L'exercice des tapis rouges était devenu un jeu. Un plaisir auquel Micah se pliait volontiers. Les occasions étaient toujours bonnes, même quand il n'avait aucun film à promouvoir. Après tout, sa vie avait sa propre stratégie marketing. Des gens étaient payés pour ça. Les yeux rivés sur lui, à la limite de la vénération, valaient bien les courbettes auxquelles il fallait parfois se réduire pour entretenir son image, jour après jour, dans les plus simples interactions du quotidien. Dans son costume Dior à la coupe ajustée, il se sentait invincible. Presque divin. Dans cette marée de flashs, ce cliquetis incessant de rafales, il était serein. Olympien. Les micros auxquels il daignait accorder quelques questions n'étaient jamais choisis au hasard. Les mains dans les poches, il lançait aux journalistes des sourires doucereux, et des réponses évasives sur les raisons de sa présence en ville. Était-ce temporaire ? Avait-il des projets ? Bien évidemment, malgré une sélection rigoureuse, il n'échappait pas aux indiscrétions sur sa situation sentimentale. Toujours rien à l'horizon, répétait-il un peu frivole. Faire croire à qui le voulait bien que l'éventualité de conquérir son cœur n'était pas tout à fait écartée n'était qu'une ruse de plus. Il apparaissait à la fois si accessible et si hors de portée. Ses yeux avaient déjà croisé ceux de Penny, si élégante et si incommodée. Accompagnée de Chloe, son chien de garde, elle ne lui avait pas adressé plus que des regards intrigués. Un peu troublés aussi, sans doute. La présence du jeune homme, sans cavalière de surcroît, ne la laissait de toute évidence pas si indifférente.

La réception, pas des plus modestes, qui suivait la projection était incontournable. Savourant sa quatrième coupe de champagne, Micah avait profité de l'invitation pour sympathiser avec les nouvelles têtes montantes du cinéma australien. Du coin de l’œil cependant, il surveillait les occupations de Penny. Rapace, il guettait la moindre fenêtre de tir que lui offrirait le départ de Chloe. Contre toute attente Penny se retira avant elle, fulminante. Il s'excusa auprès de son interlocutrice pour glisser un bras réconfortant autour des épaules de celle qui n'avait cessé de l'obséder toute la soirée. Il ne fallait pas avoir eu une alchimie pendant des années à l'écran pour remarquer qu'elle se sentait anxieuse. Presque étouffée par ce défilé de robes, de chaussures cirées et de manières affectées qu'elle avait tant affectionné autrefois. Après quelques mots rassurants, il l'escorta vers la sortie et lui proposa de la ramener chez elle. Penny n'avait pas eu besoin d'opiner pour le suivre avec une reconnaissance suspicieuse. Pour être honnête, s'il aurait été frustré d'être banni à la lisière de sa porte, Micah serait dans tous les cas resté cavalier et courtois. Sa seule arrière pensée se limitait à une simple conversation qu'il aurait aimé partager avec une personne qui avait beaucoup compté dans sa vie. Il sourit lorsqu'elle l'invita gracieusement à entrer. A sa démarche, Micah avait fini par comprendre qu'elle avait quelques coupes d'avance sur lui. Devant ses yeux incrédules, elle se délesta de ses accessoires de vedette : ces escarpins dans lesquelles elle avait l'air si inconfortable, puis les pinces qui avaient maintenu ses cheveux si impeccablement lisses en dépit du vent et de l'humidité. Elle l'interrogea enfin sur la raison de sa présence, comme l'avaient fait tous les journalistes avant elle. Micah avait cru déceler une lueur de reproche dans son ton. Sa rancune était tenace. Il ne le dirait pas, mais si c'était à refaire il choisirait encore et encore sa carrière plutôt qu'une histoire qu'elle avait été prête à assumer après des années de tergiversation. D'ailleurs, il y avait largement assez de place pour deux aspirantes étoiles à Los Angeles. « Je me serais attendu à un accueil plus chaleureux. Heureusement que les journalistes étaient contents de me voir, eux. » avait-il rétorqué en lui faisant face, sans grignoter les quelques mètres qui les séparaient encore. La question était légitime. Même inéluctable. Micah y avait réfléchi sans vraiment s'entendre sur le degré de vérité qu'il était prêt à lui concéder. Une chose était sûre : il n'avait pas encore pour projet d'aborder la maladie de son père. Ni avec Penny, ni avec quiconque. « J'ai décidé de prendre un peu de temps pour moi. Puis, paraît qu'il y a aussi de beaux projets dans le coin. Mais toi comment tu vas Penny ? Chloe est chiante à ce point pour que tu te retrouves dans cet état ? » Toujours provocateur. C'était son talent pour se dérober aux discussions trop intimes.

