☽ début février 2015. Cela faisait à peine plus d’un mois que Joy avait rejoint le programme qu’offrait l’hôpital de Brisbane pour les nouveaux internes en chirurgie. La brune commençait tout doucement à connaître les recoins de l’hôpital. Elle avait fait plusieurs stages ici mais aussi dans des cliniques privées. En tout cas, elle connaissait bien cet hôpital et elle était heureuse d’intégrer enfin cette équipe. Elle devait se faire toute petite, observer, être à l’affût et ne pas faire d’erreurs. Elle ne voulait pas gâcher cette chance. Elle voulait être la meilleure, elle avait le soutien de son meilleure ami, de sa sœur Lya, et des Reed. Tout le monde était fier d’elle et du parcours qu’elle avait fait, elle revenait de loin et pourtant cette année, elle commençait enfin son internat…

L’interne devait être un pion qui se balade de service en service pour se perfectionner et trouver sa spécialité. Cela faisait trois semaines, autant dire depuis pratiquement son arrivée que la jeune femme suivait un jeune patient avec le Dr. Iaroslavtsev - un nom impossible à prononcer mais des yeux tout aussi impossible à oublier. La brune admirait énormément son travail, et elle avait navigué entre le service orthopédique du chirurgien, celui des chirurgie générale et pédiatrique également. Toutes ces journées avaient été passionnantes, et cela ne faisait même pas quelques semaines qu’elle était là. La brune s’exécuta à la moindre consigne, elle ne voulait rien rater, Joy avait tellement changé en presque dix ans… Joy suivit les prérogatives du médecin qui était particulièrement touché par l’histoire de cet enfant. C’était pourtant le soir de l’opération, une opération imprévue qui finit par mal se terminer. Joy était également au bloc en observation encore quand le Dr. Iaroslavtsev annonça l’heure du décès, elle en était toute bouleversée. C’était le premier patient dont elle observait la mort, l’échec… L’interne avait l’estomac tout retourné et elle quitta le bloc en soupirant, triste pour cette famille, pour cette maman. D’ailleurs, lorsqu’il dût annoncer la mort de l’enfant, Joy se tenait dans le couloir, observant la famille à travers la vitre. L’interne avait l’impression de revivre la scène qui lui avait longtemps tourmenté l’esprit - celle quand on lui avait annoncé que Tommy était mort. “Je suis désolé, Tommy n’a pas survécu, son cœur était trop fragile, il est décédé.” - car les médecins sont obligés de dire les mots : mort ou décès, ils n’ont pas le choix, sinon la famille n’arrive pas à assimiler l’idée de perdre quelqu’un de cher. L’interne observa donc cette scène de loin, le cœur en miettes. C’en était trop pour elle, de toute façon, elle en avait fini pour son service, et un bon gros dodo ne lui ferait pas de mal. La brune s’était rapidement changée, avait détaché ses cheveux, qui à cette époque étaient encore assez longs. Son sac sur l’épaule, elle était sur le point de partir. « Je sais que tu m'as déjà refusé un dîner … mais est-ce que tu pourrais aujourd'hui faire une exception et accepter mon invitation à … prendre un café? En face ? »  Joy se fit surprendre par le chirurgien. Elle fronçait des sourcils alors qu’elle continuait à marcher à ses côtés, vers la sortie. Elle était prête à refuser. « S'il te plaît. Après un service comme celui-ci je ne suis pas encore prêt à retourner à la réalité.» Joy tourna son visage pour croiser le regard de ce médecin. Il semblait fatigué, et rongé par la nuit qui venait de se passer. Elle aussi, cette histoire l’avait chamboulée.   « Très bien. Un - café alors. » dit-elle en assistant sur le “un” et car au final, elle ne dirait jamais non à du café, elle en était bien trop fan, et alors que le jour se levait et s’imposait sur la ville, cela ne lui ferait pas de mal de retrouver ce goût en bouche. Aiden et elle franchirent alors la porte de ce café et commandèrent leur boisson avant de se retrouver en terrasse, le soleil encore léger qui tapait sur leur visage. « C’est le premier patient dont je suis le cas que je perds… Cela fait toujours ça ? » dit-elle alors en s’installant à la terrasse, alors que ce n’était pas réellement elle qui avait opéré, mais tout de même, ce n’était pas rien. « Je veux dire… j’ai l’impression d’avoir perdu une partie de moi. » avoua-t-elle en soupirant, elle leva la tête pour croiser le regard du chirurgien, tentant de faire comme si tout était normal alors qu’au fond d’elle, elle était très gênée de se retrouver en tête à tête face à lui… Et impressionnée, cela va de soi.

