Traquer Rory Craine, même sans filature ou sans avoir eu un jour à se glisser dans la peau d’un espion au cinéma, était d’une facilité enfantine. Pour commencer, son allure était identifiable entre mille : cette silhouette longiligne, ce style recherché et ces cheveux gominés ; ce visage poupon, toujours impeccablement rasé, et cette mâchoire anguleuse que lui vénéraient les photographes. Objectivement, Micah comprenait l’engouement du public à l’encontre de l’acteur. Lisse comme du verre, Rory sortait tout droit de ces catalogues qu’on feuilletait un peu distraitement dans les salles d’attente pour oublier le stress. Ce genre d’homme qui n’avait jamais l’air ridicule, et qui pouvait sublimer et vendre la plus effroyable des guenilles. Il était élancé, particulièrement photogénique, et filait droit – si on excluait le seul pas de travers qui avait considérablement freiné sa carrière. Comme quoi, dans ce milieu, valait-il mieux être doux et docile plutôt qu’avoir un avis et des revendications. Une fois n’était pas coutume, Micah avait fait preuve de zèle pour s’enquérir de ses petites habitudes. En se rendant à l’agence qui le représentait, il avait espéré le croiser par hasard plutôt que devoir arracher à la standardiste des informations qu’elle n’aurait de toute évidence jamais dû lui révéler. Avec un sourire et du charisme, on s’en sortait dans à peu près toutes les situations. Charmeur, Micah n’avait même pas eu à expliquer les prétendus projets qu’il s’était inventés avec Rory pour qu’on lui lâche innocemment le lieu consacré de ses rendez-vous avec Donna. Des remerciements et un battement de cils plus tard, et il avait déjà disparu de ce lieu qu’il comptait bien investir plus qu’en coup de vent dans un avenir proche. Son plan de bataille était déjà tracé. Si officiellement son père demeurait son agent, Micah se savait trop dépendant pour se risquer au hasard de ses impératifs médicaux. Il avait besoin de quelqu’un de disponible et d’assez coriace pour gérer ses caprices, et la réputation de l’agent de Rory lui précédait. Puis, tout ce qui pouvait déstabiliser la coqueluche de la ville était bon à prendre.

Tel un superhéros, Micah avait chaussé ses lunettes de vue pour se fondre dans la masse qui grouillait sur les trottoirs de Spring Hill. Vêtu d’un t-shirt basique, d’un jean droit et de ses Converse d’homme lambda, l’acteur passait incognito parmi la foule encore juvénile de ce début d’après-midi. Jetant un œil à sa montre à cadran en acier blanc, Micah comptait un peu sur le hasard, et beaucoup sur la ponctualité soupçonnée de Rory pour pouvoir l’intercepter avant l’arrivée de son agent. Arrivé devant la devanture du café, il scruta l’intérieur l’air de rien. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire carnassier en distinguant la vague caractéristique de ses cheveux par-dessus la carte qui l’abritait des regards badauds. Profitant du peu de temps qui lui restait avant l’arrivée de Donna, Micah s’engouffra à l’intérieur du café. Une odeur de caramel et de cannelle lui agressa les narines, tandis que le vacarme du broyeur à grains s’élevait par-dessus les commandes ordonnées au comptoir. Micah se déroba tout de suite à la vue des serveurs pour rejoindre la table où était assis Rory. S’il était un client fidèle, ils devaient être habitués aux scènes d’hystérie. « Tiens Rory, quelle coïncidence de te croiser ici ! » s’exclama-t-il avec un enthousiasme pompeux. Sans gêne, il n’avait pas attendu d’invitation pour prendre place sur la chaise qui lui faisait face. « Tu planches sur un truc ? » demanda-t-il hypocritement en pointant du menton les scripts raturés qui s’étalaient devant ses yeux avides. « C’est fou qu’on se soit pas croisés avant. J’imagine que Penny t’a dit que j’étais de retour dans le coin. De façon permanente. Je crois même qu’on habite dans le même quartier. Enfin, c’est ce que j’ai lu sur internet. On sait tous les deux qu’il y a à boire et à manger sur les sites de fans. »

 

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Il avait un peu d'avance, et ça n'était pas Donna qui irait s'en plaindre quand pour une fois elle n'aurait pas à l'attendre à leur lieu de rendez-vous habituel parce que Rory n'aurait rien trouvé de mieux à faire que d'indiquer son chemin à un passant pendant un quart d'heure ou dépanné sa petite sœur à l'autre bout de la ville pour finalement arriver avec vingt minutes de retard, impatient de lui faire partager le récit de sa mésaventure. Non, depuis quelques temps c'était lui qui s'installait le premier à l'intérieur de ce café en attendant son agente, lui qui disposait sagement ses scripts sur la table pour y faire quelques dernières annotations avant que Donna ne lui demande comme à chaque fois ce qu'il en avait pensé. Ils s'étaient toujours tout dit, n'avaient jamais pris de pincettes l'un avec l'autre et si Rory était si impatient de retrouver cette dynamique bien huilée entre son agente et lui, c'est parce qu'avec Donna ils étaient passés par des chemins tortueux au cours de l'année dernière et qu'enfin, tout ça semblait en partie derrière eux. Il y aurait bien évidemment l'article de Clyde, la plainte que déposerait Penny, mais pour le reste sa vie avait retrouvé un semblant de normalité et Rory ne comptait pas s'en plaindre. Quelques mois en arrière, il aurait été impensable de prendre un café sereinement quand tous les passants devant la vitrine lui lançaient des regards interrogatifs, tentés de savoir ce qu'il y avait de vrai ou de faux dans ces articles le plus souvent truffés de mensonge qu'on avait écrit sur son compte. Aujourd'hui les bains de foule étaient heureusement plus rares, les pics d'angoisse aussi et c'est avec un plaisir non dissimulé qu'il avait depuis quelques temps retrouvé ses habitudes. Tout ça, ça lui donnait juste envie d'être parfaitement ponctuel chaque fois que son agente et lui se retrouveraient dans l'avenir, comme pour sonner le commencement d'une nouvelle ère. Donna avait cru en lui dès les premières secondes, lorsqu'il n'était encore qu'un garçon dans la vingtaine partagé entre un cursus à la fac, un boulot de barman et des cours de théâtre qu'il avait financé seul. Elle ne l'avait jamais lâché, n'avait jamais douté qu'il passerait au travers des derniers mois, et pour ça il voulait la rendre plus fière encore qu'elle ne l'était peut être déjà.

