Blanchir de l’argent dans un casino est un pari risqué, mais je le prends. Je choisis de relever ce défi parce qu’il ne s’agit pas d’être la cible de malfrats qui, pour un coupon d’échange, se servirait de l’établissement comme d’une machine à laver. Il est surtout question de contrôler toutes les entrées, y compris les plus frauduleuses et de les englober dans la comptabilité générale. Est-ce intelligent ? Peut-être. Est-ce que ça va fonctionner ? J’en suis convaincu. Est-ce que je me figure possible que les flics ne m’auront pas dans le viseur compte tenu de mes acoquinements ? Loin de là. Toutefois, je risque. Je le tente avec l’appui de Raelyn. Ce plan, je lui ai soumis après l’un de ses instants coquins qui nous apaise et qui nous éclaircit l’esprit. Ensemble, nous l’avons discuté, peaufiné, travaillé pour que le hasard ne nous surprenne pas. Est-ce idiot de considérer que nos chances de réussite flirte avec le sommet ? Certains me rangeraient certainement dans la case des rêveurs, mais elle ne m’est pas désagréable. Elle est préférable à celle que l’on colle sur le front des envieux. Elle me sied mieux parce qu’elle est inédite. N’ai-je pas cru que jamais plus je n’envisagerais pour moi un avenir, qu’il soit professionnel ou intime ? Après la mort de Sofia, ça ne me pendait pas seulement au nez, c’était une évidence. Au moins, mes désirs de vengeance m’auront-ils aidé. Rejoindre le Club était une riche idée finalement. Certes, le dessein nourri n’était pas de tomber amoureux, de monter mon affaire avec pour partenaire l’une des chefs de file de mon ennemi juré et, par la suite, rafler la mise au nez et à la barde de Mitchell. Mais, seule compte la chute dans cette histoire. J’ai trouvé dans cet endroit maudit bien plus de bonheur que je n’étais venu en chercher au départ. Peut-être même de l’amitié, quoiqu’elle ne soit pas toujours saine. Sasha et Stacey en sont les preuves d’ailleurs. La première, elle est un moineau, un oiseau qui virevolte autour des fleurs que Rae et moi supposons plus vénéneuses et, par conséquent, dangereuses pour notre équilibre. La seconde, je l’ai rencontrée au bar clandestin tenu par les Strange. Elle y travaillait comme serveuse et moi, à l’époque, employé comme videur. C’était tout sauf gratifiant, mais j’ai appris. J’ai appris beaucoup en observant ce monde en silence, sur la façon dont il fonctionne et, indirectement, sur ma fille. Il me suffisait de tendre l’oreille pour comprendre comment fonctionnait la prostitution et pourquoi toutes femmes, évoluant dans ce milieu, est en danger, faute aux mains baladeuses de quelques porcs qui gravitent dans l’environnement de l’un d’entre eux. Intervenir pour sortir Stacey de cette situation épineuse n’était pas tout à fait mon job : il ne convenait pas de froisser la clientèle. Mais, la petite blonde, à peine plus vieille que ma gamine, avait les yeux écarquillés de peur. Alors, je suis intervenu. Je me suis interposé, en douceur afin de ne pas éveiller une quelconque colère chez mes supérieurs et, la gosse, je l’ai rassurée, discrètement, une fois encore, pour ne pas attirer les soupçons. Depuis, je la garde à l'œil. Je veille sur elle tantôt de loin tantôt de plus près selon qu’elle ait besoin de moi ou non. Ce n’est pas récurrent. Je ne dirais même que c’est épisodique. Ce qui la distingue de la majorité, c’est qu’elle est l’une des rares qui détient mon téléphone et à qui j’adresse un sourire sincère et un bonjour. Rien d’étonnant que nous, Rae et moi, soyons tombés d’accord pour lui proposer ce rôle important de “croupière”. Elle gagnera bien sa vie puisqu’elle veillera à ce que chacun recevra sa part. Elle travaillera en étroite collaboration avec le comptable. Ainsi l’ai-je contactée pour lui donner rendez-vous dans le futur casino. Sans surprise, elle est arrivée à l’heure et, sans surprise, mes lèvres se sont étirées d’un sourire. « Comment vas-tu ? » lui ai-je demandé après l’avoir saluée. « Tu t’en sors malgré tout ce qui s’est passé ? » La perquisition, la fermeture des restaurants, la disparition de Mitch et le chômage temporaire d’Alec. « Et ta soeur ? Tout se passe bien pour elle ? » Au contraire, je serai là pour l’aider, mais elle le sait, non ? Ce qu’elle ignore, c’est que je suis bien plus fiable que Mitch ne le sera jamais.
