« J’ai des courses à faire, si c’est aussi calme dans une heure, tu pourras fermer plus tôt. » Je regarde Bernie prendre sa veste et se diriger vers la sortie. « N’oublie pas d’acheter de la crème adhésive pour le dentier ! » Il me fusille du regard et quitte le magasin me laissant seul avec mon sourire satisfait sur le bout des lèvres. Le tintement du carillon résonne alors à nouveau dans la pièce, mais cette fois-ci ce n’est pas Bernie. Un blondinet fait irruption dans la salle, nos regards se croisent brièvement avant qu’il ne tourne la tête pour reporter son attention sur le nombre incalculable de dvd qui s’offre à lui. Il ne fait pas partie des clients réguliers, pourtant sa tête m’est familière. Je reste assis derrière le comptoir tandis que sa silhouette disparait peu à peu derrière l’un des nombreux rayons. Mes yeux viennent se poser sur l’écran de vidéo surveillance, je fais défiler les images à l’aide du curseur jusqu’à ce que je tombe sur celle du rayon dans lequel il se trouve. Bingo. Il a l’air perdu, j’ai l’impression de me revoir quelques années plus tôt, lorsque j’ai mis les pieds ici pour la toute première fois. C’était à mes yeux, ce qui se rapprochait le plus de la caverne d’Ali Baba. Un paradis pour le cinéphile que j’étais en train de devenir. Et même si, à présent, l’endroit n’a plus aucune surprise pour moi, ça n’enlève en rien la nostalgie qui émane de ce lieu. J’crois aussi que c’est pour cela que les gens continuent de venir ici, que le navire ne coule pas malgré l’effervescence des plateformes de streaming. Je décide de me lever pour aller lui venir en aide, peut-être que ça me permettra aussi de mettre un prénom sur son visage. Je déteste avoir la sensation de connaitre une personne sans pour autant arriver à mettre le doigt sur l’endroit où j’ai bien pu la croiser. C’est presque pire que d’avoir une chanson en tête et de ne pas trouver le titre. « Salut, je peux t’aider ? » Il ne se retourne pas, n’a pas l’air d’avoir remarqué ma présence. Je me racle la gorge, le genre de raclement gênant qui n’a pour but que de manifester sa présence. « Tu trouves ton bonheur ? » Il doit se sentir observé car il se retourne et enlève ses écouteurs. Je lève un sourcil et fait un geste de la main pour le saluer. « Bonjour, vous n’auriez pas une comédie à me conseiller ? » me demande-t-il assez timidement. J’ai envie de lui dire qu’il peut me tutoyer, que son vouvoiement vient de me faire prendre dix années dans la tronche mais je m’abstiens et passe mon index sur la tranche des dvds, la tête penchée pour arriver à en lire l’intitulé. « Very Bad Trip est pas mal, ça demande pas beaucoup de réflexion. » J’attrape la jaquette avant de me rendre compte de la connerie que je viens de sortir. « J’veux pas dire que t’as l’air d’être du genre à ne pas vouloir réfléchir. Juste qu’en général les gens regardent des comédies surtout pour se vider la tête. » Dis-je plus pour me rattraper qu’autre chose. Je lui tends la jaquette, qu’il prend pour y lire le résumé. J’en profite alors pour détailler son visage un peu plus longtemps jusqu’à ce que les murs du vidéo club se changent en celui du ras-le-bol. Putain mais oui, c’est lui. Le serveur du petit restaurant au nom atypique, celui dont raffole Bernie. Il jette un coup d’œil sur sa montre alors que je détourne rapidement le regard. « Oh mince je suis en retard. » Je cherche l’horloge des yeux, il est presque 18h, heure à laquelle il doit sûrement reprendre du service. Heureusement pour lui, le restaurant n’est qu’à quelques minutes à pieds d’ici, s’il se bouge un peu, y’a moyen qu’il ne se retrouve pas SEF (sans emploi fixe) d’ici la fin de la journée. « Merci pour vos conseils, j’avais pas vu l’heure je suis super en retard, je repasserai une prochaine fois pour ce dvd » Le vouvoiement me fait à nouveau grimacer, j’attrape le dvd qu’il me remet dans les mains et le regarde filer. Sa façon de courir me fait sourire, je l'observe faire un signe de la main au bus qui le devance, espérant qu’il s’arrête pour lui faire gagner quelques minutes, pas assez pour essuyer son retard mais suffisamment pour qu’il ne fasse pas engueuler par son patron. Le bus s’arrête et il disparait, pour de bon cette fois. Je m’apprête à remettre le dvd à sa place lorsque j’entends un semblant de musique, juste assez fort pour me faire tourner la tête sur l’étagère de derrière. Son ipod trône sur la duologie de « Bienvenue à Zombieland », je ne peux m’empêcher de mettre les écouteurs, bien trop curieux de connaitre la chanson qu’il était en train d’écouter. J’appuie sur précédent et me laisse emporter par le son entrainant de la découverte que je viens de faire. C’est pas mon style, pas du tout même, mais y’a un truc qui m’donne envie de l’écouter jusqu’au bout. Ça lui va bien d’écouter ce genre de tube, je l’imagine bien danser dessus, il ne dégage aucune assurance, mais ça a l’air d’être le genre de mec à ne pas avoir de mal à danser en soirée. Pas comme moi. J’ai toujours eu un faible pour les playlist, c’est d’ailleurs l’une des premières choses que j’demande à voir lorsque je rencontre quelqu’un. Il y a des sons, des paroles qui en disent bien plus sur une personne que ce qu’elle veut bien laisser paraitre. J’ai toujours prôné le proverbe suivant : « Dis-moi ce que si se trouve dans ta playlist et je te dirai qui tu es », oui, je sais, Victor Hugo n’a jamais dit ça, mais c’est presque pareil. C’est beaucoup plus révélateur que de dévoiler qui l’on aime. Good Vibes de HRVY se termine pour laisser place à With Or Without you, l’une de mes chansons préférées. Je dépose le dvd sur le comptoir et décide de faire un tour dans les rayons afin de ranger les jaquettes délaissées par des clients indécis et bien trop flemmards pour remettre les dvd à leurs places. Les minutes passent et les chansons de la playlist défilent me faisant passer du rock à de la pop, de la pop à de la soul, de la soul à du classique et du classique à du Britney Spears.  