| (lilymatt #29) a fresh poison each week |
| | (#)Mer 14 Avr 2021 - 11:47 | |
| Les jours avancent mais ne se ressemblent pas. Lily a l'impression de voir son ventre gonfler chaque jour mais rien ne se passe en réalité. Pas pour le moment, en tout cas. C'est à peine si son corps semble avoir changé et seul son esprit n'a plus rien à voir avec celui qu'il était quelques mois plus tôt. Dans les faits, absolument toute sa vie a changé durant ces dernières semaines. Elle a trouvé une maison dans laquelle emménager avec Matt, s'est libérée un peu de temps pour eux en quittant le Royaume Enchanté, a renoué un lien qu'elle pensait disparu auprès de son frère. Tous les changements se font pour le meilleur, le plus beau d'entre eux étant bien sûr la vie grandissant en son sein, celle qu'elle a tant désirée toute une vie durant. Il aura fallu de longues années avant de trouver la bonne personne avec qui construire cet avenir, ce qui est chose faite aujourd'hui. Leur passé est parfois compliqué et douloureux mais il est aussi ce qui les a construit ainsi, raison pour laquelle elle refuse de le nier comme elle le fait avec tout le reste.
Des deux, le père en devenir est sans aucun doute le plus stressé au sujet de l'examen à venir. Il tourne en rond, boit trop de café, avale deux par deux les crêpes cuites le matin même. Elle le rassure autant que possible, sachant pourtant qu'aucun de ses mots ni ses gestes n'auraient d'égal une simple phrase du médecin les assurant que "le bébé se porte bien". C'est un fait. Bien sûr qu'il se porte bien. Bien sûr que Lily fait attention au moindre de ses gestes et qu'elle suit la moindre recommandation à la lettre pour éviter tout problème, tout risque, toute frayeur. Leur enfant ne peut aller autre chose que "bien" et elle n'envisage pas un seul instant une autre réponse qui puisse leur être donnée. Ses lèvres se posent trop souvent contre la joue de son mari ou leurs homologues mais c'est pour la bonne cause; promis.
Dans la voiture, elle n'a pas lâché sa main. Elle n'a pas arrêté de commenter tout et n'importe quoi sur leur chemin, aussi, dans le simple but de lui faire penser à autre chose pour ne pas qu'il se rendre malade pour un simple examen de routine. Dès qu'ils entendront les battements de coeur du bébé, Lily sait que tout ira mieux. Un simple son, un simple bruit. Deux sourires - trois, peut être, parce qu'elle sait que les médecins font ça tous les jours mais sont ravis de telles annonces. "Il n'y a pas de raison que ça se passe mal." L'hôpital se dessine devant leurs yeux alors qu'elle n'a pas lâché le bras de son mari ni même son sourire. Son mensonge lui fait plaisir, elle a même recommencé à y croire, omettant sans aucun mal tous ses antécédents médicaux faisant de cette grossesse un miracle. "Je t'aime." Ce qui ne changera pas, ce qui n'a rien à voir avec leur famille à fonder, ce qui est une chose qu'elle pourrait répéter des dizaines de fois à chaque minute sans jamais s'en lasser. "On le fait ensemble." Lily le lui chuchote une dernière fois, dégageant finalement ses doigts de sa nuque pour plutôt venir lui prendre la main alors qu'elle se présente à l'accueil pour donner son nom, celui qu'elle a hérité de Matt. "C'est un examen de routine, on retourne à notre vie ensuite." Le médecin arrive, elle a le temps de l'embrasser tendrement une ultime fois. |
| | | | (#)Jeu 15 Avr 2021 - 16:16 | |
| "Il n'y a pas de raison que ça se passe mal." bah, tu sais, des raisons pour que ça se passe bien non plus y’en a pas. Au sens où il ne s’agit pas d’une justice et que je déteste les trucs qui sont injustes. Je hais du plus profond de mon être la moindre petite situation où tu dois laisser ton sort entre les mains de n’importe qui sauf le tien. Ça doit être un besoin de contrôle, ça doit être une phobie d’avoir vu mes parents jouer les marionnettistes avec la vie des autres sous mes yeux depuis des années. Ça doit venir de bien loin et je suis sûr que Freud en aurait foutument long à dire sur mon cas et depuis quand on trouve si facilement un parking en arrivant dans l’allée de l’hôpital sérieux si c’est pas un signe ça je sais pas c’est quoi.
Lily est un roc. Entre le déménagement et l’achat du food truck, entre aujourd’hui et les préparatifs qui nous y ont menés (aka me tolérer dans mes élans de réveils en plein milieu de la nuit pour fouiller sur Web MD à la recherche du moindre symptôme qu’elle n’a même pas), elle gère comme personne. Elle me gère, comme personne. "Je t'aime." “Est-ce que tu te sens bien?” même quand je suis insupportable, même si je l’avais avertie et même si je fais des efforts. Quand mon bras se resserre autour de ses épaules et que je sens ses doigts autant que ses lèvres s’égarer sur ma peau, c’est un baiser absolument égoïste que je glisse contre son front, puisant le peu de courage qu’elle est en mesure de me donner rien qu’en redressant ses grands yeux vers moi. "On le fait ensemble." et c’est bien ça, la bonne raison. C’est parce qu’on le fait ensemble et c’est parce qu’on est ensemble là-dedans que j’ai pas le droit de stresser pour deux. J’ai pas le droit d’être le boulet à son pied qui lui donne l’impression que tout est sur le point de chavirer. J’inspire, man up Matt, affiche le meilleur sourire que j’ai en banque et l’embrasse encore. "C'est un examen de routine, on retourne à notre vie ensuite."
À son oreille, c’est Matt l’idiot de service qui vient chuchoter dès lors que le médecin nous fait signe d’entrer dans son bureau. “S’il a des mains trop froides, j’ai amené des gants.” le pire, c’est que c’est vrai et Lily risque même pas de s’étonner. J’ai véritablement orchestré ma vie autour du bébé depuis la seconde où je sais qu’on va être parents, et si mes discours vont de « Quel est le prénom le plus badass avec le moins de risques de devenir un surnom horrible à la maternelle » et « Comment m’assurer que note enfant aime le café dès son plus jeune âge sans ralentir sa croissance » je jure qu’en bout de ligne je suis heureux. Stressé, appliqué à m’assurer que mes battements cardiaques soient inévitablement trop précipités pour que ce soit sain, mais heureux. “Dek a dit que c’était con. Je lui ai dit que c’était lui le con.” un murmure de plus, un rire avec, mon souffle se casse contre sa nuque et j’inspire à nouveau. “T’es belle.” et le médecin va parler, d’ici deux trois minutes, nous dire que tout va bien, que je suis un abruti, que les meilleurs prénoms sont ceux qui se crient comme des encouragements à travers le DBD et que le café n’est pas recommandé avant la fin de la puberté. Et tout ira bien. Tu l’as déjà dit. Une fois de plus fera pas de tort. |
| | | | (#)Sam 17 Avr 2021 - 20:53 | |
| “Est-ce que tu te sens bien?” - “Mieux que jamais.”
