A contrecœur, j'avais troqué le lit confortable et inestimable d'Asher pour la sobre couchette de mon bateau. Il était rendu loin, le Levi qui refusait de vivre en ville, celui qui trouvait la citadine Brisbane si bruyante, si malotrue, si criblée de dangers par la multitude d'énergumènes qui en foulaient le sol. Si les précédentes années je ne dormais véritablement bien que bercé par l'indomptable flux et la onduleuse mélodie des vagues, depuis quelques semaines, c'était entre les draps de mon amant que mon sommeil se voulait le plus délicieux. Toutefois, refusant nuire à sa propre sérénité et ombrager son quotidien de mon mal-être lorsque ma lutte contre le cancer se voulait plus houleuse, je me réfugiais au sein de la solitude de Cadence, afin de m'autoriser à subir la maladie en toute impunité et sans culpabilité. La veille avait composé l'une de ces subtiles fuites, et si au matin il m'avait semblé érigé assez de force pour travailler sur mes prochaines chansons, j'avais préféré demeurer à distance pour ne revenir à proximité du Buckley qu'une fois en forme respectable.

A gratter les cordes de ma guitare et rectifier les accords sur mes calepins, je remarquais une énième fois les novatrices activités se déroulant sur le bateau précédemment géré par Garrett. Manifestement, un nouvel occupant y avait élu domicile et ma curiosité n'avait fait que croître à mesure que je réalisais que cet homme - à en juger par la silhouette - y campait sans grandes haltes sur la terre ferme. J'appréciais par définition ce genre de marin, même si je n'avais pas eu le loisir de le voir lever l'ancre de l'embarcation encore. Mon cœur cogna plus fort contre ma poitrine à cette idée de partir en mer, cette dernière me manquant cruellement.

Les dix-huit heures approchant et ma condition raisonnable, je décidais de troquer ma musique pour un pack de bières et une bouteille de whiskey. J'avais possiblement, ici et là, jeté des coups d'œil discrets sur le pont du navire et constaté la présence de cadavre de bouteilles, ce qui m'incitait à penser que le résident accepterait un apéro en ma compagnie. Ma curiosité ma brûlait les veines, il me fallait appréhender cet inconnu et voisin - dont le peu que je connaissais me plaisait déjà.

« Hey! » J'interpellais d'une voix forte lorsque j'arrivais devant le bateau, mon pack de bières en main, ma bouteille de whiskey dans la poche kangourou de mon hoodie - malgré la température encore assez élevée - « C'est l'heure de l'apéro ? » Je soumettais, sans y mettre quelconque forme. Je n'étais pas de ceux qui vouvoyaient ou s'appliquaient soigneusement aux règles de bienséance. Je constituais un sauvage mal rasé qui avait passé la majorité de sa vie à arpenter les océans en solitaire sur son bien le plus précieux. Je veillais la cabine, espérant appâter le locataire.

sunday with a flu -- @Levi Lionhart  

☽ 20 avril 2021. 20 avril. Milo était sur Brisbane depuis quelques semaines maintenant, deux mois en réalité. Le temps passait, et les cicatrices s’imprégnaient en lui. Il doutait qu’il puisse se remettre un jour complètement des mensonges de son père et des sacrifices qu’il avait dû faire par sa faute. Le militaire savait parfaitement cacher ses blessures par son sourire angélique, et son attitude toujours bienveillante. Pourtant, depuis l’accident de sa fille, il était devenu une sorte d’ours des cavernes. Il n’arrivait pas à gérer les conflits avec Zoey, ceux avec Giulia, et l’état de sa fille. Parce qu’aussi longtemps qu’il était vivant, Lou serait sa fille même si Zoey ou Giulia pouvait clamer le contraire. Il n’était qu’un géniteur pour la blonde et la brune, mais elles ne savaient pas la vérité. Elles ne connaissaient ni l’une ni l’autre les raisons de son comportement ces dix dernières années, et donc en plus de devoir supporter leurs réflexions, il devait aussi se mordre la langue pour ne pas à tout déballer. Toutes ces sottises pour quoi ? Pour défendre l’honneur de son père ? C’était presque inacceptable, il était en train de devenir l’ombre de lui-même… D’ailleurs, il avait quitté ce logement en location en bord de mer sur Bayside pour trouver le réconfort de ce voilier. C’était le voilier de son grand-père, le Gina, renommé par son feu père par le nom de sa mère. Le seul cadeau qu’il arrivait encore à apprécier malgré la disparition de Michael, son paternel. Le militaire y trouvait un certain réconfort.