Je m’attendais pas à tomber sur du Baby one more time et encore moins à ce qu’elle laisse place à Toxic. Deux chansons d’elle à la suite sur vingt-huit, c’est qu’il doit sacrément l’aimer même si elle a l’air de faire concurrence à Taylor Swift qui détient aussi deux titres à elle toute seule. La compétition semble rude entre les deux blondes, faut croire que j’ai mis le doigt sur son style de nana. Ça me donne une idée, je fouille le rayon de musique et attrape un dvd pour l’ajouter à celui que j’ai gardé sur le comptoir. J’ouvre la jaquette, prend un stylo ainsi qu’un morceau de papier sur lequel j’y inscris un message avant de refermer la boite et de jeter un coup d’œil à l’horloge. 19h30, le vidéo club est vide depuis un moment déjà ce qui veut dire que je peux fermer le magasin et prendre ma soirée. Je range les deux dvd dans la poche avant de mon sac, enlève mes chaussures pour les foutre à l’intérieur de celui-ci avant d’enfiler ma paire de roller. Un dernier coup d’œil dans le magasin pour vérifier que je n’ai rien oublié, je tourne la pancarte  pour informer la fermeture imminente du magasin et verrouille la porte derrière moi, les écouteurs toujours dans les oreilles. Ain’t No Mountain High Enough est la chanson parfaite pour rider jusqu’au restaurant, je me souviendrai toujours du jour où j’ai vue Sister Act 2 pour la toute première fois. Je crois que c’est d’ailleurs l’un des seuls films que j’ai regardé avec ma mère, j’ai toujours adoré le gospel. Môme, je trouvais ça bien plus cool que ce que je pouvais faire en tant qu’enfant de chœur, les louanges étaient barbantes à souhait, tout ce que je voulais c’était retrouver la même ambiance que celle que Whoopi Golberg avait bien pu mettre dans ce film. Je voulais chanter des chants religieux revisités, des trucs qui donnent envie de chanter à l’unisson. C’est dix minutes plus tard que j’arrive devant le restaurant, je m’assois sur le banc pour remplacer mes rollers par ma paire de chaussure avant d’entrer et de trouver une place non loin de ce qui trouve être la cuisine. Je prends place sur la banquette et jette un rapide coup d’œil à la carte. En réalité, il n’y a pas un plat que je ne connais pas déjà. Je les ai tous goûté, surtout à cause de Bernie qui adore prendre sa pause ici. Moi j’aime surtout l’accompagner pour pouvoir l’aider à faire sa critique culinaire sur Tripadvisor. Le détenteur de l’ipod ne semble pas être là, peut-être qu’il s’est fait virer finalement ? Si c’est le cas, je compte bien dire à Bernie de supprimer tous les avis positif qu’il a pu mettre au sujet de ce restaurant. Je m’apprête à faire demi-tour lorsque je le vois sortir de la cuisine, les mains prises par le plateau sur lequel il a l’air d’avoir mis toute son attention. « Je suis à vous dans deux minutes monsieur » Il est tellement obnubilé par les bols qu’il s’apprête à servir, qu’il ne m’a même pas reconnu. « Monsieur », bordel mais si ce type avait été pote avec Benjamin Button, j’mets mes deux mains à couper qu’il serait resté vieux tout au long du film. « Je vous écoute » ses yeux sont rivés sur le petit carnet, je me retourne vers lui et me racle la gorge une nouvelle fois. « Je prendrai bien le Britney bol, celui dont le contenu m’a l’air un peu toxic. » J’enroule les écouteurs autour de l’ipod et le pose sur la table. « Je suis content de voir que tu travailles toujours ici, j’ai bien cru que ton patron allait te dire que toi et ton job are never getting back together. »  Je m’arrête là, parce que la tête qu’il fait est à mourir de rire. « Sinon, pour la commande, je te laisse choisir. Je t’ai conseillé un film, à toi de me conseiller un plat. » dis-je alors que je me penche pour sortir deux dvd de mon sac à dos.
 

« Oh mais c’est mon Ipod !! Merci beaucoup je pensais que je l’avais définitivement perdu »  Et la bonne action de la journée est décernée à Garret Oxton que je pense alors que j’observe le serveur qui semble mi surpris, mi heureux d’avoir retrouvé son ipod. Une antiquité, que peu de gens utilisent encore de nos jours. Je trouve que ça en dit beaucoup sur sa personne, je l’imagine bien avoir gardé un grand nombre d’objet de son enfance, tout ce qui peut avoir une valeur sentimentale à ses yeux. Peut-être que je me trompe, peut-être pas mais il m’a pas l’air si vieux, peut-être même qu’il est plus jeune que moi et ça fait bien longtemps que notre tranche d’âge a délaissé les vieux ipods  pour un abonnement spotify. Tout le monde, sauf lui apparemment.  « Ah mais euh oui oui je me souviens de vous, enfin de toi, tu bosses au vidéoclub ! Gaspard c’est ça ? » Toi, il a dit toi. Tout d’un coup j’me sens beaucoup plus jeune, c’est que j’ferais presque mon âge. Presque, parce que j’ai toujours eu un problème avec ça. La puberté n’a pas été très généreuse avec moi. J’ai vingt-six ans, pourtant j’en fais toujours vingt. J’me suis longtemps demandé si la testostérone avait une date de péremption, parce que j’ai bien l’impression que mes hormones ont cessé de fonctionner lorsque j’ai soufflé ma vingtième bougie. À tel point qu’il m’arrive encore d’avoir à montrer ma carte d’identité pour acheter une bouteille d’alcool ou un paquet de clope. C’est très gênant, surtout lorsque je suis accompagné, ça m’renvoit l’image d’un adolescent prépubère, ce qu’il m’arrive d’être encore parfois surtout lorsque je fais tout pour avoir le dernier mot. Je relève mon visage dans sa direction et fronce les sourcils, il m’a vraiment appelé Gaspard ? De tous les prénoms masculins qui commencent par la lettre G, c’est Gaspard qu’il a choisi. Heureusement que j’ai pas encore commandé de quoi boire, parce que j’aurais sûrement fini par tout recracher dans mon verre. « Garret, à quelques lettres près ça aurait pu marcher. » J’souris alors que je croise le regard d’un vieux qui n’a pas l’air super content du service. Il souffle, regarde le garçon avec insistance le mec qui est en train de prendre ma commande, mais j’m’en moque, chacun son tour, il devra prendre son mal en patience. « Et l’fan de Britney se nomme comment ? » J’compte plus le lâcher avec ça, c’est mort, ça m’fait beaucoup trop rire pour que je puisse passer à autre chose. J’espère qu’il sait que je le charrie, je m’arrêterai peut-être un jour si j’vois que ça le dérange vraiment, mais pour l’instant j’ai envie de savourer la merveilleuse découverte que j’ai pu faire dans sa playlist. « Mon boss était plutôt furax oui j’étais pas mal en retard. Et pour le plat je te conseille il risotto al tartufo bianco, c'est mon plat préféré. Mais il me semble que tu viens souvent ici alors tu l’as peut-être déjà goûté. » Aïe, le pauvre. Je suis bien content d’avoir Bernie pour patron, ça ne me manque pas d’avoir des tortionnaires qui abusent de leur pouvoir en menaçant de renvoyer leurs employés à la moindre petite erreur. Les retards ça arrive, ça m’arrive un peu trop souvent même, pourtant je suis du genre à me préparer en avance, à anticiper la moindre de mes actions, le moindre rendez-vous important, mais je finis toujours par être la bourre. Surtout lorsque j’suis stressé et que j’dois répéter mes gestes à plusieurs reprises pour me rassurer. « Tu veux que je te fasse un mot d’excuse ? » Là encore, je le charrie mais j’peux pas m’en empêcher. Y’a un truc chez lui, une innocence qui a le don de me faire sourire. Le genre de personne qu’on a envie d'envelopper dans du papier bulle. Il risotto al tartufo bianco, je connais ce plat, c’est même mon préféré mais je fais le choix de me taire et de faire comme si je ne l’avais jamais goûté. « Va pour le charabia que tu viens de dire avec une bière bien fraiche en prime, s’il te plait » Je lui tends la carte et je m’apprête à ajouter quelque chose lorsque le vieux de tout à l’heure se met à gueuler. « Serveur, vous allez finir par la prendre cette commande ?! » J’me retourne vers lui et lui montre mon majeur en souriant. « T’es pas dans un fast food ici mon vieux, donc t’es gentil et tu prends ton mal en patience. » Que je lui réponds avant d’ajouter « C’est pas parce que le restaurant se nomme le Ras-le-bol que ça te donne l’droit de gueuler ton mécontentement ! » Il se tait, mais je peux encore l’entendre marmonner dans sa barbe. « Désolé d’être parti aussi vite, c'était pas très sympa, je passerai chercher demain le dvd que je voulais louer. » Mon attention se reporte sur le serveur, alors qu’il tente de mettre court à la conversation. Ce que je peux comprendre, surtout après l’intervention du beauf de service. « Y’a pas de soucis. » J’attrape les deux dvds qui trônent sur la table, Very Bad Trip et puis un petit supplément qu’il m’a semblé bon d’ajouter à la liste. Mon petit doigt m’dit qu’il aura bien besoin de se vider la tête après avoir quitté le boulot. « Tiens, j’ai même ajouté un petit bonus. T’auras qu’à payer lorsque tu me rendras les dvd, sachant que le deuxième est offert pas la maison. » Je souris en voyant Taylor Swift sur la couverture de la deuxième jaquette, le concert dvd qu’il a déjà dû voir à plusieurs reprises sauf qu’à l’intérieur j’y ai ajouté un petit mot, qui je l’espère aura le don de le faire sourire. « Tu finis ton service à quelle heure ? » que je demande, j’ai pas spécialement envie de rentrer tôt ce soir et la soirée ne fait que commencer.

 

« J’avais au moins le début » Il hausse les épaules et je lui donne un point. Il avait la première syllabe, c’est une belle façon de voir les choses, si seulement les profs pouvaient prendre exemple sur lui, je crois que des D- se transformeraient en A+ en un simple claquement de doigts. Le serveur se met à rougir lorsque je fais référence à Britney, un rose presque imperceptible à l’œil nu. ]« Melchior mais je préfère qu’on m’appelle Mel ça sonne mieux. » Mel se sera alors que je pense tandis que mes doigts viennent triturer la serviette en papier. Ça me fait penser à un article que j’avais lu sur un internet après être rentré d’une soirée où une fille, en rigolant, avait mis le doigt sur cette mauvaise manie que j’avais, celle de toujours avoir les mains occupées. Que ce soit avec une cigarette, une bouteille de bière, une paille ou une serviette en papier. J’avais donc tapé quelques mots clés sur internet et j’étais rapidement tombé sur un article d’un psychanalyste, Darian Leader. Rien que son nom en disait long sur sa personne. Dans cet article, il racontait que ce besoin, cette mauvaise habitude involontaire était une manière d’être à la fois connecté et déconnecté des autres. C’est sans doute ma façon à moi d’être sociable sans pour autant me laisser dépasser par la situation. Être présent, sans trop l’être. «  Merci mais ça ira, c’était la première fois que j’étais en retard, l’autre serveuse ne s’est même pas encore pointée donc il passera ses nerfs sur elle quand elle arrivera. Enfin si elle arrive on sait jamais avec cette flemmarde. » Je relève mes yeux gris vers lui, un peu surpris par ses propos. C’est qu’il n’est pas du genre à se laisser faire finalement, un deuxième point pour lui. À bien y réfléchir, il est vrai que je n’ai croisé aucun autre salarié que lui depuis mon arrivée.  