A partir du moment où cette balle est venue transpercer ma peau, je ne me souviens plus de rien. Comme un sifflement long bourdonne dans mes oreilles alors que le tir n’a produit aucun bruit. Ma vue se floute, mon regard incapable de quitter le sol sur lequel je me trouve désormais à genoux, la douleur trop intense m’ayant fait vaciller alors qu’Alec me rattrape de justesse. Ma main ensanglantée tient mon épaule, et je suis incapable de relever le regard, de faire un quelconque geste quand, à nouveau, Alec brandit l’arme sur son frère. Des échanges qui ne parviennent que par bribes jusqu’à moi. La seule chose qui me fera relever le regard est le départ enfin de Mitchell de l’appartement, alerté par les sirènes de police au loin. Alec revient auprès de moi dès l’instant où la porte se referme « Ca va aller », répète-t-il par deux fois. Pourtant, j’ai l’impression que tout vient de s’écrouler autour de moi. Autour de nous. Subitement. Sans crier gare. Il m’aide à reprendre place sur le canapé, je n’accorde pas d’importance à ce geste tendre qu’il a mon encontre car je suis encore en état de choc. Je sens une vague de chaleur m’envahir et essaye de reprendre mes esprits malgré tout. « On peut pas aller à l’hôpital ». Mon regard, qui porte les marques des nombreuses larmes de douleur et de détresse qui ont pu s’échapper, vient alors à se relever doucement sur Alec. Je ne pouvais pas rester comme ça et il peut voir l’incompréhension dans mes yeux « Mais ça va aller ». Je lui fais confiance alors que la douleur se réveille au fur et à mesure que je retrouve mes esprits. Il revient avec un torchon propre qu’il m’invite à utiliser comme compresse sur l’endroit de l’impact « Appuie ça dessus. Je sais que ça fait mal, mais le but c’est que tu ne perdes pas trop de sang. Je vais appeler quelqu’un, quelqu’un qui va pouvoir aider ». J’étouffe un cri de douleur quand j’appuie sur la plaie, ressentant cette vague de chaleur m’envahir à nouveau, ma vue se brouillant pour la deuxième fois. Je viens à m’appuyer sur Alec en attendant l’arrivée du médecin, pour me maintenir alors que je me sens vacillante. Je souffre, mais je tente de le faire en silence, pour ne pas l’inquiéter plus qu’il ne l’est déjà…
Le médecin arrive et m’invite à m’allonger. Il me fait une piqure pour endormir le plus possible l’endroit où il va devoir me recoudre, afin que j’en ressente le moindre effet. Pourtant, à chacun de ses gestes, j’ai l’impression qu’on m’arrache les tripes. J’ai des haut le cœur, je peine à retenir mes cris de douleur alors que son aiguille transperce ma peau. Il m’invite à prendre de longues respirations, à ne pas regarder alors que je tente de conserver mon regard à l’opposé de mon épaule gauche. Le temps me semble interminable et les larmes roulent à nouveau sur mes joues. J’évite le regard d’Alec pendant tout le temps du processus, haïssant à cet instant de tout mon être celui qui est l’auteur de tout ça. Mitchell Strange. Celui aussi qui est et va être à l’origine d’une tournure dans notre relation, qui me remet face à cette vérité que je tentais d’ignorer pendant tout ce temps : cette menace liée à l’appartenance d’Alec au Club, à la dangerosité de cette vie qu’il a choisi et qui, tôt ou tard, me retomberait dessus. La menace d’une vengeance, celle que je n’aurai jamais pensé possible pourtant, celle de son propre frère, prêt à tout, jusqu’à tuer la femme qu’il aime juste pour avoir un semblant de sentiment de justice… Cette vérité vient de me retomber dessus et je ne peux plus l’ignorer désormais…
Le médecin termine, me laisse seule alors qu’il se dirige dans la cuisine et que je suis incapable d’entendre les échanges entre lui et Alec. Quand il revient pour récupérer ses affaires, il me glisse quelques mots qui se veulent, encore une fois, rassurant « Ils ne devraient pas tarder à faire effet. Vous pourrez en reprendre dans quelques heures ». J’acquiesce alors et d’une voix faiblarde, le remercie « Merci… ».
