| so wake me up when it's all over (jarchie #10) |
| | (#)Jeu 6 Mai 2021 - 10:12 | |
| So wake me up when it's all over. tw : homophobie, violence. La soirée s'était légèrement éternisée mais les locaux de Weatherton étaient peu à peu désertés par ceux qui y avaient trinqué durant les dernières heures. On pouvait certes reprocher à James sa rigueur extrême et son professionnalisme parfois démesuré, mais il avait toujours su fêter les départs de ses employés comme il se doit. Edith, l'une des figures les plus anciennes de l'atelier, avait tiré sa révérence sous les regards émus de ceux qui l'avaient côtoyé durant de longues années et même James s'était pendant un court instant laissé gagner par l'émotion lorsqu'elle n'avait pas manqué de rendre hommage à son grand-père, resté pour une partie d'entre eux l'âme de Weatherton. Il n'avait pas abusé du vin, ce soir, parce qu'il se lèverait tôt demain et qu'il n'avait pas envie d'avoir la tête comme dans une passoire avant sa réunion de neuf heures. En revanche, James avait été bien moins raisonnable dans sa manière d'observer Archie tout au long de la soirée, caché derrière son verre vide comme si ça n'était pas déjà assez compliqué de le côtoyer tous les jours. Personne n'avait évidemment rien remarqué, tous trop occupés à saluer la star du jour. Et alors qu'il ne restait presque plus personne à l'étage et que plusieurs taxis étaient venus chercher les plus alcoolisés du lot, c'était à son tour de faire comme si de rien était. Il n'avait pas fait exprès de rester aussi longtemps qu'Archie, après tout il dirigeait cet atelier et n'aurait pas pu s'en aller avant d'avoir salué Edith une dernière fois. C'était simplement le genre de coïncidences qui avaient tendance à se répéter un peu trop souvent quand il était question de l'actionnaire. Comme lorsqu'il se retrouvait planté devant l'ascenseur en même temps qu'Archie ou que sa main avançait vers le bouton en même temps que la sienne, faisant rougir ses joues et s'accélérer sa respiration. Des banalités échangées pour combler les silences, des regards jamais trop longs. Il avait appris à alléger l'atmosphère faute de savoir comment le chasser, lui, de ses pensées. La rue était maintenant quasi déserte et la nuit complètement tombée sur Spring Hill. S'il était probable qu'Archie soit venu en voiture, James hésita pourtant à lui proposer de le déposer chez lui. C'était sur son trajet, après tout... Non, même pas. « T'as oublié quelque chose ? » Il questionna, en le voyant chercher à l'intérieur de ses poches comme s'il y manquait quelque chose. Peut être son porte-feuille, son téléphone ou ses clés. Il y avait eu pas mal de brassage, ce soir, il était possible qu'il les ait posé quelque part et oublié. « Vas-y, je t'attends ici. » Il ne lui serait sûrement pas très utile s'il l'accompagnait à l'intérieur, et ils seraient un peu trop de deux pour fouiller l'atelier. James observa ainsi Archie regagner l'immeuble pendant que lui, déterminé à l'attendre alors qu'il pourrait très bien rentrer de son coté, consultait les notifications de son téléphone, éteint pendant la soirée. Le silence fut bientôt brisé par des bruits de pas et des éclats de rire dont James ne s'inquiéta pas en premier lieu. Probablement des fêtards, ou des travailleurs qui comme eux avaient bu un verre après le boulot. Pourtant, lorsqu'il releva la tête pour croiser les regards mauvais de trois hommes qui le jaugeaient en silence, il pressentit qu'ils ne s'arrêtaient pas à sa hauteur pour lui demander du feu. « Tout va comme tu veux pédale ? » James se figea mais ne laissa pas paraître le moindre trouble. Son sang se serait sûrement figé s'il n'avait pas vécu une partie de sa vie en entendant ces même injures. Des injures qui avaient eu le temps de s'inscrire dans son corps et sa mémoire, bien qu'il prétendait aujourd'hui avoir entièrement réglé ce chapitre-là de sa vie. Le mépris brillant au fond de leurs regards, pourtant, en appelait à des souvenirs bien plus traumatisants qu'il n'irait jamais l'avouer. Mais plutôt crever que de le leur montrer. « Si c'est de l'argent que vous voulez, vous êtes mal tombés. Je vous donnerai pas un centime, alors déguerpissez. » James ne se démonterait pas. A trois contre un, il partait forcément perdant quoi que lui veuillent ces trois hommes, mais il n'était pas devenu celui qu'il était aujourd'hui pour laisser le passé l'écraser de tout son poids. « Putain t'avais raison, c'est bien lui. » James tiqua pourtant devant ces échanges si familiers et ces sourires sinistres. N'était-il vraiment que la cible hasardeuse de trois petits malfrats, ou y avait-il autre chose de plus personnel ? « On dirait qu'il s'est endurci, le petit pédé. » James n'eut pas le temps d'en tirer des conclusions que déjà, les trois hommes s'étaient rapprochés, tournant autour de lui comme trois lions prêts à bondir sur leur proie. Son regard autrefois si assuré laissait cette fois paraître une détresse insondable. Sa gorge s'était serrée et l'inquiétude oppressait sa poitrine. « T'attends qui comme ça, ton petit-ami ? Laisse tomber, il te reconnaîtra pas quand on en aura fini avec toi. » Et avant qu'il n'ait pu esquisser le moindre mouvement de recul, le leader du groupe agrippa violemment son col pour le jeter au sol et lui asséner les premiers coups d'une longue série. Des coups de pieds, des coups de poings. Cette violence inouïe était ici le reflet de la colère incontrôlée de ses agresseurs : James le comprit une fois au sol, c'était la haine qui dictait leurs actes. La douleur déformait ses traits et les coups de plus en plus rapprochés lui arrachaient chaque fois des gémissements un peu plus sourds. Il entendait leurs rires à défaut d'être vraiment capable de les voir, eux, quand l'un de ses agresseurs le frappa à plusieurs reprises en pleine figure. James ne se protégerait pas le visage, c'était impensable. Ses mains étaient son outil de travail le plus précieux, celui grâce auquel il pouvait créer. Il pourrait encaisser mille coups mais pas prendre le risque de ne jamais plus pouvoir tenir une aiguille de la même manière. Alors il ne lutterait pas, il serrerait les dents, s'accrochant à l'espoir de plus en plus infime de réchapper à cette soirée. Sa vision se brouilla, sa tête se mit à tourner jusqu'à ce que celle-ci retombe mollement sur le bitume. Le sang s'écoulait de chaque coté de son front et le long de ses lèvres tuméfiées. Le reste de son corps, lui, était entièrement endolori, anesthésié. Comme si un camion l'avait fauché et abandonné là, en travers du trottoir. James ne saurait pas dire quand les coups avaient cessé de pleuvoir ni quand ses agresseurs étaient finalement repartis. Il ne saurait pas dire s'il s'était passé dix minutes ou bien une heure. Il ne saurait pas dire non plus si la silhouette qu'il crut voir approcher était réelle ou juste le fruit de son imagination. Mais il tendit une main devant lui, dans un réflexe inconscient, alors que ses forces l'abandonnaient. Peut être qu'Archie était revenu. Il n'en avait aucune idée, il peinait bien trop à garder les yeux ouverts pour espérer apercevoir son visage. Mais tout au fond de lui, là où jamais il ne s'était senti plus seul, il l'espérait.