Ce qui est fou, lorsqu’on connait la réputation du restaurant et le nombre de couverts qu’ils doivent servir en une journée. Je me retourne vers le mec qui se met à rouspéter et l’affiche devant toute la clientèle. Bordel ce qu’il peut être insupportable quand il s’y met, il me semble que ce n’est pas la première fois que je le vois, ni qu’il se plaint d’ailleurs mais cette fois-ci c’était la fois de trop.  ]« Je suis désolé j’arrive tout de suite monsieur. » J’ouvre la bouche pour objecter mais je finis par m’abstenir. Y’a deux trois petites choses que je vais devoir lui apprendre à Mel, la première étant de ne jamais s’excuser surtout lorsqu’on est pas en tort. Un point en moins. Chasse le naturel et il revient au galop comme on dit.  ]« Désolé d’être parti aussi vite, c'était pas très sympa, je passerai chercher demain le dvd que je voulais louer. »  C’est qu’il s’excuse encore, j’attrape les deux dvd, ceux que j’ai pris pour lui et les lui donne. « J’aurais préféré Britney mais merci quand même » Je ris, parce qu’il joue le difficile mais que sa franchise a le don de me plaire. C’est le genre de type qui ne sait visiblement pas faire semblant, celui qui aurait l’honnêteté de dire qu’il n’aime pas un cadeau au lieu de simuler un sourire satisfait. Très bien, c’est noté pour Britney, j’essayerai de faire mieux la prochaine fois. « A 22h30, ça te dit d’aller prendre un verre quand j’aurai fini ? Je te dois bien ça ». Tu m’dois rien du tout Mel, mais j’acquiesce de la tête, parce que j’ai aussi besoin d’aller boire un coup.  « Alors à tout à l’heure » Je fais un signe de la tête lorsque je le vois s’éloigner et sors mon téléphone de ma poche pour mettre la playlist que Jessy a créé pour le groupe de musique. « Ah ben c’est pas trop tôt ! » J’enlève un écouteur et me retourne vers le vieux pour lui lancer un regard noir. Il paye rien pour attendre celui-là, si j’étais Mel, j’ajouterais un peu trop de sel dans son petit bol. La soirée passe et la seule fois où je croise le regard de Melchior c’est lorsqu’il vient m’apporter ma commande. En dehors de ça, à chaque fois que j’ai relevé la tête du livre que je venais tout juste de commencer, il était soit en train de prendre une commande, soit en train de courir partout avec un nombre incalculable de bols sur ses deux plateaux.  Pas de signe de la serveuse en question, rien. J’espère que les gens seront généreux sur les pourboires ce soir parce que si y’a bien quelqu’un qui semble mériter plus que son salaire, c’est bien lui. Je jette un coup d’œil à mon portable, il est presque 22h30, l’heure pour lui de terminer son service. Je m’essuie les lèvres à l’aide la serviette et range les couverts dans le bol que je dépose au coin de la table. J’attrape la bouteille de bière dont il ne reste plus que le fond et sors dehors. L’air frais me fait frissonner, je coince une cigarette entre mes lèvres que j’allume rapidement alors que j’observe les passants. Il n’y a rien qui peut me rendre plus heureux que de voir la nuit tomber, j’ai toujours adoré l’atmosphère des soirées, des rues pleines de gens heureux d’avoir terminé leur journée de boulot, du vacarme qui émanent des bars, des rires d’un groupe d’amis qui se retrouvent autour d’un verre. « Merci de m’avoir attendu. Tu connais des endroits sympas pour boire un verre ? J’en ai bien besoin vu la semaine que je viens de me taper. » Melchior fait irruption, la mine fatiguée. « Ouais, je connais un bar pas loin où il m’arrive souvent de jouer avec mon groupe. » Je commence à avancer, tirant une latte sur ma clope alors que je lui tends le paquet, plus par politesse que parce que je pense qu’il fait partie de la team des fumeurs. « C’est moi qui offre, prend ça pour un pourboire. Je suis pas sûr que ce soit légal d’avoir une telle charge de travail. » Je le regarde et le tire par le bras lorsqu’un vélo klaxonne derrière nous. Non, je suis pas sûr que ça soit très réglo de laisser une salle pleine de clients à un seul serveur et ce pendant tout le service. « Ton patron n’aurait pas pu remonter ses manches pour remplacer la serveuse en carton ? » Je lui fais signe de tourner à la prochaine intersection, balançant ma bouteille de bière dans une poubelle après avoir bu la dernière gorgée. On marche côte à côte pendant un moment, laissant parfois des silences s’installer entre nous. Bizarrement avec lui, ça ne me dérange pas. Je ressens pas de malaise, ni l’envie de parler pour combler les vides, non c’est presque agréable de ne rien dire et de ne pas être gêné par la situation.

 