Et elle le pense, Lily, elle le pense vraiment. Physiquement, elle a connu mieux, bien sûr. Mentalement, pourtant, elle ne s’est jamais sentie aussi bien. L’idée de fonder une famille prône largement sur les douleurs qui peuvent parfois être siennes, lesquelles elle a promis à Matt de ne jamais cacher; lesquelles ne résistent jamais à un brin de repos et toutes les attentions qu’il lui donne aussitôt. Il l’embrasse contre la tempe, elle se blottit un peu plus contre lui. Si elle rappelle au premier venu qu’elle est une femme forte et indépendante et et et et, elle n’a jamais envie de se dérober des étreintes de Matt, surtout pas alors qu’elle a connu des mois déchirants sans pouvoir vivre de tels instants avec lui. Grâce à lui, l’attente ne semble pas en être une. Elle compte ses dix doigts, elle les recompte, elle s’assure de pouvoir jouer avec son avant bras dans un sens et puis dans l’autre. Elle devient une enfant qu’il faut occuper, le temps qu’on vienne justement les prendre en rendez-vous pour s’assurer que le leur se porte à merveille. Bientôt, ils pourront même lui donner un sexe, sans que cela ne change jamais l’amour qui lui sera porté.
Vient enfin leur tour. Déjà, le visage de la trentenaire s’illumine. La plupart des personnes craignent la moindre visite chez un médecin: ce n’est pas son cas, bien au contraire. Si ses doigts se resserrent autour de ceux de son mari, ce n’est que par excitation. A ses côtés, elle sait que rien ne peut aller de travers, pas après tout ce qu’ils ont vécu et surtout ce qu’ils ont su dépasser. Ils ont déjà vécu bien trop d’instants difficiles pour que le sort s’acharne à nouveau sur eux. “S’il a des mains trop froides, j’ai amené des gants.” Oh Matt. Il pense à tout, surtout ce à quoi Lily ne pense absolument pas. Elle esquisse un sourire aussi amusé qu’ému, se contentant d’une réponse douce murmurée à son oreille. “Il portera des gants de toute façon.” La brune ne cherche pas à le rabrouer mais plutôt à le rassurer, à sa façon. Il portera des gants et le gel sera à peine froid, à peine désagréable, rien de quoi s’inquiéter. L’exercice est indolore, elle l’en a assuré, tout comme il a eu le droit à l’explication précise de la procédure pour ne pas être pris de court. “Dek a dit que c’était con. Je lui ai dit que c’était lui le con.” - “T’as raison, il est con.” Il aura raison quoi qu’il dise, surtout alors que la loyauté de la future mère se tourne vers lui et lui seul. Il pourrait dire n’importe quoi qu’elle irait en son sens, en public au moins. Cette fois-ci, pourtant, il ne dit pas n’importe quoi: Dek est vraiment stupide, surtout lorsqu’il se moque d’un futur père qui veut faire au mieux. “T’es belle.” Ils font déjà quelques pas en direction de la salle mais Lily prend le temps de s’arrêter pour l’embrasser tendrement, à défaut de lui rappeler par les mots une fois de plus à quel point elle l’aime.
C’est à partir de là qu’elle ne peut plus avoir la main mise sur sa vie et c’est au même instant qu’elle lui échappe une fois de plus. Lily ne peut qu’observer la scène sans avoir son mot à dire, ni même aucune chance de changer son (leur) futur. Ses doigts ne lâchent pas ceux de son mari lorsqu’elle s’allonge mais elle le soupçonne de les serrer plus fort qu’elle ne le fait. Peu importe, elle se concentre sur les gestes du médecin, sur les explication qu’elle connaît déjà, sur les produits utilisés et les appareils allant avec. Il n’y a rien de nouveau, rien d’effrayant, rien qui ne puisse faire naître en elle le moindre doute. Et pourtant, lorsqu’elle a remonté son tee shirt assez haut pour que le gel soit appliqué par dessus et l’appareil avec, elle sait que rien ne se passera comme prévu ensuite. Son rythme cardiaque s’accélère alors que, ironiquement, on ne fait pas entendre dans la salle celui de leur enfant. “L’appareil est défectueux?” Le problème est ailleurs, bien sûr qu’il est ailleurs. Elle tente de garder une voix calme et apaisée alors qu’elle commence à ne justement plus rien avoir avec de tels sentiments. “Sans doute. Je vais essayer avec un autre.” Voilà, bien sûr que le problème vient de là. Bien sûr que cela ne peut pas être autre chose et que les regards qu’elle refuse de donner à Matt non rien de la culpabilité qu’elle souhaite déjà lui cacher. Bien sûr. |
| | | | (#)Ven 23 Avr 2021 - 5:08 | |
| “L’appareil est défectueux?” pour être vraiment honnête, j’ai absolument rien entendu avant ça. J’ai pas entendu le cliquetis du stylo du médecin quand il remplissait les formulaires au nom de ma femme. J’ai pas entendu le bip de la machine qui avait l’air de bien fonctionner avant qu’il ne l’approche du ventre à découvert de Lily. J’ai pas entendu les conversations qui s’en fichaient de nous, et qui avaient lieu de l’autre côté de la porte close. J’ai foutument rien entendu et une chose est certaine, j’entends pas le cœur. “Sans doute. Je vais essayer avec un autre.” j’entends rien, elle non plus, le docteur avec et si j’avais été le moindrement conscient, probablement que je l’aurais fusillé du regard, la blouse blanche qui se tire de son bureau comme si c’était la bonne façon de faire. La vérité, c’est que j’en ai absolument rien à faire de lui dès la seconde où je reprends connaissance qu’on est seuls à deux, trois. Ouais, à propos de ça. De la chaise où j’étais lamentablement installé, je me lève d’un bond, réduis le mètre et quelque qui s’est immiscé entre Lily et moi pour venir me poser, accroupi à côté de la table où il l’a allongée avant de s’en aller. “Hey, hey, hey, regarde-moi.” qu’elle chuchote, ma voix, quand je vois ses prunelles qui dérivent dans la pièce, ou alors j‘anticipe. J’anticipe que rien ne va, qu’elle essaie de fuir en dédiant son coup d’œil ailleurs. Honnêtement, je sais pas du tout d’où ni de comment elle fait pour rester aussi calme, mes doigts essayant de pas trembler en allant s’immiscer entre les siens, stoïques.