Milo campait sur ce voilier, naviguant littéralement entre sa location dans laquelle il était loin de se sentir chez lui. Le métis ne ressentait aucun sentiment d’appartenance peu importait où il se trouvait. Même son logement à Sydney n’était réellement un endroit où il se sentait à sa place. Milo n’était à l’aise que sur des bateaux, lorsqu’il partait en mission pendant des semaines avec ses congénères, ou comme aujourd’hui, et ce depuis quelques semaines déjà, sur Gina. Il fuyait sans aucun doute les remarques de son ex qui l’accablait encore de questions au sujet de son retour. Des réponses qu’il ne saurait lui donner… Ni aujourd’hui, ni demain. Le métis se torturait l’esprit et la seule chose qui arrivait bien à le calmer c’était boire plus que de raison. Il était seul sur ce bateau, il ne devait de compte à personne et c’était dans cette tanière qu’il arrivait à trouver une certaine sérénité. Dans l’habitacle, il était en train de croquer dans une pomme quand il entendit du mouvement à l’extérieur. « Hey! » J'interpellais Il croqua dans sa pomme, le brun avait une piètre apparence : une barbe qui avait rapidement poussé, trop vite à son goût… Ces cheveux crépus qui avaient pris le temps de s’installer également. C’était le genre de choses qu’il s’occupait normalement tous les jours quand il était en service. Toutes, ces dernières semaines, on pouvait dire que la casquette du militaire était bien loin derrière lui. Son hoodie bleu marine de la Royal Navy sur les épaules, et un vieux bermuda d’une couleur indéfinie sur lui, il fronçait les sourcils en venant s’agripper à la petite rampe pour jeter un œil à qui pouvait bien lui rendre visite… Quelques jours plus tôt, Cian était venu lui remonter un peu les bretelles, il ne pouvait pas revenir encore une fois… Si ? « C'est l'heure de l'apéro ? » Milo arrivait finalement dans le champ de vision de l’auteur de ces mots. Il était 18 heures passés, et le soleil était doucement en train de se coucher. « Il n’y a pas réellement d’heure pour l’apéro. » se permit-il de constater avec un rire amusé. Milo plissa les yeux en posant finalement son attention sur l’inconnu, son visage lui disait quelque chose. « Vas-y monte, tu m’as l’air bien équipé. » continua-t-il en le voyant avec un pack de bières à la main. Ses sourcils se froncèrent alors qu’il le regardait faire, étant sûr de l’avoir déjà vu quelque part. « Hé, dis moi on se connaît ? » lança-t-il alors en le fixant, il avait déjà bu quelques bières dans l’après-midi, et peut-être que sa vision lui jouait des tours.

Évoquer l'apéro fait sortir de sa cabine l'habitant méconnu. Un sourire satisfait apparaît sur mes lippes, je considère rapidement le jeune homme, ne portant absolument aucun avis, me fichant prodigieusement des casseroles comme des démons qu'il peut éventuellement traîner dans son sillon, agitant plutôt mon pack de bières généreusement. « Il n’y a pas réellement d’heure pour l’apéro. » Je hoche la tête, affirmatif, mon rictus s'élargissant. « Amen ! » Puis le brun m'invite à monter sur son voilier. Je ne me fais pas prier et dépose mes munitions sur une surface du pont. Mes yeux balaient du regard le moyen de transport, curieux et intéressé. J'ai beau connaître le Gina pour y poser mes émeraudes de manière régulière, je ne l'ai jamais approché de si près. « Hé, dis moi on se connaît ? » me questionne mon interlocuteur et j'entreprends de décapsuler deux bières. Désinvolte, je hoche une épaule. « J'ai un visage familier. » J'étais, aussi déjanté cela puisse sembler, une célébrité suite à ma victoire à l'émission de The Voice Australia en 2019. Certes, mon activité avait été très faible les mois suivants ce triomphe en raison de ma récidive de cancer mais désormais, j'étais de retour sur les planches. Mon visage apparaissait même sur certaines affiches collées ici et là dans Brisbane.

Toutefois, le hoodie aux couleurs et arborant le logo de la Royal Navy me laissait penser que le garçon me connaissait de mon époque de militaire plutôt que de chanteur. Néanmoins, ne percevant nul intérêt ni ne ressentant aucun désir à aborder cette période, je préférais taire mon appartenance à cet organisme. « J'suis Levi, » je lui tends la bière décapsulée. « Qu'est-ce que tu fais ici ? C'est ton voilier ? » Je ne jugeais pas le fait que le jeune homme vive sur un bateau, ce serait très risible de ma part ayant adopté ce train de vie une majeure partie de mon existence. Cependant, j'étais intrigué par le fait que je ne l'avais jamais vraiment remarqué si présent que depuis quelques temps, alors que cela faisait plus de deux ans que j'avais jeté l'ancre dans ce port australien. De plus, Garrett ne me paraissait plus trop passer dans les parages non plus, ce qui appuyait mon hypothèse que ce bâtiment était la propriété du trentenaire, ou du moins, on le lui avait prêté.

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☽ 20 avril 2021. Milo ne voyait plus le temps passer, et il devrait bientôt se résoudre à rendre des comptes à ses supérieurs. Le militaire était assez perturbé de tout ce qui s’était passé dernièrement dans sa vie, et son seul réconfort était de se retrouver sur ce voilier pour y passer, très souvent, peut être trop, ses nuits. Il ne prenait même plus le temps de se passer un coup de tondeuse sur le crâne ou dans sa barbe, lui qui était obligé d’être toujours rasé de près dû à son travail. Il donnait la vague impression d’être en dépression, mais il ne voulait pas se l’avouer. Il tentait difficilement de garder le cap. Il ne fut pas réellement surpris lorsqu’il vit un inconnu débarquer avec un pack de bières en mains. Milo se rendait bien compte que le nombre de cadavre sur son ponton, ainsi que sa gueule débraillé, il pouvait dégager une certaine image de lui-même qui n’était pas forcément fausse… « Amen ! » L’homme qui avait donc débarqué, et posé pied sur son voilier, semblait ne pas le juger. Milo se demandait s’il le connaissait, peut-être croiser à la Marina, peut-être une vieille connaissance… ? Milo plissait les yeux, tentant de se rappeler de quoique ce soit… « J'ai un visage familier. » Et le militaire eut un petit rire en haussant les épaules. Probablement. Le métis n’était de toute manière pas apte à réfléchir plus longtemps et n’insista pas vraiment. « J'suis Levi, qu'est-ce que tu fais ici ? C'est ton voilier ? » Milo avait attrapé la bière en hochant la tête en guise de merci. « Milo. » dit-il en se tournant pour regarder son bateau d’un coup d’œil. « Yep. C’est à moi. » confirma-t-il en regardant le soleil se coucher à l’horizon avant de reposer son attention sur Levi. « Et il semblerait que cela soit le seul endroit où je me sens chez moi. » confia-t-il finalement en portant le goulot à sa bouche pour prendre quelques gorgées et se rafraîchir. Il finit par se décaler pour venir s’asseoir sur une banquette, et l’invita d’un geste de la main à faire de même. « Qu’est ce qui t’amène là ? » finit-il par demander, en le regardant. Milo se demandait ce qu’il avait amené à prendre ce pack et débarquer ici. Peut-être que son apparence l’avait inquiété, son regard se posa d’ailleurs sur une bouteille de Jacks qui jonchait vide sur le sol. Il ferait peut-être mieux de faire un coup de propre sur ce ponton…