Flous. Les derniers jours l’ont été. Angoissée. Je l’ai été. Soudainement, sans crier gare, un retournement de situation a eu lieu dans les rangs du Club. Cela ne s’est pas déroulé sous mes yeux directement. Une journée habituelle à l’hôpital, la tête plongée dans une paperasse pas possible pour entrer les dossiers des nouveaux patients admis aux urgences. Cette alerte info qui vous fait lever le nez quelques secondes de ce qui vous occultez votre esprit jusqu’alors. Perquisition. Activement recherché. Trafic. Mitchell Strange. Il n’en faut pas plus pour que je laisse de côté mon occupation, que je me lève et m’approche un peu plus près de l’écran qui retranscrit les informations en direct. Les locaux du Club ont été réquisitionnés par la police, Mitchell semble être en cavale. Je sens mon cœur s’accélérer, mes jambes tremblantes. La fin. C’est ainsi que je l’ai vécu. La fin de cette lumière au bout du tunnel pour moi, qui peu à peu aurait pu me permettre de m’en sortir avec ma sœur. Mais aussi la fin pour Mitchell, que beaucoup déteste alors que pour moi, il compte. Il compte parce qu’il a toujours là pour moi depuis mon arrivée au Club. Que j’ai pu découvrir la personne qu’il était réellement derrière cette carapace de grand méchant loup. Naïve, je le suis peut-être mais dès l’instant où j’ai quelques secondes de répit, mes appels téléphoniques se dirigeront automatiquement vers lui… en vain.
Les jours passent, Raelyn Blackwell nous réunit pour nous rassurer, nous dire que désormais, elle prend les choses en main. Désormais, elle sera à la tête du Club et l’air Strange est définitivement résolue. Pourtant, rien ne me garantit que je retrouverai une place au sein de l’organisation quand il n’y a plus d’entité physique pour abriter celle-ci. Je m’inquiète, Alec me rassure, tout comme Sasha, me disant que les salaires seront maintenus le temps de se retourner. Cela ne suffit pas pour autant à lever toutes mes inquiétudes. Parce qu’il y a aussi cette menace qui plane sur la tête de ma sœur et moi. Celle où des hommes encore sont venus réclamés leur argent à cause de notre père. Cette dette, une de plus, cette menace, une de plus, que nous avons au-dessus de nos têtes, telle une épée de Damoclès prête à tomber à tout moment. Parce que les hommes semblent déterminer à revenir, à s’en prendre à nous et si, d’habitude, je n’y accorde pas trop d’importance, cette fois, je m’inquiète. Mila est intervenue, a voulu tenir tête à ses hommes, ils l’ont vu et surtout rodent devant la maison. Pendant quelques jours, j’ai pu voir cette même voiture trainer dans le quartier où nous habitons, stationnée quelques heures devant chez nous pour nous surveiller. J’ai gardé ça pour moi, je n’en ai pas parlé à Mila qui ne semble pas s’en être rendue compte. Mais j’ai peur. Peur qu’un jour ils s’en prennent à elle alors qu’elle rentre du lycée, peur d’apprendre qu’elle a été kidnappée ou pire… Ce père absent, que nous ne voyons presque plus, fuyant certainement parce qu’il sait qu’on viendra le retrouver pour lui faire sa peau. Non, à la place, il préfère laisser ses filles gérer, se disant sûrement que je payerai encore ou que les malfrats n’oseront pas s’en prendre à nous. Alec et Mitchell me sont déjà venus en aide. Plusieurs fois. Mais, ces derniers jours, mes rapports avec le cadet des Strange ne sont pas nécessairement au beau fixe, quand je n’accepte pas qu’il ait pu trahir son frère à ce point, souhaitant même sa mort. Quant à Mitch, en cavale, ce n’est pas le genre de services que je compte lui demander actuellement. Je pourrais en parler à Lawrence, mais je ne veux pas l’inquiéter. Je ne veux pas le mêler à tout ça. Quant à la police, ce n’est définitivement pas le bon moment. Amos est la seule personne sur qui j’ai pu compter cette fois, qui a répondu présent quand je lui ai parlé des emmerdes actuelles dans lesquelles ma sœur et moi étions encore et qui a immédiatement trouvé une solution… en partie.
