Je ne sais pas si j’arrive chez mon frère ou au beau milieu d’une secte en pleine séance de torture. A en juger par les hurlements du gamin (le leur), j’ai tendance à aller vers la seconde hypothèse. Après, rien n’empêche que ce soit la secte de Saül qui soit en plein sacrifice. Ça, je ne peux pas non plus le deviner, vous voyez. Si j’avais le don de clairvoyance, j’aurais peut-être pu anticiper l’annonce posthume de notre (mon ?) père, mais à bien y penser cela ne m’aurait avancé à rien. A ce rythme là, autant trouver les chiffres gagnants du loto simplement pour que ce ne soit pas un stupide humain sans talent qui accède à des liasses par centaines sans rien avoir mérité. Ils n’ont qu’à se retrousser les manches, tous - sauf Ana, parce qu’elle ne saurait que se piquer, et je ne parle pas de roses.

J’ai appris la politesse, entre-temps, qui l’eut cru. J’ai aussi appris à être à moins de dix mètres de Saül sans vouloir lui arracher un œil, un bras, une jambe ou bien le cœur. On aura eu besoin de trente ans pour en arriver là et si on avait su qu’il suffisait que Elon meure pour y arriver, on s’en serait certainement chargé bien plus rapidement. Après tout, personne n’aimait le vieux. Cela aurait empêché Damon de prendre le temps de l’apprécier, il n’a jamais mérité la moindre considération de son petit-fils. C’est ironique, que l’enfant caché soit tout de même son petit-fils mais que son fier et blablabla de père ne le soit pas. C’est compliqué, aussi, j’en conviens. C’est aussi un sujet qu’on ne va certainement pas aborder ce soir alors que j’ai d’autres choses à traiter avec lui, infiniment plus d’actualités.

Le plan est vieux de trente ans. Trente-quatre, même, sans doute. Le plan est vieux du jour où j’ai appris à parler quand lui le savait déjà, il date de quand on a commencé à discuter en même temps qu’on s’insultait et se jetait de la purée et des pâtes dessus. Il date de la cuisine, justement, de cette belle époque à laquelle on ne la quittait jamais. On observait mama, on reproduisait, on apprenait, on faisait les cent coups. On faisait tout ce qu’elle nous interdisait mais on obéissait aussi, parfois, c’est promis. Cela a sûrement à voir avec le fait qu’on était hauts comme trois pommes et pas foutus d’avoir aucune répartie. Ça, ça a bien changé. Ça date du temps où on était assez naïfs pour croire qu’on allait rester les meilleurs amis du monde parce qu’après tout il était mon grand frère.

Comme quoi, les choses changent.
Un coup contre la porte marque ma nouvelle politesse, donc. Le deuxième est déjà bien moins contrôlé et le troisième en a marre d’attendre derrière la porte comme un con, tout ça parce qu’il est pas foutu d’être un bon père et que s’il s’était un tant soit peu occupé de mon fils alors il aurait déjà eu l’expérience de la chose et - “Ciao. Besoin de parler.” Et puisque mes désirs sont des ordres, j’entre sans plus de cérémonies. Mes yeux traînent dans la pièce pour tenter d’apercevoir son fils, sait-on jamais. Sentir les mains potelées de Sloan contre mes doigts me manque déjà. “Pas parler parler, je viens pas te confesser mon petit coeur brisé de collégienne amoureuse.” Ce n’est pas ce genre de parler dont je parle, justement. J’espère qu’il n’a pas pensé à cette éventualité, d’ailleurs, parce que ce serait extrêmement gênant et si jamais il va trop loin, je ne manquerai pas de lui faire remarquer qu’il est le dernier à avoir mouillé de ses larmes ma chemise. “T’as décidé de te reconvertir dans le monde des alarmes ? Tu sais que t’es supposé pouvoir les éteindre, pas vrai ?” A défaut de voir son fils je peux au moins l’attendre. Ras le bol peut attendre une minute de plus, j’en suis convaincu.

« Pourquoi est-ce que tu pleures ? Elle va revenir, maman. » Comme si cela allait apaiser Abel qui, depuis qu'Ariane est partie, ne cesse de pleurer. Pourtant, ce n'est pas faute d'essayer de lui rendre la vie agréable. Il a lu tous les livres possibles et imaginables sur les bébés qui pleurent beaucoup, Saül. Le même malheur se produit lorsqu'il part au travail et qu'Ariane est laissée seule avec leur petite merveille. Il faut croire qu'Abel tient à l'attention absolue de ses deux parents. C'est qu'il a du caractère, Abel Satan Parker-Williams. Il faut dire qu'il a hérité de bons gènes et Saül en viendrait presque à regretter ses nuits sur l'affreux canapé de son bureau. En comparaison avec les nuits qu'il passe - si l'on peut appeler ça de nuits - à bercer Abel entre ses bras, le canapé semble être un lit idyllique. Rien, pas même l'extrême fatigue à laquelle il est exposé, ne pourrait pourtant rompre la paix que Saül ressent en tenant l'enfant entre ses bras. Ses cernes n'auront jamais raison de son sourire, pas plus que les cris du bébé n'effaceront la joie que l'italien ressent en observant ses petites mains et ses petits pieds. Parfois, quand Abel s'arrête de pleurer, Ariane et Saül se prennent à l'observer en silence, comme s'ils étaient parés à ce que le diable en personne se réveille en sursaut.

