleurs je me suis souvent demandé comment vous faisiez pour avoir une vie privée… » Maintenir le lien avec ses proches devait être bien compliqué, par contre ils devaient particulièrement être soudés entre collègues, du moins c’était ce qu’elle s’imaginait. Elle ne s’attendait pas à recevoir un compliment de la part du pilote, surtout pour le simple port d’une paire de lunettes de soleil. La blonde fit battre ses interminables cils et le remercia. L’architecte plissa des yeux lorsqu’il lui parla des caractéristiques qui lui manquaient pour être une parfaite hôtesse de l’air. Elle ne le voyait pas forcément d’un très bon œil, elle le voyait un peu comme un métier de ‘ potiche ’ car pendant longtemps il fallait être belle, avoir de longues jambes et être constamment en train de sourire pour y accéder. « Ne me dis pas que tu perpétues ce vieux fantasme de l’hôtesse de l’air ? Tu me décevrais de faire preuve de tant de banalité. » Bien qu’elle ait le physique adéquat, elle n’avait pas du tout le caractère pour, être constamment au service des clients et toujours paraître amicale, très peu pour elle. Elle avait en horreur que les hommes continuent autant de ne rêver que de femmes qui étaient au petit soin, plutôt que d’admirer celles qui étaient fortes et courageuses. Il remarqua tardivement qu’elle n’avait pas mise de talons, chose qui était plutôt superflue pour une demoiselle déjà grande comme elle, mais dont elle avait du mal à se détacher. Cette attestation de bon sens fut validée par Carlisle, qui s’attendait sûrement à ce qu’elle soit malgré tout perchée sur dix centimètres. « Je voulais être à l’aise. En même temps mes baskets ne me servent qu’à ça pratiquement, à prendre l’avion et à faire du sport. » Voilà à quoi se résumaient les rares moments où elle fichait la paix à ses pauvres petons. Elle ne savait pas combien de temps ce vol allait durer et n’avait même pas envie de lui poser la question, non tout ce qu’elle voulait savoir c’était s’il avait prévu d’aller à certains endroits en particulier. Il avait bien et bien un plan de vol, mais n’était pas contre l’idée qu’elle choisisse certaines destinations. Victoria avait une idée en tête, mais elle passerait certainement pour de la folie pour un homme comme lui qui faisait preuve de prudence. Il lui fit une confession à laquelle elle ne s’attendait pas, celle de ne jamais avoir pensé au pire lorsqu’il décollait. Comment avait-il fait pour exercer ce métier en ayant une telle crainte à chaque fois ? « Tu dois quand même être extrêmement résistant au stress. Les accidents sont tellement rares que la plupart du temps je ne pense même pas à cette possibilité, juste quand il y a des pilotes un peu moins… doués. » Les compagnies aériennes n’étaient pas toutes au même niveau, elle en avait expérimenté assez pour l’attester. « Il y en a par contre qui sont assez exceptionnels en vidéos, comme celui qui a fait un amerrissage à New York, il y a une dizaine d’années. » Si elle s’était retrouvée à bord de cet engin à ce moment-là, elle aurait très certainement réfléchi à deux fois avant de mener une vie de nomade comme elle avait pu le faire. Il lui montra un parc de koalas qu’elle connaissait bien, impossible de ne pas reconnaître un endroit qu’elle avait tant apprécié lorsqu’elle était enfant. « Oui notre cher sanctuaire, la plus grande réserve de koalas au monde. » Le visage de l’architecte se ternit, car elle se souvint des horribles feux de brousse qui avaient massacré cette espèce et bien d’autres animaux. L’état dans lequel ils se trouvaient n’avait pas été le plus affecté, mais voir toutes ces images aux informations l’avaient fortement touchée, la poussant à aller à la rencontre d’associations qu’elle avait tendance à oublier. « J’espère que la nature se porte mieux cette année, avant que les feux de brousse ne se déclarent, je devais faire une escapade dans la magnifique forêt de Daintree. » Elle venait de dévoiler la destination qu’elle voulait voir, mais pas seulement vue du ciel, elle aurait bien aimé se lancer dans une aventure terrestre.
« Ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple à gérer, je ne vais pas te mentir. » Admit le pilote en haussant les épaules. Pourtant, pendant des années, il n’avait eu aucun mal à le faire. Être absent parfois plus de quinze jours dans le mois ne l’avait pas empêché d’avoir été fiancé pendant plusieurs années, avant qu’il ne mette un grand coup de pied dans ce qu’il avait bâti avec Amal. Mais il devait bien reconnaître que si leur relation avait fonctionné pendant tant d’années, c’était en partie dû à leur volonté, à tous les deux, d’avoir une brillante carrière. Amal, véritable bourreau de travail, avait besoin de temps ; et ça tombait bien, puisque Carlisle travaillait à l’international. Ils avaient eu ce terrain d’entente dès le début, et s’en étaient facilement accommodés. Ils avaient profité des moments précieux où ils pouvaient se retrouver, tout en sachant que les moments où ils étaient éloignés leur permettaient de se construire un avenir radieux. « Mais je ne te cache pas que l’arrivée de Maya m’a fait remettre beaucoup de choses en perspective. » À commencer par son métier. Il ne concevait pas d’avoir un enfant, et de partir pendant des jours entiers sans pouvoir serrer sa progéniture dans ses bras. S’il n’avait pas eu la brillante idée de faire cet enfant avec l’héritière directe de la compagnie aérienne pour laquelle il travaillait, il aurait sans doute signifié son envie de passer à des vols internes — moins longs, et qui lui auraient permis de rentrer tous les soirs ou presque. Mais la question ne s’était jamais posée. « Et je me suis donc tourné vers une carrière plus… Sédentaire. » Expliqua-t-il, après avoir réfléchi au mot qui convenait le mieux pour décrire l’un des avantages du poste qu’il occupait actuellement. À ses yeux, c’était d’ailleurs l’un des seuls — si on exceptait la souplesse des horaires, qu’il ne négociait qu’à grands coups de forceps (au grand désespoir de son père, d’ailleurs). « Surtout pas. » Déclara Carlisle en secouant la tête. « Le monde aérien est très particulier. » Confia-t-il, alors qu’un sourire énigmatique glissait sur ses lèvres. Il en aurait eu à raconter, des histoires. Des belles, des sordides, des drôles, des cauchemardesques. Conscient que cette petite phrase avait éveillé la curiosité de son interlocutrice, il s’autorisa une petite précision. « Avant que tu ne me demandes en quoi, je dirais juste qu’il n’y a jamais de fumée sans feu. » Des passions éphémères dans des chambres d’hôtel en escale, des défis plus ou moins idiots, des soirées dans des clubs où on oublie tout ; beaucoup, sous prétexte qu’ils étaient loin, oubliaient leurs principes et leurs valeurs morales. Les hôtesses de l’air n’échappaient pas à la règle. « Tu fais quoi comme sport ? » Demanda l’Australien en souriant, alors que Victoria venait de lister les principales raisons qui la poussait à enfiler une paire de baskets. « À vrai dire, j’étais plus sous pression quand j’étais militaire. » Confia-t-il en faisant la moue. Non seulement les missions étaient faites en territoire hostile, mais surtout, elles n’impliquaient pas que lui. Il s’était donc toujours montré vigilant et précis, conscient qu’une mauvaise information pouvait entraîner une catastrophe. « Mais effectivement, j’ai déjà eu quelques sueurs froides si c’est ce que tu veux savoir. » Admit-il, se souvenant de quelques atterrissages compliqués, notamment en raison des conditions climatiques. « Exact. Il lui a fallu beaucoup d’audace et de sang-froid, mais il a sauvé la vie à des centaines de personnes. » Acquiesça l’Australien. S’il avait déjà eu à faire quelques atterrissages en urgence, pour des raisons diverses et variées, il n’avait jamais eu besoin de faire preuve d’un tel héroïsme — et ça lui convenait très bien. Dans ce genre de cas, la fin des histoires se solde majoritairement par une catastrophe aérienne. « J’adore y aller. Je trouve que c’est un endroit paisible, où il est agréable de se balader. » Confia Carlisle. Pour satisfaire les petits et grands animaux du sanctuaire, on avait essayé de reproduire leur habitat naturel. Il s’agissait donc d’un parc verdoyant, où se côtoyaient plusieurs espèces. « Daintree ? C’est un choix intéressant. » Déclara l’Australien, alors qu’un sourire en coin venait se loger sur son visage. Il ne doutait pas une seule seconde du calme et de la beauté des paysages, de la nature. Ce qui le surprenait, c’était plutôt que Victoria opte pour ce genre de destination. « Je ne t’imaginais pas si aventurière. » Avoua le pilote, qui avait pensé que l’Australo-Norvégienne était plutôt du genre à s’allonger sur un transat, pour pleinement recharger ses batteries. Mais ça ne lui déplaisait pas, bien au contraire. « Surtout au vu du poste que tu occupes, et de la pression qui doit peser sur tes épaules. Je t’imaginais plus avoir envie de lézarder sur une plage déserte. » Sans aucun jugement de valeur, évidemment.