D’ailleurs, Amos m’a contacté aujourd’hui, me donnant rendez-vous devant ce grand bâtiment qui semble en travaux. J’ignore ce qui s’y trame et c’est d’un pas prudent que je pénètre à l’intérieur. Très vite, j’aperçois l’homme et me dirige vers lui d’un pas un peu plus sûr et avec un grand sourire aux lèvres « Comment vas-tu ? », je hausse les épaules « Ca va merci… Et toi ? » J’observe les environs et me rends compte de l’ampleur du bâtiment. Evidemment, des questions commencent à germer dans mon esprit, de la curiosité même mais je suis vite extirpée de mes pensées par les questions qu’Amos me pose. « Tu t’en sors malgré tout ce qui s’est passé ? ». Mon regard retrouve alors le sien « Le fait que le salaire soit maintenu aide beaucoup donc je m’en sors… pour le moment ». Parce qu’il y a cette inquiétude qu’il peut lire sans difficulté sur mon visage, celle liée à l’après. Je sais que cela n’est qu’une solution temporaire mais va-t-elle durer ? Est-ce que du « tri » va être fait parmi les anciens employés ? Est-ce que je ferais partie de ceux qui seront gentiment remerciés ? « Et ta sœur ? Tout se passe bien pour elle ? ». L’évocation de ma sœur me fait immédiatement sourire, envieuse de cette joie de vivre qui l’habite et de son insouciance « Elle va bien. Elle et ses morceaux de tissues », je lance en riant doucement. Mila vise haut, rêvant de devenir styliste et d’intégrer cette prestigieuse école à la rentrée prochaine. Pour l’instant, ce rêve semble bien lointain et quand j’y pense, mon sourire disparait peu à peu. « Où sommes-nous ? » Je demande alors en observant à nouveau les lieux.
Stacey, je la compare à un oiseau de proie que l’on aurait braconné. Tiré de son milieu naturel, forcée d’évoluer dans un monde hostile et pour lequel elle n’est pas armée, elle avance d'un pas craintif et discret, histoire que nul ne la remarque. Elle semble consciente qu’être vu est synonyme d’emmerdes et je parierais ma main à couper que si je n'avais pas été son interlocuteur direct, elle aurait été tentée de refuser cette entrevue. Je ne lui veux aucun mal. Ce n’est plus à vérifier quoiqu’elle paraisse intimidée. Bien sûr, Je ne prétendrais pas qu’elle ne se méfie pas de son tempérament froid. Ce serait présomptueux de ma part d'envisager qu’elle me regarde ou qu’elle s’adresse à moi comme si nous étions de vieux amis. Je décrirais plutôt notre relation comme les balbutiements d’une ère de foi. Celle-là, elle est encore en chantier et si le choix de Rae et moi s’est dirigé vers la jeune blonde, c’est pour l’enjeu justifiant son engagement à l’organisation. Elle ne lui est pas dévouée. C’est aux rêves de sa petite sœur qu’elle consacre ses sacrifices et, de mon point de vue, ce postulat est immuable. Son père est un pilier qui ne tient plus debout. Finalement, elles ne peuvent plus compter que sur elles-même. Elles sont régies par la mécanique bien rodée des coudes. En outre, elle est assez intelligente pour comprendre les tenants et aboutissants de la mission que nous sommes près de lui allouer. N’est-elle pas la cliente idéale puisque sa loyauté ira vers ceux et celles qui lui ôteront les cailloux qui traînent dans sa chaussure ? Je ne lui vendrai pas des chimères. Je ne l’aveuglerai pas en lui jetant aux yeux des paillettes. Aujourd’hui, elle repartira avec assez d’informations