 « Un groupe ? C’est super ça. Quel genre de musique ? »  Très bonne question, comment lui décrire l’essence même d’Oxtorm ? Le groupe étant composé de quatre personnes avec des goûts tellement différent qu’il m’est difficile de trouver un adjectif, un seul genre qui pourrait correspondre à notre style de musique. J’ai jamais vraiment été doué pour faire des choix, ni pour synthétiser. « Un peu de tout, ça peut aller du rock au métal en passant par de la folk. Tu devrais venir nous voir un de ces quatre, parce que j’suis naze pour vendre le groupe » Je tire sur ma cigarette, deux invitations en l’espace de quelques heures ça fait beaucoup. Beaucoup trop pour quelqu’un comme moi, mais il l’air d’avoir besoin de se changer les idées et puis j’ai comme l’impression que la serveuse le laissera tomber une nouvelle fois et qu’il se retrouvera encore à devoir passer un service de merde. Parce qu’il n’a pas l’air de dire grand-chose, Melchior. Bien trop bon pour ce monde. « C'est pas normal ça c'est sûr.» Alors pourquoi il ne dit rien ? Pourquoi il a la fâcheuse tendance à s’excuser même lorsqu’il n’a rien fait de mal ? Je gueule au cycliste de faire attention lorsqu’il est à deux doigts de lui tailler un short et reporte mon attention sur le serveur qui semble trop crevé pour s’apercevoir de quoi que ce soit. « Merci je l’avais pas vu » Je sais pas si c’est une bonne idée d’aller boire un verre finalement, la fatigue et l’alcool n’ont jamais fait bon ménage. Je risque de le ramasser à la petite cuillère. Il a la gueule d’un mec bien trop sage pour tenir l’alcool, je paris deux twix et un mars qu’il finira sa nuit la tête collée à la cuvette. Je le regarde prendre une cigarette de mon paquet, ça me surprend mais je ne dis rien. Il allume le bâton tandis que je l'observe du coin de l’œil m'attendant à le voir s’étouffer mais il inhale la cigarette sans broncher.  Pas si sage que ça, finalement. « Merci, c’est plus dans mes habitudes de fumer mais j’en ai bien besoin là. Je suis lessivé avec tout ça. » Lessivé, c’est le terme approprié. Avec tous les aller-retours qu’il a fait durant son service, ça me fait un peu penser au linge qui fait des tours dans le tambour de la machine à laver. « Pourquoi tu t’efforces à bosser là-bas ? T’as pas envie de changer, de faire quelque chose qui te plait ? » C’est l’hôpital qui se fout de la charité, c’est pas comme si j’avais le job de rêve. J’adore Bernie, j’adore le vidéoclub mais c’est loin d’être le boulot qui paye le mieux. J’ai de la chance d’avoir un patron qui me respecte assez pour ne pas me traiter comme le dernier des sous-fifre, je suis pas sûr que ce soit le cas de Melchior. J’ai jamais vu la gueule de ses boss, il parait que c’est une histoire de famille. « Les gérants du restau ne sont jamais là. Enfin ils passent à l’improviste pour critiquer mais ça s’arrête là. Et le manager est incompétent, il est toujours à côté de la plaque. Je suis plus efficace seul plutôt qu’avec lui. » Les fameux gérants, encore des gens friqués qui ont voulu ouvrir un restaurant sans avoir envie de s’en occuper. Ces personnes qui ont le nez trop près du visage pour réaliser que si le restaurant marche, c’est en grande partie grâce aux salariés et non pas grâce à eux et leur mauvaise volonté. Je tire une latte sur ma clope et l’écrase sur le recoin d’une poubelle. «Enfin bref, je parlerai à la serveuse demain, sinon j'irai me plaindre aux patrons, ça finira par s'arranger» Le fera-t-il vraiment ? J’en doute, et puis je connais pas la serveuse en question mais je me dis que si elle a assez de culot pour le laisser en plan alors c’est qu’elle n’aura pas de mal à le remettre à sa place. Quant aux patrons, y’a pas besoin de bosser là-bas pour comprendre qu’ils sont doués pour faire dans le favoritisme. Melchior semble n’avoir aucune chance, mais là encore, je ne dis rien. Il a l’air assez saoulé comme ça et puis j’ai pas franchement envie de gâcher la soirée. « J’ai vu que t’écoutais de la musique tout à l’heure pendant le service, t’écoutais quoi ? » Je m’arrête pas loin de l’entrée du bar et sors mes écouteurs ainsi que mon portable de la poche arrière de mon jean. « Tiens, écoute. » Je jette un coup d’œil sur les écouteurs pour en vérifier le sens et les lui mets dans les oreilles.  Il ne le sait pas, mais il est en train d’écouter ma musique préférée. Et c’est peu dire, c’est la bande son de ma vie. J’ai jamais su faire de choix mais si y’en a bien un que je peux faire c’est celui-ci. Hans Zimmer, l’homme qui se cache derrière ma passion pour le cinéma. J’ai découvert son secret sur Britney Spears et Taylor Swift alors j’ai pas de mal à lui montrer qu’il m’arrive aussi d’écouter autre chose que du rock ou de la folk, bien plus que ce que je peux bien laisser paraitre. Je passe mes mains dans mes poches, n’osant pas trop scanner sa réaction. « Sinon en général j’écoute des musiques en fonction du mood dans lequel je suis. » que je lui dis une fois que la musique est terminée. Je reprends mon bien et ouvre la porte du bar le laissant passer devant moi. « Tu veux boire quoi ? »  Je salue le barman de la main et nous fraye un passage jusqu’au comptoir où je prends place. Ce soir, c’est soirée année 90. La moyenne d’âge des gens qui nous entourent n’est pas très éloigné de ce qui semble être la nôtre. Je commence déjà à mourir de chaud et l’attroupement au comptoir n’arrange rien. C’est les dernières minutes de l’happy hour, où ce que j’aime appeler :  l’heure de pointe des alcoolos. « T’habites loin ? » La règle n°1 avant de commander son premier verre c’est de savoir comment rentrer chez soi.
 

