@"ELEONOR SANDERS" & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ It's a new dawn, it's a new day, Some things are different, but nothing has changed, Still got my number, still got my name, Tell everybody I'm back in the game.

(TOOWONG, ST ANTHONY'S SCHOOL). Quand il avait accepté cet emploi (c’est mieux que de dire qu’il a presque supplié le directeur pour qu’il accepte sa candidature et non celle d’un autre), Kieran s’était imaginé créer la future relève de Van Gogh, Dali, Cézanne, Hopper ou tout autre peintre dont ses élèves auraient été susceptibles de croiser les œuvres. Au pire, il se serait contenté de les éduquer sur les artistes à étudier au moins une fois dans sa vie, au mieux, il aurait été particulièrement fier que leur culture dans le domaine ne soit pas totalement déplorable. Ce qu’il n’avait pas imaginé, par contre, ce serait de lutter pendant un bon quart d’heures avec une classe d’adolescents turbulents désirant à tout prix réaliser le draw on my back challenge parce que c’est à la mode sur Tik Tok et qu’évidemment, le troupeau de moutons devant lui se doit de rentrer dans le moule. Tu trouves pas que c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité, Kieran, toi dont le second prénom pourrait être Shaun ? Et tu ne crois pas que c’est très légèrement déplacé de porter un tel regard sur tes élèves sous prétexte qu’ils ne sont pas spécialement intéressés par la matière ? À cette pensée, ses joues se teintent de rose alors qu’il s’en veut aussitôt d’avoir émis une opinion aussi virulente à l’égard d’adolescents qui sont loin d’être aussi turbulents qu’il l’aurait imaginé de prime abord. Évidemment, à cet instant, une idée en tête, la classe ressemble plus à un champ de bataille où chacun tente de faire entendre son opinion sur l’autre pour convaincre le professeur, sans prendre en compte que leurs opinions, justement, se rejoignent les unes les autres. Au moins, le brouhaha incessant a le mérite de ne pas l’obliger à être détestable à leurs yeux pendant encore quelques minutes alors qu’ils font l’animation pour lui, qui se contente de pincer les lèvres et d’acquiescer silencieusement pour leur donner l’impression que leur conviction est entendue. Elle l’est ; et puisque Kieran n’a aucune volonté de passer pour le type détestable, même auprès de jeunes dont il est censé se faire figure d’autorité, il a finalement émis la possibilité que le cours se terminerait là-dessus si, et seulement si, ils parvenaient à se calmer et à retenir quelque chose de la leçon du jour, façon de s’assurer qu’au moins, ils ont conscience que Van Gogh n’est pas juste une marque bientôt déposée par tous les tatoueurs que l’on croise sur Instagram.

Et oui. Cette manière de penser n’émane pas seulement de moi dans le but de vous conter une journée qui, en soit, n’a absolument rien d’intéressante pour l’instant. Vous pouvez donc vous permettre de juger Kieran pour sa façon de percevoir son travail ; il ne dirait pas qu’il le déteste parce qu’il s’interdit de détester quoi que ce soit, mais il ne dirait pas non plus qu’il s’y épanouit (si, en réalité, quiconque lui posant la question aurait le droit à cette réponse socialement valorisée). Mais si on lui avait dit, dans le passé, qu’à trente ans il se retrouverait prof d’arts plastiques et qu’il ne vivrait pas à proprement parlé de son talent, il aurait fait une crise cardiaque (c’est donc une bonne chose que la machine à voyage dans le temps ne soit toujours qu’un projet et non une invention bien réelle, on l’aurait perdu depuis longtemps s’il avait constaté la tournure que prendraient les choses). Alors oui, jugez le, mais sa dureté est surtout proportionnelle à ses rêves brisés. Dans le fond, s’il met de côté le fait qu’il se serait plutôt vu illustrateur à succès que professeur de pacotille, ce deuxième emploi lui plaît. Les ados ne sont pas toujours faciles (souvent, même), mais il peut se vanter de donner un cours qui est vu comme une pause récréative sur leur agenda et qui lui permet de ne pas trop se montrer dans l’opposition avec eux. Tant mieux, parce qu’il est le premier à ne pas se considérer crédible dans ce rôle et qu’il aurait démissionné depuis longtemps s’il devait régulièrement faire preuve de morale et d’autorité. Mais dernièrement, les choses ont changé ; et Kieran ne prend plus le même plaisir à enseigner depuis que des préoccupations entourant un de ses élèves, Tom, lui font réaliser que l’école est toujours une épreuve pour certains. Et pourtant, c’est aussi ce qui lui impose de s’impliquer bien plus qu’il ne l’a fait depuis le début de cette année d’enseignement. Ce ne sont pas pour les bonnes raisons, c’est certain, mais il s’engage et c’est le moment, si vous voulez mon avis.

