Brisbane. Croyez-le ou non, mais cette ville m’avait manqué. Dire que cela faisait presque quatorze ans que je n’étais pas revenu de façon durable. Après tout, pourquoi faire ? J’avais décidé de quitter le cadre familial dès la majorité atteinte afin de pouvoir accomplir un rêve d’enfant qui était devenu finalement un véritable conte pour moi. J’avais trouvé un équilibre à Paris, oscillant entre les cours à Garnier, les répétitions, les tournées… Tout cela était grisant, parfait même, du moins cela me convenait pour la personne que j’étais et me convenait toujours aussi dans un certain sens. Être danseur n’était pas simplement un métier à mes yeux, c’était quelque chose de bien plus personnelle d’une certaine façon, quelque chose qui faisait partie de ma personne, de mon existence, finalement indissociable de celui que je suis aujourd’hui à trente-deux ans. Pourtant, ces dernières années, tout s’est rapidement enchainé, dégradé même dans un certain sens. J’aspirais à retrouver une certaine forme de stabilité. Non pas que je me sentais instable en tant qu’artiste, plutôt je cherchais à retrouver une certaine forme d’inspiration, oui je crois que c’est bien le terme ; je désirais ardemment trouver quelque chose qui me fasse vibrer mais sans être dans des compagnies nationales, j’avais envie de me confronter à autre chose, un autre public, une autre pratique… C’était un défi en soi mais un défi qui avait le don de me tirer de mon lit tous les matins pour poursuivre cette envie qui ne m’avait jamais quitté.
Je venais tout juste de poser mes valises à Brisbane, arrivant de Sydney hier soir. Je n’avais prévenu personne de ma présence ici et encore moins de mon désir de résidence. Je préférais rester discret, rester en retrait. Alors certes, il serait sans doute intéressant – voir même nécessaire – que je prévienne quand même mes frères de mon arrivée. Mais je tenais à retarder au maximum la possibilité de voir mes parents. J’avais accepté le fait de devoir faire ma vie sans eux, de devoir me considérer comme un enfant qui avait encore ses parents mais qui n’entretenait avec eux que des relations distendues et effacées. Cela me convenait bien d’ailleurs. Cependant, ce serait mentir aussi de dire que si j’étais de retour, ce n’était pas pour mettre mon père au pied du mur en matière de réussite professionnelle. Il avait bien trop de fierté pour me le dire alors je l’amènerai à le reconnaître d’une façon ou d’une autre.
Il était à peu près 7h du matin quand j’ai ouvert les yeux dans mon appartement de Fortitude Valley. Enfin, cela ressemblait davantage à un studio mais je m’y sentais étrangement bien. J’avais eu l’occasion de le visiter lors d’un passage éclair lorsque j’avais commencé à songer à venir ici depuis que la direction de l’Australian Ballet avait changée. En me levant d’ailleurs de mes draps, je ne pus m’empêcher de sourire face à tous les cartons qui se trouvaient dans la pièce… Il faudrait que je m’y attèle à un moment mais l’envie d’aller courir fut plus forte. Me passant alors rapidement un peu d’eau sur le visage, j’enfilais un débardeur et un short avant de me chausser avec une paire de baskets et descendre en plein cœur du quartier. Cependant, j’avais une destination bien précise : Brisbane river. J’avais tellement de souvenirs associés à cet endroit que l’idée de retrouver ce cadre était plus que séduisante.
Quelques kilomètres plus tard, je me retrouvais enfin sur la célèbre promenade. Maintenant mon rythme de course, je poussais un peu plus le volume de mon téléphone afin que résonne encore davantage dans mes oreilles la voix de Blake McGrath. Cependant un visage attira soudainement mon attention, me faisant alors drastique ralentir. Est-ce que… « Dani ? »
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Comme chaque matin, Dani s’était réveillée tôt. Elle ne dormait rarement plus de cinq-six heures de sommeil continu. Lorsque ce n’était pas son travail qui l’appelait, c’était ses rêves agités qui prenaient un malin plaisir à la réveiller de force. Dani avait traversé une période assez intense et stressante ces dernières semaines. Elle n’avait eu le temps de penser à elle avec les vendanges de son domaine viticole qui venaient de prendre fin. L’œnologue avait finalement un peu de temps pour elle. Rien que pour elle. L’espace d’un moment elle voulait penser à sa propre personne repoussant ses démons intérieurs et surtout faisant abstraction des tensions du moment. En effet, sa relation avec mon meilleur ami Eddie avait pris un sacré coup depuis le mois dernier. Pour la première fois de sa vie, elle avait été confrontée à la possessivité maladive de ce dernier, parce que la miss avait eu le malheur de faire rentrer un garçon que le danseur n’appréciant guère dans sa vie. Cette fois-ci, la distance n’avait réussi à faire rempart entre les deux tempéraments de feu des meilleurs amis. Une discussion assez animée avait agité leurs cœurs et mit à rude épreuve leur lien si ancienne. Cependant, Dani avait laissé une seconde chance à Eddie. Elle avait tiré la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard. Elle espérait de tout cœur que le danseur ait compris et surtout intégré le message. Mais la belle coréenne était loin de se douter des récents agissements de son meilleur ami, qui promettait de réveiller la colère féminine une nouvelle fois.
La brise matinale s’écrasait sur le visage de la coréenne. Cette dernière était vêtue d’une tenue de sport, composée d’un débardeur et d’un jogging large. Elle galopait au rythme assez soutenu de la musique provenant de ses écouteurs. Le paysage défilait entre ses yeux, elle ne faisait pas forcément attention aux gens qui l’entouraient, elle était dans sa bulle. Elle courait pour extérioriser. Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait son footing dans ce quartier de Brisbane. Elle commençait à connaître les environs par cœur et elle s’était composée mentalement un parcours à réaliser. Continuant ses foulées dynamiques, elle emprunta cette promenade qui offrait une vue sur la Bribane River. Elle s’aventura vers ce chemin, passant devant un joggeur qui l’interpella. Il fallut quelques secondes à Dani pour entendre son prénom au travers de ses écouteurs avant de s’arrêter. Ce qu’elle fit tournant son visage en direction de la voix qui l’avait appelé. Sa respiration était encore rapide, elle battit plusieurs fois ses cils comme pour stabiliser sa vue avant de découvrir le visage qui s’offrait à elle. Elle ouvrit ses yeux grands comme des soucoupes en reconnaissant les traits masculins. De ses mains, elle enleva ses écouteurs et dit d’une voix essoufflée « Abel ? » Elle fit quelques pas s’approchant de lui. Il était toujours aussi grand. Elle était toujours aussi petite. Ils n’avaient pas changé malgré les années passées. « Qu’est-ce que tu fais ici ? T’es pas censé être en tournée à travers le monde toi ? » Dani essayait de se remémorer les dernières nouvelles qu’ils s’étaient données. Des nouvelles irrégulières certes, mais ils n’avaient pas perdu contact. La coréenne réussit finalement à tempérer sa respiration et lui sortit avec un grand sourire réalisant qu’elle n’était pas en train de rêver « Tu es à Brisbane maintenant ? Tu comptais me le dire quand ? » qu’elle répliqua avec un ton faussement accusateur, lui donnant un légère tape amicale sur son avant-bras. Mon dieu, elle avait cent mille questions à lui poser.
