Même si on a tous conscience que des milliers de personnes vivent dans la misère chaque jour, ça ne nous empêche pas de prendre pour acquis tout le luxe dans lequel nous baignons depuis notre naissance. Jamais je n’aurais cru qu’un jour j’habiterais dans ma voiture et qu’une simple douche ne me serait plus accessible à moins de mentir à mes amis pour m’inviter chez eux le temps d’une soirée. Je sais au fond de moi que si je leur parlais de ma situation, ils n’hésiteraient pas une seconde à me dépanner mais je ne veux ni de leur pitié, ni de leur jugement. Je veux me débrouiller tout seul, me sortir de cette situation par mes propres moyens, pas avec de l’argent emprunté à droite et à gauche. En attendant de trouver un appartement où on m’acceptera malgré mon dossier de crédit pourri, je dois me contenter de la banquette arrière de ma voiture pour dormir. Avec ma taille, autant dire que j’ai l’impression d’avoir les genoux dans le front. À force de dormir dans ma voiture depuis un mois et demi, j’ai mal dans le dos et trouver une position confortable est une tâche de plus en plus ardue. Malgré la fatigue, ce soir, je suis incapable de m’endormir pour faire changement et je rêve d’une douche fraîche pour me détendre tandis que j’empeste l’huile à moteur et que mes mains sont pleines de cambouis.
Au bout d’une heure, je décide d’abandonner le projet. Je délaisse donc la banquette arrière pour le siège conducteur. Je démarre ma voiture et je quitte le stationnement de la casse automobile où je travaille, errant dans les rues de Brisbane sans réelle destination. Je finis par me rendre à Logan City et, lorsque je passe devant le lac artificiel, je remarque que le stationnement à proximité est désert. À défaut d’avoir accès à une douche ce soir, ça peut faire l’affaire. Je reviens sur mes pas pour garer ma voiture, j’attrape ma serviette et mon savon avant de me diriger à pied vers le lac un peu plus loin. Lorsque j’arrive sur la plage, je jette un dernier coup d’œil autour de moi pour m’assurer que je suis bien seul mais je ne vois pas grand-chose, il fait aussi noir que dans le cul d’un ours. À l’exception du chant de quelques insectes nocturnes, le silence règne dans les environs à cette heure tardive, j’essaie donc de me convaincre que si quelqu’un s’approche, je devrais l’entendre sans trop de difficulté.
Je retire rapidement mes vêtements et je les roule en boule dans le sable pour qu’ils ne s’éparpillent pas. Je prends ma barre de savon puis, sans attendre davantage, je me dépêche de me diriger vers le lac pour ne pas être à la vue de tous si quelqu’un s’approche. Dès que la profondeur me le permet, je plonge sous l’eau et j’en ressors quelques secondes plus tard un peu plus loin, secouant mes cheveux et frottant mon visage d’une main pour en retirer l’excédant d’eau. De nature plutôt pudique, je me dépêche de me laver afin de pouvoir aller me rhabiller le plus rapidement que possible. Tandis que je sors de l’eau, légèrement éclairé par le reflet de la lune sur l’eau, un mouvement discret attire mon attention sur ma gauche. Lorsque je comprends qu’il s’agit de quelqu’un, je sursaute et je me dépêche de cacher ce que je peux avec mes deux mains après avoir laissé tomber ma barre de savon dans le sable. « Oh my god, je suis désolé. Je voulais juste… » Me laver? Prendre un bain de minuit? J’aime autant ne pas terminer ma phrase. Il ne reste plus qu’à espérer que ce n’est pas un petit con qui profitera de la situation pour me prendre en photo ou pour me filmer pour publier ça ensuite sur les réseaux sociaux. « Je vais juste… » Je pointe mes vêtements un peu plus loin roulés en boule au sol. Gêné de la situation, je me déplace à la vitesse de la lumière, les deux mains entre les jambes. Je lève la tête vers lui pour lui demander de se tourner et c’est à ce moment que, dans la pénombre, je le reconnais. « Mel? » Super. Pourquoi est-ce que, dans les moments gênants, je dois toujours tomber sur des gens que je connais? Heureusement pour moi, la noirceur est un peu de mon côté, il ne peut pas voir à quel point je suis rouge comme une tomate à l’instant. Je me penche et j’attrape mes vêtements que je me dépêche d’enfiler. « Je suis tellement désolé, je ne t’ai jamais entendu… ça fait longtemps que t’es là? » demandé-je en riant nerveusement, me demandant surtout ce qu’il avait eu le temps de voir ou non.
