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 loose leaves been blooming into muted motion (ginnett #8)

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Message(#)loose leaves been blooming into muted motion (ginnett #8) - Page 2 EmptyVen 21 Mai 2021 - 21:13

La plaque métallique et luisante du lac ondule d’un frémissement immobile. Mirage opaque, confusion des verticalités qui se croisent sur le reflet, le ciel qui est un reflet de la mare ou la mare qui n’est que la forêt couchée, lissée, apaisée par la grande bulle plate ; zéphyr dans la masse verte chante une chanson d’écume, à chaque feuille note – frisson. Le vertical est pour la flamme machinale, habituelle, s’élève sans objet ; elle singe avec ses maigres moyens les atouts de son ainée qui rase le ciel. La flamme machinale au bout de son pouce. (Il a deux briquets.) Un pour lui, un pour lui. La prévoyance le perdra. La flamme machinale voit le monde éclairé et pense qu’elle l’éclaire – la vaste casserole embrasée qui sert de lampadaire à leurs planètes glaciaires sourit avec indulgence. Dix mille degrés, là-haut, la flamme sans réservoir ; vingt-trois ici, à l’ombre. La chaleur se perd dans l’espace. (C’est loin, c’est si loin.) Rien de permanent, qui passe d’un point à un point sans perte. Astéroïde laisse poussière – la vibration primordiale s’épuise en bout de course. Même la lumière doit s’oublier en route – tout se fatigue – elle n’est pas parvenue entière – on n’a jamais vu l’intention originale de l’étoile. Personne n’a reçu ce qui devait être communiqué. Dix mille degrés là-haut, vingt-trois ici. A quoi bon ? On tiendrait pas sous dix mille degrés. La vie aurait cramé depuis longtemps. (Une plaine sèche et abrasive, pétrie de terre en fusion.) Les rétines de Bennett s’usent de taches violacées à détailler le disque fuyard, et pourquoi ça voudrait nous cramer, hein ? (Les soleils rouges ne se voient pas sur les balcons de Brisbane, étouffés par les tours.) Il a mal aux yeux. (Le cercle parfait, parfaitement calciné, blessure saignante de quelque chose qui avait été un monde bleu.) La plaine sèche et abrasive, poussin canné dans l’œuf, aucune bactérie émergeant du mystère pour prédire la gloire du genre humain, du végétal, la gloire de quoi de ce soit – la gloire n’existe pas dans un monde de cailloux. Il taille des cailloux, dans la vie. Antithèse. (Pourquoi, pourquoi on y serait pas, au chaud dans la matrice ? Quel désir astral les incendiait sur le bord d’une sphère d’infinie clarté ? Ils ont rien demandé, vingt-trois c’est peu, même s’il transpire, c’est pour d’autres raisons, vingt-trois c’est froid et pas le droit au soleil. On brûlera, on brûlera, c’est certain. Cette lumière ! Pourquoi ça voudrait nous cramer ?) Mais ça veut pas brûler qui que ce soit, et d’ailleurs ça ne te brûle même pas. (Et pourtant il n’y aura plus personne, dix mille degrés, neuf milliards d’années.) (Ce n’est pas ça.) (Alors quoi ? Le désert ? La sécheresse ?) (Mais, non, mais non. Est-ce que tu n’as pas compris ?)
Mais c’est nous qui brûlons. Tout seuls. Le soleil… la poussière… l’humanité a pas besoin de ça… elle l’a dans sa nature… c’est des prétextes…

