« C'est idiot. On devrait être occupés à faire autre chose. » Le mariage est dans quelques temps mais tout semble déjà prêt. L'Italie est belle, en ce temps là. Elon a vingt ans de moins - et Saül aussi, Elise aussi. Il a encore les cheveux un peu long et son visage d'adolescent semble ne pas vouloir le quitter. Pas tout de suite. Dans quelques semaines, Saül abandonnera les cheveux blonds qu'il affectionne particulière au profit de sa sempiternelle coupe courte, sérieuse.

Les doigts de l'italien sont fermement fermés autour de ceux de sa fiancée. Elle est splendide, Elise. Elle détonne, au milieu de ce salon rempli de gens ordinaires. Ils la regardent, bien sûr. Ils chuchotent sur son passage, au sujet de la finesse de ses traits et de l'élégance de sa tenue. Ce n'est qu'un cours de danse mais Elise est impeccable. Elle est toujours impeccable. C'est cela qui a attiré Saül, la première fois. « Je déteste danser. » Elle le sait déjà. Elle s'en est peut-être rendue compte la première fois, quand il a attrapé sa main lorsqu'ils se sont rencontrés. Ce n'est pas si vieux que ça et après tout, d'aucun dirait qu'ils sont beaucoup trop jeunes pour se marier. Saül dit qu'il n'y a pas de temps à perdre, s'ils veulent fonder une famille - et tout de monde autour de lui pense pareil, de toute façon. Tout le monde, sauf peut-être le dessinateur du crocodile qu'il cache sous le tissu qui recouvre son épaule gauche.

Le professeur de danse est un homme que Saül déteste déjà. Il parle vite, trop vite. Italien, bien sûr, que Saül traduit en chuchotis dans le creux de l'oreille d'Elise. Il l'a ramenée au pays pour les années qui vont suivre. Le bonheur sera vite suivi par toutes les peines du monde - mais les jeunes (futurs) époux ne sont pas obligés de le savoir tout de suite. La main de Saül ne lâche pas celle d'Elise, alors que les couples se mettent doucement en place pour les échauffements. « J'espère que madame Williams est plus douée que moi. » Elle n'est pas encore madame Williams mais c'est tout comme. Monsieur Williams, lui, s'affiche avec un sourire discret, mais bien présent.

« C'est idiot. On devrait être occupés à faire autre chose. »
« On peut toujours retourner choisir les serviettes de table si tu préfères. »

Tu arrives presqu'à en rire aujourd'hui alors qu'à peine quelques jours plus tôt, tu avais des envies de meurtres quand il t'a répondu que les échantillons étaient tous de la même couleur. Ça sert à rien un homme dans la préparation d'un mariage. Ils sont juste contents d'avoir un enterrement de vie de garçon - soirée où Massimo a intérêt de n'avoir aucun excès ou à pas se faire surprendre d'en avoir plutôt. Tu es une future mariée bien exigeante - qui ça étonne ? C'est absolument crucial que tout soit parfait le jour venu. Des serviettes de table jusqu'aux danses. Voilà pourquoi vous êtes ici aujourd'hui. « Je déteste danser. » « Les gens dansent dans un mariage. » Les mariés surtout. Tous les regards seront tournés vers vous à ce moment-là. En fait, tu vous a d'abord inscrit et lui a annoncé après. Il n'avait pas vraiment le choix d'accepter. Vous êtes encore à l'étape de votre couple où vous succombé aux caprices de l'autre pour qu'il reste - pour des raisons impures, bien sûr. Tu as su à la seconde où Saül est rentrée d'une soirée avec ton paternel puant le cigare et le scotch hors de prix que tu devrais l'épouser - la soirée avait été bonne. Et te voilà à quelques mois seulement d'officialiser le tout, délaissant ta belle Australie pour rejoindre la charmante talie. Ça pourrait être pire. Et puis, Saül, tu l'aimes bien. Enfin, tu crois. Tu ne sais pas trop. Tu le détestes pas, c'est déjà ça de gagner.

