Ce mail de Lily m’avait quelques peu décontenancé lorsque je l’avais reçu. Sollicitant un rendez-vous pour postuler au poste d’assistante de direction de l’association, j’étais loin de m’y attendre. J’avais pris soin de lire sa lettre de motivation en essayant d’y voir ce qui lui donnait vraiment envie de prendre ce poste disponible depuis de longues semaines maintenant – de longs mois en réalité. Rare étaient les candidatures et le peu de personne que j’avais reçu pour prendre le job ne me faisaient franchement pas envie de travailler avec. Trop rigide, trop protocolaire, trop stricte ou au contraire, pas du tout. Le poste d’assistant de direction demandait de la souplesse et surtout, une aisance dans la communication et puis, j’estimais que si le contact ne passait pas une fois, si je n’avais pas le feeling, c’était foutu. L’assistant de direction était vraiment une personne sur qui je devais pouvoir compter et avec qui j’allais travailler tous les jours, dans le même bureau… quant à Lily, sincèrement, j’étais sceptique.
Je n’en avais pas parlé à Matt, il ne m’en avait pas touché un mot non plus, j’ignore s’il est au courant de sa démarche et s’il l’était, j’étais contente qu’il ne l’aborde pas avec moi. Je ne voulais pas ressentir une quelconque pression de sa part et surtout, je ne voulais pas qu’on dise que je choisissais mes collaborateurs pour mes relations. Pas de piston, en clair.
L’avantage de Lily, c’est qu’elle connaissait très bien l’association pour y faire du bénévolat, elle connaissait à la fois son fonctionnement et aussi toutes les personnes qui y travaillaient ou qui y était accompagnées. Mais travailler avec moi ? Nous n’avions jamais vraiment eu d’atome crochu, si je n’avais rien à lui reprocher quant à son implication ici, il fallait que je reste très professionnelle pour ne pas tout mélanger Son mariage avec Matt – et le sentiment de jalousie que j’avais pu ressentir à un moment à son égard avant de me rendre compte que ok, c’était vraiment débile – puis, son aventure avec Ezra ( d’ailleurs, Ezra lui-même était-il au courant de cette candidature ?)… nos relations qui n’ont jamais vraiment été au beau fixe. J’ignore ce qu’elle pense réellement de moi mais je n’ai pas l’impression qu’elle me voit comme quelqu’un de vraiment positif.
« Noa, ton rendez-vous est là. » qu’Hannah me glisse avant de sortir à nouveau du bureau, me sortant de mes pensées et m’empêchant d’aller au bout de ma réflexion. Je me lève alors pour aller à la rencontre de Lily alors qu’elle est déjà derrière la porte à attendre. « Ah. » me voilà presque décontenancée de la rencontrer si tôt. « Viens, entre. » j’ai son CV, sa lettre sur mon bureau. Reste pro Noa, reste pro… J’m’installe et la laisse prendre place aussi. J’ai vraiment aucune idée de la manière dont va réellement se dérouler cet entretien. « On va s’y mettre. » je comble, n’est-ce pas ? Je jete un œil à son CV, on va commencer par les questions bateau. « Infirmière, ça te convient plus ? » bon, c’était peut-être pas la meilleure façon de mettre les pieds dans l’plat, d’aborder son expérience et ses motivations, mais bon, trop tard.


@Lily McGrath

(association beauregard) Elle s’est bien habillée, Lily. Comme à chaque fois qu’elle met un pas en dehors de chez elle, me diriez-vous. Comme à chaque fois tout particulièrement qu’elle passe un entretien, aussi. Elle sait comment se tenir en société et surtout comment paraître, c’est un domaine dans lequel elle excelle depuis toujours parce qu’elle s’entraîne justement depuis tout autant de temps. Cette étape est importante pour elle, même si beaucoup diraient qu’elle n’a pas sa place à un tel travail qui demande une qualification pour laquelle elle n’est pas diplômée. Penser qu’elle se contenter de foncer tête baissée en se disant “qui ne tente rien n’a rien” connaîtrait bien mal la brune qui ne laisse jamais rien au bon vouloir du hasard dans sa vie. Sa décision d’accéder à un plus haut poste dans l’association et ne plu seulement être une bénévole n’a jamais été motivé par le lien étroit qu’elle entretient avec Ezra, ni même son mariage avec Matt et l’amitié de ce dernier avec la directrice. Au contraire, ce sont des points qui ont bien plus balancé en défaveur de sa décision, même si elle a préféré écouter ses envies plutôt que ce que des inconnus pourraient dire et penser. Pour la première fois de sa vie, elle a préféré ne pas agir pour contenter l’avis général: Lily a besoin de s’investir davantage dans l’association pour des raisons aussi diverses que variées.

