18h00. Le bateau quitte le port dans cinq minutes. Je le vois, immense et immobile, avec pour seul lien le rattachant à la terre ferme un solide pontier de bois faisant quelques mètres de largeur. Je n’ai pas le temps de m’arrêter pour le contempler car je suis en retard. Si je n’atteins pas ce pont de bois dans moins de cinq minutes, le bateau partira sans moi. Le quai est bizarrement peuplé pour un soir de semaine, mais je ne m’y attarde pas, préférant me faufiler au travers des piétons au pas de course. J’aperçois le pont un peu plus loin, j'ai conscience que ça risque d'être serré mais je pense y arriver. Le corps a cette capacité surprenante de vous inventer de l’énergie et vous permettre de courir à toute vitesse sur au moins quelques centaines de mètres sans être essoufflé ou presque. J’atteins finalement le gardien de sécurité affecté à l’embarquement des passagers, lui présente mon ticket et ma seule pièce d’identité que je tiens sur moi, avant de traverser le fameux pontier et de pénétrer à l’intérieur de ce mastodonte géant, aussi appelé bateau de croisière. J’ai emmené pour seul bagage un sac léger contenant quelques pièces de vêtements. Après tout, pas besoin de grand-chose pour avoir du plaisir, et c’est bien la seule chose dont je suis à la recherche sur ce bateau bien trop grand pour moi.
Une odeur parfumée règne sur l'embarcation et des passagers se promènent un peu partout, surexcités. Je longe le mur du paquebot, à la recherche des festivités. Suivant le son de la musique, je me dirige à l’aveugle vers d’où semble provenir la fanfare, espérant y trouver bar, boissons et paillettes. À mesure que mes pas me guident toutefois, le bruit s’estompe peu à peu pour n’y laisser qu’un bruissement sourd. J’ai dû emprunter la mauvaise direction, sans doute. Je regrette presque de ne pas m’être équipée du plan du bateau qui m’avait été offert à mon arrivée, mais j’aime cette sensation d’inconnu, de ne pas savoir où nos pas nous mènent. Au tournant d’un mur, j’aperçois deux passagers vêtus d’un peignoir blanc confortable et de flip-flops s’extirper de l’une des pièces du bateau, libérant derrière eux un nuage de vapeur en ouvrant la porte. Sans réfléchir, je m’y glisse furtivement, vérifiant au passage si j’ai pensé amener un maillot dans mon sac. Évidemment, aucune trace de maillot.
La pièce étrangement vide baigne dans un brouillard chaud et homogène. La luminosité y est faible mais suffisante pour y voir clairement. J’y distingue une piscine s’étalant sur plusieurs mètres, entourée de plusieurs points d’eau de toutes formes. Certains ressemblent à des bains à remous, où chaque bulle semble m’y inviter dans un clapotis gémissant. Il ne m’en faut pas plus, je me laisse impulsivement aspirer par leur invitation sourde, enlevant mes quelques vêtements avant de les faufiler dans mon sac et de me glisser sous l’eau, ignorant mon absence de maillot et le fait qu’un passager du bateau pourrait pénétrer à l’intérieur de la pièce à tout moment. La vie est faite de danger et je ressens la nécessité de profiter de chaque moment qu’elle m’offre. Je me prélasse ainsi paresseusement pendant peut-être cinq, dix minutes ou une heure, mais c’est sans importance. Je me décide enfin à sortir de ma torpeur lorsque je remarque que mes doigts se sont transformés en gnocchis desséchés et que ma gorge me crie de boire de l’eau. Je me retourne pour attraper mon sac, mais ma main s’agrippe au vide. La pièce étant faiblement éclairée, pas de panique, je tâtonne un peu plus loin à gauche, puis à droite. Toujours rien. Mon cœur commence à accélérer à mesure que je prends conscience que mon sac a disparu. Volé?
Je saute en dehors du bain et observe hardiment les alentours, jusqu’à chaque coin de la pièce. Je suis bel et bien seule parmi ces sources chaudes, et mon sac a bel et bien disparu. Réalisant que je suis toute nue, je m’enroule dans une serviette blanche trouvée par miracle sur l’un des crochets du mur, et je suis alors frappée de plein fouet par la vérité qui me semble soudain évidente – quelqu’un a volé mon sac. D’un seul coup, je m’élance vers la porte que je claque énergétiquement derrière moi – sans que ce soit volontaire toutefois, c’est la passion du moment – et me lance au pas de course et surtout à l’aveugle à la recherche du bandit qui se serait emparé de mes vêtements. C’est alors que je le vois, pile de vêtements à la main, marchant nonchalamment au travers du couloir. C’est lui – j’en suis sûre. Je reprends ma course de plus belle, mais dans sa direction cette fois, et fougueusement je me jette sur lui, comme propulsée par des ressors. J’en ai presque oublié ma tenue, cette serviette blanche qui heureusement, malgré le fait d’être malmenée de tous côtés, ne faillit pas à sa tâche de me couvrir fidèlement. « Voleur!! » clairement, ce bandit malfaiteur ne sait pas à qui il a affaire.
Une croisière. Par moment, je me dis que ma grand-mère à de drôles idées. En effet, je n’avais pas tenu très longtemps avant d’aller sonner à sa porte pour lui annoncer mon retour à Brisbane. Parmi tous les membres de ma famille, elle est sans doute celle qui est le plus au courant de ce que je deviens. Non pas que les autres ne s’en soucient pas, mais je m’étais toujours senti redevable auprès d’Adela. Elle était l’investigatrice de ma passion pour la danse, du fait que j’en avais fait finalement mon métier. Alors ce n’était qu’un juste retour des choses que d’aller la voir avant tout le monde. Cependant, pleine de surprises comme à son habitude, elle vint me proposer de l’accompagner pour une petite croisière. D’après ce que j’avais compris, elle devait s’y rendre initialement avec son récent compagnon mais celui-ci avait dû s’absenter pour affaires familiales et il était hors de question pour dame Garzia de rater pareille occasion.
Me voilà donc à bord d’un bateau de croisière digne de la plus belle brochure de voyage. S’il n’était pas compliqué de m’impressionner, à dire vrai je restais finalement relativement mitigé. J’avais toujours en tête de poursuivre ma carrière de danseur et j’avais décidé de mettre l’accent sur la recherche de possibles auditions à cette période de l’année. Mais je n’avais pas le cœur non plus à refuser quoi que ce soit à Adela. Et puis, cela nous donnerait aussi l’occasion de passer davantage de temps ensemble.