Aujourd'hui, Saül ne travaille pas. Il n'est de toute façon pas question que Saül confie Abel à qui que ce soit et s'il fallait prendre des congés pour pouvoir s'occuper de son fils, Saül n'hésiterait pas une seule seconde. Même si sa place est en danger, l'italien s'est juré de ne pas répéter les erreurs qui ont tué la relation qu'il aurait pu construire avec Damon. « Ciao. Besoin de parler. » Saül n'a pas entendu les coups, trop occupé à bercer Abel en même temps qu'il lui prépare son biberon. Pas de cris de bébé du côté de Auden, qui n'est certainement pas venu avec Sloan. Dans la cuisine, Saül s'équipe de son attirail de papa avant de se diriger vers l'entrée où doit encore se trouver son frère cadet. « Pas parler parler, je viens pas te confesser mon petit coeur brisé de collégienne amoureuse. » « Oui je crois avoir compris que nous ne faisions plus cela depuis que cette fille a brisé ton cœur en refusant de venir au bal du collège avec toi. » Le voilà qui apparaît, le père aux cheveux moins ordonnés que d'habitude mais au visage plus rayonnant que d'ordinaire. Saül n'a pas mis le nez dans la poudre depuis quelques jours, pourtant. Ou peut-être n'est-il sobre que depuis quelques heures ? Qui sait. « T’as décidé de te reconvertir dans le monde des alarmes ? Tu sais que t’es supposé pouvoir les éteindre, pas vrai ? » « La paternité a fait de toi un clown ! Merveilleux. » Entre les bras de Saül, Abel cesse de pleurer. Peut-être est-ce parce qu'il est attiré par cette nouvelle voix, pas si proche que ça de celle de son papa.

D'un signe de la tête, Saül invite Auden à le rejoindre au salon. Dans un soupir, il s'installe dans le canapé, biberon à la main. « Fais comme chez toi. » Fouille les tiroirs, Saül a bien planqué la neige. « Il a du caractère. Comme sa maman. » Un sourire aux lèvres, Saül couve Abel du regard. Ses yeux filent ensuite se poser dans ceux de Auden. « Tu veux lui donner le biberon ? C'est ton neveu. » S'il y a bien une personne en qui Saül place une confiance absolue - ce qui est plutôt étrange, d'ailleurs - c'est bien Auden. Il n'y a personne d'autre à qui il confierait Abel, sinon peut-être à Damon. Elise serait capable de kidnapper l'enfant et ne parlons pas des tarés de frères que se coltine Ariane.

« Oui je crois avoir compris que nous ne faisions plus cela depuis que cette fille a brisé ton cœur en refusant de venir au bal du collège avec toi. » - “J’avais déjà lâché l’école à ce moment là, c’est de toi dont il était question.” Maintenant, il ressemble à une ménagère. Pour son prochain anniversaire et à l’occasion de son 107e année de vie, je lui offrirai un tire-lait et un guide de la parfaite housewive, il sera ravi. Abel dans les parages, je sais par avance qu’il n’osera même pas hausser le ton de peur de déranger son si cher bambin. Les deux nôtres ensemble, ils seront le pire duo de cousins que l’Univers n’a jamais connu. Ils seront parfaits, aussi.

Je ne manque pas une seule occasion de place une blague ou une autre, perdant rapidement le fil de savoir où commence le sérieux et où est ce qu’il s’arrête. Ce n’est pas le plus important, je me souviens non sans mal de où je veux en venir. « La paternité a fait de toi un clown ! Merveilleux. » Il est trop tôt pour lui rappeler que je suis le seul de nous deux à être père depuis vingt ans déjà, pas vrai? Vous voyez que même moi j’arrive à distinguer le bien du mal et, parfois, à me la fermer pour le bien commun. Ce n’est pas le lieu ni le moment de recommencer un débat du genre. On ne trouvera jamais de solution et cela ne changera pas notre passé non plus. Le seul à qui je dois parler, c’est Damon, et force est de constater que ce n’est pas ici que je le trouverai. Je le laisse venir à moi, contrairement à Saül que je vais chercher jusque dans son antre. Heureusement, il n’est pas encore entré en hibernation. “Rassure toi, t’étais déjà chiant avant d’être père, rien n’a changé à ce niveau là.” Je parle d’il y a vingt ans de ça autant que je parle des derniers mois. Peu importe de quelle paternité il est question, le problème reste le même : il est un sacré connard - mais ça reste affectif, bien évidemment.