L’infirmière arbore un sourire poli lorsque Noa vient la rejoindre. Elle agit comme si elles n’avaient jamais été amenées à se rencontrer et étaient de parfaites inconnu. Elle est là avant tout pour son nouveau travail et le reste n’a, à son sens, aucune sorte d’importance. Son professionnalisme prône largement sur ses sentiments et ressentis. « Viens, entre. » Par habitude, Lily repasser une main sur sa jupe avant d’obéir docilement et entrer dans la pièce, s’installant face à la Jacobs. Après tout, si même avec un casier judiciaire elle a pu accéder à un poste aussi haut gradé, elle ne doute pas que son CV impeccable et son ancienneté dans l’association Beauregard ne poseront aucun problème pour devenir sous directrice. Si jamais on lui pose la question, il va de soi qu’elle éludera la première partie de cette pensée. « On va s’y mettre. » C’est bien ce pourquoi elles sont là, après tout. Lily n’a pas de temps à perdre et un emploi du temps chargé à mener à bien, comprenant notamment les visites d’appartement avec Matt, au milieu de deux interrogatoires de sa part pour s’assurer qu’elle ne risque pas d’accouche dans la journée, à huit mois du terme. « Infirmière, ça te convient plus ? » Sans doute a-t-elle déjà étudié toutes les questions qu’on aurait pu lui poser et qu’elle se contente de répondre du tac au tac, non sans user d’une certaine nonchalance dans la voix. “Je ne compte pas arrêter. J’aiderai de façon ponctuelle, je ne me vois pas abandonner mes patients.” Surtout pas alors qu’il s’agit d’enfants et que le moindre changement pour eux pourrait s’avérer dramatique, encore plus dans le contexte si particulier qu’est celui de l’hôpital. “Mais j’avais besoin de me sentir utile d’une autre manière et je connais très bien le fonctionnement de l’association.” Ne pas rester sur un sujet; rebondir vers un autre qui l’arrange davantage. “Un peu d’air frais ne peut jamais faire de mal, n’est-ce pas?”

Bien entendu, jee ne pouvais que comprendre l’envie d’un tournant radical de carrière. Ayant fait des études pour travailler dans le tourisme, après quelques années d’expérience à envoyer des personnes à l’autre bout du monde sans jamais voir la couleur d’un billet d’avion entre mes propres mains, j’avais aspiré à d’autres choses. Travailler dans le social, mettre mon énergie dans une vraie cause, pour des personnes qui avaient réellement besoin d’être soutenu au quotidien. D’abord auprès des jeunes dans la rue, ensuite au sein de l’association Beauregard pour des raisons qui m’étaient bien plus personnelles cette fois. Mais il était toujours important de savoir si les motivations étaient les bonnes, quelles étaient les intentions et concernant Lily, forcément, je me questionnais. Pourquoi ici ? Etait-ce par confort puisqu’elle connaissait déjà l’association en tant que bénévole ? Etait-ce par facilité, se disant qu’elle connaissait un des fils Beauregard et que sa place lui était forcément destinée ? Une motivation qui correspond à ses valeurs professionnelles et ses aspirations personnelles ? “Je ne compte pas arrêter. J’aiderai de façon ponctuelle, je ne me vois pas abandonner mes patients.” Ah. Sa réponse me surprend, avait-elle bien saisi que le poste d’assistant de direction n’était pas un poste à temps partiel et qu’elle aurait surement peu de temps à consacrer à une autre mission ? Voulait-elle répartir son temps de travail entre deux postes ? Si ma réaction tente d’être neutre, je suis certaine qu’elle avait pu lire mon étonnement sur mon visage. Je la laissais cependant poursuivre. “Mais j’avais besoin de me sentir utile d’une autre manière et je connais très bien le fonctionnement de l’association.” Case confort : check. Ca reste un avantage, de toutes façons et c’est aussi compréhensif. “Un peu d’air frais ne peut jamais faire de mal, n’est-ce pas?” N’est-ce pas ? Me visait-elle directement en me renvoyant son questionnement ? L’air qu’elle employait me le laissait comprendre et bêtement, je hochais la tête sans être très à l’aise de penser au vrai sens de sa question. « Est-ce que tu as bien compris qu’il s’agissait d’un poste à temps plein ? Du lundi au vendredi, 9h-18h au minimum ? Ça peut arriver qu’on ai des réunions tardives. » et en tant qu’assistante de direction, il m’est impensable qu’elle puisse manquer n’importe quelle réunion importante. « Comment tu voudrais articuler tes deux missions ? » lui demandais-je pour avoir un avis plus éclairé. « Qu’est-ce que tu cherches avec ce poste ? Qu’est-ce qu’il représente pour toi ? »