A ma grande satisfaction, le jeune homme m'invite à le rejoindre sur le Gina, le pack de bières que je présente en qualité d'offrandes initiant possiblement cette hospitalité. Je ne me fais pas prier pour grimper avec aisance sur le pont et ainsi réduire la distance me séparant de l'inconnu. J'apprécie déjà sa manière de percevoir les choses à propos des apéros et hausse les épaules en pure désinvolture, clamant que je détiens un facies commun, lorsqu'il me questionne si nous nous sommes déjà croisés dans le passé. Par la suite, je me présente tout en entrant dans le vif de mes interrogations : que fiche ce garçon sur ce voilier ?

« Milo, » m'informe le brun tout en décrivant le moyen de locomotion d'un coup d'œil et saisissant la bière décapsulée que je lui tends. « Yep. C’est à moi. » Je hausse les sourcils, impressionné, commentant avec un sourire fier : « Sympa. » Gina était séduisante, j'étais persuadé qu'elle pouvait offrir de bien agréables traversées. « Et il semblerait que cela soit le seul endroit où je me sens chez moi, » me confie plus sobrement Milo et je l'observe quelques instants, comme dans l'espoir de percer dans son regard des informations supplémentaires quant à son état psychique. Je porte la bière à mes lèvres pour me désaltérer d'une fraîche gorgée. « Qu’est ce qui t’amène là ? » « Le vent. Et toi ? » J'indique sommairement avec franchise. Une sournoise curiosité m'avait bien entendu incité à effectuer ces quelques mètres. Ce n'était pas tous les jours que j'avais des voisins qui demeuraient sur un assez moyen terme sur leur bateau. Ce comportement m'intriguait et m'appâtais, l'ayant moi-même adopté. « Tu étais où, avant ? » Je poursuis sans gêne. Si je touche une corde sensible, l'homme saura très certainement m'annoncer que je m'intéresse à ce qui ne me concerne pas, ou me montrer la voie menant à mon propre voilier, Cadence. Puis, même si mes passages sur mon navire se voulaient plus prompts et espacés ces temps-ci, à mesure que ma relation avec Asher se développait, il n'en demeurait que précédemment, j'y restais une majeure partie du temps et n'y avais jamais réellement croisé la silhouette de Milo, jusqu'à il y a plusieurs semaines.

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☽ 20 avril 2021. Milo se laissait aller ces derniers temps, mais il n’en était pas moins un homme plutôt aimable et bienveillant en général. Quand il avait vu l’homme le gratifiait d’une salutation, muni de bières, le métis avait déjà été pris par les sentiments. Il l’avait invité à venir le rejoindre sur le Gina. Un peu de compagnie ne lui ferait pas de mal. Milo était casanier ces derniers temps, il ne voyait presque personne – un loup sauvage qui pouvait impressionner par sa barbe bien trop longue, et ses cheveux crépus qui avaient repris place sur son crâne. Pourtant, il n’était qu’un agneau blessé ces derniers jours mais il tentait toujours de se cacher derrière son sourire rayonnant. Il était fort pour paraître. « Sympa. » Levi semblait apprécié le voilier, héritage d’une famille détruite mais qui lui tenait encore et toujours à cœur. Milo était heureux de pouvoir le retrouver d’ailleurs, après toutes ces années laissé sous tutelle. Il s’y sentait bien sur ce bateau, vraiment comme chez lui, alors qu’il avait pris la peine de louer une belle villa sur Bayside, le métis passait son temps ici. Milo s’était calé contre la coque du bateau venant lever le coude pour retrouver la fraîcheur de la bière offerte par son interlocuteur, peu loquace d’ailleurs. « Le vent. Et toi ? » Il eut un petit rire en détournant le regard pour regarder le coucher du soleil au loin. « A peu près pareil. » répondit-il avec autant de mystère. Levi ne semblait pas vouloir se livrer, et Milo n’était pas du genre à s’apitoyer sur son sort non plus. « Tu étais où, avant ? » Large question, avant quoi ? Il avait reposé ses yeux sur l’homme mystérieux, à quelques mètres de lui. « Partout… Nulle part ? » dit-il d’une voix amusée. S’ils devaient continuer sur le mystère… Mais Milo se permit de rajouter : « J’fais partie de la Navy, probablement quelque part en mer. Là où est ma place. » confia-t-il d’un ton plus sérieux, un rictus au coin des lèvres alors que Levi avait peut-être déjà deviné l'information étant donné le sweatshirt qu'il avait sur le dos. « J’suis originaire de Sydney. » Une précision de plus pour essayer de satisfaire la curiosité de l’inconnu. « Et toi alors ? J’ai le droit de savoir ? » demanda-t-il finalement en portant une nouvelle fois sa bière à sa bouche.

Armés tous deux d'une bière fraîche, je contemple d'un œil aussi avide qu'expert les zones du Gina entrant dans mon champ de vision. Nul doute que le navire est aussi séduisant que solide, je l'imagine aisément contrer les féroces marées comme voguer paisiblement au creux de délicates vagues. Mes mains caressent distraitement le bois et je complimente la possession, jugeant que quand bien même Milo ne semble pas à l'aise au sein de toutes les localisations qui lui sont possibles, il dispose quand même de quoi faire un charmant domicile avec ce bateau.