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| | | | (#)Jeu 6 Mai 2021 - 13:01 | |
| So wake me up when it's all over. tw : homophobie, violence. Il n’avait pas assez bu pour perdre ses esprits. Archie tient encore sur ses deux jambes lorsqu’il accompagne James jusqu’à l’ascenseur. Les silences sont de plus en plus longs à chaque fois que leurs regards se croisent mais, étrangement, ça ne le rend pas inconfortable. Les sourires qu’ils s’échangent sont légèrement pincés et tous les deux savent très bien ce qui occupe les pensées de l’autre. Ils ne sont pas dupes. La dernière fois qu’ils se sont retrouvés seuls, ils ne sont pas restés de simples collègues. Ils ont échangé plus que du charabia administratif. Posé dans le fond de la cabine d’ascenseur, Archie observe James du coin de l’œil tandis que, lui, se colle davantage à la porte. Il aurait aimé avoir le courage de commenter la soirée qui a eu lieu, ou lui demander s’il souhaite qu’il le raccompagne jusqu’à chez lui. Il ne refuserait pas d’enfin découvrir sa maison ; il se doute qu’elle est aussi distinguée que son style vestimentaire. Et pourtant, il reste silencieux, toujours incapable de relancer la moindre chose avec lui. Il n’est pas prêt à le faire. Il a besoin de plus de temps pour légitimer les pensées qui traversent son esprit quand il se perd trop longtemps dans la contemplation des mains de James tandis qu’il repli le coin d’une pièce de tissu préalablement taillée. Il le trouve magnifique lorsqu’il travaille mais il ne le dira jamais à voix haute. Ce serait d’admettre ses faiblesses, pas vrai ? La nuit et fraîche et se colle aux joues bouillantes du jeune homme. Il ferme un instant les paupières pour profiter de l’air neuf et, en tapotant les poches de ses pantalons, il réalise que son trousseau de clés ne claque pas. Naturellement, son cœur fait un bond dans sa poitrine mais il ne panique pas bien longtemps. Il l’a certainement oublié sur son bureau. « T'as oublié quelque chose ? » Machinalement, il acquiesce en hochant la tête de bas en haut. Son regard se pose derrière lui avant qu’il ne déclare : « Oui. Je vais remonter. Je pense avoir oublié mes clefs en haut. » Et il s’empresse, monte les marches devant l’immeuble deux par deux et retrouve l’ascenseur aussi rapidement. Il jette un dernier regard à travers l’immense baie vitrée qui encadre l’accueil pour observer la silhouette de James. Il disparaît dans la cabine et retrouve le dernier étage en moins de deux. Il retrouve son bien en à peine quelques secondes, jette un dernier coup d’œil dans son bureau pour s’assurer qu’il n’oublie rien d’autre ; son téléphone est bien rangé dans la poche de sa veste et son portefeuille à sa place dans celle de son pantalon. À peine une minute plus tard, il repose les pieds sur le carrelage brillant du premier étage et, relevant la tête vers la fenêtre, il constate que son collègue n’est plus seul. Il fait quelques pas en sa direction, vers la porte de sortie, sans cesser de scruter le visage de ceux qui se sont arrêtés pour entourer James. Un orage menace de gronder. Quelque chose ne tourne pas rond. Il s’avance un peu plus, toujours à l’intérieur de l’immeuble, dissimulé dans l’ombre, et son cœur trébuche dans sa poitrine lorsqu’il reconnait le visage d’un homme qu’il n’a pas revu depuis son adolescence. Ses jambes se pétrifient et, il aurait beau se flageller pour sortir à l’extérieur et venir séparer James de ses agresseurs, il a perdu le contrôle entier de son corps. Il sait ce qu’il va se passer. Tous les quatre ne s’échangeront pas de jolies formules de politesse et ne se renseigneront pas sur ce qu’ils sont devenus depuis le temps. Ils sont là pour mettre en œuvre ce que leur a appris Archie quand il était encore leur chef. Ils sont là pour déverser leur haine sur celui qu’ils ont toute leur vie méprisé parce qu’Archie leur demandait de le faire. C’est ainsi que ça fonctionnait. « T'attends qui comme ça, ton petit-ami ? Laisse tomber, il te reconnaîtra pas quand on en aura fini avec toi. » Il entend à peine cette menace, étouffée par l’épaisse vitre qui le sépare du groupe qui vient de se former. Mais, il a beau prier et croiser les doigts pour que l’échange ne se résume qu’à ça ; des menaces. Hélas, un premier poing est levé et, aussitôt, Archie se retourne sur lui-même pour ne pas assister à la scène. Son estomac se tort et il se met à fixer le sol en comptant les secondes. Il retient la bile qui grimpe dans sa gorge, serrant ses clés dans ses paumes jusqu’à en déchirer sa peau. Il est faible. Bien plus que le reste du monde, bien plus que James qui subit ce qu’il n’a jamais mérité. Il ne remarque même pas que ses jambes l’ont lâché et qu’il s’est recroquevillé en se prenant la tête entre les mains. Les rires continuent de rebondir contre la baie vitrée mais, bientôt, ils s’éloignent et le silence reprend ses droits. Tétanisé, Archie se redresse légèrement en tendant le cou par-dessus le comptoir derrière lequel il s’était lâchement dissimulé. Il ne voit pas James. Son cœur s’agite dans sa poitrine et il avale sa salive qui a le gout du vomi en se lançant finalement en direction de la sortie. Il fait seulement quelque pas à l’extérieur avant de tomber sur le corps du styliste étendu sur le sol. Il plaque aussitôt sa main sur sa bouche pour retenir le moindre cri et il s’élance en sa direction. Il se laisse tomber à côté de lui, blessant ses genoux contre le béton dur. Instinctivement, il le secoue pour l’empêcher de sombrer mais il arrive trop tard. Les paupières du blessé sont fermées et son visage couvert d’une épaisse couche de sang s’échappant encore de son arcade sourcilière complètement déchirée. « James. » Il tente, le secouant un peu plus fort, son visage déformé par l’inquiétude quand il ne reçoit aucune réponse. « JAMES ! » Il tente plus fort en glissant sa main dans son cou, juste en dessous de la ligne de sa mâchoire, pour s’assurer qu’il trouve un pouls. En jetant un regard paniqué autour de lui, il réalise qu’il est seul avec le monde et s’empare de son téléphone qu’il recouvre du liquide rouge écarlate en composant le numéro des urgences. Il se traite de tous les noms du monde en attendant que l’ambulance se présente sur les lieux, à peine dix minutes plus tard. C’est sa faute. Il grimpe dans le véhicule et prend place près de la civière dans laquelle James a été solidement attaché. Ses joues sont couvertes de larmes qu’il ne sent même pas. Un ambulancier lui tend deux ou trois mouchoirs qu’il enroule autour de ses doigts pour les débarrasser du sang à moitié séché. « Que s’est-il passé ? » Demande une femme qui éponge grossièrement le visage du patient pour vérifier les dommages faits à la peau. Archie secoue la tête de droite à gauche puisqu’il n’arrive pas à répondre. Il a perdu ses mots mais aussi l’usage de ses cordes vocales. C’est sa faute. Il patiente dans la salle d’attente, ses talons tapant contre le sol blanc et brillant de l’hôpital. Les heures passent et c’est seulement quand les premiers rayons du soleil colorent le ciel qu’il reprend assez ses esprits pour composer le numéro de téléphone du père Weatherton. La sonnerie résonne contre ses tympans et lui promet une suite encore plus difficile. Que pourrait-il lui dire ? Qu’il a regardé son fils se faire tabasser dans la ruelle et que, dorénavant, il attend de recevoir des nouvelles du personnel hospitalier ? C’est sa faute. Les poings qui ont dévisagé James lui appartiennent.
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| | | | (#)Sam 8 Mai 2021 - 12:10 | |
| So wake me up when it's all over. tw : homophobie, violence. Les dernières images que ses yeux perçurent furent les visages de ses agresseurs, déformés par la haine. Une haine qui ne trouvait pas plus de sens aujourd'hui que quinze ans plus tôt, la première fois que son attirance pour les garçons lui avait valu de subir brimades et intimidations. Les choses avaient changé, pourtant. Aujourd'hui, on ne l'humiliait plus simplement devant un parterre d'élèves hilares en espérant qu'il retiendrait la leçon. Aujourd'hui, on le rouait de coups en pleine rue pour lui faire regretter chacun de ses choix de vie et chacun des moments où il avait simplement décidé d'assumer celui qu'il était. On le piétinait, on noircissait sa peau d'ecchymoses, on s'acharnait à lui faire mal. Lui qui s'était toujours tenu le dos bien droit n'avait mis que quelques secondes à ployer sous les coups de ces hommes bien trop forts et bien trop nombreux. Lui qui s'était toujours refusé à baisser les yeux devant qui que ce soit n'avait même plus trouvé la force de soutenir leurs regards. James se détesterait de les avoir laissé gagner. Il se détesterait de leur avoir offert la satisfaction d'avoir le dessus sur lui. A terre et inconscient, il n'était guerre plus en mesure de riposter que l'était un malheureux chaton. Il était faible, vulnérable, et tout ce qu'il avait toujours refusé d'être. Mais aussi dingue que ça puisse paraître lorsqu'on le connaissait, son dernier réflexe avant de perdre connaissance ne fut pas de se demander ce qui adviendrait de son atelier s'il n'était pas en état de s'y rendre demain matin. Sa dernière pensée fut pour Archie, alors que sa voix lui était l'espace d'un instant parvenue comme dans un écho. Il ne voulait pas qu'il le voit comme ça, mais il était bien plus terrifié encore à l'idée qu'il le laisse seul sur ce trottoir, à se demander s'il regretterait autant que lui de ne jamais savoir ce que ce baiser signifiait vraiment. A espérer que s'il avait cru le sentir près de lui quelques secondes à peine avant de sombrer, ça n'était pas juste parce qu'il n'y avait sur l'instant pas de pensée plus réconfortante et apaisante que celle-là. *** La silhouette affolée de Norman Weatherton fendit le couloir de l’hôpital comme un courant d'air. Sa stature distinguée se repérait au loin tout comme sa chevelure poivre et sel, coupée plus courte que celle de son fils. Sur son visage, les rides forgées par le temps se confondaient avec des larmes mal séchées, et il avait probablement l'air d'un père comme n'importe quel autre accourant au chevet de son enfant. Un enfant qu'il élevait seul depuis maintenant plus de vingt ans et qui représentait la prunelle de ses yeux, peu importe à quel point James et son père avaient toujours été bien plus doués pour s'avouer leur admiration respective que pour se dire qu'ils s'aimaient. Norman Weatherton n'était aujourd'hui plus un homme dans la fleur de l'âge et il savait que tôt ou tard, l'ordre des choses voudrait qu'il disparaisse avant son fils et lui lègue tout ce qu'il avait lui-même hérité de son père. Une idée à laquelle il se faisait doucement et que cette soirée était subitement venue bouleverser. Tout à coup, il avait eu peur de perdre son unique fils, peur que malgré tous ses efforts pour le protéger au cours de sa vie, James n'ait pas pu compter sur lui au moment où il en avait eu besoin. N'importe quel parent se sentirait coupable d'avoir passé une seconde de trop à vivre en toute insouciance pendant que la chair de sa chair était conduite à l’hôpital, mais