Lily a toujours pour habitude de se représenter au mieux. Certes, elle a aussi tendance à s’accorder sur des normes sociales du siècle passé mais elle aurait tôt fait de rejeter la faute sur l’éducation donnée par ses parents. Tout ceci est la raison pour laquelle son dos reste éternellement droit et ses pieds ancrés dans le sol, en même temps que ses yeux dans ceux de Noa. Quelques mois auparavant, elle n’aurait jamais pensé postuler à l’association Beauregard, et cette pensée est largement influencée par le passé trouble de la brune. « Est-ce que tu as bien compris qu’il s’agissait d’un poste à temps plein ? Du lundi au vendredi, 9h-18h au minimum ? Ça peut arriver qu’on ait des réunions tardives. » Elle doute soudainement du sérieux de Lily à cause de son envie de continuer à exercer son rôle d’infirmière et c’est tout à son honneur: elle cherche quelqu’un de sérieux. Il ne reste plus qu’à lui faire comprendre qu’il n’existe personne de mieux placé en ce monde que Lily. Elle a pesé le pour et le contre un millier de fois, elle a fait des tableaux et des plans sur dix ans. Chaque seconde de sa vie est millimétrée et, croyez la bien, il y a assez de place pour ce nouveau travail pour lequel elle prospecte. “J’ai bien compris. Je ne prends pas mon travail à la légère et s’il faut rester tard et arriver tôt, ça ne me fait pas peur.” Les heures supplémentaire ne l’effrayent pas et autant d’heures qu’il faudra donner, autant qu’elle utilisera pour son travail. Faire les choses à moitié ne lui ressemble pas et la brune ne demande qu’à le prouver.

Le problème de la double occupation, donc, la voilà qui revient à l’assaut. « Comment tu voudrais articuler tes deux missions ? » Lily garde la tête haute, loin d’être déstabilisée pour si peu. Sa question était attendue et il n’y a rien qui ne fasse office de cul de sac. “Je suis bénévole dans une seconde association mais je ne compte pas rester. J’utiliserai ce temps là pour exercer.” Le Royaume Enchanté ne lui est pas aussi important que l’Association Beauregard et elle sait que bien des femmes pourraient jouer le rôle de Blanche Neige à sa place, il n’y a rien d’irréversible. Elle continuera à leur apporter des gâteaux et donner de l’aide si besoin, mais plus de manière aussi intensive qu’en cet instant. “J’ai un travail à temps plein et deux associations dans lesquelles je suis bénévole en ce moment, je sais gérer mon temps. Il n’y a simplement pas à préciser qu’elle s’est ajoutée autant d’heures de travail simplement parce que sa vie lui filait entre les doigts et qu’elle avait besoin de se sentir utile. Noa connaît déjà une partie de l’histoire et Lily, elle, n’est pas là pour créer aucune empathie de sa part, bien au contraire. Elle préfère être respectée pour ce qu’elle est, pas les défauts qui font d’elle un être humain. « Qu’est-ce que tu cherches avec ce poste ? Qu’est-ce qu’il représente pour toi ? » Une expiration, puis une seconde qui s’écoule. Voilà la question qu’elle redoutait sans doute le plus. “Ma mère est malade depuis quelques années maintenant et ça ne va pas en s’arrangeant. Ce n’est peut-être pas un cancer mais cela me pousse à m’engager davantage dans l’association.” Alzheimer a été le verdict du médecin, il y a de ça quelques années déjà. Parler de sa famille n’est pas un exercice dont Lily a l’habitude, raison pour laquelle il l’oblige à rompre son masque immuable d’absence de toutes émotions. Sa mère est condamnée à mourir plus tôt que prévu et ce n’est pas une chose qu’elle peut accepter les bras croisés, raison pour laquelle elle souhaite aider autant de personnes que possible et combler un poste qui mérite quelqu’un d’aussi passionné que qualifié.