Ton italien s'améliore de jour en jour. Tu arrives presque à tenir une conversation dans la famille de Saül, parce qu'ils ont la gentillesse de te souffler des réponses et de parler plus longtemps. En ce moment, tu perds un peu le fil. L'instructeur, il parle vite, trop pour que tu arrives à tout comprendre. Tu aurais dû prendre le cours en Australie. Une raison de plus pour retrouver tes terres natales. Heureusement que ton fiancé est là pour tout te traduire à l'oreille. « J'espère que madame Williams est plus douée que moi. » Madame Williams, comme une douce mélodie à tes oreilles qui fait illuminer ton sourire. « J'excelle dans tout. » Tu réussi toujours parfaitement tout ce que tu entreprends. Aucun défi n'est assez élevé pour que l'échec ne soit une option - tous les coups bas sont permis pour atteindre la réussite. Tout le monde te déteste à être aussi parfaite. Ta main qui n'a jamais quitté celle de Saül depuis que vous avez mis les pieds dans la salle y reste, alors que l'autre vient se poser contre son épaule au son de la musique qui s'élève.

Les premiers pas sont faciles. Personne ne se marche sur les pieds. Au moins ça de gagné. « Tu es trop concentré. » Concentré dans ce qu'on lui demande de faire. Probablement concentré à ne pas avoir l'air ridicule, alors qu'il trouve ridicule le simple fait d'être ici. Concentré de ne pas écraser les orteils de sa compagne. Ces mouvements ne sont pas fluides. Ils sont réfléchis voilà. Ta main quitte la sienne simplement pour venir se nouer avec ton autre autour de sa nuque. « Pense à rien. Laisse-toi porter. » Facile à dire qu'il doit probablement se dire.

« On peut toujours retourner choisir les serviettes de table si tu préfères. » Oh non, plutôt mourir que de se repencher sur les préparatifs du mariage. Il y a l'infernal plan de table, aussi, à mettre en place. Une chaise pour Auden aussi, même s'il ne viendra probablement pas. Une soirée qui devrait être belle mais qui est, pour l'italien, plus qu'angoissante. Elise attire son fiancé sur la piste, où les gens commencent à se préparer. La robe qu'elle porte est élégante et ses chaussures ne font que souligner la finesse de sa silhouette. « Les gens dansent dans un mariage. » « Je sais danser la valse. » qu'il proteste, les yeux fixés sur un type aux yeux un peu trop baladeurs. Elise sait combien son promis n'aime pas beaucoup la musique: il trouve que c'est un amusement frivole, digne des adolescents et de gens qui manquent d'occupation. Elise manque peut-être d'occupation, qui sait ? Elle n'aura de toute façon jamais à travailler. Bien qu'il soit jeune et débutant, Saül est déjà en mesure de pourvoir à ses besoins - même les plus extravagants. Ce bracelet qu'il lui a offert ou cette parure, qu'elle peut porter en toute occasion, sont des cadeaux de son futur époux.

Saül est attentif et il veille à ce qu'elle comprenne tout ce dont parle leur instructeur. Les chuchotements sont une nouvelle excuse pour s'approcher, l'air de rien, de la jeune femme. Une excuse au contact et aux regards en biais, que l'on croirait presque amoureux. L'est-il, Saül ? Peut-être. Ou peut-être croit-il l'être. « J'excelle dans tout. » C'est un baiser qu'il glisse, discret, dans le cou de sa fiancée. Sa mère ferait probablement les gros yeux, jugeant qu'un tel étalage de vie privée est indigne de leur statut. « Oh, je sais. » Ce chuchotement là traduit tout autre chose, quand les yeux de l'italien croisent ceux de l'australienne. L'instant d'après, le charme est rompu par le professeur qui les pousse à se mettre en place.

