J’ai presque honte de ne recevoir Rose qu’aujourd’hui. Depuis le temps qu’elle m’avait contacté pour prendre rendez-vous afin de présenter son projet à l’association, je n’avais jusqu’à présent pas été capable de lui trouver un créneau pour la recevoir. J’avoue n’avoir pas accordé assez de crédit à sa proposition, ne pas avoir trouvé ça forcément important et avoir repousser autant que possible notre rencontre. Mais elle n’avait pas tort : casser les codes dans le milieu médical pouvait être un palliatif à l’anxiété que peut provoquer ce genre d’endroit. Rose semblait être solaire, elle s’était présenté il y a quelques mois en laissant ses coordonnées à l’association et en exposant très brièvement ce qu’elle faisait. Et j’avais mis de côté ses documents sans y prêter trop attention. J’étais retombée dessus en m’y penchant vraiment et j’avais échangé quelques mots avec Hannah pour savoir ce qu’elle en pensait. Nous étions finalement d’accord sur un point :  il fallait laisser sa chance à cette jeune créatrice.
Rendez-vous pris, quelques jours plus tard, nous y voilà. Rose attendait dans l’entrée que je daigne me pointer pour la recevoir et je ne tardais pas à arriver. « Bonjour Rose, ravie de vous voir, je suis vraiment désolée de ne vous avoir rappelé que tardivement, mais… j’ai pas vu le temps passer. » et c’était vrai. Puis, elle ne méritait pas de savoir que je n’avais pas donné suffisamment d’importance à sa proposition. « On va aller s’installer en salle de pause, mon bureau est pris. » J’avais dis solaire ? Un joli bonbon oui, c’est fou ce qu’elle dégage comme chaleur. « Je vois que vous avez pris une petite valise, j’espère que vous avez quelques échantillon de votre collection. » oui, parce que j’étais curieuse de voir ce qu’elle proposait. Il s’agissait là de changer la totalité des uniformes des médecins et des autres professionnels portant des blouses dans l’association, ca représentait un sacré budget quand même, je voulais en voir la couleur. « Est-ce que vous buvez quelques chose pour commencer ? »

Le look de Rose ne passait pas inaperçu et je me demandais si Rose était son surnom ou si c’était son prénom qui avait influencé ses goûts pour ne porter quasiment que cette couleur. Il fallait l’assumer, je n’avais pas l’impression que c’était un souci pour elle, au contraire, elle le portait si bien qu’au final, ça paraissait presque casual comme look. J’avais hâte de voir ce qu’elle pouvait proposer pour l’association, bien curieuse, comme toujours. Je ne l’avais pas fait attendre longtemps – pour une fois – il semblerait que je sois un peu la reine des retards, du moins, en ce qui concerne le travail. J’avais réellement un souci sur ce point, mais aujourd’hui, on pouvait marquer au feutre noir ma ponctualité. Alors non, je reprocherai à personne de ne jamais être à l’heure à un rendez-vous, car tout le monde savait que ce serait se foutre de la charité.
Dans le bureau, je m’interroge aussitôt sur le contenu de cette petite valise. « Non désolée. Je ne transporte pas œuvres là-dedans, c’est un coup à les abîmer. » oh, me voilà presque déçue, moi qui m’attendait à pouvoir avoir sous les yeux ses propositions. Peut-être n’avais-je pas compris le sens de cette rencontre. Une présentation sur papier ? Vidéo ? J’avais pourtant déjà eu tout sous les yeux. Je m’attendais à quelques chose de plus concret, j’avoue. « Ah. Je croyais en voir davantage aujourd’hui… » Je laisse perplexe, il devait quand même avoir quelques chose pour moi dans cette valise, non ? A moins qu’elle ne soit de passage par l’association, avant de repartir pour un voyage, qui sait.