Les regards suspicieux balancés par-dessus l'épaule étaient devenus instinctifs. Chaque sortie était une traque, une infraction de toutes les libertés physiques et morales que Micah trouvait d'ordinaire si flatteuse. C'était la rançon de la gloire. De constamment rester sur ses gardes. D'être toujours paré à l'éventualité de finir en couverture d'un magazine calomniateur. Au cours de sa carrière, Micah avait déjà fait preuve d'une meilleure vigilance en entrant dans un appartement qui n'était pas le sien. Cette fois il avait été étourdi. Si obnubilé par la confiance que Penny lui avait accordée, en dépit de plusieurs années d'un silence impliqué, que la perspective de faire jaser la presse ne lui avait même pas effleuré l'esprit. D'ailleurs, Penny aussi l'avait habitué à plus de prudence. Que restait-il vraiment de la jeune actrice un peu pudique qui avait voulu préserver ses sentiments de l'interprétation fallacieuse de la presse ? Ses prétendus principes n'avaient-ils pas été le prétexte idéal pour enrayer le retentissement d'une rupture inéluctable ? Son rire avait semblé vibrer dans l'air, jusqu'au plafond. Puis il s'était évanoui aussi vite qu'il avait éclaté. Micah l'avait trouvé exagéré. Et un poil vexant. « J'avoue que ça m'aurait fait plaisir. Je mérite au moins ça. » avait-il rétorqué, railleur selon toute apparence. Il n'en pensait pas moins. « En fait j'ai prévenu personne que j'étais rentré. Je voulais être sûr que ce serait pas juste l'affaire de quelques jours. Ça fait des années qu'on s'est pas parlé Penny, est-ce que tu t'attendais vraiment à une annonce de ma part ? C'est pas comme si tu m'avais mis dans la confidence de tes tournages à LA. » Son amertume était palpable. Aussi profonde était son affection pour Penny, elle n'avait pas le monopole de la rancœur. Pour une semaine, un week-end ou même quelques heures, il aurait été ravi de l'accueillir dans la villa coloniale dans laquelle il avait dilapidé son premier gros cachet. De partager les quelques fruits de son ambition avec celle qui avait assisté à l'essor de sa carrière. Lui prouver que leur séparation n'avait pas été si vaine.

A son tour Micah se mit à l'aise. Il dénoua le nœud papillon qui lui serrait le cou, et ôta la veste de costume qui lui avait donné des bouffées de chaleur toute la soirée. Assise sur le canapé, Penny lui offrait un spectacle pathétique duquel il était reconnaissant. Si ses mots étaient piquants, son invitation et son attitude décontractée disaient tout l'inverse. Ses yeux de biche, d'une couleur noisette qui virait parfois au gris, luisaient toujours d'un éclat innocent. Debout devant elle, Micah ne la quittait pas du regard. Il avait l'impression étrange de ne jamais l'avoir quitté, ce visage de porcelaine. Il s'était attendu à ce qu'elle réplique farouchement. Pour tout dire, il aimait la pousser dans ses retranchements. L'agacer au point où elle se haïssait de vouloir lui sauter au cou, sauvage, impétueuse et pourtant pleine de désir. « Pourquoi pas ? J'ai vu la scène que vous avez jouée sur la terrasse. Tu me connais, les scandales en public je les ai presque inventés. » avait-il répondu à son injonction de laisser de côté le sujet de Chloe. « Je reste pour quelques mois au moins. Besoin de reconnecter avec le public australien. Puis j'avais envie de revoir ma famille plus que 10 jours entre deux projets. Tu comprends je suis sûr. » Une fois sa veste déposée sur le dossier du canapé, il s'était installé près de Penny, le buste tourné dans sa direction. Il sentait d'ici son parfum sucré. Entre deux hoquets, elle avait balbutié une réponse qui se voulait résolument rassurante, mais qui n'aurait pas convaincu un inconnu. « T'es une bonne actrice Penny mais je vois encore quand ça va pas. Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu sais que si tu as besoin de cracher du venin sur Chloe je suis l'homme de la situation. » Pas seulement. Elle était préoccupée à s'en rendre malade. Ce n'était pas digne de la femme encore ingénue et gorgée de rêves qu'il avait abandonnée quatre ans plus tôt. « Tu m'offrirais pas un petit quelque chose ? Je pourrais parier que t'as du champagne au frais. »