Dernière édition par Lincoln Mulligan le Sam 29 Juil 2023, 22:16, édité 1 fois
Melchior avait passé une journée plutôt classique. Rien de palpitant, la routine au restaurant pour le service du midi. Il n’avait pas travaillé pour le service du soir et il en avait profité pour travailler un nouveau morceau à la guitare. Cela faisait un moment qu’il n’avait pas posté de vidéos sur sa chaîne Youtube et il avait envie de partager de nouveaux morceaux pour inciter ses abonnés à ne pas se désabonner. Mel n’avait pas la prétention d’être une star des réseaux sociaux ou une étoile montante de la musique, il fallait beaucoup de talent et de chance pour ça et il ne pensait pas en être capable. Il n’avait pas créé cette chaîne dans le but d’être célèbre mais il aimait beaucoup interagir avec ses abonnés. Partager sa passion et faire de nouvelles rencontres, c'était ça ses objectifs en ligne. Après tout c’est au travers de cette chaine qu’il avait pu rencontrer Freya et Ellie. Même si la musique était sa passion depuis toujours, il fallait être réaliste, ce n’était qu’un loisir, son travail au Ras le Bol c’était ça qui payait les factures, et pas Youtube. Mel avait donc travaillé son nouveau morceau toute l’après-midi, mais il y avait quelque chose qui clochait. Incapable de se concentrer pour enchaîner des accords difficiles il était mécontent de son travail. Ce morceau lui posait problème et plus il s’acharnait et moins le résultat était harmonieux. Impossible de poster une vidéo aujourd’hui. Dépité Mel attrapa sa veste et il décida de sortir marcher un peu. Sa mère était sur le canapé, face à la télévision, immobile, elle ne sourcilla même pas en attendant Mel attraper ses clés pour sortir. Il était adulte, il n’avait pas à rendre des comptes à sa mère sur ses sorties et ses déplacements mais il se sentait franchement seul. C’était tout le temps comme ça désormais, sa mère était devenue une ombre. Il n’avait pas eu la chance de la connaître avant que son père soit emporté par le cancer mais aussi loin que ses souvenirs remontaient il ne l’avait jamais vue aussi déprimée. Même s’il n’était pas seul et que le reste de la fratrie était impliqué et s’occupait d’elle ce n’était pas pareil. Aucun ne vivait avec elle, ils ne la voyaient qu’à des moments épars, parfois dans ses brefs moments où son état semblait s’améliorer. Mel avait donc l’impression de devoir se battre seul, il regrettait d’être le petit dernier, celui qui restait seul alors que les autres avaient pris leur indépendance. Fatigué de faire des efforts, il ne prit pas la peine de lui dire où il allait. Si tôt dehors il sortit ses écouteurs de sa poche et il commença à marcher. Il lança sa playlist sur Ghost. On était loin d’un air léger et calme de musique classique mais c’était parfait pour tout oublier et se défouler. Mel marchait donc, fuyant sa frustration de ne pas arriver à jouer correctement et cherchant à fuir l’ambiance qui régnait à la maison. Perdu dans ses pensées et dans sa playlist, Mel ne se rendit pas compte qu’il avait autant marché. Il était arrivé tout prêt de Streets beach. Il décida de s’y arrêter et de profiter de la solitude au bord de l’eau pour se resourcer avant de rentrer chez lui et d’affronter à nouveau son quotidien peu stimulant. Alors qu’il s’avançait vers le lac artificiel Mel crut discerner une silhouette dans l’eau. Surpris de voir un baigneur à cette heure-ci, Mel s’apprêtait à s’asseoir tout de même sur le sable. Même s’il rêvait de solitude, il avait envie de faire une pause sur le sable avant de repartir. Alors qu’il s’apprêtait à s’asseoir, le baigneur se retourna et sortit de l’eau. Un détail attira son regard : le baigneur était complètement nu. « Oh merde » lâcha Melchior par réflexe avant de cacher cette vue horrifiante avec sa main. Non mais sérieux qu’est-ce qu’il foutait à poil dans ce lac en pleine nuit ce malade ? Et puis le baigneur aux tendances exhibitionnistes s’excusa très maladroitement mais Mel restait très perturbé. D’une part parce qu’il avait vu un mec à poil alors qu’il voulait seulement observer la lune et les étoiles au bord de l’eau, mais surtout parce que c’était voix ne lui était pas étrangère mais là comme ça dans la pénombre il n’arrivait pas à donner un nom à cette voix. Mel, terriblement gêné par la situation s’efforçait de ne pas regarder son interlocuteur. C’est à l’évocation de son surnom que Melchior se mit à regarder son interlocuteur. Même si la pénombre cachait en partie son visage, il reconnut cette voix : Lincoln. « Link ? » Melchior était encore plus gêné par le fait qu’ils se connaissaient. Ils avaient bossé ensemble il y a quelques années alors que Mel débutait en tant que serveur et c’est comme ça qu’ils se retrouvaient après tout ce temps : l’un à moitié à poil en train de se rhabiller tant bien que mal et lui en pleine balade nocturne à la recherche de solitude. Un malaise profond régnait alors que Link lui demandait depuis combien de temps il était là. Si Mel était déjà super gêné de l’avoir surpris comme ça, le fait qu’il puisse penser qu'il l’avait maté pendant sa baignade était encore plus gênant. Très soucieux que Lincoln ne se fasse pas d’idées il répondit « Non non ne t'en fais pas je viens d’arriver. Je ne t’ai pas vu à p… fin j’ai rien vu. Mais qu’est-ce que tu fais ici ? C’est pas trop la saison pour un bain de minuit en ce moment ? » Mel avait pris soin de ne pas terminer sa phrase plus que maladroite. Il était plutôt désespéré par ce qu’il avait dit un peu trop spontanément « je ne t’ai pas vu à poil », non mais sérieusement il n’y avait pas pire pour désamorcer un malaise. Il espérait que cela passerait inaperçu et que la discussion allait évoluer autrement pour ne pas se concentrer sur la nudité de Lin. Mel était curieux de savoir ce qu’il fichait là. Ce n’était pas rare de voir des personnes prendre des bains de minuit en été, et même si la météo était encore bonne en ce moment la nuit il commençait à faire froid, c’était pas franchement le temps idéal pour barboter gaiement.