Je me fais assez silencieux pour ne pas déranger son fils. S’il n’avait été question que de mon frère, j’aurais déjà ouvert tous les placards et hurlé à la mort deux fois, et ce sans aucune raison. Certains enterrent la hache de guerre, chez les Williams on fait plutôt des enfants. « Fais comme chez toi. » J’aurais eu cette attitude sans qu’il ne m’y autorise mais c’est un pas en avant. Je ne réponds rien mais comprends qu’il fait des efforts, lui aussi. On ne met simplement pas de véritables mots là dessus, on se contente d’un reproche suivi d’une remarque plus douce. Et ça suffit, ça suffit largement. Il y a un an, je n’aurais pas été capable de le regarder dans les yeux sans lui coller mon poing dans la figure par la même occasion. « Il a du caractère. Comme sa maman. » Comme sa maman, oui, et bien sûr son papa n’a absolument rien à voir avec cela. C’est une seconde remarque que je retiens cette fois-ci, sans doute trop occupé à l’observer agir si différemment auprès d’Abel. Il n’a rien du Saül que je connais depuis toujours, et ça m’arrache un sourire de merde. Il est heureux, c’est ça la nouveauté dans l’équation. « Tu veux lui donner le biberon ? C'est ton neveu. » L’enfoiré. Il connaît mon Talon d’Achille ; il sait que si je suis venu lui parler en personne au lieu de lui crier à l’autre bout du téléphone, c’est aussi parce que je voulais voir mon neveu qu’il garde férocement du reste du monde. Sauf moi. Croyez moi, j’en suis le premier surpris, en témoigne la seconde dont j’ai besoin avant de lui répondre. “[coor=darkgreen]Bien sûr.[/color]” Pas de remarque acerbe, pas de moquerie ; aucun commentaire. A mon tour, j’ai simplement envie de pouvoir tenir le bambin entre mes bras et si l’excuse donnée est celle du biberon, alors ça me convient tout à fait. “Sloan pourra lui apprendre à faire les meilleurs caprices.” Ils ne se sont encore jamais rencontrés, les cousins trop jalousement gardés par chaque parti. On remédiera à ça aussi, bientôt. En attendant, c’est mon neveu que je viens chercher d’entre les bras de son paternel pour mieux le blottir contre les miens, faisant au mieux pour ne pas afficher de sourire ni trop grand, ni trop ému. “T’as de la chance, il ressemble aussi à sa mère.” Que je mens éhontément. Il leur ressemble à tous les deux et j’imagine qu’il a aussi hérité de leur deux caractère. Quel enfer.

Ma main libre attrape le biberon encore tiède alors que l’instant d’après je m’enfonce dans son canapé, toute mon attention focalisée sur l’enfant et sa nutrition. Ma main posée contre sa nuque le tient droit, mon pouce caresse instinctivement sa peau diaphane pour le rassurer. Ce n’est pas papa, mais c’est tout comme. C’est à papa, d’ailleurs, que je suis venu parler sans même chercher à remettre de l’huile sur le feu. “Je veux l’acheter. Le restaurant.” Le restaurant de notre rêve de gamin, le restaurant qui y ressemble presque, ici, en ville. J’ai peut être déjà signé quelques papiers à ce propos, d’ailleurs. Oups. “Un se vend en ville. Je le fais si tu le fais.” Et si seulement il le veut toujours, nous en parlerons à notre cousin.

Et nous ne sommes pas à Noël, il ne neige pas sur Brisbane, pourtant les miracles bénissent encore, parfois, les foyers qui ne le méritent pas. Abel observe, de ses grands yeux bleus, le monde qui s'offre à lui. Le visage de son oncle lui est encore inconnu mais le petit angelot - démon, en réalité - sourit à Auden. Saül sait l'enfant avenant, bien qu'il ne soit pas encore capable d'arrêter de pleurer en présence de ses parents. On croirait qu'il veut déjà se venger d'un tort causé par ses géniteurs, bien que Saül se montre très prévenant avec cet enfant qui est, cette fois-ci, pleinement le sien. Ariane et lui sont d'heureux parents et tous les malheurs du monde n'y changeront rien, pas même la folie de Madison et les sueurs froides qu'elle donne au couple nouvellement mariés. « Sloan pourra lui apprendre à faire les meilleurs caprices. » Oh, Abel n'a de leçon à prendre de personne. En réalité, c'est lui qui les donne et jamais Saül ne se serait douté de la difficulté à laquelle un père pourrait se confronter. Damon était un bébé très sage, lui.

Doucement, Saül passe l'enfant à Auden. Le blondinet détaille son oncle des yeux, poussant un cri en serrant ses petits doigts potelés autour de ceux de l'artiste. « T’as de la chance, il ressemble aussi à sa mère. » « Il a son regard. Surtout quand il exige quelque chose. » L'homme d'affaires couve le bambin d'un regard affectueux. Saül cède à tous ses caprices et il commence déjà à redouter les épreuves à venir. Oh qu'elle était facile, la période de l'enfance de Damon. Saül était toujours en vadrouille, d'un côté de la planète ou de l'autre. On dit souvent que les parents ne voient pas leurs enfants grandir tant ils passent du temps à leurs côtés. Saül ne voyait pas son enfant grandir parce qu'il ne le voyait pas du tout, c'est aussi simple que cela. Il remarque pourtant tous les petits gestes de Abel, connaît à l'avance beaucoup de ses demandes et sait quels regards le demandent lui - et quels sont ceux qui demandent sa mère. La plupart du temps, c'est avec Ariane qu'il cesse de pleurer. Avec Auden, en tout cas, petit Abel n'a pas l'air d'avoir envie de faire le difficile. Il a déjà adopté ces bras de substitution qui, généreux, lui tendent le biberon.

