« Merci d'être venue me rejoindre, j'adore venir ici, je trouve que c'est très inspirant comme ambiance. Tu veux une glace, une boisson ? » C’est un endroit qui change. Qui est plein de vie, lumineux, coloré, qui donne de quoi éblouir les yeux et attiser l'intérêt absolument partout. Primrose n’a pas réfléchi très longtemps avant d’accepter d’y rejoindre Sofia, d’autant que le temps est clément, ce qui est plaisant à constater quand les averses et les orages présagent de plus en plus l’arrivée des mauvais jours. L’australienne rejoint rapidement Sofia, qu’elle a eu la surprise de retrouver dans un endroit aussi incongru qu’improbable ; chez elle. Enfin, Primrose ignore si elle peut qualifier la colocation de “chez elle” ; même si elle paie un loyer (quand elle n’oublie pas), elle ne s’y sent pas pleinement à l’aise. C’est sûrement à cause des reproches silencieux de Moana ou de la pitié qu’Adèle doit avoir en la regardant. Primrose a tendance à croire que la colocation n’est qu’un tremplin, une transition le temps qu’elle se retourne. Depuis deux ans qu’elle traîne ses affaires chez les autres ; que ce soit chez Caleb ou chez Adèle, la jolie brune n’arrive plus à trouver sa place. Que ce soit entre des murs ou dans le monde en lui-même, il est clair qu’elle se cherche sans réussir à se trouver. Il y a bien une place plus réconfortante que d’autres, en ce moment, celle qui réussit à amener un visage complètement absent du moment quand elle y pense. Mais pour l’instant, c’est avec Sofia qu’elle est et elle peut faire bonne figure avec elle, lui offrant un visage souriant et agréable, l’accueillant même entre la prenant à moitié dans ses bras ; les amis sont rares alors ils sont précieux. “Je sens que je vais mitrailler de photos, j’espère que t’es prête que je me la joue paparazzi.” Avec chaque recoin encore non exploré, des couleurs sur des murs non captées, une lumière qui chatouille agréablement le paysage de la ruelle devant elles. “Je ne dis pas non à une glace.” Elle ne dit jamais non à une glace. Pas plus qu’un fraisier, qu’un éclair, qu’un caramel. Elle a trop la dent sucrée pour cela, la jolie brune. « J'ai pas réfléchi avant de t'appeler mais j'espère que je ne t'ai pas réveillé ? » Primrose la regarde avec incompréhension pendant une seconde avant de secouer la tête. “Non, non, t’inquiètes pas. Mon réveil n’était pas longtemps après ton appel, tu m’offres le meilleur petit déjeuner du monde.” Même si son petit-déjeuner à elle est l’équivalent d’un goûter pour le reste du monde. En plein milieu de l’après-midi. Tel est le rythme de vie qu’elle a choisi. L’avantage est qu’elle peut profiter des rayons autant qu’elle veut avec Sofia, elle n’a pas de contrainte de temps. C’est un avantage que l’on ne soupçonne absolument pas.