« Tu es trop concentré. » Il ne relève pas la tête, le jeune homme aux cheveux qui lui tombent presque devant les yeux. Ses prunelles sont fixées sur ses pieds et sur ceux d'Elise. Il connait pourtant les rudiments de la danse, mais impossible de se caler sur la musique. L'artiste, c'est Auden. C'est lui qui sait jouer du piano, lui qu'on a forcé à s'exprimer au travers de la musique. Petit Massimo n'en a pas beaucoup joué, seulement sous la contrainte et pour l'église, si bien qu'il serait aujourd'hui tout juste capable de restituer la Lettre à Elise de Beethoven. « Pense à rien. Laisse-toi porter. » « J'essaie. » Son envie de bien faire le pousse au faux pas et c'est Elise qui en fait les frais. Le pied de l'italien écrase celui de la jeune femme. « C'est affreux. » La musique ne leur laisse pas beaucoup de répit. « On dirait que tu as fait ça toute ta vie. Avec qui as-tu appris à danser ? » Le professeur donne des consignes et la main de Saül se resserre sur la taille de sa promise. Il ne la lâchera pas - pas encore.

« Je sais danser la valse. » « Voilà l'occasion d'agrandir ton répertoire. » Tu secoues la tête de gauche à droite, un léger sourire vient orner tes lèvres. Ce n'est pas suffisant. Probablement que rien ne sera vraiment suffisant pour le grand jour. Le compte à rebours est encore assez loin pour que tu n'infliges pas trop la pression a tout entourage, pire à ceux qui sont en charge de l'organisation - en vrai, ils sont engagés pour rien, tu ne leur laisse rien choisir. De l'argent lancé par les fenêtres dirons nous. L'histoire de ta vie. L'histoire de la sienne dorénavant. Tu es concentré sur les explications de l'instructeur. Tu fronces légèrement les sourcils alors que tu essaies de ne rien manquer quand bien même ton fiancé veille à ce que tu comprennes l'essentiel. Elle est soudaine, surprenante, la sensation des lèvres de l'italien qui viennent se poser délicatement dans le creux de ton cou. « Oh, je sais. » Ce n'est qu'un murmure contre ta peau. Ce n'est qu'un secret alors que ta tête se tourne vers lui, que ton regard se plonge dans le sien. Regard qui te donne l'impression d'être seul à seul pendant une fraction de seconde. C'est un sourire timide (intimidé ?) qui prend toute la place. Oh ce que tu détestes quand il te donne l'impression que tu ne contrôles rien. C'est qu'il te déboussole quand il te surprend de charme.

« J'essaie. » Il n'essaie pas assez si on te demande ton avis. Il n'arrête pas de regarder ses pieds par peur de faire un faux pas. Il est raide comme une barre, ne semble absolument pas à l'aise dans les mouvements qui ne sont pourtant que la base. C'est plus tard que ça se complique. « Regarde-moi. » La suite est sûrement de ta faute quand tes doigts viennent doucement lui soulever le menton. Un coup ses pieds lâchés des yeux, il ne lui faut pas plus de deux minutes pour t'écraser les tiens. Outch. « C'est affreux. » Oui. Ce l'est. Finalement, il peut bien les regarder ses pieds si ça peut l'empêcher de mettre tes pieds en bouillie. Tu prends une grande respiration alors que tous les traits de ton visage ne se tordent (presque) pas de douleur. Tu jettes un rapide regard sur les autres couples. Ça va. Vous n'êtes pas les pires. À peu près la moitié des hommes dans la salle n'arrivent pas à suivre la cadence. « On dirait que tu as fait ça toute ta vie. Avec qui as-tu appris à danser ? » Tu hausses les épaules. Tout le monde. Personne en particulier. « Dans un cours. » Petite Elise les a tout fait les cours possible qui faisait d'elle l'enfant et surtout la future épouse parfaite tel un soldat qui s'entraîne pour la guerre.

La main de Saül se resserre contre ta taille alors que tu reprends la position initiale. « Allez, on reprends du début. » À force de reprendre là où ça bloque, ça va bien finir par débloquer, non ? Tu ne comptes pas repartir tant que ce n'est pas un minimum potable.

so you know you can dance ou pas   :