Alors pour revenir à nos ados en manque d’abrutissement virtuel, il remercie (non) Emy qui lui rappelle la promesse en début de cours alors que l’heure indique bientôt la fin de celui-ci. Bon. En soit, ce challenge n’est pas aussi stupide que certains autres ; ce sera une pause bienvenue et lui-même admet se montrer intéressé quant à ce que ça pourrait donner pour la dynamique entre ses élèves. Ce qui l’inquiète, c’est la manière dont ils ont obtenu ce qu’ils voulaient et qu’ils n’hésiteront sûrement pas à poursuivre leurs réclamations dès la semaine prochaine ; et là, ce sera assurément problématique pour qu’il reprenne sa place de figure d’autorité et non de prof « cool » (même si c’est ainsi qu’il voudrait perçu) qui cède à tous leurs caprices. Ça, c’est sans compter une intervention divine (faudrait peut-être te rendre à l’église plus souvent, alors, Kieran), qu’on peut qualifier d’intervention tout court quand une inconnue pousse la porte. L’euphorie lui fait comprendre que ce n’est pas tout à fait le cas et un regard plus appuyé sur la silhouette lui confirme que, non, définitivement il ne s’agit pas d’un inconnue, mais bien d’Ellie qu’il a mis quelques secondes à reconnaître dans cet accoutrement. « Je pense que le cours peut prendre fin non ? » Dieu merci. Même s’il peut avoir l’assurance qu’un flot de questions sera pour lui dès le prochain cours, mais eh, il passera au moins pour le prof cool et là est l’objectif (belles capacités d’enseignement, Kieran, on te félicite). « Vous l’avez entendue. » Qu’il souligne face aux quelques élèves polis qui attendent son feu vert, alors qu’après quelques minutes d’euphorie supplémentaire, il ne reste plus que les deux adultes. « Je te remercie, j’avais enfin réussi à cadrer mon cours. » Sur l’Art et non sur une autre chose, mais il peut être sûr que c’est foutu pour les prochaines séances. Esquissant un rire en réalisant qu’il pourrait être perçu comme insolent, voire agacé, suite à cette remarque, il l’observe prendre ses aises. « Tu sais que tu m'as manqué toi. » Il pince les lèvres, un peu timide, restant à distance comme toujours, alors qu’il s’appuie sur une des tables de travail derrière lui. « Laisse-moi jusqu’à la semaine prochaine pour considérer mon ressenti. » Et les retours de ces élèves. Il esquisse un nouveau sourire avant de croiser les bras et de l’observer un court instant. « Comment ça se fait que tu sois de retour ? T’es là pour le boulot ? » Il interroge. Il aurait pu lui demander si Los Angeles en avait marre d’elle, mais comme toujours, Kieran n’ose pas, n’ose jamais, alors qu’il réalise qu’il peut donner l’impression de manquer d’enthousiasme et que, comme toujours, il se sent obligé de se reprendre (c’est bien, je vois qu’on avance toujours pas après un an, ça fait plaisir). « C’est une bonne surprise quand même. » Il ajoute et cette fois-ci son sourire qui s’élargit ne laisse pas de place au doute quant au peu de crédibilité à apporter à sa tentative de râler.