☽ début février 2015. Depuis qu’elle était arrivée à l’hôpital, elle avait bien senti le regard insistant que lui portait Aiden. L’interne s’était surprise à lui sourire au détour d’un couloir, mais elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas débarquer à l’hôpital et sortir avec l’un des chirurgiens les plus respectés de la ville, voire même de l’Etat. La brune se mettait des barrières car depuis qu’elle était sortie du centre en 2009, elle restait concentrée sur ses études, son travail, son objectif. Elle avait, pour une fois, envie de réussir. Elle ne pouvait pas laisser une relation s’immiscer dans sa vie, et tout bouleversait. Elle arrivait toujours à contenir sa vie, entre le loyer, des relations saines, du sport, bref elle menait une vie tout à fait banale et qui devait rester de la sorte. Pourtant, il était là face à elle, mi-timide mi-charmeur et elle se demandait pourquoi elle avait accepté ce café. Et si quelqu’un de l’hôpital passait par là et les voyait ? Qu’est ce que l’on dirait d’elle ? Qu’elle profite de lui ? Probablement. Et elle en avait eu assez d’avoir l’image d’une mauvaise graine, c’était derrière elle tout ça.

« Je suis désolé.»  Joy était à l’hôpital depuis quelques semaines, elle avait assisté à quelques opérations mais c’était le premier cas qu’elle suivait du début à la fin et qui terminait par un décès. C’était quelque peu perturbant pour la brune, et elle se demandait si c’était à chaque fois pareil. «Je ne suis pas certain que tu aies envie d'entendre la vérité. Mais oui, perdre un patient fait toujours cet effet. On ne s'y habitue pas, on ne s'y habitue jamais … à vrai dire, on ne devrait jamais s'y habituer. Si un doc te dit que ça ne lui fait rien du tout, c'est un ramassis de conneries. Les patients qu'on perd, ils restent toujours dans un coin de notre esprit. Il faut juste veiller à ce qu'ils ne nous hantent pas. Ils nous accompagnent, nous forment mais ne nous hantent pas.» Joy écoutait Aiden, il avait beaucoup plus d’expériences qu’elle mais elle n’était pas sûre que c’était une bonne chose de lui demander des conseils de la sorte maintenant. Après tout il lui avait demandé de venir boire un café pour se changer les idées, et elle, elle ne faisait que remuer le couteau dans la plaie…« Adam McCallister - le premier d’une liste dont je ferais tout mon possible pour qu’elle reste très courte…» dit-elle avec un sourire presque triste au visage. Elle se voulait déjà ambitieuse. « Quant au premier, tu ne l'oublieras jamais.»  Elle acquiesça, c’était évident, et Joy comptait n’oublier aucun de ses patients, avec leurs histoires, avec leurs peines et leurs douleurs. Joy était faite pour ce métier, elle avait fini par le comprendre.  «On ne peut pas sauver tout le monde … qu'on le veuille ou non, nous ne sommes pas des Dieux.» Aiden avait cette voix posée et cette aura qui faisait que tout le monde se taisait quand il parlait. D’ailleurs, c’était exactement ce que Joy faisait, elle n’osait presque pas lui répondre pour ne pas briser cette sagesse. « Tu sais pourtant que tout le monde te prend pour un Dieu.»  dit-elle alors afin de couper de cette conversation un peu trop sérieuse après une opération aussi longue. Joy souffla tout doucement sur son café avant de se risquer à en boire une gorgée, elle leva le regard vers lui pour lui montrer son petit sourire en coin, bon, elle tentait de le taquiner. C’était nouveau. C’était… bizarre, mais c’était bien de ressentir ça, elle avait l’impression de toucher le feu, et bientôt, peut-être elle s’en brûlerait les ailes.