Une serveuse s'était approchée pour lui demander s'il souhaitait commander et Rory s'était contenté de répondre qu'il attendrait pour ça la personne censée le rejoindre. Ce à quoi il ne s'attendait pas, c'est à ce que la chaise en face de lui soit effectivement bientôt prise d'assaut, mais toutefois pas par Donna. Non, c'est la silhouette de Micah que ses yeux surprirent face à lui lorsque Rory les releva de son tas de scripts et une mine un peu crispée qu'il afficha malgré lui. Tiens, voilà une rencontre qu'il ne pensait pas faire aujourd'hui, encore moins alors que son dernier échange avec Micah remontait à plusieurs mois. La coïncidence aurait pu l'amuser s'il n'était pas là pour motif professionnel – quand bien même Donna était aussi et surtout une amie pour lui depuis le temps. « Micah. Quel plaisir, tu veux dire. » Son sourire sonna pour une fois un peu faux, et l'enthousiasme derrière ses paroles fut peut être rien qu'un peu exagéré. Car non, il ne pouvait pas dire que la surprise était nécessairement bonne, quand bien même elle n'était pas non plus si mauvaise. Mais sans doute que la journée de Micah non plus ne se trouverait pas éblouie par la seule présence de Rory, ils en avaient tous les deux conscience. Ils avaient simplement l'habitude de donner le change, ils n'étaient pas acteurs pour rien après tout. « Juste le script de mon prochain projet. J'attends Donna pour lui faire mon retour, elle devrait pas tarder d'ailleurs. » Il glissa sans que ce soit anodin, son regard désignant la chaise sur laquelle Micah s'était assis sans chercher à savoir s'il attendait quelqu'un. C'était donc le cas et une manière polie de sous-entendre qu'il n'aurait qu'un bref instant à lui accorder, en attendant son agente. Rory haussa finalement les épaules. « Au risque de te décevoir, tu fais pas vraiment partie des sujets que Penny et moi on évoque le plus. Mais tant mieux, t'es de retour pour de bon alors ? » Et s'il y avait bien un fond de sarcasme derrière ces propos, c'est simplement parce que Micah et lui n'avaient jamais eu grand chose à se dire, la seule personne qu'ils aient vraiment en commun étant Penny et la relation entre la jeune femme et son ex ne faisant pas partie des choses dont Rory tenait particulièrement à se mêler. Il savait qu'ils s'étaient revus en novembre puisqu'il les avait surpris tous les deux et devinait qu'ils se revoyaient plus souvent maintenant que l'acteur était officiellement de retour, ce qui ne devait sûrement pas déplaire à un Micah dont Rory avait toujours eu du mal à cerner les intentions. Il prit sur lui, pourtant, et contint même une légère grimace lorsqu'il confia avoir emménagé dans son quartier. « Je me disais bien qu'il y avait deux fois plus d'adolescentes en mal de selfies aux abords de Spring Hill. Tu leur fais toujours le même effet, on dirait. » Une aubaine pour lui qui comptait sur la plastique parfaite de Micah pour détourner l'attention de ces troupeaux de fans. Finalement son retour avait réellement du bon. « Et toi, tu bosses sur quelque chose en ce moment ? J'ai cru comprendre que t'avais le vent en poupe sur les réseaux sociaux, grâce à toi le placement de produit a de beaux jours devant lui. » Il reprit, un fin sourire au coin des lèvres. Bon d'accord, c'était gratuit, mais personne sur Instagram n'était sûrement passé à coté d'un Micah torse nu ventant on ne sait trop quel produit miracle. Rory ne jugeait pas, au contraire, il songeait juste qu'il n'avait pas besoin de revenir à Brisbane pour ça.

Micah était résolument désinvolte, flirtait souvent avec l'irrévérence, mais c'était un sentiment différent qui l'avait assis à la table de Rory ; le sentiment trompeur d'une certaine familiarité. En tout et pour tout, le nombre de fois où les deux acteurs s'étaient croisés se comptait facilement sur les doigts d'une main. Des tapis rouges la plupart du temps, ou autres événements mondains où ils n'avaient pas fait semblant d'échanger davantage que les cordialités qui les disculperaient d'une évidente antipathie. Il ne fallait pas être devin pour comprendre le noyau du problème. Et paradoxalement, c'était en suivant les pérégrinations de Penny dans la presse que Micah avait appris à découvrir un Rory Craine au portrait pas toujours flatteur. De toute évidence les deux hommes ne se connaissaient pas, et tombaient eux-mêmes dans le piège des médias qu'ils accusaient parfois de diffamer en se fiant aux clichés et autres légendes racoleuses des magazines. Avec un peu d'avance, ils jouaient déjà le rôle des ennemis qu'on dépeindrait bientôt. Deux coqs qui se disputaient la même femme, entre coups bas et drame composite. Si Micah assumait son côté perfide, il doutait fortement que Rory se prête au jeu sans quelques pirouettes vouées à préserver son image des écornures de quelques articles supposés scandaleux. Mais après tout, qu'en savait-il vraiment ? Ses yeux balayaient la table avec nonchalance. Le haut de son dos était plaqué sur le dossier de la chaise. S'il n'avait pas eu la moindre courtoisie il aurait même étiré ses jambes sous la table.

