laocoön

@auden williams

***
Il se mettait à nu, Cosimo, à oser parler aussi franchement face à Auden. D’autres - lire ici principalement Saül - auraient dit que d’être autant vulnérable face à autrui était un défaut. Mais le garçon savait qu’était présentement la situation ou jamais d’agir de la sorte. Il avait besoin d’apparaitre fragile face à son père, pour lui montrer qu’il était au plus proche de la vérité; que lorsqu’il venait émettre ces mots-là, ce n’était pas pour jouer et qu’il les pensait réellement. Peut-être que Auden n’avait été présent pendant les vingt premières années de sa vie, mais ce n’était pas pour autant qu’il n’avait mérité cette place à partir d’aujourd’hui. Même si les choses n’étaient en réalité pas aussi simples que dites de la sorte, Cosimo aurait peut-être préféré pouvoir admettre qu’elles l’étaient. Pouvoir changer de père aussi facilement, que les choses se fassent autant en douceur, que tout le monde puisse y trouver son compte. Malheureusement, la réalité n’était en rien si facile à apprivoiser et Saül serait toujours son père, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne. Ce n’était pas le Williams face à lui qui allait le contredire - au contraire. « Même s’il sera toujours ton père, » Le coeur du jeune homme vint se serrer, malgré lui, dans sa poitrine. « à mes yeux tu seras toujours mon fils. » La larme, menaçant d’agir contre son gré depuis bien des minutes déjà, vint rouler le long de sa joue. Il était complètement à nu présentement mais cela ne lui portait guère. Car en cet instant, enfin et après des années à nager ce qui lui semblait désormais être à contre courant, il avait l’impression que quelqu’un allait enfin dans son sens. Pas forcément dans le bon sens, mais dans celui qu’il avait décidé d’emprunter. Ca faisait du bien, de se sentir compris. De se sentir soutenu également par la même occasion. Dire que Saül n’avait cesser de tarir d’éloges - non - son frère pendant toutes ces années, et pourtant Cosimo découvrait tout un autre homme face à lui depuis qu’il était arrivé en Australie. Lui qui avait toujours prêcher la parole de son père ne pouvait que la remettre en cause sur plus d’un point, désormais.

Ce fut finalement un soupire qui vint emplir l’air et le silence qui régnaient désormais dans la cuisine, s’échappant des lèvres de Damon. Aussi discrètement que possible, d’un revers de la main, la larme traitresse fut retirée du paysage et ses yeux vinrent vagabonder ailleurs que sur la silhouette de son père. « Merci. » A croire qu’il n’avait que ce vocabulaire là en bouche dès lorsqu’il fallait donner la réplique à Auden. C’était peut-être idiot, d’ailleurs, de le répéter autant, mais il était vraiment reconnaissant des paroles que l’homme face à lui utiliser. Pour une fois, il ne se sentait pas mis à l’écart de la situation. Il n’avait pas l’impression que l’on tentait de lui cacher la vérité, ni de lui donner uniquement que des parcelles de cette dernière pour que le puzzle ne puisse être reconstitué. Auden se montrait vrai, authentique, tel un parfait miroir de ce qu’il tentait de faire de son côté. Et cela faisait réellement du bien, de ne pas avoir à se sentir obligé de jouer un rôle pour correspondre à un standard attendu dans une telle conversation - puisqu’aucun d’eux n’aurait sa place ici. Seule l’authenticité semblait percer, et cela suffisait. « De ne pas avoir fui, au moins. » Parce-que cela aurait pu être sa solution à lui, à Auden. Il aurait pu prendre la poudre d’escampette à peine avait-il compris le nouveau rôle qu’il jouait auprès de Damon, ce Noël là. Il aurait pu nier toute évidence de ce que Saül lui avançait comme vérité, afin de ne pas compliquer son existence et s’embarrasser d’un fils qu’il n’avait pas forcément désiré. Pourtant, il était resté. Il avait tenté, déployé les efforts nécessaires, fait en sorte de pouvoir toujours avoir un regard en direction de son fils même lorsque ce dernier n’était au courant d’aucune supercherie. Au moins, lui, avait agi de circonstances avec son rôle. Lui.