☽ début février 2015. Joy était remplie d’espoirs. Elle avait tellement de bagages sur son dos, un passé qui la tourmentait qu’elle avait enfin décidé de s’en sortir. Rien ne changerait cette volonté. La brune était pourtant perturbée par cet homme, et quel homme ! C’était le chirurgien dont tout le monde parlait, il était vu comme un Dieu par ses paires et Joy avait été si heureuse d’apprendre qu’elle pourrait suivre ses consultations. Elle arrivait à peine qu’elle était déjà dans son équipe pour suivre ses habitudes, et même ses prouesses. Cette fois-ci, l’histoire du patient ne s’était pas terminée comme voulu, et elle se demandait si cette sensation de perdre un patient était aussi forte à chaque fois. Elle comprenait que oui, Aiden le disait à demi-mots, sûrement pour ne pas l’effrayer mais l’interne comprenait que ce n’était que le début d’une longue route sinueuse. Ce métier ne serait pas facile mais elle savait pourquoi elle avait signé. Toutefois, on l’avait prévenu de savoir apprécier les break quand ils se présentaient, un repas entre amis, un anniversaire, un café avec un collègue… Alors, elle tentait de chasser ces idées, ces questions, et tenter d’être la Joy du quotidien, celle qui ne travaillait pas au St Vincent’s Hospital. « Aha, c'est ce qu'on dit de moi alors ?»Elle le regardait faire, presque trop impressionnée par lui, elle ne savait pas ce qu’elle venait de dire… était-elle allée trop loin ?  « Tout le monde, vraiment tout le monde ?» Et le regard qu’il posa sur elle à cet instant lui coupa le souffle, et la chique par la même occasion. Elle était incapable de dire quoique ce soit, il avait bien trop d’emprise sur elle. « Euh-» Impossible de prononcer un mot.    « Moi, je suis plutôt intéressé pour savoir ce que, toi, tu penses de moi … pour préciser avec autant d'effort que tu ne m'accordes qu'un café.» Elle fut presque gênée quand il dit ces mots.  « Non, ça ne m'a pas échappé.» Elle baissa la tête, c’était bien trop difficile de soutenir le regard quand il la regardait de la sorte, un sourire timide s’afficha sur son visage. Elle voulait être celle qui tenait les rennes mais elle n’en était clairement pas capable. « Je pense que tu as mieux à faire après une opération aussi longue et intense que de t’enfiler des cafés en compagnie d’une interne, non ?» dit-elle afin de se dégager de toutes responsabilités. Et puis, elle voulait lui rappeler qu’elle n’était qu’une interne, pourquoi devrait-il poser ses yeux sur elle ? Cela n’avait pas de sens. Elle n’était rien ni personne, Joy était en train de se faire des idées. Ces regards, ces sourires, Aiden était juste comme ça. C’était un homme chaleureux et bienveillant, et Joy n’avait rien de spécial. Elle s’était montée la tête, c’était sûr et c’était ce qu’elle voulait souligner dans ce qu’elle venait de lui répondre.