Dani. Je ne pensais pas revoir les traits de la jeune femme ici, le long de la promenade de Brisbane River. A dire vrai, je m’y suis repris à deux fois avant d’avoir l’intime conviction qu’il s’agissait bien de la Hwang. Revoir d’ailleurs la coréenne me replongea à une période assez trouble de ma vie, mais également remplie de joie. Je commençais à me remettre petit à petit de ma rupture avec Alexandre. Ma première histoire d’amour, la première fois que j’ai aimé quelqu’un, je peux le dire sans crainte. Je n’avais jamais aimé auparavant. Je n’avais jamais eu de relations longues et sérieux, plutôt des aventures qui s’étaient étiolées avec le temps, sur la base d’une absence de toute promesse. Cela me convenait mais j’avais voulu croire qu’une vraie histoire pouvait m’arriver, qu’elle pouvait faire partie de mon conte d’Etoile. Tout portait à croire que je m’étais fourvoyé, Alexandre avait préféré les bras de ma meilleure amie de l’époque ; les deux jouant sur deux tableaux et moi découvrant la sinistre vérité quelques mois plus tard. Je m’étais alors dévoué corps et âme à mon travail, à ma carrière… oubliant sans doute par moment la raison même de pourquoi j’avais envie de danser, pourquoi j’avais et je travaillais aussi dur. Ce fut le temps des doutes, de la remise en question. Moi qui tenais au début à ne pas amener le personnel dans le professionnel, voilà que tout était chamboulé. Mais voilà, la rencontre avec Dani vint m’apporter un peu de paume au cœur, m’apporter la présence d’une personne compréhensive qui était aussi blessée par sa propre histoire d’amour. Un point commun qui fut le début d’une amitié et même plus. Cependant, nous ne nous étions jamais rien promis, si ce n’est d’être à l’écoute de l’autre, d’être présent.
Les choses prirent une autre tournure pour moi, et pour elle aussi. Tous les deux nous avons quitté la France et choisi de vivre ailleurs. J’avais choisi le monde comme scène, intégrant l’Australian Ballet, prenant finalement cette revanche contre le sort qui s’était imposé à moi face à l’incapacité de mon père de considérer que je pouvais être doué pour cette vie d’artiste. Mon regard était rivé sur la jeune femme, détaillant ses traits qui n’avaient guère changé avec les années, prenant certes de la maturité mais rendant quand même la brune plus ravissante encore. La voyant s’approcher de moi, le regard levé vers le mien, je ne peux m’empêcher de sourire davantage, laissant presque un rire s’échapper de mes lèvres alors que je retire mes écouteurs de mes oreilles pour acquiescer. « Et bien ce n’est plus au programme ! » déclarais-je alors en haussant les épaules sans perdre pour autant mon sourire. Il est vrai que cela faisait un certain moment qu’ils ne s’étaient plus donnés signe, occupés par leur vie respective. Mais il est vrai que la dernière fois que nous avions discuté, j’étais encore membre de la compagnie nationale d’Australie et il était justement question d’une tournée pour la saison en cours. Cependant, le changement de direction, le non-renouvellement de mon contrat m’ont amené à me repositionner. « Pour être honnête, cela fait deux jours que je suis arrivé ! » lançais-je alors en guise de justification, me voutant légèrement tout en levant mes bras pour me protéger de la frappe amicale de la coréenne. « Eh puis ce n’est pas une façon d’accueillir un vieil ami ! » ajoutais-je bien vite alors que je me redressais tout en faisant un signe de la tête pour l’inviter à se décaler du milieu de la promenade pour pouvoir discuter plus aisément. « Et puis, je ne savais pas que tu étais ici ! Que deviens-tu d'ailleurs ? »
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Plus Dani vivait sa nouvelle vie australienne, plus elle était persuadée que son destin s’amusait à jouer avec elle. Beaucoup trop de -grosses- coïncidences s’étaient présentées à ses yeux ces derniers mois. Si l’on reprenait les choses de façon calme et posée, et surtout de manière chronologique, elle avait retrouvé Nick. Son voisin d’enfance a qui elle avait eu la maladresse de mettre le premier râteau de sa vie au petit garçon de six ans. Heureusement pour elle, pour eux, Nick n’était pas rancunier pour un sou et n’avait pas tenu rigueur du comportement de la jeune coréenne de l’époque. Ensuite arriva Channing, sans doute le plus gros chapitre de sa nouvelle vie à Brisbane. Les deux complices s’étaient tournés autour aux quatre coins du globe, le destin avait clairement mis son nez dans leur histoire, arrangeant leurs chemins à se croiser à de multiples reprises. Ils avaient résisté bien longtemps à leur petit jeu de séduction avant de finalement baisser les armes le mois dernier, et s’autoriser à jouer à une nouvelle partie ensemble : le jeu des sentiments. L’œnologue se demandait comment leur relation allait évoluer, elle se laissait bercer par cette douce ivresse, en espérant qu’Eddie ni mette pas trop son grain de sel à l’avenir.
Aujourd’hui, un nouveau coup de théâtre se joua devant les yeux de la coréenne et elle assista au retour surprise et imprévu de son ami Abel. Et pas n’importe quel ami. Il avait été d’un réel soutien, d’un réel réconfort dans l’une des périodes les plus sombres et tristes de sa vie. Il avait été un peu comme une étoile dans son ciel sombre. Il avait été cet ami sur qui l’on pouvait compter pour se changer les idées. Et les deux amis en avaient eu des idées pour fuir leur réalité. Parfois, ils s’étaient abandonnés à un jeu plus intime entre eux. Un jeu qui leur correspondait à cette époque car ce n’était que des avantages, sans les contraintes, sans les engagements sans les promesses de briser une relation. Il avait trouvé leur équilibre avec cette amitié au rythme des nuits parisiennes.