***
Alec revient dans le salon. Toujours allongée sur le canapé, je tente de me relever. Difficilement mais je parviens à retrouver une position assise mais vient à m’appuyer contre le dossier du sofa pour ne pas retomber, alors que je sens ma tête me tourner. L’état de la pièce est déplorable, mon t-shirt ensanglanté qui jonche le sol, les taches de sang présente celui-ci tout comme sur le canapé. Je relève mon regard sur Alec qui ne semble pas oser m’approcher, ses pas hésitants alors qu’il prononce quelques mots « Je… je suis désolé. Jamais ça n’aurait dû arriver…Je… ». Il s’en veut. Je le vois dans son regard, je le sens à sa manière de parler, je le vois dans ses gestes. Il s’accroupit pour être à ma hauteur, mon regard ne le quittant plus « Pardon ». Il n’ose pas me regarder, je le sens honteux, je reconnais l’air coupable qui transparait sur son visage. Ma gorge se noue à mon tour alors que de ma main droite je viens à poser celle-ci sous son menton pour l’inciter à me regarder « Tu n’y es pour rien » je murmure alors mes yeux embués trouvant les siens. Ce simple geste m’arrache une grimace du fait de la douleur qui se manifeste dans l’autre épaule. Je laisse ma main retombée, grimaçant un peu « Viens… » je fais à l’invitant à venir s’asseoir à côté de moi. J’ai besoin de me retrouver dans ses bras, j’ai besoin qu’il me rassure, qu’il me garantisse que cela n’arrivera plus jamais. Une fois à mes côtés, je viens m’appuyer à nouveau contre lui et je laisse mes larmes s’échapper de plus belle « J’ai eu peur Alec… » je laisse échapper entre deux sanglots… « J’ai eu peur du pire… » fais-je en repensant à cette arme braquée sur mon crane pendant de longues, bien trop longues minutes. Je n’ai plus que cette image en tête, oubliant pour le moment les révélations qui ont été faites au sujet de leur père… Ce père qu’Alec a lui-même tué… « Tu crois qu’il va revenir ? ». Il peut entendre la panique dans ma voix à chacune de mes questions, le besoin aussi qu’il me rassure, qu’il me garantisse que le cauchemar est désormais terminé. J’essaye de me blottir un peu plus dans ses bras mais cela me coûte trop, m’arrachant un petit cri de douleur. Je suis effrayée, prise de tremblement alors que je semble reprendre conscience à chaque seconde qui passe des événements qui viennent de se dérouler. Et puis, je pense à mon meilleur ami qui peut rentrer d’une minute à l’autre… « Knox… il ne doit pas voir ça Alec ». Parce que cela impliquerait de tout révéler, que je sais aussi qu’Alec ne veut certainement pas que cela arrive et que je n’ai pas envie d’inquiéter mon meilleur ami quand lui-même a déjà beaucoup à traverser avec sa maladie.
Je cherche à le rassurer, si je lui dis qu’il n’y est pour rien, c’est pour qu’il ne se sente pas coupable et surtout, qu’il comprenne que je ne lui en veux pas. Il ne pouvait pas prévoir ce qui allait se passer « Tu sais bien que c’est faux ». Je sais que mes mots ne suffiront pas, qu’il n’arrêtera pas de se blâmer pour ce qui venait de se passer. Je ne cherche pas à argumenter davantage surtout quand je ressens comme une décharge électrique dans mon épaule du fait du simple mouvement que je venais de faire. Je lui demande de venir à mes côtés, parce que tout ce que je souhaite maintenant c’est qu’il m’entoure de ses bras, qu’il me serre contre lui et m’assure que désormais, je suis en sécurité. La peur me reprend quand les images de cette arme braquée sur mon crâne me reviennent, des tremblements parcourant mon corps alors que je ne peux contrôler les larmes et tente d’exprimer mes craintes à Alec. « Je sais…je… ça va aller… Il est parti maintenant ». J’acquiesce alors que je tente de reprendre un semblant de respiration normale, de calmer l’angoisse qui commence à m’habiter à l’idée qu’il puisse revenir. Je me blottis un peu plus contre lui mais le moindre geste m’arrache une grimace, mon épaule se réveillant doucement après les soins administrés par le médecin « Il ne reviendra pas. Je vais te protéger ». Les mots me rassurent, je veux y croire. Croire que je ne recroiserais plus jamais la route de Mitchell Strange, croire qu’Alec parviendra à me protéger. Je ne lui reproche pas ce qu’il s’est passé, son frère est qu’un parano sans pitié, avec une soif de vengeance bien supérieure à la raison. Une raison qui aurait été de ne jamais tirer sur la petite amie de son frère, malgré la trahison, malgré la déception. Alec a tenté de me protéger, avec cette arme qu’il a su braquer contre son propre frère dès l’instant où il est arrivé dans l’appartement. Et je serai incapable de lui reprocher de ne pas avoir tiré. Je ne suis pas sûre que, s’il en était arrivé à ce stade, j’aurai pu l’accepter… « Je le sais Alec… » que tu vas me protéger, je laisse échapper dans un murmure pour le conforter, le rassurer que je lui faisais confiance malgré tout.