Contrairement à ce qu'il voulait faire croire, Micah ne s'était jamais attendu à un accueil fanfaronnant de la part de Penny. Il était parti sans un regard en arrière, troquant bien vite les échanges épistolaires par un intérêt sporadique mais non moins constant des nouvelles qu'il pouvait bien glaner dans la presse. Dans un sens, les pages des magazines étaient rédigées par ceux et celles qui en étaient les protagonistes. C'était un peu comme suivre une version analogue et certainement romancée de sa vie. Cuisant au soleil de son jardin, à des dizaines de milliers de kilomètres de là, il se surprenait à penser que, peut-être, Penny feuilletait le même magazine avec l'espoir d'y trouver quelques lignes sur ses exploits à lui. Il se surprenait à penser qu'elle était encore foncièrement capable de se réjouir de ses succès sans ressasser le cynisme dont il avait dû faire preuve pour y parvenir. Sans passer en revue la liste des sacrifices dans laquelle son nom figurait fatalement. Les répliques incisives qui persiflaient sur sa présence étaient méritées. Micah s'en serait froissé si elles n'étaient pas si symptomatiques d'un attachement profond. Il en avait rarement douté, mais si Penny s'était émue de son absence, c'était qu'il avait un minimum compté à ses yeux. C'était parce qu'elle s'était résignée trop tard à des sentiments qu'il avait méprisés pour le bien de sa carrière. Il encaissait les coups avec humilité, non sans répliquer par orgueil. Penny n'avait pas le droit de le blâmer entièrement. S'il acceptait sa part de responsabilité, elle devait bien admettre qu'il avait dû composer avec des années d'une relation clandestine juste pour ses beaux yeux. Juste parce qu'il préférait qu'elle soit un secret plutôt qu'un souvenir. A ses sarcasmes, il répondait par l'indifférence. Pourtant, chaque parole lui serrait le cœur un peu plus.

Comme une boxeuse trop exaltée, Penny frappait. Endurant, Micah encaissait, jusqu'à la voir s'essouffler. Son flegme avait fini par l'adoucir un peu. Peut-être avait-elle seulement eu besoin de se défouler, et qu'il avait eu le malheur d'être la cible la mieux désignée. « Espionner c'est un grand mot. Je t'ai observée avec attention. Ça faisait longtemps, j'étais juste content de voir un visage familier. Et surtout le tien. » avait-il tempéré. Son enthousiasme n'était pas hypocrite. Jamais pour elle. « Ok j'arrête d'insister. Peut-être qu'un jour tu me feras confiance à nouveau pour en parler. Je sais que je t'ai fait de la peine Penny. Je suis désolé d'être parti, tu sais aussi bien que moi que c'était un choix de raison. Et j'ai bien fait de le faire. Mais s'il y a une chose que je regrette, c'est d'avoir dû te quitter. » Le vent avait tourné. L'attitude apaisée de Penny avait engagé un changement de ton. Plus sincère. Moins hostile. Micah aurait pu se se dispenser de quelques remarques acerbes s'il avait eu la présence d'esprit d'être honnête dès le départ. Les choses étaient-elles condamnées à être si compliquées entre eux ? « Non pas vraiment. Je suis revenu pour des tournages, mais jamais assez longtemps pour revoir mes proches. Après tout mon père était avec moi à LA, c'est comme si j'avais déjà toute ma famille dans ma valise. » avait-il rétorqué avec fatalisme. S'il s'était aliéné de sa famille c'était avant tout parce qu'il avait toujours fait le choix de l'égoïsme. Et si son père comptait tant à ses yeux, c'était surtout parce qu'il était le seul à comprendre. Penny botta en touche à nouveau. Le sujet de Chloe était trop épineux. Ou trop anecdotique, difficile de savoir tant Micah l'accusait de tous les maux. Il s'élança en direction de la cuisine, où il dénicha deux flûtes à champagne et une bouteille de Paul Roger de 2009. Pour les grandes occasions, Penny avait sans doute mieux en réserve. « Pourquoi ça t'étonne à ce point ? Je veux savoir parce que je tiens toujours à toi. T'es bien une des rares personnes pour lesquelles je peux avoir des pensées désintéressées. Alors si tu préfères que je me taise, ou même que je m'en aille, t'as juste à me le dire. » conclut-il alors qu'il entreprenait de déboucher la bouteille. Une partie de lui ne pouvait s'empêcher de craindre qu'elle choisisse la seconde option. Qu'elle estime qu'après tout sa présence était plus dommageable que réconfortante. Son visage demeurait serein mais dans sa poitrine son cœur tambourinait au rythme de l'incertitude. Ce choix déterminerait sans doute l'avenir de leur relation toute entière.