Si dans un sens l’arrivée d’Ellie l’arrange pour mettre fin à un cours qui a peu à peu pris la forme d’un piège qui se referme sur lui, dans un autre il lui est plus difficile d’apprécier l’intrusion soudaine de son amie qui l’empêche d’asseoir son autorité sur les élèves. Oh bien sûr, dit ainsi Kieran passe probablement pour un dictateur qui apprécie son petit pouvoir sur les pauvres étudiants qui n’ont rien demandé ; spoiler alert : c’est très loin de la vérité. S’il apprécie transmettre son savoir aux élèves qui sont réellement intéressés par ses cours, il n’a jamais vraiment apprécié le rôle de la figure d’autorité qu’il est censé représenter. C’est probablement pour cette raison qu’il est très maladroit dans l’exercice (non, en réalité il est maladroit dès qu’il s’agit de faire preuve d’un peu de force de caractère et ça, nous le savons tous très bien). Et c’est parce qu’il est incapable de faire entendre sa voix qu’il ne soulignera pas à Ellie qu’il aurait apprécié qu’elle s’annonce au préalable ou, au moins, qu’elle n’interrompe pas son cours de pareille façon – allez-y pour vous faire respecter au prochain et éviter les questions sur le fait qu’il connaisse une célébrité que les jeunes adorent. Il se débrouillera pour rattraper les choses la prochaine fois, dans l’immédiat il préfère ne pas y penser et tenter de masquer le léger agacement qu’il ressent. Bien sûr, nous parlons de Kieran et cet agacement n’est que de courte durée, finalement trop ravi de retrouver celle qui est devenue une amie en très peu de temps, un exploit quand on connait le jeune homme et le peu de confiance qu’il accorde à d’autres. Ellie est parvenue à percer, un peu, sa coquille, bien aidée par le fait d’être la cousine d’un de ses plus proches amis, il est vrai. Dans d’autres circonstances, je ne suis pas certain que leur amitié serait aussi solide en un rien de temps et je ne suis même pas certain qu’il aurait osé l’aborder, probablement qu’il se serait décomposé sur place à l’idée d’approcher une célébrité. « Ya pas de quoi ! Ça te fera de l'entraînement comme ça » Son regard se veut plus sérieux alors qu’il pourrait presque la fusiller – c’est qu’elle se moque, en plus. Je ne sais même pas pourquoi il s’en surprend, j’ai rencontré la jeune femme en même temps que lui, déjà bien ancré dans son esprit lorsqu’elle est apparue dans notre vie, et je peux garantir que cette spontanéité et cette tendance à la provocation est plutôt familier la connaissant – il est évident qu’elle ne se serait pas excusée et à vrai dire, ce n’est pas vraiment un tel comportement qu’il attend d’elle. Ça ne veut pas dire qu’il doit se montrer mature pour autant et c’est bien une grimace qu’il lui adresse, lui tirant la langue comme un enfant de cinq ans avant qu’un léger sourire ne démontre du peu de crédit à accorder à ses propos. Tu sais, Kieran, dans un sens elle n’a pas tort, ce sera un bon entraînement même si tu te serais bien passé de celui-ci – mais il faut bien s’exercer et l’occasion semble parfaite pour tenter de recadrer tes élèves sans te laisser marcher dessus par des gamins de dix ans (parce que tu en conviendras : c’est un peu ridicule).

Si la jeune femme souligne qu’il lui a manqué, il n’est pas certain de pouvoir en dire de même – mais à vrai dire, même si c’était le cas, il aurait de la peine à l’exprimer puisqu’il ne s’épanche jamais sur ses sentiments (ce qui est bien le problème, de vous à moi). « Tu oserais dire que je ne t'ai pas manqué. Je suis déçue Halstead » À ses paroles, il se contente de hocher les épaules et d’afficher une nouvelle grimace qui vise à la provoquer un peu plus, l’agacement ressenti précédemment bien vite oublié alors que la détente qu’il se permet en sa compagnie démontre du fait que oui, elle lui a manqué. Mais qu’il ne se réjouisse pas très vite, il sait aussi que la présence de la jeune femme n’est jamais acquise et qu’elle est susceptible de repartir aussi vite qu’elle n’est arrivée. « Non du tout ! Je suis en vacances et donc je suis là pour les prochains mois. Tu vas devoir me supporter » Un sourire s’affiche sur ses lèvres avant qu’il ne roule des yeux. « Quelle plaie. » Un rire finit par percer ses lèvres, alors qu’il reprend : « Des vacances de plusieurs mois, ils n’engagent personne à ton label, par hasard ? » Avouons que la perspective est plus que tentante, n’est-ce pas ? « C’est bien mérité, j’espère que tu en profiteras. » Pour se reposer, donc et non pour composer, puisqu’il n’est pas sans savoir que les dernières années ont été chargées pour la jeune femme. « La surprise ne s'arrête pas là, je t'emmène manger » Hochant la tête, il entreprend de rassembler ses affaires dans son sac à dos. « Je me suis dit qu'un petit resto buffet à volonté nous ferait le plus grand bien en cette fin de journée » Un large sourire s’affiche sur ses lèvres. « Tu me prends par les sentiments. » Kieran et la nourriture, une grande histoire d’amour. «  Si tu es prêt, on peut se mettre en route » Fermant son sac à dos, il opine de la tête alors qu’il lui désigne la sortie d’une main pour ensuite verrouiller la porte derrière elle et longer les couloirs jusqu’à arriver vers... sa moto. « Non, Ellie. » Il soupire légèrement en secouant la tête. « Tu sais, les transports en commun, c’est bien aussi. » Il s’amuse, bien qu’il soit conscient qu’elle ne le laissera pas se défiler et qu’il finit par tendre la main pour obtenir son casque. À moins que... « T’as bien prévu un deuxième casque, hein ? Sinon, il est hors de question que je monte là-dessus. » Il reprend, soudainement plus sérieux.