« Oh merde ». Deux mots qui ne laissent absolument aucun doute sur le fait que le jeune homme m’a bien aperçu, et probablement dans mon plus simple appareil, qui plus est. Parce que s’il n’avait pas eu connaissance de ma nudité, autant dire qu’il aurait probablement utilisé un vocabulaire différent. Comble de malheur, je reconnais le visage de Melchior dans la pénombre, autant dire que j’aurais préféré que nos retrouvailles se passent différemment. J’aurais probablement pu m’habiller rapidement et déguerpir avant qu’il me reconnaisse, mais son nom franchit mes lèvres sans que je n’aie le temps de réfléchir. Je le regrette aussitôt et je prie pour qu’il ne me reconnaisse pas de son côté, il y a peut-être de l’espoir étant donné la nuit qui est tombée. « Link ? » Ou pas. Mes pensées se mettent à se bousculer dans ma tête alors que je me doute que les questions ne tarderont pas à suivre. Pour le moment, je prends les devants en lui demandant s’il est ici depuis longtemps, préoccupé par ce qu’il pourrait avoir vu et ce qu’il pourrait également penser de moi dans les circonstances. Melchior et moi nous sommes connus dans un contexte professionnel, il ne me connaissait donc pas vraiment sur le plan personnel et que je n’ai pas envie qu’il se mette à croire que je suis exhibitionniste alors que c’est loin d’être le cas. « Non non ne t'en fais pas je viens d’arriver. Je ne t’ai pas vu à p… fin j’ai rien vu. Mais qu’est-ce que tu fais ici ? C’est pas trop la saison pour un bain de minuit en ce moment ? » Je pousse un discret soupir de soulagement lorsqu’il confirme qu’il ne m’a pas vu nu. À sa question, toutefois, je suis moins à l’aise et je me mets à rire nerveusement en me caressant la nuque d’une main. « Je pensais que tu ne m’avais pas vu nu. Ha ha. » Malaise. Parce que visiblement il avait bien dû me voir un peu pour savoir que je l’étais, nu. « Je me baignais. » C’est une évidence, non? Mais pourquoi nu? À ça, je dois trouver une raison plausible qui ne lui mettra pas la puce à l’oreille tout en espérant que ce ne sera pas écrit en gros dans mon front qu’il s’agit d’un mensonge. « J’ai pris une marche après le boulot et j’avais chaud, sauf que je n’avais pas mon maillot. » Il ne reste qu’à espérer qu’il n’a pas vu la barre de savon que j’ai laissée tomber dans le sable lorsque je l’ai aperçu. Avec la noirceur, ce serait plutôt surprenant qu’il ait vu de quoi il s’agissait, s’il a vu l’objet tomber. Mal à l’aise, je me dandine sur mes pieds, les deux mains dans mes poches. « Je te jure que je ne savais pas que t’étais là, je ne l’aurais jamais fait sinon. » tenté-je de le convaincre timidement. Parce que je n’ai jamais souhaité le rendre mal à l’aise et que je ne l’aurais jamais été moi-même de faire une chose pareille de toute façon considérant que je n’ai jamais été à l’aise avec mon corps.
Un silence s’installe entre nous deux tandis que je le fixe sans savoir quoi dire. Mes doigts entrent en contact avec mon paquet de cigarette salvateur, je le sors donc de ma poche et j’en coince une entre mes lèvres avant de tendre mon paquet dans sa direction par politesse, sans savoir s’il fume ou pas. « Tu veux une cigarette? » marmonné-je poliment en sortant mon briquet de ma poche avec mon autre main pour allumer ma cigarette. Je range ensuite le tout dans ma poche et je détourne la tête pour ne pas cracher la fumée vers lui. Je tente de scruter son visage dans la pénombre comme pour voir s’il a beaucoup changé depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Il semble toujours avoir l’air aussi jeune avec son visage imberbe. « Qu’est-ce que tu deviens depuis le temps? Tu travailles encore au même endroit que dans le temps? » demandé-je curieusement en espérant changer l’attention sur lui plutôt que sur ce petit moment malaisant que nous venions de vivre.
Mel essayait de deviner au travers de la pénombre la silhouette Link mais il était impossible de distinguer avec précision les traits de son visage. Mel ne vit donc pas le soupir de soulagement de Link. Toutefois il pouvait très nettement voir qu’il se caressait la nuque, entendre son rire gêné et sentir le malaise de Link. « Je pensais que tu ne m’avais pas vu nu ». Heureusement que la nuit était bien noire, sinon Link aurait pu voir le regard de Mel fuir instantanément sur les côtés face à cette situation cocasse. Mel avait vu qu’il était nu mais il n’avait pas regardé. En même temps pourquoi est-ce qu’il aurait voulu regarder un mec se baigner à poil, surtout Link qui avait été un collègue de travail. Et sans réfléchir et avec un peu trop de spontanéité il répondit avec un rire nerveux à la fin « J’ai vu mais j’ai pas vraiment regardé. Fin je veux dire dès que j’ai vu que t’étais à poil j’ai détourné le regard ». En voulant rassurer Link le serveur avait continué de creuser le malaise. Mel était en train de rougir et il bougeait nerveusement. Ah s’il avait su que sa balade au clair de lune se terminerait comme ça, avec Link, enfin Link dans son plus simple appareil, Mel serait resté bien au chaud chez lui. « Je me baignais. » Mel n’arrivait pas à toucher du doigt le problème. Il y avait quelque chose qui clochait, personne ne prendrait un bain de minuit complètement nu avec des températures pareilles, c’était de très mauvais goût. Ou alors il fallait être sacrément cinglé mais connaissant Link ce n’était pas son genre. Avant que Mel ait pu répondre, Link ajouta une justification à ses activités nocturnes douteuses « J’ai pris une marche après le boulot et j’avais chaud, sauf que je n’avais pas mon maillot. » Une baignade en pleine nuit dans un lac ? On avait connu mieux quand même comme baignade. Mel n’était vraiment pas fan des lacs, il évitait de s’y baigner. Et surtout pourquoi se baigner dans un lac quand on vit à côté de l’océan. Bon chacun ses goûts pour le lieu de la baignade après tout. Se baigner dans un lac après le boulot ce n’est pas vraiment habituel, surtout à cette heure-ci. En général les personnes sensées prennent des douches et vont se coucher après le boulot. Mel ne savait pas où Link travaillait désormais, s’il était toujours serveur ou pas. Prendre une douche et se sentir propre c’était le choix que Mel aurait fait plutôt que se baigner dans un lac plus ou moins net. Ce qui était le plus bizarre c’était le fait que même en ayant oublié son maillot Link avait fait le choix de se baigner. Quelqu’un de très peu pudique aurait pu faire ça mais sa réaction ne collait pas. Comment était-ce possible qu’il soit assez à l’aise avec son corps et la nudité pour se baigner nu dans un lac, au risque d’être surpris et d’être paniqué à la vue de quelqu’un. Il y avait quelque chose de bizarre, mais Mel ne connaissait pas vraiment Link donc c’était difficile à dire. Ils avaient travaillé ensemble, c’était même un de ses premiers collègues lorsqu’il avait commencé à être serveur mais sur le plan personnel ils se connaissaient assez mal. Enfin Mel n’avait jamais eu vent des tendances nudistes de Link, mais ce n’était pas vraiment le genre de choses dont on se vantait en principe. Une des incohérences c’était aussi la température. Il faisait 13 degrés ce jour-là et un peu de vent, le temps n’était pas vraiment propice à la baignade. L’eau devait être vraiment fraîche et pas franchement agréable pour se détendre après une journée de travail. « Je sais pas comment tu fais pour te baigner là-dedans, elle doit pas être chaude ». adressa-t-il à Link en refermant le zip de sa petite veste. Dans la pénombre Mel vit Link se dandiner, visiblement toujours gêné de la situation lui aussi. « Je te jure que je ne savais pas que t’étais là, je ne l’aurais jamais fait sinon ». L’ancien collègue de Mel était visiblement en train d’essayer de le convaincre qu’il n’était pas du genre exhibitionniste. En observant l’attitude de Link on pouvait voir sans aucun doute qu’il était sincère. Décidant de passer outre sa gêne, Mel essaya de mettre fin à cette situation en faisant comprendre gentiment à Link que l’incident était clos. « Ne t’en fais pas c’est rien, je sais que t’es pas du genre exhibitionniste. Excuse-moi de t’avoir dérangé dans ta baignade, je ne m’attendais pas à te voir là. » Le serveur désireux de s'aérer et de profiter du paysage nocturne décida de s'assoir sur le sable face au lac, invitant de manière implicite Link à en faire de même.
Un silence pesant s’était installé et Mel ne savait pas quoi dire pour combler ce blanc. Ce silence était finalement davantage désagréable que les paroles maladroites qu’ils avaient échangées. Heureusement, Link lança un nouveau sujet de conversation pour briser la glace. « Tu veux une cigarette ? » Mel ne fumait que ponctuellement. Il y avait eu une époque où les paquets de cigarettes défilaient à toute vitesse et où les journées sans tabac n’existaient pas. Depuis quelques années il s’était calmé sur sa consommation mais il lui arrivait de fumer un petit peu en soirée ou dans des moments stressants. Il pouvait parfaitement vivre sans fumer, ce n’était plus une addiction, plutôt un petit plaisir qu’il avait appris à maîtriser. Le malaise était si intense que Mel accepta la cigarette. Il avait bien besoin de ça pour faire diversion et essayer d’oublier dans quelle situation il s’était fourré. « Je veux bien oui merci ça fait un moment que j’ai pas fumé ».Ça fait longtemps que j’ai pas eu besoin de fumer pensa-t-il. Mel tendit la main vers Link pour saisir la cigarette et le briquet. Il alluma sa cigarette et cracha la fumée lentement devant lui. Mel fumait rarement maintenant, aussi il avait envie d’en profiter en y allant doucement. Le serveur n’osait pas regarder son ancien collègue dans les yeux, préférant fuir en posant son regard sur le reflet de la lune sur l’eau ou entre ses pieds. « Qu’est-ce que tu deviens depuis le temps ? Tu travailles encore au même endroit que dans le temps ? » Il ne se passait pas grand-chose de palpitant dans la vie de Melchior. Depuis l’époque de son premier job en tant que serveur il y a 4 ans il avait grandi. Il avait appris à calmer ses excès et essayait de devenir un adulte. Mais la vérité c’est qu’il trouvait cette transition pesante, la vie d’adulte ne le faisait pas du tout rêver. Être serveur non plus, mais bon il fallait bien qu’il gagne un peu d’argent, comment aurait-il pu économiser pour déménager sinon ? Il pensait donc Rien n’a vraiment changé, je me sens seul, je fais un boulot qui m’ennuie et j’habite toujours chez ma mère. Mais à la place il répondit avec un petit sourire timide. « Le restaurant a fermé, il a fallu que je me trouve un autre boulot. Je travaille au Ras le Bol maintenant. C’est un petit restaurant italien qui vient d’ouvrir, je sais pas si tu en as entendu parler ? » Il ajouta « Et toi ? Tu es toujours dans la restauration ou tu bosses ailleurs ? ». Mel était curieux d’en apprendre plus sur le mystérieux boulot qui poussait Link à prendre des bains de minuit sans maillot dans une eau froide.