Les deux amis s’étaient décalés de la promenade afin de laisser les sportifs du matin courir à leur rythme. Dani bombarda Abel de questions sans s’en rendre compte. Elle était contente de le revoir et toutes ses questions en étaient la preuve. La preuve de son enthousiasme que provoquait ses retrouvailles. Ce n’était plus au programme. Dani l’avait vite deviné. Il lui confia que cela faisait à peine deux jours qu’il avait posé ses valises à Brisbane. Eh bien, eh bien, que de surprise. Il la taquina gentiment sur le fait que ce n’était pas une façon d’accueillir un vieil ami. Un rire cristallin s’échappa d’entre ses lèvres. « C’est vrai, je te l’accorde, mais tu m’as surprise ! » elle chercha faussement à se trouver des excuses acceptables même si elle n’en avait pas sous la main à ce moment. « Bon je te pardonne si cela fait deux jours que tu es arrivé en ville. » annonça-t-elle d’un air conciliant. Ce n’était pas comme si les deux amis avaient été hyper réguliers dans leurs prises de nouvelles depuis qu’ils avaient quitté la capitale française. Ils avaient toujours eu des vies très occupées par leurs professions respectives. « Surprise ! J’ai élu domicile ici il y a six mois environ. » qu’elle annonça fièrement avant de reprendre ses explications. « J’ai investi dans un vignoble australien. J’espère que tu bois toujours du vin ? » qu’elle l’interrogea sur un ton complice aux souvenirs de leurs soirées arrosées. Elle n’avait pas oublié que son ami était un amateur de vin, une des raisons pour lesquelles le courant était immédiatement passé entre eux. Les gens qui appréciaient les bonnes choses, dont le vin, étaient généralement des amis de l’œnologue. « Alors tu es venu illuminé les scènes d’Australie ? » qu’elle lui demanda à son tour pour savoir si le jeune homme pratiquait toujours sa passion qui l’animait corps et âme.
Même si j’avais conscience que je reverrai certainement des visages familiers à Brisbane, je ne m’attendais pas à tomber par hasard – est-ce vraiment le cas ? – sur la Coréenne. En effet, elle avait été une partie de ma vie en France. Mes souvenirs la concernant étaient des plus clairs, pour ne pas dire limpides. Outre ce jeu qui s’était installé entre nous par moment, dans l’envie de retrouver un certain plaisir au contact d’un corps brûlant et transi, la jeune femme avait été une véritable bouffée d’air dans mon quotidien. Elle m’avait permis de sortir de ma morosité, de sortir de la monotonie dans laquelle je m’étais enfermé. Je n’avais que ma passion pour la danse, que mon statut d’Etoile. Je ne pouvais même pas dire que j’étais bien entouré dans un certain sens ; lorsque j’ai appris la vérité entre Alexandre et Chloé, cela a naturellement distendu les relations que nous pouvions avoir en commun. Certains considérant que c’était la meilleure chose qui pouvait leur arriver, d’autres se rangeant de mon côté sans pour autant modifier quoi que ce soit dans leur rapport. Dans un sens, je ne leur en voulais pas. Mais il était en somme tout à fait évident que concernant celui que je considérais comme ma moitié et celle qui était ma meilleure amie, les choses avaient drastiquement changées. Par ailleurs, Alexandre faisait partie de la compagnie de l’Opéra au même titre que moi, venant finalement troubler l’équilibre et la sérénité du monde que je m’étais créé. Alors oui, Dani était arrivé au bon moment si on peut dire, mais notre relation n’avait pas été un pansement, elle avait été aussi une amitié qui s’était forgée sur les ruines de notre vie amoureuse, pour quelque chose de plaisant et vivifiant.
« Et je suis ravi de te faire cette surprise, même si moi-même je ne pensais pas te trouver ici ? » déclarais-je en retour avec un sourire. Il est vrai qu’aussi loin que je me souvienne, jamais nous ne nous sommes disputés. Alors oui, il est vrai que nous pouvions ne pas être d’accord sur tout, mais c’était normal cela. « Encore heureux tiens ! Il ne manquerait plus que cela alors que cela fait des années que nous ne sommes pas vus ! » Mon regard était profondément rieur, mon visage toujours aussi expressif d’ailleurs comme auparavant. L’annonce de la nouvelle de sa situation vint encore davantage renforcer mon sourire, ravi d’apprendre que la jeune femme avait décidé de poser ses affaires ici. « Non ! Mais tu aurais dû me le dire plus tôt ! » Ce fut à mon tour de prendre un ton faussement rempli de reproches alors que j’acquiesçais d’un signe de tête à sa question. « Bien sûr ! Tu pensais que j’avais perdu le goût des bonnes choses ? Et puis… un vignoble mais c’était ton rêve ! Il faudra que tu me fasses visiter ton domaine ! De mémoire, la période des vendanges vient de se terminer, tout s’est bien passé ? » C’était à mon tour de la bombarder de questions. Quoi de plus normal, surtout quand on sait que nos retrouvailles étaient loin d’être préméditées.
La fameuse question tomba alors et je ne pus m’empêcher d’acquiescer alors que je baissais légèrement la tête. « Tu te souviens sans doute que j’avais déjà pour idée de partir pour l’Australie afin de passer une audition auprès de l’Australian Ballet, une façon de prendre ma revanche sur un coup du sort ? Eh bien cela faisait trois ans que j’étais Principal Dancer là-bas. Mais la direction a changé et mon contrat n’a pas été renouvelé. Mais je compte en effet poursuivre ma carrière dans la danse et une compagnie de Brisbane m’a semblé l’endroit le plus approprié ! »
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Surprise était le mot de ses retrouvailles imprévues. Pendant un bref instant Dani eut cette impression de voir un fantôme, de faire un saut en arrière dans le temps, retour dans son passé et plus précisément dans sa vie parisienne. Une vie haute en couleurs, haute en rebondissements et surtout remplie de rencontres. Abel faisait partie de ses personnes que l’on croise dans une vie et qu’on n’oublie pas. La preuve, même si elle ne l’avait pas vu en courant, elle avait immédiatement reconnu sa voix et son visage lorsqu’il l’avait interpellé. Les deux amis du passé semblaient autant ravis l’un que l’autre de se revoir. Dans leurs regards respectifs, on pouvait apercevoir les dizaines de questions qui brulaient leurs lèvres. La coréenne commença les festivités lui demandant depuis quand il était arrivé ici, quels étaient ses nouveaux projets, qu’était-il devenu après ces quelques années ?