Je porte la bière à mes lèvres et examine le garçon tandis qu'il m'interroge ce qui m'amène dans les parages. J'accuse le vent, ce qui le fait rire, avant qu'il ne plagie ma réponse, insufflant un sourire complice sur mes lippes. Je poursuis d'exhiber ma curiosité, m'enquérant sur le lieu de ses dernières aventures. « Partout… Nulle part ? » « Le monde est grand, » je consens. « J’fais partie de la Navy, probablement quelque part en mer. Là où est ma place. » Mes pupilles dérivent sur son haut livrant en effet cette information. « Qu'est-ce que tu fais là, alors ? » J'interroge de but en blanc. Il n'y a pas la moindre pointe de jugement dans ma voix, seulement un sincère intérêt pour le personnage auquel j'ai suggéré ma compagnie. « J’suis originaire de Sydney. » J'acquiesce, me ressassant mon dernier passage dans cette ville australienne, me retenant de réitérer mon interrogation visant à déterminer ce qu'il trafique à Brisbane. Parler au brun titille par ailleurs ma nostalgie, je crève d'envie de tirer la grand-voile. C'est un sacrilège que Cadence reste clouée au pont de la sorte. « Et toi alors ? J’ai le droit de savoir ? » Je cille, revenant au présent. « Londres. » Non pas que j'apprécie la capitale anglaise. Je bois une nouvelle gorgée de mon rafraîchissement et enchéris : « Tu es dans quel corps de la Navy ? » Peut-être que sa réponse m'éclaircira sur le fait que je n'ai pas vu son navire très loin de ses amarres.

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☽ 20 avril 2021. Le métis était surpris de voir cet inconnu se pointer directement à son navire. Ces derniers temps, le militaire tentait de se faire petit, de mener son petit bonhomme de chemin sans se faire remarquer. Mais apparemment c’était Gina qui avait attiré l’œil de l’expert, aussi intrigué probablement par la présence constante de Wilson. Jusqu’ici, Garrett Craine s’en occupait occasionnellement profitant de balade avec sa femme ou ses amis, et le métis ne s’était jamais montré à la Marina de Brisbane. Pourtant, il en était bien le propriétaire. Il accepta alors cette présence fortuite, d’autant plus qu’il n’arrivait pas les mains vides et très vite, le jeune papa accepta d’ouvrir une bière avec lui. Pas sûr que Wilson se livre aussi facilement face à un inconnu mais au moins, ça lui faisait de la compagnie avant de se tourmenter une énième fois après une bouteille de whiskey descendue. « Le monde est grand » Levi ne semblait pas très embêtant, ni trop curieux. Il tentait de faire la conversation pour lui aussi s’éviter d’être seul trop vite, probablement. Du moins c’était ce que Milo se disait. « Qu'est-ce que tu fais là, alors ? » C’était la question que tout le monde lui posait. Mais qu’est ce que tu fous là Milo ? Parfois il pouvait dire la vérité, comme à Cian ou Thomas, parfois il devait garder ses histoires pour lui. « J’avais des impératifs en ville » dit-il en haussant les épaules, il n’allait pas parler de Lou. Il n’allait pas parler de l’accident de sa fille pour qui il n’avait jamais pu être physiquement là pour elle. Non, il n’allait pas plomber l’ambiance. Après lui avoir dit qu’il était originaire de Sydney, Milo se montra curieux en retour. Levi posait toutes les questions, et ne semblait pas vouloir se livrer en retour. Toutefois, Milo n’allait pas le laisser s’en tirer comme ça, il porta sa bière à la bouche après lui avoir demandé ce qu’il pouvait savoir de lui. « Londres. » Il hocha la tête en l’observant. « Tu es dans quel corps de la Navy ? » Levi voulait apparemment éviter de parler de lui, ce qui fit tiquer Milo, lui non plus n’était pas avare des mots quand il fallait parler de lui-même. Son interlocuteur ne se montrait pas très loquace en retour. « Je suis amiral, fusilier marin sur un porte hélicoptère, je gère les équipes, les entraînements, le lien entre tous nos dispositifs. » expliqua-t-il comme s’il parlait en novice alors que Levi cachait bien son jeu. « Mais dis-moi Levi, pourquoi t’es venu là ? Tu te disais que je pouvais te changer les idées avec mes problèmes ou mes histoires de marins fous ? » demanda-t-il avec un petit rire, tentant de percer le mystère qui se tournait autour de cet inconnu.

La personne de Milo m'intéresse de manière exponentielle, nos échanges aguichant indubitablement ma curiosité. J'additionne les points communs qui me lient au jeune homme, un parcours et une passion similaires qui m'incitent à poursuivre cette conversation agrémentée de bières. Le militaire s'avère peu loquace toutefois, ainsi que porteur de certains bagages vu la teneur d'une partie de ses propos, et bien que j'en sourcille parfois d'intrigue, j'apprécie cette attitude adoptée par le trentenaire.

« J’avais des impératifs en ville » me répond-t-il lorsque je m'enquière des raisons qui l'ont poussé à venir s'abriter sur son navire, manifestement pas entièrement de bon gré. « Bonne chance avec ça, » je lui souhaite avec un demi-sourire complice, compatissant sincèrement avec une probable nuance peu agréable de ces impératifs. A mes yeux, les obligations ne sont que contraintes et je compatis avec le garçon de ne pouvoir être libre comme l'air. Libre d'être porté là où le vent le souhaite.