« J'ai trouvé un nouvel appartement, je déménage dans deux semaines, trois max, Will ne le sait pas encore, mais je voulais profiter de cette journée pour te remercier de m'avoir accueillie à la coloc. » Alors que la jolie brune allait prendre son téléphone, le vieux réflexe, pour capter sa première image à capturer, elle s’arrête dans son geste. « Tes chefs-d'œuvres me manqueront, même si ton talent est dangereux pour mon corps. » Non non non, reviens en arrière, Sofia… “Tu pars ?” Oui, idiote, c’est ce qu’elle a dit. Enfin non, elle ne part pas, pas de Brisbane, mais juste de l’appartement. Primrose a un petit voile de tristesse sur son visage tout d’un coup parce que c’est une nouvelle qui l’attriste bien plus qu’elle l’aurait pensé. “Pourquoi tu me le dis à moi en premier ? Will ne risque pas de mal le prendre ?” Enfin, pour ce qu’elle en sache, il en faut beaucoup à Will pour qu’il prenne mal quelque chose. Mais quand même, c’est une question de principe ; Sofia dort dans son lit à lui, pas dans le sien. “Enfin, pas que cela me regarde en quoique ce soit, bien sûr, mais je ne veux pas qu’il y ait discorde entre vous ou quoique ce soit…” Primrose essaie futilement de se rattraper sans trop savoir de quoi ni pourquoi. Même si elle finit par sourire légèrement en haussant les épaules. “T’auras qu’à me donner ta nouvelle adresse et je ferai en sorte de continuer à mettre ton corps en danger.” Ses joues s’empourprent un peu, ses propos ayant presque une consonance à double sens qui n’a pas vraiment lieu d’être. “Enfin, je veux dire que même si je ne te souhaite pas de gagner du poids, je me ferai un plaisir de te faire des petites douceurs.” Primrose rééquilibre ses propos en raclant sa gorge tout en se dirigeant vers le glacier à trois pas d’elles. Elle commande sa glace - vanille, mangue et coulis de caramel - avant de se tourner vers Sofia. “Je suis contente pour toi, Sofia. Je me doutais que ce n’était que temporaire mais ça me fait un petit pincement tout de même. Tu me manqueras.” Les lèvres qui s’en vont attraper les premiers petits déluges de glace contre le cornet avant de passer sa langue par-dessus. “D’ailleurs, je n’avais pas encore osé poser la question mais… Pourquoi tu t’es réfugié chez ton ex ? T’étais encore en contact avec lui ? Tu savais qu’il est marié ?” Calme-toi, Anderson, ce n’est pas parce que Sofia part que cela t’autorise à lui sauter à la gorge comme ça. “Tu n’es pas obligée de répondre, bien sûr que non, on peut juste continuer notre balade et discuter de ce que je vais t’offrir pour ton futur chez toi.” Ce qui sera forcément une discussion à avoir, ça aussi, quoiqu’il arrive.
Est-ce que c’est une bonne nouvelle ? Elle n’en sait rien, Primrose. Egoïstement, elle est triste que Sofia parte donc non, ça ne l’est pas tant que ça. Mais du point de vue de la mexicaine, cela signifie qu’elle retombe sur ses pattes, qu’elle avance et qu’elle se remet déjà en route. C’est donc une bonne nouvelle sans l’être, parce que Primrose ne peut pas s’empêcher d’envier ceux qui réussissent à puiser une force certaine dans leurs malheurs et leurs drames et qui continuent à se battre chaque jour pour avancer. Elle a plus la sensation que ça la fait reculer, à chaque fois, à chaque pas, et le pire est qu’elle ne fait rien pour aller dans la bonne direction. Mais elle se veut être une bonne amie alors elle sourit, enthousiaste et ravie pour Sofia qui tourne une nouvelle page dans son histoire pour se consacrer à l’autre. Elle rit même légèrement quand elle lui affirme que Will sera heureux de retrouver lit et liberté, trouvant tout de même que cette situation est assez incongrue ; son ex femme qui se réfugie chez soi, il y a de quoi voir là un scénario typique d’une romance à l’eau de rose, non ? Cependant, ni Sofia ni Will ne semblent amener à vouloir tenter de coller des morceaux brisés depuis des années, ni même de suivre les lignes d’un script romantique qui aurait pourtant bien plus à la jolie brune. Mais c’est réconfortant de voir que les deux ex mariés s’apprécient assez pour s’aider et s’épauler quand il le faut ; ce n’est pas toujours le cas. En tout cas, il est inutile de paniquer pour quelque chose qui te dépasse, Anderson. Si Sofia a choisi de le dire à toi avant Will, ce n’est pas tes affaires donc déstresse un peu, il n’y a absolument rien d’alarmant.