« C’est comme si j’avais perdu tous les souvenirs d’avant. » On ne lui a pas enlevé ; ça a brûlé, Ginny. Comme le reste. C’est naturel. Cette petite mort cellulaire, à l’échelle de l’atome de l’atome ; elle est naturelle comme douze heures six, comme le cri de naissance… comme la chimie qui t’empêche de vivre, neurologie, récepteurs, endorphine, qui est tellement plus que de la chimie, et qui n’est que de la chimie. « Comme si tout ce qui s’était passé avait été rangé dans une boîte, classé dans un grenier. » Il a du papier dans les poches, un bloc de commandes et de choses à faire, un agenda papier à l’ancienne mode maintenant que tout est virtuel. Bennett refuse de soumettre ses heures au règne des flux de données immatériels ; il les garde vivantes entre les lignes, scrupuleusement annotées à la date convenue, comme si ainsi, elles ne sauraient s’échapper. Les boîtes c’est fiable. « Brûlé. » (Il l’a déjà dit.) Et personne ne te brûle. Entendu ? « Ici on respire. Je respire. » Bennett aussi est un arbre, pas plus qu’un passager dans son train à elle, bourré d’haleines désinfectantes et de pommades sur gènes défectueux. Tant mieux, qu’elle respire. Première étape. Oh, le retour des sarcasmes, dis. Tu ne t’ennuies pas de toi-même ? Les souvenirs d’avant ; les espérances d’avenir ; n’avaient de toute façon pas leur place dans le processus Bennett. Son centrage sur l’immédiat avec une formidable rigidité. Son esprit met toute projection en flux tendu vers l’abîme. Il n’y a rien, rien d’autre que ça, Ginny. Rien d’autre que ce qu’elle est en train de vivre, avec toute la souffrance, toute l’envie de se barrer de la liste et de la vie, le poids, le désespoir, l’espoir et le désespoir. Pour lui aussi il n’y a que ça – la sérénité, la quiétude, la facilité, la chance. Tu prends ce que t’as. Pas d’issue, devant, derrière. Cramponnés. Le train passe qu’une fois. Il n’est jamais à l’heure. Douze heures six. Un jour, il avait été douze heures six. « Ça sent pas la fumée. » Elle est sortie – depuis longtemps – puisqu’elle parle – depuis longtemps. Qu’est-ce qu’il attend, pour soulager la tension sur sa clope restée ballante ? La tentation évanouie retourne dans des plis de tissu, l’immense inutilité de l’artéfact dans ses mains se fait jour avec la fin du jour. C’est peut-être la dignité humaine, c’est peut-être l’absence de combustible. Elles tireraient quoi, ses lèvres ? Non, il n’est pas question de tabac, ne soyez pas aussi stupides. On n’a jamais fumé pour le tabac. Fumer c’est une certaine manière de dessiner quand on ne sait pas dessiner. Ou encore, un sirop contre la toux dans les tranchées de la grande guerre. Ou, ou une mémoire d’enfance qui surgit avec une lourdeur de vêtement mouillé sur un cœur froid. Ça n’a pas de sens. Evidemment. Il la range. Quand même il ne ferait rien, quand même on lui rembourserait toutes ses cigarettes et ses bifurcations misérables ? Ça sent pas la fumée, mais ça brûle tout seul. Bennett enfonce ses paumes dans la terre, étend les jambes sur l’herbe hirsute. La lutte des éléments. Connais celle-là ? Elle n’a pas la terre, l’ancrage bête et méchant, l’assimilation du compost, la dureté de l’évidence ; il n’a pas l’eau, l’adaptation molle, glissante, la larme qui fait fleurir le monde en se sacrifiant. Le feu ? Elle ne l’utiliserait qu’en moyen de sécher, au dernier recours ; il l’avait pour fin. (Qu’est-ce que l’air ?) L’air ? Je ne sais pas, l’air est bleu, l’air est tellement bon, même quand on a mal, j’adore l’air, je voudrais mourir dans de l’air, je voudrais mourir comme on respire, un jour. Je ne voudrais pas expirer, tu vois ? La dernière seconde. La dernière seconde, il faut vivre, vivre incroyablement… on dirait, dirait que l’air c’est le vide. Mais l’air est le contraire du vide. L’air c’est l’amour de la vie… (Une heure encore, peut-être deux, et le lac n’aurait plus rien à refléter ; il n’existerait plus.) Le lac est une très grosse glace. Qu’est-ce que fait un miroir au beau milieu du vide ? Rien, bien sûr. – Ma théorie, c’est qu’il brûle.