pour saisir ce que nous attendons d’elle et ainsi statuer en âme et conscience, en fonction de ses limites, sur ce qu’elle acceptera ou non. En attendant, je recueille son sentiment sur les récents changements du Club et j’entends avec satisfaction que ses desseins - l'appât du gain pour Mila - sont encore sa priorité. « Raelyn n’était pas seulement la meilleure candidate, tout ce qu’elle a lui revenait. » Exprimerait-elle des doutes que je lui rappellerais sans vergogne et avec une pointe de déception objective, les absences de Mitch et le travail abattu par ma compagne pour maintenir le navire à flots. « Elle est loyale à ses équipes...» La précision est nuée de sens : elle n’est pas bête, Rae. Elle sait simplement dans quel panier jeter ses billes. « C’est une bonne nouvelle pour tout le monde, y compris pour ta soeur. » Par ailleurs, je suis content d’apprendre qu’elle se porte bien. Je ponctue donc d’un sourire et d’un « Moi aussi.». J’apprécie sa délicatesse et, à mon tour, je détaille la façade du futur casino. J’imagine le résultat final et je suis gonflé par une bouffée d’orgueil. L’heure est certainement venu d’en venir à l’ordre du jour. « Devant le futur casino que Rae et moi allons prochainement ouvrir. » Autrement dit, le futur QG du Club. Beaucoup seront dans l’ignorance, mais Stacey travaillait au bar clandestin de Mitch. Elle sait ce qui s’y tramait. Ne pas citer les faits, c’est en appeler à son sens de la logique. « C’est ici que tu travailleras, légalement, mais je sais que tu as besoin d’extra et j’ai quelque chose à te proposer. J’ai besoin de quelqu’un qui va gérer une table en particulier… une table de jeu. Il y aura une formation à suivre, mais je pense que c’est dans tes cordes et que ça pourrait t’arranger.» Financièrement, elle sera grassement récompensée.
Rien ne me prédisposait à arriver un jour à travailler dans l’illégalité. Rien et pourtant, c’est désormais mon quotidien. Une proposition rapidement acceptée parce qu’il y avait urgence. Une réflexion menée quand même consciencieusement en pesant le pour et le contre mais une réflexion aussi que j’ai dû menée seule. Une décision que je ne regrette plus. Les seuls regrets que je peux avoir sont liés à ce mensonge que je suis obligée de maintenir à l’égard de mes proches. Autrement, je suis consciente que, sans le Club, sans ce gang, sans cette famille que les deux frères Strange ont réussi à bâtir, je ne m’en serai peut-être pas sortie. Nous ne nous en serions peut-être pas sortie. Peut-être que Mila et moi serions séparés désormais, peut-être qu’elle m’aurait été retiré, peut-être que j’aurai fini par plonger plus bas que terre. En tout cas, je reste fidèle au Club quoi qu’il advienne parce que j’en ai besoin. Parce que oui, mon moteur, ce qui me fait me dire que je ne dois pas regretter cette décision c’est cette vie que ce travail me permet d’offrir à Mila. Malgré les reproches récents qu’elle a pu me faire après une dispute, où elle a su me dire que nous n’avions pas d’argent, et où finalement elle n’avait pas non plus totalement tort, nous nous en sortons. Nous parvenons à maintenir notre tête hors de l’eau. Le chamboulement au sein du Club m’amène évidemment à m’interroger sur la suite. Parce que j’ai besoin de cet argent. Autrement, le retour à la case départ serait insupportable.