@Eleonor Sanders

Habitué aux allers-retours de la jeune femme sans que jamais elle ne se pose plus de quelques semaines, il était persuadé d’avoir raison en avançant un retour de seulement quelques jours. Comme toujours, à chaque fois qu’il pense détenir la vérité, le jeune homme est en réalité dans l’ignorance la plus totale ; et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle (on ne change pas une équipe qui gagne, tout ça). Pour autant, cette fois-ci il n’est pas mécontent d’avoir eu tort alors qu’Eleonor lui assure qu’il faudra compter sur sa présence durant quelques mois. La vie qu’elle mène est à mille lieux de celle de Kieran, ce qui justifie qu’il ne se sente pas légitime de son amitié (en réalité, il ne se sent pas à la hauteur de grand monde, si ce n’est de personne en réalité) et le fait qu’elle reste en ville sur la durée est plutôt positif selon moi : peut-être qu’ainsi, il renouera avec elle et s’autorisera à croire que certaines personnes peuvent l’apprécier. Car même si Eleonor n’est pas quelqu’un qu’il fréquente au quotidien, l’impact qu’elle a sur le jeune homme est conséquent et je sais qu’il se dévalorise énormément aux côtés de la jeune blonde, ce qui est compréhensible quand on prend en compte son métier sa popularité, ce qui l’est moins compte tenu du fait qu’elle ne lui a jamais donné l’impression de se sentir supérieure à lui. Mais il est ainsi, Kieran, toujours l’impression de déranger, toujours l’impression d’être tout petit aux côtés des autres et c’est suffisamment exaspérant au quotidien pour que je me réjouisse du retour d’Eleonor. Il a des associations de pensées qui n’ont pas grand sens et la distance, même nécessaire par le biais d’un job prenant et d’une carrière qui décolle, lui donne l’impression d’être oublié, de ne pas être à la hauteur. Il ne saurait l’expliquer et moi-même je peine à comprendre le raisonnement du dessinateur, mais j’ai bon espoir que de côtoyer plus régulièrement la jeune femme l’aidera à se sentir légitime dans ce rôle d’ami qu’il peine encore à accepter : encore une fois, elle est bien trop différente, tellement mieux que lui en tout point et Kieran en a eu encore l’exemple quelques minutes plus tôt au moment où Eleonor a interrompu son cours. Pour l’heure, s’il a pensé aux conséquences quelques instants, elles sont bien vite oubliées alors que je lui suggère, comme trop souvent parce qu’il l’oublie, de vivre le moment présent. Et ce moment-là, c’est la simple présence d’une amie partie trop longtemps. Il ne le dira pas, il n’exprimera pas sa joie autant que son manque parce qu’il ne fait jamais ça, Kieran, verrouillant son ressenti en toutes circonstances (ce qui est à peine problématique avec le temps), s’essayant au sarcasme et à une légère moquerie qui, sans surprise, lui est renvoyée en pleine figure par le piquant de la blonde. «  Je suis d'accord, c'est une plaie de passer du temps avec toi » Conscient qu’il n’arrive pas à la hauteur en matière de répondant, il se sent rougir aussitôt alors qu’il reste muet, incapable d’avoir de réponse à la hauteur. Alors c’est un rire étouffé, gêné qui s’échappe d’entre ses lèvres, plus proche du râle qu’autre chose et une légère grimace qui s’imprime sur son visage. [color:d329=#rosybrown]« Ouais, ouais, voilà... » Qu’il murmure à défaut d’avoir du répondant, avant de reprendre le fil de la conversation et d’évoquer ses vacances de plusieurs mois. «  Je peux toujours me renseigner s'ils n'ont pas besoin de quelqu'un pour jouer du triangle » Alors là, même s’il ne le veut pas, sachez que la proposition est très largement acceptée ; il aurait l’air ridicule et c’est quelque chose que je veux voir (oh ça va, quand c’est moi qui me moque de lui c’est légitime). « Ça tombe bien, je suis hyper doué. » Évidemment, une vraie star du triangle, aussi bon que Franklin qui sait lasser ses chaussures, quel champion. «  Franchement, tu devrais venir une fois avec moi au studio » Il hausse les épaules, car la perspective a déjà été évoquée, mais il a souvent cru qu’il s’agissait d’une plaisanterie autant qu’il n’a jamais voulu l’accepter parce que ce serait bien trop intimidant