c'est cette histoire d'agression qui avait valu à son cœur de se briser suite au coup de téléphone d'Archie. Un coup de téléphone grâce auquel il pouvait être là, maintenant, pour veiller sur James. C'est justement Archie que Norman repéra à quelques mètres de là et vers qui il s'élança sans réfléchir, comme s'il était la seule bouée de sauvetage au milieu d'un océan de craintes et d'incertitudes. C'était lui qui l'avait prévenu, lui qui avait prêté assistance à James après son agression et pour ça, l'actionnaire venait sans le savoir de gagner sa reconnaissance éternelle. « Archie, dieu merci vous êtes encore là. » Essoufflé, Norman dut reprendre son souffle une fois à hauteur du jeune homme. Le vouvoiement, lui, paraissait presque trop formel après cette nuit d'angoisse. Archie était probablement la seule personne de tout cet hôpital à pouvoir à cet instant le rassurer sur l'état de son fils, et indéniablement quelqu'un en qui l'homme d'affaires choisissait d'avoir toute confiance. « J'ai fait aussi vite que j'ai pu. J'imagine qu'il n'y a pas eu d'autres nouvelles ? » Le regard de Norman balayait les environs à la recherche du premier médecin en blouse blanche qui passerait par là. Savoir que l'opération pratiquée sur son fils s'était bien passée avait été un premier soulagement, mais Norman ne serait sans doute vraiment rassuré que lorsqu'il le verrait de ses propres yeux. « C'est sa chambre ? J'ai croisé une infirmière qui m'a dit qu'on pouvait entrer pour le voir. » Ce genre de visites étaient généralement réservées à la famille, mais s'il y a bien une chose dont Norman Weatherton comptait personnellement s'assurer après ce qu'Archie avait fait pour son fils, c'est à ce qu'il soit traité comme tel. Il ne resterait certainement pas dehors à attendre alors que si James avait pu être secouru, c'était grâce à lui. « Venez, je suis sûr que ça lui ferait plaisir de vous savoir ici. » Il était encore bien loin d'imaginer à quel point ni dans quelle mesure James apprécierait de découvrir le visage d'Archie à son réveil, lui qui pas une seconde n’imaginait que son fils et le jeune actionnaire n'étaient plus uniquement des collègues de travail comme ils l'avaient prétendu au dîner de l'autre soir, devant la famille Kwanteen. La main de Norman actionna la poignée de la porte de la chambre, découvrant en même temps que l'émotion se lut sur son visage son fils paisiblement endormi. Il semblait aller bien, à le voir, mais son visage portait les traces des coups qui y avaient été portés et cette vision en particulier était difficile à supporter pour son père. Ce dernier, éprouvé, ressentit le besoin de s'asseoir sur l'une des deux chaises disposées près du lit. Archie, lui, semblait hésiter à faire le moindre mouvement, comme s'il n'osait pas. « Approchez, asseyez-vous. Vous devez être exténué. Je sais que la nuit a du être longue. » Et attendant que le jeune homme s'asseye à son tour, il pressa la paume de sa main sur l'épaule d'Archie avec la plus profonde reconnaissance. « Archie, je ne pourrai jamais assez vous remercier d'être resté... Vous n'imaginez pas quel réconfort ça m'apporte de savoir qu'il vous avait à ses cotés ce soir. » Pouvait-on être plus redevable qu'à un homme qui avait secouru votre enfant puis était resté des heures à attendre à votre place des nouvelles de son état ? Norman était prêt à parier que personne n'en avait jamais fait autant pour son fils, ce qui le poussait à croire qu'Archie était définitivement un homme bien, fidèle à la première impression qu'il s'en était fait. En fait, il lui sauterait probablement au cou s'il était du genre à montrer ouvertement ses émotions. Archie ne méritait rien de moins à ses yeux. « Ces hommes qui l'ont agressé... vous avez eu le temps de les voir ? D'après vous il s'agissait d'un crime d'opportunité ou bien d'un règlement de comptes ? » Est-ce que son fils avait des ennuis ? Est-ce qu'il se savait menacé et ne le lui avait pas dit ? Tout au fond de lui, Norman pressentait qu'en réalité le motif de cette agression pourrait être des plus sordides et une partie de lui rejetait juste l'idée que son fils ait pu avoir à faire à ce genre d'individus.
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| | | | (#)Lun 17 Mai 2021 - 6:44 | |
| So wake me up when it's all over. tw : homophobie, violence. La courte conversation qu’il a entretenue avec le père de James tourne en boucle dans sa tête et il ne peut s’empêcher de chercher la moindre faille qui aurait pu l’incriminer. Et s’il avait entendu la culpabilité dans sa voix ? Et s’il n’attendait qu’une seule chose, d’appeler les flics et de mettre la faute sur Archie qui n’a rien fait pour aider, qui s’est caché comme un lâche, faisant de lui le complice des agresseurs ? Toutes les questions tournent dans sa tête et il oublie pendant un moment que ce n’est pas son avenir qu’il devrait pleurer, mais bien l’état dans lequel a été mis son collègue de travail – et plus si affinités. Il fait les cent pas dans la salle d’attente en insultant intérieurement tous les médecins qui passent dans le corridor sans lui accorder le moindre regard. Ils sont probablement occupés à soigner d’autres patients mais Archie n’arrive pas à raisonner correctement. Selon lui, tous les gens qui travaillent dans cet hôpital font de leur mieux pour le faire souffrir le plus longtemps possible. Parce que c’est sa faute, tout ce qui est arrivé. Il les connaissait, ces idiots qui s’en ont pris à James en pensant qu’il n’y aurait jamais de conséquences. Évidemment qu’Archie parlera. Il modifiera certainement sa voix au téléphone pour qu’on ne le reconnaisse pas, mais il ne laissera jamais ces imbéciles s’en tirer sans payer cher. Même si, au fond, il sait qu’il est responsable de ces idées homophobes qui ont été plantées dans leur cerveau. La graine a muri au fil des années et il n’est plus là pour la déterrer. Il sursaute lorsqu’une voix l’appelle. Il ne s’agit pas de celle d’un infirmier mais bien celle de monsieur Weatherton qui traverse le couloir à toute hâte, comme s’il venait d’apprendre que son fils avait été victime d’un terrible accident – attends… Machinalement, Archie efface toute trace de larmes sur son visage pour ne pas perdre la face. Il tapote ses joues pour leur redonner un peu de couleur. « J'ai fait aussi vite que j'ai pu. J'imagine qu'il n'y a pas eu d'autres nouvelles ? » Fatigué de cette nuit qu’il a passée à tourner en rond et à chercher du regard le moindre indice sur l’état du jeune homme, il ne fait que secouer la tête de droite à gauche, muet. Personne ne lui a rien dit depuis que James a été déplacé en salle de réveil. Il n’a pas osé poser plus de questions pour ne pas laisser le monde pensait qu’il s’inquiète autant pour un simple… collègue de travail – et plus si affinités. Résultat : l’angoisse lui retourne les tripes depuis trop longtemps déjà et il n’a rien pu avaler. Ni eau, ni nourriture. Les propositions dans les machines distributrices qui parsèment la salle d’attente ne lui donnent pas très envie. « C'est sa chambre ? J'ai croisé une infirmière qui m'a dit qu'on pouvait entrer pour le voir. » La gueule figée, il souffle un juron entre ses lèvres et passe sa main dans ses cheveux. Évidemment, personne n’a eu envie de lui dire qu’il avait le droit d’entrer dans ces chambre qu’il ne fait que fixer de loin depuis tout ce temps. « Oui, c’est elle. Je ne savais pas qu’on avait l’autorisation d’entrer. » Il admet, passant sa main dans ses cheveux pour cacher son embarras. Et, comme si le père Weatherton considérait Archie comme son fils, il l’invite à le suivre jusque dans la chambre. « Oh, eum. Oui, peut-être. » Il ronchonne entre ses dents, terrifié à l’idée de s’enfermer dans cette chambre avec James et son père. Il va certainement transformer le moment en un interrogatoire. Toutes les questions du monde doivent trotter dans sa tête et Archie connait toutes leurs réponses. Pendant combien de temps arrivera-il à mentir ? Même s’il craint la suite, le jeune homme ne souffle pas un seul mot de plus avant de suivre le plus vieux dans la salle de réveil. La douleur se lit sur son visage quand il découvre celui de James, couverts de bleus et de fissures rougies. Il reste à l’entrée, dans le cadre de la porte, observant la scène de loin en espérant disparaître. Il a la nausée mais il sait qu’il ne pourrait rien vomir. « Approchez, asseyez-vous. Vous devez être exténué. Je sais que la nuit a du être longue. » Le garçon hésite quelques secondes en rongeant les peaux mortes sur ses lèvres et décide de ne pas argumenter. Il prend place à côté du père de James, la tête basse et ses yeux comptant le nombre de tuiles qui composent le carrelage blanc. Le siège n'est pas confortable, et l'horloge contre le mur ne fonctionne plus. Quand une main se pose sur son épaule, ses muscles se tendent. Il est habituellement un garçon très tactile, Archie, mais la situation l’empêche de réagir normalement. Le manque de sommeil agit énormément sur lui, ainsi que l’inquiétude qui le ronge. Il sait que James s’en sortira avec seulement quelques cicatrices. Seulement, il sait aussi que l’événement ne sera pas tu. Ils en reparleront si James a reconnu le visage de ses agresseurs. Il ne pourra pas fuir comme il le fait si bien. « Archie, je ne pourrai jamais assez vous remercier d'être resté... Vous n'imaginez pas quel réconfort ça m'apporte de savoir qu'il vous avait à ses cotés ce soir. » Lèvres pincées, il hoche la tête de bas en haut. Il ne peut pas nier les faits : il était là pour appeler les secours. Le crime aurait pu se connaître dans le plus sombre des silences. « C’est normal. » Il répond simplement, dénué d’expression. Ses perles bleues se posent sur la main ouverte de James, sur la couverture. Elle semble attendre quelque chose, complètement indemne. Une autre main à serrer, peut-être. Mais Archie rejette l’idée. « Ces hommes qui l'ont agressé... vous avez eu le temps de les voir ? D'après vous il s'agissait d'un crime d'opportunité ou bien d'un règlement de comptes ? » Vivement, il secoue la tête à la négative pour aborder la seconde question en premier. « James, des règlements de compte ? » Il demande, faussement amusé par la question. « Non. Il ne ferait pas de mal à une mouche. » Il continue, la gorge serrée et la voix étouffée. « C’était un crime de haine. J’ai entendu les insultes. » Il ne va pas les répéter. Il sait que monsieur Weatherton connait déjà la nature de ces injures même s’il n’était pas présent sur les lieux. C’est son fils, après tout. Il sait par quoi il est passé dans sa vie, pas vrai ? « J’ai vu leur visage, oui. Le crime ne restera pas impuni. » Il dicte clairement, sans mentionner qu’il s’agissait de vieux amis avec lesquels il s’amusait à terroriser les plus petits, à terroriser James. « C’est la première fois que… » Il relève la tête et, ne trouvant pas les mots, il désigne le jeune homme blessé du menton. « Que ça arrive ? » Qu’il est traité de la sorte à cause de son orientation sexuelle ? Qu’il se retrouve en pleine nuit à l’hôpital après avoir croisé le chemin des mauvaises personnes ?