L’appartement est dans un état déplorable et l’inquiétude s’agrandit quand je pense à Knox qui pourrait débarquer d’un moment à l’autre. Il ne doit pas voir ça et surtout, il ne doit pas être au courant de ce qui s’est passé. C’est impossible. Je ne veux pas qu’il s’inquiète et je sais très bien que si la vérité vient à lui être révélé, même qu’à moitié, il ne tolèrera jamais que je reste avec Alec. Cela ne ferait que conforter ses doutes à son propos et ce n’est pas ce que je veux. Parce que je sais qu’il ne comprendra jamais mon choix. « On va aller chez moi d’accord ? Tu vas rester quelques semaines avec moi, le temps… le temps qu’on trouve une solution ». J’acquiesce alors, cela me semble être l’unique solution si je ne veux pas que Knox se doute de quoi que ce soit. L’unique solution aussi si Alec doit me protéger de son propre frère qui n’a pas manqué de nous menacer de revenir. De toute manière, je ne peux pas m’imaginer loin d’Alec après ce qui vient de se passer, même si ce chamboulement pourrait être aussi la raison qui me pousserait à m’éloigner de lui… J’en suis consciente et pourtant, à cet instant, je n’ai pas envie d’y penser, je rejette cette idée. Je me raccroche à lui parce qu’il est aussi l’unique personne qui sera au courant de ce qui s’est passé quand il m’est impossible d’en parler autour de moi… Quand ce qui vient de se passer va devoir rester secret aux yeux de tous… de mes proches, de ma famille. « Ne bouge pas, je vais te faire un sac… ». Evidemment, je tente de bouger, je veux l’aider, je ne veux pas rester cloitrée dans le canapé, pas encore une fois quand j’ai déjà cette mauvaise expérience d’il y a quelques mois encore. Mais, une douleur se manifeste aussitôt, ce qui me fait pester alors que je regarde Alec s’afférer « Je vais nettoyer… tout ça ». Je me sens inutile alors qu’il s’empresse de tout effacer, comme s’il était possible de tout faire disparaitre, comme par magie. Si les traces de sang disparaissent aisément, il n’en sera rien du traumatisme subi par les faits de son frère. Quand il a terminé de nettoyer et de me préparer un sac d’affaires, il m’aide à me relever pour qu’on parte « Je reviendrais te chercher des affaires s’il faut ».
***
Nous sommes désormais chez lui. Alec a pris soin de m’installer sur le canapé pour que je me repose et puisse récupérer de cette balle qui a laissé son empreinte dans mon épaule. Il y a un mince sourire qui se manifeste au coin de mes lèvres alors qu’il fait tout pour que je me sente bien. Otis est même à mes pieds, l’animal ayant très certainement senti que je ne suis pas bien. Il s’absente quelques instants et lorsque je le vois revenir avec deux verres à la main et une bouteille de whisky, un sourire un peu plus grand étire mes lèvres « Je me suis dit qu’on en aurait besoin ». « Je crois aussi ». Je me redresse un petit peu, non sans grimacer, avant de me saisir du verre qu’il me tend. Mon regard vient à se poser sur Alec, je sens que la culpabilité le ronge alors que j’ai envie de le rassurer à nouveau à ce sujet. Il est même distant assis sur le canapé, perdus dans ses pensées, fixant son arme posée sur la table. Une arme que j’essaye d’ignorer, dont j’essaye de faire abstraction, me rappelant cette violence qu’elle traduit, cette violence que j’ai envie d’oublier « Je n’ai jamais voulu te mêler à tout ça Mia… j’ai cherché à te cacher du Club le plus longtemps possible mais… ce soir, ça me confirme que ce n’est plus possible… J’ai besoin de te protéger et je ne peux te protéger qu’avec les ressources du Club ». Je comprends alors qu’il va devoir parler de moi au gang, et je ne sais pas comment réagir. Cela doit à la fois me rassurer mais peut-être aussi m’effrayer que je ne sois encore plus la cible à abattre si jamais quelqu’un souhaitait à nouveau se venger de lui « Si tu estimes que c’est pour le mieux… Je te fais confiance Alec ». Il est loin, beaucoup trop loin de moi, il ne m’adresse aucun regard et j’ai l’impression que ce qui vient de se passer va peut-être signer un tournant dans notre relation. Mon bras se tend vers lui après qu’il ait bu une longue gorgée de son verre alors que je n’ai pas encore touché au mien qui est toujours dans ma main « Regarde-moi » je