 « Avec plaisir, ça a l’air sympa d’avoir un peu de tout et de pas rester que sur un seul genre. » J’acquiesce car je ne saurais dire mieux. J’ai toujours trouvé ça réducteur que de n’écouter qu’un seul genre de musique. Premièrement, ça doit être sacrément redondant et la monotonie m’a toujours fait fuir. Deuxièmement, y’a tellement de pépites qui peuplent l’univers de la musique que ce serait juste fou de s’en priver. Et pour finir, je pense qu’à partir du moment où les paroles nous parlent, que la mélodie nous porte, le reste n’a pas vraiment d’importance.  « J’aimerais bien mais bon ce serait assez compliqué de faire ce qui me plaît vraiment. J’ai toujours bossé dans des restaurants, c’est plus simple pour trouver un nouveau boulot dans la restauration vu que j’ai de l’expérience. C’est pas simple de trouver du travail en ce moment. » Là encore, il n’a pas tort. Y’a pas mieux que la restauration pour trouver un job assez facilement, y’a toujours des turns-over dans les équipes, créant de nouveaux postes tout au long des saisons. Sans compter le surplus de salaire qu’on peut toucher avec les pourboires, les verres gratuits offerts par la maison, les numéros de téléphones laissaient sur un bout de papier et tout ce qui s’ensuit. C’est que ça me rendrait presque nostalgique du temps où je l’étais même si j’ai toujours préféré bosser dans des bars plutôt que dans des restaurants. Je l’observe écouter ce qui semble être la fin de la reprise de « Now we are free », il sourit et ça me rassure parce qu’il n’a pas l’air d’être du genre à se moquer. « Hans Zimmer. » Je hoche la tête lorsqu’il reconnait le compositeur qui se cache derrière ma musique préférée. C’est qu’il a du goût, peut-être même qu’il passe pas mal de son temps libre à regarder des films, qui sait. Ou peut-être que je me trompe et que le dvd qu’il a emprunté au vidéoclub n’était qu’un prétexte pour pouvoir passer du temps avec une personne qu’il apprécie. J’ai pas mal de clients qui viennent dans l’espoir de pouvoir pécho lors d’une soirée ciné, je me suis même souvent retrouvé dans des situations assez cocasses à devoir conseiller le meilleur film pour pouvoir concrétiser. « Très bon choix c’est vraiment un excellent compositeur. » J’ouvre la porte et le laisse passer devant moi en bon gentleman que je ne suis pas. « C’est le meilleur ! » À mes yeux il est et restera le meilleur compositeur cinématographique qu’il m’ait été donné d’écouter. Faut surtout pas que je me lance sur le sujet parce que je pourrais lui en parler pendant des heures. Je me souviens de ces lettres que j’ai pu lui écrire lorsque j’étais plus jeune, des nuits passées à attendre une réponse qui n’est jamais arrivée.  On se dirige vers le comptoir alors que je salue d’un signe de tête les quelques personnes que je reconnais. « Un verre de Gin Tonic me tenterait bien. Et toi tu veux quoi ? » Je le regarde et affiche un sourire alors que je prends place sur un des tabourets américains. « Tu sais que y’a une étude qui a été faite sur les buveurs de Gin Tonic ? Apparemment les adeptes de cette boisson pourraient avoir des traits de personnalité malveillants. »  Je fais signe au serveur de venir prendre notre commande et me tourne vers Melchior. « C’est clair que t’as pas fait partie de l’étude, le résultat aurait été tout autre si ça avait été le cas. T’aurais biaisé l’étude à tout seul. Je vais me contenter d'une bière, merci. » Je jette un coup d’œil aux gens qui nous entourent, ils ont tous déjà l’air bien amochés alors que pour nous la soirée ne fait que commencer. « Logan City, c’est pas la porte à côté, mais j’ai l’habitude de rentrer bien ça ira. Et toi t’es de quel coin ? » Pas la porte à côté, c’est peu dire. J’espère qu’il est garé pas loin parce que y’en a bien pour 40 minutes en voiture, moins si on finit par rentrer tard et qu’il n’y a personne sur la route. Quant à moi, je finirais probablement par commander un Uber.  "Redcliffe, c'est pas la porte à côté non plus. T'habites tout seul ?" Des hurlements me font sursauter, je me retourne pour y voir un groupe de copines totalement hystériques à l’idée d’entendre ce qui est, à en juger par leur réaction, une de leurs chansons préférées. Wannabe des Spice Girls se fait entendre et je jette un rapide coup d’œil à Melchior m’attendant à le voir se dandiner sur le tabouret. Au lieu de quoi, il fronce les sourcils, visiblement pas super fan du groupe de copines ni de la musique. « Il fait super chaud ici j’étouffe. » En même temps, il est vêtu d’un pull dans un bar où l’on est tous esquichés les uns sur les autres. Un four humain mis au profit du bar qui accumule les commandes de boissons fraiches pour le plus grand bonheur du patron et de ses salariés. Et comme s’il pouvait lire dans mes pensées, Melchior se met à enlever le vêtement en trop pour finir en t-shirt. « C’est pour nous pousser à consommer. » Le serveur fini par nous faire l’honneur d’enfin venir prendre notre commande. Je m’apprête à parler mais Melchior me devance, commandant sa boisson machiavélique et la bière fraiche qu’il insiste à m’offrir. Si la première tournée est pour lui alors la seconde sera pour moi. « Tout à l’heure tu m’as dit qu’il serait difficile de faire ce qui te plait vraiment, tu parlais de quoi ? Qu’est-ce qui te branches ? » Je me tourne vers lui pour le regarder alors que j’essaye de faire abstraction du groupe de fille qui a pris le bar pour une soirée karaoké. Mes yeux viennent s’attarder sur l’une d’entre elle, celle qui gueule plus fort que les autres, comme pour lui faire comprendre qu’elle n’est pas toute seule et que j’aimerais bien pouvoir entendre ce que le serveur essaye de me dire. Le barman revient rapidement avec nos boissons, je lève mon verre en direction de Mel pour le remercier et me désaltère en buvant une grosse gorgée. « T’es venu en voiture ? Non parce que y’a pas moyen que tu rentres à pieds. » Je sais pas pourquoi je fais une fixette là-dessus, mais j’ai peur qu’après quelques verres se soient trop tard pour penser au retour, que je n’ai plus les idées assez claires pour m’en soucier.