Rory répliqua aussitôt. Son sourire tromperait peut-être les badauds, mais Micah n'était pas né de la dernière pluie. Les sarcasmes étaient sa grande spécialité. Cela dit, voir Rory plonger tête baissée dans ce combat de fierté lui faisait étrangement plaisir. Ils auraient pu berner un miroir tant l'hypocrisie se lisait sur leurs visages respectifs autant que dans leurs courbettes doucereuses. « Juste ça. T'as pas l'air si enthousiaste pour quelqu'un qui se remet en selle. C'est top secret ou t'as le droit de dévoiler l'intrigue ? » avait-il répondu en ignorant délibérément les signaux pas si subtils que lui envoyait Rory pour le chasser et écourter un échange pénible. « C'est ton agent c'est ça ? Tu vois ça fait une deuxième coïncidence, parce que je recherche justement un nouvel agent. Tu lui glisserais pas un mot gentil sur moi ? Ou tu sais quoi, si elle arrive bientôt je m'en chargerai moi-même. » avait-il ajouté en se redressant et hochant les épaules. Son plan était sur les rails, et l'air de rien il guettait la moindre contraction de l'expression lustrée de Rory. « Tu m'en vois déçu en effet.  Pour de bon ouais. Après tout on est qu'à une quinzaine d'heures de LA si besoin. Le jetlag c'est pour les novices. » En réalité, Micah n'était pas plus surpris que déçu d'être un sujet de conversation bien gardé de Penny. Il n'était plus qu'une anecdote dans sa vie depuis le moment où il avait choisi de s'expatrier pour la gloire. Il décelait néanmoins dans la question de Rory un moyen détourné de jauger la concurrence. Devait-il le considérer comme une menace ou juste une ombre passagère que chasserait bientôt le soleil ? « Te sous-estime pas Rory. La seule différence entre nous c'est que j'assume mon attirance pour les projecteurs. » avait-il rétorqué en opinant du chef. S'il était honnête, Micah pourrait dresser une liste bien plus exhaustive des caractéristiques qui les opposaient, à commencer par leur intégrité. Rory avait néanmoins tort de mépriser ses choix. On ne devenait pas célèbre sans contrepartie. « Tu serais pas un peu condescendant ? Faut bien ce qu'il faut pour entretenir l'intérêt du public. On sait tous les deux comme c'est facile de retomber dans l'anonymat en un claquement de doigt. Ou même un coup de poing au visage. » Le tacle était facile, quoique la voix de Micah trahissait un flegme inhabituel. Ce poing qu'il n'aurait pas été capable d'assener à Byers à sa place, mais dont il lui était secrètement redevable. « J'ai pas de gros projet pour le moment, j'en profite un peu pour voir ma famille et faire ce que j'ai pas le temps de faire pendant les tournages. J'ai reçu quelques invitations pour des talk shows, les gens sont aussi curieux que toi de savoir où j'en suis dans ma vie. Je crois que je vais accepter. » Au final, Rory en avait-il vraiment quelque chose à faire ou avait-il seulement honoré son image d'homme poli et bienveillant ?

 

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C'était étrange comme de se retrouver face à Micah lui donnait toujours l'impression de se retrouver face à un vieux rival, quand bien même les deux jeunes hommes ne s'étaient rencontrés qu'à quelques reprises ces dernières années et avaient sans aucun doute été privés de pas mal d'occasions d'apprendre à se connaître. Rory n'avait pas exactement l'habitude de juger quelqu'un à la première impression qu'il lui faisait, pourtant quelques échanges avec l'acteur lui laissaient penser qu'ils auraient sûrement du mal à se surprendre l'un-l'autre, à entrevoir quelque chose qui les ferait à ce stade changer d'avis sur celui qu'ils avaient en face d'eux. Ils étaient à la fois aussi différents que l'eau et le feu, aussi diamétralement opposés dans leurs tempéraments que Rory pouvait parfois l'être de son propre frère, et malgré tout animés de la même passion, de la même envie de crever l'écran sans jamais économiser leurs efforts pour y arriver. Tous deux dévoués corps et âme à une carrière qui les faisait probablement se sentir vivants autant qu'elle compensait chez eux un déficit affectif de la part d'un de leurs deux parents, ils avaient l'un comme l'autre constaté que ce milieu pouvait être en tous points merveilleux comme en tous points impitoyable. Ils en avaient fait les frais, avaient vu le meilleur comme le pire sans jamais que leur passion profonde n'en soit altérée. Et probablement qu'ils auraient eu une chance de s'entendre si une rivalité implicite ne s'était pas nouée entre eux dès leur rencontre, entre regards en biais et sourires crispés. Rapports différents de leurs parents avec leur choix de carrière, manière opposée d'aborder leur notoriété et compétition silencieuse depuis que Penny faisait partie de la vie de l'un et de l'autre. Au fond leurs différences pèseraient peut être toujours plus lourd que leurs points communs, mais ces tensions s’avéraient parfois étonnamment stimulantes lorsqu'elles n'allaient pas chercher beaucoup plus loin.