Nous étions… nous étions… « T’as la tête dans la fumée. » (Bennett, médecin des âmes.) Pourfendeur de la veuve et de l’orphelin ; vendeur en gros des hôpitaux. Vous voulez une métaphore ? C’est très exactement une histoire de tuyauterie, le mot est laid, tout cela est laid, qui en a cure. Des canaux existent, des cheminées ; on a pas envie de sortir du monde à chaque instant ; la cheminée se comble, tu crèves dans la fumée. Ça n’a jamais été l’histoire d’une nouvelle cause du feu, il a déjà expliqué ça, il n’est pas conférencier, il ne va pas s’y remettre ; pas de nouveau brasier. Depuis toujours. ADN. Et la cheminée ? Qui la comble ? (Mais t’as donc rien écouté ?) C’est eux qui la comblent. (Oui, c’est évident…) La douleur, pour Bennett, aussi profonde et aussi lancinante soit-elle, n’était jamais qu’un suicide de l’individu lui-même. Bien sûr ; on a besoin de cette souffrance, on se l’offre ; il n’y a personne qui transperce, personne qui puisse bourrer le col de papier froissé, ça se bouche pas comme ça. Le deuil, la sensibilité, la tragédie. Les mots, les mots, les mots. Postulat erroné sur la nature humaine. Bien sûr qu’on veut souffrir. Crever. Meurtrir. On a de quoi faire à l’intérieur. Rien de métaphysique là-dedans. Ginny, avec la charpie des examens de Noah, s’asphyxiait de façon tout à fait banale et volontaire – parle pas de cette volonté, la volonté, du fond, le fond, l’ignoble, l’originel. Papier d’agenda, et ils iront autre part. Sous les doigts de Bennett, un avion tourmenté s’accouche d’une page. Il en a fait quatre. Trois, et un cygne. Il aime bien le chiffre quatre. « Un jour je te dirai ce que j’en pense. » (Mais ils ne se croiseront plus jamais, mais ils ne se connaissent pas, mais jamais Bennett ne formulerait ce qui s’écrit ainsi.) Qui aurait envie de l’entendre dire qu’on souffre par choix ? Un briquet pour lui. J’aime les avions qui ne s’envolent jamais comme j’aime les autoroutes immobiles, les entreprises inutiles, les vendeurs d’air en bocaux, au fond, être cartésien jusqu’au bout c’est ne plus l’être du tout. Bennett ne se sent pas particulièrement mal, Bennett ne se sent pas particulièrement bien, lorsqu’il s’approche de l’eau. Vole, noie-toi, sombre, respire. La créature embrasée flamboie sur le lac de Samson, avec des mots que ni le soleil, ni la flamme ne prendront ce soir, ni dans l’éternité. Dans quelques minutes, peut-être. Le cygne ou l’avion ? Tu n’as rien perdu, Ginny. Tu n’es que la flamme. « Écris quelque chose que tu n’oublieras jamais. » Ni la flamme, ni la mort ; ni l’air bleu ni l’eau rouge ; ni dans une chambre d’hôpital ; ni dans l’éternité.
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Message(#)loose leaves been blooming into muted motion (ginnett #8) - Page 2 EmptyDim 30 Mai 2021 - 14:57

« T’as la tête dans la fumée. » non, elle est juste ailleurs.

Perdue au détour de quelques nuages, entre une vague absente et une autre étouffante, envolée dans un courant d’air furtif, encore délaissée, vivante sur l’autoroute ? Dans la chambre de Noah, à son chevet, à l’Académie ; oh qu’il aurait ri de moi, si on avait été à l’Académie ce jour-là. Ce jour-là c’est aujourd’hui et aujourd’hui il fait presque nuit et les feux de la voiture de Bennett illuminaient son profil, c’est comme ça que je l’ai retrouvé. Pas parce qu’il parlait et même pas qu’il bougeait, pas parce que je reconnais son parfum qui s’est dissipé lui aussi et pas parce que sa silhouette m’est plus familière que le reste. Le reste est inconnu mais donne des impressions d’avoir toujours été là, les racines se mélangent et les feuilles se complètent, l’horizon sert à rappeler qu’il peut narguer autant qu’il veut jamais on en arrivera à bout. La ligne, là, tout au fond. Pas Bennett. Bennett ne nargue pas, Bennett ne dit rien. Bennett me calme et y’a une petite voix quelque part dans ce monde qui dit enfin. Et il n’y a pas de fumée, il n’y a pas de brouillard, pas même de brume par-dessus les flots. La vue est claire, limpide, parcelles et miettes de temps et d’ambiances et de flore et de monde sont interchangeables mais définies, définissables ? T’as la tête dans la fumée et il fait des métaphores Giller, c’est nouveau. Des métaphores que je comprends et que je cherche, les yeux fermés, la tête tout sauf reposée. Comme le fait d’être familière à sa voix mais pas comme ça, de m’installer au sol. L'herbe qu’il a marquée à quelques mètres encore de moi. Y’a un arbre derrière, un truc qui gratte et qui pique et qui rappelle que sur mon corps se cachent des terminaisons nerveuses et des réactions causées par quelques dommages collatéraux que ce soit. Mes paupières donc, fermées. Pour bien voir la fumée. Celle dont il parle et celle que je sens jusqu’au creux de mes yeux, celle qui ne sent rien mais qui devrait être opaque, ou alors elle sent quelque chose mais reste translucide. Mes doigts se perdent à travers les cheveux de terre qui s’éparpillent tout autour, j’ai retiré mes souliers je ne sais même plus quand, pour peu ils sont passés par la fenêtre de sa voiture entre une sortie de route et une autre que je ne l’aurais même pas réalisé. C’est la chasse à tout parce que je ne trouve rien, c’est l’espoir de ressentir quelque chose juste pour ancrer ce qui se passe, juste pour avoir quelques repères dans la tornade immobile. On est perdus mais il a la carte il ne me l’explique tout simplement pas. On est nulle part mais le sol ne m’a jamais autant paru aussi solide sous mes talons épuisés de tourner en rond.