Reposant le verre d’eau, vide, dans le fond de l’évier, le jeune homme vint enfin faire quelques pas à travers la pièce, se dirigeant autant vers la sortie que vers Auden. Arrivée à hauteur de son père, il vint cependant ralentir ses pas jusqu’à complètement les arrêter. Il savait qu’il se devait de sortir de la maison désormais, de s’éloigner de cette conversation, afin de pouvoir retrouver un certain calme intérieur qu’il ne saurait avoir s’il restait aux côtés du Williams. Pas qu’il ne désirait pas rester aux côtés de Auden, mais que la présence de ce dernier l’empêchait de penser clairement et d’assimiler parfaitement la discussion qu’ils venaient d’avoir. Ce n’était cependant pas qu’il ne désirait pas passer plus de temps avec lui, bien au contraire; il lui fallait juste faire le point afin d’être apte à profiter des instants passés à ses côtés, de faire le tri dans ce qu’il désirait et ce qui semblait s’imposer également. Mais avant de partir, il souhaitait laisser son instinct parler une dernière fois. Hésitant une seconde supplémentaire, il vint finalement faire un pas ou deux de côtés, se retrouvant face à face avec Auden. Et, la seconde qui s’en suivit, il vint prendre son père dans ses bras. Il savait que ce n’était en rien dans les habitudes qu’ils avaient établi entre eux. Il savait que Auden pourrait ne pas désirer ce contact et pourrait le forcer à s’écarter de lui. Mais en cet instant, pour le coeur de Cosimo, c’était le geste qui lui semblait le plus naturel à avoir.

Je reste de marbre face à la larme coulant le long de la joue de mon fils puisque je sais qu’il n’aurait pas apprécié la moindre empathie à son égard. Il sera toujours mon fils, c’est certain, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas devenu un homme aujourd’hui. Bien au contraire. Mon coeur se serre mais je ne fais aucun mouvement, pas alors que nous sommes tous deux dans un coin de la cuisine, comme si nous avions une certaine distance de sécurité à respecter. Sécurité pour quoi? Il déteste Saül mais n’est pas capable de le renier et c’est la seule chose que j’aurais peut-être pu changer dans son état d’esprit. Je ne le ferai pas. Je ne ferai rien contre Elise non plus, ce n’est pourtant pas faute d’avoir bien des choses à dire à son sujet. Ils l’ont élevé comme leur fils - littéralement - pendant vingt ans et Damon est aujourd’hui un garçon devenu homme et en pleine santé, je ne peux pas engager une guerre contre eux. Oh si, en réalité, je le pourrais. Mais je ne le veux pas. Ils sont de ma famille, eux aussi, peu importe ce que dit le sang ou l’attrait de l’argent, respectivement pour l’un puis l’autre. « Merci. » Il n’y a rien, absolument rien dont il puisse me remercier. J’ai été un père fantôme dont il a ignoré l’existence toute sa vie, et mon retour dans cette dernière ne fait que soulever plus de questions qu’elle n’en répond. Vous savez tous que je ne suis pas du genre à refuser à ce qu’on me jette des fleurs, bien loin de là, mais même les pires connards ont un code moral. Le mien s’applique tout particulièrement au sang de mon sang et j’espère qu’un jour on se sera assez parlés pour qu’il puisse le comprendre. Il est la prunelle de mes yeux et, au fond, je l’ai toujours su. « De ne pas avoir fui, au moins. » On pourrait jouer à faire la liste de tous ceux qui ont fui ses questions mais cela ne m’amuse déjà pas, rien qu’à y penser. Il n’y a rien dont j’ai envie de rire lorsqu’il s’agit de lui.

Et lorsqu’il dépose le verre d’eau et fait quelques pas en direction de la porte, je pense que notre discussion est déjà terminée et qu’il n’y en aura plus jamais d’autres. Je pense aussi qu’on vient de gâcher notre seule chance de parler et de soulever le voile de notre passé commun. On a commencé, c’est bien vrai, mais ce ne sont pas ces quelques mots qui pourront rattraper vingt années de vie. Il a besoin de plus et moi tout autant.

Quand ses pas s’arrêtent à ma hauteur et que ses bras s’ouvrent pour venir s’enrouler autour de mon corps, pourtant, je n’ai pas à réfléchir un seul instant. Instinctivement, mes propres bras en font de même. Je me souviens du temps où il tenait entre mes bras; aujourd’hui il fait ma taille. Et si quelques années plus tôt j’avais peur de le casser en deux, désormais je ne cherche pas à retenir le besoin que j’ai de le garder à mes côtés. Les secondes s’écoulent sans que je ne cherche à les compter, sans que je n’éprouve le besoin de retrouver ma liberté non plus. Avec lui, c’est différent. Absolument tout est différent et j’espère qu’il le sait et le comprend. “Je suis désolé.” Peu ont entendu ces mots et je les ai pesé face à encore moins de personne encore. Pour autant, ce n’est pas ce que j’aurais dû lui dire. Je t’aime comporte sensiblement les mêmes lettres mais le fond est bien différent. Peu importe, je continue de le garder à mes côtés aussi longtemps que possible.