Ici, en revanche, la présence de Micah ne lui indiquait rien qui vaille et son intérêt un peu trop grand pour son rendez-vous professionnel non plus. Son agente le rejoindrait d'ici une poignée de minute et Rory apprécierait de s'être débarrassé de Micah avant que ce soit le cas, pourtant son petit doigt lui disait que l'acteur ne serait pas si facile à faire partir. Maintenant qu'il avait pris place sur cette chaise, il semblait au contraire bien décidé à y rester. « J'ai rien le droit de dire pour l'instant, même si j'en avais envie. Donna est du genre à veiller au grain. » Il souffla, dans une tentative peut être pas si anodine de lui faire sentir qu'il n'était pas la première personne à qui il irait délibérément se confier sur son prochain rôle, mais malgré tout avec une certaine sincérité. Le projet en lui-même n'était pas confidentiel, mais Donna préférait attendre avant de communiquer officiellement sur son prochain rôle et Rory s'en remettait encore aujourd'hui à elle pour organiser son grand retour au Cinéma avec l'ingéniosité qu'il lui connaissait. Son regard relevé vers celui de Micah, Rory ne put s'empêcher de tiquer sur sa prochaine remarque. « Vraiment ? Je suis surpris, si y'a quelqu'un que j'imaginais pas changer d'agent un jour c'est bien toi. Je veux dire, je t'ai toujours pensé en bons termes avec ton père. » Il n'avait de toute évidence pas toutes les clés pour comprendre la situation, mais une partie de lui l'avait toujours profondément envié d'avoir reçu le soutien de son père à chaque instant de sa carrière quand lui avait eu tout le mal du monde à faire accepter au sien son choix de devenir acteur. Ce pourrait-il que tout ne soit finalement pas si idyllique pour Micah qu'il l'avait toujours pensé ? « Mais je suis pas sûr que toi et moi dans la même agence, ce soit tellement une bonne idée. Rien à voir avec le fait que je saurais pas par où commencer pour vanter tes qualités à Donna. » Bien sûr. A croire que le sarcasme était devenu un de leurs moyens de communication favoris, quand il paraissait peu probable que Rory soit capable de dresser une liste longue comme le bras des qualités que possédait Micah. Ce n'est pas qu'il le soupçonnait d'en être dépourvu, loin de là, car il avait pour commencer toutes celles qu'on était en droit d'attendre d'un acteur de son acabit et jamais Rory n'avait pensé que son succès puisse être usurpé. Il était simplement loin d'être le mieux placé pour parler du Micah qu'il donnait à voir lorsqu'il laissait tomber cette carapace d'arrogance qui comme d'autres choses n'avait pas vraiment facilité ses rapports avec Rory. « D'ailleurs je suis pas sûr que ça la rassure tellement de te voir démarcher les agents à la terrasse des cafés. T'as plus de connexions que ça, non ? » Micah donnait toujours l'impression de connaître la terre entière, pourtant c'est lui qu'il venait trouver et son agente qu'il espérait convaincre de le représenter. Essayait-il de lui faire comprendre que sa carrière aussi avait pris du plomb dans l'aile, ou est-ce que ça cachait quelque chose d'autre ? S'il avait bien compris que le hasard n'y était pour rien dans cette rencontre, Rory se demandait à présent si Micah n'aspirait pas secrètement à profiter de son installation à Brisbane pour se rapprocher de lui. Mais à quelles fins ? Il y avait bien Penny, et la complicité que la jeune femme et lui avaient noué ces derniers mois. Penny que Micah avait ramené dans la conversation sans que Rory en soit particulièrement surpris, après tout c'était indirectement par elle qu'ils s'étaient connus et elle qui aujourd'hui faisait le lien entre les deux acteurs. La seule chose qu'il se demandait, finalement, c'était ce que Micah savait ou croyait savoir de sa relation avec Penny et si ça avait quoi que ce soit à voir avec sa présence ici aujourd'hui. « Malgré tout, t'as pas peur de t'ennuyer ici ? C'est un peu moins animé qu'à Los Angeles. » Maintenant qu'il y réfléchissait, ils avaient sans doute raté une occasion de s'y croiser pendant les quelques mois qu'avait duré le tournage de leur dernière série, ce que l'un comme l'autre n'iraient sans doute pas considérer comme un si grand mal. Rory haussa finalement les épaules, prêt à reconnaître que cette mise en scène sur les réseaux sociaux allait aujourd'hui souvent de paire avec le genre de notoriété dont ils jouissaient tous les deux. « C'est de bonne guerre, je suppose. » Le ton de sa voix ne trahissait aucune rancœur, pourtant Micah n'avait pas glissé cette allusion à son altercation avec Byers par hasard et Rory en était bien conscient. Il ne comptait simplement pas lui montrer le malaise que le souvenir de cette soirée répandait en lui depuis un an. « Et t'as sûrement raison, on est tous les deux bien placés pour savoir que de nos jours, y'a aucun scandale qu'un post sur les réseaux sociaux ne puisse pas faire oublier. Peut être que toute ma stratégie est à revoir. » Si sa carrière en avait pris un coup à cause de ce qui s'était passé sur son dernier tournage, il n'était pas sans savoir que Micah s'était quant à lui vu retirer un contrat d'égérie pour une grande marque. De toute évidence, ils ne faisaient pas les meilleurs choix pour leurs carrières. Encore un point qu'ils avaient en commun, finalement. « Tu devrais accepter, oui. A ta place je préférerais sans doute avoir une actualité à promouvoir avant d'accepter ce genre d'invitation, mais si ça t'ennuie pas de répondre à des questions personnelles... » Toute publicité était bonne à prendre, dans leur milieu, et Micah n'était sûrement pas le genre à rougir d'être interviewé sur sa vie privée. «  A ce propos, j'espère que t'as pas brisé trop de cœurs en quittant la Californie. » Une façon pas si détournée de l'interroger sur un sujet qu'ils n'avaient jamais vraiment pris le temps d'aborder ensemble. Un sujet périlleux, peut être, mais que Rory évoquait sans provocation. Ils savaient juste tous les deux à quel point la presse avait toujours aimé en rajouter, tout particulièrement sur ce point-ci.

Rory n'avait rien inventé en prétextant vouloir garder confidentielles les lignes d'un projet qui n'était à ce stade rien de plus qu'une ébauche, un manuscrit encore inanimé. Dans le cinéma comme ailleurs, les gens avaient pour coutume de rester silencieux, par peur irrationnelle de se porter malheur, ou encore de s'enthousiasmer pour rien. « Elle a raison, les superstitions sont importantes dans le métier. » concéda-t-il, trop heureux de prouver à son interlocuteur qu'il existait bien des sujets sur lesquels ils pouvait s'accorder. Micah comprenait que sa curiosité, en plus d'être intrusive, puisse paraître suspecte. Rory n'avait peut-être même pas signé de contrat à cette heure, et il lui suffisait d'un coup de fil pour passer une audition et lui rafler le rôle. Du moins c'était sans doute le délire paranoïaque qui devait se jouer dans l'esprit de l'acteur, qui s'accrochait belliqueusement à son projet comme un ours à sa progéniture. Il pouvait bien se le garder son script, Micah n'avait fait qu'être poli. Des quelques renseignements glanés sur Rory, il ne l'aurait jamais qualifié de particulièrement possessif. Pourtant, si son attachement à un projet soi-disant confidentiel pouvait sembler légitime, la façon qu'il avait de s'approprier son agent dénotait autre chose. Un manque de confiance sans doute, ou la certitude inavouable que le talent de Micah ne se limitait pas à ses frasques dans les journaux. « On est toujours en bons termes. Mais c'est un peu comme les couples qui se forment jeune, au bout d'un moment tu as envie d'explorer autre chose. Puis j'ai jamais vu mon père autrement que mon agent. Ce serait bien qu'il soit juste mon père, tu vois ? » avait-il répondu avec nonchalance. Le mensonge, si bien ficelé, avait en plus le luxe d'être délivré avec une assurance indiscutable. « Pourquoi pas une bonne idée ? Tu as peur que je te pique des rôles ? Je vois pas le problème. » demanda-t-il enfin, un peu agacé de ce comportement passif-agressif que lui réservait Rory depuis le départ. S'il avait un problème avec lui et ses ambitions, il n'avait qu'à lui dire clairement, même si Micah n'était pas du genre à s'en formaliser. Avec ou sans l'approbation de Rory il ferait en sorte d'arriver à ses fins. « Je démarche personne, je profite juste d'une heureuse coïncidence. C'est justement comme ça que fonctionnent les connexions. » avait-il à nouveau romancé. L'un comme l'autre était déterminé à s'accrocher fermement à ses propres motivations.