Comme s'il observait un animal sauvage - et aussi parce qu'il a peur de déclencher une énième crise de larmes - Saül s'installe en face du nourrisson et de l'oncle souriant, prenant de grandes précautions pour ne faire aucun bruit. Les yeux du quarantenaire piquent déjà et s'il s'écoutait, il prendrait probablement quelques minutes pour faire la sieste. « Je veux l’acheter. Le restaurant. » Ces paroles le sortent pourtant de son état déjà somnolent et Saül se frotte les paupières, pas certain d'avoir bien entendu. « Tu n'es pas- » « Un se vend en ville. Je le fais si tu le fais. » -sérieux. Bien sûr qu'il se souvient, Saül, de leurs discussions animées à propos de ce restaurant. Un rêve, une chimère, une bouteille lancée à la mer pour personne. Pour les futurs eux, qui ont pris des chemins différents et qui ont oublié de retrouver, dans la houle, la bouteille lancée des années auparavant. Sur son fauteuil, Saül se tasse un peu. Les paroles de Marcus lui reviennent, de même que celles du conseil d'administration. Il n'a pas de temps à accorder à autre chose que ce fichu boulot, pas plus qu'il n'a de temps à allouer à quiconque d'autre qu'Ariane ou Abel. Rien dans sa vie ne laisse d'espace aux rêves oubliés, encore moins ceux qui pourraient tourner au vinaigre de toutes les façons possibles et imaginables. Sans parler, bien sûr, des dettes qui s'accumulent de partout et de cette épée de Damoclès qui pend au dessus de sa tête. Rien qu'en imaginant les complications, Saül n'a qu'une envie : prendre une ligne de la poudre qu'il cache dans un recoin de la chambre parentale. « Tu n'imagines pas combien c'est une mauvaise idée. » Dans les bras de Auden, Abel gigote et pousse un soupir de contentement. Le prochain miracle - et le plus grand - est certainement de parvenir à l'endormir.

Et pourtant, tout arrive.

« On ne sera jamais en cuisine en même temps. » Sinon, les couteaux voleront à travers la pièce. « Et je refuse que tu t'occupes de la décoration. » C'est un oui, alors, malgré la mine sévère de Saül et son habituel ton trainant, peu enclin à la négociation. On peut pourtant aisément discerner, au coin de ses lèvres, qu'un léger sourire est sur le point de naître. Ce n'est que lorsque ses yeux se reposent sur Abel que le quarantenaire s'autorise à sourire pour de vrai. « Papa va devoir délaisser un peu de travail, mais papa ne te délaissera pas toi. » Un cri pour répondre à papa, qui arbore maintenant un visage rayonnant que ne terniront pas ses cernes ou la présence - parfois - irritante de Auden.

« Tu n'es pas- » Est ce que je parle vraiment de choses sans être sérieux ? Oui d’accord, ça m’arrive souvent à vrai dire. Mais ce n’est pas une raison. On ne rigole pas avec le restaurant. On se dispute à son propos, ça oui, mais on n’en rigole jamais parce que c’est un sujet sérieux depuis le premier jour. Ca n’a jamais été qu’un rêve de gosse comme beaucoup veulent aller sur la Lune ou Dieu ne sait où. On souhaitait cuisiner des ingrédients locaux, à l’époque. Aujourd’hui, on va les exporter depuis l’autre bout du monde. Rien n’a changé, sinon, et j’en informerai mon imbécile de frère dès qu’il cessera de croire que j’ai du temps à perdre à venir lui raconter des blagues - et tenir son marmot entre mes bras, m’appliquant avec grand soin de le couver de mon regard.

Abel gigote doucement, mon bras se replace sous lui pour s’adapter au mieux à sa nouvelle disposition. « Tu n'imagines pas combien c'est une mauvaise idée. » - “Ton soutien indéfectible est ce que j’ai de plus précieux, mon frère.” J’annonce sans pour autant quitter son enfant des yeux, ne me laissant pas décontenancer aussi facilement. Il est imprévisible à bien des égards (surtout sur sa faculté à tout foutre en l’air) mais je sais qu’au sujet du restaurant, il n’a jamais changé d’avis. On avait beau être hauts comme trois pommes à l’époque, cela ne change absolument rien à notre projet commun, le seul qu’on a été foutus d’imaginer en quarante ans. Lent à la détente, il a besoin de quelques secondes supplémentaires pour réfléchir et mettre en place ses conditions, lesquelles j’avais imaginées sans qu’il fasse semblant d’imposer sa loi. Qu’importe. Si cela peut lui faire plaisir, je lui concède pour un instant supplémentaire son rôle de pseudo-chef. Vous voyez, après tout, que je ne mérite pas la palme du pire frère. Je fais des efforts.