Ces bulles qui pétillaient, envoûtantes, dans ces flûtes rainurées, n'étaient sans doute pas la meilleure idée de la soirée, mais elles étaient la seule solution que Micah avait trouvée pour casser le rythme de leurs échanges fébriles, et investir une pièce dans laquelle il se sentait étranger. Ce salon avait dû en voir du passage depuis toutes ces années. Combien de scènes de joie et de peine avait-il manqué ? Il y avait pourtant dans cette nouvelle dynamique engagée par Penny quelques vestiges de leur relation avortée. Ces regards furtifs qu'ils fuyaient, craignant d'y percevoir le même attachement qu'autrefois. Ces sentiments mitigés, confus, entre désillusion et le désir impérieux de croire naïvement à l'hypothèse d'un dénouement heureux pour tous les deux. Micah avait toujours voulu le mieux pour Penny. L'entendre insinuer le contraire le blessait bien plus qu'il ne le laissait entrevoir. Elle n'avait cependant pas tort sur toute la ligne. Si n'avait plus de doute sur la tendresse qu'il ressentait à l'égard de la jeune actrice, il ne l'avait que rarement exprimée. Il avait déduit, à tort peut-être, que c'était ce qu'elle avait voulu en préservant leur relation de l'intérêt malsain du public. Leurs regards avaient beau se croiser à la dérobée, ils étaient tout ce qui lui restait de leurs souvenirs les plus joyeux. Alors il s'y attachait, comme un optimiste se contentait d'une absence de nouvelles. « Tu me connais, j'en ai sous le pied. Je suis pas qu'un physique. » avait-il répliqué, seulement à moitié ironique. Penny roulerait sans doute des yeux, mais elle était aussi lucide que lui sur la situation, quoique trop fière à cet instant pour se défendre d'avoir un jour succombé à son charme. Grandir un peu plus après chaque rôle était un avantage indéniable du métier d'acteur. Pouvoir enrichir sa personnalité, calquer certaines attitudes qui rendaient aussi bien à l'écran que dans la vie, un privilège dont Micah ne se privait pas. C'était certainement pourquoi on l'accusait d'être faux et superficiel. « Je sais. On a le chic pour avoir un train de retard. » De sa bouche, c'était presque un aveu de culpabilité. Des regrets à peine formulés. Et aussi un moyen subtil de rappeler à Penny qu'elle l'avait fait languir de longs mois avant de faire la paix avec ses sentiments. Quelqu'un d'un peu cynique aurait invoqué un acte manqué. Comme si le destin avait toujours fait en sorte de les écarter du chemin de simplicité pour le seul plaisir de les décourager. Il hocha les épaules avec dédain à l'évocation de sa mère. Penny connaissait très bien leurs rapports, et il ne lui avait jamais demandé plus que de respecter cette hostilité que la plupart des gens trouvaient contre-nature et un brin exagérée. Il n'avait rien à ajouter sur ce sujet et Penny l'avait sans doute ressenti en l'interrogeant sur ses retours éphémères en Australie. A demi-mot, elle se demandait aussi s'il avait pensé à elle tout ce temps, ou s'il l'avait finalement classée dans un recoin de sa mémoire. « J'imagine que j'avais peur que tu répondes pas. Ou que ce soit trop compliqué de devoir se séparer à nouveau. Ou un peu des deux. » Certainement les deux. Penny lui faisait déjà suffisamment payer un abandon, alors comment aurait-elle pu en supporter d'autres ? Dans sa démarche apparemment égoïste, Micah avait encore quelques accès de bienveillance. Il apporta les flûtes sur la table, dont Penny s'empara avec avidité. Lui-même commençait à avoir les idées embrumées et le sens engourdis. Pourtant tout lui paraissait décuplé. Sa peur d'être banni autant que son euphorie d'avoir au moins été convié. Penny n'étira pas le suspense. Elle ne camoufla même pas l'intonation presque implorante de sa voix. Micah avait donc eu raison d'insister. De la suivre jusqu'ici pour lui tenir compagnie dans un moment qu'il avait deviné douloureux. La rapidité avec laquelle elle avait englouti son verre était aussi évocatrice que l'état dans lequel il l'avait trouvée. Il attrapa la flûte restante et la porta goulûment