« Oh ta proposition n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde, je compte sur toi pour venir me gaver de douceurs aussi souvent que tu le peux, et j'accepte de jouer les cobayes pour tes essais culinaires, si tu as besoin de bouches pour tester pense à moi. » Etrangement, voilà une liste de testeurs qui s’agrandit toujours un peu plus mais qui fait toujours plaisir à Primrose d’entendre le dire. “Ca tombe bien, j’ai notamment le gâteau de mariage de mon frère à faire et je crois que je vais faire tester mille et un échantillons à la terre entière pour choisir ceux à leur faire goûter en dernier.” Elle lui rentre gentiment dedans en souriant toujours plus fort ; ses douceurs sont toujours l’excuse parfaite pour venir voir les gens - elles ont été les raisons même de ses retrouvailles avec Tim notamment. Au moins quelque chose qu’elle sait faire qui ne se brise pas, qui détruit rien et qui remplit les panses autant que ça réchauffe l’âme et le cœur. “Oh non, ne pleures pas! Ce n’est pas un adieu, mais juste un au revoir. Tu pars où, justement ? Tu restes à Redcliffe ?” Leurs glaces en main, les deux jeunes femmes se prélassent tranquillement sous la rue pavée qui s’offre à eux ; beaucoup trouveraient qu’un cône glacée en petit déjeuner est rebutant mais c’est tellement le quotidien de Primrose qu’elle ne se pose même plus la question. Elle écoute attentivement l’histoire de Sofia - qu’elle ne trouve pas bête du tout et même carrément adorable. L’histoire du dinosaure en peluche lui rappelle le koala géant qu’elle a dans son lit, lui rappelant Tim parce que c’est lui qui lui a offert aussi. Donc elle ne peut pas trouver ça absurde ni bête ni stupide. C’est attendrissant et puis, si ça a permis à Sofia de trouver un refuge sûr et rassurant dans des temps aussi troublés, c’est d’autant plus bénéfique. “Je trouve ça adorable, personnellement. Je ne suis même pas surprise d’un tel cadeau de la part de Will, étrangement.” Primrose a bien compris que son colocataire masculin, le seul de la tribu, a une passion infinie pour ces créatures d’une époque révolue. “C’est comme une clé qui t’as aidé à trouver la porte de sortie. Je trouve ça cool que vous ayez gardé de bons rapports au point où tu puisses trouver refuge près de lui. Je ne pense pas que beaucoup d’ex seraient revenus en état de détresse chez leurs anciens conjoints.” Enfin, en tout cas, la jolie brune se doute que ça ne doit pas courir les rues.
Sofia a l’air plutôt tracassée concernant le deuxième mariage de Will, union que Primrose elle-même n’a toujours pas franchement réussi à comprendre les tenants et les aboutissants. “Il ne vit même pas avec sa femme donc j’imagine que c’était un détail sans importance.” Quel mari ne vit pas avec sa femme ? Et le peu de fois qu’elle a pu croiser la blonde, jamais elle ne les a vu s’embrasser ou agir comme un couple digne de ce nom. Primrose trouve que cette situation est foutrement bizarre - se marier avec sa meilleure amie, ne même pas l’embrasser ni vivre avec elle, accepter son ex à se réfugier chez lui - mais elle n’est personne pour juger la façon dont les gens vivent leur existence, tant que ça n’impacte pas la sienne. Et là, pour l’instant, elle n’est en rien impactée en savourant sa glace au milieu de la musique de fond d’un groupe au loin et le regard se promenant sur les arts décoratifs des murs. « Assez parlé de mes exs et de leurs femmes, j'ai rien de croustillant à partager dans ce domaine, dis moi que ta vie sentimentale est moins chaotique que la mienne. » Oh. “Tu sais, il n’y a pas grand chose à dire de mon côté sur ce plan-là. Enfin, je crois…” Oui mais Sofia t’a vu rentrer avec une peluche géante de koala avec un sourire béat il y a quelques jours. Elle a esquivé toutes les questions, elle s’est faite discrète et elle a même réussi à faire oublier à Adèle qu’elle semblait plus heureuse que d’habitude - autrement, tout le reste du temps. Pourquoi Primrose se bloque de parler de sa relation naissante avec Tim à autrui ? Pourquoi elle souhaite garder jalousement cette partie de sa vie depuis des semaines dans le secret le plus total ? Elle n’a pas honte de Tim, loin de là, mais c’est juste que ça voudrait dire que ça signifie quelque chose et- et- et est-ce qu’ils en sont à ce stade-là ? Bien trop d'interrogations la freinant à poursuivre dans cette voie, espérant presque intérieurement que Sofia n’insiste pas trop - c’est vrai que tes dernières paroles ne vont pas du tout attirer sa curiosité. “T’as besoin de quoi, pour ton futur chez toi, alors ? Tu vas habiter seule ? C’est un appartement ?” C’est ça, détournons joyeusement la conversation sur un autre sujet. Subtile mais peut-être pas tant que ça, Anderson.