« Un jour je te dirai ce que j’en pense. » dis-le maintenant, t’attends quoi.

Je suis déjà par terre, dans tous les sens du terme. Depuis quand est-ce que tu retiens quoi que ce soit, depuis quand est-ce que t’avertis. Le son fait écho entre un tympan et un nerf, il remonte de ma tempe pour finir par encaisser le coup vers l’autre. Les fils se connectent et mes sourcils ne se froncent même pas, à peine qu’elles se serrent, mes lèvres. Un jour, un jour, un jour on sera morts et Noah nous aura survécu et il sera trop tard tu ne m’auras rien dit. Un jour ça ouvre la porte à tout et à rien, ça ouvre la porte au moins, mais c’est comme le reste. C’est pas parce qu’il y a une sortie qu’elle en vaut la peine. Un jour je te dirai ce que j’en pense et ce jour-là je serai attentive Bennett, je te jure que j’écouterai bien mieux qu’aujourd’hui. Ou alors je rirai, parce que tu me l’auras déjà dit de tellement de façons que ton discours sentira le réchauffé. Un jour, je ne serai pas là quand tu voudras en parler, ça sera une question de timing manqué et de croisée des chemins bifurqués, tu seras à Fortitude et je serai à Redcliffe, tu habiteras à Logan et j’aurai retrouvé le chemin jusqu’à Samsonvale. Un jour il sera trop tard et ce sera bien fait, pour tous ceux qui ont attendu la retraite pour vivre, pour toutes celles qui se sont promis qu’arrêter le temps ne faisait pas d’elles des lâches si ça leur permettait de respirer entre les chênes et les tilleuls et les vagues qui n’existent pas et les bribes d’un passé plus léché qu’un présent qui s’effrite. Un jour, un jour, un jour tu me diras, j’y compte bien. Demain. Demain quand le soleil aura décidé de faire la course à l’envers, demain quand les aiguilles nargueront, demain quand Noah s’endormira et que je me réveillerai, non l’inverse. Mais tu sais plus comment faire pour dormir Ginny. Je dormais, y’a une poignée de poussière de ça. De la fumée. « Écris quelque chose que tu n’oublieras jamais. » de la poussière et du papier et Bennett qui parle, depuis quand est-il arrivé ? Il est là depuis tout à l’heure Ginny, tu disais même qu’il y était depuis toujours. Un œil qui ouvre, un autre comme la logique le prédit et comme l’essentiel le veut. Je veux tout oublier. Je veux sortir la gomme et l’allumette et l’essence et reprendre du début, que mes canevas aillent à l’inverse et que la couleur efface tout. Je veux qu’en un claquement de doigt il me promette que je ne me souviendrai de rien, que tout sera en grève, qu’on rayera de ma mémoire l’entièreté de son contenu pour en faire une mise à jour propre, synthétiquement fausse et parfaite dans son déni.

Ça. C’est ça que je veux pas oublier. Fais pas la fière Ginny, t’es au point où t’auras bien plus de mal à rattraper le tir si tu continues et c’est pas du tout par là qu’on allait, c’était la réponse politiquement correcte qui se frayait une route pavée de bonnes intentions et je jure que c’était ça, à la base. La réponse comme celle que tout le monde s’attend à entendre, celle où tu cites un souvenir de ton fils, un beau, un doux, un rire, juste un. C’était la réponse où on allait chercher la sympathie du public et où on s’assurait d’un coup d’œil circulaire à la foule de conifères et de buissons qui craquent lorsque tu te lèves que tout ça n’a fait que te rappeler à quel point tu étais bien, à son chevet, avec lui, pas lui, l’autre lui. C’est pas ce qu’il faut dire là, tu t’emmêles les doigts et les pieds et pourquoi tu avances et pourquoi tes orteils n’arrêtent pas et pourquoi tu le regardes comme ça et – pourquoi quoi?

Ça fait pas de sens, mais ça en fait. Compris. Me dis pas quand. Je suis juste là. Ici on respire.