à ses lèvres. Un éclair de désolation traversa le regard de Penny, achevant de l'inquiéter. Elle n'avait pas évoqué les conséquences tragiques de son tournage avec déception. Plutôt une pointe de résignation. Comme si le destin scellé de ce film était le symptôme d'un mal plus grand qu'un supposé manque de chance. La nervosité de Penny était palpable. En l'apercevant triturer les plis de sa robe, Micah se surprit à ressentir la même appréhension. Et lorsque le couperet tomba, il fut abasourdi. Il reposa la flûte sur la table, tiraillé entre l'indignation, la compassion, et la déception de ne pas avoir pu la réconforter plus tôt. Il était furieux contre Byers et contre lui. Contre une industrie qu'ils savaient tous corrompus mais dont ils cautionnaient hypocritement les agissements tant qu'ils demeuraient un secret gardé dans la honte et le renoncement. « Il a fait quoi ?! Comment ça agressé ? Je... je suis désolé Penny. Si j'avais su je... c'est pour ça qu'il a décidé de ne pas sortir le film ? Quel enfoiré. Qu'est-ce que tu comptes faire ? Est-ce que quelqu'un d'autre que Rory est au courant ? » Sa tête bougeait fébrilement dans tous les sens. Ses gestes étaient alertes, aussi saccadés qu'il était assailli d'émotions contradictoires. Que pouvait-il dire ? Faire ? Jusqu'où était allé Byers et jusqu'où serait-il allé sans l'intervention audacieuse de Rory ? Le regard de Penny fut plombé par l'embarras. L'humiliation. Pour la première fois, Micah s'autorisa à l'approcher assez près pour la toucher. Pour la rassurer d'un contact chaleureux. Du bout des doigts il avait relevé le menton de Penny. Ses yeux étaient embués de larmes. « Je suis là maintenant Penny, okay ? Je compte pas partir. Je te laisserai pas. Tu m'entends ? »

Blâmer les autres serait facile. Accuser l'obsession intrusive des médias, le regard scrutateur et intimidant du public, d'avoir étouffé des sentiments que Penny voulait, à raison peut-être, confiner à leur intimité, une forme de déni à laquelle ils ne s'étaient pas rabaissés. Ils n'étaient pas dupes. L'un comme l'autre, indépendamment de toute cette pression médiatique, avait contribué au sabotage d'une relation qu'ils avaient poursuivi par habitude. Par confort même. Encore aujourd'hui Micah était perdu dans ses sentiments. Aimait-il Elsie ou Penny ? Avait-il vraiment fait ce choix, ou s'était-il imposé à lui comme la suite logique de leur collaboration à l'écran ? Pourquoi devait-on toujours, à un moment, tomber amoureux d'une personne pour laquelle tout n'était au départ qu'un jeu ? Un rôle dans lequel on finissait par s'égarer, et où les frontières entre fiction et réalité se brouillaient ? Pour Penny la question ne semblait plus se poser. Chacune de ses répliques avait des allures de fatalité. Des décisions irréversibles auquel le destin les avait contraints, et qu'elle déchirait avec autant de facilité qu'un script une fois que tout était dans la boîte. Ce ton péremptoire faisait mal. Micah n'était pas prêt à se résigner à cet état des lieux qu'elle dressait comme une vérité indubitable.  Une part de lui croyait encore à l'authenticité de leurs sentiments refoulés. Une part de lui refusait de croire à ce passé révolu que Penny lui matraquait comme si chacune de ses affirmations, plus tranchante l'une que l'autre, avait pour objectif de tailler un peu plus ses convictions. Il était coriace. Et certainement un peu éméché. Le champagne avait fini par entamer sa raison. Tous les deux sur ce canapé, aussi chargés d'émotions qu'un ciel d'orage était gorgé d'électricité, n'étaient plus que des nerfs à vif. Penny semblait avoir quitté son enveloppe corporelle et flottait quelque part au-dessus d'eux, incapable de faire entendre sa voix. Égarée entre le passé et l'avenir, la réalité et l'abstrait. Micah s'en voulait de lui infliger encore la douleur d'un souvenir renié. Il y avait une extrême injustice dans le fait d'être une victime forcée de relater les faits, encore et encore, au point de se défaire totalement de leur gravité.