de se retrouver dans un véritable studio. « Tu vas avoir le temps de m’y emmener, maintenant. » Et pourtant, cette fois-ci, il semble d’accord – à croire que notre travail porte ses fruits. Je sais, ça paraît bizarre qu’il soit aussi timide alors que le commun des mortels aurait adoré la perspective d’accompagner une chanteuse dans son élément naturel, mais pour lui, ça relève d’une étape et pas des moindres. «  Ne t'en fais pas pour ça, je ne fais que ça et ce soir, ce sera avec toi » Ce soir, ça implique plusieurs heures qui vont au-delà d’un simple dîner entre amis et il est soudainement moins confiant, Kieran, parce qu’il songe à toutes les fois où ils ont passé du temps ensemble et que les idées de la jeune femme l’ont poussé en dehors de sa zone de confort. « Oh euh, d’accord. On parle d’une soirée entière, c’est... c’est bien, oui. » Ses yeux s’écarquillent, un peu hésitant, alors qu’il poursuit rapidement, dans la peur de lui donner l’impression de ne pas apprécier son retour : « Dieu sait où on va finir, mais oui, oui, c’est bien. » Et un fin sourire le trahit alors qu’elle sait sûrement aussi bien que lui qu’il n’est pas très crédible dans le rejet. Encore moins quand elle lui propose d’aller manger et qu’il ne peut décidément par résister à cet appel. «  Je te connais à force toi et ton estomac sur pattes » Il hausse les épaules, affichant une moue presque choqué. « Hé, c’est le seul qui m’est fidèle ! » Il s’offusque, outré. Le ton est à la plaisanterie et pourtant, il ne peut s’empêcher de songer au fait que ce n’est pas tout faux, ce à quoi je tente de faire barrière très rapidement en reportant son attention sur le moyen de transport envisagé par la jeune femme. « Et me faire harceler par des fans, non merci » Elle marque un point. Ce ne sont pas des préoccupations qui sont les siennes, alors forcément, il n’y pense pas. « Et si je fais office de garde du corps ... ? » Laisse-moi rire, Kieran. T’arriverais même pas à protéger un petit pois de l’attaque d’un moineau, alors bon, Eleonor contre des fans en furie, c’est la mort assurée. À défaut, il veut bien monter sur cette moto à condition que sa sécurité soit garantie. «  Bien sur, attends je te sors ça » Le casque qu’elle déniche n’est pas des plus engageants avec ses jolies fleurs et son rose – parce qu’il essaie d’évoluer, Kieran, mais les clichés inculqués sont encore bien présents dans sa tête et il est difficile de se battre contre eux. Là, en l’occurrence, c’est sa virilité qui en prend en coup alors même que j’essaie d’insister sur le fait que ce n’est pas le cas. «  En plus je te donne mon préféré t'as vu ça comment je suis trop gentille » Mettant le casque, il affiche un léger sourire alors qu’il plonge son regard dans celui d’Eleonor. « Tu me le donnes, carrément. Merci, ça va faire un carton sur eBay. » Il s’amuse, appuyant le fait qu’elle ne lui le prête pas ; la nuance est importante pour lui permettre de se remplir les poches. «  En route mauvaise troupe et aggripe toi bien » Prenant place sur la moto, il passe ses mains autours d’Eleonor, non sans être gêné, parce qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Heureusement que le casque masque ses joues devenues rouges et qu’elle l’oblige à penser à autre chose quand elle se moque encore légèrement. «  Si tu te sens pas bien, tu me fais un signe d'accord ? » Malade, lui ? Pff, jamais. « Ouais, ouais, t’inquiète. » Ce qui, en langage Halstead, veut surtout dire qu’au moment où il ne se sentira pas bien (et non si), il y a de fortes chances qu’il se contente de lâcher la jeune femme pour rencontrer l’asphalte (et un séjour à l’hôpital au passage), parce que son instinct de survie consiste à jouer sur l’autoroute. Elle se moque, Ellie, mais en vrai, il a l’estomac bien accroché, le Halstead. Si, si, je vous jure, la dernière fois qu’il a vu du sang, il a juste fait un malaise. Et la veille, quand un élève a vomi par terre, il a réussi à se cacher dans la réserve et viser la poubelle. Il y a de l’effort, quand même. Et pour l’instant, les efforts tiennent, alors qu’il se laisse guider par Ellie à travers la ville jusqu’à destination.