On respire la fumée, on respire le papier, celui que je garde trop longtemps entre mes doigts, celui qui brûle et qui pique et qui blesse, que je ne sens pas. Celui où les lettres sont écrites à l’encre ou au plomb ou au sang – très drôle – ou à la pensée, ou toutes ces réponses, aucune. Le papier que je n’arrive pas à lâcher, que je ne veux pas lâcher. Le paradoxe des parallèles, l’épée et Damoclès avec. L’œuf et la poule et qui a le plus mal, ici ? Le lac qui ne dit rien ou la feuille qui crépite de tout son soûl. L’oiseau qui vient de se poser curieusement paisible sur sa branche ou la gamine qui est en train de se calciner le bout de l’index et le revers du pouce rien que pour sentir quelque chose, n’importe quoi. Bennett qui me fait l’impression d’être bien plus grand, bien plus haut, bien plus fort que dans mes souvenirs. Les miettes de papier s’enflamment et s'évaporent, volent un peu d’empreintes digitales avec elles. Une preuve de plus que j’existais, j’imagine. T’as parlé au passé. C’était prémédité. Ça.
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Message(#)loose leaves been blooming into muted motion (ginnett #8) - Page 2 EmptyMar 1 Juin 2021 - 23:27

Là, immédiatement, dans cette seconde éphémère et précise, il la détestait de se brûler autant qu’il détestait le feu, autant qu’il vénérait le feu, autant que la terre en lui voulait gueuler qu’elle n’avait pas le droit, et ce n’était pas vrai, parce que c’est égoïste de se brûler quand on a un Noah malade, alors elle a le droit, c’est ça toute la leçon, ce serait pas l’heure de renier, j’en ai marre de réfléchir tout seul j’ai une fournaise à la place du crâne et je viens pas ici pour ça d’habitude, laisse m’y, lacets, lassés. Un jour je t’expliquerai. Soyons sérieux, ça ne s’écrit pas. Elle n’irait pas jusqu’au bout. Elle ne comprendrait pas, ça n’existait pas ailleurs que dans sa tête. Un jour il en ferait un bouquin, peut-être, pour qu’on ne croie pas qu’il était fou. Bennett Giller, fou à lier, 1983 – ????. Mais par-delà les vagues et le reflux d’un univers qu’il devinait soit obscur et hermétique, soit absence d’univers, il doutait qu’être pris pour un fou lui importe encore à ce moment-là. (Tic.) (Tic.) C’est pourtant tellement simple. Il essaye d’appliquer, il se démène, il laisse du moult, arrange, pétrit, périt un peu. La règle, elle est pas compliquée pour sortir du merdier. Tu dois faire ce que tu veux. Ses piètres paroles lui reviennent dans la figure avec l’amertume d’une mauvaise copie. Oh, c’est simple, n’est-ce pas qu’on avait pas besoin de Bennett pour dévoiler au monde les droits de l’homme et la pimpante liberté… L’objection le fait hausser des épaules. Les gens ici n’ont jamais compris ce que ça voulait dire d’être libre. Trop occupés à confectionner des bouquets de roses et d’œillets pour des vases qui ne les remercieront pas, ils marchent au bonheur de là où on les pousse, ils prennent toutes les décisions de leur vie comme s’il s’agissait de décider du nombre de sucres dans leur café, et ils ne regardent en eux que flétris par les années et mordus de la peur de cesser d’exister. Tout en Bennett n’est pas qu’imbécilité et sophismes. L’investissement ridicule qu’il mettait à tenter de s’autodiagnostiquer, cette passion de ses propres tares lui donnait sur les autres déchéances que la sienne un regard éclairant que personne n’a l’air de lui reconnaître. Ce sont des jardins secrets, Bennett, tu n’es pas autorisé au-delà de la clôture. Il n’y a même pas de clôture. Les gens pensent que la brous-saille les protège, les haies d’hortensias sauvages et des anémones qui ne piquent pas. Ils n’ont pas choisi leurs fleurs ; ils ne sortent jamais, ils sont devant la télévision et la télévision est un rêve de quotidien monotone et sans ronces. Bennett connaît son jardin. Il a respiré toutes les fleurs, en connaît chaque nuance enluminée, chaque senteur qui donne envie d’y rester ; il sait celles dont les racines diffusent le mal pour affaiblir la concurrence, celles qui se cachent au tout-venant, celles qui haïssent grandir et qui voudraient trouver une raison de mort. Alors, quand dans le monde ordinaire ce qui ressemble à de la colère le saisit, il sait que ce sont les odeurs de nénuphars qui se superposent avec trop de vivacité qui le poussent à la faute ; quand le plaisir devient son moteur, alors les anémones confondantes se hissent au-dessus de la mêlée, tendent des bras familiers, rivalisent de couleur dans l’herbe noire et noire. Ceux qui ne connaissent pas leur serre et ne sont pas prêts à y reconnaître les déterminants de leur vie s’agitent comme des truites sur le sable, dans une existence qu’ils ne comprennent pas. Elle leur vient dessus comme un train en marche ; essayent de trouver un siège confortable plutôt que d’en consulter les arrêts. Tu dois faire ce que tu veux, par pitié, te laisse pas avoir, faut sortir du gravier, faut épouser la terre. Connaître le jardin et la destinée de chaque fleur. Savoir où elles mènent. Le sachant, choisir. La vulgarité d’un avis extérieur ou d’une recommandation, d’un pré-jugé, sont interdites ici. Ayant la connaissance parfaite des pétales qui faisaient que Ginny n’était pas Bennett, elle devrait faire très exactement ce qu’elle voulait, et rien d’autre, jamais rien d’autre, jamais ce que les autres ordonnaient, jamais des bouquets pour les autres. Les esclaves fascinent Bennett et le terrifient. L’ignorance aussi. La liberté, chez Bennett, c’était un fond un concept assez trouble qui l’empêchait d’intervenir trop profondément dans la vie des autres, de peur de confondre deux jardins dissemblables ; la liberté était cette hauteur radicale qui ne connaissait pas la souffrance, qui était au-dessus de la souffrance, et qui choisissait de cueillir les fleurs radioactives dans un vase au milieu du salon, ou de d’essayer d’en faire autre chose, de ne pas fuir cet abîme qui prenait les traits d’un éden.
Libre, Ginny ne l’était assurément pas, lorsqu’elle choisissait d’abreuver le dahlia rose qui la guiderait, un jour, sur un chemin qui ressemblerait à une fin. (Le dahlia est le plus beau, il éclate et il rayonne, il demande à ce qu’on l’offre et il a l’air si triste et si heureux quand d’autres poussent plus haut que lui.) (C’est tellement tentant, hein Ginny, d’y prendre les pétales tant qu’ils étaient encore bons à quelque chose, et d’en nourrir une autre étoile. On toquerait au jardin, tu le cueillerais, tu le donnerais, si c’était Noah.) (Chemin de fin.) Le suicide révoltait Bennett. Moralisateur, impropre à parler, il s’en fout. Complètement. Le fait que le suicide révoltait Bennett était peut-être issu de la meilleure fleur qu’il avait en lui. (Si tu y croyais, à tes fables, tu t’en fou-trais bien de quitter l’histoire.) Bennett n’a pas de mal à empêcher qu’on passe devant lui à la caisse, à juger un cadeau médiocre, à raisonner en fonction de ses intérêts. Si elle lui avait fait de la peine, c’était par réflexe et atavisme, la terre du jardin est la même pour tous, il a pas choisi. La vraie tristesse est ailleurs, il ne plaint personne, il s’apitoie pour la liberté et la force et le courage, il, il, il ; arrivera trop tard, cela va de soi. (Chacun pour soi. J’y crois. Il croit aussi à l’amitié, à la fidélité, à la gratuité de l’aide ; mais quand on lui demande de sauver les gens, un gouffre énorme et vide semble s’élargir brusquement entre lui et les autres, il est immobile, il ne peut pas bouger, il laisse tomber, tomber, il est incapable de faire un geste, il est complice de la mort.) Quand toutes les fleurs de l’égoïsme sont soigneusement cultivées par Bennett ; l’idée d’un corps et du douzième étage lui prend les nerfs et la liberté et les chi-mères, lui souffle avec son haleine arctique qu’on aurait dû éviter ça. Qu’il aurait dû éviter ça.
Ouais, ton dahlia.