Si Adela avait décidé de profiter du calme de notre cabine, je m’étais réfugié sur le pont supérieur du navire afin de profiter de la beauté marine avec son soleil couchant. Un paysage qui avait de quoi faire rêver et qui me faisait d’ailleurs toujours autant rêver, même si je connaissais par cœur ce coucher de soleil. Cigarette entre les doigts, je me perdais finalement dans mes pensées, réfléchissant à ce qu’était ma vie à l’heure actuelle. J’ai toujours considéré les âges décennaux comme l’âge des bilans. Et même si j’avais trente-deux ans, j’étais quand même sujet à ce questionnement intérieur qui ne quitte jamais l’esprit des artistes. Lorsque le cor du navire retentit, informant du départ, je me redressais alors pour finalement adresser un regard à cette agitation que j’avais occulté depuis que j’avais élu domicile contre la rambarde. Peut-être était-il temps de rejoindre Adela. Descendant alors les escaliers, je gagnais le pont inférieur où se trouvait notre cabine. Mais surprise, aucune trace de ma grand-mère, ni de ses affaires. Un simple mot m’indiquait qu’elle avait finalement décidé de me laisser profiter des festivités, que j’avais besoin de me changer les idées et qu’il n’était clairement pas nécessaire d’avoir une vieille dame dans les pattes. Je reconnaissais bien là l’humour de chère et tendre grand-mère. Si certains se seraient mis à pester, je retrouvais finalement bien là ce qui caractérisait tant Adela, et surtout que j’aimais tant chez elle.
Posant alors le mot sur mon lit, je décidais d’ouvrir le sac que j’avais emporté pour l’occasion. Rien de vraiment très encombrant. Le climat était particulièrement doux en cette saison. Je me décidais finalement à quitter la cabine pour la salle de sport que j’avais repéré sur la brochure de la croisière. En effet, un danseur était un athlète quoi qu’on puisse en dire. J’avais très rapidement intégré cette idée et je ne manquais jamais l’occasion de me maintenir en forme et au-delà d’ailleurs. Et puis, si je voulais pouvoir réussir à décrocher un contrat avec une compagnie, cela allait de pair qu’il fallait que je sois dans une condition irréprochable. J’enfilais alors un short et un débardeur avant de quitter ce qui constituait ma chambre pour me rendre sur un pont encore inférieur et profiter de la salle de sport. Une salle qui avait de quoi faire pâlir les plus grands centres sur terre. Il y avait de tout, tout comme les personnes qui se trouvaient ici. Je vins placer mes écouteurs dans mes oreilles avant de m’engager dans ma routine habituelle, faisant abstraction de ce qui pouvait m’entourer comme j’avais l’habitude de le faire pendant plus d’une heure.
Je terminais mon entrainement, trempé mais bien plus détendu. Et c’était d’ailleurs dans cet état que je quittais les lieux pour me rendre dans les douches. J’avais d’ailleurs pris avec moi quelques affaires afin de pouvoir me changer, que je pris soin de récupérer dans le casier avant d’aller retrouver l’eau salvatrice et agréable. Pourtant quelques mètres à peine dans le couloir que je venais d’emprunter que quelque chose vint – non pas me bousculer le terme est bien trop faible – me rentrer dedans pour me projeter alors sans plus de cérémonie au sol. Déboussolé, je cligne plusieurs fois des yeux alors pour tenter de comprendre ce qui venait de m’arriver. C’est alors qu’une voix s’élève, une voix féminine dont le timbre était autant empli de colère que d’accusation. Je finis alors par relever la tête, mon regard cobalt venant croiser une tête rousse qui n’était guère sympathique à en juger par son expression. Si le commun des mortels s’était offusqué sans doute face à pareils énoncés, mon visage exprimerait davantage de scepticisme, sourcils froncés. Mais sans doute le choc fut trop violent pour me permettre de formuler quelque chose de censé car la première chose qui s’échappa de mes lèvres fut un « Hein ? » ; traduisant encore davantage alors mon incompréhension face à la situation.
Mais ce qui devint soudainement assez perturbant, ce fut sans doute de sentir l’eau ruisselante sur mon corps… et le fait de comprendre que la rouquine était finalement bien peu vêtue.
Je percute l’inconnu de plein fouet, le projetant sans plus attendre vers le sol et l’accompagnant au passage dans sa chute. Je ne suis pas la plus grande ni la plus forte, mais la fougue dont peut faire preuve une demoiselle en colère peut être surprenante et l’adrénaline a cette façon de vous revigorer d’énergie et vous permettre de déplacer à vous seul des montagnes. Ou simplement ce colosse que je viens de jeter au sol. À chacun ses priorités après tout.
Maintenant allongée sur lui de tout mon long, il cligne des yeux et me regarde, hébété. De mon côté, je ne me laisse pas berner par cette moue décontractée et innocente, cependant. Tout le monde sait que les meilleurs voleurs cherchent à adopter une attitude incrédule afin de faire profil bas et de ne pas éveiller les soupçons. Certains sont simplement meilleurs que d’autres, et celui-là est particulièrement convaincant. Il me dévisage, l’air de ne pas comprendre ce que je fais là. Mais je sais. Je le fixe droit dans les yeux tel un félin guettant sa proie, mes yeux plissés en deux bandes fines. Je ne cligne pas des yeux, concentrée dans ma tâche. Toujours couchée sur lui, ma tête relevée au-dessus de la tête, je lui dis simplement : « Voleur prit en flagrant délit. » Je rapproche mon visage davantage encore, maintenant à quelques centimètres seulement du sien. Le couloir est vide et silencieux, on pourrait entendre une mouche voler. Mon regard toujours scié au sien, je lui murmure ; « Je sais que c’est toi. Je le vois dans tes yeux. »
C’est alors que je prends conscience de ma position, et surtout de la tenue légère dans laquelle est vêtu le bandit en face de moi. Malgré ma serviette vaillamment serrée autour de ma taille, l’eau ruisselante le long de mon corps a eu raison de l’étanchéité du tissu et a laissée pour seule protection une serviette humide maintenant à moitié imbibée d’eau. Bizarrement, l’étranger aussi semble s’être mouillé car des gouttelettes perlent sur son front, et visiblement sur le reste de son corps. Probablement à cause de la vapeur des bains lorsqu’il est venu voler mon sac. Réalisant être presque nue sur un malfrat également bien peu habillé, je ne me laisse pas déstabiliser pour autant et me redresse, m’assoyant lourdement sur son ventre, croisant les bras sur ma poitrine dans une moue accusatrice. Je jette furtivement un regard à la pile de vêtements qu’il tient toujours – par miracle – dans ses mains ou bien qui s’est éparpillée sur le sol. Mon visage est impartial mais mon expression, sévère. Malgré mon comportement déviant par moments et pas toujours irréprochable, mes parents m’ont bien élevée et le vol est pour moi quelque chose d’inadmissible qui se doit d’être puni rigoureusement. « Tu as pris mes vêtements. Ce que je me demande à présent, c’est où as-tu caché mon sac? » Je plisse à nouveau des yeux en le regardant, mon regard alternant entre la pile de vêtements et son visage faussement innocent. Puis je sens la tension qui monte et monte. L’auto-contrôle n’a jamais été mon fort et j’ai l’impression d’être une bombe prête à exploser à n’importe quel moment. Je marmonne un voleur entre mes lèvres, à peine perceptible. Avouera-t-il ses gestes et me remettra-t-il mon sac sans complications ou devrais-je utiliser la force?