« Deal, j'accepte même de me nourrir que d'échantillons de gâteaux de mariage s'il le faut jusqu'à ce que tu trouves le gâteau parfait. » Oh je suis parfaitement consciente que cela demande un énorme sacrifice de la part de Sofia ; ça en demande aussi beaucoup à ma tête et à mon estomac pour ne pas tout goûter tout le temps. Si je suis celle qui fait, je suis aussi celle qui gratte le plus de portions et franchement, c’est une lutte à chaque fois pour juste ne pas finir tout avant le résultat final. “Ton sacrifice est dûment noté, sois en sûre.” que je dis le plus cérémonieusement possible avant de rire doucement de ma bêtise ; je suis à peu près certain de pouvoir établir une liste de testeurs avant les principaux concernés pour ces mille et un échantillons, Sofia en serait dans le top trois, forcément. Coincée entre Will (l’ironie) et Adèle, certainement. Je me demande alors si Tim pourrait en faire partie aussi ; je suis persuadée qu’il ne dirait pas non. Mais là n’est pas le sujet, ce ne sont que les débuts et j’ai encore beaucoup trop de choses à penser avant d’en arriver aux échantillons, aux dégustations et, encore pire, au résultat final. « Non pas à Redcliffe, j'ai trouvé un truc à Toowong, tout proche de l’hôpital. » Je fais une légère moue en grattant un peu de ma glace. « Comme ça la prochaine fois que tu finis aux urgences pour tes chevilles ou toutes autres articulations blessées, tu pourras m'appeler je serais à deux pas pour venir te ramener. » Mais ça, ça finit par me faire sourire en même temps qu’un petit cri de protestation sort de mes lèvres ; elle est vraiment garce de penser ça, et c’est encore pire que ce soit la vérité. “C’est une proposition d’aide que tu peux vite regretter, tu sais.” Après tout, je suis petite et parfois invisible mais j’ai presque un abonnement à l’hôpital, Sofia ne doit pas se rendre compte de ce qu’elle vient de proposer ; et il est certain que je la prendrai au mot.
« Tu sais avant que je revienne on ne s'était pas vraiment parlé depuis le divorce. » Décidément, je me rends compte que je ne connais rien de la vie de mes colocataires. Sofia a été là pendant des semaines et je n’ai pas été fichu de voir que c’étaient en même temps des retrouvailles entre eux. C’est une situation assez inédite que j’ai pu observer, même si au final, après que mon frère soit retombé dans les griffes de sa première copine qui l’a salement abandonnée, plus rien ne devrait me surprendre. « Mais j'aime ta façon de voir les choses, la clé qui ouvre la bonne porte au bon moment, le signe envoyé par le destin quand tout va mal. » Je souris gentiment ; j’avoue que pour une fois, j’ai fait preuve d’esprit dans mon image. “C’était marqué quelque part que vos chemins allaient se recroiser.” Et peut-être que ça signifierait un retour de flamme entre eux ? Je n’irai pas sur ce terrain-là mais j’apprécie Sofia et je n’ai jamais vu Will en compagnie d’autre chose que sa manette. Enfin si, de l’autre blonde qui paraît bien trop énergique pour lui et dont je n’ai jamais compris comment ils pouvaient être amis.