Sur le cygne qui brûle, une espérance au crayon à papier flotte dans son incendie minimal. Bennett apporte l’espérance. Apparemment, il est le seul ici à en avoir quelque chose à foutre, de la vie, de l’air bleu qui est noir, de la glèbe sèche et dure. (Faux, il est injuste, il le sait, ou il ne le sait pas.) Bennett refuse l’au-delà. Elle est bête à pleurer de pas savoir lui dire ce qu’il devait faire pour que ça s’arrête, elle devait savoir, c’était son rôle à elle, elle gardait jalousement son texte, elle se condamnait toute seule, elle ne voulait pas d’aide, ça tombe bien il ne peut pas lui en donner, sa révolte est insensée, sa révolte ne bouge pas, elle est froide et inoffensive comme le délavé orange au-dessus du briquet. (Cette conversation… avait déjà eu lieu, non ?) (Bennett a toujours été quelqu’un d’obsessionnel – et les convictions se forgent par répétition.) Il aurait préféré qu’elle crie ou qu’elle le frappe, qu’elle se révolte, qu’elle parle fort ou qu’elle se jette dans le lac. C’était très détestable, de se tenir là et de jouer un petit jeu mignon comme ça, de… d’être là… d’accepter… de – C’était très détestable de souffrir. Le nombre des solutions est restreint. Cette haine qui n’avait rien de personnel, mais qui prenait Ginny comme objet abstrait et contingent, en était une, et ce n’était pas de la haine, enfin on a pour habitude de conspuer la négativité à en oublier qu’elle est le cœur. (Il se comprend.) (Il est bien le seul.) Ça ne ferait rien de bien à Ginny de savoir ce que pensait son pseudo-saveur – ce titre par ailleurs gagné dans le silence. La haine, la compassion, l’indifférence, le secours. Peut-être que la souffrance dégoutait tout simplement Bennett, comme un lambeau de chair puante, et qu’il sentirait, au lieu de tristesse, une colère démente, à la vision du corps rapiécé d’un garçon qu’il ne connaît pas. Peut-être que ce qui rendait impossible la posture de Bennett face à Ginny, était l’ire remplaçant la tristesse ; partout où s’imposait le respect silencieux, émergeait l’intolérance furieuse, la monarchie, la coercition, l’envie de faire plier la souffrance comme n’importe quelle émotion ou n’importe quel être. (Je hais cette douleur, je ne m’agenouille pas, je ne la cajole pas, je ne lui demande pas des remboursements, je la hais en tout et pour tout, ce qu’elle touche avec, elle touche tout, elle touche tout, merde à elle et au reste aussi.) Inversion accusatoire, Bennett. Qui penses-tu duper ? Quelle espèce de bien peut-on espérer d’un être qui nie aux autres la possibilité d’être habité par les mêmes forces de mort que toi ? Je ne suis pas une force de mort, j’ai changé, on ne parle pas de moi, et moi j’ai tout pris, je ne mourrai jamais, je veux juste voir. (Répète.) (Je…) Il ne voulait pas y retourner. Il ne voulait pas avoir envie de mettre sa main dans la cheminée et avoir les yeux vitreux comme elle. Il ne voulait pas finir au bord d’un lac avec de la douleur injustifiée. Il ne voulait pas finir au fond d’un lac. Il ne voulait pas qu’on lise en lui tous les lacs et les immeubles qui restaient, au cas où. Il ne voulait pas que Ginny pense qu’il comprenait, ni mentir en affirmant qu’il ne comprenait pas, ni trahir en pré-tendant comprendre, ni… – Samsonvale, réceptacle de ses idées noires et blanches, souffle avec douceur sur les édifices à feu et à sang qui s’accrochent, voguant mystérieusement, à atteindre l’Amérique. De l’autre côté. Arrête, arrête, arrête de te brûler, arrête ! Et tu es bien le seul qui peut enlever des lames de leurs mains, pas pour eux, mais pour toi. (Tout est immobile, à part les ombres mourantes qui peignent sur l’eau des explosions silencieuses.) Et tout ce qui l’éloignait des gens comme ça, le garde assis sans bouger. Ce qu’elle prend de lui, la structure, la pesanteur, n’existe qu’à cause du mal lui-même. Il ne rompt cependant pas l’illusion. Pour qu’il lui explique, il faudrait qu’il y retourne. Mais est-ce qu’il en est sorti ?
On le taxerait de cruauté – lui au moins n’agite pas des confiseries en l’air pour attirer le beau temps ou les temps de la beauté. Pas de message d’espoir sur le radeau pacifique. Il a passé l’âge, il attend que les tourments se bonifient. Ça reviendra, écrivent les cendres à la surface d’un abîme sans esprit. Je n’oublie pas, ni le début, ni la fin, le milieu m’emprisonne ; son énième mutisme est une énième omission. Vivre avec le ver. C’est qu’une seule option. Non, c’est la seule.
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Message(#)loose leaves been blooming into muted motion (ginnett #8) - Page 2 EmptyVen 4 Juin 2021 - 4:42