Les paroles de Rory étaient à son image : douces en apparence, et un peu acides dans le fond. S'il était un fruit, il serait un kiwi. Ses questionnements visiblement désintéressés semblaient orientés, presque rhétoriques. Micah se faisait un malin plaisir de lui donner tort. « Bof tu sais, c'est surtout les gens autour de nous qui font l'intérêt d'une ville. Comme tu l'as dit, j'ai quelques connexions à Brisbane, et c'est surtout là qu'habite ma famille. » Rory n'était pas censé savoir les liens qu'il entretenait – ou n'entretenait pas, en l'occurrence – avec sa famille. C'était bien un thème qui n'avait jamais intéressé la presse, parce qu'il n'y avait tout simplement rien à raconter. L'allusion à Byers ne passa pas inaperçue, mais Rory resta de marbre, bon joueur. Micah n'avait pas choisi ses mots au hasard, et si le remercier lui écorcherait la bouche, d'autant que la confidence de Penny remontait à la nuit d'ivresse qu'ils avaient passée ensemble, il était prêt à lui céder quelques points. « C'est bien aussi parfois de ne pas avoir de stratégie. Tu as agi impulsivement, et je crois qu'hormis Byers et sans doute Donna, personne ne t'en veut pour ça. » dit-il en hochant la tête. Il le pensait, et d'ailleurs si la vérité éclatait un jour, nul doute que Rory serait érigé en héro. Celui qui n'avait pas hésité à jeter sa carrière aux ordures par simple galanterie. Les médias avaient tendance à rendre tellement simples les situations les plus complexes. « J'ai bien peur que les questions soient plutôt d'ordre personnel du coup. Mais bon, rien de bien nouveau, depuis le temps je sais comment orienter mes réponses. » Comme toujours on aborderait sa vie privée, puis on lui rabâcherait les mêmes anecdotes sur les tournages de Neighborhood, avec peut-être quelques images prétendument exclusives retrouvées au fond d'un tiroir, justement laissées là pour ne plus être déterrées. L'exercice l'horripilait, mais c'était un passage obligatoire. « J'ai peut-être brisé des cœurs en Californie, mais pas en la quittant. Tu le sais bien de toute façon, c'était dans tous les journaux. Mais toi alors, il parait qu'il y a une mystérieuse inconnue ? » Micah avait peut-être eu une relation digne d'intérêt à Los Angeles, mais il avait surtout l'impression que Rory essayait de noyer le poisson. Entre eux deux, il était celui qui avait la vie sentimentale la plus mouvementée et documentée dans les journaux.

 

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@MICAH TOMLINSON & RORY.

Ne rien ébruiter sur ses futurs projets était une habitude prise en commençant sa carrière, Rory ne s'attendait donc pas à ce que Micah s'étonne qu'il ne puisse pas lui en dire grand chose. Tout était encore plus particulier quand on savait qu'il n'avait plus tourné pour le grand écran depuis plus d'un an et que la dernière fois le tournage avait tourné au fiasco suite aux événements que chacun connaissait, dans le détail ou non. S'intéressant alors aux rapports que Micah entretenait avec son père, Rory accueillit sa réponse d'un léger hochement de tête. « Je comprends, c'est un peu comme un divorce à l'amiable finalement. » Il supposa, croyant comprendre que Micah cherchait sans doute à différencier la relation qu'il entretenait avec son père de celle qu'il entretenait avec son agent. Ce serait profondément humain après tout. « J'ai toujours pensé que ça devait être une chance que ton père puisse comprendre et encourager ta passion, mais je crois qu'aucune situation n'est parfaite. » Il l'avait souvent envié de pouvoir partager ça avec un de ses parents quand les siens ne l'avaient jamais encouragé, mais Rory était assez lucide pour savoir que ça devait aussi présenter quelques cotés moins agréables. Finalement, il secoua la tête. « Si j'avais peur de chaque nouveau visage qui rejoint l'agence, je serais sur mes gardes en permanence. Et c'est pas vraiment ma vision de ce boulot. » Se tirer dans les pattes ne ferait jamais partie de ses principes, peu importe que ce soit de cette manière que Micah entendait mener sa carrière. Et même plus réservé et moins assuré dans son tempérament que lui, Rory faisait ce métier depuis assez longtemps pour savoir comment les choses fonctionnaient. Des acteurs talentueux il en croisait tous les jours, il ne se mettait pas à craindre pour sa carrière pour autant. « Je suis juste assez lucide pour savoir qu'on se porte pas particulièrement dans notre cœur. Ça a jamais tellement posé problème jusqu'ici, mais ça pourrait changer si on travaillait au même endroit. » Des atomes crochus, ils s'en seraient peut être trouvés si une certaine défiance ne s'était pas installée entre eux avant même qu'ils ne prennent réellement le temps de se découvrir. Rory aspirait juste à recoller les morceaux de sa carrière sans que des inimitiés viennent lui rendre les choses plus difficiles. Les rivalités faisaient partie de ce milieu, mais faire des croche-pattes pour avancer un mètre plus loin que les autres ne l'intéressait pas. En était-il de même pour Micah ? Rory en doutait raisonnablement, bien qu'il compte lui laisser le bénéfice du doute. « Arriver dix minutes avant mon agente quand tu cherches précisément quelqu'un pour te représenter, c'est ce qu'on appelle une coïncidence plutôt heureuse en effet. » Si le hasard avait quoi que ce soit à voir là-dedans, une question que Rory aimait mieux ne pas se poser.