« Il porte son nom. » Mariés, même. Sofia en a l’air abattu, il y a un voile qui passe et je me mords la lèvre car j’ai l’impression d’avoir marché sur un sujet qu’il ne fallait pas. Il faut toujours que je fasse une gaffe, quoi qu'il arrive, c’est vraiment plus fort que moi. « Je me demande vraiment jusqu’où il est prêt à aller pour exaucer tous ses caprices. » Et visiblement, Sofia a un historique aussi avec elle. “Elle était déjà présente pendant votre mariage ? J’en conclus que tu ne la portes pas vraiment dans ton coeur.” Comment le pourrait-elle ? Elle a réussi à mettre la main sur son ex, moi aussi, je ne pourrais pas l’aimer. D’autant que le mariage de Will - le deuxième, pas le premier - n’a aucun sens pour moi et je n’y comprends rien. Je n’ai pas non plus cherché à comprendre. J’ai juste vu la blonde débarquer, appeler Will “mon mari” plusieurs fois avec trop d’insistance comme s’il s’agissait d’une vaste blague et d’Adèle qui se moque en continu des deux. C’est vraiment à rien y comprendre, cette histoire, et je ne suis pas sûre qu’en parler à Sofia m’aide à y voir plus clair.
De toute façon, comme cela ne semble pas être son sujet préféré, je préfère dévier sur le sujet de sa future demeure - c’est un sujet important malgré tout. « Maison et je vais chercher des colocs dès que j'aurais emménagé. » Telle une automate et je sens déjà mes joues rougir comme si mon corps a déjà senti que la voix de Sofia ne présageait rien de bon pour moi - elle a senti mon hésitation, pas vrai, c’est ça, hein ? « Mais tu crois vraiment que tu vas pouvoir changer de sujet comme ça et surtout que je vais me contenter de ça ? » en plein dans le mille, que je pense avec une pointe d’exaspération envers moi-même ; j’ignore comment je réussis à mentir sur certains aspects de ma vie depuis des années à mon entourage mais que j’en suis incapable pour une futilité pareille - même si Tim et ma relation avec lui n’ont rien de futile. « C'est le gars du koala ? » Je mords ma lèvre mais le sourire s’échappe malgré tout ; le surnom est adorable, j’y peux rien. « C'est pour lui que tu passes autant de temps loin de l'appart ? » Bon, là, je ne peux que glousser légèrement - oui, telle une adolescente découvrant sa première relation et franchement, on n’est pas loin de l’idée, aussi triste et pathétique que cela puisse être. “Oui, c’est le gars du koala.” je reprends ses mots avec un brin de moquerie mais Tim est le papa officiel de Vanille, donc le titre lui va naturellement de droit. “Vanille, le koala, n’est pas passée inaperçue, à ce que je vois. Heureusement que je ne l’ai pas fait monter, vous auriez été insupportable, j’en suis sûre.” mais mon sourire s’élargit parce que dans le fond, j’apprécie de voir le grain de passion dans le timbre de Sofia, autant que son excitation proportionnelle à la mienne face à l’idée que je sois avec quelqu’un. “C’était notre premier vrai rendez-vous. “Autant de temps loin de l’apprt”, je n’ai pas disparu non plus!” que je balance en la poussant gentiment sur le côté tout en riant. Après tout, avec Tim, on y va tranquillement, doucement, à notre rythme. “Je suis juste peut-être un peu plus à la librairie qu’auparavant.” que j’avoue à demi-mots avec l’oeil sous-entendu et le regard complice. “Je ne vais pas chez lui sans y être invitée ; il a des enfants et on en est pas encore là.” Je n’en suis pas encore là. De la nouveauté, oui, mais doucement. Etape par étape. Sinon, je risque de me fermer comme une huître et avec Tim, ce n’est pas ce que je veux.