@Eleonor Sanders

Vous voyez, le simple fait qu’il ne l’ait jamais accompagné au studio est la preuve (s’il en fallait encore une) de la manière dont la réserve habituelle de Kieran l’impacte au quotidien et l’empêche de vivre sa vie. Après tout, que risque-t-il ? Ce n’est pas comme s’il allait se retrouver à chanter (non, ça, c’est la spécialité d’Eleonor) et puisqu’il ne sera qu’un visiteur, il sera sagement prostré dans un coin de la pièce, sans risque de se ridiculiser ou d’attirer les regards à cause de sa maladresse (c’est ce qu’il croit, dans les faits je sais qu’il en est capable peu importe la situation). Mais Kieran n’a jamais osé céder à l’appel de la curiosité, ce qui en dit long sur la manière dont il ne s’autorise absolument rien, même sur les plans les plus superficiels. Alors, forcément, dès le moment où la boutade sur sa future profession est amenée, le jeune homme se retrouve interdit, soudain mal à l’aise alors qu’il est pourtant celui ayant lancé le sujet en premier lieu. « Très bien j'attends ton cv alors » « Je m’y mets dès que je rentre. » Non, il ne le fera pas, autant qu’il espérera surtout qu’elle oublie tout de cette conversation. C’est ridicule, Kieran, tu le sais bien. Qu’est-ce que tu perdrais à l’accompagner au travail une seule journée, pour voir comment sont les siennes ? Il n’est pas dit que tu sois un boulet pour la jeune femme. Même si sa volonté de ne pas risquer de la ridiculiser est honorable, je ne compte pas l’encourager. Après tout, le fait qu’il puisse poser beaucoup de questions montre plutôt de son intérêt pour sa profession plutôt que d’une volonté de l’agacer, ses yeux qui brillent seront une belle récompense quant au cadeau qu’elle lui fait plutôt qu’une manière de s’en agacer, sa curiosité exacerbée à toucher à tout seront plutôt la preuve d’une réelle volonté d’entrer dans son univers plutôt qu’une envie de la faire payer pour les foudres qu’il risque de s’attirer vis-à-vis de ses producteurs. Alors oui, à chaque argument que tu trouveras, chaque excuse, il y aura une solution amenée par mes soins, Kieran, tu devrais le savoir, depuis le temps. Et ça tombe bien, il s’est trahi alors qu’au fond, cette simple visite lui fait peur. « Serait-ce là un oui ? Mais oui que c'en est un » Il pourrait presque s’en offusquer, mais il y renonce, j’y renonce et Kieran se contente de conserver un sourire timide sur les lèvres, signe d’une approbation autant que d’une certaine appréhension qu’il s’empêche de partager – on a dit qu’il fallait apprendre à être plus ouvert, c’est la première étape au bonheur, Kieran.

Ceci implique d’accepter son destin et le fait que ce ne sera pas seulement un dîner qu’ils vont partager, mais bien une soirée complète ; ce qui implique aussi d’être amené à suivre les folles idées que la jeune femme pourrait avoir. Et même s’il ne la côtoie pas tous les jours, il n’est pas sans savoir qu’elle peut être surprenante (trop, parfois) et que cela n’est pas forcément bon pour lui (si). « Je vais pas te manger, promis » Le fait qu’elle se sente obligée de le préciser n’est pas pour le rassurer, en partie parce qu’il la connaît suffisamment pour ne pas faire une confiance aveugle en ses promesses. « T’as promis. » Qu’il souligne, façon de lui faire comprendre qu’il n’est néanmoins pas prêt à (trop) sortir de sa zone de confort ce soir. Pour l’heure, pas d’urgence, alors qu’il ne s’agit que d’user de sa plus grande faiblesse : son estomac. « Ha non tu m'oublies là dedans » Il hausse les épaules d’un air désintéressé. « Reste plus de six mois à Brisbane et je pourrai reconsidérer la chose. » Il n’est pas sérieux, Kieran. Il aime croire qu’il ne l’est pas, mais au fond, il l’est. Évidemment que ce sentiment d’abandon qu’il se traîne depuis l’enfance n’aide pas et qu’à chaque fois que quelqu’un qu’il considère comme proche s’éloigne, même pour de formidables raisons qui sont celles de vivre sa vie et ses rêves, il ne peut empêcher son cœur de se serrer, le dessinateur. C’est toujours douloureux, peu importe les raisons, même les plus justifiées font mal et ça, il ne pourra jamais cesser de le ressentir, même s’il est véritablement heureux pour Eleonor qui réalise son rêve.