C’est vrai, elle aurait dû lui dire plus tôt. Cela n’avait pas été contre son ami, bien au contraire. L’arrivé de Dani sur les terres australiennes et surtout dans son nouveau vignoble l’avait énormément occupé. Et cela si l’on faisait abstraction de toutes les autres activités qu’elle faisait à côté. Dani avait une vie bien remplie et il lui arrivait par moment de négliger un peu son entourage. Abel avait fait partie des dommages collatéraux, mais cela ne semblait pas avoir perturbé l’amitié des deux complices. Bien au contraire, ils étaient ravis de se trouver et avaient tellement de choses à se raconter sur leurs nouvelles vies australiennes. Abel rassura Dani sur le fait qu’il appréciait toujours le vin ce qui arracha un sourire à l’œnologue. Elle était touchée qu’il se rappelle de tout ce qu’ils s’étaient racontés et confiés. Abel faisait partie de ses rares personnes qui connaissaient la vie passée de la coréenne à Brisbane. Il avait connu l’ancienne Dani, l’étudiante étrangère perdue dans la capitale française. La Dani passionnée par l’œnologie qui en avait fait son métier. Et surtout la Dani tourmentée par ses démons intérieurs. Il était au courant pour son deuil, sa rupture, ses maux, la souffrance que cela avait engendré. Avec lui, elle avait été vraiment elle. Elle l’avait toujours été au final. « Tu as une excellente mémoire. J’ai enfin réalisé mon rêve et oui, on vient de terminer les vendanges au domaine. » qu’elle répondit d’une voix pas peu fière et surtout nostalgique par tout ce qu’elle avait accompli jusqu’à aujourd’hui. « En tout cas, il faudra célébrer nos retrouvailles autour d’un bon verre de vin. » qu’elle le gratifia d’un sourire sincère. Dani avait un bon stock de bonnes bouteilles dans son vignoble.
C’est au tour d’Abel d’effectuer les quelques mises à jour de sa vie et surtout ses projets. Elle se souvenait en effet des ambitions du danseur d’intégrer l’Australian Ballet, elle était contente pour lui. Réellement. Mais le sourire perdu rapidement de son éclat, lorsque son ami lui apprit la fin de son contrat avec eux. Ses sourcils se soulevèrent étonnés face à cette déclaration, mais elle fut rapidement soulagée en apprenant les nouveaux projets de ce dernier. « Une compagnie de Brisbane ? » qu’elle répéta tel un écho et tourna ses iris vers le jeune homme. « Cela ne serait pas la Northlight Compagny dans le plus grand des hasards ? » Y avait-il déjà eu un peu d’hasard entre eux, entre leurs deux vies ? Dani se remettait en question sur ce détail. « Si c’est elle, je la connais très bien. » Elle marqua une pause avant de rajouter « Mon meilleur ami travaille là-bas. » Décidément, seraient-ils amenés à régulièrement se revoir ? L’avenir nous le dira.
« Tu as bien mené ta barque à ce que je vois ! » commentais-je alors face à ses mots, avec un sourire sincère. Dani avait bien grandi. Peut-être pas physiquement mais je sentais que mon amie avait pris aussi de la bouteille – sans mauvais jeu de mots – et de la maturité depuis qu’on s’était rencontré. Elle semblait plus assurée, plus posée aussi comme si elle avait trouvé son équilibre dans sa vie. Bon, il est vrai que nous nous étions rencontrés à un moment où nous étions au plus bas, nous aurions pu nous enfoncer encore davantage mais il semblait l’un comme l’autre que nous avions pris des décisions qui nous avaient permis de nous stabiliser, de faire quelque chose qui nous plaisait. Alors certes, de mon côté, ma carrière de danseur avait pris un sérieux coup dans l’aile lorsque la direction du Ballet d’Australie avait changé mais il semblait que les choses se précisaient de nouveau pour moi, à Brisbane. Un nouveau départ que j’allais prendre à bras ouverts. « Excellente idée ! Tu sais que je suis ton homme dans ce genre de situations ! » m’exclamais-je alors avec un léger rire. Il est vrai que les deux étrangers n’avaient jamais perdu un moment pour déboucher une bonne bouteille et en profiter sur un canapé tout en voulant refaire le monde à leur façon. Une façon de se rappeler de bons souvenirs et de s’en former de nouveaux.
Lorsque ce fut à mon tour d’étayer davantage tout ce que j’avais connu depuis mon départ de Paris, je sentis son étonnement face à la nouvelle de la fin de contrat. Qui ne le serait pas sans doute ? Je ne disais pas cela au regard de ma carrière, mais se faire finalement remercier du jour au lendemain, cela a toujours l’effet d’une bombe, laissant un goût amer en bouche. Cependant, je lui indiquais bien rapidement le fait que j’avais trouvé une compagnie à Brisbane pour poursuivre mon rêve. Cependant, cela sembla troubler un instant la coréenne qui répéta mes propos. J’acquiesçais alors d’un signe de la tête. Et voilà qu’elle me parlait de la Northlight Compagny. Ma surprise était visible sur mes traits mais d’un autre côté, cela pouvait sembler aussi logique au regard de la notoriété de celle-ci au sein de la capitale australienne et même en dehors. « Exactement ! » Est-ce que le hasard faisait trop bien les choses ? Possiblement. D’ailleurs la nouvelle de savoir que son meilleur ami travaillait là-bas me fit alors rire, doucement au début, puis d’une façon bien plus marquée. « Sérieusement ? J’ai l’impression que c’est un peu tout ou rien entre nous ! » En effet, quelle était la probabilité que nous nous retrouvions à Brisbane déjà d’une part, et d’autre part que son meilleur ami était aussi membre de la compagnie ? « Comment s’appelle-t-il ?»