Vivre dans la rue n’a absolument rien de simple, c’est le cas de le dire. Et c’est en devant avoir ce mode de vie malgré moi que je me rends compte à quel point nous prenons tous les petits luxes de la vie pour acquis. Maintenant, je peux dire que je savoure chaque douche et chaque repas chaud car je ne sais jamais quand la prochaine opportunité se présentera à moi dans les circonstances. Autrement, je dois faire avec les moyens du bord, ce qui ne vient pas sans risques comme j’ai pu voir ce soir en me faisant surprendre par Melchior. J’essaie de voir le bon côté des choses en me disant que Mel n’est au moins pas du genre à profiter de la situation en photographiant ou en me filmant pour ensuite mettre le tout sur les réseaux sociaux. Ça aurait donc pu être pire si j’étais tombé sur un cinglé de la sorte. « J’ai vu mais j’ai pas vraiment regardé. Fin je veux dire dès que j’ai vu que t’étais à poil j’ai détourné le regard » Je me sens rassuré par ses paroles, même si lui et moi ne nous connaissons pas énormément. De ce que j’ai vu à l’époque où nous travaillions ensemble, je n’ai pas l’impression que ce serait son genre de mentir simplement pour me rassurer. « Tant mieux. » réponds-en hochant lentement la tête avant de lui sourire, sans savoir s’il me verra. « Je sais pas comment tu fais pour te baigner là-dedans, elle doit pas être chaude » Je me passe une main dans les cheveux en riant, tout en tournant mon corps pour jeter un coup d’œil vers l’eau. « Disons que c’était rafraîchissant? Je ne suis pas resté longtemps. » Saisissant serait probablement un terme plus exact. En restant dans l’eau, j’avais fini par m’habituer et ce n’était plus si pire. Maintenant sorti, toutefois, je peux difficilement ignorer les frissons causés par le vent sur ma peau humide. Je tente de me réchauffer un peu en frictionnant mes bras avec mes mains. Pour la dernière fois, je m’excuse de nouveau pour la vision que je lui ai offerte malgré moi. « Ne t’en fais pas c’est rien, je sais que t’es pas du genre exhibitionniste. Excuse-moi de t’avoir dérangé dans ta baignade, je ne m’attendais pas à te voir là. » Un petit sourire apparaît au coin de mes lèvres. « Tu ne m’as pas dérangé. Enfin… je veux dire… le lac ne m’appartient pas. » Et moi non plus je ne m’attendais pas du tout à le voir ici. Lorsque Melchior s’assied dans le sable, j’hésite un instant avant de le suivre et de m’asseoir à côté de lui.
Afin de briser le silence, j’offre une cigarette à Melchior sans savoir s’il fume lui aussi. Dans le pire des cas, il dira non et je fumerai tout seul mais au moins, mon offre meublera un peu le silence et je pourrai ensuite me concentrer là-dessus. « Je veux bien oui merci ça fait un moment que j’ai pas fumé » Je range mon paquet de cigarettes dans mes poches dès qu’il en a pris une, faisant la même chose avec mon briquet dès qu’il me le redonne. « J’espère que je ne suis pas une mauvaise influence là. T’avais pas arrêté j’espère? » demandé-je après avoir détourné la tête pour cracher ma fumée. Melchior est assez vieux pour prendre ses propres décisions mais à voir Peter, je suis bien placé pour savoir que ce n’est jamais facile de se débarrasser d’une addiction. Tant qu’à discuter, je décide de profiter de cette rencontre fortuite pour prendre de ses nouvelles. « Le restaurant a fermé, il a fallu que je me trouve un autre boulot. Je travaille au Ras le Bol maintenant. C’est un petit restaurant italien qui vient d’ouvrir, je sais pas si tu en as entendu parler ? » Je fronce les sourcils en prenant une bouffée de ma cigarette, puis je secoue négativement la tête tandis que je recrache lentement la fumée devant moi. « Non, ça ne me dit rien. Je ne vais pas super souvent au restaurant pour être honnête. » Disons que financièrement je ne me permets pas vraiment ce petit luxe présentement, les fins de moins sont dures. « Tu travailles là-bas depuis longtemps? Tu aimes ça là-bas? » demandé-je avec intérêt en posant mon regard sur lui. « Et toi ? Tu es toujours dans la restauration ou tu bosses ailleurs ? » Je secoue la tête en guise de réponse. « Je reste rarement longtemps au même endroit tu sais, j’ai un peu la bougeotte. » Je prends une pause avant de poursuivre. « Je suis démanteleur dans une parc de ferrailles depuis mi-janvier. J’aime bien, c’est moins stressant que la restaurant, il y a moins de service à la clientèle aussi. » Depuis le temps, je commence à me connaître, je finis toujours par partir quand la pression devient trop grande. « En gros quand on reçoit une carcasse de voiture, je dois démanteler les pièces qui valent le plus d’argent pour qu’on puisse les mettre à vendre ensuite. Je ne touche pas aux pièces qui ont moins de valeur, celles-là les gens vont les démanteler eux-mêmes s’ils les veulent. » Je prends une énième bouffée de ma cigarette en pensant à mon boulot. « Je sais que ça sonne ennuyant mais je pense que ça m’a enfin fait trouver ce que je veux faire de ma vie. Je pense peut-être retourner à l’école, en mécanique automobile. » Ce n’est pas ma carrière de rêve mais je dois bien me rendre à l’évidence que je ne ferai pas carrière en danse depuis le temps que je n’ai pas performé. Ça me semble être une bonne alternative étant donné mon intérêt pour les voitures. « Tu racontes quoi de bon sinon? »
Dernière édition par Lincoln Mulligan le Lun 28 Juin 2021, 09:36, édité 1 fois