C’est pas vrai que je vais nous jeter une épée de Damoclès par-dessus la tête. C’est pas vrai que je vais donner l’impression qu’on est sous une malédiction, que les choses peuvent pas juste bien aller, qu’à un moment faut que tout explose. C’est pas vrai que je vais être ce gars-là, le type paniqué de tout mais surtout de ça. En inspirant, en haïssant les hôpitaux et encore plus le médecin qui met une vie pour finir par revenir, j’en viens à poser mes lèvres sur le front de Lily. Un baiser qui prend du temps et qui en a besoin, et si le parfum de ses cheveux remonte quand je respire, c’est la chaleur de sa peau qui me fait chuchoter contre elle. “Soit je te fais vraiment de l’effet, soit tu fais de la fièvre.” elle va pas. Quelque chose va pas. Rien ne va, si vous vous demandez, mais ça serait abandonner trop vite et voir le mauvais trop mal si je m’avouais ça déjà. Du revers du poignet, j’en viens à prendre pour vrai sa température, réaliser que son épiderme est bouillante, l’embrasser à nouveau comme si ça allait changer quoi que ce soit, améliorer quoi que ce soit.
Derrière nous, la porte craque. Pentures de merde qu’ils savent pas entretenir et qui me font grincer des dents presque autant qu'elles grincent, elles, dans leur socle. “Miss McGrath.” c’est une question ? C’est une interrogation ? C’est une exclamation, c’est pas une réponse ça, et c’est certainement pas un diagnostic et pourquoi est-ce qu’il prend son temps et pourquoi est-ce qu’il a des dossiers entre les doigts et pourquoi il a l’air de vouloir lui dire quelque chose rien qu’à elle et pas à moi ? Je suis pas invisible, je suis pas juste un idiot affalé sur elle et s’il ouvre pas la bouche tout de suite, je, je, je, je – tu vas faire quoi Matt, hen ? “Qu’est-ce qui se passe ?” demander ce qu’il faut pas. Briser le silence quand je sais que j’ai absolument pas envie d’entendre comment il risque de le remplir. |
| | | | (#)Ven 23 Avr 2021 - 17:06 | |
| Dès lors que le médecin quitte la salle et qu’ils se retrouvent à nouveau entre eux, le rythme cardiaque de Lily s’accélère et ses prunelles cherchent celles de son mari. Elle respire plus fort, assez pour qu’il puisse l’entendre et si elle ne dit toujours rien, son corps parle pour elle. La brune aurait des milliers de raisons de faire comprendre à son mari qu’elle va bien et qu’elle ne commence absolument pas à stresser mais elle en aura toujours plus de lui dire la vérité, ou au moins la lui faire comprendre. “Hey, hey, hey, regarde-moi.” Ses yeux attrapent aussitôt les siens en même temps que le font ses doigts autour de leurs compères. Elle les referme avec force, pourtant plus fatiguée que jamais. Cette journée ne peut pas mal tourner, pas alors qu’elle ne pouvait qu’être parfait si ce n’est incroyable ou bien extraordinaire. Il devait leur dire que leur bébé est en bonne santé, qu’il naîtra dans six longs mois et qu’il sera un être magnifique et parfaite. C’étaient les seuls mots qu’elle était prête à entendre, les seuls qu’elle avait appréhendé aussi. Maintenant, Matt est occupé à la rassurer alors qu’elle n’a toujours aucune raison de s’en faire. Officiellement, du moins. Officieusement, elle sait déjà que les plans du jour ainsi que des mois à venir viennent d’être chamboulés.
Elle prend le temps de respirer lorsqu’il dépose ses lèvres contre son front et qu’elle en profite pour fermer les yeux une seconde, juste une. “Soit je te fais vraiment de l’effet, soit tu fais de la fièvre.” Son visage se tord petit à petit d’inquiétude mais elle essaye presque aussi fort que son mari de paraître forte et assurée. “Tu m’as toujours fait de l’effet, c’est pas un secret.” Elle formule juste avant de renifler, esquissant un sourire qui ne bernerait personne. La jeune femme ne se sent soudainement plus à sa place sur cette table qu’elle a l’impression de voler en même temps que le précieux temps du médecin. Il tarde à revenir et ce n’est pas un bon signe, tout autant que l’appareil n’avait sûrement rien de défectueux. Si Matt prend sa température, elle est occupée à caresser ses avants-bras du bout de ses doigts, tentant de s’occuper comme elle le peut.
“Miss McGrath.” Lily n’a pas envie de répondre. Elle veut lui dire que c’est une autre et qu’elle s’appelle Keegan, finalement, qu’elle n’est pas venue ici pour une échographie parce que ce serait vraiment stupide que de croire qu’avec tous les péchés qu’elle traîne dans son sillage elle aurait encore le droit à la maternité. “Qu’est-ce qui se passe ?” Il demande pour deux, là où Lily refuse d’entendre la réponse. Ce qu’elle lit dans les yeux du médecin ne lui plait pas et ce qu’il s’apprête à lui annoncer, de sa voix la plus douce et la plus pédagogue qui soit, lui plaît sans doute encore moins. Ses doigts ont à peine le temps de retrouver ceux de son mari avant que le verdict ne tombe, implacable. “On a détecté ce qui s’appelle un œuf clair, c’est -” “Je sais ce qu’est un œuf clair.” Matt, lui, ne le sait sûrement pas et elle ne lui en tiendra bien sûr pas rigueur mais l’infirmière n’a pas la force d’entendre un inconnu leur expliquer qu’elle a porté un embryon vide pendant trois mois en se pendant sincèrement enceinte, enfin prête à devenir mère. Son mari comprendra que la nouvelle n’est pas bonne en lisant son visage et elle lui expliquera plus tard ce que le mdécin voudrait leur dire maintenant. Sa main libre, elle, s’occupe à laisser son t-shirt retomber sur son ventre et le cacher de nouveau. “Il peut y avoir une erreur sur le diagnostic, il faudrait faire une seconde echographie pour s’en assurer. On saura si votre corps fait la fausse couche naturellement.” Fausse couche. Note à elle-même: ne plus jamais avoir à faire à ce médecin qui parle sans délicatesse de sujets qu’il s’est contenté de travailler pour ses examens et concours sans jamais les vivres. Maintenant, au moins, Matt n’a plus aucun doute sur l’issue de l’auscultation: ils n’auront pas de bébé. “Ce n’est pas si rare qu’on voudrait le croire. Si jamais vous avez des questions, je-” - “On voudrait être seuls.” Le seul qu’elle veut voir, c’est son mari. Le seul à qui elle veut parler, c’est encore son mari. C’est aussi le seul qu’elle prend dans ses bras dès que la porte se referme et qu’elle se relève à sa hauteur, sans un mot ni même larme. Elle est encore trop bouleversée pour savoir comment réagir, paradoxalement. Ce sont des je t'aime qu'elle perd contre sa peau, la seule chose dont elle soit réellement assurée en cet instant. |
| | | | (#)Mar 27 Avr 2021 - 23:12 | |
| C’est dit comme un appel à l’aide ou ça pourrait l’être, vu les mots suppliants qui le sont plus que le ton en soit. “Hey, hey, hey, regarde-moi.” ce n’est que lorsque les iris de Lily sont bien ancrés aux miens que je réalise que j’avais arrêté de respirer depuis bien plus longtemps que ça devrait être humainement possible. “Tu m’as toujours fait de l’effet, c’est pas un secret.” ricane, allez, fais juste rire, quelque chose, un sourire même je prends. “Faudrait vraiment qu’on apprenne à être moins clichés.” mais elle est faite de porcelaine Lily, elle est fragile, malléable, solide, incassable. Elle ne laisse rien froisser la surface et je m’en veux comme un idiot de merdeux d’être celui qui a besoin de ses forces à elle pour ne pas devenir complètement fou en ce moment. C’est l’inverse qui devrait être le cas, c’est moi qui devrait être là pour elle, c’est pas elle qui devrait m’embrasser à la volée comme ça et c’est certainement pas vers le médecin que je devrais tourner la tête comme si son retour apportait avec lui toutes les bonnes nouvelles du monde. “On a détecté ce qui s’appelle un œuf clair, c’est -” “Je sais ce qu’est un œuf clair.”