Soudain, ça en est trop. Je n’en peux plus d’attendre. Mon regard alternant entre son visage et le linge s’attarde cette fois-ci sur l’amas de vêtements et dans un bondissement furibond, je me précipite cette fois-ci sur le tas de fringues et agrippe l’une des pièces sans avertissement, de crainte qu’il ne perçoive mes intentions et tente de m’arrêter. Dans mon élan cependant, je n’ai pas songé à retenir la serviette qui m’a si docilement couverte jusque-là. Peut-être mon genou s’est-il coincé sur le rebord du tissu sans que je ne m’en rende compte, peut-être le nœud de la serviette s’est-il fatigué – ou peut-être l’inconnu a-t-il volontairement tenté de la retenir, mais je ne vais pas partir sur cette piste, ce serait de la paranoïa. Dans tous les cas cependant, l’effet est le même ; la serviette s’ouvre sur mon ventre sans que je ne puisse rien y faire et me rejette brusquement, glissant sur mon dos et atterrissant quelque part à mes pieds. Bout de tissu à la main mais aucun sur mon corps, je m’affaisse de nouveau sur lui par réflexe en m’agrippant à sa chair ; si je suis étalée sur lui après tout, sans doute ne verra-t-il pas, sa vision étant bloquée par le fait d’être couché? Couché sur le sol. Mon dieu, cette situation vient de devenir bien gênante.
Percutant. Je crois que c’est bien le mot qui vient prendre forme dans mon esprit face à la situation dans laquelle je me trouve. Je venais de finir ma séance de sport, transpirant, trempé mais détendu. Adela me connaissait que trop bien à force, elle savait ce qui pouvait me permettre de penser à autre chose, de prendre un peu de recul en m’accordant du temps pour moi. Mais je dois dire qu’elle était sans doute loin de se douter que j’allais penser à autre chose de cette façon : étalé de ton mon long sur mon dos, je constate après quelques secondes l’origine de toute cette situation. Des cheveux roux encore trempés, un regard ô combien accusateur, un visage bien peu réjoui. Qu’ai-je fait pour me rentrer dans pareille situation ? je ne le sais pas justement. Mon attitude étonnée au début laisse place à quelque chose de plus dubitatif, m’interrogeant sur le bienfondé de tout cela. Ma réaction ne s’était pas fait attendre face à ce qu’elle avait scandée, mais cela n’allait pas apaiser les tensions car la rouquine allongée sur moi, venait de s’avancer tel un félin, son visage à quelques centimètres du mien, après avoir de nouveau ses accusations. Cette fois-ci, c’est à mon tour de réagir, mes sourcils se froncent, mes yeux cobalts la fixent alors sans ciller, alors que je penche légèrement la tête pour exprimer toujours davantage mon incompréhension mais cela ne semble pas être à son goût qu’elle vient surenchérir encore une fois. Aussi calme que je puisse être, aussi accommodant, cela commençait à m’agacer – haha – quelque peu. « Sois plus explicite car tu viens de me sauter dessus comme une sauvage en… petite tenue. » D’ailleurs face à ce constat, mon regard se fit soudainement rieur, trouvant cela ô combien invraisemblable. Toutefois, la demoiselle ne se laisse pas déstabiliser, venant alors s’asseoir sur mon ventre, les bras croisés, le visage toujours aussi sévère. C’est alors qu’elle se décide finalement à expliciter davantage le méfait dont elle m’accuse. « Attends… Quoi ? » Cette annonce avait le don de me plonger encore davantage dans l’incompréhension la plus totale. Pourquoi aurai-je pris ses vêtements ? Et son sac d’ailleurs qui plus est ? m’avait-elle regardé ? … C’est alors qu’une idée me traversa l’esprit. Me prenait-elle pour une sorte de pervers qui s’était mis en tête de lui piquer ses vêtements ? Il ne manquerait plus que cela ! « Sérieusement. Qu’est-ce que j’irai faire avec tes vêtements ? » On pouvait sentir comme une légère irritation dans ma voix pour le coup, commençant par perdre patience d’être accusé de voleur, sans preuve qui plus est.
Mais cela semble déchainer finalement la rouquine qui vint alors s’étirer pour se saisir de la pile de vêtements que j’avais – miraculeusement – toujours entre mes doigts. La surprise m’empêche de résister à sa poigne déterminée, faisant alors voler l’ensemble. Mais je n’ai pas le temps d’identifier ce qu’elle venait de prendre, que je sens alors le poids sur moi disparaître. C’est qu’elle n’était pas lourde, mais elle n’était pas légère non plus la rouquine. Pourtant, je n’ai pas le temps de me redresser que je sens quelque chose tomber de nouveau sur moi, quelque chose d’humide mais doux à la fois. Je baisse les yeux. La serviette qui enveloppait la rousse venait de s’échouer sur moi… Moment de flottement. Evidemment, je décide de lever le regard par réflexe, voulant identifier le vêtement qu’elle m’avait arraché des mains. Mauvaise idée. Si elle n’avait plus sa serviette, elle était nue. Entièrement nue. Et elle s’abaisse alors brutalement, tentant de cacher son corps à mon regard. Si jamais quelqu’un arrivait à ce moment-là, la situation risquait de devenir encore plus gênante. Pourtant, je ne détourne pas le regard, bien décidé quand même à tirer cette situation au clair. Me raclant la gorge, mon regard finit par s’arrêter sur le vêtement qu’elle tient contre elle. « Ma chemise ! » ne puis-je m’empêcher de m’exclamer alors en constant que celle-ci venait d’être réduite à l’état d’un chiffon pour le coup. Je lâchais alors un profond soupir, inspirant de nouveau pour me calmer. N’allait pas croire que j’étais obsédé par le matériel mais j’aimais quand même prendre soin de mes affaires, un minimum. Et qui aimerait voir une partie de sa tenue être froissée de la sorte ? Personne justement. Mes yeux finirent par retourner sur la rouquine, semblant toujours prostrée sur moi. « Bon, on va procéder par étape. Tu récupères ta serviette, tu te drapes. Je regarde ailleurs avant que tu ne me traites de pervers. Je me lève. Et tu me rends ma chemise. Tu penses que c’est une bonne idée ? oui, non ? On va dire oui alors. » Me redressant sur mes avant-bras au début, je décide alors de prendre un peu d’élan pour me redresser avant de me retrouver assis, la rouquine toujours contre moi, passant quand même un de mes bras rapidement pour éviter qu’elle ne parte à la renverse. Décidément, cette croisière risquait de ne pas être de tout repos.