Victoria n’aurait jamais pu exercer un métier avec de telles contraintes, même si elle effectuait beaucoup d’heures, elle accordait une certaine importance à son temps libre, elle devait pouvoir décompresser où et quand elle le souhaitait. Lorsqu’il souligna qu’il avait dû changer beaucoup de choses avec l’arrivée de son enfant, elle ne put s’empêcher de grimacer. « C’est bien pour ça que je ne veux pas d’enfants, c’est tellement encombrant et puis ça braille, tout le temps. » Sans compter que la blonde n’avait pas le moindre instinct maternel, voir les frimousses les plus mignonnes la laissaient de marbre. Elle s’accommodait tout à fait du boucan des boîtes de nuit, mais alors les pleurs c’était une tout autre histoire, une unique minute de sanglots lui donnait l’impression d’un aller simple pour l’enfer. « La terre se porterait bien mieux si on n’en faisait pas autant. » Elle allait peut-être lui paraître extrémiste, mais elle s’en fichait, elle avait toujours clamé haut et fort d’être un childfree, sa différence n’était pas un défaut mais une fierté. « Je te froisse peut-être, si tu désires de fonder une famille nombreuse si c’est le cas excuse-moi de faire preuve de tant de franc parler. » Maintenant qu’il était sédentaire comme il le disait, il avait peut-être le désir d’en faire d’autres, sa Maya aurait pu lui donner le goût de la parentalité. La plupart du temps c’était plutôt l’inverse, beaucoup de personnes regrettaient de s’être privées de leur liberté, mais peu d’entre elles l’avouaient, ce qui la confortait dans son choix de ne pas en avoir. Il réfuta d’avoir un fantasme en particulier pour les hôtesses de l’air, avant de lui dire que l’aérien était un univers à part dans lequel il n’y avait pas de fumée sans feu. La blonde changea brusquement de regard sur lui, Carlisle était-il bien moins rangé qu’il n’en avait l’air ? Après tout il venait de lui dire à demi-mot qu’il avait déjà partagé les draps de ses collègues. Elle le comprenait car elle n’était pas adepte du « no zob in job », elle ne se gênait pas de butiner toutes les fleurs qui lui faisaient envie que cela soit à son travail ou non. Le pilote enchaîna avec une question sur ses pratiques sportives, elle était bien tentée de lui répondre le sport de chambre comme suite logique de leur conversation, mais elle ne savait pas si c’était vraiment de bon goût. « Je cours, ça me permet de prendre l’air et de profiter de la plage. Je fais aussi de la boxe. » Savoir se battre c’était toujours utile, encore plus pour une femme comme elle qui avait envie de botter des fesses bien souvent. L’appartenance au mouvement féministe de l’architecte l’avait également poussé à cette pratique, car elle savait qu’elle pouvait se mettre en danger en la revendiquant devant de bons gros machos. Victoria fit preuve de stupéfaction lorsqu’il lui dévoila l’un de ses anciens métiers. « Militaire, pilote d’avion… tu as dû être un fantasme sur pattes pendant bien longtemps toi. Tu t’étais engagé volontairement ou quelqu’un t’avait poussé à le faire ? » Elle s’était mise en tête que peu de personnes avaient une vocation pour l’armée, que la pression familiale jouait beaucoup sur ceux qui la rejoignaient. L’architecte acquiesça lorsqu’il lui dit que le parc des koalas était un bon endroit pour se balader. « J’y allais souvent quand j’étais petite, mais je n’y suis pas retournée depuis mon retour à Brisbane. » La raison était toute trouvée, elle évitait tout ce qui pouvait lui rappeler son père et les animaux faisaient partie du haut de la liste. Victoria simula un faux cri d’effroi lorsqu’elle entendit qu’il lui confia qu’il ne l’imaginait pas aventurière. Il expliqua la raison pour laquelle il pensait ainsi, il n’avait pas totalement