Micah semblait en tout les cas être revenu pour de bon et la nouvelle ferait sans aucun doute le bonheur de bien des fans. En plus des proches de l'acteur de qui il disait éprouver le besoin de se rapprocher, ce que Rory comprenait peut être mieux que personne. « On en revient toujours à nos proches, pas vrai ? On a beau dire qu'on partirait des mois à l'autre bout du monde pour ce boulot, je sais que ma vie est auprès de ma famille et des personnes que j'aime. » Rory savait qu'il y avait plus d'une personne ici qu'il serait bien incapable de laisser derrière lui même pour aller vivre sa passion à des milliers de kilomètres de là. Micah lui avait toujours donné l'impression de cultiver une plus grande indépendance, pourtant c'était bien ses propres attaches qui l'avaient ramené à Brisbane. Une preuve, peut être, qu'ils n'étaient pas si différents qu'ils le pensaient. Se taquiner sur des sujets qu'ils savaient sensibles était simplement le moyen par lequel ils avaient appris à communiquer, et Rory ne nierait pas que dans d'autres circonstances il aurait sûrement apprécié prendre conseil auprès de Micah lorsque l'attention de la presse avait été la plus oppressante. Si quelqu'un avait toujours su gérer ce genre de choses, c'était bien lui. « Aujourd'hui peut être, mais au lendemain de l'incident la presse s'en était plutôt donnée à cœur joie. Beaucoup de gens m'en ont voulu d'avoir fait échouer le tournage, et je peux pas vraiment leur en vouloir pour ça. » Sa rancœur n'avait jamais été destinée à ceux qui avaient jugé sans savoir, c'était uniquement envers Byers qu'il en avait et sa seule consolation était qu'ils avaient peut être une chance de faire bouger les choses le jour où toute la vérité serait enfin sue. Pas seulement à l'échelle de cette affaire, mais à l'échelle de ce milieu. Micah, lui, s'apprêtait à faire un come-back télévisuel remarqué et si Rory ne prétendrait pas l'envier à cet instant où sa vie revenait doucement à la normale, il devait reconnaître que sa sérénité forçait l'admiration. « Et n'importe quel agent te dirait que c'est un petit prix à payer comparé aux retombées que ça pourrait avoir. Une interview de Micah Tomlinson fait forcément sensation, non ? » Il n'en serait pas surpris et savait aussi Micah suffisamment malin pour glisser une ou deux infos croustillantes qui ne mettraient que quelques minutes à déferler la toile. Vie personnelle ou pas, il s'en sortirait bien. « A vrai dire j'ai évité autant que j'ai pu de lire les journaux ces derniers mois. Mais ravi d'apprendre que ta réputation de tombeur de ces dames n'est pas usurpée. » Il ponctua d'un sourire joueur, sans pouvoir toutefois garder plus longtemps pour lui une information que Micah semblait déjà posséder. Quelle que soit la façon dont il l'avait su, ils avaient assez de connaissances en commun pour que ça ne le surprenne pas. « Il paraît, oui. Elle s'appelle Stella, et c'est assez récent. Et plutôt drôle quand on pense que vous fréquentez sûrement les mêmes soirées et que tu avais plus de chances de l'y croiser que moi de la rencontrer ailleurs. » Mais le hasard faisait parfois bien les choses, et il ne nierait pas qu'il appréciait de voir son horizon s'éclaircir après une année compliquée sur tous les plans pour lui, peu importe à quel point il désirait prendre son temps et ne surtout rien précipiter avec la jeune femme. « Penny est au courant. Et pour ce que ça vaut, j'espère que tu sais que j'ai pas l'intention d'être un obstacle si elle était pas complètement étrangère à ton envie de revenir à Brisbane. » Il souffla en toute transparence, et parce qu'il jugeait peut être le moment opportun pour clarifier certaines choses et notamment sa position quant à la relation de Micah et la jeune femme. Si Rory était protecteur, il n'irait jamais interférer dans ce que Micah pourrait vouloir tenter avec Penny. Son affection pour elle était dénuée d'ambiguïté et c'était un détail qu'il méritait de connaître si comme il le pensait le chapitre de sa relation avec la blonde n'était pas complètement terminé à ses yeux.

Parler de sa famille figurait en bas de la liste des sujets que Micah se serait attendu à aborder avec Rory. Si la bienveillance de son interlocuteur pouvait sembler hypocrite et un brin obligée, il dégageait une empathie naturelle qui brouillait tous ses radars. « On peut dire ça. Enfin si tu entends par là qu'il y a toujours une personne plus lésée que l'autre dans l'histoire. » C'était un aveu résigné plutôt qu'une invitation à creuser davantage. La relation qu'il entretenait avec son père ne regardait que lui, et c'était d'ailleurs un drame de sa vie qui n'avait miraculeusement jamais intéressé le public. Si Micah semait quelques indices des détails peu reluisants de son intimité, c'était plus pour paraître humain aux yeux de Rory que pour lui signifier qu'il lui accordait la moindre confiance. Au contraire, même si d'autres l'avaient fait avant lui, il serait bien malhabile de lui fournir les armes qui l'anéantiraient dans cette guerre tacite qu'ils menaient tous les deux. « C'est une chance au début. Certains diraient même du favoritisme. Mais tu sais on a beau dire ce qu'on veut, c'est impossible de constamment séparer travail et vie perso quand les deux on toujours été plus ou moins étroitement liés. J'ai besoin d'un regard neuf sur ma carrière, et surtout d'un regard objectif. » avait-il confié, surpris lui-même de faire preuve d'autant de lucidité sur les origines de sa carrière. A quoi bon lutter, il savait bien qu'il n'était pas du tout parti sur un pied d'égalité avec un acteur comme Rory Craine, et c'était peut-être ce qui rendait ce dernier bien plus digne et méritant que lui, et de fait leur rivalité plus décisive encore à ses yeux. Même s'il n'en croyait pas un mot, Micah opina déloyalement, rassurant Rory dans ses fausses convictions d'être un artiste intègre. Bien-sûr qu'il se comparait aux autres acteurs de l'agence, c'était le principe du métier. Personne ne se dépassait par complaisance. Il y avait toujours une ambition cachée de faire mieux que les autres. Et si Rory se persuadait du contraire, c'était seulement parce que son agent menait cette compétition à sa place. « Tu crois ? C'est de la fiction tout ça, est-ce que tu as déjà eu une conversation plus longue avec moi que celle qu'on a aujourd'hui ? » Comme celle qu'il entretenait avec d'autres acteurs, cette concurrence le nourrissait. Sa légitimité, elle, importait peu.