Je le renseigne sur ma ville d'origine sans pour autant m'étendre sur cette capitale qui referme en majorité de mauvais souvenirs. J'ai quitté Londres à mes seize ans et n'y ait plus jamais remis les pieds, ni en ressens l'envie. Buvant une nouvelle gorgée de ma bière, j'évoque la position de Milo dans l'armée. « Je suis amiral, fusilier marin sur un porte hélicoptère, je gère les équipes, les entraînements, le lien entre tous nos dispositifs. » Je demeure silencieux, me demandant si justement, je n'avais pas suivi des entraînements de cet homme dans le passé. C'était il y a une autre vie, pourtant, ça pourrait concorder, tout comme le fait que je lui eus paru familier plus tôt. « Mais dis-moi Levi, pourquoi t’es venu là ? Tu te disais que je pouvais te changer les idées avec mes problèmes ou mes histoires de marins fous ? » Un rire franc file entre mes lèvres et je hausse les épaules, désinvolte. « J'apprécie les marins fous et j'sentais qu't'en étais un. » Un sourire en coin fend ma lippe, moqueur. « J'suis content de pas m'être planté, » valorise. « T'as pas envie d'faire une folie avec moi et qu'on prenne le large un peu ? » Parce que ça me manquait sérieusement de ne pas prendre la mer et je ne me jugeais pas en capacité de le faire en solo, ou avec quelqu'un qui n'était pas assez expérimenté pour prendre la relève si jamais je venais à défaillir. Combattre un cancer composait une véritable malédiction qui m'avait cloué sans cérémonie au sol de Brisbane, compte tenu que je devais rester à distance raisonnable de secours tout en suivant un traitement à intervalle régulier. Comme Milo, j'étais aux proies à un impératif en ville, que j'aimerais distancer momentanément si le cœur en disait au brun.

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☽ 20 avril 2021. Le militaire, qui avait appris à apprécier la solitude, était intrigué par cet inconnu. Levi se montrait curieux, et Milo se posait de plus en plus de questions à son sujet. Il ne disait pas non à un peu de compagnie, après tout, c’était si rare ces derniers temps de pouvoir apprécier un moment sans se poser des questions. Le métis se semblait toujours étrangement en sécurité sur son voilier alors qu’il avait pourtant autant de risques de se faire repérer par n’importe quel homme de mains de Mitchell. Il tentait toujours d’évincer ces pensées négatives de son esprit, c’était le genre de truc qui pouvait lui miner le moral.  En tout cas, ce qui était sûr c’était que Milo ne raconterait pas les bagages qu’il traînait derrière lui à un inconnu. Milo restait évasif et Levi aurait dû mal à tirer des informations plus claires que ce qu’il venait de lui donner. « Bonne chance avec ça. » Il hocha la tête en haussant les épaules. Ce n’était pas vraiment de la chance dont il avait besoin, mais il s’avisait de répondre quoique ce soit, ne voulant pas attiser la curiosité de l’inconnu. Tout ce qu’il voulait c’était que sa fille s’en sorte, et surtout, ne pas se faire repérer par Mitchell et sa team.

Milo continuait sa bière, venant poser des questions à son tour mais le jeune homme n’était pas plus loquace que ça. Le militaire se demandait ce qu’il était venu faire sur son bateau si c’était pour parler avec des réponses monosyllabiques ou presque… Il venait donc de Londres, mais ne s’étancha pas plus à ce sujet. Le métis continua donc en expliquant son travail, voilà un terrain neutre. Levi ne disait rien, il l’écoutait avec attention mais semblait également pensif à tout ce que Milo racontait. Son métier, il pourrait en parler pendant des heures. Puis finalement, le métis se permit de lui demander ce qu’il venait faire ici. Peut-être que le brun avait des problèmes à oublier et qu’il préférait écouter les problèmes des autres plutôt que de raconter les siens. « J'apprécie les marins fous et j'sentais qu't'en étais un. » Il approuva d’un signe de tête, sans s’empêcher de sourire. « J'suis content de pas m'être planté. T'as pas envie d'faire une folie avec moi et qu'on prenne le large un peu ? » Milo plissa les yeux, la main qui tenait sa bière en l’air alors qu’il réfléchissait un instant. Il vint finalement finir son mouvement pour boire une gorgée de la bière qu’il termina dans la foulée. « Si tu veux. » lança-t-il dans un haussement d’épaule alors qu’il s’était redressé. « Tu m’aides ? » dit-il en se retournant vers Levi qui était resté derrière lui. Un voilier de cette ampleur avait toujours besoin de plusieurs mains pour se lancer. Et après quelques déroulages de cordes, un moteur lancé et une ancre levée, le voilier imposant quitta le port. A la barre, Milo regarda Levi du coin de l’œil. « Qu’est ce que tu veux fuir ? » demanda-t-il finalement, espérant que les deux hommes puissent arriver à parler sans détour.

Milo semblait porter de nombreux bagages, desquels il ne s'épanchait pas spécialement, ce qui n'était pas forcément pour me déplaire ni me vexer. J'adoptais la même attitude, restant plutôt évasif sur mon passé et des faits trop déterminants de mon présent. Ce qui m'intéressait plutôt, c'était l'instant actuel, celui où je pouvais partager quelques bières avec un marin selon lui assez déluré et, je l'espérais, pouvoir potentiellement prendre la mer. Je remarquais que de nombreux points communs s'imposaient déjà entre nous deux : nous apprécions la mer, avions fait partie de la Royal Navy et ne nous prêtions pas à une autobiographie en plusieurs volumes dès la première rencontre.

Finalement, je jouais ma chance en suggérant à Milo que nous prenions un peu le large. J'étais persuadé que le Gina méritait une petite excursion et personnellement, je trépignais l'impatience de voguer l'océan. Je n'avais malheureusement pas de navigateurs dans mon répertoire et il m'était plutôt inconcevable de lever l'ancre seul vu mon état de santé assez précaire. « Si tu veux. » Si Milo paraissait plutôt nonchalant, haussant une épaule après avoir terminé sa bière, un large sourire vient s'installer sur mon portrait, comme si le jeune homme s'était transformé en Père Noël. « Top ! » Je me réjouissais tout en me préoccupant de préparer le navire alors que le militaire sollicitait mon aide. Sans doute remarquerait-il à ma manière de me déplacer sur son bateau et comment je maniais les outils de ce dernier que j'étais loin d'être novice en la matière, mais peut-être avait-il pu l'augurer puisque je possédais moi-même un navire. Le brun s'installa à la barre et je fermais les yeux, bercé par la mélodie du moteur et le reflux des vagues se cassant davantage contre la coque. « Qu’est ce que tu veux fuir ? » Un léger rire fila entre mes lèvres et je respirais profondément l'air marin, contemplant le port qui s'éloignait de plus en plus, chaque mètre gonflant mon cœur de béatitude.