Le sujet s’allège dès qu’il s’agit de s’envisager comme garde du corps – évidemment qu’il n’est pas crédible et qu’elle ne manque pas de le souligner. «  Je suis désolée mais je dois décliner cette offre » Il soupire exagérément en secouant la tête. « J’ai le cœur brisé. » Au moins, oui. Il n’essaie pas de négocier plus alors qu’il accepte sa destinée et le casque qui va avec. L’usage du vocabulaire de la jeune femme ne manque pas d’être repris par le dessinateur. «  Mais ... non, je l'aime bien ce casque moi » Il hausse à nouveau les épaules en mettant le casque. « Trop tard. » C’est à lui, désormais. « Si tu veux revendre quelque chose sur Ebay, je peux te passer les cheveux calés dans ma brosse » Non, erreur, là, c’est vraiment intéressant. « Encore mieux ! J’en prendrai trois sachets, s’il te plaît. » Rien que ça, mais les bénéfices sont les bénéfices, écoutez. Bien qu’Eleonor soit une sauvage (au moins), au volant, il parvient à garder son estomac à sa place jusqu’au lieu de rendez-vous. «  Tu te sens bien ? Ça va ? » Un simple pouce en l’air en guise de réponse (car mine de rien, la mission est réussite, mais difficile), ses yeux cherchent l’entrée avant de comprendre ce qu’il se passe suite aux explications de la jeune femme. «  Autrement, promis, c'est pas un traquenard, on est bien devant un restaurant, juste qu'on va entrer par la porte des artistes » « Ouais, c’est ce que disent tous les trafiquants d’organe avant de se servir sur leurs victimes. » Donc, bon, hein, ne comptez pas sur lui pour ne pas être un minimum inquiet – bien qu’il soit conscient que ses organes resteront intacts. Un peu mal à l’aise par sa main dans la sienne, mais conscient qu’Eleonor est tactile, il se laisse guider. « Est-ce qu’on risque d’être dérangés par tes fans en furie ? » Il interroge avec un léger rire. Il ne plaisante pourtant pas : Kieran ne voudrait pas être affiché sur les réseaux sociaux, tendant à être le plus discret possible pour ne pas être retrouvé par son ex-fiancée. Un détail, qu’il garde pour lui alors qu’il reprend la parole pour justifier sa question. « Car t’as beaucoup de choses à me raconter et on en aura pour la semaine si on est toujours interrompus. » Il rit à nouveau, bien que son angoisse soit réelle. Si pour l’instant ils sont seuls, à l’écart du restaurant, il a aperçu les autres tables et, forcément, dans sa tête les scénarios défilent, aucun ne lui réussissant quant à son désir de discrétion.

@Eleonor Sanders

« Je n'en peux rien si je dois souvent partir » Kieran pince les lèvres, baisse la tête alors que la gêne l’envahit. Il ne pensait pas à mal. Vraiment, Halstead ? Il essaie de s’en convaincre, mais je suis moins dupe que lui. Il adore Eleonor, ça, c’est indéniable et il est plus maladroit que cruel dans le choix de ses mots. Mais au fond, Kieran, il serait peut-être temps d’admettre le problème, n’est-ce pas ? Il ne concerne pas qu’Ellie, il concerne tout le monde et surtout toi-même. Ce sentiment d’abandon dès que les autres disparaissent (même temporairement) de sa vie n’est pas prêt d’être résolu s’il continue de nier l’évidence. Mais il y a de trop nombreuses évidences que notre protagoniste veut ignorer et celle-ci n’en est qu’une parmi tant d’autres. Il essaie de me réduire au silence alors que son regard bleu se relève vers Ellie et qu’un sourire timide s’affiche sur ses lèvres. « Je sais, Ellie. Tu vis ton rêve et je suis vraiment heureux pour toi, tu le sais, hein ? » Il a tellement besoin d’avoir la validation de tout le monde, Kieran et aujourd'hui ne fait pas exception à la règle. Il a besoin de savoir qu’Ellie ne lui en veut pas, qu’Ellie a conscience qu’il est son premier fan et qu’il sait pertinemment qu’elle ne disparaît pas par simple plaisir. Il est égoïste, de toute façon, comme il se rappelle très vite. Il est égoïste d’en vouloir à quelqu’un qui vit son rêve et aussitôt, Kieran se cache derrière la honte qu’il ressent vis-à-vis de lui-même. Il est stupide et il ne comprend même pas comment Ellie peut continuer à le compter dans son entourage avec de telles maladresses. Reprends-toi, Halstead. Tu n’as pas le droit d’être aussi dur avec toi-même, autant que tu as le droit d’être blessé pour des choses qui sont jugées « stupides ».

Et c’est là le pouvoir d’Ellie et la raison pour laquelle je suis heureux de ne pas partager le même avis que Kieran ; je suis ravi qu’elle le compte toujours dans son entourage en vue de la manière dont elle parvient à alléger son humeur. « Il ne le sera plus quand tu auras vu le menu du restaurant » Il affiche un sourire, elle sait comment lui parler, à ne pas en douter. Encore plus quand elle propose de lui fournir quelques cheveux pour l’aider à boucler les fins de mois. «  Car tu crois réellement que tu vas les vendre » Il affiche une légère grimace avant de hausser les épaules. « On fait le test ? » Come on, Kieran. Je sais que tu manques cruellement d’argent, mais de là à faire du profit sur Ellie... Pour tout dire, je n’ai même pas besoin de le réprimander tant que ça ; je sais qu’il est bien trop gentil pour aller à l’encontre de la volonté de la jeune femme et risquer de la mettre mal à l’aise d’une quelconque façon. Vendre ses cheveux en fait partie, des fois qu’il faudrait préciser qu’il s’agit de quelque chose qu’il considère comme « problématique ».