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| | | | (#)Jeu 20 Mai 2021 - 3:52 | |
| So wake me up when it's all over. tw : homophobie, violence. Les couloirs de l'hôpital semblaient presque déserts, seules leurs deux respirations remplissaient à cet instant le silence de ces lieux désespérément calmes. Norman Weatherton n'était pas un homme qui se laissait habituellement impressionner, certains diraient même que son frère tenait de lui pour ça, mais aujourd'hui il était forcé de l'admettre : il était terrifié. Terrifié parce qu'il y avait eu un instant, pendant ce coup de téléphone avec Archie, pendant lequel il avait redouté d'entendre la pire des nouvelles. Et s'il pensait qu'il se sentirait mieux une fois rassuré sur l'état de santé de son fils, il n'en était en fait rien. Parce qu'il le connaissait justement trop bien pour savoir ce qu'il se passerait dès qu'il aurait quitté l'hôpital. Il ferait comme si rien ne s'était passé, convaincrait tout son entourage qu'aucun d'entre eux n'avait de raison de s'en faire, puisqu'il allait bien. Norman l'avait déjà vécu une première fois, lorsque son fils avait enterré son ex compagnon et que son propre père n'avait pas réussi à lui faire dire qu'il souffrait et encore moins su le convaincre de demander de l'aide. Oh, il avait bien pris rendez-vous chez un psy à force de subir l'insistance d'une partie de son entourage, mais tout au fond son père le savait : James était une véritable tête de mule qui préférerait toujours enfouir ce qu'il ressentait plutôt que d'admettre que lui non plus n'était pas infaillible. Cette seule idée brisait son cœur de père, qui voudrait pouvoir faire quelque chose mais se retrouvait démuni. Après tout, ce n'était même pas lui qui était à ses cotés lorsque James avait eu besoin d'aide. Ce n'était pas grâce à lui qu'il avait pu être transporté à l'hôpital. Non, tout ça était dû uniquement à la façon dont Archie n'avait pas hésité à réagir pour lui porter secours, et c'est ce qui expliquait le regard plein de reconnaissance que Norman posait sur le jeune homme. « Ils demandent généralement à ce que seule la famille soit présente pendant ces visites, mais il est hors de question que vous attendiez ici. » Son ton était catégorique et sa volonté de faire une place à Archie au sein de leur petite cellule familiale des plus sincères. Qui sait depuis combien d'heures exactement il attendait ici, à s'inquiéter pour son collègue tout en trouvant malgré tout le courage de le prévenir, lui. « Et puis, vous devez déjà le savoir, mon fils et moi n'avons pas beaucoup de famille. » Il précisa, sans savoir lui-même pourquoi il partait du principe qu'Archie devait forcément savoir que son fils avait manqué d'une mère pendant les deux tiers de sa vie. Peut être imaginait-il que ça faisait partie des choses que les garçons se confiaient, lorsqu'ils ne parlaient pas de chiffres ou de virages commerciaux. Peut être aimait-il penser qu'Archie était devenu au fil des mois un authentique ami aux yeux de James, qui là encore en manquait sans doute un peu. Peut être, oui, qu'il trouvait réconfortant d'imaginer que si le jeune actionnaire l'avait prévenu ce soir, c'était aussi parce qu'une partie de lui s'inquiétait sincèrement pour James. Archie était un jeune homme très bien, aux yeux de Norman, et il ne trouverait rien de plus rassurant que de le savoir dans l'entourage proche de son fils. La chambre où ils pénétrèrent ensuite baignait dans une quiétude cette fois apaisante, mais Norman ne pouvait nier que la présence d'Archie à ses cotés y était pour beaucoup dans sa capacité à affronter la vision de son fils, immobile sur son lit. Aucun père n'y était préparé, chacun se persuadant qu'il saurait toujours protéger son enfant et que le seul moment où il aurait à lui rendre visite à l'hôpital était le jour de sa naissance – ou de celle de ses petits-enfants. Alors sans doute se serait-il effondré s'il s'était retrouvé seul face à l'évidence qu'il n'avait rien pu empêcher, mais heureusement Archie était là et c'était un réconfort pour lui. Il l'invita donc à s'approcher et à prendre place à ses cotés, convaincu qu'il ne pourrait y avoir de vision plus rassurante pour James que de surprendre leurs deux visages à son réveil. Norman ignorait si son fils avait eu le temps de voir Archie lui porter secours après son agression, tout comme il ignorait quasiment tout ce qui s'était passé ce soir, si ce n'est que James avait été pris à parti par des voyous de la pire espèce. La violence avec laquelle il sentit sa gorge se serrer lorsqu'Archie confirma les craintes qu'il n'osait énoncer à voix haute fut ainsi déroutante. « Un crime de haine... C'est ce que je redoutais. » Sa voix se brisa, car de tous les scénarios auxquels il avait pensé celui-ci était sans doute le plus douloureux. Ses yeux se reposèrent sur la silhouette allongée de son fils et il déposa sa main sur la sienne pour la serrer. Norman ne montrait pas facilement à quel point il était abattu, mais son cœur avait rarement été plus éprouvé que ce soir. Bien sûr, la colère se diffusa dans ses veines à l'idée qu'on ait roué de coups son garçon pour une raison aussi sordide que celle que ni Archie ni lui ne mentionnaient ici tout à fait clairement. Mais ce qu'il ressentait surtout était une immense tristesse. « Qu'allez-vous faire Archie ? » Pivotant son visage inquiet vers celui du jeune homme, Norman lui souffla presque comme s'il s'adressait à son propre enfant. « Rien de dangereux, j'espère. James ne voudrait pas que vous vous attiriez des ennuis à cause de lui. Vous êtes un homme bien, bien meilleur que ces ordures qui l'ont cloué dans ce lit. » Il ne connaissait peut être pas Archie depuis assez longtemps pour s'en être fait une opinion objective et définitive sur son compte, mais il lui apparaissait depuis le premier soir comme un garçon courtois, intelligent et définitivement pas comme une brute épaisse. Lui, il n'aurait sans doute jamais pu s'en prendre à quelqu'un simplement parce qu'il était différent, il suffisait de voir la détresse et l'implication brillant au fond de ses yeux depuis qu'il était entré dans cette chambre. « A ma connaissance, oui, mais vous savez... James ne se confie pas beaucoup à moi. Petit déjà, il arrivait qu'il rentre tout éraflé de l'école et qu'il me dise qu'il s'était fait ça tout seul. » Norman secoua la tête, réalisant pendant qu'il tenait la main de son fils que vingt ans avaient passé mais qu'il restait un père inquiet face à son enfant. « Chaque fois que je demandais, il m'assurait que tout allait bien. Il a toujours été comme ça, je crois qu'il n'a jamais voulu m'inquiéter. Mais un père sent ce genre de choses, il sent quand son enfant souffre... » Et bien plus souvent qu'il n'avait osé se l'avouer à l'époque, il avait senti que son fils se renfermait sur lui-même. « Vous savez, je me suis toujours fait beaucoup de souci pour lui. Je savais que la vie ne serait pas toujours tendre avec lui, que la haine se trouvait à chaque coin de rue et que certains décideraient de lui faire payer... celui qu'il était, et qui il aimerait. » Sa gorge se serra et son regard brilla d'une lueur triste. Il voulait bien sûr parler de l'homosexualité de son fils, un sujet que James et lui n'avaient vraiment évoqué qu'à quelques reprises, notamment le jour où son fils lui avait confié qu'il croyait aimer les garçons et celui où il lui avait présenté Alessandro. Rapidement, au fils des années, son père avait juste accepté cette idée comme quelque chose qui faisait partie intégrante de son fils et qu'il n'avait aucune raison de rejeter. « J'ai fait du mieux que j'ai pu pour lui montrer que je l'aimais tel qu'il était et que son bonheur était la chose la plus importante à mes yeux, mais aujourd'hui je ne peux pas m'empêcher de penser que j'ai sans doute raté quelque chose en voulant respecter son besoin de tout garder pour lui... » Et alors qu'une question lui brûlait les lèvres, Norman hésita une seconde à la poser. « Est-ce qu'il... vous parle, parfois ? Est-ce qu'il se confie à vous ? » Son regard retrouva longuement celui d'Archie, qui ce soir définitivement était comme un rempare dans la nuit pour le père désœuvré qu'il était. « Je suis désolé, il m'en voudrait de vous poser la question mais je me dis qu'il a peut être plus de facilités à vous parler, à vous qui avez le même âge que lui... » Toujours selon l'idée qu'ils étaient amis, tous les deux, sans qu'il n'ose pourtant clairement demander à Archie s'il avait raison de croire que l'état de santé de son fils le préoccupait sincèrement. Il le sentait, et ça lui suffisait. « Je m'inquiète pour lui, c'est tout. » Et ses yeux cherchaient au fond des siens n'importe quoi qui pourrait atténuer ne serait-ce qu'un peu cette inquiétude. Pourtant, ça n'était pas le rôle d'Archie de le rassurer, il était simplement ce soir le seul vers qui il pouvait se tourner.
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| | | | (#)Mar 8 Juin 2021 - 13:56 | |
| So wake me up when it's all over. tw : homophobie, violence. Norman Weatherton est trop gentil avec lui. Il ne mérite pas ces attentions qu’il lui offre le plus naturellement possible. Il ne mérite pas cette main qui se pose sur son épaule comme s’il souhaitait le nommer preux chevalier, sauveur de son fils, qui n’aurait à la base jamais été attaqué si Archie n’avait pas implanté cette idée dans la tête de ses agresseurs treize ans plus tôt. Il a l’impression que le karma le regarde par la fenêtre de l’hôpital et le pointe du doigt, moqueur, les yeux remplis de malices et de satisfaction. Archie n’a pas demandé une seule fois s’il avait le droit de retrouver l’opéré dans sa chambre maintenant que ses plaies avaient été recousues par les mains d’experts. Il a attendu comme un imbécile au milieu du corridor en attendant qu’une poussée de courage lui botte le cul. Personne ne lui a adressé la parole et, lui, il a gardé le nez vers le bas pour imprimer dans sa tête le carrelage du corridor de l’hôpital. Maintenant que le père de James l’invite à se joindre à lui dans la chambre, il laisse ses jambes le porter jusqu’à lui. « Merci, monsieur. » Il s’empresse de répondre, humblement, le regard fuyant comme depuis qu’il n’est plus seul dans son angoisse. « Et puis, vous devez déjà le savoir, mon fils et moi n'avons pas beaucoup de famille. » Il se pince lèvres en accrochant son regard au sien et il acquiesce. Lui et James se parlent quelques fois, et la discussion ne se contente pas toujours des banalités de leur travail. Il leur arrive de glisser quelques mots plus personnels, comme s’ils devenaient inconsciemment des amis. Il ne l’aurait jamais cru, si on lui avait dit qu’il se mettrait à attendre impatiemment les pauses café pour observer les fins doigts du styliste autour de sa tasse. Il aime s’imaginer les enrouler à nouveau de rubans, mais il se reprend rapidement en se raclant la gorge lorsqu’il réalise que ses rêves deviennent incontrôlable. « J’ai compris qu’il n’y avait pas de mère dans les parages lorsque j’ai réalisé qu’il ne m’en avait jamais parlé. » Il souffle doucement, suivant Norman la tête basse dans la chambre. Au milieu, le lit semble immense parce qu’il est accompagné d’une dizaine d’appareils médicaux qu’Archie a seulement entraperçus dans les films. Il jette un regard furtif sur l’engin qui enregistre les battements de son cœur (un cardiogramme, il pense) et peut seulement constater que celui de James est profondément endormi. Il ne s’agite pas davantage lorsque deux silhouettes se joignent à la silhouette endormie de son propriétaire. Incapable de regarder plus longtemps la victime du crime de haine, Archie préfère observer silencieusement le père. Même s’il déteste voir la douleur dans son visage, il préfère surmonter le moment par son intermédiaire. Les premières questions s’échappent naturellement de la bouche d’un Norman contrarié et l’actionnaire ne passe pas par quatre chemins. Il est clair, concis, parce qu’il n’a aucune raison de mentir. Il sait que ces hommes ont tabassé James pour le plaisir, simplement parce qu’il est différent des autres. Il pensait comme eux, avant – du moins, il faisait semblant pour ne jamais embrouiller son image. Et, aujourd’hui, il a envie de leur arracher les dents avec une pince. Archie n’est pas violent, pas réellement, mais jamais la rage n’a autant bouilli dans ses tripes. Il vomirait sur le sol s’il n’avait pas honte de faire travailler davantage le personnel hospitalier. « Qu'allez-vous faire Archie ? » Il ne se rend pas compte que ses mains sont jointes ensembles et terriblement serrées. Il sent ses phalanges se compresser ensemble mais la douleur et imperceptible comme si on lui avait fourni des antidouleurs à lui aussi. « Je ne m’attirerai pas d’ennuis. Je sais prendre soin de mon image, c’est mon travail. Je trouverai leurs noms et, pour le reste, la justice fera son travail. » Il marmonne en esquissant un sourire qui n’a rien de naturel. Sa poitrine se soulève alors qu’il inspire bruyamment pour tenter de contenir sa rage envers ses anciens camarades de classe, dont il connait déjà l'identité, mais aussi envers lui-même et ses idéologies exécrables. Pour se calmer, il se met à fixer la main paisible de James, ouverte, l’attendant toujours. Il ne trouve aucune ecchymose sur ses doigts. Il n’a pas essayé de se défendre. Il a peut-être l’habitude qu’on lui fasse regretter son orientation sexuelle, et c’est la prochaine question que pose le jeune homme au père inquiet. « A ma connaissance, oui, mais vous savez... James ne se confie pas beaucoup à moi. Petit déjà, il arrivait qu'il rentre tout éraflé de l'école et qu'il me dise qu'il s'était fait ça tout seul. » Il reste aphone, honteux. S’il n’a jamais lui-même levé les poings contre son fils, il n’est jamais venu à son aide lorsque d’autres s’en prenaient à lui. Il regardait sans parler, sans se soucier du mal que cela causait à l’élève puni sans raison. « Vous savez, je me suis toujours fait beaucoup de souci pour lui. Je savais que la vie ne serait pas toujours tendre avec lui, que la haine se trouvait à chaque coin de rue et que certains décideraient de lui faire payer... celui qu'il était, et qui il aimerait. » Ses phalanges se serrent encore plus, si c’est possible, et il sent enfin la douleur foudroyante. Il sursaute presque sous la surprise mais, pour dissimuler sa réaction, il passe sa main dans sa barbe en reniflant. Pendant un instant, il maudit intérieurement James pour lui avoir révéler ses sentiments à son égard. Mais il se maudit lui aussi, parce qu’il n’a pas su taire son secret lui non plus. Il ferme les paupières quand il repense au baiser et il souffle un juron à peine perceptible. « J'ai fait du mieux que j'ai pu pour lui montrer que je l'aimais tel qu'il était et que son bonheur était la chose la plus importante à mes yeux, mais aujourd'hui je ne peux pas m'empêcher de penser que j'ai sans doute raté quelque chose en voulant respecter son besoin de tout garder pour lui... » Ses yeux sont gorgés d’eau et il a terriblement honte. Il préfère garder la tête rivée vers le mur pour empêcher Weatherton de constater sa réaction. « Je suis certain qu’il sait que vous l’aimez. » Les mots sont formulés rapidement pour ne pas qu’ils se cassent. Il n’arrive pas à poursuivre la conversation et à relancer le sujet. Le vieil homme entendrait l’étrange peine dans sa voix. Il imagine son propre père à la place de Norman pour remettre ses idées en place. Il contrôle sa respiration. « Est-ce qu'il... vous parle, parfois ? Est-ce qu'il se confie à vous ? » Ses orteils se serrent dans ses chaussures. La semelle semble avoir disparu sous ses pieds, il tombera d’un moment à l’autre. Il ne peut se résoudre à répondre tout de suite alors il laisse son interlocuteur alimenter lui-même la discussion. « Je m'inquiète pour lui, c'est tout. » Il pose ses yeux sur lui seulement après avoir compté jusqu’à cinq dans sa tête. Vaguement, il secoue la tête de droite à gauche, puis hausse mollement les épaules avant d’entrouvrir les lèvres. « Non. Il ne me parle pas de ça. Il garde toujours la tête haute. Il semble invulnérable, complètement protégé du monde qui l’entoure. C’est un bon patron, il est né pour régner. » Il esquisse un sourire qui se veut rassurant mais pendant un instant il oublie de retenir ses larmes. L’une d’elles s’échappe de sa paupière et coule le long de sa joue. Dans un réflexe rapide et brusque, Archie vient l’essuyer du revers de la main en détournant à nouveau la tête. « Haha ! » Il lance, faussement amusé. « Je ne sais pas ce qu’il me prend. La nuit a été longue. » Il tapote du mieux qu’il le peut ses joues avec sa manche pour éponger la moindre goutte d’eau. « Je pense que j’ai besoin de ma dose de caféine. » Il s’empresse d’ajouter sur un ton plein d’humour, espérant que Norman mordra à l’hameçon.