murmure alors pour l’inciter à venir trouver mon regard. J’ai envie d’effacer les dernières heures qui viennent de s’écouler, j’ai envie de retrouver l’innocence de notre relation qui était encore ainsi ce matin. J’ai envie de retrouver ses bras, de me perdre dans ceux-ci, de retrouver la chaleur de son corps contre le mien. De retrouver ce quotidien si normal et simple que nous sommes parvenus à nous construire ces deux derniers mois… mais il semblerait que ce soir, celui-ci soit bien loin derrière nous. « Alec, tu as fait ce qu’il fallait… ». Je marque une pause, mon regard se posant sur l’arme qui se trouve sur la table basse « Tu n’es pas comme lui… Je ne te reproche pas de ne pas lui avoir tiré dessus. Même avec cette arme braquée sur mon crâne, je n’aurai pas voulu que tu en arrive à tuer ton propre frère… ». Je tente à nouveau un geste mais je ne peux l’atteindre, j’en perds déjà patience le démontrant par le soupir qui s’échappe d’entre mes lèvres. Je me contente alors de lui attraper sa main à défaut de pouvoir faire plus « Tu n’es pas un monstre… Tu n’es pas lui et tu ne seras jamais comme lui » je susurre alors. Ma main serre un peu plus la sienne alors que j’ajoute « Je ne t’en veux pas Alec… ». J’ai envie de l’embrasser mais il est encore beaucoup trop loin. Ma gorge se serre quelque peu « J’ai fais ce choix d’être avec toi… j’ai accepté ce risque aussi, j’en étais consciente… ». Consciente parce qu’on a aussi su me le dire, repensant aux mots prononcés par ma meilleure amie. Mais aussi consciente par moi-même quand je savais très bien ce que sa vie impliquée aussi.
Il y a un nouveau moment de silence. Les mots de Mitchell me reviennent alors progressivement… Ca fait quoi de dormir à côté d’un meurtrier Mia ? Il a tué Papa Strange… Si ces mots je n’ai pas voulu les entendre, les mots d’Alec, eux, ne m’ont pas laissé le choix. Le choix de réaliser qu’il est passé réellement à l’acte, qu’il est à l’origine de la mort de son propre père... Ce n’est pas un mensonge. J’ai tué mon père Mia. Mon regard se porte à nouveau sur lui et je parviens à prononcer ce simple mot « Comment… ? ». Je suis persuadée qu’il comprendra très bien ce que je sous-entends derrière cette question, voulant comprendre comment il en est arrivé à tuer son père et comment cela a pu se produire. Parce que si encore à l’appartement, j’ai fait abstraction de tout ça, je ne peux plus le faire désormais. J’ai besoin de comprendre alors que des questions se bousculent dans ma tête. Je sens mon cœur accélérer dans ma poitrine, l’appréhension d’entendre à nouveau ces mots qui ont fait que mon regard a pu changer à son égard au moment même où il est passé aux aveux… La peur que tout puisse changer.
Je lis la culpabilité dans le regard d’Alec, ce même regard qui m’évite, ce même regard qui fixe cette arme posée sur la table. Son comportement montre clairement qu’il s’en veut pour ce qui s’est passé ce soir. Ce frère, avide de vengeance, qui est entrée chez moi par infraction pour me trouver, pour me blesser afin de blesser son frère en retour. Répondre de cette trahison qu’Alec a fait preuve à son égard. Je suis incapable de lui en vouloir, j’essaye de lui faire entendre raison. Raison surtout quand je sais qu’il regrette de ne pas avoir éliminé son frère, de ne pas avoir tiré à temps avant que lui ne me tire dessus. Jamais je n’aurai accepté qu’il passe à l’acte et je lui en fais part « Si je l’avais fait, tu serais en sécurité. Beaucoup de gens seraient en sécurité ». Peut-être a-t-il raison, peut-être que la menace qui plane encore sur moi, sur nous serait inexistante s’il avait appuyé sur la gâchette. Mais Alec n’est pas un monstre, le fait qu’il n’ait pas tiré est totalement justifié, surtout quand la personne en face n’était autre que son frère. Frère sans scrupule, frère à qui il ne ressemble en aucun cas « Je peux prétendre tout ce que je veux Mia, lui et moi, fondamentalement, on est pareils ». Et j’ai l’impression que j’ai beau dire ce que je veux, il ne voudra pas entendre raison, il ne voudra pas se résigner et reconnaitre qu’il n’est pas comme lui et qu’il a bien agi ce soir. Alors, je baisse les bras, soupirant, ne cherchant pas à en ajouter davantage à ce sujet.