Je décroche le téléphone pour demander à la réception de bien vouloir apporter un jus de pomme de la machine qui se trouve dans l’entrée. « Ca arrive. » nous n’avions pas de boissons fraiches dans le coin, si ce n’est en devant payer pour les avoir, mais ce n’était pas bien grave, pour une fois. Rapidement, le jus arrive alors que Rose a déjà déballé son carnet à croquis qu’elle me glisse sous les yeux. Moi qui m’attendais à revoir du coup les quelques croquis qu’elle m’avait déjà fait parvenir dans un premier temps, je me rendis compte qu’il s’agissait là d’autres modèles. Bon, je dois avouer que ça ne reste pas moins que de tenues professionnelles et comme ça en dessins, je n’ai pas l’impression d’y voir plus de créativité. « Je vous avoue que j’aurai apprécier voir au moins un modèle, en vrai. Pouvoir toucher la matière et présenter dès aujourd’hui un échantillon à quelques membres de l’équipe. » après tout, comme Rose pouvait le voir, ce n’était pas moi qui portait ces tenues. Ca ne représentait d’ailleurs pas tout les professionnels, mais uniquement les infirmiers, les médecins… et ces derniers allaient être les plus compliquer à convaincre d’ailleurs. Du rose, malheur… « Je leur en ai déjà touché deux mots d’ailleurs, les infirmiers sont assez emballés. Les autres, n’y voit pas forcément l’intérêt… »

« Mais vous en voyez davantage puisque vous me voyez moi. » elle rebondit aisément, Rose. Elle rayonne et finalement, elle fait passer la pilule. Bien sûre que j’aurai aimé en voir plus, bien sûre que je reste un peu sur ma faim, mais j’imagine qu’elle n’est pas venue les mains totalement vide puisqu’elle a une valise avec elle. Et bon, elle est de toute façon suffisamment solaire pour finalement, ne pas lui en vouloir. Je reste curieuse de voir ce qu’elle va me proposer. Je crois qu’avec autant de dynamisme et d’entrain, je ne suis pas capable de lui en vouloir. Elle a l’air d’y mettre beaucoup de son cœur et son projet reste bon, même si, ce n’est pas ce jour que je vais voir ses modèles. Je réalise un instant que je suis sans doute trop droite dans mes bottes, que je fais peut être preuve de trop de sérieux ou du moins, que je suis un peu dure. Rose est à l’origine de cette demande, elle n’est pas la simple commerciale d’une grosse boite qui vient ici vendre un produit dont elle n’a jamais vu la couleur, dont elle ne connait rien si ce n’est ce qu’on lui a demandé d’apprendre par cœur. Non, Rose vient ici parce que c’est son projet, parce que ça vient de son cœur, qu’elle y a surement accordé énormément de temps, de sa propre sueur. Et l’accueil que je lui ai réservé jusqu’à présent n’est pas à la hauteur. Et d’ailleurs, je vois que son visage se ferme un peu lorsque je lui dis que tout le monde n’est pas forcément emballé, mais ça, elle n’est pas obligée de le savoir finalement, et les convaincre que les équipes était mon taf.
« Ah mais ça j’ai ! » ah, quand même. Je souris, si je n’avais pas un modèle dans son entier, j’aurai au moins quelques échantillons. Et voilà que la jeune femme sort enfin de sa valise des coupons de tissus aux différentes teintes, enfin, d’un camaïeu de rose quand même. J’avoue que le tissus à l’air agréable, au toucher en tout cas, et les couleurs sont très jolies. « Ici, nous avons du coton, pratique, peu cher et facilement lavable. Là, du lin, c’est très respirant... » voilà de quoi me contenter un peu plus. « Je doute que le rose bonbon convienne à tout le monde, mais celle-ci… » je lui montre du doigt un rose qui tire plus vers le bordeaux. « J’aime pas dire que les filles s’habillent en rose et les hommes en bleu, mais ca reste tout de même une croyance présente et même dans le corps médical. Donc, je pense que ce « Bordeaux ? » pourrait convenir à plus de monde. » je prends le temps de toucher les matières. Elle a parlé du prix peu couteux du coton, mais rien pour le lin, je suppose donc que ça doit être plus élevé.
« Ils verront l’intérêt quand ils me verront. Ils le verront surtout quand ils verront la réaction des enfants quand ils me verront. » je souris, c’est vrai que ça peut plaire aux enfants, un peu de couleur. Mais nous accueillons aussi des adultes et il en faut pour tout le monde. Mais, je doute que quelqu’un rechigne à cette idée, parmi les personnes accueillies. « Serait-t-il possible de rendre visite aux enfants ? » un peu prise au dépourvu, je ne m’attendais pas à faire les présentations avec nos petits trolls aujourd’hui. « Il faut que je vois s’il y a des activités ce matin. » normalement oui, mais on sait jamais. Je prends le téléphone pour appeler le standard et leur demander. Ils me confirment bien qu’une activité à lieu avec Ginny. Je raccroche et m’adresse à nouveau à Rose. « On va pouvoir y aller oui, ils font de la peinture, aujourd’hui. » en soit, Ginny était un rayon de soleil à elle seule aussi. Les deux femmes allaient sans doute très bien s’entendre aussi.