 

 « Il est vraiment doué oui ! C'est un peu différent mais j'aime beaucoup James Newton Howard je sais pas si tu le connais ? » Il s’y connait peut-être pas tellement en cinéma mais il a l’air d’en connaitre un rayon sur les compositeurs de musiques de films. J’acquiesce de la tête alors qu’on se dirige vers le comptoir. Je ne peux m’empêcher de sourire à sa question, prenant place sur l’un des tabourets. « Bien sûr que je le connais ! Il a composé pas mal de musiques pour les animaux fantastiques et je crois qu’il en a fait pour le tout nouveau disney que j’ai pas encore regardé. » Raya et le dernier dragon, il parait qu’il est pas mal du moins c’est ce qu’un petit de six ans m’a dit alors je sais pas si c’est un avis à prendre en compte mais je me dis que si ça fait rêver les enfants, c’est qu’il y a un peu de chance pour que ça marche aussi sur les grands. Je commande nos boissons et me lance dans un long monologue scientifique lorsque Melchior commande un Gin tonic. Le truc bien barbant qui ferait fuir n’importe qui sauf lui visiblement.  « Je savais pas non, ils font vraiment des études sur tout et n'importe quoi maintenant. » C’est clair, je viens faire pianoter mes doigts sur le comptoir au rythme de la musique alors que mes yeux se posent sur le serveur qui joue des maracas avec les boissons qu’il prépare. « J'habite toujours chez ma mère, mais bon elle est plutôt absente donc c'est comme si j'habitais seul. Et toi ? » J’essaye de cacher mon étonnement, mais mes yeux se reportent sur lui et je souris pour ne pas qu’il se sente gêné par cette déclaration. « C’est cool de vivre encore chez sa mère, ça te permet de mettre de l’argent de côté et de profiter d’elle . Je suis en colocation depuis pas super longtemps. » Je grimace en pensant à Diego mais aussi à ma mère que je n’ai pas vu depuis un moment. Il faudrait que je lui téléphone, j’ai jamais été doué avec les appels en tout genre. Garder contact, préserver des liens malgré la distance, donner de mes nouvelles, tout ça a toujours été bien compliqué pour moi, peu naturel. « C'est réussi, j'ai super soif. » qu’il me dit après avoir enlevé son pull pour se retrouver en t-shirt. C’est vrai qu’il fait chaud, même en manche courte j’ai l’impression de suffoquer et à en croire les perles de sueur qui coulent sur les fronts des personnes qui se déhanchent sur les spice girls, nous ne sommes pas les seuls à fondre comme neige au soleil. « La musique. C'est un des rares trucs qui me fait vibrer, serveur c'est vraiment pas une vocation. » Je fais la moue, je repense au boulot qu’il a eu ce soir, à sa patience, au client mécontent et ça me fait de la peine pour lui. Le cri d’un mec me fait sursauter et je me retourne dans sa direction pour le regarder. Le serveur vient de renverser ce qui m’a tout l’air d’être de la bière. Je regarde Mel du coin de l’œil en grimaçant. « C’est des choses qui arrivent, pas besoin d’être aussi méchant. » que je lance au mec qui sent la boisson à plein nez et mon petit doigt me dit que ça n’a rien avoir avec la pinte qui vient d’être renversée. Il me montre son majeur et je lui montre le mien en retour, faut pas qu’il me chauffe parce que si y’a bien un truc que je déteste c’est l’injustice et même s’il semble bien plus costaud que moi, je suis presque sûr qu’un coup suffirait pour qu’il perde pied, le con. « Mais bon vivre de la musique c'est pas évident. Enfin si, je pourrais toujours être prof de violon mais c'est pas vraiment ce qui m’intéresse le plus. Être sur scène c’est ça qui me plaît. » La voix de Melchior a le don de me calmer, je me retourne vers lui faisant dos à l’alcoolique de service. Je souris lorsqu’il me parle de la scène et ça me donne une idée. J’attrape mon téléphone portable pour envoyer un texto à ma sœur qui ne met pas longtemps à me répondre. « Est-ce que ça te dirait de venir nous montrer tes talents pour le violon ? J’en ai parlé à ma sœur et on aurait peut-être une place pour toi dans le groupe si ça t’intéresse. » Je souris parce que j’adore le violon et que ça pourrait rajouter de la douceur à notre groupe qui selon les sons choisis peut se montrer parfois assez hardcore. Et puis Melchior a l’air vraiment sympa, ça se voit qu’il est passionné par la musique. Je suis sûr qu’il s’entendra bien avec les membres du groupe, faut vraiment y aller pour ne pas apprécier quelqu’un comme lui. J’attrape le verre que le barman dépose sur la table et le lève en direction du musicien avant de boire une  grosse gorgée, bien trop assoiffé par la chaleur qu’il fait dans le bar. « D'habitude je je vais au restaurant en bus, mais bon je suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de bus quand on sortira. T'en fais pas ça ira, je prendrai un Uber je pense, à pieds j'en ai pour plus de deux heures.  » On pourra le partager que je pense, ça nous fera toujours économiser la totalité d’une course. J’attrape ma boisson et me lève. « Ça te dérange si on va se poser sur la terrasse ? Je meurs de chaud et la boisson n’y change pas grand-chose. » Puis j’ai sacrément envie de fumer aussi, je commence à avancer, jetant un coup d’œil derrière moi pour m’assurer qu’il soit toujours là. « C’est quoi la première chanson que tu as apprise au violon ? Et pourquoi le violon d’ailleurs ? » Pourquoi pas, je sais, c’est pas très sérieux comme question mais j’aimerais bien en savoir plus. Je ne suis même pas certain de pouvoir répondre à ma propre question pour la guitare et le piano. Je pousse la porte qui mène  à la terrasse ouverte et m’installe sur l’une des tables en bois.  « Tu m’apprendras à en jouer ? » Je me doute que c’est pas comme la guitare, que c’est bien plus compliqué que ça et qu’il me faudrait des années pour savoir en faire mais si je pouvais apprendre à jouer ne serait-ce que le début de l’air de Now we are free alors je serais le plus heureux des hommes.

 