L’odeur de la chair qui brûle sent drôlement le tilleul. Les miettes d’étincelles de papier grillé se perdent parfaitement aux acacias. Et je laisse aller, laisse couler ça rime, c’est dans le thème, y’a rien que j’aime. Les éclats se transforment en poussière et la poussière part comme une preuve au vent et il ne vente même pas, aviez-vous remarqué? Pas moi. Dans la commotion je pense qu’à un moment je me suis levée, suis allée le rejoindre, ai snobé Redcliffe et la ville en entier ou juste l’hôpital ou juste la nationale ou juste mon téléphone qui meurt sur son siège passager comme l’ombre du papier fait pareil dans la trace du jour qui n’est même pas encore certain de vouloir devenir une nuit. Il n’a pas écrit quelque chose pour faire comme si, Bennett. Avoir confiance en lui va au-delà de simplement lui donner le droit d’utiliser les crayons et les feuilles qu’il avait lui-même emballés pour peut-être justement faire exactement la même qu’aujourd’hui. Demain. Seul. Il l’a déjà fait ou c’est la première fois? Ce serait ce que je me demanderais, ce que je lui demanderais même, si j’avais autre priorité que celle qui consiste à fixer les restes de ma confession servir de lueur étiolée. Ça pique, ça chauffe, ça noircit, ça pique encore. Si une seconde passe sans que rien ne change la suivante vient avant son battement de cœur qui tape jusque dans mes tempes, la morsure qui passe de mon index à mon pouce à l’arrière de mon crâne, qui repart fort, si fort, éphémère. De l’autre côté de la rive personne ne verra qu’il y a une flamme qui s’adonne à faire ce que je n’aurai jamais l’étoffe d’oser essayer : elle survit. Elle survit sans vent et sans ennemis, elle survit toute seule parce qu’elle l’a décidé et que ce ne sera certainement pas la chair de quelqu’un qui tremble pour tout sauf pour ça qui l’empêchera de venir à terme. De laisser son sillage en guide d’épiderme rougie et de cicatrices qui disparaîtront peut-être comme ses mots à lui, comme les miens. Jamais. Je le sais autant que mes doigts. Jamais elles partiront les marques, elles ne font que creuser leur place, s’assurer que les racines à mes pieds ont l’air de parfaits passages pour qu’on entre sous terre sans jamais penser pouvoir y rester.