« Oh non je pense pas, jouer les sauveuses ça me plaît. » Je lâche un léger rire parce que cela semble bien correspondre à la colocataire temporaire que j’ai rencontrée et appréciée en quelques jours. Elle est gentille, Sofia, en plus d’être jolie et drôle. Je ne comprends pas qu’elle soit tombée sur un type pareil, qui n’avait pas su l’apprécier à sa valeur. Cela valait aussi pour Will, d’après ce que j’avais pu en tirer. Mais connaissant l’animal, je suis même surprise de savoir qu’ils ont été ensemble, et même mariés, tellement que rien ne paraissait les réunir en premier lieu. Sûrement des subtilités qui me dépassent. « Mais après tu sais tu n'es pas obligée de faire exprès de te casser quelque chose juste pour me voir. » Je rentre mon épaule dans le sien avec un petit sourire taquin. “Je vais essayer mais je ne promets rien.” Parce qu’il ne se passe pas de longs mois sans que je ne me foule, que je me coupe, que je me brûle, que je me blesse quelque chose. Heureusement que les fractures sont plus rares, je serai en fauteuil, dans du papier à bulle chaudement installé par ma mère pour être sûre que rien ne m’arrive - physiquement, en tout cas, parce que psychologiquement, c’est toujours une autre paire de manche.
« Peut-être mais tu penses qu'on peut être amis avec son ex-mari ? C'est pas trop bizarre ? » Je la regarde avec les yeux ronds. “C’est à moi que tu demandes ça ? Moi qui n’a jamais connu de relation réelle et sérieuse, encore moins mariée ?” Je lâche un léger rire, presque nerveux sans trop savoir pourquoi. Sûrement parce qu’assumer que je n’ai pas connu de relation avant Tim est absurde et que ce n’est pas ce que la société pourrait attendre. Le regard des autres est toujours un problème et j’ai l’impression que c’est inscrit sur mon front que je suis aussi ignorante que stripper. “Mais j’imagine qu’il n’y a rien de bizarre à être amis avec son ex si la séparation était d'un commun accord. C’est même mieux. Vous vous appréciez toujours mais il n’y a plus… La flamme. Enfin, je suppose.” Pour ce que j’en sais… Si Sofia me demande cela, c’est qu’elle veut avoir mon avis et je la lui transmets, en tentant quand même d’arrondir les angles parce que je ne suis pas vraiment sûre de ce que je raconte. Je suis carrément incertaine et ma légère grimace suffit à le démontrer en plus de ma “supposition”.
« Quand j'ai épousé Will, j'ai presque eu l'impression de l'épouser elle aussi finalement. » Je ressens toute l’exaspération et l’agacement dans le timbre de Sofia, sans oublier son visage qui en dit deux fois plus sur son ressenti sur ladite meilleure amie. Assez envahissante, d’après ce que je peux comprendre. Pour que Will en vienne à prendre son nom, qu’il se balade avec une bague au doigt mais sans habiter avec ; autant dire que cela dépasse mon entendement. Je n’ose pas demander à Will, jugeant que ce ne sont pas mes affaires, mais il y a visiblement quelque chose qui m’échappe dans cette histoire d’amitié assez peu protocolaire. « Je dirais pas que je la porte pas dans mon cœur, mais plus elle est loin de ma vie, mieux je me porte. » Je lâche un léger rire en hochant la tête. “J’imagine bien. Les meilleures amies et les copines ne sont pas forcément faites pour cohabiter ensemble.” A ce moment-là, je n’imagine pas que je serai moi-même confrontée à un problème de meilleure amie ; autre situation, autre schéma mais des problèmes à venir malgré tout.