Finalement, elle aborde d’elle-même un point qui lui semble important, surtout alors qu’il peut jouer en sa défaveur ou au moins mettre à mal ce qu’on dit d’elle. “Je ne fais pas cette démarche parce que tu connais Matt. Je veux que tu me vois comme une candidate à part entière. J’ai l’ancienneté et les compétences.” Ils sont amis; cela ne la regarde pas. Travail et vie privée ne doivent pas se mêler, c’est à ses yeux une règle d’or qu’elle tente de faire comprendre à Noa, yeux dans les yeux.

Lily avait bien plus d’aplomb que moi. Elle m’impressionnait par son serieux et son attitude que je pourrais qualifier d’irréprochable, très professionnelle, un peu froide à mon goût, mais elle mettait sans doute une dose de distance suffisante pour un entretien d’embauche. Nous n’étions pas ici au coin du comptoir du DBD. Je ne doutais pas du sérieux de sa candidature, elle ne me semblait pas si sournoise pour postuler sans avoir la motivation de prendre le poste. Mais, il m’était indispensable de m’en assurer à travers mes questions. Si j’avais des inquiétudes, il m’était normal de les balayer en cherchant ses arguments. Lily était la pour me convaincre, pas pour prendre le thé. “J’ai bien compris. Je ne prends pas mon travail à la légère et s’il faut rester tard et arriver tôt, ça ne me fait pas peur.” Je hoche la tête brièvement, cependant, je voulais savoir comment elle pensait pouvoir organiser ses semaines en étant au four et au moulin.
“Je suis bénévole dans une seconde association mais je ne compte pas rester. J’utiliserai ce temps là pour exercer.” Ça me semblait correcte. J’ignorai qu’elle était si investie dans le milieu associatif, ailleurs qu’ici aussi. Être deux fois bénévole, c’était tout à son honneur. “J’ai un travail à temps plein et deux associations dans lesquelles je suis bénévole en ce moment, je sais gérer mon temps. » elle me répète, pour s’assurer que j’ai bien saisi. Pour s’assurer que les informations soient imprimées. Elle a raison d’insister, sans doute. La directrice en moi reste impressionnée et une autre partie de moi ne peux pas s’empêcher de dire qu’elle frime, là. Mais, je devais rester objective et arrêter de voir en elle la femme de Matt, celle qui l’avait trompé il a quelques semaines encore. Miss parfaite pas si parfaite, en somme. Bon, stop, l’entretien, focus.
La disponibilité semblait ne pas être un soucis pour Lily. Qu’elle se rassure, il n’était pas question non plus de lui imposer des heures supplémentaires sans cesse ou de caser des réunions dernières minutes dans son emploi du temps. Elle serait prévenu à l’avance et pourrait donc adapter ses horaires au besoin et aussi son planning si chargé. Millimétré même.
“Ma mère est malade depuis quelques années maintenant et ça ne va pas en s’arrangeant. Ce n’est peut-être pas un cancer mais cela me pousse à m’engager davantage dans l’association.” C’est qu’elle me couperait la chique aussi. Il m’était impossible d’étayer davantage cette question, les soucis médicaux de ses proches ne me regardant en rien, du moins, pas dans le cadre d’une embauche, mais je pouvais entendre que cela faisait partie de ses motivations. Alors que je m’apprêtais à relancer sur une autre question, elle prit les devant pour ajouter : “Je ne fais pas cette démarche parce que tu connais Matt. Je veux que tu me vois comme une candidate à part entière. J’ai l’ancienneté et les compétences.” C’était on n’peut plus gonflé de l’amener de la sorte et remettre en doute aussi mes propres compétences professionnelles. « Je ne t’ai pas reçu comme l’épouse de Matt, mais comme Lily McGrath, candidate au poste d’assistante de direction. » point barre. Même si, effectivement, il y avait une part d’affecte dans tout ça, je m’efforçais de la mettre de côté, depuis le début. Me concernant. Bon, ok, ce serait mal honnête de ma part de ne pas reconnaitre que je m’étais posé la question pour elle, mais elle venait de balayer les doutes qui pouvaient planer.
« Donc, en parlant de compétences… tu penses que j’attends quoi de toi ? » elle fait bien d’en parler, puisqu’elle a les compétences, je l’écoute.