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C’était il y a presque six ans et pourtant les choses ne semblaient pas avoir changés le moins du monde entre Abel et Dani. Les conversations allaient toujours de bon train entre eux, ainsi que les doux souvenirs de leurs vies parisiennes. Ou plutôt les nuits, étant tous les deux bien occupés par leurs passions respectives, le soir était le moment idéal pour se retrouver autour d’un verre. Tantôt chez des amis, dans cet appartement mal insonorisé et où, dès minuit, les voisins grincheux commençaient à appeler les flics. Alors les jeunes de ce temps-là s’enfuyaient vers de nouveaux horizons, des nouvelles pistes de danse sous le ciel étoilé et la brise fraiche de la capitale. Tantôt sur des terrasses de café parisiens qui grouillaient de monde dès la sortie du travail. Ce temps-là était une autre époque, il avait cette saveur nostalgique dans la mémoire de la coréenne. Il avait été passionnant et électrisant. A présent, la voilà à Brisbane dans un cadre bien plus bucolique et calme. Dani avait toujours su s’adapter à un nouveau lieu, à un nouveau rythme de vie, à une nouvelle culture. Mais elle avait éternellement préféré la nature. On n’allait pas changer ses origines de l’Australie profonde et rurale. Pourtant elle avait connu toute sa vie le parfait équilibre entre sa ville très urbaine et dynamique à Séoul et le contraste qu’elle appréciait lorsqu’elle venait rendre visite à sa famille australienne du côté de sa maman. Et plus particulièrement lorsqu’elle retrouvait son cher et tendre papy viticulteur.
« Je t’enverrai l’adresse de mon vignoble par texto ! » qu’elle répondit joyeusement à l’idée de retrouver son ami autour d’un verre et se remémorer du bon vieux temps mais surtout parler de leurs projets futurs. « D’ailleurs, c’est quoi ton numéro australien ? » qu’elle demanda dégainant son téléphone. Elle se doutait que le numéro français qui devait être dans les vieux contacts de répertoire de Dani n’était clairement plus d’actualité. Et maintenant qu’ils étaient réunis dans la même ville, il était plus facile pour eux de communiquer par texto que sur messanger ou instagram.
Après ces quelques souvenirs du passé et les mises à jour sur la vie de chacun, leur discussion tourna autour de la fameuse compagnie de danse de Brisbane. L’œnologue la connaissait bien, même extrêmement bien puisque son meilleur ami y travaillait depuis quelques temps. Elle rigola aux mots masculins « Honnêtement ? Je soupçonne de plus en plus le destin à me jouer des tours. » elle était très sérieux à ses paroles et les retrouvailles avec Abel en étaient une nouvelle fois la preuve. Une parfaite démonstration du jeu du destin, pas vraiment subtile. « Il s’appelle Eddie, il est danseur et chorégraphe depuis peu. » elle marqua une légère pause avec de confiance d’une voix plus basse « Son nom revient souvent dans les bruits de couloirs… il a eu quelques histoires certes.. mais ça n’empêche qu’il est un danseur très doué dans ce qu’il sait faire ! » en tant que bonne meilleure amie Dani défendait le jeune homme comme elle pouvait malgré les rumeurs toujours bien présentes sur le compte du coréen. « Enfin, parlons de toi ! Que vas-tu faire là-bas ? »
Brisbane. La ville qui m’avait vu grandir et qui allait devenir finalement le théâtre de ma nouvelle vie, de mon nouveau départ. Mais il semblait qu’elle soit aussi le lieu où les rencontres du passé ressurgissaient alors sans prévenir, comme c’était le cas avec Dani. Le monde était vaste, immense qu’il faudrait plus qu’une vie pour en parcourir les moindres recoins. Néanmoins, je ne pouvais m’empêcher quand même de me dire que tout cela n’était pas dû uniquement au hasard ; retrouver l’une de mes plus proches amies de ma vie parisienne dans la ville de mon enfance, cela avait des tons de véritables contes. Mais il n’en restait pas moi que j’étais réellement heureux de la revoir.
« Avec plaisir ! » dis-je alors, tout en sortant mon téléphone de ma poche. La musique avait cessé de tourner depuis un bon moment, même si j’étais encore sur ma playlist lorsque je le déverrouillais. « Mon numéro est le 04-01-567-279. » indiquais-je alors tout en présentant ma fiche de contact à la coréenne afin qu’elle puisse l’avoir sous le nez si jamais il lui manquait quelques chiffres. « Si j’avais su que tu étais arrivée ici, je serais venu faire un saut ! Sydney – Brisbane, ce n’est pas si loin que cela. » Alors si cela l’était : plus de dix heures de voiture, mais l’avion était un moyen formidable de réduire les temps de trajets. Mais mes mots formulaient davantage une pensée pour des distances plus différentes. En effet, un Paris – Brisbane durait plus de vingt-quatre heures par exemple. Et puis, le fait de la savoir ici était aussi synonyme de futures soirées à boire des verres de vins tout en discutant. D’ailleurs, même si nous avions pu être extrêmement proches durant cette période de notre histoire commune, cela n’avait jamais été sous-jacent à une ambiguïté continue. Cela évitait les soucis et c’était aussi une condition sur laquelle nous étions d’accord.
Néanmoins, j’étais quand même forcé de constater que les choses qui nous liaient, ne semblaient de s’ajouter à la liste. Son meilleur ami était danseur au sein de la compagnie que j’avais intégré tout récemment. D’ailleurs, je n’avais pu me retenir d’exprimer ma surprise face à cela. « Je crois que même si nous avions voulu le faire exprès, nous ne serions pas arrivés ! » commentais-je la tête avec un sourire amusé. « Des histoires ? » demandais-je alors naturellement intrigué. Mais d’un autre côté, quel artiste n’était pas sujet à des histoires finalement que ce soit de façon personnelle ou professionnelle en fin de compte. Peut-être que Dani voudrait bien m’en parler mais rien n’était sûr. Cependant la conversation dériva bien vite sur ma personne. Je lui faisais un signe de la tête pour l’inviter à poursuivre finalement notre route afin de discuter un peu tout en marchant.
« Et bien j’ai passé l’audition pour être recruté comme n’importe quel danseur. J’avais envie de m’essayer à un autre registre et celui de la comédie musicale l’est à bien des niveaux par rapport à mon parcours. Cependant, il semble que le metteur en scène puisse être tenté de me confier des rôles liés aussi à la comédie, je n’avais pas prévu cette éventualité mais je vais travailler en conséquence afin de m’intégrer. Comme dit, le dernier arrivait se plie aux exigences des anciens ! » Ma voix était ô combien sincère pour le coup. Je ne voyais pas cela de façon fataliste au contraire, cela sonnait comme tellement normal pour moi. « Mais j’espère quand même pouvoir danser en priorité car je ne veux en aucun cas lâcher ce que je sais faire le mieux. »
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Si les deux amis avaient été un peu plus ponctuels dans leurs nouvelles, ils auraient sans doute réussi à se recroiser un peu plus tôt, le temps d’un week-end ou d’une simple soirée. C’est ce que la coréenne appréciait chez son ami, la spontanéité et la simplicité d’organiser des choses avec lui, même au dernier moment. Abel faisait partie de ces personnes, sans prise de tête, avec qui il n’était pas nécessaire de prévoir tout un plan ou toute une organisation pour passer un moment ensemble. Un message ou un coup de fil et le tour était joué. Ils en avaient passé des bons souvenirs ensemble au fil des nuits parisiennes. Dani en gardait un agréable souvenir, un souvenir qui lui mettait de baume au cœur. Il avait été cet ami qui avait réussi à la faire sourire et rire dans cette sombre partie de son passé. Dani lui en sera éternellement reconnaissante.