Pour l’instant, je me focalise sur le moment présent et il se trouve que la conversation s’est tournée sur moi. Sofia est curieuse, Sofia me pose des questions subtiles (pas si subtiles que cela) et je ne peux pas retenir ni la couleur que mes joues prennent ni le petit sourire qui s’affiche automatiquement quand je pense au visage du Decastel. « Insupportable ? Non mais je te le permets pas, je lui aurais juste posé pleins de questions pour savoir s'il avait été assez romantique pour toi. » Je lève mes mains au ciel. “Exactement!” Tim est autant timide et réservé que moi, avoir trois personnes qui lui tombent sur la tête sans prévenir pour le bombarder de questions, ce n’était même pas envisageable. Encore moins après notre premier rendez-vous. Chaque chose en son temps. « Et c'est pas le koala mais ton sourire d'adolescente amoureuse qui n'est pas passé inaperçu. » Le même sourire “d’adolescente amoureuse” qui s’agrandit malgré moi et que je camoufle en tirant la langue à la brune. « Vous n'en êtes pas encore là ? Genre vous n'avez rien fait encore ? » Je rougis de nouveau, plus fort que les secondes d’avant, mais de gêne, cette fois-ci. Je baisse mes yeux sur mon téléphone en me rappelant qu’il y a des clichés de Tim alors que je tente de savoir si cette question très (trop) intime mérite d’être répondue ou non. « Il a des enfants alors ton libraire, c'est pas quelque chose qui te fait peur ? Et son ex est encore dans le paysage ? » C’est sans compter sur Sofia qui enchaîne ; j’ignore si elle a pris conscience de mon embarras face à sa demande présente ou bien si c’est purement sa curiosité qui l’élance à ce point. Je passe ma main contre ma nuque en relevant mes prunelles claires contre les siens. “Je t’avoue que j’appréhende un peu les enfants. Je n’ai jamais été avec quelqu’un alors devoir en plus me faire accepter deux bambins, ça me fout un peu le stress. Et puis, je me dis que ce sont des contraintes supplémentaires. On ne peut pas improviser quoique ce soit parce qu’il doit penser à ses enfants et… Je parais vraiment égoïste, là, non ?” Je me mords la lèvre pour me punir de cette vision des choses mais c’est pourtant la réalité. Tim et moi n’avons pas l’opportunité d’être libre car il y a deux gamins dont il faut s’occuper, placer, garder, prendre soin. “Il faut espérer qu’ils m’aiment bien. Mais ça non plus, on n’y est pas encore.” Je ne suis pas forcément prête, Tim non plus et j’ai cru comprendre qu’en un an d’existence, les jumeaux ont connu bien de repères maternelles qui ont fini par s’évaporer dans la nature. “Non, la mère des gamins les a abandonnés. Elle n’est même plus à Brisbane, d’après ce que m’a dit Tim. D’un côté, je me dis heureusement pour moi. Mais de l’autre… C’est dur de grandir sans un parent, je trouve.” J’ai de la chance d’avoir toujours eu les miens, avec leurs défauts mais aussi leurs qualités. “Surtout une mère.” que je juge avoir un lien plus personnel, plus prononcé, plus intense. Je prends un nouveau souffle en redressant mon buste ainsi que mes mains qui tiennent mon téléphone. “Oh, regarde, y a du street art! Mets-toi devant et fais ta meilleure pose de commerciale. Vends-nous du rêve, Sofia!” Un pan de mur est joliment tagué et quoi de mieux qu’y rajouter la jolie frimousse de mon amie pour rendre le cliché encore meilleur ?