Lorsque j’évoque la température de l’eau, Lincoln montre encore une fois un signe de gêne. Il passe nerveusement sa main dans ses cheveux avant de me répondre « Disons que c’était rafraîchissant? Je ne suis pas resté longtemps. ». Vraiment étrange ce Lincoln. Je ne connais pas beaucoup de personnes qui apprécient les baignades avec des températures pareilles. Certains se trempent dans des étendues d’eau froide entre potes en réponse à un défi. Faire ça en pleine nuit seul c’est vraiment pas commun, la journée avait été loin d’être étouffante. « Elle doit pas être à plus de 15 degrés, rafraîchissant c’est le mot oui. » Je lui souris sans savoir s’il peut l’apercevoir à travers l’obscurité. Alors que je le rassure sur le fait que je le connais et que je sais qu’il n’a absolument rien d’un exhibitionniste et que je m’excuse de l’avoir dérangé dans ce moment d’intimité il me répond d’un air timide. [color=#ff0000]« Tu ne m’as pas dérangé. Enfin… je veux dire… le lac ne m’appartient pas. » [b]« Non c’est sûr, disons qu’on a eu un mauvais timing. » Toi tu voulais te baigner sans maillot et moi voir un mec se baigner complètement nu dans un lac c’est la dernière chose que je voulais voir ce soir. Lincoln me rejoint sur le sable et un léger silence s’installe. Alors que j’accepte la cigarette qu’il me propose, il s’inquiète de ma décision « J’espère que je ne suis pas une mauvaise influence là. T’avais pas arrêté j’espère? ». J’ai commencé à fumer assez jeune, trop jeune. Je devais avoir quinze ou seize ans pas plus. C’était une belle connerie mais c’était une période où j’avais besoin de tester mes limites et braver les interdits. J’ai beaucoup diminué ma consommation de cigarettes. Je ne fume plus qu’en soirée ou quand je me sens stressé ou mal à l’aise. « J’ai jamais vraiment arrêté, j’essaie d’éviter mais je fume occasionnellement. T’en fais pas tu n’es pas une mauvaise influence » Je décide de ne pas plus m’étaler, je ne vais quand même pas lui dire que je fume pour dissiper le malaise. Alors que je tire une taffe sur la cigarette que Lincoln m’a offert, celui-ci décide de changer de sujet en me posant des questions sur mon travail. Je lui parle du Ras le Bol mais à la tête qu’il fait je comprends qu’il ne connaît pas cet endroit. « Non, ça ne me dit rien. Je ne vais pas super souvent au restaurant pour être honnête. » Je peux le comprendre, un restaurant ça peut vite coûter cher quand on a un budget serré. « Il a ouvert il y a quelques mois seulement, au moins de mars, il n’a pas encore une grande notoriété donc c’est pas étonnant que tu connaisses pas ». Même si le Ras-le-Bol n’est pas encore très connu, je commence déjà à observer des clients réguliers, ce n’est qu’une question de mois avant qu’il soit connu dans toute la ville. « Tu travailles là-bas depuis longtemps? Tu aimes ça là-bas? » Aimer travailler au Ras-le-bol, c’est une question délicate. En général j’aime y travailler, c’est un petit restaurant très sympa qui sert des plats de qualité. Ce qui coince un peu c’est quand sur le planning je suis avec Anastasia. Si nous ne sommes que tous les deux je sais qu’il y a de fortes chances qu’elle ne vienne pas bosser ou qu’elle ne soit pas à fond si elle est là. C’est synonyme de plus de travail et de stress pour moi, c’est assez pesant quand ça arrive. « Je travaille là-bas depuis l’ouverture, le restau où je bossais avant a fermé. » Et même si la restauration est un secteur qui recrute souvent, le restaurant dans lequel je travaillais avant le Ras-le-bol avait une réputation peu flatteuse. Digne d’un épisode de Hell’s kitchen, avoir travaillé là-bas n’était pas vraiment un atout pour trouver un nouveau travail dans un lieu sympa. Alors même si le Ras-le-Bol n’est pas idéal je suis content de ne pas être au chômage. Je décide d’interroger Lincoln à mon tour, je suis curieux de savoir s’il travaille toujours dans la restauration. « Je reste rarement longtemps au même endroit tu sais, j’ai un peu la bougeotte. » C’est peut-être ça le bon plan en fait, changer d’emploi et de secteur de temps en temps pour échapper à la routine. Après une petite pause il continue son explication. « Je suis démanteleur dans une parc de ferrailles depuis mi-janvier. J’aime bien, c’est moins stressant que la restaurant, il y a moins de service à la clientèle aussi. » « C’est vrai que la restauration c’est pas de tout repos. Entre les clients irrespectueux et les problèmes en cuisine ça peut très vite devenir un enfer. » Je repense à mon ancien emploi où l’hygiène de la cuisine était assez douteuse et le patron était un vrai connard. Plus j’y pense et plus je me dis que je suis quand même bien au Ras-le-Bol. « Démanteleur dans un parc de ferrailles, c’est-à-dire ? » Je ne sais pas s’il peut le voir mais on peut lire aisément sur mon visage que ce qu’il me raconte est assez flou pour moi. « En gros quand on reçoit une carcasse de voiture, je dois démanteler les pièces qui valent le plus d’argent pour qu’on puisse les mettre à vendre ensuite. Je ne touche pas aux pièces qui ont moins de valeur, celles-là les gens vont les démanteler eux-mêmes s’ils les veulent. » Je hoche la tête, même si je ne connais absolument rien aux voitures je vois un peu mieux de quoi il s’agit. La mention des voitures me rappelle encore une fois que je n’ai pas mon permis et que ça commence à être plus que pesant. « Je sais que ça sonne ennuyant mais je pense que ça m’a enfin fait trouver ce que je veux faire de ma vie. Je pense peut-être retourner à l’école, en mécanique automobile. » C’est clair que ce n’est pas quelque chose qui me ferait vibrer. La restauration ce n’est pas le métier que je rêvais d’exercer en étant petit mais ça m’attire davantage qu’être démanteleur. Mais si c’est quelque chose qui lui plaît alors je suis content pour lui. Trouver sa voie professionnellement ce n’est pas évident, et retourner à l’école à 28 ans c’est courageux. « Tant que c’est quelque chose qui te plaît c’est le principal et c’est une bonne idée d’entamer une formation, ça t’ouvrira d’autres portes ». La cigarette que Lincoln m’a donnée est presque terminée. Je profite des dernières bouffées avant de l’éteindre en prenant soin de ne pas la jeter sur la plage. « Tu racontes quoi de bon sinon? » « Pas grand-chose, j’ai envie de déménager. T’habites où déjà toi ? ». J’ai un peu honte de toujours habiter chez ma mère à bientôt 25 ans mais cette année c’est décidé : Je déménage. J’ai pris soin de ne pas révéler les raisons qui me poussent à déménager, j’appréhende un potentiel jugement de la part de Lincoln. Je suis curieux de savoir où Lincoln habite, de savoir s’il habite dans le quartier ou s’il a traversé toute la ville pour satisfaire son envie de bain de minuit..