Sa proximité avec Penny, effondrée contre son torse, n'avait rien de jouissif. Elle était si chamboulée qu'il en oubliait à quel point il avait rêvé de ce rapprochement quelques heures plus tôt. Machinalement, sa main s'était glissée dans ses cheveux, douce et rassurante. Sentait-elle la force avec laquelle son cœur tambourinait dans sa poitrine ? La vigueur avec laquelle son sang affluait et tournait dans ses veines ? « C'est pour ça que tu étais contrariée ? Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? » demanda-t-il empreint d'une indignation qu'il espérait justifier. Il n'avait pas besoin d'explications pour inculper Chloe d'être une mauvaise amie ce soir. Son œil extérieur avait suffi à sonder tout le malaise que Penny avait réprimé toute la soirée. Comment avait-elle pu l'abandonner à ses démons ? Avait-elle au moins eu des scrupules ? « C'est pas trop tard. C'est jamais trop tard. Byers a le bras long, mais il est pas intouchable. Les gens prennent ces choses très au sérieux maintenant, il est fini le temps de l'inversion de culpabilité. » Lui conseillait-il vraiment de monter au créneau ? Ou ne faisait-il que lui réciter le discours qu'elle avait besoin d'entendre sans la moindre prise de risque ? Bien-sûr qu'à ce stade Penny resterait silencieuse. Et d'ailleurs, son avis avait assez peu de valeur à ses yeux pour peser sur ses choix. « J'y connais rien, je veux pas faire semblant de me mettre à ta place ou te dire quoi faire. Je te soutiendrai quel que soit ton choix. » Sous-entendu qu'il garderait avec elle ce lourd secret. Peut-être serait-il un moindre fardeau une fois partagé ? « Il faut du courage pour avancer avec ça. Tu m'impressionnes tellement. Et ça me rend fou que ce soit encore la norme dans cette industrie aujourd'hui. J'aimerais pouvoir t'aider. » avait-il conclu, le visage teinté d'une compassion sincère. Son statut d'homme privilégié le rendait si peu crédible dans ce combat que, pour une fois dans sa vie, Micah ne savait où se mettre. Il ne la quittait plus des yeux. Aurait voulu essuyer les larmes qu'elle avait disséminées sur ses joues d'un revers de la main. La prendre dans ses bras comme si le temps ne s'était pas immiscé entre eux. Comme si rien n'avait changé.