tort, elle avait fait énormément de séances de bronzettes mais ses voyages étaient loin de se résumer à ça. « La vie est trop courte pour se contenter du farniente. Autrefois je rêvais de devenir journaliste et puis je me suis dit que ça ne collerait pas, que je n’avais pas la patience pour ça… que je pourrais facilement m’emporter selon les réponses que je récolterai en interviews. » Rester impassible face à des comportements qui ne lui convenaient pas, ce n’était clairement pas pour elle. « En parlant d’aventure, tu crois qu’on pourrait débarquer à Daintree ? » Elle aurait bien joué de son regard charmeur pour le convaincre, mais dans cette situation ce n’était pas vraiment approprié alors elle opta pour une autre tactique, celle de déposer sa main sur sa cuisse.
Carlisle laissa échapper un léger rire, mais ne fit aucun commentaire pour tenter de faire changer Victoria d’avis. Après tout, chacun était libre de penser ce qu’il voulait, notamment sur des sujets aussi privés et personnels que la construction d’une famille. « J’aimerais avoir un autre enfant. » Avoua l’Australien, alors qu’un sourire glissait sur ses lèvres. Au moins un, pensa-t-il, sans pour autant s’étendre sur le sujet. Il tenta néanmoins de justifier ses envies. « Sans doute parce que suis fils unique, et que j’aurais adoré avoir un frère ou une soeur. » Il espérait sincèrement que, tôt ou tard, Maya pourrait devenir une grande soeur. Il était convaincu que ce rôle lui irait à merveille. « Mais je ne veux pas non plus me précipiter, ni faire un bébé avec la première venue. » Et il ne voulait surtout pas, non plus, forcer la main à quiconque. C’était, il en avait désormais conscience, ce qu’il avait plus ou moins fait avec Carmina. Et si ça lui avait apporté la plus grande joie du monde, à savoir devenir père, ça lui avait aussi apporté la plus grosse des déceptions : l’échec de fonder une famille unie. « Et puis qui sait ? Peut-être que tu changeras d’avis, quand tu rencontreras la bonne personne. » Fit remarquer l’ancien pilote, un brin moqueur. Il ne doutait pas des convictions de la blonde ; seulement, peut-être qu’un homme désireux de fonder une famille avec elle lui ferait changer d’avis. Ou remettrait en question ses certitudes.
« De la boxe ? » Répéta le pilote en souriant, alors qu’il ressentait une certaine forme de satisfaction de savoir qu’ils avaient plus de points communs qu’il n’avait pu l’imaginer lorsqu’il l’avait rencontrée. Victoria, brillante et lumineuse, était aussi pleine de surprise. Et, une fois n’est pas coutume, ce n’était pas pour lui déplaire. « Quel type ? Tu t’entraines ou ? » Demanda-t-il, curieux d’en savoir davantage. Il serait tout à fait capable de débarquer lors de son entraînement, pour la déstabiliser. Et voir à quelle adversaire il pourrait potentiellement avoir affaire, aussi. « J’en fais depuis quelques années aussi. Meilleur coup pour ma part : uppercut. » Confia-t-il, avant que la blonde ne s’étende, à son tour, sur le sujet. La conversation dévia naturellement vers les métiers qu’avaient exercé Carlisle, et ce dernier ne put s’empêcher d’éclater de rire. « Je dois avoir une passion pour les uniformes. » Fit-il remarquer en haussant les épaules, alors qu’un sourire narquois s’affichait sur ses lèvres. Il ne s’était jamais considéré comme un fantasme sur patte, comme le soulignait Victoria. « Et tu sais quoi ? Je les ai tous gardés. » S’amusa l’Australien. Il la titillait, évidemment, mais ne mentait pas pour autant : ses uniformes étaient sagement rangés dans son dressing. « Je me suis engagé de mon propre chef. » Répondit finalement Carlisle. Revenir sur son passé de militaire ne le gênait pas ; il n’en avait pas honte, bien au contraire. « Je suis resté environ trois ans dans les rangs de l’armée. J’ai passé pas mal de temps en mission à l’étranger. » Il avait passé presque deux ans en Afghanistan ; c’était d’ailleurs là-bas qu’il avait été initié au pilotage. D’hélicoptère, dans un premier temps. « C’est d’ailleurs dans l’armée que j’ai eu un ‘coup de foudre’ pour le pilotage. » Avoua l’Australien. « Je suis d’accord. » Acquiesça-t-il, alors que l’Australo-Norvégienne expliquait les raisons pour lesquelles elle ne se contentait pas de lézarder sur la plage. Elle avait raison : la vie était trop courte, bien trop courte, pour ne pas en profiter pleinement. « Et c’est pour ça que tu n’es pas devenue journaliste ? Ou tu as eu un coup de coeur pour ton métier entre temps ? » Demanda-t-il. L’Australien s’apprêtait à lui poser une autre question lorsque, soudainement, la blonde lui suggéra une escapade en duo à Daintree. Malheureusement, il n’était pas en mesure d’accéder à sa requête — pour des raisons purement logistiques. « Pas aujourd’hui. » Déclara le pilote en faisant la moue. La forêt de Daintree était à des milliers de kilomètres de Brisbane, et Carlisle n’avait pas anticipé sur une telle distance. Son regard coula jusqu’à sa cuisse, désormais partiellement recouverte par la main de Victoria. « Pas assez d’essence. » Justifia l’Australien, désolé de devoir briser les espoirs de la jolie blonde. Désolé, aussi, d’avoir la sensation de passer à côté d’un agréable moment en compagnie d’une femme qui lui plaisait. Il profita d’être sur une trajectoire rectiligne pour détourner les yeux vers l’Australienne. « Mais je ne fais rien le week-end prochain… Si jamais tu es disponible. » Proposa-t-il, alors que sa main se superposait finalement à celle de la décoratrice d’intérieur.
Il confessa bien vite qu’il voulait un second enfant, cela ne l’étonnait pas, la société étant plutôt du genre à pousser à avoir plusieurs enfants, à chercher à obtenir un fameux « choix du roi ». Il se justifia en disant qu’il avait été fils unique, il ne voulait donc pas que sa fille se retrouve dans le même schéma que lui. « Donc tu penses que la vie est plus belle lorsqu’on a une fratrie… J’ai plutôt bien vécu malgré que je sois aussi une enfant unique. » Victoria avait toujours su être assez entourée pour ne pas avoir le temps de s’ennuyer. Elle venait de mentir éhontément à Carlisle, car elle possédait une demi-sœur, mais elle n’avait jamais accepté cet être provenant d’un autre utérus que celui de sa mère. Elle avait essayé de s’approcher d’elle alors qu’elle lui avait volé son père, détruit une famille déjà fragilisée par les problèmes mentaux de sa mère. L’architecte avait fait peser beaucoup de choses sur ses petites épaules alors qu’elle n’avait pas demandé à être mise au monde. Si jamais le pilote était amené à rencontrer une femme, qui voudrait bien lui donner ce qu’il désire, sa petite Maya finira peut-être par ressentir la même chose que la Valtersen. Elle avait presque de la peine pour cette petite, même si elle ne souhaitait aucunement qu’il ne retourne avec celle qui lui avait donné la vie, parce que cela voudrait dire qu’elle ne pourrait plus profiter de son ancien client. Il lui servit un discours qu’elle avait déjà bien trop entendu, beaucoup trop pour qu’il continue de lui hérisser les poils. Cependant, elle sentit une once de moquerie dans ses dires et elle ne pouvait pas passer à côté. « Blablabla… si tu savais combien de fois on me l’avait servi cette soupe, tu ne me la proposerais pas. » S’il avait croisé la route de tous les hommes qu’elle avait rejeté parce qu’ils attendaient d’elle un enfant, encore moins. Elle se gardera bien de le lui dire, de lui faire part de cette longue liste, cela ne serait que de faire preuve de puérilité.