Je sais pas c’est quoi, moi. Je sais foutument pas et j’ai pas le droit de dire le moindre mot parce qu’ils ont leur conversation d’adulte à côté avec moi en aparté au même titre où je réalise qu’entre les doigts de Lily, les miens se triturent. Je sais pas lire sur les lèvres, je sais encore moins lire dans les pensées, personne parle et Lily replace son t-shirt et j’ai l’air de pas avoir compris que dans la vie, si t’arrives pas à respirer parce que ta cage thoracique est bloquée, faut que tu fermes la bouche et que tu ravales ta salive en contre-coup. Un œuf clair, un œuf clair c’est quoi, et pourquoi il a pas de nouvelle machine, c’était pas ça qu’il était allé faire? “Il peut y avoir une erreur sur le diagnostic, il faudrait faire une seconde echographie pour s’en assurer. On saura si votre corps fait la fausse couche naturellement.” mais. “Ce n’est pas si rare qu’on voudrait le croire. Si jamais vous avez des questions, je-” je. “On voudrait être seuls.” oui, oui c’est ça.
Et il part, encore, et elle m’aime, encore. Ses baisers brûlent autant qu’ils glacent ma peau, et je comprends pas. Je comprends que dalle. Je comprends rien, je sais même pas depuis combien de temps on est là, depuis combien de temps on est partis? Non Matt, vous êtes encore dans le bureau du médecin, c’est juste lui qui s’est tiré. Pour la nouvelle machine ? Elle a un œuf clair. Mais je ; “T’es gelée.” c’est le froid qui l’emporte sur le chaud quand d’une main j’essaie de rapatrier tous les doigts de Lily au même endroit, au creux de ma paume. De l’autre, je vais atteindre à bout de bras ma veste, la lui passe sur les épaules, saignerait le personnel de l’hôpital en entier si ça pouvait lui offrir d’autres vêtements pour la réchauffer. “C’est pas...” c’est pas quoi ? C’est pas vrai ? C’est pas comme ça que ca devait se passer ? C’est pas évident, c’est pas la bonne machine, c’est pas ce que je pensais, c’est pas ce pour quoi on venait. “C’est pas ta faute.” voilà qui résume, voilà qui est doux, voilà qui est murmuré sur ses lèvres, aussi. “Est-ce que tu veux faire une seconde échographie ? ” un nouveau chuchotement, rien ne presse, rien ne force, et surtout pas moi. Mon front s’arrime au sien, on a tout le temps du monde parce que l’autre incompétent a compris qu’on voulait être seuls. “Comment est-ce que tu te sens ?” mal, sûrement qu’elle va vraiment pas Matt, pourquoi tu tournes le couteau dans la plaie comme ça ? “Qu’est-ce que je peux faire pour aider ?” un peu mieux, juste un peu. |
| | | | (#)Jeu 29 Avr 2021 - 11:57 | |
| “Faudrait vraiment qu’on apprenne à être moins clichés.” Dans le cliché du couple chéri de l’Australie, ils n’étaient pas supposés perdre leur bébé. Il n’y a plus d’audiences à faire, il n’y a plus de public à attirer. Ne reste plus qu’eux, leurs problèmes et leurs démons, et tous les inconnus qui écorchent leur prénom en les appelant Brad et Lucy. Puisque Brad a besoin qu’elle soit forte pour lui, raison pour laquelle elle sourit devant sa réponse et le couvre à son tour de sa douceur, alors qu’en parallèle la brune parle plus froidement que jamais au médecin qui vient leur annoncer la mauvaise nouvelle. Lily sait que son mari ne peut pas tout comprendre avec le peu d’informations qu’elle le laisse débiter mais elle le lui expliquera dans peu de temps et avec infiniment plus de délicatesse, c’est une promesse.
Elle s’était jurée de ne plus avoir à l’enlacer parce qu’elle était triste au point de ne pas pouvoir s’en sortir seule et d’avoir besoin de sa force, sa présence et sa chaleur. “T’es gelée.” C’est pas important. Elle n’a pas réussi, preuve en est que c’est ce qu’elle s’obstine à faire en le gardant près d’elle et lui susurrant qu’elle l’aime. Son amour pour lui ne sera pas entaché par les événements de cette journée ni même ceux qui s’en suivront, preuve en est qu’elle ne cherche pas à résister lorsqu’il se charge de créer une nouvelle chorégraphie avec les mains de Lily. Son dos se courbe pour accueillir la veste de Matt. Elle voudrait lui dire que ce n’est pas la priorité et qu’elle a sa propre veste quelque part, là, juste là… Mais ce n’est pas important. S’il veut lui donner la sienne et se sentir utile, elle n’ira jamais contre.