Le chapitre de Chloe fut bouclé sans amertume. Micah avait même été surpris de percevoir un brin de déception dans le discours résigné de Penny. A vrai dire, cela faisait déjà deux bonnes minutes qu'il avait cessé de la blâmer dans cette histoire, qu'il essayait de reconstituer en toute impartialité, entre deux confessions étouffées de sanglots. Et s'il avait bien compris qu'il était inutile de vouloir arracher à Penny le moindre aveu concernant son éventuelle culpabilité, il demeurait persuadé qu'elle avait joué un rôle déterminant dans la précipitation de l'état lamentable dans lequel il l'avait récupérée. Sans être cynique, Micah n'avait pas imaginé leurs retrouvailles bien plus gaies qu'à cet instant. Sachant la rancune de Penny tenace, il avait déjà orchestré dans sa tête les circonstances de leurs premiers échanges, sauf qu'il s'était projeté lui-même en victime propulsée dans ses bras par un accès de compassion. Le sujet de son père n'avait pas eu besoin d'être évoqué pour provoquer le rapprochement physique dont il avait rêvé, sans pour autant savoir si sa présence n'était pas plus opportune que désirée. Tiraillé entre la satisfaction de se retrouver si proche de Penny et la conviction de profiter abusivement de sa vulnérabilité, il avait quelques scrupules à dérouler tout le scénario qu'il avait imaginé, et qui se concluait inévitablement par une intimité partagée. Il acquiesça simplement lorsqu'elle lui implora de laisser de côté les implications de Chloe dans cette affaire sordide, tout en gardant en tête de la questionner le moment venu. Pour tout dire, il n'était pas tout à fait certain de s'en souvenir. Tous les sentiments contradictoires que lui procurait cette scène semblaient décuplés par son ivresse naissante. Légèrement distrait par les récits qu'essayait de lui raconter son propre corps, il était autant proie à la gravité du sol qu'à celle de la situation, si bien qu'il ignorait lui-même s'il était tout à fait sincère ou juste intimé par son immuable affection envers l'actrice. « Bien-sûr que je le crois. Tu as déjà fait le plus difficile en prenant la parole. Si tu n'as pas envie de mêler la presse c'est ton choix, mais d'autres pourront le faire à ta place. » avait-il néanmoins répondu. Son discours n'était pas si orienté que ça, car au fond il aurait voulu lui conseiller de ne rien dire et d'attendre justement qu'une voix similaire s'élève à la place de la sienne. Qu'elle se fasse l'écho et le martyr de son mal-être. C'était un sacrifice auquel il ne pouvait pas se résoudre à la pousser. Sur le fil du rasoir, Micah flirtait entre raison et convenance. Son parti pris, à la fois neutre et réconfortant, semblait faire mouche : Penny était adoucie, reconnaissante, et un peu flattée malgré tout. « Tu te sous-estimes Penny. Si, tu es courageuse en gardant la tête haute, en décidant de me dire la vérité. C'est des étapes nécessaires pour faire la paix avec tout ça, et certaines personnes mettent des années pour y arriver. » Au-delà de ce que Micah racontait par pure bienveillance, il croyait foncièrement à toutes les louanges dont il abreuvait Penny. Bien-sûr qu'elle était brave, d'avoir porté ce secret et renoncé à l'essor de sa carrière par dignité. Si lui-même n'avait pas autant de valeurs, il était capable de les admettre chez les autres. Penny minaudait, et chaque sourire, aussi maigre fut-il, chaque éclat de voix, lui réchauffait le cœur. Il avait bien évidemment remarqué l'intensité dans leurs regards respectifs. Cette lueur timide et hésitante qui luisait chaque fois que le silence les obligeait à se plonger dans les prunelles de l'autre, et dans lesquelles ils décelaient le reflet de leur histoire inachevée. L'intimation de Penny sonnait comme une tentation. Avait-elle vraiment envie qu'il la regarde autrement ? « Comment ? » demanda-t-il sans lui obéir. « Comme quelqu'un qui tient à toi ? Et qui a peut-être aussi envie de t'embrasser ? » renchérit-il en s'humectant les lèvres inconsciemment. Il en brûlait envie. Son corps entier en brûlait d'envie. Il se pencha vers elle, lentement, lui laissant le choix de le rejoindre à mi-chemin de leur désir mutuel.