Seigneur. J’avais déposé les pieds sur ce paquebot, seule et presque sans bagages, avec la seule et unique ambition de profiter de mon séjour et de me détendre, avec quelques nouvelles rencontres en bonus à la clef. La brochure du bateau de croisière avait affiché des bars aux quatre coins de l’embarcation, des piscines, salles de détentes et même une immense salle de sport, sans compter la vue à couper le souffle. Mais rien n’avait laissé présager la possibilité de me retrouver nue sur un étranger, je veux dire complètement nue, sans bagages qui plus est. La situation a de quoi être déstabilisante donc, pour autant je ne me laisse pas perturber et garde le contrôle de mes esprits autant que faire se peut. Ce n’est qu’un peu de chair après tout et je ne suis pas réputée pour ma gêne. Pas de quoi en faire un plat alors, n’est-ce pas? C’est ce dont je suis en train d’essayer de me convaincre, toujours à poil couchée sur ce mec, tenant fermement l’une de ses fringues contre moi. Dans mon envolée, j’ai pris le premier vêtement à ma portée sans y prêter plus d’attention que cela, j’ignore donc pour le moment de quoi il s’agit. L’attitude du brun en face de moi – enfin, sous moi – paraît se raidir, tout à l’heure fronçant les sourcils, tout à l’heure penchant la tête sur le côté, l’air dubitatif, me regardant même à un moment avec une moue amusée, ce qui a instinctivement le don de m’énerver. Non mais, se moque-t-il de moi? Il me fixe sans ciller, là où j’ai plutôt l’habitude que les gens détournent le regard. Son comportement semble traduire une réelle incompréhension et je me surprends à me demander un instant si je ne me serai pas trompé de personne. Un exploit considérant qui il a en face de lui. Je secoue la tête, réfutant tout de suite cette idée.
Allongée de tout mon long, je n’ai presque pas bougé et pourtant, je suis à bout de souffle. C’est que j’ai tout donné dans ma course pour lui piquer l’une de ses fringues. Dans mon élan, les vêtements se sont d’ailleurs répandus partout au sol. Je dois avouer que considérant les circonstances hors de leur contexte, la pose est somme toute plutôt confortable. C’est qu’il est plutôt dur, des muscles sans doute, mais c’est doux et chaud. Malgré tout, mon envie de me sortir de cette situation est pour le moins pressante. Je sens son regard posé sur moi, ce qui ne m’aide pas à trouver une solution pour me sortir de là. Je suis d’un naturel plutôt confiant et je ne crains pas le regard des autres, mais c’est que toute nue comme ça… c’est une autre histoire. Il se râcle la gorge et est le premier à briser le silence, pour me reprocher de lui avoir piqué sa chemise. Je le trouve plutôt culotté tout de même, considérant qu’il s’agit de ma chemise. Je n’ai pas encore eu le temps de vérifier qu’il s’agissait bien de mes vêtements, mais ayant été la seule personne à traîner dans le couloir après que l’on m’ait volé mes choses, cela ne fait aucun doute n’est-ce pas? Je sens sa cage thoracique se soulever dans une profonde inspiration – soit il profite de ce moment pour faire de la méditation, soit il est irrité. J’opte pour la seconde option, considérant les mots qui sortent alors de sa bouche. Une sorte de suite d’ordres prononcés d’une façon un peu trop autoritaire à mon goût. Je lui donne bien un A pour l’effort, toutefois il doit bien se douter que je ne vais pas obtempérer aussi docilement. Je dois lui céder un point, cependant; j’allais effectivement le traiter de pervers s’il ne regardait pas ailleurs.
Il se redresse sur ses avant-bras, puis s’assois complètement, m’entourant de son bras pour s’assurer que je ne tombe pas par terre et regardant ailleurs pour me laisser l’occasion de me draper tranquillement. Bon, je dois admettre que je me suis peut-être trompée à son sujet, il n’a pas tout à fait l’image que je me serai fait d’un bandit. J’attrape la serviette précédemment tombée au sol, la glisse auprès de moi, et desserre la chemise que j’étais en train de tordre dans mes mains sans m’en rendre compte. Il a bien raison – cette chemise n’est pas à moi. Je jette furtivement un coup d’œil en sa direction pour m’assurer qu’il ne me guète pas en cachette, puis m’apprête à m’entourer à nouveau de la même serviette, lorsqu’une idée me traverse l’esprit… vérifiant une dernière fois qu’il ne regarde pas, je décide plutôt d’enfiler sa chemise sans dire un mot. C’est que la serviette est humide, et puis la tentation était vraiment trop forte. Va-t-il l’accepter sans dire un mot? Sûrement pas. Est-ce un problème pour moi? Aucunement. Voyant qu’il a le visage toujours détourné, je lui tapote le nez de mon index dans un geste joueur, le coin de mes lèvres étiré dans un sourire amusé. Puis je me redresse agilement sur mes deux pattes, le libérant de mon étreinte. J’hésite à lui tendre la main pour l’aider à se relever à son tour mais considérant sa carrure, je ne m’y risque pas, imaginant le vexer davantage peut-être et surtout qu’il ne doit pas avoir vraiment besoin de mon aide. En revanche, les vêtements étalés au sol par ma faute sont, quant à eux, difficiles à ignorer. « Désolée pour tes vêtements. Je t’ai confondu avec un autre. » J’ai conscience d’être un paquet de nerfs par moment, mais je suis capable d’excuses sincères. Dans une tentative de me faire pardonner, je me penche au sol et ramasse ses pièces de vêtements une par une, que je plie et empile entre mes mains. Puis je le regarde avec un sourire amical. « Penses-tu pouvoir me pardonner? »
Qu’est-ce que c’est mignon. Dans ma tête, les idées se bousculent. Ai-je envie de le laisser s’en tirer aussi facilement? Pas vraiment. Je lui lance un regard électrique accompagné d’un sourire joueur, ultime avertissement de mon comportement à venir; d’un geste je tourne les talons et m’élance au pas de course à travers le couloir, son tas de vêtements toujours entre les mains. Je n’ai pas l’intention de courir ainsi à travers tout le bateau, rassurez-vous; à peine arrivée une dizaine de mètres plus loin que je pousse la porte d’une pièce avec l’intention de m’y glisser à l’intérieur, sans vraiment savoir ce qui se trouve de l’autre côté.