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| | | | (#)Mer 23 Juin 2021 - 22:48 | |
| So wake me up when it's all over. tw : homophobie, violence. L'apparente reconnaissance affichée sur les traits d'Archie toucha sincèrement Norman, qui s'étonnait sans doute que l'homme qui avait secouru son fils ait presque l'air surpris qu'il l'autorise à le suivre à l'intérieur de la chambre. Il ne méritait rien de moins que cette considération après avoir non seulement évité que James passe une seconde de plus inconscient en pleine rue, mais avoir aussi été celui qui l'avait informé de l'accident. Sans son coup de téléphone, Norman ne serait jamais arrivé aussi rapidement et il se le serait probablement reproché toute sa vie. Aujourd'hui Archie avait fait énormément pour leur famille et l'homme d'affaires pourtant généralement inébranlable ne pouvait cacher son émotion autant que sa gratitude. La chambre était si silencieuse que même les bruits des machines paraissaient lointains, et la lumière dans laquelle baignait les lieux qui s'y engouffrait depuis la large fenêtre donnait l'impression d'une paisible rêverie, où James dormirait simplement sans qu'aucun mal ne lui ait été fait. La vérité était pourtant toute autre et si le cœur de son père se serra à cette simple idée, Norman eut aussi l'impression qu'une certaine fébrilité s'empara d'Archie au moment où ils s'approchèrent tout deux du lit du styliste. Que dirait-il, s'il voyait l'émotion sur leurs visages et la fatigue creusée sous leurs yeux après ce qui avait été une nuit interminable, tant pour l'un que pour l'autre ? Probablement que tout ça ne méritait pas d'en faire autant d'histoires, et qu'il était bien inutile de s'inquiéter pour lui. Parce qu'autant il savait s'emporter et se laisser piéger par ses émotions dans les moments où ça pouvait lui jouer le plus de tours – comme auprès d'Archie, à Paris, durant ce voyage qu'il s'était bien gardé de raconter en détails à son père – autant James dédramatisait toujours ce qui pouvait lui arriver. « Sa mère et moi sommes séparés depuis longtemps. James était encore un enfant lorsque les choses sont devenues compliquées et... disons que mon ex-femme ne s'est pas vraiment battue pour avoir sa garde après notre divorce. » Une pensée qui valut à Norman d'afficher une légère moue attristée. Il y a longtemps qu'il avait fait le deuil d'un mariage qui n'avait de toute façon jamais été une pleine réussite, mais pour James il avait toujours soupçonné que les choses avaient été plus difficiles à accepter. Non pas qu'il l'ait montré un seul instant, même étant jeune, mais son père avait toujours perçu chez lui un besoin infini de gagner l'admiration et l'affection des femmes qu'il rencontrait, comme s'il cherchait en quelques sortes à compenser celle qu'il n'avait jamais vraiment eu de la part de sa mère. Si ses plus grands modèles étaient des femmes, s'il dessinait principalement pour des femmes, ce n'était peut être pas sans raison. « Heureusement certains mariages résistent au temps. Vos parents semblent former un couple uni et heureux. » Il adressa à Archie, dans un sourire d'autant plus sincère qu'il en avait fait lui-même le constat quelques semaines plus tôt, au restaurant. « Pourrez-vous transmettre mes amitiés à votre père, lorsque vous le verrez ? Nous avons passé un bon moment à discuter, l'autre soir, et j'aimerais vraiment qu'il sache que nous lui sommes reconnaissants pour cette soirée. » Une soirée dont Norman n’imaginait pas un instant qu'elle ait été une véritable épreuve, tant pour Archie que pour James, et même pour Madison qui bien malheureusement s'était retrouvée au milieu d'un échange teinté de réflexions embarrassées et de piques abruptes. Sans surprise son fils ne s'en était pas confié auprès de lui, bien trop gêné d'avoir passé la soirée à rougir autant qu'à maudire celui qui pourtant ne quittait plus ses pensées. S'il brillait au fond du regard de Norman une profonde envie de revanche maintenant qu'il pouvait voir l'état dans lequel son fils avait été laissé par ses agresseurs, la colère qu'il percevait chez Archie faisait naître en lui le début d'une inquiétude. Aucun de ces voyous ne méritait qu'on se salisse les mains pour eux, encore moins qu'Archie prenne le risque de s'attirer des ennuis. Il était aux yeux de Norman un garçon beaucoup trop sérieux et travailleur pour risquer tout ce qu'il avait. Une partie de lui ne pouvait s'empêcher de poser sur le jeune homme un regard presque paternel, subitement pris d'une affection sincère pour lui. « Vous avez raison, c'est à la justice de s'occuper de leur cas. Je connais trop bien mon fils pour savoir qu'il refusera de porter plainte, mais je ne compte pas les laisser s'en tirer facilement. » C'était mal connaître Norman Weatherton, dirigeant intraitable depuis des décennies qui avait fait plier de nombreuses personnes à mesure qu'il consolidait sa place dans le monde des affaires. Au fond, Archie et lui se ressemblaient sur beaucoup de points. Deux hommes ambitieux qui avaient sans doute beaucoup appris de leur propre père, et qui nageaient depuis des années au milieu des requins en s'assurant toujours de mordre plus fort que les autres. James, en comparaison, était un artiste à l'esprit beaucoup plus libre et inconventionnel, qui éprouvait autant de plaisir à révolutionner son monde qu'eux en éprouvaient à gravir des marches jamais trop hautes pour eux. James et son père s'étaient toujours parfaitement complétés, et c'est pour ça qu'il ne pouvait s'empêcher de sourire à l'idée qu'il en aille probablement de même pour Archie et son fils. Ils formaient une sacrée paire, et Norman se surprenait depuis déjà quelques temps à observer tout ça avec un certain plaisir. Comme si, tout au fond de lui, il percevait qu'il n'était pas seulement question d'une bataille d'egos sur fond de collaboration fructueuse, comme ils en donnaient parfois l'impression. « Heureusement qu'il vous a, Archie. » Sa remarque flotta dans les airs un instant et son regard rencontra brièvement celui de l'actionnaire, sans que son sourire ne laisse entendre davantage que la sincérité de ses paroles. Parler avec lui était d'un profond réconfort pour le père qu'il était, alors qu'il ne pouvait s'empêcher de culpabiliser une nouvelle fois de n'avoir pas su protéger son fils de l'idiotie humaine. James n'avait jamais rien laissé paraître devant lui et pourtant, son père ne s'était jamais laissé berner par cette carapace imperméable qu'il revêtait depuis toujours. « Il a toujours été comme ça. Je ne l'ai jamais vu craquer ni montrer ses faiblesses, même lorsque... » Il s'interrompit, puis reprit après une seconde. « Enfin, il a sans doute du vous en parler. » Lui parler de son ancien compagnon, de son décès et de ce chapitre de sa vie que James n'évoquait pourtant que rarement. Il y a encore quelques mois, Norman aurait pu supposer qu'Archie n'en savait que le minimum, mais à le voir aujourd'hui si concerné par le sort de son fils il se prenait à imaginer que, peut être, James avait trouvé en l'actionnaire le confident dont il avait secrètement besoin. Serait-ce si improbable ? Pas si on considérait qu'Archie était dans cette chambre, à ses cotés, au chevet de James. Et comme pour conforter son intuition, voilà qu'une émotion fulgurante sembla s'emparer d'Archie, dont les larmes touchèrent Norman en plein cœur. « Vous êtes sûr que ça va, Archie ? Vous semblez vraiment exténué. » Soucieux, il se tourna de nouveau vers lui. « Vous avez besoin d'un bon café et de vous dégourdir un peu les jambes. Combien d'heures vous avez attendu dans le couloir ? C'est inadmissible que personne ne vous ait rien proposé. » Et les émotions étaient à cet instant si exacerbées que Norman sauterait probablement à la gorge au premier médecin qui aurait l'idée de franchir cette porte. Fort heureusement personne ne vint les déranger et c'est finalement au bout de quelques secondes qu'il reposa son regard sur Archie et qu'un sourire bien différent gagna ses lèvres. « Vous tenez à James, n'est-ce pas ? » Les mots étaient dénués de sous-entendu, quoi qu'il puisse au fond de lui avoir l'impression de toucher du doigt à mesure que l'émotion d'Archie en appelait à ses instincts de père. Il tenait à son fils, peu importe de quelle manière, et ça suffisait à réchauffer son cœur. « Je vois que vous êtes inquiet, mais vous savez autant que moi que c'est un battant. » A tel point que si James ouvrait un œil, il demanderait probablement à retourner immédiatement au travail. « Je sais qu'entre hommes d'affaires on ne montre jamais ce qu'on ressent, mais ici voyez-moi plutôt comme quelqu'un devant qui vous n'avez pas à avoir honte de vous laisser aller. Comme un allié. » Et tandis que sa main se reposa par réflexe sur l'épaule du jeune homme, Norman n'eut pas conscience d'à quel point une partie d'Archie avait sans doute toujours manqué de véritables alliés, justement. Des alliés devant qui être lui-même et tomber le masque, rien qu'une seconde. Des alliés qui n'iraient jamais le juger, même quand comme à cet instant l'évidence sautait probablement aux yeux de Norman comme si elle était écrite en toutes lettres devant lui.
