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Yeah, you know, there are people thrown out of helicopters and into the sea for their political opinions out there. If there's anyone who's watching over humanity, I doubt they're keeping tabs on an adulterer and a lesbian.” Cette discussion sur l’existence d’un Dieu tout puissant qui les juge est à la fois passionnante et terrifiante pour Jean. Une femme infidèle et une lesbienne, voilà ce qu’elles sont aux yeux de Dieu selon elle puisque de son point de vue, Dieu (ou la morale si l’on reste plus abstrait) est partout et veille sur la moindre interaction sur Terre. Si quelqu’un compte les points quelque part, Jean considère qu’elle a fait beaucoup trop d’erreurs dans sa vie pour être épargnée par une quelconque punition divine qui tombera un jour.
« I hope you’re right... » Elle espère mais elle n’y croit pas, elle ne le ressent pas ainsi. “
There's at least gotta be a scale or something. Like: okay, this one over there is gay, but does she deserve to be sent to hell alongside Pol Pot and John Howard?” Jean ne peut s’empêcher de rire devant cette comparaison, surtout que…
« You know that John Howard isn’t dead yet, no ? » Mais peu importe car ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est que finalement, elles n’ont tué personne, ne se battent pas contre les droits de l’homme, elles essayent même de laisser une empreinte positive sur le monde et ça ne devrait pas compter pour du beurre aux yeux de la morale ou d’un Dieu. Au moins, Grace ne blesse-t-elle personne avec ses amours non conventionnels, tandis que Jean va briser le cœur de Matthias, elle en a la certitude…
La discussion dérive d’un sujet à l’autre et finalement, c’est Grace qui se confie sur son départ soudain sans prévenir, le peu de nouvelles qu’elle a données, elle s’excuse à sa façon en essayant de s’expliquer. Jean n’a aucune idée qu’elle a été la seule à avoir le privilège de recevoir quelques nouvelles et elle n’aurait probablement pas vécu les choses de la même manière si Grace l’avait laissée totalement dans l’obscurité. Toujours est-il qu’elle essaye de faire comprendre à son amie qu’elle la comprend, qu’elle l’aime et l’accepte comme elle est et qu’elle a bien fait de le faire si elle en avait besoin. Leur étreinte est délicieuse jusqu’à ce que la dernière pique sur les nausées de Jean la pousse à lancer une attaque de chatouilles qui les fait rouler joyeusement dans l’herbe et leur lutte enfantine s’interrompt aussi naturellement et brutalement qu’elle a commencée. Finalement, à nouveau blotties l’une contre l’autre, Jean avoue les choses de manière très abrupte, seul l’alcool et l’euphorie d’être réunie avec Grace a pu délier ainsi sa langue. Elle n’aime pas Matthias, elle ne comprend plus sa famille, elle déteste ce boulot de serveuse qu’elle est forcée d’avoir pour faire de l’argent, elle hait ses piles d’articles non publiés qui s’entassent dans la mémoire de son ordinateur. Elle voudrait tout laisser derrière elle et partir faire ce qu’elle a toujours voulu faire : aller sur le terrain, auprès de ceux qui souffrent et porter leur parole. Si seulement ça pouvait être aussi simple que de le décider… “
Seriously, though. I’ll take you up on that. But I don't think it's cowardly at all, you know, taking a leap of faith. And it'll be worth it, and at some point you’ll look back and think: thank fuck I did it. You just need to get there.” Elle espère que ça aura valu le coup et qu’elle ne va pas finir par être une simple serveuse qui rêvait autre fois d’être journaliste.
« Yeah well… I’m not there at all... » se désespère-t-elle. “
Plus, it takes a lot of courage to stay and try to be the person that people want you to be.” Pourquoi cette phrase lui déchire-t-elle le cœur ? Elle ne le sait pas vraiment… Peut-être parce qu’elle résonne beaucoup trop avec toute sa vie entière, elle a de grands rêves mais elle les a partiellement sacrifiés pour ceux qui comptent vraiment pour elle. Ils ne seraient probablement pas d’accord avec cela, ils lui diraient qu’elle exagère, qu’elle est partie faire l’école qu’elle voulait, abandonnant sa famille en deuil, qu’elle délaisse son mari pour passer des heures dans son bureau… Mais elle est revenue à Brisbane alors qu’elle aurait pu aller n’importe où dans le monde après ses études. Et elle essaye malgré tout de comprendre ce qui ne fonctionne pas avec Matthias pour sauver leur mariage, c’est peut-être audacieux de dire qu’elle a couché avec Enoch pour cela et elle n’osera jamais le dire à voix haute, mais quelque part c’est la vérité. Elle essayait juste de se comprendre, elle et ses sentiments.
« I’m just trying to do things right for everybody... » souffle-t-elle en se rendant bien compte qu’elle n’y arrive finalement pas et qu’elle ne rend personne heureux, ni sa famille, ni Matthias, ni elle-même… “
I mean it, though. You could get a divorce and tell the newspapers to fuck off and we could just leave. Fake our own deaths and start all over again on the other side of the planet. I wouldn’t mind.” Jean a un sourire triste, son amie vient juste de rentrer et elle est déjà prête à disparaître à nouveau et tout abandonner pour être avec elle. Ça lui paraît le plan le plus fou de l’univers, un plan qui fera beaucoup de mal à beaucoup de personnes, clairement quelque chose qu’elle ne fera jamais et qu’elle ne peut pas exiger que son amie fasse juste pour l’aider à se sentir.
« Sounds amazing but you know we can’t… you just got back... » Elle ne peut pas s’empêcher de penser à tous les autres, ceux qui ne sont ni Grace et ni elle-même et qu’un départ comme ça affectera durement. Leurs familles respectives en premier lieu… Jean n’a pas le courage de faire une chose pareille, elle n’est pas à la hauteur de Grace mais celle-ci n’est pas d’accord : “
You’re the bravest person I know. You just need time to figure things out” et elle prend sa main dans la sienne et Jean n’a pas envie de la contredire, elle décide d’accepter ce compliment même si elle n’y croit pas vraiment. Elle a juste envie de se sentir bien dans les bras de sa meilleure amie, sous un ciel étoilé et de rêver à une vie d’aventures à ses côtés, alors elle ferme les yeux et reste là, à serrer la main de la photographe comme si sa survie en dépendait.
Après un long silence pendant lequel Jean en arrive à presque somnoler, Grace reprend la parole : “
How about I get you home, snookums? You might have thrown up your alcohol but I haven’t and my legs feel all wobbly.” Jean rouvre les yeux, quittant son fantasme de vie à deux et retrouvant la réalité qui les environne. “
Or we could just prepare for our future life as hobos and sleep in the grass” Ça a l’air tentant sur le moment, de rester là, mais comme d’habitude l’existence de son mari se rappelle à sa mémoire, elle imagine sa tête si elle lui annonce demain après qu’il ait passé la nuit à s’inquiéter qu’elle a dormi dans l’herbe au bord de la rivière avec Grace.
« We should call a cab… you’re not driving with your wobbly legs and I shouldn’t either. » Et elle se redresse à regret, se détache de l’étreinte si douce et réconfortante, il est temps de retourner à la réalité. Elle aide son amie un peu trop ivre à se lever et elles disparaissent dans la nuit pour chacune se faire déposer chez elles. Ces retrouvailles, Jean ne les oubliera jamais, elles lui ont confirmées que peu importe ce qui pourra les éloigner l’une de l’autre, elles finiront par se retrouver comme si elles ne s’étaient jamais quittées et c’est tout ce qui compte pour elle.