☽ début février 2015. Bien sûr que Joy était pudique, déjà en temps normal la brune n’était pas réellement expressive. Elle n’était pas vue comme une femme chaleureuse et avenante. L’interne était une femme au passé lourd qui fasait qu’elle montrait rarement ses émotions, c’était une façon de se protéger. Et quand il lui demanda alors ce qu’elle pensait réellement de lui, elle sentit ses joues se rosir, ses yeux se baisser, et son sourire devenir timide. Elle finit par prendre une grande inspiration pour lui dire qu’elle ne pensait pas qu’il soit intéressé à passer des heures avec elle, la nouvelle petite interne qui n’avait aucune carrière derrière elle. « Oh ! Non, je n'ai pas invité l'interne, j'ai invité Joy.»  Elle fronçait des sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir. «J'aurais sans doute dû faire la précision. Désolé.»  Elle l’interrogea du regard avant de prendre une nouvelle gorgée de son café, peut-être une manière pour elle de s’occuper les mains. « J'ai envie de connaître la vraie Joy, pas celle en blouse blanche qui fait son internat … pas qu'elle ne m'intéresse pas cette Joy, disons qu'elle m'intéresse moins.»  Et voilà. Encore une fois, elle rougit. La brune ne savait plus où se mettre, ou bien alors elle se faisait des idées ou bien Aiden tentait juste de se montrer amical et bienveillant. Elle avait tellement peur de mal interpréter les signes… Elle n’avait pas l’habitude de tout ça. « Mais la vraie Joy est celle en blouse blanche. Je n’ai pas grand chose d’autre à partager»  dit-elle doucement, toujours ce sourire timide aux lèvres. En réalité, la brune en avait des choses à raconter mais rien dont elle était fière, c’étaient seulement des choses qu’elle voulait mettre derrière elle. Elle l’imita en se remettant en arrière, contre le dossier de la chaise. « Joy et Aiden, qui s'prennent juste un café après une journée de boulot. Ok ?»  Elle acquiesçait avant de perdre son regard dans celui d’Aiden. Elle n’arrivait pas à le cerner complètement. Était-il ce gentleman dont tout le monde parlait ? Ce chirurgien altruiste, bienveillant qui ne voulait qu’être amical et chaleureux avec tout le monde… Ou était-il en train de clairement flirter avec elle ? Imaginez si elle interprétait mal tout ça, et qu’elle se prenait un vent de la part du médecin. Elle ne pourrait plus le regarder dans les yeux ensuite, cela serait terriblement gênant. « Une nuit de boulot»  rectifia-t-elle avant de sourire.  « Ne serais-tu pas mieux au fond de ton lit d’ailleurs ?» lança-t-elle donc pour rebondir, cherchait-elle à pousser leur conversation, à être sûre que les signaux qu’elle comprenait étaient les bons ? Très probablement. Elle n’avait pas envie de se rater sur ce coup-là.

☽ début février 2015. Joy ne parlait jamais de son passé, elle gardait tout ça pour elle. La perte de son jumeau, les disputes avec ses parents, le lien déchiré avec sa sœur, son année internée dans un centre de redressement, cette impression de vivre en boucle l’abandon de ses proches… C’étaient des choses qu’elle gardait toujours en elle. Très peu de personnes étaient au courant de tout ce qu’elle avait pu traverser. La jeune femme était maintenant sur la voie de la réussite, elle ne laisserait rien l’empêcher de s’en sortir et d’atteindre ses rêves. La brune était si heureuse d’avoir pu intégrer le programme de l’hôpital de la ville, elle pouvait enfin commencer à rentrer au bloc et voir les meilleurs exercer. D’ailleurs, se retrouver en tête à tête face au jeune chirurgien qui était déjà réputé malgré son jeune âge.  « On dit toujours ça au début.» La jeune femme tiqua légèrement, un sourcil levé, elle s’interrogeait sur le réel sens de cette réponse. La jeune interne était impressionnée d’être face à lui, se demandant ce qu’il pouvait lui trouver. Elle commençait à peine son internat au sein de l’hôpital, elle ne savait pas encore la spécialité qu’elle allait choisir, elle était un nouveau né pour lui. Et pourtant, il s’étonna de sa question comme si elle n’était pas légitime.  « Est-ce que c'est si fou que cela que je veuille apprendre à te connaître ?» Elle rangea une mèche de cheveux derrière son oreille, presque gênée qu’il la reprenne de la sorte, et pourtant elle se posait réellement la question. Elle était prête à étayer ses propos mais le médecin reprit très vite : « Je sais exactement ce que je fais, Joy. Si je t'invite à prendre un café, c'est parce que c'est exactement ce que je veux faire en ce moment précis. Il va falloir t'y faire.» Elle tenait son café entre ses mains comme si sa vie en dépendait. Elle vit son sourire charmeur, et ça la fit sourire, encore gênée de le voir aussi sûr de lui en ce qui la concernait. Elle serait pourtant la première à dire qu’il n’y avait rien d’intéressant chez elle.  « On est OK là-dessus ?» Elle hocha la tête, peu sûre d’elle. « J’ai le droit de me poser des questions, non ?» dit-elle, elle arrivait enfin à en placer une. « Je ne pensais pas que tu pouvais t’intéresser à une simple interne.»  finit-elle par ajouter, osant soutenir le regard et se plonger dans ses yeux bleus/verts, un regard qui la déstabilisait maintenant qu’elle prenait le temps de s’y attarder… Elle porta alors vite son gobelet à la bouche, une manière pour elle de couper cette étrange connexion qui était en train de se tisser entre eux. Elle finit son café, cette boisson qui lui permettait d’occuper ses mains et de ne pas paraître trop ridicule face à lui. « Tu habites dans le coin ?»Oh mon dieu - pourquoi avait-elle demandé ça ?« Enfin- je suis venue à pieds donc si tu veux on peut aller marcher…» elle se reprit assez vite, réalisant que la question précédente pouvait porter à confusion. Elle n’était pas le genre à s’inviter chez les gens, ou à coucher le premier soir (-ou première matinée pour le coup). La brune suggérait simplement qu’ils pouvaient faire le chemin ensemble. Elle venait tout juste d'emménager dans un petit appartement, non loin de l'hôpital, afin de ne pas avoir de trajets trop longs après des gardes insoutenables…

☽ début février 2015. Cela faisait quelque temps que la demoiselle ne se concentrait plus sur ses histoires d’amour. La faculté de médecine demandait beaucoup d’investissement, et depuis qu’elle avait trouvé sa voie elle ne voulait pas se planter. Fraîchement interne, elle ne comptait pas tout foutre en l’air pour une histoire d’amour. Toutefois, elle ne s’attendait pas à ce qu’un chirurgien déjà bien en place comme Aiden puisse s’intéresser à elle. Il était encore jeune mais déjà prometteur, il deviendrait bientôt une grande star de l’hôpital et Joy serait aussi sous les projecteurs sans le vouloir. Elle se posait donc des questions même si Aiden semblait vouloir que Joy pose sa casquette d’interne. Ils n’étaient plus au sein de l’hôpital, ils partageaient un café après une longue nuit de boulot et Aiden avait envie de décrocher. Elle pouvait le comprendre même si ce n’était pas si facile pour elle de l’accepter.  « A croire que je suis un homme plein de surprises. » Elle se pinça la lèvre, un sourire mi-timide mi-flatté au visage. La brune était assez intimidée par cet homme face à elle, surtout qu’elle n’était pas dans une optique de chercher l’amour ces derniers temps. Pourtant, cette conversation, ce rendez-vous improvisé, son regard, sa bouche, ses paroles, tout portait à croire que le cœur de la brune s’emballait, et avec raisons…

En finissant son café, elle se rendit compte que le temps du café était terminé et ils ne pouvaient pas s’éterniser ici après avoir passé la nuit à travailler. Maladroitement, l’interne tentait de lui proposer de prolonger ce moment le temps d’une balade…  « Je me suis trouvé un petit quelque chose en dehors de la ville. » La jeune femme hocha de la tête, cela ne serait donc probablement pas pratique pour lui de la raccompagner à pied, il y perdrait plus de temps qu’autre chose, mais -  « Avec plaisir ! » Il avala ce qui lui restait de son café, prêt à partir. Elle n’eut même pas le temps de lui demander s’il était sûr que ça ne le dérangeait pas… Les jeunes gens se levèrent pour rejoindre le trottoir et se mettre à marcher, elle vivait à deux blocs d’ici.  « Mais du coup, ça veut dire que tu es d'accord pour me parler un peu plus de toi … ?  » Il vint la bousculer légèrement d’un coup de coude, et elle sentit ses joues rougir instantanément.  « Si tu n’as pas peur que je t’endorme, je peux m’y risquer. » finit-elle par dire, baissant la garde qu’elle avait jusqu’ici brandi devant lui. « Je te le dis tout de suite, c'est pas mon genre normalement d'être aussi insistant … mais entre toi et moi, y'a un truc. Est-ce que je suis seul à le voir ? » Peut-être qu’il n’avait pas l’habitude de s’adresser à une femme mais en tout cas, on ne pouvait pas lui reprocher de tourner autour du pot. La brune eut un léger rire qui s’échappa de ses lèvres, mais tout en marchant, elle tourna son visage pour croiser son regard. « Euuh... » Elle était déstabilisée par cette question, qui était assez directe. L’interne sentait son cœur battre à tout rompre alors qu’ils marchaient tranquillement… Elle s’humidifia les lèvres d’un coup de langue avant de reposer son regard sur lui.  « Je pensais que je me faisais des idées. » dit-elle finalement, elle croisa les bras sous sa poitrine, c’était aussi une manière de lui faire comprendre qu’elle mettait maintenant un sens à tous ces regards, et ces sourires qu’ils s’étaient partagés ce dernier mois. La brune n’était pas folle, il n’était pas juste bienveillant et gentil face à tous ses collègues, Aiden avait bien un petit truc pour elle… L’interne était presque gênée de lui avouer ça mais maintenant, elle comprenait que l’attirance n’était pas à sens unique.

☽ début février 2015. Plus la conversation progressait, plus Joy arrivait à détacher le médecin de l’homme. Elle ne s’attendait pas à ce qu’Aiden se dévoile aussi vite, et aussi… franchement. Il ne laissait pas de place à l’implicite, ou même aux sous-entendus. La brune croisait ses bras sous la poitrine alors qu’ils avançaient tous les deux vers le petit appartement que Joy s’était dégotée pas trop loin de l’hôpital.  « J'avoue, c'est risqué après un service de nuit mais je prends le risque. »  Ils souriaient comme deux idiots, l’un à côté de l’autre, comprenant à tour de rôle que quelque chose était en train de se passer là, entre eux… une alchimie dont Joy n’aurait jamais osé imaginer avec son supérieur, pas jusqu’à aujourd’hui, pas jusqu’à maintenant qu’Aiden soit clair dans ses propos.

Joy était quelque peu chamboulée d’autant de franchise de sa part, il était direct, il ne passait pas par quatre chemins. Est-ce que c’était le fait qu’il soit plus âgé ?  plus expérimenté ? Joy ne savait pas réellement mais elle resta quelques secondes hébétée, laissant sa réponse en suspens avant de lui avouer s’être faite des idées.  « Oh … désolé de te décevoir du coup. Tu ne te fais pas des idées, Joy. Alors si jamais je t'invitais un de ces quat' pour un dîner ou quelque chose de plus … officiel … tu dirais oui ? »  Son ton était léger, presque amusé. Elle croisa son regard un instant, il avait cette assurance qui faisait qu’il ne paraissait pas hautain ou imbus de lui-même, non, ça le rendait d’autant plus attirant en réalité… Elle fixait ses lèvres un instant avant de reposer son regard dans le sien alors qu’il s’était mis à marcher à reculons, probablement pour aussi voir sa réaction. Elle se pinça les lèvres, tentant de retenir un sourire gêné.  « J’en serai flattée. »  et c’était le cas, elle en serait même plus que flattée, presque gênée et impressionnée mais c’était indéniable, elle ressentait “ce truc”, et elle voulait voir exactement ce que c’était… Ils arrivaient devant la porte de l’immeuble de la jeune femme. Elle passa son badge devant le capteur, les deux mains posées sur la porte.   « Mmh, merci de m’avoir raccompagnée, je te souhaite une… bonne nuit ? » dit-elle avec un petit sourire, amusée. En effet, les deux jeunes médecins étaient maintenant décalées et Joy allait rapidement rejoindre son lit.