« Je ne t’ai pas reçu comme l’épouse de Matt, mais comme Lily McGrath, candidate au poste d’assistante de direction. » Aux yeux de la Keegan de naissance, les deux ne sont pas dissociables. Elle est une épouse et une femme qui sait ce qu’elle veut dans la vie, et cela n’a surtout pas à être scindé. Matt sera au courant de sa vie professionnelle mais ce ne seront pas ses affaires pour autant. L’équilibre sera parfait, pour la simple et bonne raison que Lily ne sait pas appréhender la vie d’une façon différente. L’infirmière se retient de tout commentaire, sachant par avance qu’il serait mal reçu par Noa. A défaut, son visage reste éternellement fermé et professionnel. Personne n’a à lui rappeler la raison de sa venue ici, surtout pas alors que la simple pensée de cette entrevue occupe tout son esprit depuis de longs jours.

La directrice de l’association continue donc, Lily restant à l’écoute des questions qu’elle pourrait avoir à son égard. Elle ne s’en offusque d’aucune, sachant que si elle est ici, c’est pour une chose en particulier. « Donc, en parlant de compétences… tu penses que j’attends quoi de toi ? » Elle fait son possible pour ne pas sortir une longue et trop scolaire liste de qualités mais c’est sans doute plus fort qu’elle. “Être à l’écoute, intéressée, organisée, passionnée. Empathique. Autonome. Avoir l’esprit d’équipe.” Se sachant sur une pente glissante, la jeune femme n’évoque que des qualités qu’elle sait pouvoir associer à sa personne. Quoique l’esprit d’équipe est à durée limitée mais elle sait tout de même pouvoir faire des efforts le moment venu. “Quelqu’un qui garde la tête froide.” Et qui n’a pas peur de proférer une ou deux vérités alternatives pour le bien de l’association et de ses membres et bénévoles. “J’ai entendu dire que le poste était vacant. Je peux faire une période de mise à l’essai, si ça te semble correct.” Alors elle prend finalement les devants, ne tolérant pas totalement qu’elle soit gardée sur le feu comme un plat à laisser mijoter toute la journée. Elle sait qu’elle a toutes les qualités requises, l’expérience et tout ce qui va avec. Elle connaît l’Association comme sa poche et ses membres avec, ses fondateurs tout autant puisqu’ils ont brièvement fait partie de sa famille. S’il faut qu’elle prouve ce dont elle est capable alors cela ne lui fait absolument pas peur.

“Être à l’écoute, intéressée, organisée, passionnée. Empathique. Autonome. Avoir l’esprit d’équipe.” Je ne lui retirais sans doute aucune de ces qualités, je la savais sincère, du moins, je l’espérai. Et c’est bien entendu ce qui pouvait être attendu sur ce poste. L’autonomie, clairement, je n’avais pas besoin d’une assistante qui attendait à chaque fois que je sois là pour prendre des initiatives. J’avais besoin de quelqu’un qui savait où il mettait les pieds et envers qui je pourrais avoir confiance. L’esprit d’équipe, dans notre cas, un binôme complémentaire, ça me semblait indispensable. Tout comme toutes les autres qualités nommées. Et puis, qui n’avait pas envie d’entendre ça ? Elle savait ce qu’il fallait pour ce poste. Au-delà des mots, ce sont des actes que j’attendrais, si toutefois, le poste lui était destiné. “Quelqu’un qui garde la tête froide.” Elle ajoute. J’entends par ici, quelqu’un qui saura prendre de la distance sur ce qu’on peut voir et vivre au quotidien dans une association qui accompagne des personnes malades. Des personnes qui auront un parcours compliqué, semé d’embuche, de complication, des hauts et des bas, parfois de l’espoir, parfois des vies brisées. Nous accompagnons autant les patients que leurs familles, des familles qui ont besoin d’oreilles attentives. Et si notre première mission, en tant que pôle de direction n’était pas d’être en première ligne auprès de ces personnes, il nous arrive quand même d’y être confronté. Depuis ma prise de poste, en tant que responsable des actions collectives et des bénévoles, puis sur ce poste de direction, j’étais tous les jours baigné dans une ambiance tantôt joyeuse, tantôt très pesante. Il était important de le garder à l’esprit. Dans une même journée, nous pouvons avoir trois bonnes nouvelles pour deux mauvaises nouvelles. La prise de recul ne se fait pas en un jour, elle n’est pas si facile qu’on pourrait le penser, c’était aussi important de le garder en tête. Elle avait déjà été confronté à ça, en tant que bénévole, en tant qu'infirmière à l’hôpital aussi, j'imagine. La aussi, c'était un point de plus pour elle. “J’ai entendu dire que le poste était vacant. Je peux faire une période de mise à l’essai, si ça te semble correct.” Elle s’impose à moi, Lily, sûre d’elle et déterminée. Un défaut qui pouvait être une qualité, ou inversement. J’avais le sentiment qu’elle ne me laissait pas trop le choix, comme si le poste lui était dû. « Le poste est vacant. » je lui confirme. « Je vois une autre personne demain. » oui et non, j’avais bien un rendez-vous pour une seconde embauche demain, mais je savais déjà, au vu de la candidature que ça ne tiendrait pas la route. « Je te rappelle, dès que ma décision sera prise. Il y aura effectivement une période d’essai. » j’avais les informations nécessaires la concernant, de toutes façons, c’est sur le terrain que mes doutes ou mes certitudes seront validés. « Tu es disponible à partir de quand ? » j’imagine qu’elle avait quelques démarches à faire de son côté pour se libérer de son poste actuel. « Tu connais déjà la maison, je te fais pas le tour du proprio. Si tout est ok, t’auras un mail avec la proposition d’embauche, que tu me retourneras ensuite. Et dès que tu seras prête, tu pourras venir. Sous condition que le deuxième entretien ne soit pas concluant. » J’espérais ne pas faire fausse route. Je redoutais un peu cette collaboration, mais mon intuition me disait aussi de lui faire confiance. « Je ne vais pas te retenir plus longtemps. »