Je lui signifie que je ne lui en veux pas, que je ne lui reproche pas ce qui s’est passé ce soir quand il est évident qu’il ne pouvait pas le prévoir. Lui qui a tout fait pour me préserver de tout ça. A cet instant, il daigne enfin me regarder et j’esquisse un sourire rassuré, fermant mes yeux quand je sens sa main caresser ma joue alors que je penche légèrement la tête pour savourer un peu plus l’instant. Parce que c’est tout ce dont j’ai besoin maintenant : sa présence, sa tendresse et retrouver cette proximité qui nous unit au quotidien. Pourtant, la distance est maintenue, difficile à supporter alors que je poursuis en lui disant que j’ai choisi d’être avec lui, que j’étais consciente aussi de ce danger-là « Non. T’as pas accepté de te faire tirer dessus Mia. T’as pas accepté ça…je… ». Il s’interrompt et mes sourcils se froncent légèrement. « Je… quoi Alec ? ». Je veux l’entendre dire ce qu’il a à dire, je sens bien ce regard fuyant, similaire à ces regards que j’ai bien trop longtemps connus lorsque sa vie était encore un secret pour moi. Il n’y a aucune animosité dans ma question, prononcée dans un murmure alors que mon regard cherche à recapter le sien, me penchant légèrement pour ressaisir cette main ayant quitté ma joue bien trop vite. J’étouffe la douleur que cela me procure mais j’ai besoin que cette franchise que nous avons désormais établie entre nous reste intacte.
Et c’est sûrement pour cette raison que je me permets de lui demander des explications à propos des révélations de son frère. Celles qui ont poussé Alec à me dire la vérité à propos du décès de son père. Ce père qu’il a tué… sans regrets. Sans aucun scrupule. Cette vérité qui m’a fait le regarder différemment, comme ce soir où j’ai découvert cette face cachée de lui, cette violence que je ne lui connaissais pas et qui semblait pourtant si naturelle au détour de cette ruelle. J’ai besoin de savoir, de comprendre comment à défaut de demander pourquoi. Je l’observe, il n’a pas besoin de plus pour comprendre ce que je lui demande alors qu’il prend une gorgée de son verre, comme pour se donner du courage. Celui de me parler de ce jour où tout a, finalement, basculé « Il était violent. D’aussi loin que je me souvienne. Du genre à t’écraser ses cigarettes sur la peau et à t’envoyer boulet à l’autre bout d’une pièce. Du genre à laisser hématomes sur hématomes jusqu’à ce que ça devienne normal. Ça allait encore tant que notre mère était en vie (…) Parce que c’était elle qui prenait les coups pour nous. Jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus et qu’elle s’ouvre les veines dans la cuisine. J’avais sept ans, Mitch, onze ». Le récit est glaçant et me donne des frissons alors qu’il se livre pour la première fois sur son passé, sur cette enfance dont il ne m’a que très peu parlé. « Je suis désolée, Alec… » Cela ne changera rien mais je me sens dans l’obligation de lui dire quand je comprends que ce père qu’il a tué était en réalité un monstre, ayant poussé sa mère à se donner la mort… « Et après ça… après ça c’était soit il nous frappait nous, soit il frappait nos sœurs, il ne les a jamais touché ». Je me redresse un peu plus sur le canapé et surtout je m’approche davantage de lui qui se trouve toujours assis loin de moi. J’ignore la douleur à ce moment là quand la sienne est certainement plus grande du fait des blessures du passé, passé dans lequel je l’oblige à replonger pour comprendre. Ma main droite vient alors délicatement caresser ses cheveux alors que je l’écoute poursuivre « Mais il y a un moment où je suis devenu plus grand que lui, plus fort que lui. Ce jour-là, je pouvais plus encaisser un énième coup. Je… On s’est battus, j’ai rendu les coups et à un moment donné je l’ai envoyé se fracasser contre le mur… sa tête s’est claquée contre… ». Il s’interrompt, je sens que les mots peinent à sortir, ma main venant se glisser dans son dos alors que je le frictionne doucement. Son récit me touche, au point qu’une larme finit par s’échapper