Les questions filaient entre leurs lèvres alors qu’ils reprirent leur marche le long de cette esplanade. De temps à autres, ils croisaient d’autres sportifs au rythme plus dynamique qu’eux, alors que les deux amis prenaient leur temps. Ils savouraient ces retrouvailles alors qu’Abel demanda quelles étaient les histoires concernant son meilleur ami Eddie. « Pour résumer dans les grandes lignes.. et surtout parce que je n’étais pas là à ce moment. » et que Dani n’était pas du genre à se mêler des histoires de son meilleur ami contrairement à lui. Elle était une personne neutre et impartiale. « Il a saisi une opportunité professionnelle qui n’a pas plu à tout le monde. » elle marque une brève pause avant d’ajouter en haussant des épaules. « Enfin, si tu le croises, je te laisserai de faire ton propre avis sur lui. » qu’elle conclut avec un petit clin d’œil. Traduction : Eddie était quelqu’un de surprenant. Il pouvait être adoré comme détesté, Dani avait parfaitement conscience du tempérament de son ami mais heureusement pour elle, elle était dans les bonnes grâces du danseur. Dani laissa volontairement planer le doute, savant qu’Abel était un grand garçon pour se faire son propre avis.
Ils quittèrent l’esplanade tandis que le danseur étoile lui raconta ses nouveaux projets que l’œnologue écoutait très attentivement. Une possible carrière dans la comédie ? Ma foi, Abel avait carrément le physique. « En tout cas, si tu te diriges vers cette voie, je suis persuadée que tu auras du succès. » qu’elle répondit en tout franchise, et même un peu taquine. Oui oui, Dani n’avait jamais trouvé moche le danseur, ce n’était pas pour rien que les deux amis avaient aimé aller plus loin par le passé. « Je comprends. On n’oublie jamais notre passion première. Je suis sûre que tu trouveras des opportunités qui te plairont. » A ses paroles, l’œnologue essaya d’imaginer sa vie si on lui proposait de nouvelles opportunités professionnelles. Elle était en pleine réflexion quand les deux amis finirent par s’approcher d’un petit foodtruck. Le camion ambulant vendait diverses boissons chaudes ainsi que des gourmandises. La sportive fut irrésistiblement tentée par l’odeur chocolatée des gaufres. Elle se tourna vers Abel et lui proposa avec un sourire « Allez ! A défaut de pouvoir t’offrir du vin, je t’offre quelque chose là-bas pour nos retrouvailles ! » qu’elle s’exclama montrant du menton le foodtruck.
Dernière édition par Dani Hwang le Sam 27 Mar - 15:20, édité 1 fois
Brisbane. La ville qui m’avait vu grandir et qui allait devenir finalement le théPlus la discussion avançait, plus je constatais que nous avions bien des choses à rattraper Dani et moi vis-à-vis de nos vis respectives. Il faut dire que trois ans, c’est à la fois court et long à la fois. Je m’en rendais compte a posteriori. En effet, quand j’avais la tête dans le guidon, je suivais le rythme effréné qui me dictait ma vie : cours de danse, répétitions, présentations, projets annexes. J’arrivais pourtant à prendre du temps pour moi, pour sortir entre amis, pour discuter. Mais il est vrai que je me rendais compte aussi en même temps que ce style de vie amenait son lot de désagréments au niveau social. En effet, si les nouvelles avaient été plus ponctuelles auprès de Dani, c’était bien parce que nous n’avions plus l’occasion de nous voir aussi fréquent qu’auparavant. Et elle n’avait pas été la seule dans ce cas-là. Cela me faisait prendre conscience aussi de la nécessité de lever le pied par moment. Si de mon côté, une réduction de contacts ne voulait pas dire un abandon, j’avais conscience que pour d’autres, ce n’était pas nécessaire synonyme. Les journées devraient faire réellement plus de vingt-quatre heures.
Comme le hasard faisait bien les choses, je fus surpris d’apprendre que la coréenne connaissait quelqu’un au sein de la compagnie que je désirais intégrer. Ce quelqu’un était qui plus est son meilleur ami d’ailleurs. Ce fut avec une attention toute particulière que j’écoutais alors son résumé bref de la situation sur ce fameux danseur. « Oh je vois. » commentais-je alors en grimaçant légèrement. Je comprenais sans mal la possible complexité de cette histoire, qui était loin d’être banale dans un milieu comme le mien. Les opportunités étaient rares et lorsqu’elles apparaissaient, la compétition était rude, très rude. Cela dépendait bien sûr des relations préétablies mais ces mêmes relations pouvaient en prendre un coup. De mon côté, je n’avais pas eu vraiment à subir pareille pression au début au sein de l’Opéra de Paris. En effet, les promotions au sein de la hiérarchie du Ballet se déroulaient en interne, sur concours. Chacun préparait son concours de son côté. Alors bien sûr, il pouvait y avoir quelques tensions mais cela avait quand même le mérite de mettre tout le monde sur le même pied d’égalité. Mais si l’opportunité était à l’extérieur, comme cela pouvait arriver, cela pouvait amener quelques désagréments supplémentaires. Cependant, je préférais ne pas trop m’attarder non plus sur le sujet. « Tu peux compter sur moi ! » dis-je en hochant de la tête avec un sourire. Même si le dicton disait une personne avertie en vaut deux, j’avais ma façon très personnelle d’aborder ce type de problématique. Je laissais une chance, je partais sur une page vierge pour que le ou la concerné puisse se présenter à sa façon, sans être dépeint par autrui, par un tiers, par des rumeurs. L’avis se base sur les faits et un fond d’affect après tout.