« La constance, » je présentais, songeur. Je n'aimais pas la routine, j'avais longtemps abhorré la ville. Je détestais les conformités, les lois, les mœurs, la société. J'étais un ours mal léché, un rebelle, un téméraire. Il me fallait des défis et le seul challengeur que j'appréciais demeurait la nature, particulièrement sous la forme de la mer. « J'ai passé la majorité de ma vie sur la mer. C'est ma nature, être sur l'eau. J'ai été enrôlé à mes seize ans puis trois ans plus tard, j'ai décidé de parcourir le monde sur Cadence. » Je démontrais du menton mon propre moyen de locomotion, ayant conscience que je venais de révéler à demi-mot que j'étais aussi militaire. La nostalgie m'étreignait, se lisait aisément sur mes traits. J'avais essuyé d'innombrables mésaventures mais dieu que je chérissais cette période. « J'ai traversé l'Atlantique en solitaire puis j'ai hiverné 130 jours dans les glaces du Groenland, » je décrivais, l'émotion faisant pétiller mon regard. « Ensuite, je me suis dirigé vers Cap Horn et l'île de la Déception. » Je souris doucement. « Mon prochain projet c'est le passage du Nord-Ouest, » je lui confiais, plein d'espoir. Pour cela, il fallait que je gagne la santé. Je décapsulais deux nouvelles bières et en tendais une à mon interlocuteur. « Et toi, t'es des projets du style ? Une envie de future destination ? T'as déjà été où j'suis allé ? » J'interrogeais curieusement. Clairement, la navigation me déliait davantage la langue, preuve qu'être en mer me rendait spontanément plus heureux, plus vivant, plus naturel. Une métamorphose digne de quelqu'un qui retrouve son chez soi, quand bien même le mien se représentait par les vagues.

sunday with a flu -- @Levi Lionhart  

☽ 20 avril 2021. Si les traits tirés de Milo pouvaient trahir ce qu’il renfermait à l’intérieur, le militaire n’était pas prêt de se confier à un inconnu. Pour autant, il accueillait Levi avec un sourire, emballé à l’idée qu’il pourrait boire accompagné pour une fois. Ces derniers temps, le métis buvait de plus en plus, des travers qui lui rappelaient son père même si Michael Wilson n’avait jamais été vu ou perçu comme un ivrogne. Peut-être était-ce le cliché du militaire aux traumatismes qui hantait les pensées de Milo à ce moment-là. Toutefois, il en avait beaucoup à gérer et l’idée de se perdre dans une conversation tout à fait anodine lui plaisait bien. Pendant un instant même, Milo crut reconnaître Levi mais c’était probablement la connexion psychique qui était en train de se créer entre deux hommes qui se ressemblaient plus qu’ils n’auraient pu le croire à premier abord.

C’était en finissant sa bière que le métis s’était levé pour lever l’ancre. Il ne l’aurait jamais fait tout seul, et à ce moment précis de la fin de journée, mais soit. « Top ! » Milo lui accorda un regard de biais, intrigué par ce drôle de personnage. S’il n’avait pas été entraîné à se battre, il se serait inquiété que cet inconnu veuille l’amener au large pour le tuer. Il secoua la tête pour se retirer cette pensée saugrenue, alors que les deux matelots préparaient la Bête à naviguer. C’était une fois à flot que Milo se permit une question large, Levi pouvait répondre comme il le souhaitait : aucun malaise n’était à prévoir avec ce genre de questions. « La constance » Le brun avait donc opté pour une réponse large aussi, probablement peu à l’aise à l’idée de se confier à un inconnu et ça, c’était quelque chose que Milo pouvait comprendre, mieux que n’importe qui. « J'ai passé la majorité de ma vie sur la mer. C'est ma nature, être sur l'eau. J'ai été enrôlé à mes seize ans puis trois ans plus tard, j'ai décidé de parcourir le monde sur Cadence. » Milo ne quittait pas des yeux la mer devant ses yeux, même après les confidences de son acolyte du soir. « J'ai traversé l'Atlantique en solitaire puis j'ai hiverné 130 jours dans les glaces du Groenland, » Un Crusoe de la mer, un être solitaire qui savait apprécier les bienfaits de l’océan. « Ensuite, je me suis dirigé vers Cap Horn et l'île de la Déception. ---Mon prochain projet c'est le passage du Nord-Ouest, » Milo comprenait maintenant l’aisance de Levi à aborder des inconnus, ce n’était pas donné à tout le monde mais quand les gens parcourent le monde, ils apprennent plus facilement à s’ouvrir aux autres, et ce qui peut leur paraître normal et anodin, l’est beaucoup moins pour des sédentaires. Milo attrapait la bière que Levi venait de lui ouvrir, et il le remerciait d’un mouvement de tête, réfléchissant encore à tout ce qu’il venait d’énoncer. « Tu n’as jamais un pied au sol donc, à ce que je comprends. » commenta-t-il finalement avant d’enfiler le goulot au bord de ses lèvres et prendre plusieurs gorgées de bière. Il redressa sa tête, et finit par poser les yeux dans ceux de son interlocuteur. « Et toi, t'es des projets du style ? Une envie de future destination ? T'as déjà été où j'suis allé ? » Milo pencha la tête légèrement, réfléchissant à cette question, il reposa ses yeux droits devant lui. Il arrivait à comprendre dans la voix de Levi qu’ils partageaient tous les deux cette plénitude d’être sur l’eau, et ce n’était pas un sentiment donné à tout le monde. « A chaque permission, j’ai pour habitude de prendre ma moto et de rouler des jours à travers l’Australie, ou même sur les quelques pays auxquels on pose le pied plusieurs semaines parfois. » dit-il d’abord, les yeux perdus dans ses souvenirs. « Depuis mon plus jeune âge, je voyage. Je n’ai jamais un pied à terre non plus, j’ai l’impression de m’entendre. Pas vraiment sur les destinations que tu m’as dit, mais sur l’intonation que tu mets dans tes mots. » Milo finit par tourner la tête pour le regarder. « T’as l’âme d’un vrai voyageur, de quelqu’un qui a cette ouverture d’esprit. Et pour te répondre, je ne connais pas ces endroits. J’ai été beaucoup vers les States, ou l’Asie en général, un peu d’Europe aussi. » dit-il, affichant pour la première fois un sourire qui ne traduisait pas toute la tristesse qu’il détenait en lui depuis des semaines. Il parlait de voyage, donc forcément son âme était plus alléger. « Tu fais donc tout ça sur Cadence… Ca donne envie. Je n’ai encore jamais pris le temps de voyager avec Gina exceptée sur les côtes australiennes. » finit-il par avouer, une moue sur le visage, il reposa son regard face à lui.