La situation n’est nouvelle pour aucun d’eux. Matt a déjà perdu un enfant qu’il n’a jamais connu; Lily a déjà ressenti ce vide au creux de son ventre. Pour autant, ça fait toujours aussi mal pour chacun, sans doute même plus encore. Il n’existe toujours aucun mot pour un parent qui perd son enfant. “C’est pas...” Si, c’est la vérité. C’est ce qu’il s’est passé, c’est ce qui a dit: ‘fausse couche’. Il ne sait peut-être pas ce qu’est un œuf blanc mais une fausse couche, ça, il le sait très bien, en témoigne la façon dont il l’embrasse. Contre ses lèvres se ressent bien plus la tristesse que l’amour. “C’est pas ta faute.” Lily souffle doucement, discrètement. Son front n’a aucun mal à s’ancrer contre le sien, il y retrouve aisément sa place. “La tienne non plus.” Elle préfère désamorcer la bombe le plus tôt possible, juste au cas où. S’il veut lui faire comprendre qu’elle n’a rien à voir dans cette fin, elle veut qu’il soit aussi indulgent avec lui-même. Il a pris toutes les précautions du monde et, pendant trois mois, il aura été un père formidable. Il sera un père formidable. “Est-ce que tu veux faire une seconde échographie ? ” Sa tête bouge doucement de droite à gauche sans qu’elle ne trouve la force d’ajouter le moindre mot pendant de longues secondes. Il n’y a pas de bébé, il n’y aura pas de bébé même s’ils changent de matériel et de médecin. Ce n’est pas une erreur technique ni humaine. “Je le sens plus.” Enfin, Lily accepte la situation telle qu’elle est, bien malgré elle. Au pied du mur, elle se rend enfin compte de l’évidence de la chose: il n’y a pas d’enfant, il n’y en a jamais eu. Elle le voulait tellement qu’elle y a cru de toutes ses forces et de tout son être. “Comment est-ce que tu te sens ?” - “Je suis désolée. J’y croyais vraiment.” Et de tout son cœur, elle aurait voulu lui donner l’opportunité d’être père. Sans que cela n’ait rien à voir avec un mariage qu’ils continuent de réparer un peu plus chaque jour, elle aurait sincèrement souhaité pouvoir élever un enfant à ses côtés dès cette année. Si elle ne compte pas abandonner pour autant, leurs chances s’amaigrissent alors que les mois passent et que l’horloge biologique de Lily se rapproche d’un point de non retour. “Qu’est-ce que je peux faire pour aider ?” Il va plus mal que jamais mais cette simple question arrache un sourire sincère à Lily qui ose enfin remonter son regard dans le sien. Son visage se détache à peine, elle observe ses traits et les caresse du bout de ses doigts. “Tu aides, là. Tu es parfait.” Il partage sa douleur et la vit à la même intensité qu’elle. Lily n’a pas l’égoïsme de croire qu’elle est la seule qu’il faut aider et rassurer dans cette épreuve. Elle portait l’enfant, certes, mais il était le leur et jamais elle ne pourrait l’oublier ou le minimiser. “On peut rentrer.” Ils n’ont plus rien à faire dans cet hôpital, ils n’y ont plus leur place.
De nouveau, ses doigts partent en quête des siens pour venir s’y nouer alors qu’elle prend tout le temps du monde pour se relever, se sentant plus faible que jamais. Ses jambes la portent à peine, sa main posée contre la hanche de son mari l’aide à le garder à ses côtés. “Tu peux prendre ta journée, tu penses? Juste pour aujourd’hui. Je voudrais qu’on en parle.” Le besoin de parler est nouveau pour Lily et, en réalité, ce n’est pas même un besoin. Elle sait qu’il en a besoin, elle sait qu’il va vouloir faire au mieux et pour cela il doit aussi savoir exactement ce qu’il se passe dans son corps et les conséquences inattendues dans leur vie. Demain sera un nouveau jour, un nouveau départ. |
| | | | (#)Ven 7 Mai 2021 - 5:24 | |
| “La tienne non plus.” ça l’est de pas avoir été assez brillant pour l’empêcher de voir à quel point ça va pas. Ça l’est d’assister à Lily qui tente désespérément de remonter mon regard vers le sien, qui éparpille des baisers partout où elle peut parce que je suis incapable de jouer les adultes et de prendre les responsabilités comme elles viennent. C’est pas son cœur qu’on entend, c’est le mien qui tape contre mes tempes. C’est ma faute pour une longue liste de raisons que je ravalerai aussi longtemps qu’elle serait là, au bout de mes doigts et de mes lèvres, à se décomposer mais à tenter de me remonter à la surface même si elle n'en finit plus de se noyer. “Je le sens plus.” elle m’arrache la peau et les nerfs et les muscles et les os avec, elle arrache tout Lily, avec sa voix plus douce que du papier de soie que j’aurais l’impression d’arracher moi aussi du bout des doigts. “Je suis désolée. J’y croyais vraiment.” dis pas ça, dis-le pas et répète le jamais, que t’es désolée. Quand je l’embrasse, c’est bien pour égoïstement l’empêcher de le dire à nouveau, c’est pour censurer les horreurs qu’elle pourrait même venir à croire d’elle-même. On y croyait : si y croire était ce qu’il fallait faire on l’aurait eu le bébé, on en aurait mille autres déjà.
Alors j’essaie d’aider. Je joue les grands frères, je joue les chevaliers, je joue les grandes personnes quand à l'intérieur ça brûle et ça gèle. je sais pas qu’elle est la différence, je ressens plus rien de toute façon. Sauf le contact de Lily, sauf ses doigts et sa taille et sa silhouette en entier que j’aide à redresser. “Tu aides, là. Tu es parfait.” mon bras se cale autour de ses hanches, mon souffle se perd sur sa joue. “On peut rentrer.” elle est restée à peine une poignée de minutes à l’hôpital et elle sent déjà l’ammoniaque, je rêve de retrouver du sable dans ses mèches, du soleil, de l’eau salée, des coquillages, du sucre, du caramel, n’importe quoi sauf un rappel qu’on est venus ici. Qu’on est partis aussi, d’ici. Elle veut rentrer, alors on rentre. C’est aussi simple et aussi évident et aussi douloureux, au cas où vous vous demandiez. “Tu peux prendre ta journée, tu penses? Juste pour aujourd’hui. Je voudrais qu’on en parle.” “J’ai tout le temps du monde. T’en fais pas avec ça.” retourner au café est complètement tout au bas de ma liste de priorités, de choses même auxquelles je pense. Elle ne l'aurait même pas mentionné que j’aurais été amnésique, aucune souvenir et aucune mémoire à y gaspiller quand mon monde tient entre les quelques pas qu’elle esquisse faiblement mais qui reprennent du nerf dès qu’on passe le bureau. Le couloir est noyé de néons, ils piquent bien plus qu’à l’arrivée. Le linoléum grince, les patients nous scrutent, personne nous voit mais je sens leurs regards de nulle part, les déteste. On est pas un spectacle et c’est pas sa faute et arrête de dire que t’es désolée Lily tu vas me rendre fou. Elle ne dit rien, elle ne parle pas, et moi non plus.