« Regarde-moi. » Il n'y arrive pas sans peine. Saül a les yeux fixés à ses pieds, quand elle vient attraper son menton pour le forcer à la regarder elle. Il n'est pas très à l'aise, même quand il la regarde. Elise a l'air de flotter. Elle a l'air de savoir faire ça depuis des lustres, comme si ses pieds avaient été créés pour ça. Saül aurait dû écouter un peu plus les leçons de danse de salon quand il en avait l'occasion, pour le bal de fin d'année. Où a-t-elle appris, Elise ? « Dans un cours. » Evidemment. « Papa et maman se sont assurés que tu puisses danser correctement le jour de ton mariage ? » C'est un rire sincère qui s'échappe des lèvres du fiancé. « Ils n'avaient pas prévu que ton partenaire serait si médiocre. » D'un mouvement théâtral, Saül remet ses cheveux en place. Bien sûr, il n'a pas grand chose à ôter de devant ses yeux. Il y a longtemps qu'il ne porte plus la coupe des adolescents, celle qu'il avait l'habitude de porter avant que ses parents ne l'envoient dans l'endroit sinistre qui a changé sa vie pour le pire. Ou peut-être pour le meilleur, si on écoute parler les parents Williams.

« Allez, on reprends du début. » Le front luisant de sueur, Saül fulmine. Il n'a pas réussi à poser son pied sur la musique. Ses yeux finissent toujours se perdre, son buste finit toujours par s'affaisser. Pour autant, il ne s'est pas découragé. Enfin... « Je vous l'emprunte. » D'une main délicate, le professeur vient dérober Elise. Sourire aux lèvres, il accroche ses doigts à la taille de la jeune femme. Les regards qu'ils échangent font bouillir l'aîné des Williams, qui reste sur le banc de touche alors que la musique reprend. Elise et le professeur ont l'air de glisser sur des nuages. Ils ont le pas léger. Les petits rires du professeur donne à penser à Saül que son petit jeu est rodé. Elle est clairement la plus jolie des élèves de la salle. Cela aussi, Saül l'avait remarqué en rentrant. Bras croisés, dents serrées, il attend que la danse se termine. Tout le monde est là pour les acclamer, bien sûr. Pour applaudir la souplesse d'Elise. Pour badiner au sujet des charmes du professeur. « C'est comme cela qu'on fait danser une dame. » qu'il lance à l'intention de Saül, qui lui rend un sourire faux au possible.

Quand il récupère Elise, Saül tente au mieux de ne paraître pas trop contrarié. Ses gestes sont plutôt brusques, pourtant. Et les regards qu'il lance à Elise ne trompent pas. Sa cadence est plus rude, plus marquée. Etonnamment, il se cale un peu mieux sur la musique. « Tu vas danser comme ça, avec mes amis, à notre mariage ? » qu'il siffle à l'oreille d'Elise. La colère le ronge encore, si bien que le couple manque d'en heurter un autre sur la piste de danse. « Tu n'as qu'à inviter ton petit professeur. Il te fera danser comme une dame, lui. » Jalousie, quand tu nous tiens...

« Papa et maman se sont assurés que tu puisses danser correctement le jour de ton mariage ? » Entre autres, oui. Ils se sont surtout assuré que ton futur époux n'est rien à te reprocher. Ils ont fait de toi la parfaite petite épouse. « Ils n'avaient pas prévu que ton partenaire serait si médiocre. » Ce qui est plutôt étonnant, c'est qu'il n'est pas suivi le même traitement que toi. Tu croyais que tous les hommes de la haute société savaient danser. Il sait danser la valse. Ils le savent tous. Le rire de Saül fait écho au sourire qui orne tes lèvres. « Heureusement que tu as d'autres qualités. » Comme être riche. Ça compense pour le reste. Tes bras s'enroulent autour de sa nuque alors que ton front s'ancre aux siens. La seconde d'après, la bulle est éclatée. « Je vous l'emprunte. » Oh, l'interruption du professeur te surprend. De quoi est-ce qu'il se mêle celui-là ? Tu ne sais pas si Saül le laisse vraiment t'emprunter ou si c'est juste que la scène se passe trop rapidement. Quoi qu'il en soit, c'est sous les pas guidés du professeur que tu suis le mouvement de la prochaine chanson. Tu ne comprends qu'à moitié ce qu'il te murmure à l'oreille. Il parle un peu trop rapidement une langue que tu ne maîtrises pas encore parfaitement. Ça sonne langoureux, mais l'italien est une langue langoureuse. Saül pourrait t'insulter dans sa langue maternelle que tu serais charmé. De toute façon, qu'est-ce que tu en as à faire de ce qu'il raconte ? Ce n'est pas pour danser avec lui que tu es venu ici. Tu te contentes de glousser comme une adolescente quand le moment semble opportun et tout le monde est content. Enfin, tout le monde....