Hochant les épaules, je regardais légèrement vers le ciel tout en marchant au côté de la coréenne. « Nous verrons bien. Contrairement à avant, je n’ai plus la même conception des choses en matière de carrière… C’est plus comme si je voulais me laisser aller à la découverte et voir ce que je peux y trouver. Et puis, cela me laissera aussi l’occasion pour mener des projets en parallèle. » En effet, j’avais aussi envie de me lancer de façon plus indépendante si je peux dire, en dehors des sentiers que je connaissais de ma vie d’artiste. Voir ce que la vie pouvait me réserver. Posant mon regard sur le foodtruck, je souris alors face à l’odeur chocolaté qui s’en dégageait. « Un peu tôt pour du vin aussi. Une gaufre et un café à partager. Cela te convient aussi ? » je restais un éternel gourmand aussi.
It's been days and weeks and months Feels like forever since I saw you I'm forgetting how you felt now I've never had this much time on my hands
Découvrir de nouveaux horizons, décrocher des nouvelles opportunités, provoquer son destin, avait été le rythme de vie de l’œnologue au cours de ces dix dernières années. Téméraire dans l’âme, la petit brune du haut de ses un mètre soixante n’avait jamais eu peur des grosses têtes de son secteur. Habilement, elle avait su se glisser où il fallait dans les bons moments aux bons endroits. Elle avait appris auprès des plus grands, elle avait voyagé de vignes en vignes au travers des vignobles européens. Doucement elle avait construit des bases solides à sa carrière d’oenologue et elle était fière et reconnaissante de posséder son propre domaine viticole aujourd’hui. Tout son entourage était ravi pour elle, mais il lui avait toujours manqué le regard bienveillant de son grand-père qui était pas trop tôt. Cependant la coréenne était persuadée qu’il veillait sur elle en haut perché sur son nuage.
Quant à la coréenne, c’était sur terre qu’elle se trouvait en ce moment et en très bonne compagnie d’ailleurs. Elle avait retrouvé Abel un vieux ami de son passé dans les réelles de Brisbane. Les deux amis semblaient avoir abandonnés l’idée de courir et prenaient le temps de marcher tout en se remémorant les souvenirs au saveurs parisiennes. Abel lui contait ses nouveaux projets et à la fin de son réponse Dani lui demanda « D’autres projets en parallèle ? Sont-ils tops secrets ou j’ai le droit d’avoir un indice ? » Dani avait des grands points d’interrogation dans les yeux. Elle se questionnait sur ces fameux projets. Il avait piqué la curiosité de la coréenne.
Finalement les deux amis s’étaient retrouvés autour d’une petite table haut à côté du food truck ambulant. Le soleil se levait de plus en plus dans le ciel australien, la température était agréable, sans parler de la douce odeur des gaufres encore chaudes et croustillantes. Dani en bonne gourmande avait opté pour une gaufre au chocolat. Elle but une gorgée de café qui la réveilla un peu plus « En tout cas, ça fait plaisir de te revoir depuis le temps. » qu’elle s’exclama avant de croquer généreusement dans sa gaufre chocolatée. « Tu t’es trouvé un logement ou pas encore ? » qu’elle lui demanda. Si elle avait bien compris, il venait de déposer ses valises à Brisbane il y a à peine quelques jours.
Je hoche la tête en guise de réponse. « J’aimerai bien reprendre des projets autour de la danse en dehors des murs des compagnies, en tant que danseur indépendant. J’avais mené un projet de danse entre le Ballet national et l’Association Beauregard avec les résidents à Brisbane et j’aimerai bien poursuivre dans cette voie-là. J’ai d’ailleurs reçu une demande pour donner des cours dans un studio… passer de l’autre côté de la part promet d’être intéressant ! Et bien d’autres encore, mais je crois qu’il faudrait qu’on en parle autour d’un verre de vin. » dis-je alors avec un grand sourire. Il est vrai qu’il y avait bien des choses qui me traversaient l’esprit, des choses également au niveau personnel. Elle qui fut ma meilleure amie – si on peut appeler cela ainsi – pendant une période ne pouvait qu’être mise au courant de tout ce que je traversais ou avais dans la tête même si du temps s’était écoulé depuis Paris. « Et toi d’ailleurs j’imagine que tu as plein d’idées avec ton vignoble maintenant… et des projets peut-être plus personnels ? » Je m’y mettais également. En effet, peut-être que la belle avait retrouvé l’amour ?
Croquant dans ma gaufre agrémenté de chocolat, je ne répondis pas tout de suite, hochant simplement de la tête face à son constant. Ce ne fut qu’après avoir goulument avalé cette première bouchée ô combien agréable que je prends la parole. « Je suis bien d’accord ! C’était même inespéré de se retrouver de la sorte. » dis-je avant de boire une gorgée de café tout en sortant mon téléphone. « Oui, j’ai aménagé dans un studio à Fortitude Valley ! Ce n’est pas très grand mais je m’y sens comme chez moi. » lui répondis-je alors en déposant le téléphone où se trouvait plusieurs photos de mon nouveau lieu de vie. « J’avais un peu anticipé mon arrivée lors d’un précédent passage à Brisbane. Mais il est vrai que tout s’est fait quand même dans la précipitation dès que j’avais choisi la compagnie pour laquelle j’allais auditionner. Même si je ne suis pas recruté, cela me permet aussi de me revenir dans la ville qui m’a vu grandir. » Je disais cela avec un sentiment de nostalgie, signe que la vie dans la capitale australienne avait un charme que je n’avais trouvé nulle part ailleurs.