Lui je ne sais pas ce qu’il fait, mais il agit on ne peut plus bizarrement. « Papa va devoir délaisser un peu de travail, mais papa ne te délaissera pas toi. » En témoigne sa voix changée et ses paroles que je n’aurais jamais cru entendre de sa propre bouche un jour - et même sans aucune torture, si ce n’est peut-être ma présence à ses côtés. Cette fois-ci c’est sur mon aîné que mon regard se repose. S’il est plus intrigué que jamais, je tente de ne pas le montrer. C’est un aspect de sa personnalité que je n’aurais pas cru découvrir sur le tard. Il était différent, avec Damon. Sans doute parce qu’il n’a jamais été son fils, me diriez-vous. Je décide de ne pas relancer ces mots, me concentrant plutôt sur nos projets d’avenir alors qu’Abel, lui, trouve que jouer avec mon index est particulièrement intéressant. Je le lui laisse tant qu’il n’essaye pas de me mordre - je suis certain qu’il y a des résidus de peinture quelque part et que c’est tout sauf comestible pour le nourrisson. “On le fait moitié-moitié. Enfin, quarante-quarante, et dix pour Gio. Il va bouder sinon.” L’avis d’aucun ne l’emportera sur l’autre, peu importe s’il arrive à crier plus fort. Pas de couteau lancés dans la cuisine, encore moins devant les clients. Pas de peintures sanglantes dans la salle, ok. Mais qu’il ne sorte pas ses idées de plats de merde non plus, on s’en tient à ce qu’on connait depuis notre plus tendre enfance. “Je t’épargne les gestes menaçants mais si tu foires ça, tu tires un trait sur moi. Compris?” Sur notre fraternité et sur les quarante années de vie. J’espère qu’il comprend que cette fois-ci tous mes mots sont choisis avec soin et non pas lancés sous le coup de la colère. J’anticipe, justement. “J’abandonne pas mes projets perso. Le restau est important, mais pas autant que l’art.” Je précise enfin. Qu’il fasse ce qu’il veut de sa vie, mais la mienne ne se basera certainement pas sur un partenariat avec mon frère. Il a ma confiance, mais pas à ce point là. Il n’eclipsera pas ce que j’ai mis une vie toute entière à bâtir.

« Ton soutien indéfectible est ce que j’ai de plus précieux, mon frère. » « J'ai les pieds sur terre. » qu'il souligne, croisant les bras, sans relâcher son attention de la scène miraculeuse qui se tient sous ses yeux. Saül, que la proposition déroute, ne peut s'empêcher d'observer Auden à l'œuvre. Il s'applique à nourrir Abel avec beaucoup de délicatesse. On ne peut retirer à Saül son extrême vigilance et bien qu'il fasse confiance à son cadet, le quarantenaire ne peut s'empêcher de couvrir l'enfant d'un regard très attentif. Entre les bras de Auden, le bambin gigote, contemple son oncle avec de grands yeux surpris. Il agite ses pieds, agrippe ses doigts potelés partout où ils peuvent se poser, cherchent à toucher la peau des mains de l'artiste. Ses petits doigts fourragent, impatients, le biberon. Ce n'est pas lorsque Saül accepte la proposition de son frère que son regard quitte le nourrisson. Sa voix change, bien sûr, lorsqu'il s'applique à parler italien. Sa voix change encore lorsqu'il s'adresse à Abel, qui essaie de tourner la tête pour attraper son père d'un regard gris-bleu. Saül ne remarque pas l'interrogation dans le regard de son frère, trop attentif à son fils, qui cherche maintenant à croquer le doigt de son oncle. C'est son truc, de baver partout - surtout sur les chemises de papa.

« On le fait moitié-moitié. Enfin, quarante-quarante, et dix pour Gio. Il va bouder sinon. » L'aîné opine du chef, quittant Abel du regard au profit de son frère. « Je ferai rédiger des contrats à mes avocats. » Avocats qu'il n'a plus vu depuis le divorce. Avocats qui auront besoin d'être payés - avec quel argent ? Saül ne s'imagine plus ces choses là depuis bien longtemps. Sa vie se fait à crédit mais l'italien n'en a cure, préférant ignorer royalement ses banquiers et repousser les demandes des huissiers. « Je t’épargne les gestes menaçants mais si tu foires ça, tu tires un trait sur moi. Compris? » « Ne dis pas des choses comme ça lorsque tu tiens mon fils entre tes bras. » Les tensions ne sont pas tolérées, aujourd'hui. Abel fait office d'attrape-rêves (cauchemars), captant autant l'attention que ramenant la tranquillité dans la pièce. C'est compris, pourtant. Saül ne compte pas plaisanter avec ce projet qu'ils portent tous deux dans un coin de leur cœur depuis la plus tendre enfance. Saül se souvient encore de leurs regards émerveillés devant la cuisine de leur mère, quand leur père les cherchait pour les emmener à la chasse. Rien ne plaisait plus à Saül que de voir sa mère à la cuisine, quand elle fredonnait et leur donnait presque toujours de quoi se disputer - c'est à dire le fond du plat. Aujourd'hui, Saül ne lui adresse plus la parole. Œil pour œil, dent pour dent. « J’abandonne pas mes projets perso. Le restau est important, mais pas autant que l’art. » « Comme je n'abandonne pas mon travail. » Non, pas encore. « Il aura le temps de m'abandonner avant. » - lui aussi. Amer, l'italien tend les bras afin de reprendre Abel. Ses yeux couvent le bébé alors que le bambin s'agite et cherche à manger les doigts de son père.