« C’est aussi lui qui a composé un grand nombre des musiques pour la saga Hunger Games. J’ai pas encore vu le dernier Disney, mais je pense que je le verrai bientôt. Enfin pas avant d’avoir vu Very Bad Trip et le concert de Taylor Swift. » Je souris lorsqu’il fait référence aux films que je lui ai prêté. Deux boites de dvd qui ont scellé notre rencontre, s’il ne s’était pas présenté au video club alors on aurait probablement jamais fait connaissance, sans compter sa mémoire de poisson rouge et l’oublie de son ipod. Je lui aurais sûrement adressé la parole entre deux commandes au Ras le bol, mais ça se serait arrêté là. Parce que je suis pas le genre de mec à proposer des verres aussi facilement et qu’il m’a tout l’air d’être le genre de garçon à en faire tout autant. « C’est clair que ça me permet d’économiser. J’ai envie de bientôt déménager, je pourrai me servir de ça pour avoir quelque chose de plus grand. » Je peux comprendre son envie d’indépendance, ça doit pas être facile tous les jours  de vivre chez sa mère surtout à son âge. Parce qu’on a souvent envie de liberté, d’un endroit pour faire ce qui nous plait sans se soucier du dérangement que ça pourrait causer. Je sais de quoi je parle, même si j’habite pas chez ma mère, je partage mon loft avec une autre personne. Un mec tellement différent de ce que je peux être qu’on a eu pas mal de prise de tête. « T’es en colocation avec un ami ? » Je me suis jamais posé la question. Je sais pas trop comment je pourrais décrire la relation que j’entretiens avec Diego tout ce que je sais c’est que c’est souvent compliqué. Un compliquami ? Je pense que c’est qui le caractériserait le mieux. « Non enfin je le connaissais pas avant qu’il ne débarque chez moi. » Je bois une gorgée de ma boisson observant les gens autour de nous. « Enfin on se rend service en divisant le loyer par deux quoi » Je baisse les yeux vers mon verre, du moins c’est comme ça que je voyais les choses au début. C’est un peu différent maintenant qu’on s’entend mieux, il est plus que le mec qui m’aide à économiser. Un type se met à gueuler comme un poissonnier et je me retourne vers lui pour le remettre à sa place. C’est la soirée des clients chiants ? À croire qu’ils se sont tous donnés le mot pour être exécrables. Mel soupire et je grimace comme pour m’excuser. « Le pauvre, le pire c’est que ça doit pas être la première fois. Quand je vois comment les clients se comportent au restaurant j’ose même pas imaginer ce que ça doit être quand les clients sont bourrés. » C’est clair, je sais pas ce qui est le pire entre un client sobre qui ne cache pas son mécontentement et le lourdingue de service complètement bourré qui ne veut pas quitter le bar. J’crois que le métier de serveur est une étape mais que ce n’est pas le boulot pour durer toute une vie. Ça doit être épuisant de se coltiner les sautes d’humeur des différents clients, encore plus fatiguant encore que le service en lui-même. Au moins dans un bar y’a toujours moyen de terminer le shift autour d’un verre. Il me parle de la scène, de son amour pour la musique et de l’instrument qu’il aime tant jouer alors j’attrape mon portable pour envoyer un sms à ma sœur, lui faisant part de l’idée que je viens d’avoir avant de me tourner vers Melchior pour lui proposer de venir jouer devant le groupe. « Carrément oui ! Merci, ça me fait plaisir que tu me proposes ça. Il m’intrigue beaucoup votre groupe, vous avez une chaîne Youtube ou quelque chose comme ça pour que je puisse jeter un coup d’œil ? » Je pense à notre chaine youtube et à l’header qu’à fait Jess. Il risque de pas trop nous prendre au sérieux en la voyant, mais le nombre de vues de nos différentes vidéos pourrait changer la donne. « Ouais, c’est Oxtorm.  T’as des vidéos de toi en train de jouer du violon ? » Je meurs de chaud, mes doigts viennent tirer sur le col de mon t-shirt avant d’attraper mon verre et de me lever. Je sais pas si ça le dérange d’aller sur la terrasse, mais je propose quand même. « Très bonne idée j’en peux plus de cette chaleur, le Gin c’est pas forcément ce qu’il y a de plus rafraichissant. » On est deux, je crois que y’a aucune boisson qui pourrait nous rafraichir assez. C’est plus un bar, mais un sauna. Y’en a pas un qui transpire pas, même en ayant mis le meilleur déodorant du pays. « Hum très bonne question, j’avais 6 ou 7 ans quand j’ai commencé donc ça remonte pas mal. » Je jette un regard derrière mon épaule pour le regarder alors qu’on tente tant bien que mal de se frayer un passage jusqu’à la sortie. Je murmure quelques excuses par-ci par-là, jouant des coudes jusqu'à ce que l'air frais viennent rafraichir chaque parcelle de mon corps. « Il me semble que j'avais aussi essayé la trompette mais j'avais pas trop aimé le son et le fait que ce soit un instrument à vent. J'ai essayé le violon et je suis tombé amoureux du son que ça peut produire, c'était un vrai coup de cœur. Et pour la première chanson, je suppose que j’avais du vouloir jouer une musique d’un film Disney mais que mon prof avait dû m’apprendre une petite comptine ou quelque chose du genre. » Je l’imagine jouer de la trompette du haut de ses six ans et ça me fait rire surtout parce que je le vois bien galérer, sortir des sons indescriptibles. Je prends place sur la terrasse alors que j’observe ses yeux s’illuminer lorsqu’il fait mention du violon. Ça a dû demander tellement de rigueur surtout pour le petit garçon qu'il était mais visiblement ça ne l’a pas empêché de persévérer.  « Et celle que tu préfères jouer ? » Je sors une cigarette de mon paquet que je m’empresse de venir poser entre mes lèvres. « Et toi tu joues de quel instrument ? » Deux instruments qui sont beaucoup moins compliqués que le violon, enfin trois si on compte celui que j’ai mis de côté depuis l’arrivée d’Ana. « La guitare, le piano et la batterie. Je touche plus à la batterie depuis l’arrivée de notre batteuse. C’est un peu synonyme de chasse gardée pour elle si tu vois ce que je veux dire » Je ris n’ayant pas de mal à avouer que je me suis fait avoir par une fille parce qu’elle est sacrément badass, Ana. Et qu’elle est bien plus douée que moi avec des baguettes même si c'est un détail que je ne lui dirai probablement jamais. « Avec plaisir, j’essaierai de t’apprendre des petits bouts d’Hans Zimmer, puisque ça a l’air d’être ton compositeur préféré. Vu que t'es déjà musicien ce sera un peu plus simple » Plus simple, je suis pas sûr. Ma mère avait l’habitude de dire que j’étais doté de l’oreille musicale or je pense que c’était surtout dû à mon acharnement, aux notes que je jouais en boucle jusqu’à ce qu’elles deviennent des automatismes. Le violon c’est différent, y’a pas le droit à l’erreur, ça sonne faux directement alors qu’avec la guitare et le piano y’a toujours possibilité de faire quelque chose de bien même lorsque ce n’est pas toujours juste et idem pour la batterie. « J’suis pas sûr, va falloir t’armer de patience. »  Je lui souris allumant le bout de ma clope pour inspirer la fumée nauséabonde. « T’en veux une ? » Je dépose le paquet entre nous, les yeux levés vers le ciel. « Vous êtes combien dans le groupe ? » Un nombre pair qui risque de ne plus l’être bien longtemps si Melchior rejoint notre groupe quoique y’a moyen qu’il manque toujours une personne lors des répétitions comme c’est un peu le cas en ce moment d’ailleurs et qu’on se retrouve toujours plus ou moins à quatre. « On est quatre, deux filles, deux mecs et si tu nous rejoins alors ça fera cinq » Je suis pratiquement sûr qu’on finira par être cinq, y’a plus qu’à attendre de le voir jouer et puis d’avoir l’avis des personnes tout aussi concernées que moi sur le sujet.