L’incompréhension. Voilà mon état d’esprit au sujet de ce qui venait de se produire. Au sujet de cette rencontre – appelons cela comme ça – entre une furie rousse et ma personne. Celle-ci s’était jetée sur moi, avec pour seule information – ou préambule – le mot voleur. Je n’avais encore jamais rien volé de ma vie, qu’est-ce que j’irai voler ici ? Notons quand même l’emploi du terme encore. Nul ne savait ce que la vie nous réservait et allait nous amener à faire. Néanmoins, lorsque la rouquine décréta que les affaires que j’avais dans les mains : c’étaient les siennes, d’où le fait que je sois le voleur. Cela prenait du sens mais d’un autre côté, est-ce qu’elle m’avait vraiment regardé ? Même si elle était allongée sur moi – et qu’elle pesait son poids quand même ne le nions pas – je pouvais déjà me dire qu’on ne faisait pas la même taille, ni la même carrure non plus. La seule raison qui puisse la pousser à croire que je sois un voleur de vêtements était la possibilité que je sois une sorte de pervers, désireux de collectionner les vêtements de jolies demoiselles. Si c’était bien cela, quel raccourci ! Pourtant, la situation vint s’aggraver – si on peut dire – quand elle m’arracha ma chemise. Sa serviette avait décidé de se faire la malle ; ce faisant, la rouquine était nue. Et elle n’avait rien trouvé de mieux que s’accroupir brusquement sur moi en tentant de se couvrir avec le seul linge qui était à sa portée : ma chemise. Bien sûr, c’était bien trop compliqué de ramasser sa serviette ! L’incompréhension avait laissé à une certaine forme d’agacement. J’avais accepté cette croisière pour passer du temps avec Adela, qui avait finalement décidé de me laisser seul afin que je puisse prendre un moment de détente. Il est vrai que cela se profilait bien d’après la brochure, mais sans doute que je devrais leur écrire sur la possibilité de se faire sauter dessus par une fille enragée, scandant que vous avez volé ses vêtements. La situation avait de quoi être burlesque quand même. Sans doute j’en rirai par la suite mais là je commençais à trouver cela ô combien désagréable. J’étais pourtant quelqu’un de patient, de très patient. Mais elle commençait à tirer un peu sur la corde à ne vouloir rien entendre. Et clairement je lui donnais un F en matière de relations sociales et engagement de la conversation.
Je décidais de prendre les choses en main, sans prendre vraiment le temps d’avoir son accord. De toute façon, nous n’allions pas rester affalés sur le sol, encore moins dans une telle position et dans une telle tenue de son côté. Cependant pour ne pas mettre le feu aux poudres, j’avais quand même pris soin de montrer patte blanche d’une certaine façon. Oui, me faire traiter de voleur, c’est une chose. Me faire traiter de pervers, c’était un tout autre niveau. Et je sentais bien que la rouquine n’était pas encline à la collaboration de prime abord, autant procéder en douceur. Et sur ces entrefaites, je décide de m’allonger de nouveau sur le sol, regardant le plafond. Il n’était pas mal ce plafond à première vue : une couleur beige, un éclairage clair sans tomber dans les tons jaunâtres… Non, le bateau méritait bien sa réputation. Quoi ? Est-ce que je n’étais pas tenté de mater discrètement ? Pas du tout. Je n’avais la tête à cela et ce n’était pas non plus mon genre de jouer les voyeurs. Alors sans doute que plus d’un – ou d’une – aurait céder à la tentation de regarder les courbes de la rouquine. Mais même si mon historique personnel comptait des flirts féminins, il en comptait également des masculins. Et le corps d’un homme avait quelque chose pour moi de plus attrayant. Que voulez-vous, pas de glissement soudain !
Cependant, une pression sur mon nez vint me faire lever les yeux de nouveau, croisant alors celui de la rouquine qui semblait bien moins agressive qu’auparavant. Au moins cela. La voyant se lever alors, je ne tarde pas à en faire de même, bougeant ma tête pour dénouer mon cou que je décide finalement de baisser de nouveau les yeux pour fixer la rouquine, qui vint alors à s’excuser. Mon sourcil droit se lève, offrant alors une mine des plus dubitative au début… qui ne tarde pas à se muer en une expression légèrement goguenarde alors qu’elle était en train de rassembler les vêtements éparpillés sur le sol. « Tiens donc. On reprend ses esprits enfin ? » Je n’allais pas la laisser s’en tirer à si bons comptes. Je n’étais pas rancunier, mais je restais quelqu’un de joueur aussi. « Te pardonner de m’avoir sauté dessus ? De m’avoir accusé de voleur ? J’ai de sérieux doutes. » dis-je alors en secouant la tête, comme si tout cela était en cours de réflexion. Cependant, si je pouvais faire irascible ou agacé, cela s’effaçait plus ou moins vite. Et ce n’était pas plus mal.
Cependant, le regard de la rousse vint soudainement à changer alors que je fronce les sourcils, ne comprenant pas vraiment les tenants et les aboutissements de tout cela. Et c’est là où elle tourne les talons pour s’enfuir avec mes vêtements et… ma chemise sur le dos ? Je suis partagé entre l’amusement mais aussi une certaine forme d’injustice. Tout cela était trop facile soudainement, trop simple. Elle m’accuse de voler mes vêtements et voilà que c’est elle qui se transforme en voleuse. Est-ce que j’allais lui courir après ? Oh non. J’avais bien une tout autre idée pour cela et puis la nuit venait à peine de tomber.
Je m’élance dans un bondissement, me précipitant sans avertissement à travers le couloir au pas de course. Ce que je ne vois pas toutefois, c’est que je suis la seule à s’être lancée dans cette course infernale; dans ma hâte, en effet, je n’ai pas pris la peine de jeter un coup d’œil derrière moi. Je ne remarque donc pas que le colosse – appelons-le comme ça, faut de ne pas connaître son nom – n’a pas bougé d’un poil, et que je me suis élancée toute seule comme une grande dans une course ne disposant pas de ligne d’arrivée. Croyant avoir quelqu’un à mes trousses, un frisson me parcourt la colonne vertébrale, m’attendant à tout moment à être rattrapée par cet homme qui, avouons-le, doit être beaucoup plus grand que moi. Cependant, il n’en est rien; je poursuis ma course, ignorant totalement que le colosse n’a pas bougé d’un poil et doit probablement me regarder d’un air moqueur. La situation a de quoi être amusante, en effet. Ou tout simplement agaçante, selon la perspective de laquelle vous la regardez. Je bondis sur la première porte que j’aperçois, l’ouvre dans un éclat et me glisse sans plus de cérémonie à l’intérieur. Pour me retrouver dans un placard, seule, pile de vêtements à la main. La pièce est plongée dans un noir d’ébène, et je ne distingue pas initialement le contenu de la pièce. Prise de panique, peur du noir obligé, je tâtonne le mur frénétiquement à l’aide de mes mains et enclenche le premier interrupteur qui me tombe sous la main. La pièce s’éclaire alors faiblement d’une simple lumière posée au plafond, et je constate alors que je me retrouve dans ce minuscule carré qui sert de placard, entourée de bibliothèques faisant toute la hauteur et la largeur des murs, balais et porte-poussière en bonus dans un coin de la pièce. Définitivement pas ce dont à quoi je m’attendais, conséquence d’avoir ouvert la première porte à ma portée sans connaître chaque compartiment du navire.