La mélodie se termine sous les applaudissements des autres élèves de la classe. « C'est comme cela qu'on fait danser une dame. » qu'il lance à ton fiancé avant que tu ne retournes dans ses bras. Cette fois-ci, les mains qu'il pose sur toi son plus brusque. Tu te laisses berner en croyant à une prise confiante. Après tout, il arrive à bien mieux tenir le rythme que la première fois. Ah, l'orgueil, ça fait des miracles. Tu étais à deux doigts de le féliciter quand l'ambiance change drastiquement. « Tu vas danser comme ça, avec mes amis, à notre mariage ? » Il siffle à ton oreille. L'angoisse te submerge à l'instant. « Pardon ? » que tu lui demande, incertaine de vraiment comprendre ce qu'il te reproche. Tes doigts se resserrent sur leur prise quand l'impression de heurter le couple le plus près se fait ressentir. Ça va, évité de justesse. « Tu n'as qu'à inviter ton petit professeur. Il te fera danser comme une dame, lui. » Il fait chaud soudainement. Et non, ce n'est pas l'émoustillement d'être près de l'être aimé qui occasionne cette chaleur. C'est tout le contraire. Il te rappelle ton père avec son ton autoritaire. Tu baisses les yeux, à deux doigts de demander pardon monsieur en parfaite petite fille soumise que tu es. Tu n'as pas encore l'habitude des colères de l'Italien, pas encore assez solide pour lui tenir tête, surtout pas avec la peur de le perdre qui te déchire les entrailles. Tu veux être parfaite. Tu dois être parfaite. Tu ne peux pas te permettre de laisser filer entre tes mailles quelqu'un comme Massimo Williams, déjà chouchou de ton paternel. Tu ne trouveras jamais meilleur époux que lui. « Je ne danserai avec personne d'autre. » Plus jamais. Ton regard cherche le sien, l'évite aussitôt qu'il le trouve, intimidé par son regard sévère. Soudainement, c'est toi qui n'arrive plus à suivre les pas. « On peut s'en aller. Tu as raison, c'est idiot. »

« Pardon ? » Elle l'a très bien entendu et il lui fait savoir qu'il ne se répètera pas. Les dents serrées, Saül mène la danse. Ici, ils sont des inconnus, mais les vieux réflexes ont la vie dure. Elle l'aurait humilié, devant une foule de visages familiers. Elle l'aurait humilié en dansant ainsi en ayant auparavant dansé avec son fiancé. Elle l'aurait humilié en le laissant sur le carreau, lui qui a la jalousie si facile et la colère si courante. Le regard de l'italien file vers le professeur qui est occupé avec un autre couple. Les pieds de Saül sont un peu plus agiles, une fois qu'ils sont motivés par l'envie de montrer au monde qu'il sait faire danser Elise comme une dame, lui aussi. « Je ne danserai avec personne d'autre. » Et soudain, la colère redescend. Elle était futile, en réalité. Depuis qu'il sait qu'il va se marier, Saül est un peu agité. Un rien le brusque, un rien l'agace. Les préparatifs l'ont plus fatigué qu'il ne veut bien l'admettre. Ses yeux essaient de retrouver ceux de sa promise, accrochés au sol.

« On peut s'en aller. Tu as raison, c'est idiot. » « Regarde moi. » Elle ne suit plus le rythme. Soudain, c'est lui qui maîtrise mieux qu'elle. Entre deux pas, Saül arrête la danse. Ils ne bougent plus, dans un coin de la salle. Tous les couples sont concentrés à répéter un pas et un autre. « C'est simple, regarde. » Avec maladresse, il réitère sa tentative de se caler sur la musique. Les yeux fixés dans ceux d'Elise, Saül essaie d'accorder son pas à la musique. Ses mains se sont détendues. Son pouce caresse la main de la jeune femme, un geste qui se veut encourageant. Un geste tendre, qui restera pour les années à suivre son seul et unique moyen de communiquer à Elise un peu d'affection. Un geste d'amour ? Peut-être, dans une certaine mesure. Et enfin, le couple est en rythme. Ils évoluent timidement sur la piste, accordés l'un à l'autre. Sur le visage de Saül, la colère a laissé place à un sourire.