Alors quand Amos me propose de venir le rejoindre, j’accepte. Il y a de la prudence face à l’inconnu. Je ne parle pas de lui mais de ce nouveau lieu dont j’ignorais l’existence jusqu’à maintenant. L’inconnu aussi quand, désormais, Raelyn Blackwell et aussi Amos étaient désormais à la tête du Club. Qu’à partir d’aujourd’hui, ils seront mes nouveaux interlocuteurs concernant mon travail au sein du Club et qu’ainsi ce n’est plus auprès des frères Strange que je devrais me diriger. Alec est toujours présent mais nos rapports se sont quelques peu tendus depuis que j’ai découvert qu’il faisait partie de la trahison vis-à-vis de son frère. Il faut que je m’accoutume à tout ça, il faut que je sois rassurée peut-être aussi sur le fait que, malgré ce renversement de pouvoir, je puisse à nouveau retrouver cette confiance en l’organisation. Mon regard balaye l’espace dans lequel nous nous trouvons, intriguée par ce qui se passe sous nos yeux. Amos me demande alors comment je me sens suite à tout ça et je me montre sincère avec lui. « Raelyn n’était pas seulement la meilleure candidate, tout ce qu’elle a lui revenait ». Malgré mon travail au bar clandestin, je n’étais pas mêlée plus que ça aux histoires plus sombres du Club. Alors cette affirmation qu’il avance, je ne me permettrais pas de la remettre en cause, même si pour moi, le Club a toujours été égal à Mitchell Strange. « Elle est loyale à ses équipes… C’est une bonne nouvelle pour tout le monde, y compris pour ta sœur ». Je tourne rapidement mon regard sur Amos alors qu’il évoque Mila. J’ai l’impression que tout le monde utilise cet argument pour me convaincre que les récents événements étaient finalement une bonne chose. Comme si tous c’étaient finalement donné le mot : Alec, Sasha maintenant Amos… Mais comment leur reprocher quand je n’ai jamais caché la raison de mon investissement dans le Club ? Mila est ma faiblesse et peut-être que je finirai par regretter d’en avoir trop parlé, de l’avoir trop exposée… « Je ne doute pas des capacités de Raelyn à remettre à flot le Club… C’est juste ce chamboulement soudain qui nous a tous surpris. Et l’attente de ce que l’on va devenir après tout ça… ». La sécurité. C’est ce que je recherchais avant tout. Ne plus avoir à m’inquiéter de mon sort quand depuis quelques jours, c’était devenu un flou total.
« Devant le futur casino que Rae et moi allons prochainement ouvrir ». Elle est là la réponse que j’attends. Ce lieu n’est autre que le prochain QG du Club. Mes yeux détaillent un peu plus les lieux pour se reposer ensuite sur Amos, avec un sourire plus assuré cette fois, montrant que cette nouvelle me rassure. « Pourquoi un casino ? » je me permets de lui demander. Parce que ce lieu change du précédent qui était plus discret. « C’est ici que tu travailleras, légalement, mais je sais que tu as besoin d’extra et j’ai quelque chose à te proposer. J’ai besoin de quelqu’un qui va gérer une table en particulier… une table de jeu. Il y aura une formation à suivre, mais je pense que c’est dans tes cordes et que ça pourrait t’arranger ». Il éveille ma curiosité par cette nouvelle tâche qui me sera attribuée. M’occuper d’une table signifie déjà que je serai croupière. Mais cette table en particulier me fait comprendre aussi qu’il y aura plus que cette simple légalité dont il me parle « Qu’est-ce que tu entends par une table en particulier ? » je demande alors prudemment. J’ai besoin d’en savoir plus, car s’il estime que cela peut être dans mes cordes, je veux être certaine que je considère à mon tour que ce sera dans les miennes. Non pas parce que je ne m’estime pas capable de m’en sortir avec la formation qu’il me propose, ayant toujours été bonne élève, mais parce que j’ai besoin de savoir si ce qu’il me propose me sera moralement possible.