L’odeur de la chair qui brûle sent drôlement le tilleul. Et Bennett sent la cigarette. J’ignore ce qu’il regarde au loin mais je regarde aussi. Probablement qu’il a remarqué qu’on ne voyait pas nos reflets sur l’eau. Alors il vise ailleurs. Visons. C’est une histoire d'angles de lune ou de soleil, d’étoiles ou de planètes. De proportions, d’échelle et de calculs mathématiques. Ou alors c’est simplement parce qu’on n’est pas là, qu’on n’est pas ici. Qu’il est resté à Toowong et que je ne suis même pas en Australie. On n’arrive pas à se voir sur la nappe limpide et la seule chose que je vois, c’est un miroir difforme d’une fumée de carbone qui tombe et qui tombe encore, la gravité l’ignore. Je ne sais pas pourquoi je voulais une preuve. J’ignore pourquoi j’y tenais si fort, il y a à peine un monde de ça à avoir la confirmation qu’on est bel et bien ici, que j’ai enfin mis le pied hors de là-bas. C’est pas la peine d’avoir un témoignage quand il sert d’alibi, c’est pas justifiable de vouloir un accusé de réception quand il n’y a pas de mains pour le recevoir. J’imagine que c’est ce qui arrive lorsqu'on est partout et nulle part à la fois. Qu’on n’a pas de reflet sur le lac et qu’on est perdus entre les arbres, qu’on n’a aucun parfum sauf celui de la fumée de son côté comme du mien. J’imagine que c’est ce qui arrive quand on est des visiteurs de musée et qu’on troque la liberté pour un aller sans retour à l’autre bout du monde parce que ce n’est que là qu’on est bien, qu’on se sent comme il faut l’être quand personne ne regarde. Personne ne nous voit, même pas nous-même.

Ressentir, d’ailleurs. C’est bizarre ça. C’est bizarre parce que le papier n’est plus. C’est bizarre parce que ce sont ses doigts que ma main a trouvés, celle qui pétille et qui grésille et qui pétillait et qui grésillait. Celle qui est sensible, celle qui ne l’est visiblement pas, celle qui devrait faire mal, celle qui est nocive, celle qui abdique. Pas moi. Seul ? Pas lui. Celle avec les doigts qui font des nœuds, celle qui s’immisce entre comme si elle en avait le droit. Celle qui m’envoie une décharge et une autre contre sa peau glacée, la mienne brûlée. C’est bizarre parce que ça fait mal, parce qu’elle est là la tension, qu’elle prend sa place pour de bon dès lors que mes phalanges font de même entre les siennes. Et une suite d’actions et de réactions en chaîne qui blessent plus que tout le reste, des rappels et de mémentos, de post-it collés de l’autre côté des berges pour ceux qui s’y rendront. Seuls. Me retenir à sa paume fait ironiquement mal, mais c’est signe qu’ironie ou non je ressens enfin quelque chose. Peu importe ce que ça peut bien être.
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