Mes clés tournent entre mes doigts, une fois posés dans la voiture. Le moteur n'est pas enclenché, ni la radio, ni même mes paroles. Inspire Matt. Oublie pas d’expirer. “T’es sûre que tu veux qu’on - ” mes mots se serrent dans ma gorge qui se cherche, ou alors c’est l’inverse. Ouais, l’inverse fait plus de sens. Quand j’actionne le contact, ma main libre a le réflexe d’aller trouver la sienne ; jusqu’à ce que je réalise que pendant tout ce temps j’ai jamais lâché ses doigts des miens. La pression se resserre, sa paume dont j’embrasse le revers. “Fais-moi confiance.” parce qu’on ne rentrera pas à la maison. Pas tout de suite. Parce que je ne veux pas voir le trajet qu’on aurait fait, du hall jusqu’à la porte. Parce que je ne veux pas qu’elle sache toutes les conneries que j’ai pu acheter et entasser dans la chambre avec l’aide de Dek et de Pete pour qu'au retour elle voit à quel point je suis un danger public quand on me laisse sans surveillance à faire du shopping de bébé sur Etsy. Parce que – oh, on y est déjà. Dehors, c’est l’océan à perte de vue. Dehors, c’est plus Brisbane du tout, on est sortis de la ville, on a pris la nationale, on a roulé une bonne heure, ça s’est passé comme dans un claquement de doigt. La plage est belle, au loin. Elle l’est encore plus quand on y avance. J’ai laissé mes souliers plus loin, pas de planches aujourd’hui même si on vient y surfer au moins une fois par semaine ; y venait, avant que le test soit, bref. “Y’aura personne. Les bonnes vagues vont à demain.” que je la rassure, collé à son oreille, l’envie de rester seul avec elle contre le monde encore plus aujourd’hui que tous les autres jours. Demain et le surlendemain aussi. “Qu’est-ce qu’on aurait pu faire de mieux ?” c’est ça, que je me demande. C’est ça, qui me tourne dans la tête depuis des dizaines de minutes déjà, depuis tout le trajet, depuis qu’on est installés à même le sable aussi, surtout. |
| | | | (#)Dim 9 Mai 2021 - 0:41 | |
| “T’es sûre que tu veux qu’on - ” Elle n’est plus sûre d’autant de choses, désormais.
“Fais-moi confiance.” Mais la confiance qu’elle a envers le brun est inébranlable.
Le temps s’écoule bien différemment entre l’hôpital et la plage. Si elle n’avait pas un esprit aussi rationnel, Lily aurait soupçonné l’existence d’une faille spatio-temporelle ou quelque chose qu’on retrouve dans les films de science-fiction. L’espace d’un instant, ses doigts étaient enroulés autour de ceux de Matt près du pommeau de vitesse; juste ensuite, ils l’étaient toujours mais la ville avait laissée place à l’océan. Elle a même souri en entendant les vagues, mais juste après l’odeur du sel lui a rappelé l’hôpital. Allez savoir pourquoi. Lily aurait préféré ne jamais y remettre les pieds mais dès le lendemain son travail la rappellera à l’ordre et elle aura bien du mal à garder la tête haute cette fois. Tout est différent avec ce genre d’épreuve, à commencer par le fait qu’elle ne la vive pas seule et qu’elle soit incapable de faire comme si. Au contraire. Pour la première fois de sa vie, la brune a envie (besoin) de parler de ce qui ne va pas et de partager ses maux pour mieux entendre ceux qui appartiennent à son mari. La première fois, il avait été facile de tenir responsable Callum et le climat dans lequel elle vivait mais aujourd’hui elle ne laisse pas une once de reproches reposer sur les épaules de Matt.
Ensuite, ce sont ses pieds qu’elle sent s’enfoncer dans le sable. Il est brûlant mais elle en a l’habitude, en bonne Australienne qu’elle représente. Son bras la démange, il est trop habitué à tenir une planche de surf plutôt qu’à être éternellement contracté. “Y’aura personne. Les bonnes vagues vont à demain.” Lily y serait allée même sans ses explications mais elle se rend compte qu’elles font un bien fou et qu’il explique ce qu’elle a envie d’entendre, sans même qu’elle le lui demande. Eux, juste eux. Les ptsd d’un mariage sous le feu des caméras reste encore présent. Pendant une seconde, elle se demande comment elle réagirait s’ils faisaient une suite de l’émission et en venaient à demander quand est-ce qu’ils allaient enfin avoir un enfant. Bien sûr qu’ils poseraient la question et bien sûr qu’ils oublieraient toute forme de finesse ou de retenue. Puisqu’il ne s’agit heureusement que d’eux deux, elle se permet de fermer les yeux un instant et prendre une plus grande inspiration pour se donner de la contenance. Ses mains sont déjà pleines de sables et l’une d’elle ne lâche toujours pas Matt. C’est encore trop tôt pour ça. “Qu’est-ce qu’on aurait pu faire de mieux ?” A peine entamés, ses pas s’arrêtent déjà. Elle veut prendre le temps de faire les choses bien, ce qui implique donc de les faire une à la fois, pas à pas. Ses yeux encore tristes mais en voie d’amélioration remontent dans ceux de son mari et elle arrive à sourire enfin, même si cela lui coûte beaucoup. Sa main se plaque lentement contre sa nuque, la protégeant par la même occasion d’un possible coup de soleil survenu trop vite. Elle n’aurait jamais pensé à l’enduire de crème solaire aujourd’hui. Ce sont finalement ses lèvres qui se posent sur les siennes, timides, dans le simple but de lui rappeler qu’ils sont toujours là, eux. “C’est pas arrivé à cause de nous. On a rien fait de mal.” En réalité, tout est survenu dans le corps de Lily et puisqu’elle en est à sa seconde fausse couche il est possible qu’elle y soit prédisposée mais elle ne se sent pas assez forte pour lui parler d’un tel sujet en cet instant. Avant d’être infirmière, elle est surtout sa femme et celle qui a perdu l’enfant avec lui, celui qui avait déjà le droit à quelques prénoms dans son esprit. “Il peut y avoir plusieurs facteurs. C’est probablement une anomalie chromosomique.” Peut être que l’oeuf n’était pas assez fort, peut être que son taux d’hormone n’était pas optimal, peut être que leurs groupes sanguins ne sont pas compatibles, une histoire de rhésus et, et, et. Peut-être. Elle aurait pu lui donner de véritables explications si elle était restée et avait fait des examens plus approfondis mais une part d’elle a trop peur qu’on lui explique qu’elle n’aura finalement jamais d’enfant parce que son corps n’est pas fait pour ça. Dans tous les cas, Matt n’aurait rien pu faire de mieux. Il était déjà parfait et le baiser, cette fois-ci désolé, qu’elle dépose contre son front cherche à le lui prouver. “Je sais pas comment en parler aux autres. A ceux qu’on a prévenu.” La brune confie enfin une de ses plus grandes peurs, son front posé contre celui de son mari alors qu’ils ont tous deux mis au courant leurs proches, trop hâtifs de partager la merveilleuse nouvelle. “Je veux vraiment vivre ça avec toi, Matt, ça ne change pas. T’en penses quoi?” Est-ce que tu veux toujours fonder une famille, même si c’est difficile et que personne ne nous y a préparé? |
| | | | (#)Ven 21 Mai 2021 - 19:45 | |
| Faire de mieux, faire mieux, yada yada et je me hais de demander ça. Je me hais d’être là à la regarder comme s’il fallait qu’elle me donne toutes les réponses de toutes les questions même celles qui restent lâchement au creux de ma gorge. Même celles que je suis incapable d’assumer de juste y penser. Ça nous met à quoi, là, ça nous fait prévoir quoi, faire quoi ? On va où, après ça ? On va à la plage. On va là où y’a personne, là où y’a des vagues, là où nos pieds se noient dans le sable et où les marques partent directement après. Pas celles-là, les autres. “C’est pas arrivé à cause de nous. On a rien fait de mal.” je soupire pas. Je jure que mes baisers se perdent sur sa nuque et qu’elle sentira absolument aucune esquisse d’air qui quitte mes lèvres. Mais je déteste sa réponse. Je déteste le fait que ce soit hypothétique, que j’ai rien fait de bien, comme de mal. J’ai rien pu faire serait plus juste, comme dénomination, et ça me gruge. J’ai pas le contrôle, j’ai pas la main mise, c’est la vie qui décide et elle fait un foutu boulot de merde. “Il peut y avoir plusieurs facteurs. C’est probablement une anomalie chromosomique.” Lily explique, elle le fait comme elle l’aurait fait à ses patients, à des gens qui entrent dans sa journée pour du réconfort, qui partent lorsqu’ils ont reçu ce dont ils ont besoin. Lily fait un travail impeccable avec eux, mais avec moi c’est pas assez. Et pour ça aussi, j’en reviens pas de le capter de la sorte ; je l’aime, ça a pas changé. Je l’aime à me ronger les nerfs pour ne rien dire, faire pareil avec les ongles de mes mains que je gardw lovées autour de sa silhouette à elle parce que sinon ça serait beaucoup plus difficile de montrer que je suis si calme et si posé alors qu’à l’intérieur ça gratte, ça pique, ça brûle, ça ne fait plus rien. Rien du tout.