Je comprends les inquiétudes de Stacey. Alec l’a introduite au sein du restaurant et, par la suite, dans ce bar clandestin tenu par son frère. Mitchell avait tenu lieu de sauveur. Il aimait bien cette position. Il s’arrangeait pour la prendre afin de s’assurer la loyauté de ses ouailles. Les filles, il les nourrissait, les blanchissait, leur donnait l'impression qu’il était la dernière issue pour se sortir d’une situation merdique. Celle de Stacey l’était. Son père n’était pas un modèle d’altruisme. Ce salaire, que Raelyn a maintenu, elle en a cruellement besoin. Évidemment que cette décision, somme toute intelligente, de la part de ma compagne, l’aura rassurée. Moi, ce que je veux, c’est qu’elle soit convaincue qu’elle n’est pas arrivée là parce qu’elle aura poussé Mitchell au bas de son trône. Je veux qu’elle réalise que c’est lui qui, sans prendre consience de sa connerie, lui a déroulé le tapis rouge et, le cas échéant, je n’ai pas l’intention de dépenser une énergie folle pour la convaincre. Si elle en doute, alors je me suis peut-être trompée de cliente pour endosser ce rôle unique au sein du casino. Peut-être que je devrais prendre le temps d’analyser les ressources humaines à disposition de Rae et moi pour porter mon choix sur quelqu’un qui nous témoigne plus de confiance. Dès lors, je la sonde un peu, avec douceur - inutile de la brusquer - et je saisis que c’est son avenir qui, avant tout, la tracassait. Elle se soucie guère de qui dirige. Elle se moquerait bien de travailler pour un rat avec un chapeau qui ne l’étonnerait pas tant qu’il paie rubis sur ongle. Au moins sera-t-elle servie : le Club n’est plus voué à stagner, mais à progresser, à grandir, à dominer le marché. Rae est ambitieuse et, quoique sur l’heure cela ne me concerne pas, je l’y encouragerai et, au besoin, l’y aiderai si elle réclamait mon aide. En attendant, je m’emploie à apaiser les doutes de la petite blonde. « C’est normal, mais tout va bien maintenant. Et ça ira de mieux en mieux. » Autrement dit : si tu marches avec nous, tu rempliras plus certainement ton compte en banque qu’à l’heure de l’homme fini qui s’est retranché Dieu sait où. « Un casino parce que j’aime le jeu et c’est ce que j’ai fait, après. » Après avoir été videur durant un temps, celui nécessaire à observer avant d’imposer ma présence comme une figure incontournable. Mes activités n’étaient peut-être pas les plus lucrative, mais elles avaient le mérite de fidéliser une cliente souffrant du vice du jeu. « Le projet a été mûri, longuement. Regarde. » Le bâtiment n’en est-il pas la preuve ? N’a-t-elle pas sous les yeux plus de grandeur ? « Et, une table où tu connaîtras les joueurs. Une table où tu seras plus comptable que croupière finalement.» Et, je n’en dirai pas plus. Elle doit d’abord y réfléchir. Elle se doit d’évaluer si elle aura envie de s’investir. « On te lancera pas là-dedans sans t’y préparer. A toi de voir si ça te tente, si tu as le temps… si tu veux gagner plus et travailler pour nous sur le long terme. C’est un vrai job, Stacey. Un job avec un contrat.» Ce sera mon dernier argument : je n’ai plus rien à ajouter.
« C’est normal, mais tout va bien maintenant. Et ça ira de mieux en mieux ». Les mots d’Amos sont rassurants. Ils ont le don de m’apaiser même si je ne sais encore ce que l’avenir réserve pour le Club. Ou plutôt, même si j’ignore encore ce que Raelyn a prévu pour l’avenir du Club, avec Amos à ses côtés. Car c’est lui mon interlocuteur aujourd’hui. Pas Raelyn. Parce qu’elle et moi n’avons jamais réellement eu d’échanges, ceux-ci s’arrêtant à des échanges cordiaux. En revanche, les choses étaient différentes avec Amos. Son aide apporté alors qu’un type un peu trop insistant avait cherché à obtenir plus de ma part qu’un simple verre servi derrière le bar, a déjà attiré ma sympathie pour l’homme. Après ça, même si je ne peux dire être aussi proche de lui que je ne peux l’être des frères, il a toujours eu un sourire, un mot à mon égard lorsque je le croisais au bar clandestin. Surtout, il a su ces derniers jours me venir en aide et ça, je lui en suis reconnaissant. Alors il y a de la confiance certaine envers l’homme qu’il est qui font que je crois aux mots qu’il avance. Tout ira pour le mieux. Je veux y croire, je m’y rattache et j’essaye de comprendre ce futur qui se profile « Un casino parce que j’aime le jeu et c’est ce que j’ai fait, après ». Il y a de l’ambition derrière, une ambition grande, allant de pair avec l’ambition de Raelyn de redorer le blason du Club. D’en faire une puissance face à laquelle aucun autre gang de la ville ne pourrait concurrencer. Alors, si la solution est dans ce futur bâtiment, il est certain qu’elle m’intéresse et que je veux bien y croire. « Le projet a été mûri, longuement. Regarde ». Tel un promoteur immobilier, je sens qu’Amos cherche à me convaincre à faire le bon choix. Celui de croire en lui, et ainsi en Raelyn, et certainement de laisser derrière moi l’ancien boss du Club… Mitchell. Les arguments sont aussi devant mes yeux et je ne peux le nier. « Je n’en doute pas » je réponds alors que mon regard parcourt la grandeur du bâtiment en rénovation.