Dans sa réponse, Rory s'exposa un peu plus. Il ne s'en doutait peut-être pas, mais l'importance de ses liens familiaux était incomparable avec celle que Micah avait évoquée pour s'épargner d'autres justifications. « J'imagine oui. Tu comprends mieux pourquoi je voudrais que mon père soit juste mon père pour une fois. Même à nos rares repas de famille on parle boulot. » Micah ignorait la généalogie des Craine. Il ne s'était intéressé qu'à celui qui lui faisait face, comme si c'était une chimère désincarnée, un simple nom qui agrémentait les articles scandaleux qu'on rédigeait sur lui. Il venait de balayer cette idée en un fragment de seconde, distillant comme Micah avant lui les quelques détails attendrissants de sa personnalité. En fait, l'estime qu'il lui accordait remontait déjà à quelques mois, quand Penny lui avait fait la confidence enivrée de son agression avortée. On ne percevait dans le ton résigné de Rory que très peu de remords. « Et toi tu t'en es voulu ? » avait-il fini par demander. Trop longtemps Rory avait été contraint de déguiser sa culpabilité, parce que son geste avait eu une incidence sur beaucoup de carrières au delà de la sienne, mais il apparaissait trop chevaleresque à ses yeux pour être de ces gens qui changeraient le passé. A l'écouter, malgré l'avalanche causée par ce malheureux coup, c'était un acte qu'il revendiquait secrètement. Et, surtout, un acte qu'il était prêt à récidiver. Micah se savait bien moins capable d'abnégation. D'ailleurs, il était sur le point de sa pavaner sur les plateaux télé tandis que la santé de son père se dégradait. Ironiquement, c'était ce dernier qui avait tout fomenté. « Oui c'est ce qu'on m'a dit. C'est la rançon de la gloire n'est-ce pas ? » Bien-sûr qu'il allait donner le change lors de cette émission, c'était ce qu'il devait à son public australien. « Franchement j'ai pas l'impression d'être plus un tombeur que n'importe quel autre mec de mon âge. C'est juste que ça intéresse les gens. Et j'en profite peut-être un peu. » dit-il en hochant les épaules. Oui il était excessivement narcissique et sa notoriété faisait de lui une proie de la vénalité, mais il n'était qu'un homme comme les autres profitant de la liberté de son célibat. « Ah oui ? On se connaît peut-être, qui sait ? On croise beaucoup de gens à ces soirées. Trop de gens pour que ce soit autre chose qu'anecdotique. » avait-il fait mine de s'étonner. Il la connaissait en fait. Virtuellement du moins. Et à l'évidence son prénom était à la hauteur de ses ambition.

La détente avec laquelle Rory évoqua le nom de Penny l'avait pris au dépourvu. Venait-il de hisser un semblant de drapeau blanc dans cette bataille théorique qu'ils se livraient dans la conquête de son cœur ? « Elle est pas du tout la raison principale de mon retour. Mais tu sais aussi bien que moi comment un tournage peut rapprocher les gens. Dis-toi que j'ai tourné plusieurs années avec elle, c'est pas juste anecdotique pour le coup. Alors oui, elle a forcément une place importante dans ma vie. » La conversation devenait sensible et les sentiments trop vifs. Heureusement l'ombre de Donna, qui se projeta comme un présage sur la table, écourta leur échange. Micah leva le menton avec suffisance. « Vous êtes la fameuse Donna. Je vais pas prendre plus de votre temps à tous les deux. Voici ma carte, si jamais il vous reste de la place pour un nouveau talent. » avait-il dit en se levant, glissant la carte dans la poignée de main cordiale qu'il lui réserva. « On se recroisera bientôt. » avait-il lancé à l'égard de Rory. Il chaussa ses lunettes de soleil, puis tourna les talons.

 

don't rain on my parade.

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C'est sur le ton de la confidence que l'échange se poursuivit et aussi inattendue soit-elle, cette tournure n'était pas pour déplaire à un Rory sincèrement curieux et empathique face aux paroles de Micah. « Et c'est une chose que ton père peut sûrement comprendre, et même sans doute encourager. Après tout lui aussi a sûrement envie de simplement pouvoir te voir comme son fils. » Et plus comme son protégé, après que cette répartition des rôles ait semblé faire plus de tort que de bien à la relation que l'acteur partageait avec son père. Rory n'avait aucun mal à comprendre qu'il puisse vouloir retrouver une dynamique plus saine et moins professionnelle avec lui : mêler boulot et vie privée n'avait plus généralement jamais tellement fait bon ménage à ses yeux. La seconde suivante, Rory soutint le regard de Micah et finit par concéder, dans un léger haussement d'épaules. « Bien sûr que non. On sait tous les deux qu'on s'est jamais vraiment laissé la moindre chance de dépasser notre première impression. » Sans qu'il ne puisse vraiment se l'expliquer ni n'aspire à camper sur ses positions plus longtemps sous prétexte que Micah et lui avaient sûrement manqué d'occasions de dépasser certains aprioris. « Ça peut encore changer, surtout si nos rencontres se font à l'avenir plus nombreuses. » S'il est vrai qu'il éprouvait au départ quelques réserves à l'idée que Micah et lui puissent être représentés par la même agence, Rory ne comptait pas faire quoi que ce soit pour altérer les chances du jeune homme d'être représenté par Donna. Il savait combien elle était fiable et professionnelle et que n'importe quel acteur gagnerait énormément à l'avoir à ses cotés, il n'avait donc pas le moindre intérêt à lui compliquer les choses et n'avait aucune appétence pour ce genre de pratiques. Rory n'avait rien de personnel contre Micah et il préférait pour cette raison laisser les choses se faire et accepter l'idée qu'ils puissent peut être avoir tiré des conclusions trop hâtives. L'avenir le leur dirait sans doute.