“Je sais pas comment en parler aux autres. A ceux qu’on a prévenu.” “Je sais pas comment leur dire.” on dit la même chose. On le dit et on le répète et on leur a dit aussi, c’est ça le problème. Et ils s’attendent tous à ce qu’on revienne de l’hôpital avec des photos dans tous les sens et de toutes les couleurs de l’échographie. Ils s’attendent à ce que je les bassine, à ce que je parle que de ça, je sais juste faire ça depuis le début, j’arrête plus. Ils s’attendent à ce que je sois meilleur que ça, à ce que je leur rapporte pas des mauvaises nouvelles et l’air abattu qui va avec. Ils s’attendent à tellement et eux aussi, je les déteste de ne pas me mettre autant de pression que je les oblige à le faire, dans ma tête. Ils s’en foutent. Ils auront les bons mots. Ils écoutent, ils comprendront, certains mieux que d’autres. Et ça devrait suffire. Ça suffira pas. “Je veux vraiment vivre ça avec toi, Matt, ça ne change pas. T’en penses quoi?” je pense, je pense, je pense et je pense encore. J’ai le cerveau qui brûle, j’ai les tempes qui démangent. J’ai le ventre qui se serre, j’ai la gorge qui se contracte. J’ai le cœur qui doit lui défoncer les tympans ou la colonne vertébrale, sûrement les deux. “J’en pense que j’ai pas envie que tu revives ça.” déjà, on part de là. J’ai pas envie de revoir ce regard-là, j’ai pas envie de l’entendre avoir encore une fois cette voix-là. T’es égoïste Matt. J’adoucis en l’embrassant un peu plus, le vent embête ses mèches, mon nez avec. “J’en pense que je veux ça, avec toi.” une famille, son ça à elle, qui aurait pu être un ça à nous. Ça a pas changé même si tout a changé et je le réalise au fur et à mesure que les secondes deviennent des grains de sable qui bloquent l’engrenage autant qu’ils fouettent ses joues, les miennes. “J’en pense que si ça arrive à nouveau je sais pas comment je vais... ” autant j’aurais envie que Lily soit capable d’entendre ce que je pense, autant je voudrais jamais lui imposer ça. J’ai rien à lui cacher, j’ai pas non plus envie de mentir. J’ai rien à gagner à pas être honnête avec elle et en ce moment le soucis c’est juste que ; “Je suis mélangé, Lily. Tout est mélangé.” alors je pense à tout. Alors je doute de tout. Alors je l’embrasse à nouveau, comme si ça ajoutait des lignes et des commentaires et des notes dans les bas de pages, les didascalies. “C’est pas ta faute et je vais te le répéter autant qu’il faut.” mais c’est trop tôt, et c’est trop fort et ça fait trop mal. |
| | | | (#)Mar 25 Mai 2021 - 0:17 | |
| “Je sais pas comment en parler aux autres. A ceux qu’on a prévenu.” - “Je sais pas comment leur dire.” Ils sont tous les deux au pied du mur, sans aucune idée de comment s’en sortir. Lily, comme toute autre personne en ce monde, n’aime que peu ce genre de situation. A la différence du reste du monde, pourtant, elle ne peut pas accepter la situation telle qu’elle est et laisser le temps faire son œuvre. Cela lui semble inimaginable et, surtout, inutile. Elle n’a jamais été dépendante des autres, elle les a encore moins laissé le loisir de penser une chose ou une autre: toute sa vie était millimétrée en fonction du regard d’autrui, pour que ce dernier reste à jamais positif. Imaginer un seul instant qu’ils puissent leur reprocher quoi que ce soit ou, pire encore, avoir pitié, la rend bien plus malade que cela ne le devrait. Elle ne voudrait échanger les baisers de Matt contre rien au monde mais ils ne sont pas aussi curatifs qu’elle l’aimerait. “Ils comprendront.” Puisqu’ils ne verront rien, justement, ils comprendront. Il n’y aura ni radiographie, ni pronostics sur le sexe du bébé, ni sourire, ni prénoms jetés dans la mêlée, ni pseudo concours pour savoir qui seront les parrains. Il n’y aura absolument rien si ce ne sont des regards éteints et alors, ils comprendront, tous autant qu’ils sont. Les mots ne seront pas nécessaires.