J’ai besoin de savoir de quoi il en retourne. Quel est leur projet pour moi dans ce futur lieu ? Est-ce que je me contenterais d’être une simple serveuse ? Une simple croupière comme j’ai pu être une simple serveuse dans le bar clandestin, ne me mêlant pas aux activités illégales ? Ou est-ce que, cette fois, on me proposerait de m’investir davantage ? « Et, une table où tu connaitras les joueurs. Une table où tu seras plus comptable que croupière finalement ». Mon regard se tourne immédiatement sur lui, parce que je comprends à cet instant que la proposition que l’on me fait n’est pas à prendre à la légère. Surtout, je me rends compte que Raelyn et Amos sont prêts à me faire confiance en me proposant un tel rôle, un rôle auquel je ne m’attendais pas. « Pourquoi moi ? » je demande alors que mon regard reste posé sur lui. Il y a certainement d’autres personnes en qui ils ont davantage confiance que moi qui suis restée toujours discrète et distante avec les activités menées par le Club. J’ai besoin de comprendre. « On te lancera pas là-dedans sans t’y préparer. A toi de voir si ça te tente, si tu as le temps… si tu veux gagner plus et travailler pour nous sur le long terme. C’est un vrai job, Stacey. Un job avec contrat ». Il a tous les arguments pour me faire accepter. Je ne peux répondre que positivement à chacun d’entre eux et pourtant, ma réponse ne sera pas immédiate. Il y a un petit silence qui s’instaure alors que j’observe à nouveau les lieux avant de me pivoter totalement vers lui pour lui faire face « Evidemment que ça m’intéresse Amos » je marque une pause « tu sais que j’ai envie de gagner plus quand tu as pu voir dans quel merdier mon père peut nous mettre Mila et moi… J’ai besoin de nous sortir de là définitivement … ». Une nouvelle pause dans mes propos « Et je sais aussi que ce n’est pas une décision à prendre à la légère… Je dois y réfléchir. ». Parce qu’il y a quand même ce côté illégal dans cette proposition, celui de gérer une partie de l’argent du Club, le terme comptable se répétant sans cesse dans ma tête. Ce n’est pas dans mes valeurs, mais je n’ai trouvé jusqu’à présent que cette solution pour avoir de l’argent plus rapidement et, en l’occurrence ici, durablement « Il y a des contreparties ? » je demande alors, sous entendant est-ce qu’ils attendent de moi quelque chose en retour ? Je me doute bien qu’il y a des conditions, comme à tout contrat, et j’ai besoin qu’il m’éclaire là-dessus avant de prendre une quelconque décision.