Elle ne pensait pas que parler de boxe provoquerait un tel engouement chez lui, ce n’était pas un sport qui était bien accueilli habituellement parce qu’il avait une connotation trop masculine. « La thaïlandaise. » Depuis qu’elle l’avait vue mise en pratique durant l’un de ses voyages, elle s’était jurée qu’elle s’y mettrait dès que possible et c’était ce qu’elle avait fait. Elle se douta que sa seconde question n’était pas dénuée d’innocence, mais elle y répondit quand même. « Je m’entraîne à Spring Hill, dans une salle qui se trouve derrière mon bureau. » Un emplacement idéal pour la blonde qui adorait se défouler après le travail. « Mon meilleur coup à moi c’est dans l’entrejambe. » Elle afficha un large sourire. Cette réplique avait tout l’air d’être une arme de dissuasion, mais elle n’en était pas une, s’il avait l’audace de se pointer dans sa salle, cela ne lui déplairait pas bien au contraire. Il lui raconta qu’il avait gardé tous ses uniformes, ce qui dressa tout particulièrement ses oreilles. « Il ne me fallait pas me dire ça, maintenant tu vas être obligé de me faire un défilé un de ces jours. » La jeune femme ne blaguait pas, elle n’était pas prête d’oublier ce qu’elle venait d’entendre. Il lui dit qu’il s’était engagé de lui-même dans l’armée, il était bien courageux ce Carlisle, peu d’hommes pouvaient se targuer d’être de sa trempe. Cette expérience lui avait permit de découvrir son amour pour le pilotage, elle comprenait donc qu’il ne regrettait rien, ce qui était d’autant plus louable. Il chercha à comprendre pourquoi elle avait jeté son dévolu sur son métier actuel plutôt que de devenir journaliste. « On m’a fait comprendre que j’avais un bon coup de crayon, que je pouvais bien exploiter. J’aimais bien imaginer comment je pourrais réagencer, redécorer les endroits où je mettais les pieds, alors je me suis tout naturellement dirigée vers l’architecture. » Victoria commençant à ressentir l’envie d’avoir à nouveau les pieds sur terre, elle tenta de convaincre Carlisle d’aller à Daintree. Il lui donna une réponse décevante, mais sa justification tenait la route. Il lui fit la proposition de la revoir le weekend prochain, tout en mettant sa main par-dessus la sienne et en plongeant son regard dans le sien. « Je peux certainement libérer un après-midi… » Il était devenu bien trop craquant pour qu’elle ne se fasse désirer, alors elle allait se dégager du temps pour lui, quoiqu’il en coûte.
« Tu as peut-être eu la chance d’avoir des parents dignes de ce nom. » Suggéra l’ancien pilote en haussant les épaules, sans savoir s’il était dans le vrai. Ce qui, clairement, n’avait pas été son cas. S’il ne blâmait pas sa mère (Mary Bishop avait succombé à trente-deux ans d’un cancer métastatique généralisé), son père, en revanche, n’avait pas assuré. Bartholomew Bishop avait été un père absent et désintéressé par son rôle de géniteur, qui avait préféré se plonger dans le travail plutôt que de s’occuper de son fils unique qui lui, pour le coup, dépérissait. Même la tentative de suicide de Carlisle, à l’âge de quatorze ans, ne l’avait pas détourné de son travail ; au contraire, ça n’avait fait que les éloigner davantage. Depuis, tous deux se toléraient plus qu’ils ne s’appréciaient, et ils passaient le plus clair de leur temps à se chamailler et à s’embrouiller sur des sujets plus ou moins importants, plus ou moins personnels. « Par pitié, ne m’en dis pas plus. » Réclama l’héritier Bishop en souriant. Il ne doutait pas un seul instant du succès que Victoria avait dû rencontrer auprès de la gent masculine. En même temps, comment aurait-il pu en être autrement ? La jolie blonde était un fantasme ambulant, elle avait l’esprit vif et acéré, et elle ne manquait pas de caractère. « Je n’aime pas l’idée d’avoir le moindre rival. » Confia-t-il, sous-entendant indirectement que Victoria ne le laissait pas indifférent, et qu’il n’avait pas envie d’être mis en compétition avec un autre type.