Lily veut aller de l’avant, sincèrement, mais elle ne sait pas comment s’y prendre et encore moins comment en parler à son mari. Ils peuvent tout se dire, c’est un fait, mais la façon qu’ils ont de le faire change bien des choses. “J’en pense que j’ai pas envie que tu revives ça.” Elle non plus; elle ne comptait d’ailleurs pas repasser par les mêmes épreuves. Le visage de la trentenaire s’assombrit d’incompréhension alors que ses sourcils se froncent, ses yeux cherchant ceux de Matt maintenant qu’elle se recule de quelques centimètres à peine. Si elle a l’impression d’être infantilisée, elle sait pourtant qu’il ne souhaite que son bien et plus encore. Ils vivent simplement la situation différemment. “J’en pense que je veux ça, avec toi.” Ils n’osent même plus mettre de mot dessus, alors? Elle a une expiration triste. Il ne la sentira même pas, le vent se fait bien plus imposant qu’elle. “J’en pense que si ça arrive à nouveau je sais pas comment je vais... ” Il joue le jeu et vide son sac, mais l’infirmière ne s’attendait pas à ce qu’il avoue aussi aisément être aussi mal qu’elle. Rien de plus normal: il aurait dû devenir parent, lui aussi. Égoïstement, pourtant, elle préférait penser qu’il souffrait moins parce qu’il n’aurait de toute façon jamais porté cet enfant. “C’est trop tôt. Je suis désolée, je voulais pas en parler de cette manière.” Pas alors qu’ils ignorent encore comment faire leur deuil. Ils ne peuvent pas déjà aller de l’avant, ils ont bien trop à faire avec le présent. Elle pensait leur faire miroiter la lumière au bout du tunnel mais ses paroles n’ont fait que les aveugler plus encore. “On pourra en parler plus tard. Juste… sache que j’abandonne pas notre famille.” Leur ça. A deux ou à plus, ils seront toujours une famille. Il a la peau froide, lui l’Australien éternellement bronzé parce que toujours sur sa planche. Pas aujourd’hui, sûrement pas demain non plus. Bientôt, elle espère. Il a besoin de vivre sans être dans l’expectative, sinon il sera dévoré par les remords. C’est bien la dernière chose qu’elle voudrait.
“Je suis mélangé, Lily. Tout est mélangé.” Il l’embrasse à nouveau, elle répond en faisant glisser ses doigts le long de son bras. Rien de cette discussion n’aurait jamais dû exister. “C’est pas ta faute et je vais te le répéter autant qu’il faut.” Et soudain, elle coupe court à ses mots et change à peine de sujet. “Owen. J’aurais proposé Owen comme prénom.” Parce qu’elle sentait un garçon grandir en elle. Parce que même s’il n’est jamais né, un enfant mort a le droit d’avoir un prénom. Elle ne peut pas cautionner qu’ils continuent de parler de lui sans jamais le nommer, ce serait immoral. “On avance ensemble et au jour le jour. C’est ce qu’on fait maintenant.” Plus de faux espoirs, plus de frayeurs inutiles. Elle retombera enceinte un jour. Pas demain, pas le jour suivant. Un jour, peu importe quand, ils connaîtront de nouveau la joie de l’annonce après avoir connu, chacun pour la seconde fois, toute la tristesse que représente la perte d’un enfant. Les paroles de l’infirmière sont ponctuées par un baiser supplémentaire, contre ses lèvres cette fois-ci. S’il s’oppose à cette idée, il ne le lui dira que la seconde qui suit ou peut-être celle d’après encore. |
| | | | (#)Sam 5 Juin 2021 - 4:54 | |
| Je compte les vagues pour mieux oublier le chiffre ensuite. On en était à dix tantôt, puis à mille de plus, à moins quarante, depuis quand on remonte dans le temps ? Les doigts de Lily, eux, remontent sur mes épaules, traînent dans leur sillage autant d’agonie que de soulagement. Elle est belle même si elle est triste, même si je ne la regarde pas. Elle souffle sans faire le moindre bruit, j’aurai tout le temps du monde d’embrasser sa tempe que ça me semblerait trop court encore. “Ils comprendront.” je sais pas, je sais pas du tout. Qui pourrait comprendre quand t’en as une qui a eu des jumeaux, l’autre qui recouvre son deuxième fils de peinture des joues aux orteils. Quand le troisième vient à peine d’emménager avec la femme de sa vie et que la mienne a cet horrible de filtre de merde au creux des yeux. “Penses-tu ?” c’est dit sans la moindre condescendance mais c’est dit tout de même. Qui comprendrait la culpabilité qui martèle la conversation quand même nous deux on perd pied. C’est la faute de personne mais c’est pas une raison pour que je ne prenne pas le blâme, sois horrifié de la voir en silence faire pareil. Parle pas Matt, ferme ta gueule. “C’est trop tôt. Je suis désolée, je voulais pas en parler de cette manière.” sur son désolée, ce sont ses lèvres que les miennes volent, son air avec. La décharge fait mal, goûte le fer, le sel. Une salve d’air désoxygéné qui passe de sa bouche à la mienne, et ma paume qui se love derrière sa nuque comme si elle était faite en carton, en papier de soie, en cristal. “On pourra en parler plus tard. Juste… sache que j’abandonne pas notre famille.” qu’elle s’excuse pas, jamais. Surtout pas pour ça, surtout pas pour moi. Qu’elle soit pas désolée parce que c’est pire quand elle l’est, et s’il faut que je l’empêche d’ajouter quelque mention que ce soit je le ferai. Un baiser de plus se perd, son souffle aussi. “Moi non plus. ” ça fait mal. Trop. Mais pas assez pour que j’abandonne. Juste, j’ai besoin de temps.
Elle aussi ? “Owen. J’aurais proposé Owen comme prénom.” oh, Lily. Il a un visage maintenant, des traits. Ses yeux bleus à elle, mes cheveux en bataille à moi. Il aime le violet et il apprend à surfer avant de marcher. Il dort emmitouflé avec Flocon, Neige les juge tout en haut des placards de la cuisine, niché là pour constater la scène. Il s’entend à merveille avec Sloan, ils bavent à l’unisson. Tracy le déteste et lui pique ses jouets, Bowie en a peur parce qu'il prend trop de place, bouge beaucoup. Il porte des t-shirts minuscules faits à sa taille et à l’effigie du DBD, il passe de bras en bras des habitués du bar qui le couvrent de baisers pendant que je suis prêt à le rattraper à la seconde où je le juge trop loin de moi depuis trop longtemps. Owen et ses joues potelées et ses bras avec, Owen et ses rires de cartoons du dimanche matin, Owen et – rien, plus rien. “J’aurais même pas négocié autre chose.” j’oserai jamais mettre ma main sur son ventre, mais elle y aurait été, dans un autre monde et dans une autre vie, si vie il y avait encore eue à l’intérieur.
Ça fait mal, pour vous aussi ? “On avance ensemble et au jour le jour. C’est ce qu’on fait maintenant.” c’est ce qu’on fait depuis des jours, des semaines, des mois si elle me demande. C’est ce qu’on peaufine comme on polit la vaisselle et j'aurais bien passé mon tour pour le faire après un défi dans ce genre-là. Une horreur, un bordel d’enfer de ; Matt, respire. Sa peau me donne une bouffée d’oxygène, ses cheveux aussi. Ses lèvres pareil, sa nuque ensuite. “Ça ira mieux. À un moment ça ira mieux.” à force de le dire on y croit, j’ai entendu ça ailleurs, à quelque pire endroit que ce soit. Même si aujourd’hui, le pire est juste là. |
| | | | | | | | (lilymatt #29) a fresh poison each week |
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