sans que je ne m’en rende compte, horrifiée par son histoire et ce qu’il a pu vivre pendant des années. « Il est mort sur le coup et Alex, Alex m’a trouvé peu de temps après. Il ne m’a pas jugé, il ne m’a pas accusé de quoi que ce soit, il m’a calmé et a pris les choses en mains. On a maquillé ça en suicide. Et on a tout quitté. A nos sœurs, on n’a jamais avoué la vérité. Et dès le moment où on a quitté Las Vegas, Alexander est devenu Mitchell et Finnegan est devenu Alec ». Je comprends alors d’où est née cette loyauté sans faille qu’il a porté jusqu’alors à son frère. Cette même loyauté dans laquelle il a fini par se perdre, mais cette loyauté aussi que je peux comprendre quand Alex a tout fait pour protéger son frère. Le protéger d’une peine trop lourde quand on connaissait la violence d’un père qui n’avait aucune pitié à asséner les coups à ses enfants et à sa femme. Et surtout, je comprends aussi pourquoi Alec a été incapable de tirer sur son frère ce soir. Parce que, malgré tout, cette relation qui les unissait était forte, quand, à deux, ils ont tout traversé ensemble. « J’pourrais dire que c’était un accident ». Il trouve à nouveau mon regard alors que je suis le mouvement de sa main qui vient à déboutonner sa manche pour laisser apparaitre des cicatrices que j’avais bien de nombreuses fois remarquées, mais dont je n’avais jamais posé de questions à ce sujet « Mais ça ne serait pas vraiment la vérité Mia. Parce que pour chaque marque qu’il a laissée sur moi, sur nous, j’aimerais le tuer une nouvelle fois ». Mon regard vient retrouver le sien quelques secondes quand il vient à exprimer cette capacité, si l’occasion lui était donnée de recommencer à nouveau, à tuer ce père qui lui a fait vivre, à lui et sa famille, un enfer. Mon visage est inexpressif et ma main gauche tant bien que mal vient à parcourir les cicatrices sur son avant-bras. Un silence s’installe, peut-être un peu pesant, pouvant faire craindre à Alec que je ne lui pardonne pas son geste, que je ne puisse pas accepter ce qu’il a fait, alors que dans ma tête, tout est clair. Mes yeux plongent dans les siens, il peut y lire l’amour que je lui porte et une tristesse certaine suite à ce récit qu’il vient de me livrer « Je comprends… » je laisse échapper alors dans un murmure « et je ne te jugerai pas pour ce que tu as fait. Je suis désolée que tu ais eu à supporter une ordure de père pareille, que tu ais dû supporter… tout ça » je fais alors que mes doigts parcourent délicatement ses blessures. « Je comprends d’autant plus pourquoi tu t’es senti redevable face à Mitch pendant toutes ces années. Alors, je te le répète, je ne t’en veux pas. Parce que si tu avais fini par tirer sur ton frère, tu ressentirais une culpabilité bien plus grande. Et cette violence dans laquelle tu as grandi, et cette même violence dont ton frère fait preuve, ne doivent pas pour autant te définir ». Je marque une légère pause alors que ma main droite vient caresser doucement sa joue et que mon visage s’approche du sien « Tu n’es pas comme eux, Alec. Je t’interdis de le penser une seconde de plus ». Dans un petit mouvement en avant qui m’arrache une légère grimace, mes lèvres viennent alors trouver les siennes, une larme se mêlant alors à ce baiser qui se veut tendre et doux. Lorsque je me détache, sans trop m’éloigner, je baisse le regard quelques secondes, fermant les yeux pour contenir la douleur qui se manifeste à nouveau. J’inspire profondément et finit par retrouver son regard « Je t’aime Alec. Rien de ce qui a pu se passer aujourd’hui, rien de ce qui a pu être dit aujourd’hui n’y changera quoi que ce soit ». Les larmes s’invitent à nouveau sur mes joues, incapable cette fois d’effectuer un geste pour les essuyer d’un revers « Promets-moi que rien ne changera, promets-moi que tu ne vas pas t’éloigner pour me protéger. Je ne veux pas Alec… ». Ma gorge se serre alors que mon regard se baisse et que je laisse échapper dans un murmure « je ne le supporterai pas une fois de plus… ».