« J’ai jamais vraiment arrêté, j’essaie d’éviter mais je fume occasionnellement. T’en fais pas tu n’es pas une mauvaise influence » Je pince mes lèvres tout en tournant ma tête vers lui. « Tu essaies d’éviter, mais je ne suis pas une mauvaise influence en t’en proposant une, je note. » Melchior est assez vieux pour prendre ses décisions, je ne l’ai pas obligé à fumer, mais peut-être a-t-il de la difficulté à dire non quand on lui en propose une, qu’est-ce que j’en sais? Histoire de briser le silence qui s’installe entre nous, nous prenons chacun notre tour des nouvelles de l’autre. « Il a ouvert il y a quelques mois seulement, au moins de mars, il n’a pas encore une grande notoriété donc c’est pas étonnant que tu connaisses pas » Ça explique tout car si je n’ai pas l’habitude d’aller souvent au restaurant, j’y vais encore moins depuis le mois de mars puisque je me suis retrouvé à la rue au début du mois. J’essaie de rembourser mes dettes et d’économiser un peu pour repartir du bon pied alors manger au restaurant ne fait vraiment pas partie de mes priorités. « C’est quel genre de restaurant? » Si c’est un restaurant chic où les plats coûtent la peau du cul, disons qu’il y a peu de chance que j’aille l’essayer. « Je travaille là-bas depuis l’ouverture, le restau où je bossais avant a fermé. » Je hoche la tête en silence avant de répondre à mon tour à ses questions concernant mon emploi. « C’est vrai que la restauration c’est pas de tout repos. Entre les clients irrespectueux et les problèmes en cuisine ça peut très vite devenir un enfer. » J’acquiesce d’un mouvement de tête rapide en riant. « Ouais… disons que ça ne me manque pas vraiment. » Je me suis bien rendu compte au fil du temps que me faire engueuler par des clients m’affectait beaucoup trop pour que ça vaille la peine. « Démanteleur dans un parc de ferrailles, c’est-à-dire ? » Je lui explique en quoi consiste mon travail, pas étonné qu’il n’ait aucune idée de ce qu’un démanteleur mange en hiver. Ce n’est certainement pas le métier le plus populaire, ni celui pour lequel les gens manifestent le plus de reconnaissance, mais ça me convient. Étant donné que je suis introverti, je me plais à travailler dans mon coin sans forcément devoir parler à plein de gens au courant de la journée. De plus, mon poste me permet d’écouter de la musique ou de me perdre dans mes pensées si je le désire. Ça peut être une mauvaise chose lorsque je suis préoccupé, mais en général c’est quelque chose que j’apprécie. « Tant que c’est quelque chose qui te plaît c’est le principal et c’est une bonne idée d’entamer une formation, ça t’ouvrira d’autres portes » Je me compte chanceux d’avoir des parents avec beaucoup de moyens parce que j’ai pas mal fait le saut quand j’ai vu les frais de scolarité pour le programme qui m’intéresse. Considérant que mes parents espèrent depuis onze ans que je termine l’année sabbatique que j’ai décidé de prendre après le lycée, ils n’ont pas été trop difficiles à convaincre. Ils ont accepté sans hésitation à m’aider avec l’aspect financier de mon projet, il ne reste plus qu’a espérer que je serai accepté maintenant. « Oui, en effet. J’espère que je ne trouverai pas ça trop difficile de retourner à l’école après tout ce temps. » Sans parler du fait que, cette fois-ci, je devrai travailler en même temps afin de pouvoir me payer un loyer. Parce que j’ose espérer que d’ici septembre ma situation se sera améliorée, je ne vais quand même pas aller à l’école en habitant dans ma voiture… et je préfèrerais ne pas avoir à retourner vivre chez mes parents à l’âge que je suis rendu. « Pas grand-chose, j’ai envie de déménager. T’habites où déjà toi ? » La question qui tue… « Fortitude Valley ». Du moins c’est là que j’habitais avant de me faire expulser de mon appartement. Aujourd’hui, je peux habiter où je veux, où je décide de garer ma voiture quand je ne dors pas dans une voiture à mon boulot pour avoir plus de place. « Tu habites encore chez tes parents? » Je ne le juge pas du tout, je suis juste curieux, et je préfère rediriger l’attention sur lui plutôt que sur moi. « Tu veux continuer dans le domaine de la restauration ou t’as d’autres projets? » Comme il l’avait dit un peu plus tôt, la restauration est un environnement qui peut vite devenir un enfer avec tous les mauvais côtés.