Plus sérieuse que jamais, Lily ne laisse rien au hasard et surtout pas ses expressions et réactions. Elle ne peut pas se permettre que Noa la juge et en vienne à de mauvaises conclusions, pas alors que l’enjeu est aussi important pour elle - quand bien même, oui, d’accord, l’enjeu est toujours important à ses yeux. [color=#996699]« Le poste est vacant. »st pour elle. Trop d’efforts ont été placés dans l’opération pour qu’il lui passe sous le nez. Ce n’est pas un caprice: elle a toutes les qualités requises et sait qu’elle saura travailler avec Noa puisque, justement, cela en restera au travail. On ne leur demande pas de devenir meilleures amies, et c’est tout ce qui importe pour l’instant encore. [color=#996699]« Je vois une autre personne demain. » Et elle ne passera pas les éliminations. Lily pourrait le lui dire pour qu’elle évite de perdre son temps mais elle sait par avance que de telles paroles seraient mal vues en société. Tant pis. L’infirmière se contente donc de hocher de la positive, compréhensive. La concurrence ne l’effraye pas, dans la mesure où elle sait qu’elle est de toute façon la meilleure. « Je te rappelle, dès que ma décision sera prise. Il y aura effectivement une période d’essai. » - “Très bien.” La période d’essai ne lui fait pas peur, tout comme il en était de même pour le processus de recrutement. Elle copiera, elle écoutera, elle apprendra. Elle est déjà passée par ce chemin bien des fois, une de plus ne lui fait donc pas peur, pas alors qu’elle attend tant de choses de ce nouveau métier.

« Tu es disponible à partir de quand ? »
“Dans deux semaines.” A partir du moment où elle donne sa démission, mais elle ne doute pas un seul instant qu’elle recevra une réponse sous peu de temps. Lily n’est pas le genre de personne à avoir un excès de confiance en soi, elle se contente de faire preuve de bon sens en cet instant et de mettre de côté tous les liens qui pourraient la rapprocher de la Jacobs en dehors du travail. C’est aussi l’occasion de poser un regard neuf sur cette femme qu’elle a longtemps critiqué sans s’en cacher. Elle lui fait un dernier résumé de la situation pour qu’il n’y ait aucun quiproquo entre elles, ce que la plus jeune ne peut que saluer. Elle se contente une fois de plus de hocher de la tête tout en gardant Noa scrutée sous le bleu de ses yeux. « Je ne vais pas te retenir plus longtemps. » - “Merci de m’avoir accordé de ton temps. Bonne journée.” Aussi sûre d’elle puisse-t-elle être, McGrath n’en oublie certainement pas la politesse qui fait partie intégrante de sa vie. Ses doigts repassent sur sa jupe pour ne pas qu’elle se froisse et c’est un demi sourire pourtant sincère qu’elle adresse désormais à Noa, avant qu’il ne se transforme en un immense dès lors qu’elle a passé le seuil de la porte. Tout s’est bien passé.