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| | | | (#)Sam 3 Juil 2021 - 12:32 | |
| So wake me up when it's all over. Archie n’a jamais interrogé James au sujet de sa famille. Ni quand ils étaient gamins, ni aujourd’hui. Le styliste n’aurait probablement jamais entendu le nom des proches de l’actionnaire lui non plus s’ils ne s’étaient pas croisés dans ce restaurant italien. Ils sont tous les deux des êtres très fermés et c’est le seul trait qu’ils partagent – oh, ça et peut-être quelque chose d’autre de plus intime. « Sa mère et moi sommes séparés depuis longtemps. James était encore un enfant lorsque les choses sont devenues compliquées et... disons que mon ex-femme ne s'est pas vraiment battue pour avoir sa garde après notre divorce. » Un vain hochement de tête répond à Norman. Il n’est pas surpris de l’apprendre. Il se souvient un peu trop bien, comme si les scènes avaient été esquissées au crayon dans sa mémoire : c’est toujours un père qui venait chercher jeune James après les cours. Au fil des années, ses cheveux avaient adopté des teintes grisées mais l’homme était resté le même, seul, jamais accompagné d’une femme. « Heureusement certains mariages résistent au temps. Vos parents semblent former un couple uni et heureux. » Ils se sont toujours interdits de lever le ton devant les enfants, c’est vrai. Ses parents se sont mariés à vingt ans et ils mourront ensemble, il le sait, c’est écrit dans le ciel. Leurs valeurs démodées ont toujours été les mêmes. Leurs avis ne divergent pas. Sa mère hoche fermement de la tête lorsque son père fait part de son opinion et vice-versa. « Ouais. » Il n’a pas envie de parler de ceux qui l’ont enfermé dans un petit moule et qui l’ont empêché de choisir sa voie. Il ne les détestera jamais mais une petite voix au fond de son cœur l’empêche d’oublier les torts qu’ils lui ont faits probablement sans s’en rendre compte. Ils voulaient que leur petit garçons et que leurs petites filles soient parfaits et parfaites, à leur image. Ils ont réussi. Aujourd’hui, Archie pourrait déjà prendre sa retraite et profiter d’une énorme baraque sur une île paradisiaque mais, s’il a une chose qu’il a compris, c’est que la richesse ne lui apportera jamais ce qu’il désire réellement. La moue déconfite, il observe un James inerte dans le lit de l’hôpital quand il écoute seulement d’une oreille la suite des paroles de l’homme à sa gauche. « Oui, oui, je le ferai. Ils ont été contents de vous rencontrer aussi. J’ai entendu de bons mots. » Seulement au sujet de Norman, pas à celui de James. Personne n’a osé prononcer le nom de ce garçon extravagant aux allures efféminées lorsqu’il a été le temps de dire au revoir. Archie avait l’impression de pouvoir lire dans les pensées de Charles. Ses sourcils étaient plus froncés que d’habitude et ses traits plus sceptiques. Cette vision l’avait tétanisé et sa poignée de main avait été moins ferme.
Inutile de repenser à cette soirée. Avec un peu de chance, ce genre de coïncidence ne se reproduira pas. Pour l’instant, Archie peut plutôt s’inquiéter pour James et les bandages qui recouvrent son visage, là où les coups ont gonflé sa chair. Il évite de trop longtemps regarder les dégâts parce qu’il peine déjà assez à retenir la boule dans le fond de sa gorge. Il ne sait pas si cette dernière va se transformer en larme ou en vomi. Dans les deux cas, il serait humilié s’il perdait le contrôle. « Vous avez raison, c'est à la justice de s'occuper de leur cas. Je connais trop bien mon fils pour savoir qu'il refusera de porter plainte, mais je ne compte pas les laisser s'en tirer facilement. » Il le connait trop bien lui aussi. Pas une seule fois il ne s’est plaint aux enseignants quand il subissait les moqueries d’Archie tous les jours dans les corridors de l’école. Il possède une fierté substantielle qui ne se laisse pas si facilement détrôner. Les autorités ne seront jamais informés de cet acte haineux si le trentenaire ne passe pas lui-même à l’action. Il connait déjà les noms des coupables, heureusement – malheureusement. « Ils ne s’en sortiront pas sans une année de prison. » Un mince sourire de revanche étire les lèvres de l’actionnaire mais il se reprend rapidement en passant sa main sur sa bouche puis dans sa barbe. Il ne sait plus comment gérer ses émotions. Il ne devrait pas rire à cet instant, Norman pourrait tirer de mauvaises conclusions. Il n’est pas question pour lui de souiller son image, encore moins dans une situation aussi délicate. « Heureusement qu'il vous a, Archie. » Un frisson traverse son échine. Il a tellement faux et il ne s’en rendra jamais compte. Personne n’aurait tabassé James dans cette ruelle si ce dernier n’avait jamais croisé le chemin de l’homme à l’égo surdimensionné. Il a été sa première victime et le karma ne le laissera jamais respirer, prédateur bien accroché à sa proie et qui jouit de l’entendre couine. C’est l’impassibilité qui sculpte le visage d’Archie car il creuse dans ses dernières forces pour ne laisser trainer aucun indice derrière lui. Il a l’impression que ses yeux hurlent que les fautes sont les siennes. Norman est trop gentil pour s’en rendre compte, tout simplement. « Il a toujours été comme ça. Je ne l'ai jamais vu craquer ni montrer ses faiblesses, même lorsque... » Il connait la suite sans qu’elle ne vienne. Il hoche doucement la tête, toujours pris d’un mutisme surnaturel. « Oui, un peu. Je sais son nom mais pas la cause de son décès. Je n’ai pas voulu lui demander, j’ai bien vu qu’il n’avait pas terminé de faire son deuil. » Il répond d’une voix calme, attristée, ses mots tremblant légèrement sur la fin. Qui peut réellement se remettre du décès d’un proche ? Lui-même croit souvent entendre la voix de sa sœur aînée, comme un murmure spectrale à travers les murs. Elle n’a pas vieilli, dans sa tête. Elle est toujours restée la jeune adolescente partie trop tôt.
L’émotion prend le dessus sur le semblant de contrôle qu’avait Archie jusqu’à présent. Il sent une larme rouler sur sa joue et il s’empresse de la faire disparaître avec sa marche. Si Norman ne l’a pas vue au départ, c’est son mouvement brusque qui l’a trahi. « Vous êtes sûr que ça va, Archie ? Vous semblez vraiment exténué. » Il hoche vivement la tête pour tenter de se convaincre lui-même. « Vous savez, la fatigue peut transformer un homme. » Il prétend en gloussant, s’efforçant à sourire pour banaliser la situation. « Je n’ai jamais rien demandé non plus. » Il répond pour défendre le personnel hospitalier. Il n’avait de toute façon pas la force de parler dans ce corridor où il attend depuis plusieurs heures. Peut-être que la discussion se lancera dans cette discussion, peut-être qu’il pourra se lever pour aller se chercher un café et éviter les représailles mais Norman est plus rapide que lui. « Vous tenez à James, n'est-ce pas ? » À la simple évocation de James, il sent les larmes inonder à nouveau ses paupières, prêtes à se renverser en raz-de-marée sur ses joues. Il n’arrive pas à répondre. Il ne pourrait pas. Sa voix n’existe plus. « Je vois que vous êtes inquiet, mais vous savez autant que moi que c'est un battant. » Il le déteste. Il veut qu’il arrête de parler, qu’il lui laisse le temps de ravaler sa peine. Mais, demandez à un homme blessé s’il va bien et il implosera. La bombe atomique vibre dans le fond de ses tripes ; il la sent, il la hait elle aussi. « Je sais qu'entre hommes d'affaires on ne montre jamais ce qu'on ressent, mais ici voyez-moi plutôt comme quelqu'un devant qui vous n'avez pas à avoir honte de vous laisser aller. Comme un allié. » Un allié. Il n’en a jamais eu. La main du père se pose sur son épaule et un soubresaut secoue sa poitrine. Son visage se crispe et il se tord légèrement vers l’avant : la douleur dans son ventre est terrible. Quelques autres sanglots s’échappent de sa gorge déployée et il se cache derrière ses mains. Ses paumes écrasent son front et ses tempes. Il n’arrive plus à respirer. La panique s’attache à lui, à tous ses membres dont il perd le contrôle. Et, dans un souffle qui ressemble à une plainte, il laisse s’échapper ces mots, ce fardeau, ce trésor maudit : « J’aime les hommes. » Courte hésitation avant qu'il ne reprenne: « Non. Non. Je l’aime, lui. » Pas besoin de désigner le blessé dans le lit. Il n’a jamais été amoureux et, s’il n’en était pas certain il y a quelques jours, il sait dorénavant ce que le véritable amour lui apporte : beaucoup de douleur.