« Tu essaies d’éviter, mais je ne suis pas une mauvaise influence en t’en proposant une, je note. » Je peux sentir au ton de sa voix qu’il trouve que je suis plutôt incohérent lorsque je lui explique qu’il ne m’influence pas. Je prends de mauvaises décisions tout seul, je n’ai pas besoin d’être influencé pour ça malheureusement. Je hausse les épaules en guise de réponse, comme pour lui dire « je sais ce n’est pas logique mais c’est pas grave ». La cigarette c’est une des rares reliques de ma crise d’adolescence. C’est une belle connerie que j’ai fait à l’époque en commençant, et même si je ne fume pas au quotidien j’ai du mal à refuser quand on m’en propose une. Je cède facilement à la tentation et je n’aime pas l’emprise que l’envie de fumer a sur moi. Il faut vraiment que je fasse preuve de plus de volonté à l’avenir. Le sujet de la conversation dévie de la cigarette, on prend des nouvelles. Quelques banalités mais ça me fait plaisir d’avoir des nouvelles de Lincoln. C’était un de mes premiers collègues lorsque j’avais commencé à travailler dans la restauration et j’ai de très bons souvenirs avec lui alors je l’écoute me parler de son nouveau job et je lui parle du restaurant où je travaille désormais et de son ouverture récente « C’est quel genre de restaurant? » Le Ras-le-bol ce n’est pas un restaurant chic, ni une pizzeria miteuse, c’est un restaurant où les plats sont bons à des prix assez raisonnables, c’est un endroit plutôt sympa. « C’est un italien, c’est plutôt abordable en prix et les plats sont bons. On a pas mal de bons retours. L’originalité du restaurant c’est de tout servir dans des bols. D’où le jeu de mots dans le nom du restau. Je crois que les patrons sont plutôt fiers de ça d’ailleurs ». Je fais une petite pause avant d’ajouter « Si t’as l’occasion de venir tester, n’hésite pas c’est sympa comme endroit. » On discute ensuite des conditions de travail de la restauration en général, ce qui peut vite devenir un enfer. « Ouais… disons que ça ne me manque pas vraiment. » La restauration ce n’est pas mon domaine de prédilection. J’y suis entré parce que c’était facile de trouver un emploi, enfin un premier emploi quand on n’a aucunes qualifications. J’y suis resté parce que ça me permettait de payer les factures et d’économiser. Je n’en suis jamais parti parce que c’est plus simple de retrouver un job dans ce domaine là vu que je commence à acquérir de l’expérience en tant que serveur. Je ne reste absolument pas par amour du métier. A chaque service je me dis un peu plus que ce n’est pas fait pour moi et que j’aimerais faire autre chose de ma vie. « Tu m’étonnes, c’est pas vraiment une passion de mon côté non plus » je lui avoue avec un petit soupir. « Mais bon c’est mieux que d’être au chômage. » je conclue avec une mine découragée. « Oui, en effet. J’espère que je ne trouverai pas ça trop difficile de retourner à l’école après tout ce temps. » Je décide de l’encourager lorsqu’il me parle de son envie de reprendre ses études. Je suis assez admiratif, je crois que je n’aurais pas la patience ni l’assiduité nécessaire pour faire la même chose, le lycée ça n’a jamais trop été mon truc. « Au début ça risque d’être un peu bizarre mais je suis sûr que tu t’y feras vite puisque c’est quelque chose qui t’intéresse. » Je lui parle de mon envie de déménager et je l’interroge sur le quartier où il habite. « Fortitude Valley ». C’est un quartier plutôt sympa, très animé. J’aime beaucoup me balader là-bas, sortir dans ce coin là mais je n’aimerais pas vraiment y vivre. Les loyers sont moins chers là-bas mais je me dis que ça doit être extrêmement bruyant, surtout la nuit où les fêtards animent le quartier jusqu’au bout de la nuit. « C’est pas trop bruyant par là-bas ? J’espère que t’as pas trop de mal à dormir avec tous ces bars et les boîtes de nuit. » Il me retourne la question. « Tu habites encore chez tes parents? » J’essaie de cacher la gêne sur mon visage « Oui chez ma mère, mais plus pour très longtemps j’espère. » Mon cœur se serre lorsqu’il parle de « mes parents », je n’ai jamais connu mon père. Il a été emporté par la maladie quand j’étais tout petit, je n’ai aucun souvenir de lui. Même si je n’ai pas eu à vivre la douleur du deuil, j’ai dû me construire sans lui et c’est quelque chose qui m’a manqué. Je me demande souvent où j’en serais s’il avait été là, je n’aurais peut-être pas fait autant de conneries il y a quelques années, il aurait peut-être su me remettre sur le droit chemin. J’essaie de balayer ces pensées négatives et de ne pas trop montrer à Lincoln que je suis triste. Je ne sais pas s’il a senti que c’était un sujet où je ne veux pas trop m’étendre mais il change de sujet et ça m’enlève un poids. « Tu veux continuer dans le domaine de la restauration ou t’as d’autres projets ? » Grande question, je n’arrive pas à me projeter. J’ai l’impression d’avoir toujours 16 ans et de ne pas arriver à visualiser l’avenir. Je perçois l’avenir comme un grand vide, le saut dans l’inconnu. J’ai bientôt 25 ans et j’ai aucune idée d’où je serais dans 5 ans. Cette incertitude est plutôt angoissante, surtout quand je vois que dans mon entourage familial leurs voies sont toutes tracées : ils ont un boulot stable qui leur plaît, ont un mari ou une femme et des enfants. Et moi je suis toujours un grand ado finalement, j’arrive pas à me dire que dans 5 ans j’aurai 30 ans. Je ne sais pas répondre à sa question : j’aimerais quitter la restauration et faire autre chose, réaliser mon rêve en vivant de la musique mais je suis réaliste : être serveur ça paye les factures, les rêves ne se réalisent pas alors je dois agir en adulte et faire un choix rationnel. « J’ai pas vraiment envie de continuer dans la restauration sur du long terme mais je sais pas trop ce que je pourrai faire d’autre.» J’ose pas vraiment lui parler de mes rêves de carrière musicale. J’ai pas envie qu’il me prenne pour quelqu’un de naïf. « Je vais continuer en attendant une bonne opportunité. » Je décide de changer de sujet. « En tout cas ça me fait plaisir d’avoir de tes nouvelles. Je m’attendais pas à te voir ici ce soir. » Te voir ici et nu surtout. Je ne sais pas ce qui me gêne le plus, le fait de revoir un ancien collègue nu, ou le fait d’avoir regardé et d’avoir mis un peu trop de temps avant de détourner le regard. Je chasse ces images de ma tête, il faut vraiment que j’arrête de me bloquer là-dessus. « Faudrait qu’on se voie plus souvent, n’hésite pas à passer à la maison pour prendre un café ou à venir me voir au restaurant. »