En cet instant, j’aimerais jouir d’un don de télépathe. A quoi pense-t-elle, Stacey ? Prend-elle le projet au sérieux ? S’imagine-t-il qu’il est bien trop grand pour nos épaules ? Est-elle curieuse des tenants et aboutissants de l’investissement ? Je ne me suis pas lancé seul. Raelyn a mis à la main à la pâte parce que c’est notre projet, à tous les deux et, les fonds manquants pour le bâtiment, je les ai d’abord emprunté à Parker, puis remboursé sans préavis, rapidement, devant par ma compagne, certes, m’agaçant au passage alors qu’au fond, c’était une excellente idée. Au moins, nous sommes deux dans l’aventure et, ensemble, rien ne peut nous arrêter, Rae et moi. J’aime à penser que le monde est à nos pieds, tout comme j’aime les “indiscrétions” prévenantes de Stacey. “Parce que tu ne connais “personne” d’assez près qui pourrait t’ennuyer. Tu garderais leur respect et, a priori, on pourra même s’atteler à régler le problème de ton père” sont autant de conneries que j’aurais pu lui balancer pour l’endormir. Sauf que je ne mange pas de ce pain-là. Je ne suis pas un beau parleur. « Parce que ça paie bien et que tu as besoin d’argent, pour toi, ta soeur et ton père….» J’ai soupiré en pensant à ce gars-là que je pourrais facilement attirer par ici. Ne serait-ce pas l’aider pour de bon si je deviens son unique créancier. Plus de sales types pour menacer l’équilibre des gamines, mais chaque chose en son temps. Ce n’est pas le moment d’en parler, encore moins l’instant de dévoiler l’étendue des possibilités qui s’offrent à elle si, d’aventures, elle accepte ma proposition. « Et tu as tout le temps qu’il te faut pour réfléchir. Ce n’est pas pour demain. C’est encore un chantier.» Un nouveau geste circulaire sur le bâtiment en travaux. Une promesse de formation s’ensuit aussitôt. Je l’accompagne d’un sourire rassurant, bienveillant, un qui engage ma parole. Quant au contrepartie, la question a le mérite de m’amuser. Elle a de la suite dans les idées, la petite blonde. Elle sait où elle va et, surtout, où elle a envie d’aller. Elle est déjà prête à négocier si je comprends bien le sens de sa question. Elle parle salaire, c’est évident. Mais, n’y-a-t-il pas un sous-entendu derrière l’intonation ? « Si c’est de ta sécurité dont on parle, tu n’as pas grand-chose à craindre, pour ne pas dire que c’est sans risque.» Le zéro n’existe pas. « Avant tes intérêts, il y a les miens, ceux de Raelyn aussi.» Autrement dit, ceux de mon couple. « Tu ne seras pas la première inquiétée s’il y avait un pépin.» Qui plus est, je souffle peu à peu à Rae, qui en prend conscience, que l’envergure de son organisation nécessite d’être cadenassé davantage, mais là encore, ça ne la regarde pas Stacey. « Le reste, on en parlera quand tu auras réfléchi.» ai-je finalement conclu, estimant que cet entretien est terminé. « A bientôt, Stacey.» Je l’ai salué en suggérant de lui faire appeler un taxi.
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Flous. Les derniers jours l’ont été. Angoissée. Je l’ai été. Soudainement, sans crier gare, un retournement de situation a eu lieu dans les rangs du Club. Cela ne s’est pas déroulé sous mes yeux directement. Une journée habituelle à l’hôpital, la tête plongée dans une paperasse pas possible pour entrer les dossiers des nouveaux patients admis aux urgences. Cette alerte info qui vous fait lever le nez quelques secondes de ce qui vous occultez votre esprit jusqu’alors. Perquisition. Activement recherché. Trafic. Mitchell Strange. Il n’en faut pas plus pour que je laisse de côté mon occupation, que je me lève et m’approche un peu plus près de l’écran qui retranscrit les informations en direct. Les locaux du Club ont été réquisitionnés par la police, Mitchell semble être en cavale. Je sens mon cœur s’accélérer, mes jambes tremblantes. La fin. C’est ainsi que je l’ai vécu. La fin de cette lumière au bout du tunnel pour moi, qui peu à peu aurait pu me permettre de m’en sortir avec ma sœur. Mais aussi la fin pour Mitchell, que beaucoup déteste alors que pour moi, il compte. Il compte parce qu’il a toujours là pour moi depuis mon arrivée au Club. Que j’ai pu découvrir la personne qu’il était réellement derrière cette carapace de grand méchant loup. Naïve, je le suis peut-être mais dès l’instant où j’ai quelques secondes de répit, mes appels téléphoniques se dirigeront automatiquement vers lui… en vain.