Un franc enthousiasme me saisissait tout entier dès lors que Milo acceptait de lever l'ancre en ma compagnie. Je l'aidais à préparer le navire et nos deux expertises à l'unisson, Gina ne tarda pas à couper les vagues usant les pontons boisés de la marina. J'inspirais profondément l'air salin, fermant temporairement les yeux pour m'enivrer des sensations spécifiques d'un départ en mer, bien que j'avais conscience que celui-ci serait malheureusement de courte durée. J'étais heureux et fier de ce que j'avais bâti à Brisbane, mais la navigation me manquait cruellement. J'avais le sentiment que la maladie m'avait cloué au sol tout en m'imposant dans une détestable camisole de force, et je remerciais le Ciel que mon entourage - en particulier Asher - m'aidait à conserver le peu de santé mentale que je détenais. Sans mon amant, j'aurais probablement vrillé et quitté la ville australienne ainsi que les traitements que j'y recevais pour périr sur ce même océan qui m'avait vu renaître des décennies plus tôt.

Je relatais à Milo des bribes de mon passé, de mon enrôlement à mes voyages téméraires au sein de notre planète. J'en avais vu de toutes les couleurs durant mes épopées, mais j'en étais fier et les chérissais tels les butins d'un pirate. « Tu n’as jamais un pied au sol donc, à ce que je comprends. » Le brun voyait juste et j'acquiesçais, sourire en coin aux lippes. « Je préfère la mer à la terre. » Mes doigts caressaient distraitement la rembarde et je contemplais promptement le futur. Si je parvenais à terrasser le cancer une deuxième fois, j'ignorais comment je pourrais concilier ma passion et ma relation avec Asher. Je doutais que celui-ci accepte de vivre en mer. De plus, j'avais également la musique qui me sommait de passer un certain temps sur terre. Peut-être devrais-je aménager mon emploi du temps et relayer définitivement mon entrain pour voguer les océans au rang de passion et non de mode de vie.

Ne souhaitant pas m'attarder davantage sur le conditionnel, je questionnais Milo sur ses anciennes et futures destinations. « A chaque permission, j’ai pour habitude de prendre ma moto et de rouler des jours à travers l’Australie, ou même sur les quelques pays auxquels on pose le pied plusieurs semaines parfois. » Je haussais les sourcils, intéressé. Je n'avais jamais tenté la moto mais l'idée me séduisait. « Depuis mon plus jeune âge, je voyage. Je n’ai jamais un pied à terre non plus, j’ai l’impression de m’entendre. Pas vraiment sur les destinations que tu m’as dit, mais sur l’intonation que tu mets dans tes mots. » Je souriais au garçon, satisfait de nous découvrir des points communs. « T’as l’âme d’un vrai voyageur, de quelqu’un qui a cette ouverture d’esprit. Et pour te répondre, je ne connais pas ces endroits. J’ai été beaucoup vers les States, ou l’Asie en général, un peu d’Europe aussi. Tu fais donc tout ça sur Cadence… Ca donne envie. Je n’ai encore jamais pris le temps de voyager avec Gina exceptée sur les côtes australiennes. » Mon regard se posa sur l'horizon, à l'image de Milo dont même le flux et reflux des vagues ne semblaient apaiser les maux. « Il n'est jamais trop tard. » Je remarque. « J'peux même t'accompagner si tu veux, » j'offre spontanément. « Ca fait longtemps que t'es dans l'armée ? » J'interroge avec curiosité, considérant le fait que l'homme devait posséder une sacrée carrière pour être amiral fusilier marin. « Tu as préféré quoi entre les States, l'Asie et l'Europe ? » Je poursuis avant de porter ma bière fraîche à mes lèvres.

sunday with a flu -- @Levi Lionhart  

☽ 20 avril 2021. Milo avait trouvé réconfort sur le Gina. Il avait, dans une impulsion, loué une villa en bord de mer où il avait posé quelques cartons et affaires en vrac. Mais le seul endroit où il avait un semblant de sécurité était dans ce vieux bateau où certains souvenirs avec son père se cachaient. Il gardait encore quelques belles images du père qui lui avait pourtant pourri la vie post-mortem. Le métis se perdait au fur et à mesure que les jours passaient, et pourtant il ne refusait pas la compagnie d’un homme qui semblait tout aussi paumé que lui. Le militaire se complaisait dans la solitude, ce n’était pas quelque chose qui lui avait déjà fait peur auparavant. Les jours passés et la seule chose qui le rendait un minimum vivant était le peu de temps que Zoey lui permettait d’avoir avec Lou. Tout autour, plus rien ne comptait, même pas ses discordes avec Giulia ou même Kendall. Milo tentait difficilement d’oublier cette clé de Damoclès qu’il avait au-dessus de la tête. La menace qui pesait sur sa famille était en train de lui revenir de plein fouet au visage et Milo était en train d’enfouir ses craintes au plus profond de lui – même un thérapiste avisée ne saurait quoi faire des démons du Wilson.