Par miracle, le bébé a décidé de rester calme. Il guette toujours le visage de Auden d'un regard curieux. « Je crois que ça serait bien pour Anastasia, de travailler au restaurant. » C'est pour essayer d'enterrer la hache de guerre mais aussi parce que Saül a besoin de garder un œil sur elle, qu'il propose de l'intégrer là où elle a du mal à se fondre. Le noyau familial n'a jamais été son terrain de prédilection. « C'est important, de lui créer de la stabilité. » C'est important, surtout, de la garder assez proche pour la surveiller. C'est une condition dont Saül ne discutera pas. Et Auden n'osera pas s'emporter en présence du bébé - pas vrai ?

« J'ai les pieds sur terre. » Il est surtout chiant à mourir, mais oui, appelez ça “j’ai les pieds sur Terre” pour paraître plus politiquement correct. Je ne réponds pas à cela puisqu’on a promis de se tenir à carreau, aujourd’hui plus que jamais. C’est presque comme si je sentais le souffle de mama contre ma nuque, prête à tirer l’oreille du premier qui embêtera son frère. Rigolez, mais vous n’avez aucune idée d’à quel point elle pouvait nous faire mal. Je préfère laisser la conversation dériver vers le côté pratique de cette idée, la nôtre. Gamin, on avait jamais pensé à tous les papiers que cette fichue idée allait générer. Maintenant, je ne vois plus que ça. Tant mieux, sans doute. Ils m’occupent et me donnent quelque chose à faire qui ne me demande aucune faculté de ma part. Remplir mon nom et prénom, signer, cela n’a rien de bien sorcier. Cocher des cases, je peux le faire. C’est comme un Le monochrome mais version chiante, vous voyez. Heureusement qu’à la fin, on y gagne un restaurant qu’on pourra considérer comme le notre.

« Je ferai rédiger des contrats à mes avocats. » - “Je m’en serais douté.” Il ne me fait pas confiance, donc. Il est le seul à avoir volé un enfant à l’autre, mais il est encore et toujours le seul qui refuse de croire en moi. Je ne laisse rien paraître, me contente de serrer les dents. Après tout, il a toujours accordé bien plus d’importance à la parole de ses avocats plutôt qu’à celle de sa propre famille. Ce n’est pas avec son demi siècle en approche qu’il pourrait changer quoi que ce soit, le vieux. Je savais qu’en m’engageant dans cette idée j’allais devoir faire preuve de sacrifices et c’est donc ce que je fais, ravalant brièvement ma fierté et mes paroles acerbes pour plutôt m’occuper au mieux de biberonner son fils auquel je souris, à défaut d’accorder un quelconque regard à son géniteur. Cela ne m’empêche pas de lui préciser une ultime fois l’importance de cette association et, même si je me fais rapidement rabrouer, je sais qu’il a bien compris. Tout ceci est sa dernière chance. Notre dernière chance.

Ma priorité restera mon travail, même si je ne peins plus rien depuis que Ginny est ailleurs. Ça reviendra. Ce n’est qu’une histoire de temps. Cela n’a même rien à voir avec elle, j’en suis certain. Tout n’est que fâcheuse coïncidence. « Comme je n'abandonne pas mon travail. Il aura le temps de m'abandonner avant. » De là, je souffle. Il ne me laisse pas le temps d’expirer tout l’air de mes poumons que le papa poule demande déjà à tenir son fils de nouveau. Cela ne m’empêche pas de reconnaître un sous-entendu que je n’aime pas, dans ses paroles qu’il tente de noyer rapidement. “Comment ça?” Nous ne sommes pas doués pour prendre des nouvelles l’un de l’autre mais cela ne nous empêche pas d’essayer. Son travail est aussi important pour lui que le mien l’est pour moi. A la seule différence que de nous deux, je suis le seul qu’on ne risque pas de virer, vous voyez.