Micah n'était pas dupe. Cette scène surréaliste, il était le premier à la savoir éphémère. Il n'ignorait pas non plus que l'alcool avait motivé la plupart des réactions de Penny, de son invitation à ses aveux inopinés. Et il réalisait, à mesure que la soirée s'effilochait au gré de l'ivresse, qu'une grande partie de leurs échanges resterait coincée dans ce présent qu'il mourrait d'envie de prolonger. Le temps d'une soirée, il avait pu récupérer une confiance à laquelle il avait renoncé en poursuivant ses rêves hollywoodiens. D'abord farouche, Penny avait fini par se laisser dompter par l'homme qu'elle avait connu autrefois. Ils n'avaient pas tant changé que ça, finalement. Le drame et les larmes avaient expédié un rapprochement physique dont Micah profitait avec précaution, et toute la douceur que lui avait toujours inspiré Penny. Il n'y avait qu'avec elle qu'il était si attentionné. Si authentique. Ses mots choisis avec soin avaient autant pour objectif de l'amadouer que de la rassurer sincèrement. Dès qu'il déviait Micah revenait sur ses pas, tâtonnait, jusqu'à trouver le discours le plus approprié. Le visage de Penny, plus expressif encore qu'au cinéma, était facile à déchiffrer. Micah tempérait son humeur comme on régulait l'eau d'une douche un peu récalcitrante. Une goutte de chaud, une goutte de froid, jusqu'à trouver la température parfaite. Elle se méprenait sur ses intentions. Jamais il n'aurait le culot, ni même l'audace, de parler à sa place. Ce n'était d'ailleurs pas plus son rôle que celui de Rory, qui avait lui aussi eu la décence de garder pour lui ce douloureux secret, au péril de sa carrière. « J'aimerais me tromper, mais quelque chose me dit que Byers n'en est pas à son premier coup d'essai. Suffit du témoignage d'une seule victime pour libérer la parole. T'es pas forcée de lancer l'offensive. » avait-il enjoint en hochant les épaules. Lourdes étaient les conséquences pour l'allumette qui mettait le feu à la poudre d'un scandale sexuel. Cette allumette qui se consumait pour la postérité, et se voyait parfois opposée à la consternation du silence. Tout le monde n'avait pas les épaules pour assumer le poids d'une révolution. Et de toute évidence Penny était encore trop frêle, trop affectée, pour prendre la décision rationnelle de parler. « Je ne dirai rien, rassure-toi. Mais je suis là si tu as besoin d'en parler, ou même de ne pas en parler. » précisa-t-il finalement pour effacer cette expression craintive qui lui tordait le visage. De fait, Penny se détendait à mesure que le temps s'égrenait, tandis qu'une nouvelle angoisse se lisait dans ses yeux indécis : celle d'un moment qu'ils savaient tous les deux inéluctable, la consécration de sentiments que quelques regards vraisemblablement encore amoureux avaient ravivé. Cavalier, Micah n'avait fait que le premier pas, laissant à Penny le choix de rejeter ses avances comme il l'en savait capable. Abuser d'elle, à peine quelques minutes après avoir évoqué le traumatisme qui la liait encore à ce tournage avec Byers, serait aussi hypocrite que malvenu. Son estomac était noué. D'ordinaire si sûr de lui, il n'avait plus aucune certitude. Et le rejet, auquel il s'était pourtant préparé chaque seconde, lui paraissait difficile à avaler. Ses muscles se détendirent lorsque Penny combla les centimètres qui séparaient encore leurs visages impatients. Il se délecta de cet instant fugace volé au passé. Ses lèvres contre les siennes avaient un goût d'évidence. Les yeux fermés, il se voyait propulsé cinq ans en arrière comme si rien n'avait changé. Comme si le gouffre qui s'était creusé entre eux n'existait plus. Puis aussi soudainement que le temps semblait s'être figé, Penny avait rompu le contact. Malgré les dizaines de questions qui se bousculaient dans sa tête, Micah demeura compréhensif. Que voulait-elle dire ? Qu'elle avait déjà quelqu'un dans sa vie et que ce baiser avait des allures de trahison ? Qu'elle trouvait leur relation trop dangereuse et toxique ? Ou que le moment était tout simplement mal choisi ? « Ok ça fait rien. Je vais juste rester là jusqu'à ce que tu t'endormes. » dit-il en dissimulant sa déception. Un rictus, qu'il avait espéré être un sourire indulgent, avait étiré ses lèvres encore imprégnées de leur passion. Il l'attira malgré tout contre lui, la berça au son de son cœur encore palpitant de désir, et s'égara dans l'euphorie de cette normalité retrouvée. Le lendemain serait un autre jour. Et cette soirée, une vague réminiscence d'une histoire inachevée.