« Je préfère la mer à la terre. » fut une remarque que Levi fit et que Milo apprécia. C’était toujours ce qu’il avait dit et ressenti au plus profond de lui-même. Milo avait donc retenu un sourire amusé entre ses lèvres, regardant ses pieds un instant. Il pensait exactement comme cet inconnu, mais n’en dit pas plus. De toute manière, le reste de la conversation allait faire comprendre au jeune homme de quel acabit Milo était – un vagabond sans ancre planté nulle part. Jamais. « Il n’est jamais trop tard. » avait fini par dire l’étranger alors que les deux hommes fixaient l’horizon. Milo n’avait jamais eu le temps de récupérer le Gina, le laissant en réalité à Garrett. « J’peux même t’accompagner si tu veux, - ça fait longtemps que t’es dans l’armée ? » Milo avait tourné la tête pour regarder Levi, intrigué par tant d’en train alors qu’ils ne se connaissaient pas. « Tu partirais avec un inconnu ? » lança-t-il, curieux de cerner le personnage qui se dressait à côté de lui. « Plus de vingt ans monsieur, c’est dans mes gênes. » ajouta-t-il finalement, repensant à son père qui l’avait été avant lui, Milo avait suivi ses traces, sachant pertinemment depuis le plus jeune âge qu’il suivrait les sillons de son paternel. « Tu as préféré quoi entre les States, l’Asie et l’Europe ? » Un sourire plus détendu s’afficha sur le visage du militaire, voilà un sujet qui était plus enclin aux bonnes réponses. « J’ai beaucoup aimé les States, et non pas pour les destinations touristiques qu’on lui connaît – mais la vieille terre, le fin fond de l’Oregon où mon grand père m’apprenait à pêcher. Ou encore les routes infinies où tu penses être le seul homme vivant dans les 100 kilomètres à la ronde. » répondit-il avec un regard rempli de paillettes. « Mais je crois que je trouve toujours quelque chose d’inédit et de palpitant dans toutes mes destinations, peu importe le continent. » enchaîna-t-il finalement en haussant les épaules, tant qu’il était ailleurs, c’était le principal. « Et toi Levi ? J’ai l’impression de beaucoup parler de moi… » ajouta-t-il en lui donnant un coup de coude léger pour le taquiner, l’incitant à s’ouvrir à lui à son tour.  

A mon plus grand ravissement, nous nous distancions à bord du Gina de la marina. Le bateau épousait le flux et le reflux des vagues, l'air salin nous enveloppait avec davantage d'insistance. Je portais ma bière à mes lèvres, le goût interdit de l'idéal me saisissant.

Prendre la mer me manquait irrémédiablement. J'avais élu domicile à Brisbane il y avait presque trois ans maintenant et je regrettais ne pouvoir arpenter les mers et océans comme je m'y étais toujours senti épanoui pour ces sinistres raisons de santé qui me clouaient sur la terre ferme. Mes projets maritimes demeurés en stand-by crevaient mon âme d'une amertume sans faille, pansée ce jour par cette escapade inattendue aux côtés du Wilson.

Je m'intéressais au projet du navigateur puis rebondissais derechef sur ses propos comme quoi il n'avait jamais pris le temps de voyager avec le Gina. « Tu partirais avec un inconnu ? » me lance-t-il et un rire s'échappe de mes lippes. « J'te vois pas vraiment comme un inconnu. Un méconnu au pire, » je qualifie avec espièglerie. « Notre passion commune m'encourage, » je justifie avec un haussement nonchalant d'épaules. Milo m'apprend par la suite que l'armée est dans ses gênes et je prends une nouvelle gorgée de mon rafraîchissement en guise de réponse. Pour ma part, la marine marchande n'appartenait en aucun cas à mon patrimoine génétique : elle avait composé la parfaite occasion pour mes parents de se débarrasser de ma personne. J'admirais toutefois les vingt années que le brun avait passé en tant que miliaire. « T'as jamais voulu faire autre chose ? » J'interroge avec curiosité avant de lui demander sa destination favorite parmi celle qu'il m'avait listées. « J’ai beaucoup aimé les States, et non pas pour les destinations touristiques qu’on lui connaît – mais la vieille terre, le fin fond de l’Oregon où mon grand père m’apprenait à pêcher. Ou encore les routes infinies où tu penses être le seul homme vivant dans les 100 kilomètres à la ronde. Mais je crois que je trouve toujours quelque chose d’inédit et de palpitant dans toutes mes destinations, peu importe le continent. » Au regard étincelant de nostalgie et bons sentiments de mon interlocuteur, je devinais que celui-ci détenait des trésors familiaux sous la forme de souvenirs. J'appréciais son audace ainsi que sa capacité à savourer sa solitude. « Et toi Levi ? J’ai l’impression de beaucoup parler de moi… » Je ris de nouveau puis plantais mon regard sur l'horizon. « C'est que j'te pose beaucoup de questions, » j'accusais. « Qu'est-ce que t'aimerais savoir sur moi ? » Je questionnais en lorgnant le trentenaire. « C'est assez linéaire : Londres jusqu'à mes seize ans, puis la mer jusqu'à mes trente-deux ans avec quelques arrêts ici et là, puis Brisbane jusqu'à aujourd'hui. » Je présentais en appuyant chaque étape d'un doigt de ma main que je levais.