Je ne suis pas encore sortie de là que je peux déjà deviner la tête qu’il aura lorsque je sortirais de cette pièce. L’air étant suffocant dans ce minuscule compartiment et n’ayant strictement rien à y faire, je me retourne, rouvre la porte devant moi et avance d’un ou deux pas dans le familier couloir bien éclairé du navire, la porte se refermant silencieusement derrière moi sans que je n’aie rien à y faire. Je me tiens là, prostrée en plein milieu du couloir, tenant toujours fidèlement les vêtements volés entre les mains. Je tourne alors la tête à l’endroit où se trouvait le colosse quelques instants plus tôt, cette mésaventure de la course ayant terminée dans un placard ayant dû durer au maximum une minute peut-être. Je me tiens debout mais ma moue est abattue, et à la vue de la teneur de nos précédents échanges, je m’attends à ce que l’inconnu se moque de moi. Soit. « Bon. Y’avait rien là-dedans. Mais ne te moque pas de moi; après tout, j’ai encore tes vêtements entre les mains. » Et sa chemise sur le dos, ce qu’il a étrangement accepté sans riposter davantage. Malgré la dizaine de mètres qui nous sépare, je parle d’une voix neutre, sans hausser le ton. Le couloir est vide et silencieux, et je sais qu’il m’entendra. Avec cette prise de distance entre nous, je prends enfin conscience de la carrure de l’homme en face de moi. J’avais bien remarqué qu’il était plus grand que ma personne, d’où le surnom colosse, mais malgré tout ce temps passé allongée sur lui, je n’avais pas pris conscience de ça. Enfin, c’est qu’il doit faire au moins quinze centimètres de plus que moi, et il est si musclé que sa taille doit au minimum être deux fois plus large que la mienne. D’ailleurs, sa chemise m’arrive un peu au-dessus des genoux.
C’est également à ce moment seulement que je prends conscience de mon état. Je suis trempée de la tête au pied, n’ayant pas eu le temps de m’essuyer à la sortie du bain. De l'eau dégoûte sur le sol de ma tignasse trempée. Le comble, je suis à moitié nue également, vêtue d’une simple chemise volée à un colosse dans les couloirs – dieu merci, elle n’est pas blanche au moins. Je frissonne. Et j’ai froid. Dans un navire que je ne connais pas où on m’a volé mes vêtements. Quoi, il y a un problème? Pas du tout. Je me décide enfin à me rapprocher du colosse et à affronter ses moqueries que je peux déjà pressentir, à la marche cette fois. « Tu peux te moquer si tu en as envie, mais à défaut de trouver de quoi me vêtir, je garde ta chemise. » Je lui lance un sourire amusé, secouant doucement ses vêtements que je tiens toujours entre les mains. « Et je ne suis pas pressée. » Après tout, la nuit vient tout juste de commencer. Je marque une pause, silencieux le temps de quelques secondes. « Je pensais que tu étais une sorte de pervers qui s’amuse à faire le tour des bains et voler les vêtements des femmes. » Dit tout haut comme ça, la chose semble plus absurde en effet. Je m'arrête alors, le regardant l'air songeuse. À moins que...?
Lorsque je vis la rouquine s’élancer sans attendre, vêtements en main, dans la direction opposée à la mienne. Je ne peux m’empêcher d’être des plus dubitatifs face à sa réaction. C’était quoi cela encore ? Etrangement, cela semblait avoir un goût de caméra caché quelque part. Peut-être que dans d’autres circonstances, je me serais prêté au jeu sans le moindre souci, m’élançant à la poursuite de celle-ci. Pourtant, là j’étais plongé dans un profond scepticisme. Il y avait des choses que je pouvais supporter aisément, voire ne même pas m’en soucier, d’autres qui me tenaient très à cœur. Et en l’occurrence le fait d’être traité de voleur… Moyen. Cependant aller tenter de convaincre une furie qui n’écoute que ses pensées, c’était l’idée que je me faisais de cette rousse qui avait détallé sans demander son reste, ma chemise sur le dos et mes vêtements en main. Je me baissais finalement pour récupérer la serviette qu’elle avait laissé tomber et vint alors à prendre la direction qu’elle venait de prendre sans presser le pas. Le bateau était pourtant grand, très grand mais si elle voulait fuir encore plus loin, ce serait à bord d’une embarcation ou à la nage. Et je doutais sérieusement qu’elle choisirait l’une de ses deux options pour une simple affaire de vêtements. Quoi que tout était possible après tout. Je n’eus pas à marcher bien longtemps pour découvrir la rousse debout dans le couloir, la mine abattue. Elle venait de sortir d’ailleurs. Apparemment, cela ne menait nulle part. Malgré ses mots, je ne peux m’empêcher d’afficher un sourire goguenard, bien loin de m’exécuter finalement en dépit de sa mise en garde. « Je trouve surtout que cela a un goût agréable d’arroseur, arrosé. » indiquais-je alors en m’immobilisant. J’avais croisé mes bras contre mon torse, mon regard cobalt teinté d’un amusement qui était loin d’être feint, notamment si on regardait ce sourire que j’arborais en coin. La distance qui nous séparait n’était guère importante. Si je pouvais la combler en quelques enjambées, je restais pourtant à ma place. Fixant la rousse qui tenait toujours mes vêtements contre elle, en plus de ma chemise qu’elle n’avait pas quitté. C’était presque touchant, penseraient certains. D’un autre côté, elle ressemblait presque à une demoiselle qui tentait de quitter une cabine du navire en toute discrétion après son méfait accompli.