Je tente de prendre un maximum de précaution pour ne pas atteindre la jeune femme. Elle s’implique dans son travail, y donne beaucoup de cœur et d’amour, mais je ne peux pas me plier à tous ses souhaits sans prendre en compte les contraintes du cadre institutionnel dans lequel je travaille et surtout celui que je dirige. Composer avec les compétences des uns et des autres mais aussi avec les caractères affirmés ou non de chacun. Il était hors de question que je me fâche avec l’équipe pour une couleur de blouse. Et la jeune femme devrait sans doute le comprendre, même si elle semblait plutôt résignée que réellement d’accord avec mon point de vue. Et en même temps, elle n’avait pas tant le choix, je suppose. Si ce projet allait jusqu’au bout, c’était un beau contrat pour elle et j’imagine, une belle réussite. Rose semblait jeune et son travail était remarquable.
Rapidement, elle demande à aller voir les enfants, ce qui ne pose pas de soucis, un premier contact lui permettrait aussi de se faire remarquer et connaitre dans l’association. Je la guide alors vers la salle d’activité où se trouve Ginny et son groupe. Je lui fais le tour du proprio en même temps, lui montre les divers salles, les pôles d’interventions, la médecine d’un côté, le social et culturel de l’autre.
La famille Beauregard avait tout pensé et petit à petit, l’association prenait du crédit et avait une vraie identité dans le coin. Une fierté pour moi d’en être à la tête à Brisbane.
Dans la salle, aussitôt Rose entrée, les regards étaient tous rivés sur elle. Ce petit bonbon ambulant, un rayon de soleil qui illumina aussitôt les visages des enfants. Un point pour elle. « Une fée ! » et voilà que la petite tornade Diana se leva de sa chaise, peinture sur les doigts, je voyais déjà l’accident arriver. Ca me faisait sourire mais espérait que Rose ne lui en tienne pas tant rigueur. La tache sur la robe fut inévitable. Couturière, elle devait bien savoir que ses vêtements ne craignaient pas grand-chose avec de la peinture à l’eau. « Tu es la fée de mon rêve de cette nuit. Comment tu t’appelles ? » je laissais les enfants être curieux, Ginny interrompu dans son atelier n’était pas contrariée. Rose avait un excellent contact avec les gamins et je la sentais dans son élément par ici. « Vous devriez rejoindre les bénévoles pour animer des activités. » que je lâche, opportuniste, sans doute. « Vous avez déjà travaillé avec des enfants ? »

On est jamais à court de Bénévole, d’autant plus, qu’ils vont et viennent au gré de leurs projets personnels et professionnels et que l’association n’est souvent qu’un passage, un tremplin pour eux, et je ne leur jetais pas la pierre, au contraire, c’était toujours valorisant comme type d’expérience et bien sûre, je ne pouvais que les encourager en ce sens. Mais de voir l’aisance de Rose parmi les enfants, ne peut que me pousser à lui faire cette proposition. Et j’ai l’impression de lire dans ses yeux qu’elle n’est pas totalement contre cette idée. « Jamais jusqu’à présent. J’avais justement pensé à vous proposer des activités coutures en plus de refaire les tenues du personnel. Vous n’auriez pas besoin de machine et ça ne nécessite pas beaucoup de matériel. » nous étions donc sur la même longueur d’onde. Sa réponse ne pouvait que me ravir. Des activités coutures, c’était une très bonne idée et rien de plus valorisant que de voir prendre forme une création personnelle sous ses yeux, de ses propres mains. « Je vous fournirai le tissu. J’ai de nombreuses chutes chez moi dont je ne me sers pas. Vous n’auriez qu’à acheter du fil, des aiguilles et des paires de ciseaux. Vous en pensez quoi ? » je secoue la tête négativement en l’entendant et avant que je n’ai le temps de répondre, Ginny prend la parole. « J’aime bien l’idée. Ça nous changerait de notre routine habituelle. Depuis le temps qu’on cherche une nouvelle activité accessible peu onéreuse, je suis pour ! » toujours ouvertes aux nouvelles