Il semblerait qu'ils aient déjà plus de points communs qu'ils ne l'avaient jamais soupçonné et Rory devait reconnaître que le capital sympathie de Micah remontait depuis déjà plusieurs minutes. « Je comprends, oui. Le boulot a beau vous avoir toujours étroitement liés, vous en avez pas moins du temps à rattraper tous les deux. » En dehors du boulot justement, dans tous les aspects de la vie de Micah qui n'impliquaient pas que son père soit aussi son agent. Des discussions sur d'autres sujets, ils en auraient probablement de nombreuses s'ils rendossaient simplement leurs costumes de père et fils, et c'était une chose qui semblait réellement tenir à cœur à Micah. « Je vous souhaite que vous puissiez vous rapprocher. » Et il était sincère, peut être d'autant plus parce que lui aussi avait toujours aspiré à partager une relation plus complice avec son propre père. Si le problème n'était pas le même que pour Micah, le désintérêt certain que son père avait longtemps porté à son choix de carrière avait causé beaucoup de peine et de frustration à un Rory autrefois désireux de le rendre fier par ce biais à défaut d'y être parvenu avec le sport. C'était toujours le cas aujourd'hui, bien sûr, mais il avait fait du chemin et accepté qu'il ne serait probablement jamais un fils autant à la hauteur que pouvait l'être Garrett. Et ça lui allait très bien, et pas juste parce qu'il avait toujours été le premier à prendre son aîné pour modèle et à refuser de se comparer à lui : il perdrait sur tous les tableaux. « Pas d'être intervenu ce soir-là, mais une part de moi s'en veut pour tout ce que mon geste a provoqué ensuite, oui. » Il avoua finalement, sans qu'à aucun instant il ne songe pourtant qu'il y avait ce soir-là une autre solution que celle pour laquelle il avait opté, à l'instant où son poing s'était abattu sur le visage de Matthew Byers. Non, il ne regrettait pas son geste parce qu'il ne visait qu'à défendre Penny et éviter que plus de mal ne soit commis au cours de cette soirée. Pour ça, il ne changerait rien à sa manière de réagir. Mais son geste avait eu des conséquences qu'il avait largement eu le temps et l'occasion de mesurer au fil des mois. Lorsque Penny et lui avaient vu leurs carrières puis leurs réputations entachées, lorsque la jeune femme avait fait les frais de l’insistance et de la curiosité souvent malsaine des journalistes. Lorsque lui n'avait pas seulement perdu un rôle, mais aussi celui qu'il aimait plus que tout. Et ils n'étaient pas les deux seules existences que cette histoire ait impacté lorsque le tournage avait pris fin. « Même si mon plus grand regret restera de ne pas être arrivé plus tôt ce soir-là. » Il y avait souvent repensé, aussi inutile que ce soit, toutes les fois où il avait songé que tout ça en aurait vraiment valu la peine si au moins il avait pu intervenir avant que Byers n'ait même le temps de s'approcher trop près de Penny. S'il avait pu lui éviter cette souffrance-là, à elle, quand bien même il savait que le pire avait justement été évité. Ce n'était jamais suffisant lorsque votre plus proche amie était concernée. Ce n'était jamais suffisant lorsqu'un être humain, quel qu'il soit, l'était. Au moins avait-il aujourd'hui la satisfaction de voir les mentalités autour de cette histoire évoluer. Micah, lui, ne manquerait assurément pas de faire le buzz dès sa prochaine apparition télévisée et Rory lui-même aurait certainement la curiosité de visionner l'émission, ne serait-ce que pour admirer l'aisance avec laquelle il s'adressait toujours même aux animateurs les plus coriaces. « J'ai aucun doute que ce sera pour toi qu'une formalité. » Micah maîtrisait parfaitement les codes des interviews et sa décontraction naturelle expliquait en partie sa notoriété auprès du public. « Qui sait, un jour t'auras peut être envie de te poser. » Il le taquina pour la forme, mais c'était surtout une manière de lui faire comprendre qu'il ne devait de comptes à personne sur qui il décidait de fréquenter ou non. Rory le premier n'avait jamais été désireux de partager les moindres détails de sa vie privée avec l'opinion publique, ce qui expliquait qu'il reste encore discret sur son histoire avec Stella. « Sans doute, oui. J'aurai peut être l'occasion de te la présenter en bonne et due forme, dans ce cas. » Il suggéra, loin d'imaginer que sa petite-amie n'était pas inconnue à Micah mais aussi que son histoire avec la jeune femme connaîtrait en fin de compte une issue abrupte et douloureuse.

Si le nom de Penny semblait toujours synonyme de relatives tensions entre les deux hommes, Rory commençait à comprendre que les intentions de Micah à l'égard de la jeune femme n'était peut être pas celles qu'il croyait, tout comme Micah devait comprendre qu'il n'avait aucune raison de se méfier de lui. « Je suis sûr qu'il en va de même pour elle. A vivre dans la même ville, vous pourrez au moins vous voir plus souvent. » Et il ne doutait pas que Penny apprécierait d'entretenir le lien qui l'unissait à Micah, quel qu'il soit aujourd'hui, connaissant déjà la place qu'il avait toujours eu dans sa vie. La façon que Micah avait de parler d'elle s'avérait en tout cas touchante et à défaut de se sentir légitime de creuser davantage la question d'hypothétiques restes de sentiments, Rory était au moins sincère lorsqu'il lui assurait n'avoir aucune intention de s'en mêler. Donna, elle, choisit finalement ce moment pour apparaître et Micah, lui, pour prendre congé d'eux. Et tandis que son agente se fendit d'un sourire poli au moment de serrer la main de l'acteur et de saisir sa carte de visite, Rory comprit que la proposition du jeune homme n'était sûrement pas tombée dans l'oreille d'une sourde. « Comptez sur moi pour en faire bon usage. » Souffla-t-elle simplement, tandis que Rory salua Micah d'un signe de la tête. L'observant s'éloigner, il reposa son regard sur son agente qui semblait se demander ce qu'elle avait bien pu rater pour tomber sur Micah Tomlinson attablé avec lui. « Je t'expliquerai. » Sans pour autant lui conter les détails de sa conversation avec l'acteur, qui ne regardaient que Micah et lui et que Donna n'avait pour une fois aucune raison de connaître.