laocoön

@auden williams

***
L’instant se retrouvait comme suspendu, les gestes de Cosimo dictés uniquement par son cœur et son instinct, en rien par ses pensées et son éducation. Il marchait sur des œufs, il le savait, mais il avait décidé de ne pas y prêter attention. De toutes manières, le pire semblait déjà être passé, ou du moins le jeune italien se disait que le futur ne pouvait pas lui jouer plus de tours que sa propre histoire personnelle ne l’avait déjà fait. Ses bras venant se resserrer autour du corps de son père, il ne s’attendait pas spécialement à ce que ce dernier vienne réagir de façon positive - après tout, il venait d’imposer sa présence dans sa bulle d’espace personnel, là où tous deux s’étaient appliqués jusqu’alors à ne pas venir déranger ces dernières. Alors, lorsqu’Auden ne mît qu’une seconde et pas une de plus à venir resserrer son étreinte de son côté également, Cosimo vint sentir un poids se retirer de son cœur.

Comme si jusqu’à aujourd’hui, il avait manqué de cette étreinte. Comme si un puzzle venait de se terminer sous ses yeux, alors que la pièce manquante était introuvable jusqu’alors. C’était une sensation étrange, de comprendre que quelque-chose trouvait enfin sa place dans ce monde. Il n’avait manqué de rien, Cosimo, durant toutes ces années. Il avait été malgré tout choyé par ses parents; et même s’il ne comprenait pas comment amour et mensonge pouvaient rimer, ces derniers l’avaient aimé durant tout autant de temps, continuant de le faire encore maladroitement au présent. Mais de sentir l’étreinte de son père autour de lui, cela relevait de quelque-chose de différent.

Cosimo ne savait combien de temps ils étaient restés comme ça, en silence, lorsque la voix de Auden se fit de nouveau entendre. « Je suis désolé. » Désolé pour quelle partie, exactement ? De venir lui apprendre des vérités qu’il connaissait déjà mais qu’il aurait sûrement préféré ne jamais entendre dites à haute voix ? De ne pas avoir été là pendant les vingt premières années de sa vie, et de désormais ne pas savoir comment faire pour être présent les vingt prochaines qui s’annonçaient ? De comprendre qu’une telle charge de révélations ne devrait pas avoir à retomber sur les épaules d’un jeune homme comme lui ? De ne pas avoir pris son courage à deux mains pour lui-même mettre en lumière ces informations quelque peu importantes pour Cosimo et pour sa vision des liens familiaux qui en découlaient ? Les choix semblaient s’étaler sous les yeux du gamin et il ne savait sur lequel - lesquels ? - s’arrêter, alors que ses pensées filaient à mille à l’heure. Il s’en voulait dans un certain sens, également, de ne pas savoir sur quel élément les mots de son père portaient; alors qu’une partie de lui savait parfaitement bien qu’il n’en était en rien responsable et que seul le temps futur pourrait lui confirmer sur quelle partie de ses pensées ces dernières portaient.

« Moi aussi. » Qu’il vint finalement répondre, après avoir laissé le silence peser autour d’eux encore un instant supplémentaire et un autre de plus. Il était désolé, Cosimo, de ne pas avoir pu être son fils dès le premier jour. Il n’était pour rien, il n’avait en rien choisi le fil de son histoire, mais il était désolé car à l’instar du manque qu’il avait toujours ressenti sans s’en apercevoir réellement, Auden avait du en avoir un similaire - et là était quelque-chose que Cosimo ne souhaitait à personne, même pas à Saül, maître-pantins de cette affaire. Ce n’était pas humain que de ressentir le manque de quelqu’un qui aurait naturellement du être à vos côtés.

Ce fut lui qui vint réinstaller ce manque, cependant, au moins la manque physique de la personne à ses côtés en venant faire quelques pas en arrière. C’était une chose, que de profiter d’une occasion pour montrer votre affection par des gestes physiques envers quelqu’un qui importait pour vous. S’en était une autre que de prolonger cet instant alors que votre coeur avait besoin de tranquillité et d’air pour respirer, pour réfléchir. Il en était à cet instant, l’italien, et prendre de nouveau l’air libre et frais lui ferait le plus grand bien. S’en ajouter un mot alors, se contentant de venir étirer une moue tout autant désolée qu’apaisée, il s’en alla finalement prendre la porte. Après être restées sous silence pendant des années, les choses finiraient par se mettre lentement en place. Pas dès aujourd’hui, pas de suite - ils leur faudraient du temps et surement un peu plus de réponse pour Cosimo. Mais le temps serait leur meilleur allié, il en était persuadé.