« Tu n’as pas pris la plus facile. » Répondit-il, alors que Victoria l’éclairait sur ses préférences en boxe. Pour sa part, il pratiquait la boxe française depuis des années — mais n’avait jamais testé la boxe thaï. « Ouuuuh… » Dit-il en fronçant les sourcils et en faisant la moue, alors que Victoria confessait son meilleur coup à la boxe… et dans la vie de manière générale. À ce sujet, en tout cas, l’Australien ne pouvait pas nier que ce coup ne manquait pas d’efficacité. La blonde ne devait pas être souvent embêtée par la gent masculine — et au pire, si elle l’était, elle ne manquait pas d’idée pour se défendre. « Je dois m’inquiéter ? » Demanda-t-il en arquant un sourcil, avant d’enchaîner : « J’étais à deux doigts de te proposer de venir vérifier, mais tes attaques fourbes m’angoissent. » Confia-t-il en souriant, amusé. Mais Victoria avait éveillé sa curiosité, et il tâcherait prochainement de faire un saut dans sa salle pour la voir en action sur un ring. Et connaissant le tempérament de feu de la jolie blonde, il était convaincu qu’elle se défendait à merveille, et qu’elle était une attaquante redoutable. « Certainement pas. » Dit-il en secouant la tête, alors que Victoria lui réclamait un défilé. S’il y avait bien un rôle dans lequel il ne se sentirait pas à l’aise, c’était bien celui-ci. « Tu pourras les essayer si ça te chante, mais pour le reste, il te suffit d’ouvrir un magasine pour fille : les mannequins font ça très bien. » Déclara-t-il en souriant. Et il n’était pas jaloux des visages figés sur les pages de papier glacé ; contrairement à eux, il était bien réel. « Et ça a plutôt bien fonctionné pour toi. » Finit-il par dire, alors qu’un léger sourire s’affichait sur ses lèvres. L’ambitieuse Victoria avait déjà bien réussi dans la vie, et l’horizon qui s’offrait à elle était lumineux et dégagé de tout nuage. Un boulevard, en direction de la réussite et du succès.
L’atmosphère dans l’habitacle changea brutalement lorsque, au détour d’une réflexion pleine de sous-entendu et d’une main posée sur sa cuisse, Carlisle choisit de saisir cette chance unique que la blonde lui offrait sur un plateau d’argent. « Un après-midi… » Répéta-t-il, un brin songeur. Il la laissa se perdre dans ses pensées, et entreprit de descendre pour se préparer à l’atterrissage. Ce dernier se déroula sans encombre, sans fausse note. Une fois l’appareil stabilisé et arrêté en bout de piste, Carlisle reprit : « Un après-midi… » Sa main gauche se posa sur la joue de l’Australo-norvégienne, et il se rapprocha considérablement jusqu’à effleurer ses lèvres. « … Seulement ? » Souffla-t-il, quémandant indirectement plus qu’une maigre poignée d’heures en sa compagnie. Sa main glissa dans la nuque de Victoria et, sans plus de cérémonie, la rapprocha de lui jusqu’à ce que leurs bouches se rencontrent. Enfin, songea-t-il avec délectation, tout en sachant pertinemment que ce moment serait de courte durée.