Le chemin se passe sans accident, ce qui relève du miracle compte tenu de la vitesse à laquelle la jeune femme roule dans les rues de la ville. Il essaie de reprendre contenance alors qu’il sent encore son estomac dans sa gorge, usant d’un humour maladroit, comme souvent. «  T'en fais pas, il y a un anesthésiste tu ne sentiras absolument rien » Il secoue la tête, convaincu par de telles paroles. « C’est gentil ça, merci. » Vraiment ? Néanmoins, c’est avec sérieux qu’il reprend la parole, inquiet quant à l’idée d’être dérangé et inévitablement mis en avant sur les réseaux sociaux, bien malgré lui. Il connaît la réputation et la popularité d’Ellie et même s’il ne lui souhaite que de bonnes choses, il est compliqué d’en faire partie si cela implique une exposition publique qu’il refuse. «  J'espère que non » Les paroles ne le rassurent pas, mais il préfère afficher un sourire timide en guise de réponse. Tout se passera bien, Kieran. Il suit la jeune femme jusqu’à leur table, observant les lieux et constatant qu’ils demeurent relativement tranquilles, pour l’instant. « Au pire des cas, ça me fera une excuse pour te voir à nouveau » Il soupire exagérément. « Oh quelle plaie. » Vraiment, c’est insupportable. Désormais assis, il en oublie la présence de son amie pour plus important : la carte et les nombreux choix qui s’offrent à lui. Je vous ai dit qu’un Kieran au restaurant, c’est une plaie ? Parce qu’il ne sait jamais ce qu’il veut et qu’il n’y a pas plus indécis que lui. «  Tu vas prendre quoi ? » « Je sais pas... » Il y a trop de choix, trop de possibilités et évidemment qu’il est perdu, Kieran. «  Tu crois qu'on peut faire un mixe de plusieurs plats ? » « C’est-à-dire ? » «  Du genre un steak avec en accompagnement des pâtes bolognaises, ça le fait non ? » « Eurk, Ellie. » Quel manque de respect pour la nourriture et pour le peuple italien, d’ailleurs. « Enfin, j’imagine que tu peux le demander, oui, ils te diront sûrement pas non. » Elle pourrait leur demander de faire des macarons parce qu’elle en a envie malgré qu’ils ne soient pas sur la carte qu’il est évident qu’ils s’exécuteront. Lui, de son côté, se contente de fermer la carte ; il se laissera bercer par l’inspiration au moment venu (à comprendre, il demandera au serveur leur suggestion du moment et s’ôtera de la responsabilité de choisir). «  Dis moi, il s'est passé quoi dans ta vie depuis la dernière que l'on s'est vu ? Donc je dirais depuis Noël passé si mes souvenirs sont bons » Noël... ça fait loin. Ça fait beaucoup de choses à raconter aussi, n’est-ce pas ? Beaucoup de choses qui devraient être passées sous silence, aussi. Oh, Kieran. Je vois toutes ces choses qui te viennent en tête et que tu voudrais oublier, mais c’est impossible et ça fait mal. Alors, il affiche un sourire et se contente de faire ce qu’il fait de mieux : il ment. « Oh, tu sais... ma vie n’est pas très excitante comparée à la tienne. » C’est même tout l’inverse, mais tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même, Halstead. C’est bien toi qui évite tout ce qui est susceptible de chambouler ton quotidien et qui, par conséquent, fait peur. « J’ai des colocataires, maintenant et je... j’ai un nouveau job comme dessinateur de presse. » Il bafouille un peu, gêné. Rien d’important, donc, on peut passer à autre chose, qu’il songe. « Oh, et j’essaie de passer mon permis avec Elias. C’est... c’est pas encore ça. » Mais il essaie, il s’en donne les moyens et je le félicite de le souligner. Ce n’est pas grand-chose, pourtant pour lui c’est déjà énorme. « Sinon, le reste... rien n’a changé. » Je déteste mon boulot, je déteste ma vie, je suis un raté, tous les fantômes du passé reviennent me hanter, mon ex me manque plus que tout, ma nouvelle copine m’a largué pour un autre après avoir joué avec moi pendant des mois et mon meilleur pote m’a dit qu’il m’aimait et je sais pas quoi en penser. Non, vraiment, tout va bien et rien n’a changé, c’est certain, Kieran. « Et toi ? Est-ce que ça va ? Tu peux quand même te reposer dans ta vie à cent à l’heure ? » Il interroge, il s’inquiète surtout, il ne manquerait plus que la vie d’artiste lui impose un rythme tellement soutenu qu’elle se laisserait avaler par le système. C’est sa crainte, c’est la crainte commune qu’il a envers tous ceux qu’ils aiment et la perspective qu’il ne puisse pas être aussi heureux qu’ils le disent. L’hôpital qui se fout de la charité, donc.