« C'est difficile pour moi aussi. » Le mariage ? La danse ? C'est sa manière de présenter ses excuses, parce qu'aucun mot similaire ne passera jamais la barrière de ses lèvres. Elle devra se contenter de quelques accalmies, parfois. Elle devra se contenter de ses silences, aussi, qui sont pires que ses plus grandes colères. « On apprendra à s'accorder. » Ils ont toute une vie pour le faire. Toute une vie pour apprendre la danse. Un mariage entier pour apprendre à ne pas se marcher sur les pieds. Quand la musique s'arrête pour de bon, Saül glisse un baiser sur la joue d'Elise.

« Regarde moi. »
« Tout le monde nous regardes. »

Ta voix n'est soudainement qu'un murmure mal à l'aise. Ça te va quand tous les regards sont fixés sur toi pour observer de loin ta vie de rêve, pour la jalouser. C'est autre chose quand tu sens tous les regards tournés vers toi alors que ton couple semble être au bord de la crise. Le truc c'est que c'est juste une impression. Personne ne vous regarde. Tout le monde est concentré à faire leurs petites affaires chacun de son côté. Tu n'apprécies simplement pas que Saül ne garde pas le règlement de compte entre vous deux lorsque vous serez à l'abri des regards. Quel horreur ce serait si quelqu'un sentirait que votre couple n'est pas assez solide. « C'est simple, regarde. » C'est lorsqu'il le demande pour la deuxième fois que vraiment tu oses le regarder à nouveau. Sa prise s'est de nouveau adoucie sans même que tu ne t'en rende compte. Trop obsédée par les autres que par ce qui se passe sous tes yeux. Sur le visage de ton fiancé, son joli sourire est de retour. Il t'entraîne dans la danse d'un pas beaucoup plus confiant que précédemment. Ça suffit pour que tes épaules se détendent et que tu retrouves doucement le rythme de la mélodie.

« C'est difficile pour moi aussi. » De ? De quoi ? D'être ici ? D'être ensemble ? De suivre le chemin déjà tracé ? « On apprendra à s'accorder. » Un coup la bague glissé au doigt (ou la corde au cou c'est selon) vous n'aurez pas vraiment le choix de l'apprendre. Le divorce ne serait toléré ni dans ta famille, ni dans la sienne. C'est un engagement pour toute une vie que vous êtes sur le point de prendre. C'est le rôle d'une vie. « Je ferais tout ce qu'il faut. » Pour que ça marche. Pour être l'épouse idéale. Pour lui offrir un fils et tout ce qu'il désire. L'homme d'affaires ne trouvera jamais meilleure candidate que toi pour mener une vie parfaite. Impossible de trouver une autre femme qui est prête à tout (même au coup les plus bas) pour réussir son mariage de l'intérieur, mais surtout de l'extérieur. C'est presque dommage que cette motivation finira par s'effriter avec le temps, avec l'arrivée des embûches. Un jour, tu te contenteras seulement de sauver les apparences.

Lorsque la musique et les pas s'arrêtent complètement, Saül vient déposer un baiser contre ta joue. « Je t'aime. » Il y a des moments comme celui-là où tu as vraiment envie de croire que c'est vrai, que tu l'aimes et qu'il t'aime en retour. Même si le seul fait d'en douter parfois devrait suffire à te donner une réponse. Ce n'est pas ça l'amour, mais tu devras t'en contenter. Et lui aussi. « On rentre ? » que tu lui demandes en glissant ta main dans la sienne. On fait la paix ? C'est presque ainsi que ça sonne. Et c'est peut-être un peu ce que ça veut dire aussi. On oublie tout. Ça deviendra tout outil préféré; l'oubli et le déni.