proposition, Ginny. « Oh et désolée pour mon impolitesse, Rose. Je m’appelle Ginny. » « Enchantée Ginny. » Présentations faites, je me permets à nouveau de prendre la parole. « Ginny à raison, c’est une très bonne idée. Mais hors de questions que vous apportiez quoi que ce soit. » déjà que c’était du bénévolat… si nous n’avions pas les moyens financiers de payer des salaires à temps plein pour ces divers ateliers, nous avions quand même un budget pour l’achat de tout le matériel. « L’association prendra en charge le matériel, le tissus et nous pouvons aussi acheter une machine à coudre. » ca ne représentait qu’une goutte d’eau dans le budget total de l’association, pour ça, qu’elle ne se fasse pas de soucis. « Je vous propose de me faire une liste, avec le budget qui va avec et j’attendrai votre mail en retour pour pouvoir lancer tout ça. Mais ne vous précipitez pas, le bénévolat reste une activité qui demande du temps et de la disponibilité, même si nous n’imposons pas de rythme, il faut tenir au moins quelques semaines. » Pitié, pas de faux bon après le premier atelier, c’était déjà arrivé et c’est toujours un peu compliqué de rebondir après ça. Chaque personne nous est précieuse. « Vous avez mon mail. » que je lui dis, sourire aux lèvres. « Si ca ne vous embête pas, on peut retourner à mon bureau, pour voir les derniers détails, je ne vais pas pouvoir m’éterniser, malheureusement. Vous pourrez revenir par ici ensuite. »

 « Je vous ferai ça. Et ne vous inquiétez pas, je tiendrai aussi longtemps qu’il y aura des enfants en convalescence. » l’enthousiasme de Rose allait sans doute être mis à rude épreuve, mais un tel optimisme et une telle motivation ne pouvait pas me laisser indifférente. Je retenais pour moi la remarque sur le fait que nous aurons, malheureusement, toujours des enfants en convalescence ici et qu’elle allait donc signer une charte de bénévolat à vie. Mais, j’imagine qu’en réalité, elle se doute bien que le cancer n’allait pas disparaitre du jour au lendemain.
Je suis déjà en marche pour retourner au bureau, pouvant laisser ensuite Mademoiselle Grant revenir si l’envie lui prend, puisque j’ai comme l’impression que le feeling est très bien passé et qu’elle a déjà créé des liens avec nos petits troll. Diana, aussi sociable qu’elle puisse être, s’est déjà accroché à la nouvelle jeune femme. Laissant apparaitre un sourire sur mes lèvres, je ne pouvais pas non plus aller contre la spontanéité des enfants. Ginny reprend rapidement le flambeau, attirant la gamine vers l’activité en cours.
Rose reprend des affaires laissée, ici et là, j’étais déjà en train de réfléchir à la prochaine rencontre qui nous réunirait, cette fois ci, avec des modèles et des blouses presque prêtes à l’emploi. « Il vous arrive de participer aux ateliers ? » « Plus tellement. » que je souffle, avec un air nostalgique, c’est vrai. « Avant d’avoir ce poste, j’étais responsable des bénévoles et des ateliers, c’était plus simple d’y participer. » et de suite les différentes activités aussi. « Maintenant, c’est plus compliqué… » effectivement, je suis bien plus souvent dans ce bureau et à droite à gauche, à aller à la rencontre de nos financeurs, de nos partenaires et autres grosses têtes indispensables à la survie de cette association. « Mais, bon, je manque jamais de passer dans les activités pour voir ce qu’il s’y fait. » ca me semble aussi important en tant que directrice, de ne pas être un fantôme pour tous les patients, enfants comme adultes. « En tout cas, je suis ravie de votre venue aujourd’hui et nous nous tenons très rapidement au courant pour la suite. » je lui tends la main pour la saluer avant de la raccompagner à l’extérieur du bureau. « Je ne vous raccompagne pas dehors, j’ai cru comprendre que vous aviez encore des choses à faire par ici. » lui dis-je avec un sourire, assez satisfaite de voir qu’elle a déjà bien pris ses marques dans le coin.


fais moi signe si tu veux répondre ou archiver tel quel