La suggestion du pilote la fit éclater de rire, alors qu’elle ne devrait pas s’amuser d’un sujet aussi triste, voire tragique dans son cas. Cela faisait longtemps qu’elle n’attendait plus d’avoir des parents dignes de ce nom, elle en avait perdu l’espoir depuis qu’on l’avait arraché de Brisbane sans lui demander son avis. « Non même pas. Je pense que c’est grâce à ma nature car je suis indépendante, mon bonheur ne dépend pas d’autrui. » Plus Victoria prenait en âge et plus elle se fichait d’être bien entourée, elle se jugeait amplement suffisante pour se tenir compagnie à elle-même. C’était pour cela qu’elle vivait bien son célibat, elle préférait être seule que mal accompagnée, elle voyait bien les ravages que pouvaient faire les relations toxiques sur les autres femmes. Sa mère en était le meilleur des exemples, l’architecte avait compris que les troubles de la personnalité de celle-ci avaient des origines, directement liées à des hommes. Elle n’avait jamais su tout ce qu’elle avait pu vivre et elle ne voulait pas le savoir, parce qu’elle ne voulait pas trouver des explications qui pourraient la dédouaner. La génitrice de Victoria n’avait pas voulu se soigner, elle avait été dans le déni comme le reste de sa famille et sa fille en avait payé les conséquences, jusqu’au jour où son père décida de la « sauver » après avoir été un père absent. La jeune femme avait l’impression d’être aux côtés d’un individu bien différent de lui, qui se souciait réellement du bien être de sa progéniture et cela la rassurait considérablement. Il n’hésitait pas à lui dire qu’il ne voulait pas entendre parler de la moindre compétition. Est-ce que cela voulait dire que Carlisle n’était pas un homme combatif ? Ou simplement jaloux ? Elle préférait largement la deuxième option. « Il y a en peut-être un autre… ou pas. » L’architecte aimait jouer avec les hommes, alors elle prenait le soin de laisser le mystère planer.
« Je ne suis pas une adepte de la facilité. » La plus grande partie de la populace aimait monter progressivement en difficulté, alors qu’elle n’hésitait pas à choisir ce qu’il y avait de plus dur dès le début. Elle aimait se dire qu’elle pouvait gravir toutes les montagnes, que rien ne pouvait l’arrêter. Le meilleur coup de la demoiselle ne manqua pas de faire réagir son interlocuteur, ce qui était bien normal puisque c’était une parade qui ne laissait aucun homme indifférent. « Si tu restes un modèle de galanterie non tu n’as pas à t’inquiéter, parce que je continuerai de considérer tes bijoux de famille comme précieux, mais si tu me déçois là… ça sera une autre chanson. » Victoria était sans pitié avec les personnes qui la décevaient, encore plus lorsqu’elles étaient hautement placées dans son estime. Il valait se donner du mal pour rester dans ses petits papiers. Il refusa sa demande de défilé, elle aurait bien fait une tête digne du chat potté s’il était en train de la regarder. Le pilote ajouta qu’il y avait des mannequins faisaient très bien le job. « Un magasine pour fille ? Tu crois que j’ai quinze ans ? » Dit-elle en abaissant le menton. « Je m’en fiche des mannequins, ils n’ont pas d’âme, ils se ressemblent tous. » Et ils n’étaient pas très bons au lit, ils étaient trop occupés à se contempler et ça elle pouvait l’attester. Victoria n’avait toujours juré que par le réel, elle ne bavait pas sur des photographies qui étaient toutes plus ou moins retouchées. « Oui j’ai choisi la bonne voie. » Elle avait trouvé ce qui lui convenait sans ramer et elle avait bien de la chance, rares étaient ceux qui pouvaient se targuer de trouver le métier qui leur était idéal du premier coup.
Ils étaient proches sans vraiment l’être, Victoria avait réglé ce détail en un mouvement, en déposant sa main sur sa jambe. Il répéta ce qu’elle venait de lui proposer, elle sentit rapidement que cela voulait dire que cela ne lui convenait pas. Elle attendait qu’il l’exprime de manière plus directe, mais elle comprit qu’il attendait d’abord qu’ils soient de retour sur la terre ferme. Une fois sur la piste, il réduisit la distance qu’il y avait entre eux et toucha sa joue. Avoir un gros plan sur son visage la fit frissonner, sentir son souffle la fit frémir encore plus. Elle le laissa joindre leurs lèvres et entrouvrit sa bouche, elle laissa glisser sa langue sur sa lèvre inférieure avant de la faire pénétrer dans son antre. Elle lui offrit un baiser délicat, alors que son propre corps réclamait plus de fougue. Cependant, l’architecte appréciait le fait qu’ils prenaient leurs temps alors elle allait attendre. Une fois que le rapprochement buccal fut terminé, elle fit battre ses cils et se rapprocha de son oreille. « D’accord une journée ou plus… si tu es sage. » Il était bon pour négocier ce Carlisle, cela promettait de belles choses pour la suite.