« Non, non c'est au mec qui joue du ukulélé là-bas que je demande ça, bien sûr que c'est à toi que je demande. » sûrement que le type au ukulélé pourrait mieux l’informer que moi. Sa question me paraît légitime mais c’est juste la personne à qui elle demande cela qui est étrange. Je n’ai que mon innocence et mon manque flagrant d’expérience à offrir, de mes yeux d’ingénue qui parcourent la rue bondée et animée tout en exprimant un avis que n’est qu’à prendre avec des pincettes. « Oui sans doute, en tout cas c'est moins compliqué comme ça. » j’hoche la tête ; c’est beaucoup moins compliqué si les deux parties sont en phase de n’avoir plus aucun sentiment l’un envers l’autre. Même si peut-être que dans un intérieur plus profond, je le complais à penser que cette flamme peut revenir à tout instant, signe qu’ils seraient faits l’un pour l’autre. Mais de ce que j’ai vu de Will, je doute qu’il puisse partager une flamme ailleurs qu’avec sa manette de console. Le savoir marié dans une autre époque est tout aussi étonnant que bizarre à concevoir. J’apprécie beaucoup Will mais il n’a pas l’étoffe d’un petit-ami idéal. Et d’après ce que j’ai pu comprendre via Sofia, je ne me trompe pas vraiment. « Oui enfin tu peux enlever le forcément. Elles ne sont pas faites pour cohabiter ensemble tout court. » je glousse légèrement. “Comme les copines et les petites soeurs.” je fais un parallèle avec ma propre situation. Certes, je ne suis pas mariée avec mon frère - merci seigneur - mais la situation reste aussi délicate que celle de la brune.
« Oh non tu n'es pas égoïste, juste une jeune amoureuse et tu veux profiter je comprends totalement. » c’est ça qui est bien avec Sofia ; je n’ai pas de sentiment de jugement de sa part. Depuis peu que je la connais, elle réussit à ne pas me faire passer pour un monstre alors que mon discours aurait pu s’y apparenter. Je ne suis qu’une petite égoïste à mes yeux ; Sofia voit là qu’une amoureuse qui veut profiter. J’aime bien son point de vue. « Mais je suis sûre que tu vas réussir à te faire apprécier des enfants, si le papa en vaut le coup, tu trouveras comment les amadouer et sinon achètes les avec des bonbons, ça marche en consultations. » j’éclate de rire. “Je ne suis pas sûre que les bonbons soient la bonne solution sur la durée. Ce n’est pas un excitant le sucre, en plus ? Je n’utiliserai ce moyen qu’en cas de grand dernier recours.” après tout, si je veux avoir de la tranquillité avec Tim, les sucreries ne me semblent pas indiquées pour les calmer. J’avais sept ans quand mes petites soeurs sont nées, je me rappelle très bien du petit enfer que ça pouvait être.
« Alors comme ça, le gars du koala s'appelle Tim. » je rougis légèrement en hochant la tête. Je ne m’étais même pas rendue compte que je ne l’avais pas nommée jusqu’à maintenant. Sofia fait attention aux moindres détails, il faut croire. Je passe une main dans ma nuque, un peu gênée alors que c’est ridicule vu que la conversation est plutôt bien lancée et que le pire est quasiment derrière moi. « C'est un truc que je ne comprendrais jamais, comment on peut abandonner son enfant ? » je soupire légèrement en haussant les épaules, une expression abattue sur mes traits. “J’en sais rien moi-même. Mais vu que je connais pas l’histoire, je ne préfère pas juger.” après tout, c’est peut-être une femme instable ou qui ne voulait pas être mère ou qui est malade ou qu’en sais-je. Quasiment pas grand chose, pour autant de ce que m’a dit Tim. Ce n’est pas mon rôle ni ma position de juger qui que ce soit - je le fais déjà bien assez avec moi-même.
Et la conversation devient plus légère quand je demande à Sofia de jouer les modèles. Elle est vraiment très jolie, la brune, et comme à l’accoutumée devant celles que je trouve jolie, je l’envie. Je jalouse son sourire, son air positif, sa joie communicative, sa douceur aussi. Un jour, peut-être, j’arriverai moi aussi à m’accepter et être plus heureuse. Et même avec Tim dans mon existence, cela ne me semble pas être pour demain.