Puisque tout semblait aller trop bien jusque là, je comptais bien sur mon frère pour donner une idée de merde. Il n’a besoin que d’une seule seconde de silence et du regard de son fils dérivant vers moi plutôt que lui pour déjà se penser Illuminé. « Je crois que ça serait bien pour Anastasia, de travailler au restaurant. » J’émets un rire faux au possible. Il est instinctif, c’est pas de ma faute. Je le savais stupide, mais pas à ce point là. “C’est absolument hors de question.” Je statue, glacial, mon regard de nouveau ancré dans le sien. Je suis prêt à négocier bien des choses mais là, juste là, il m’en demande trop. « C'est important, de lui créer de la stabilité. » C’est pas mon putain de problème, ça. Ou si, justement. Mon putain de problème, c’est Anastasia. La petite soeur terrible incapable de bien se tenir, ou d’au moins éviter de faire trop de conneries à la fois. “Elle en avait une très bonne à l’hôpital, elle devrait y retourner.” Y a t il besoin que je lui casse un nouvel os ? Je peux être volontaire, si ce n’est que pour son bien être. Je me redresse, pose mes coudes sur mes cuisses. S’il n’y avait pas le restaurant entre nous, si son fils n’était pas entre ses bras, ce serait le premier indice stipulant que je me prépare à me battre avec lui d’un instant à l’autre. Cette fois-ci, je me contente de l’écouter. “C’est de médecins dont elle a besoin, pas de nous.” De médecins pour la tête ou pour le corps, j’en sais rien et je m’en moque.

« Comment ça ? » Oh, oui, tu as bien entendu, Auden. Saül se contente de balayer la question d'un mouvement de la main, un sourire aux lèvres. Non, ce n'est rien, juste le renvoi qui lui pend au nez. Les vautours tournent, mais ils n'auront pas la peau du crocodile. Ils n'auront rien, même pas la charogne qu'il laissera derrière lui. Cette entreprise tournera avec lui ou ne tournera pas. Et pour assurer ses arrières, l'italien a déjà quelques idées derrière la tête. Les ficelles sont faciles à tirer, quand on est en haut de l'échelle. « 'Tracasse. Des querelles de gens de bureaux. » Surtout, laisser croire à Auden que ce n'est rien de sérieux. De toute façon, le cadet ne s'est jamais beaucoup intéressé aux emmerdes de son frère et l'inverse est aussi vrai. Ce n'est pas maintenant que ça va commencer. Abel est à nouveau dans les bras de son père et le bambin s'agite, manifestant son mécontentement par des grimaces dont il a le secret.

Tout ne peut que bien se passer, maintenant que Abel est assez calmé pour rester tranquille dans les bras de son père. Bien qu'il soit plutôt intéressé par ses essais de terrifier Auden du regard, il reste le centre de l'attention de Saül qui n'a d'yeux que pour lui - ou presque. Vient alors un autre sujet épineux auquel Saül ne voulait pas se confronter tout de suite : Anastasia. Saül voudrait qu'elle puisse avoir sa place au restaurant, pour qu'elle s'intègre au paysage familial mieux que ce qu'elle n'a pu le faire ces dernières années. Après tout, il faudra lui laisser une chance de se construire une stabilité, sinon comment la blâmer pour ses écarts ? Auden n'a pas l'air de voir les choses de cet œil. « C’est absolument hors de question. » « Auden... » L'aîné soupire, pourtant moins agacé que d'ordinaire. Il faut dire que la présence du bébé lui donne plus de patience. « Elle en avait une très bonne à l’hôpital, elle devrait y retourner. » C'est de stabilité dont elle a besoin, mais pas celle que veut lui donner son frère. Saül laisse échapper un rire. « Tu dis ça comme si tu l'y avais envoyé toi-même. » Il n'est pas loin de la vérité, l'italien, mais il ne le sait pas encore. Peut-être vaut-il mieux qu'il ne sache pas, d'ailleurs. Mais après tout, lui aussi a envoyé Anastasia à l'hôpital plus tôt dans l'année. L'accident de voiture a failli coûter la vie à Ariane - et à Abel, soit dit en passant.

« C’est de médecins dont elle a besoin, pas de nous. » « C'est de ses frères dont elle a besoin. Nous n'avons pas été là pour elle. Pas assez. » Peut-être Saül s'est-il découvert une âme de bon samaritain, ou peut-être n'est-il attiré que par la perspective de récupérer la part d'héritage touchée par Anastasia - qui sait. En attendant, c'est sur elle qu'il compte pour remplir un rôle dont il ne lui en a même pas encore touché un mot. « Enterre la hache de guerre avec elle. Toi aussi tu faisais des bêtises quand tu étais jeune. » Il a été témoin de certaines des bêtises de Auden, Saül. Plus que témoin, même, quand les deux frères vivaient encore sous le même toit. Saül oublie cependant qu'il n'a pas été là pour les années de vie de Auden, quand il avait l'âge d'Anastasia. Il est facile de se souvenir de façon sélective, quand c'est arrangeant. « Allez, pour toutes les fois où j'ai empêché mama de te punir pour le restant de tes jours, Modesto. » C'est le sourire des bons jours qu'il a sur ses lèvres, le Williams.

« 'Tracasse. Des querelles de gens de bureaux. » Alors si ce sont des querelles de gens du bureaux, il a raison: cela ne m’intéresse pas le moins du monde. Qu’ils restent ensemble dans leur tour d’ivoire sans jamais se mêler au petit peuple, cela leur correspond bien et cela m’évite d’avoir à les croiser à mon tour. Tout est parfaitement réglé comme du papier à musique, parce que c’est ainsi que les choses doivent être et s’il n’avait pas la chance d’être mon frère, il y a fort à parier que je le détesterais plus encore - parce que oui, c’est tout à fait possible. Je me contente d’acquiescer pour mieux passer à un autre sujet.