La voyant s’approcher alors, je vois qu’elle ne peut s’empêcher de vouloir donner le change. Du moins, c’est l’impression que j’en ai. « Je pense bien que je peux me moquer au vue de la tournure des événements. » répondis-je alors en lâchant un rire faiblement étouffé. « J’ai l’impression que tu aimes ma chemise et que tout cela n’est qu’un vaste prétexte pour tenter de la garder. » ajoutais-je alors que je décroisais finalement les bras pour lui lancer sa serviette. « Tu as oublié cela dans ta course précipitée. » Mon sourire ne disparaît pas au contraire, se faisant bien plus marqué encore. « Pressée tu vas l’être si tu ne te sèches pas. » J’étais loin d’être un gars qui avait tout dans les muscles et rien dans la tête. Et à ce petit jeu, j’avais été formé à la meilleure école ! Laquelle ? Eh bien celle où vous vous retrouvez le grand-frère de deux jumeaux. Néanmoins la réflexion de la rousse me fait alors froncer légèrement les sourcils. Il n’y avait rien de méchant, mais plutôt une expression qu’on prenait quand on se dit à soi-même : elle est vraiment sérieuse ?« A l’heure actuelle, s’il y a bien un de nous deux qui voit ses vêtements ailleurs que sur lui, c’est moi. Et de la plus factuelle des façons. D’ailleurs, c’est peut-être toi qui es une sorte de pervers qui aime bien prétendre qu’on lui a dérobé les siens pour voler ceux des autres… C’est vrai ça ! Qui me dit que quelqu’un a véritablement volé tes affaires et que tu n’es pas en train de jouer la comédie ? » L’expression de mon visage avait quitté ce côté goguenard pour prendre un air plus sérieux et même suspicieux. Autant y aller fort dès le début.
Je ne connais pas encore très bien cet étranger devant moi – pas du tout en fait, pas même son nom. Mais de par nos précédents échanges, je sais désormais au moins une chose; soit la situation l’amuse beaucoup, soit il aime bien se moquer de moi, rien de bien méchant toutefois. Quelle ne fut donc pas ma surprise de le voir là, debout devant moi, une moue narquoise au visage. Me qualifiant d’arroseur arrosé. Pour le coup, il marque au moins un point; ma petite fuite n’avait mené nulle part. Ses bras croisés sur son torse, il semble bien satisfait de la situation, comme peut en témoigner son sourire moqueur qui n’en démord pas. Miroir à son attitude goguenarde, je hoche la tête de gauche à droite en arborant une grimace narquoise à mesure que je me rapproche de lui. Me traverse alors à l’esprit l’idée de simplement m’enfuir avec ses vêtements, littéralement parlant. J’ai perdu mes bagages déjà maigres et j’ignore combien de temps il reste à cette croisière, mais cette chemise est assez longue et semble cacher le nécessaire. Je chasse l’idée rapidement; je peux avoir des réactions excessives certes, mais je ne suis pas malhonnête.
Enfin arrivée à sa hauteur, il lâche un rire qu’il ne cherche pas à déguiser face à mes propos. Ce qu’il dit ensuite m’amuse et me surprend tout à la fois. Pense-t-il vraiment que j’aurai fait tout ce manège pour garder sa chemise? Je le regarde les yeux écarquillés. « Serais-tu en train de me traiter de voleuse? » j’insiste sur le mot voleuse, comme si j’étais outrée de la chose. Puis mon expression surprise s’efface aussi vite qu’elle est arrivée pour laisser place à un sourire malicieux venant se dessiner au coin de mes lèvres. « Peut-être que oui, peut-être que non. » Je ris doucement. « Plus sérieusement, ta chemise est confortable, mais ne penses-tu pas que je préférerais encore mieux mes vêtements? » Je hausse les sourcils, mes yeux amusés rivés sur lui. Il décroise alors les bras et me lance ma serviette, que j’attrape d’un geste. « Pressée tu vas l’être si tu ne te sèches pas. » Voyant son sourire se définir davantage, je fixe brièvement la serviette dans mes mains, l’espace d’une ou deux secondes seulement. Ou bien mon corps trempé est en train d’imbiber la chemise et il se soucie que je prenne froid, ou bien la chemise est en train de devenir transparente sans que je ne m’en aperçoive. Je recule d’un pas rapidement, jetant un coup d’œil paniqué à mon thorax. Dieu merci, on ne voit rien. Il a raison sur une chose, cependant. L’eau dégouline de partout et si je ne trouve pas un moyen de me sécher rapidement, je risque d’attraper froid en moins de temps qu’il n’en faut pour dire oups. Je procède alors à m’essorer les cheveux, ce qui est d’une efficacité douteuse compte tenu que la serviette est elle-même déjà mouillée, mais c’est mieux que rien. Concentrée sur ma tâche, je l’écoute d’une oreille distraite à mesure qu’il continue à parler devant moi.
Je me redresse subitement cependant lorsque je l’entends me soupçonner d’être perverse et voleuse. S’il est plus facile d’accuser, ce l’est moins de recevoir pareilles critiques. Ce qui est plutôt ironique, considérant que c’est moi qui viens de le soupçonner d’être un voleur et un pervers quelques instants plus tôt. Je me tiens droit comme un ressort, le regardant de nouveaux les yeux écarquillés. Cette fois, ma voix est outrée sans que je n’aie à le feinter. « On essai de retourner la situation peut-être? » Je le jauge un moment, les sourcils froncés. Puis j’éclate de rire doucement. Toute cette situation n’a rien de sérieux. « Eh bien, pour ça tu as raison, il va falloir me croire sur parole. Mais demande-toi quelle raison aurait bien pu me pousser à abandonner toutes mes affaires, courir en petite serviette mouillée au travers des couloirs… tout ça pour voler une chemise? Mais enfin, ça n’a pas de sens. » Je ris de nouveau. « Par contre, je n’étais pas totalement sarcastique tout à l’heure. J’ai bien l’intention de garder ta chemise jusqu’à ce que je trouve de quoi me mettre. » Je lui retourne son sourire goguenard. « Ce n’est pas du vol cependant, c’est seulement emprunté… ça ira plus vite si tu m’aides à chercher quand même. » Je lui fais un clin d’œil. Décidément, j’ai du mal à ne pas me moquer de lui.
Dernière édition par Freya Lodovico le Mar 4 Mai 2021 - 10:19, édité 1 fois
Le karma vous rattrape toujours. Je ne sais pas qui a eu l’idée de prononcer cette phrase – donnant lieu à un véritable dicton – mais il avait bel et bien raison. Cependant, ce n’était pas moi qui en faisais les frais à cet instant précis mais bien la rouquine qui s’était jetée sur moi pour m’accuser de voleur d’affaires. Une première pour moi. Il m’était arrivé bien des péripéties, des situations cocasses, même douteuses mais je dois avouer quand même que celle-ci était quand même singulière ; d’ailleurs j’espérais intérieurement qu’elle ne soit pas la première d’une longue série – de quiproquos j’entends bien – sinon j’allais trouver le temps long – très long. Mais il est vrai que je retirais de cette situation un certain amusement maintenant. Car non contente de m’accuser et de finir dénudée devant moi, elle n’avait rien trouvé de mieux que de fuir avec mes affaires en main et ma chemise sur le dos. Qui fait cela ? Et bien j’en avais un exemple parfois sous les yeux. D’ailleurs, je remarquais quand même que mes pensées étaient empreintes d’un certain cynisme. Comment ne pas l’être après tout ? Les bons gens ne le seraient sans doute pas, mais je suis loin d’être un modèle de sainteté après tout.