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Alors que la coréenne écoutait d’une oreille attentive les projets de son ami tout en savourant sa gaufre chocolatée, elle fut agréablement surprise en entendant les réponses masculines. Elle trouvait intéressant que l’ancien danseur étoile sorte des chemins parfaitement tracés par l’opéra français. Mieux que quiconque elle comprenait cette envie de la part d’Abel de sortir des normes et de tester de nouvelles choses. Parfois les événements de la vie vous poussez à faire certains choix et le parcours du danseur en était la preuve vivante. « J’ai un peu entendu parler l’association Beauregard, cela serait une belle chose que ce projet voit le jour. » qu’elle répondit avec un sourire sincère sur les lèvres. Les personnes atteintes par cette terrible maladie, elle ne connaissait que trop bien ce sujet. Malheureusement. Elle croqua une nouvelle fois dans sa gaufre avant de dire « Eh bien.. si tu deviens prof de danse, tu vas faire des ravages. » l’œnologue savait très bien de quoi elle parlait et à quoi elle faisait allusion. D’ailleurs ce petit sous-entendu, la question sur la vie sentimentale de son ami l’intriguait. Elle espérait que lui aussi ait trouvé chaussure à son pied malgré leurs maux du passé. Peut-être qu’elle lui posera un jour la question autour d’un verre comme il le suggéra si justement à l’instant. Comme s’il avait lu dans ses pensées « Ecoute le vignoble tout roule pour l’instant, je suis réellement contente d’avoir une bonne équipe autour de moi. On a plein de projets pour développer le domaine. Tu viendras voir par toi-même si tu as un moment un jour. Eh bien évidemment que je t’offrirais une bouteille. » qu’elle le gratifia avec un clin d’œil complice, l’alcool avait le don de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde et d’oublier les maux du quotidien. « Et... concernant les plans personnels.. » elle marqua une pause, buvant une gorgée de café. A cet instant mille et une questions se bousculaient dans sa tête. Allait-elle s’ouvrir ? Allait-elle se confier ? Allait-elle poser des mots sur ce qu’elle vivait en ce moment avec Channing ? Elle planta ses pupilles noisettes dans les bleutées d’Abel. Elle ne saurait l’expliquer mais elle avait toujours eu cette facilité déconcertante à se confier au jeune homme. Pourquoi ? Parce qu’il était l’oreille attentive sans jugement au lieu d’être la voix accusatrice et pleine de reproches d’Eddie. Depuis un mois, elle taisait sa récente dispute avec le danseur, elle se savait sur quel pied valser avec lui. Qu’elle lui dise ou non quelque chose concernant sa vie privée, la conclusion serait la même : un Eddie sur protecteur voir possessif. C’était la première fois que l’œnologue était confrontée à ce type de réaction de la part de son ami et elle ne savait plus quoi penser de leur amitié. Elle était triste et cherchait juste quelqu’un de son entourage qui serait content pour elle. « J’ai rencontré quelqu’un ici. Enfin j’ai plutôt retrouvé une personne. » qu’elle finit par confesser avec un fin sourire. Pour l’instant, elle n’avait eu la force d’en dire plus, restant sur ses gardes. Ce n’était pas contre Abel, loin de là, elle cherchait juste à protéger son coeur encore fragile comme elle le pouvait.
Finalement la conversation dévia sur le logement d’Abel. Le danseur avait-il prévu le coup ? C’est ce que l’œnologue voulait s’assurer pour son ami. Elle fut rassurée en apprenant la bonne nouvelle et était heureuse d’apprendre qu’il s’y sentait bien. C’était l’essentiel. Un retour aux origines étaient souvent très bénéfiques après des longues années à voyager autour du monde. « Maintenant tu vas devoir t’atteler à l’étape favorite de tout déménagement, déballer et ranger tes cartons. » qu’elle dit avec un petit sourire amusé. Elle en savait quelque chose pour être abonnée aux déménagements depuis quelques années à présent. « Tu sais qui appeler si tu as besoin d’aide ! » qu’elle ajouta en agitant son téléphone portable. Après tout Dani devait bien cela à Abel pour le nombre de fois où il lui avait changé les idées après avoir pleurer une énième fois pour Hugo. A l’époque, elle était une autre Dani, plus jeune, naïve et fragile. Mais depuis l’œnologue s’était construite une carapace et elle n’était plus la petite étudiante perdue que pensait être encore Eddie.
Il est vrai que ce projet avait été un challenge en soi. Faire danser les résidents de l’association Beauregard, ce n’était pas rien, encore plus quand on connaît leur état de santé. D’ailleurs, cela m’avait fondamentalement amené à revoir ma pédagogie aussi. On ne peut pas attendre les mêmes choses d’eux que de danseurs avertis ou amateurs. Mais j’avais été profondément touché par leur volonté, leur soif d’apprendre ; peut-être est-ce parce que certains étaient déjà condamnés et qu’ils avaient conscience que leur temps était compté. Néanmoins, qu’importe le contexte, cela force toujours le respect. Je ne peux m’empêcher de rire face à son commentaire, plissant légèrement des yeux. « C’est ça d’avoir une gueule qui passe bien ! » lançais-je alors avec humour. J’avais conscience que ma plastique était loin d’être quelque chose de déplaisant mais je n’en avais jamais joué professionnellement parlant, même de façon plus… privée. Alors ce n’était pas maintenant que cela allait changer. Buvant une nouvelle gorgée de mon café, j’acquiesce alors d’un signe de tête face à ses mots. Bien sûr que j’allais venir faire un tour dans son domaine afin de découvrir le rêve que la jolie brune avait enfin concrétisé. Et puis, comment refuser une bouteille encore plus quand vous savez qui l’a produite ! Cependant, évoquer sa vie personnelle semblait plus… compliquée. Mon regard se fit légèrement interrogateur face à ses noisettes qui se plantaient dans mes yeux océans, l’invitant à continuer sans crainte. La confession de Dani me fit alors sourire à pleines dents, mon regard pétillant alors davantage. « Si tu décides de changer quelqu’un pour personne, c’est que cela semble en bonne voie. Très bonne voie. » dis-je alors en hochant de la tête. Mes lèvres se pincèrent légèrement dans une expression mutine. « Enfin, j’imagine que nous aurons l’occasion d’en reparler. Tu sembles vouloir encore être discrète sur le sujet. » Même si cela faisait plusieurs années que nous nous étions pas vus, la relation que nous partagions ne semblait pas en avoir souffert, bien au contraire. J’avais pressenti une certaine hésitation, un temps de pause et de question. Et si je pouvais par moment me faire pressant et curieux, plus par taquinerie que mesquinerie, je sentais que cela était encore assez sensible. Et puis, j’étais sans doute aussi bien placé pour savoir ce qu’il en était de la coréenne au niveau sentimental. Il faut dire que notre relation avait aussi débuté sur ce parallèle bien trop douloureux. D’autres circonstances auraient été préférables pour se rencontrer sans doute mais c’était souvent dans pareilles situations que les liens qui se tissaient étaient les plus forts.
« Je ne te le fais pas dire. » soupirais-je alors légèrement tout en secouant la tête, feintant un air blasé et dépité avant de sourire de nouveau. « En soi, ce n’est pas si désagréable, c’est surtout que je me perds souvent dans mes souvenirs et cela peut retarder mon aménagement… » oui, j’étais capable de me noyer dans un verre dans ce genre de situation. « Je pense plutôt que je t’appellerai pour venir boire un verre ! Ce sera plus agréable que de ranger des cartons ! » D’ailleurs mon téléphone vibra à ce moment-là. Faisant une légère moue à Dani pour signifier que j’étais désolé qu’on soit interrompu, je constatais qu’il s’agissait de l’alarme que j’avais programmé. « Arf… je vais devoir y aller… le temps passe trop vite quand on retrouve un visage familier ! »