Chose que je n’aurais pas dû faire, si jamais quelqu’un en a encore quelque chose à chier de mon avis sur les choses. J’aurais préféré continuer paperasse et cours de l’argent plutôt que d’aborder le sujet d’Anastasia, surtout alors que je suis occupé à battre mon neveu à plate couture lors d’une sanglante bataille de regard. « Auden... » Et le voilà qui s’adresse à moi comme il le ferait avec son fils: trop doucement, trop gentiment. Dans un autre contexte, il m’aurait insulté de son meilleur italien. Au moins il ne m’appelle pas par mon prénom de naissance, justement. Il est sans doute trop occupé à me prendre avec des pincettes. Je devrais garder Abel près de moi plus souvent lorsque je m’adresse à la tête de mule me servant de frère. « Tu dis ça comme si tu l'y avais envoyé toi-même. » Il a rigolé et j’en fais autant, quand bien même je doute que nous ayons tous deux les mêmes raisons de le faire. Bien sûr que j’ai envoyé la cadette à l’hôpital et bien sûr que je le referai sans le moindre remord si je le jugeais nécessaire. Pour autant, je ne suis pas stupide au point de croire que le dire à Saül en de tels mots soit une bonne idée. Il a éludé le sujet de son travail alors j’estime avoir le droit à un joker moi aussi. “C’est pas l’envie qui m’en manque parfois.” Je me contente alors de répondre dans un sourire, évitant soigneusement d’avoir à lui mentir. Un jour il saura la vérité et je sais déjà que même la présence de son fils n’atténuera pas sa colère. Advienne que pourra, j’ai franchi le Rubicon en sachant quelles pourraient être les conséquences sur notre famille.

« C'est de ses frères dont elle a besoin. Nous n'avons pas été là pour elle. Pas assez. » Je ne compte pas l’être davantage. Ni dans la vie de tous les jours et encore moins au restaurant. Elle serait capable de se droguer à l’intérieur et de le faire fermer aussitôt après qu’on ait tout donné pour l’ouvrir, justement. Je ne peux pas prendre le risque et, surtout, je n’en ai absolument pas envie. A mes yeux, elle a épuisé tous ses Joker et ne vaut pas la peine de prendre tant de risques. « Enterre la hache de guerre avec elle. Toi aussi tu faisais des bêtises quand tu étais jeune. » - “Ne fais pas semblant de m’apprendre qui je suis.” Surtout pas alors que la seule erreur de ma vie consiste à ne pas m’être assez battu pour Damon et de m’être contenté de mensonges enjolivés et plaisants - même s’ils décrivaient un bilan de morts bien loin de la réalité, certes. Qui plus est, il ne m’a pas assez connu à cette période de ma vie pour pouvoir me décrire. Je suis parti à l’adolescence, lui était déjà Dieu ne sait où à parler argent et petits billets et se préparer à l’arrivée de l’Euro. Passionnant. “Et tu sais comment je réagis face aux ordres.” Pour ça et pour ça seulement, Anastasia est ma copie conforme. Donnez nous un ordre, aussi simple soit-il, et nous nous efforcerons à faire tout le contraire dans le seul but d’emmerder le monde. Il a de la chance que les grands yeux bleus de son mini-lui le sauvent de remarques acerbes et suffisent à laisser un sourire sincère et attendri (non, je n’ai pas dit ça) sur mes lèvres. Même le sujet d’Anastasia ne noircira pas le tableau, je m’en fais la promesse.

« Allez, pour toutes les fois où j'ai empêché mama de te punir pour le restant de tes jours, Modesto. » Je soupire, lève les yeux au ciel et lui donne un aperçu rapide de la crise d’adolescence de Sloan qu’il devra bien vivra un jour. “On en reparlera Massimo.” Aux souvenirs de l’enfance font emporter l’italien sur la langue empruntée de notre père. J’espère que nous n’aurons jamais à en reparler, cela va de soi. Le plan est en marche et je n’ai aucune envie de le mettre à mal aujourd’hui, surtout pas à cause d’une seule personne, qui n’est même pas avec nous qui plus est. Elle ne peut pas détruire ça aussi, pas après tout le mal qu’on a eu pour en arriver là. Puisque je ne veux pas que ça arrive, je préfère fuir le combat, pour une fois dans ma vie. Saül comprendra sans que je n’ai à lui expliquer. “Ca doit sûrement être l’heure de lui donner le sein, je vous laisse.” Que j’invente avec une certaine ironie et non sans fierté, venant mettre un terme aux regards les plus noirs de mon neveu en déposant simplement mes lèvres contre son crâne quasiment chauve. Mon frère, lui, à le droit à une simple tape contre sa joue, comme s’il n’était qu’un gamin. Il détestera et, au moins, cela lui fera me détester pour une autre raison que celle se rapportant à notre cadette.