Sa question me fait d’ailleurs hocher de la tête positivement, sans aucune once d’hésitation, comme si la réflexion avait déjà été toute faite en moi. « C’est ce que je fais oui. » ajoutais-je d’ailleurs pour joindre finalement le geste à la parole. Mais cela ne semble pas ternir la demoiselle qui semble remplie de malice tout en me répondant de façon très équivoque. Ce à quoi je hausse les épaules. « Tu avais le choix de prendre la serviette. Tu as choisi ma chemise. Le résultat est là. Néanmoins, je n’ai aucune idée sur tes choix concrets de préférence, non plus. » Autant pousser la pensée plus loin au vue de la tournure de la situation. Néanmoins, je ne pensais pas voir la panique sur son visage au regard de ma simple réflexion. En toute honnêteté, j’ai accueilli cela d’une façon très dubitative, sourcil levé, l’interrogeant au début sur sa réaction. Enfin qu’à cela ne tienne, la situation continuait à s’enfoncer vers une intrigue tout autre.
Si elle semble surprise, voir même vexée que je puisse appliquer le même raisonnement sur sa personne, qu’elle a pu avoir avec moi. Si elle éclate de rire, je secoue négativement de la tête. Alors oui, elle m’avait donné la raison parfaite pour la prendre à revers. Et encore une fois ses mots et son rire me font toujours hocher de la tête négativement. « Etrangement, cela avait du sens quand il était question que ce soit moi le voleur. » répliquais-je alors goguenard. En effet, l’ironie était bien là. Me demander de faire preuve d’esprit, alors qu’elle en avait été sciemment incapable et qu’elle s’était jetée sur moi sans plus de cérémonie. Dans l’éventualité où j’aurai agi pareil, le scandale que cela aurait provoqué. « Je savais bien que tu faisais tout cela pour la garder. » Nouveau sourire goguenard. « Emprunté ? » répétais-je alors dans une sorte de rire étouffé sarcastique. « J’imagine que la personne qui a pris tes affaires, les a alors seulement emprunté également et te les rendra en tout voulu. » J’étais taquin par nature et la situation était ô combien trop parfaite pour ne pas en profiter. « Néanmoins, outre la seule motivation de récupérer la chemise, qu’est-ce qui m’oblige à t’aider ? D’après ce que je comprends, s’il y a quelqu’un qui se retrouve sans affaire… C’est toi. » On pourrait presque croire que je jouais les insolents à force.
La patience n’a jamais été mon fort. J’ai le self-control et l’impulsivité d’une adolescente. Ne parlons pas de tact, je ne connais pas la définition de ce mot. J’ai appris avec le temps que certaines choses ne se font pas car elles peuvent vexer l’autre. Certains mots aussi. Généralement lorsqu’une personne fronce les sourcils ou affiche une expression tortueuse; ça veut dire que j’ai franchi la limite. Cet apprentissage m’est venu avec le temps, après avoir socialement fait pas mal de bêtises. Avec cet inconnu en revanche, je ne suis pas certaine sur quel pied danser; il affiche des expressions quelque part entre l’amusement et l’irritation, tantôt à froncer les sourcils, puis à réafficher le même sourire goguenard, une moue amusée jamais bien loin. J’ai cette tentation de toujours vouloir tester, voir jusqu’où je peux aller, comme un enfant; mais visiblement cela ne fonctionne pas avec lui ou du moins pas comme j’en ai l’habitude. Il a cette façon de retourner les choses contre moi et à ce rythme, il commence même à être probable que je craque avant lui.
Je le regarde sans rien dire, les bras le long de mon corps et les yeux légèrement plissés. Comme un félin qui vient de rencontrer un congénère, pas certain toutefois s’il doit sortir les griffes ou pas. Il hausse les épaules. « Tu avais le choix de prendre la serviette. Tu as choisi ma chemise. Le résultat est là. Néanmoins, je n’ai aucune idée sur tes choix concrets de préférence, non plus. » Mes yeux s’agrandissent et mes bras se détendent. Sa façon de simplifier les choses m’amuse et je pouffe de rire. « C’est vrai que la chemise est vraiment pas mal. Je vais peut-être la garder finalement. » C’est vrai, elle est plutôt confortable tout compte fait et à ce rythme, cette solution commence à faire plein de bon sens. Une lueur de malice brille au fond de mes yeux. Décidément, la tentation de le titiller est vraiment trop forte.
J’hoche docilement la tête à ses propos, un sourire toujours dessiné au coin de mes lèvres. « Si ça se trouve, vous vous y êtes peut-être pris à deux. C’est quand même très suspect que tu ais été la seule personne dans le couloir à ce moment-là. » Si mes mots sont accusateurs, mon expression est, de son côté, franchement plus éclaircie; un sourire toujours collé aux lèvres, je hausse les sourcils succinctement, comme pour l’agacer. « Faudrait demander à ton partenaire s’il a l’intention de me rendre mes fringues prochainement, comme ça tu pourrais peut-être récupérer les tiennes. » dis-je sarcastiquement en étouffant un rire. « Ah, tu ne tiens pas à ta chemise plus que ça? » Mon visage redevient un peu plus sérieux. C’est que même si je ne le connais pas très bien – pas du tout, en fait – j’avais cette vague impression que ses vêtements valaient quand même quelque chose pour lui. Après tout sur un bateau, les vêtements de rechange sont comptés. Je médite un instant sa question, pianotant mes doigts fins sur mon menton comme si je réfléchissais sérieusement à sa question. « Et bien c’est que, rien ne t’y oblige en fait. Enfin j’imagine que certains hommes sont plus galants que d’autres, et certains pas du tout. Après tout il faut toutes sortes de personnes pour faire un monde. » La même lueur revient briller dans mon regard, et je hausse les épaules. « Mais pour moi, ta chemise me convient très bien. Je dirais même qu'elle est parfaite. » Je hausse à nouveau les épaules, plus mollement cette fois cependant. « De toute façon, je ne pense pas vraiment que tu sais plus que moi où mes fringues se trouvent. » Je lui souris, avant de me retourner et de partir en direction opposée. Je tend malgré tout l'oreille pour entendre d'éventuels pas, qui ne viennent pas. Pas comme si je m'attendais à ce qu'il parte à ma poursuite, après tout ce n'est qu'une chemise mais, ne sait-on jamais. Je tend la main dans les airs en guise d'au revoir. « À bientôt sur le bateau probablement. Je serai celle avec ta chemise. »