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| | | | (#)Lun 19 Juil 2021 - 23:44 | |
| So wake me up when it's all over. Si personne ne connaissait mieux James que son propre père, il y a certaines facettes de sa personnalité qui échappaient parfois encore à Norman et la capacité du styliste à dresser de hauts murs entre lui et les autres parvenait encore à le surprendre. Petit déjà, James était d'un tempérament si secret qu'il gardait pour lui une infinité de choses qui auraient suscité tantôt la fierté de son père, tantôt son inquiétude. Ses résultats excellents à l'école, ses capacités artistiques qui lui avaient très tôt valu d'être remarqué par ses professeurs et par la suite promis à un brillant avenir de créateur. Mais aussi les humiliations et intimidations qui ponctuaient ses journées de cours, les éraflures dissimulées sous les manches de ses pull-overs – y compris en plein été – et la façon dont son matériel de dessin était fréquemment dégradé ou plus communément perdu, tel que le jeune James l'assurait à son père. Alors il n'y avait sans doute rien d'étonnant à ce que Norman sous-estime encore parfois la capacité de James à garder les autres en dehors de sa vie, notamment lorsqu'ils avaient comme Archie déjà le pouvoir de troubler sa respiration et de hanter chacune de ses pensées. Si James s'était rarement confié à l'actionnaire sur les mésaventures conjugales de ses parents ou sur les circonstances de l'accident qui avait coûté la vie à son ancien compagnon, c'est parce qu'il se retrouvait suffisamment vulnérable en sa présence pour ne pas prendre le risque de perdre plus encore ses moyens en sa présence. Il s'était consciemment ouvert à lui, pourtant, peu de temps avant que ce baiser échangé chez le brun ne vienne tout chambouler. Et pour quel résultat ? Le sentiment de rejet qu'il avait expérimenté quelques jours plus tard n'était que l'une des nombreuses choses que James avait encore caché à son père. Il était bien inutile qu'il s'inquiète, après tout, personne n'était maintenant plus entraîné à encaisser et donner le change que le styliste. « Alessandro a perdu la vie dans un accident de moto. Ils ont dit à l'époque qu'il n'avait pas eu le temps de souffrir, mais je crois que pour James cette idée n'a qu'à peine adouci son chagrin. » La voix de Norman s'attrista comme celle d'un père qui avait vu son fils expérimenter l'une des pires pertes qui soient, celle de l'être aimé. Une perte qui il le savait avait été immensément douloureuse, quand bien même James n'en avait jamais rien montré, pas même devant lui. « Je ne l'avais jamais connu en couple avant ça, comme si après tout ce temps je redécouvrais mon propre fils. James était comme transformé en sa présence, malheureusement l'étincelle de joie que je voyais briller dans son regard s'est éteinte avec lui. Avec moi, il s'est braqué du jour au lendemain. » Et Norman s'était retrouvé complètement impuissant, incapable d'aider James qui refusait chaque main tendue et se noyait dans le boulot pour ne jamais se retrouver seul trop longtemps avec ses pensées. En tant que père il avait forcément culpabilisé de ne pas avoir pu faire plus. « Je ne devrais probablement pas vous raconter ça, mais j'ai le sentiment que vous méritez de connaître toute l'histoire. » Un sourire trouva le chemin des lèvres de l'homme d'affaires, qui couva Archie du regard. « Je sais qu'il peut parfois donner l'impression qu'aucun cœur ne bat sous cette carapace, mais je sais qu'il est capable d'aimer sincèrement. » Parce qu'il l'avait vu à l’œuvre, une fois, et que le bonheur semblait à l'époque irradier sur son visage. Et s'il choisissait de lui dire ça aujourd'hui, ça n'était pas complètement par hasard, mais parce qu'il pressentait que cette partie-là aussi pourrait potentiellement trouver un écho en Archie, dont il retrouva le regard sans un mot.
La voix épuisée d'Archie conforta quant à elle Norman dans l'idée qu'il avait vécu une nuit suffisamment riche en émotions et méritait de se reposer. Il avait veillé James durant de longues heures, quand bien même personne n'avait pensé à lui proposer d'entrer dans sa chambre, et pour ça Norman était prêt à le raccompagner lui-même jusqu'à son domicile pour s'assurer qu'Archie profite enfin d'un sommeil réparateur. « Bien sûr. Vous avez mérité de vous reposer, je compte sur vous pour prendre une journée de congé demain pour vous remettre de vos émotions. » Et il ne plaisantait pas, peu importe à quel point il avait pu se montrer amical depuis le début de cet échange. Norman ne pouvait peut être pas faire grand chose pour son fils à part attendre qu'il se réveille en priant chaque seconde pour qu'ils soient tous rapidement rassurés, mais il pouvait au moins veiller à ce qu'Archie récupère un peu des longues heures qu'il avait passé à attendre dans ce couloir. « C'est le PDG qui parle, plus seulement le père de James. » Et il savait bien qu'Archie et lui parlaient le même langage, qu'Archie lui ressemblait probablement bien plus que James qui avait toujours eu un esprit beaucoup plus artistique et anticonformiste. Norman n'usait de cette carte que parce qu'il voulait s'assurer de se faire entendre d'Archie, mais il n'en était pas moins sérieux pour autant.
L'inquiétude sincère qu'il voyait brillait au fond des yeux du jeune homme d'affaires le bouleversait naturellement en tant que père, et pour cette raison Norman éprouvait le besoin de faire sentir à Archie qu'il n'avait pas à avoir honte de ses émotions et moins encore de les laisser transparaître ici. Il n'était pas là, hier soir, il ne pouvait donc qu'imaginer à quel point ça lui avait demandé du sang froid d'appeler une ambulance alors que James était encore à moitié inconscient sur le bitume, le visage et le corps tuméfiés. S'il avait déjà montré son immense gratitude à l'égard d'Archie, c'était à présent l'inquiétude qui prenait le dessus et Norman ne pouvait s'empêcher de pressentir qu'il gardait beaucoup de choses pour lui et qu'une partie au moins pouvait être directement liée à James. Peut être était-ce son instinct paternel, ou son flair affûté par des années dans le monde des affaires, mais il sentait que l'émotion d'Archie pouvait ne pas être uniquement due à la fatigue et à ces dernières heures éprouvantes. Pourtant, lorsqu'il l'invita à se confier à lui comme à un vieil ami qui jamais n'émettrait le moindre jugement, il ne s'attendit pas un seul instant à ce que les mots bientôt soufflés par le jeune homme soient si criants de sincérité, frappant Norman en plein cœur tandis qu'il eut l'impression qu'Archie, justement, venait de lui ouvrir le sien. « Archie, venez par là. » Il se rapprocha suffisamment pour déposer ses mains sur les épaules du jeune homme, voyant la panique qui agitait ses membres, celle qui le secouait de part en part comme s'il venait de livrer l'aveu le plus difficile de toute sa vie. « Calmez-vous, tout va bien. Il n'y a que nous, et rien de ce que vous me dites maintenant ne sortira d'ici. » Il n'avait aucun intérêt à ébruiter leur conversation, encore moins alors qu'il croyait comprendre à sa façon de réagir que James lui-même n'était probablement pas au courant des sentiments qu'il inspirait à Archie. Cette idée aurait fait naître le plus grand des sourires sur les lèvres de Norman si l'état d'agitation d'Archie ne le rendait pas si soucieux. Alors, d'une voix calme et posée, il souffla. « J'ai déjà été amoureux, moi aussi, je sais combien ces choses-là peuvent parfois nous dépasser. Et je ne suis pas naïf, vous savez, je vois bien comment mon fils vous regarde et à quel point son comportement a changé depuis que vous travaillez avec nous. » James était probablement convaincu que ce changement avait échappé à tout le monde autour de lui, mais il n'en était rien et un père voyait forcément quand son fils avait la tête ailleurs et que son regard déviait volontiers et un peu trop souvent vers leur nouveau collaborateur. S'il avait toujours respecté son jardin secret, aujourd'hui bien des questions semblaient trouver leur réponse et Norman voyait son cerveau faire certaines connexions qu'il n'avait jamais vraiment osé faire avant aujourd'hui. « Je crois qu'il tient sincèrement à vous. » Et il s'autorisa à sourire, cette fois, quand bien même il savait que ces quelques mots vaudraient sans doute à James de pester vigoureusement à la seule idée qu'on puisse vouloir parler pour lui et, surtout, lui prêter des sentiments qu'il se persuadait de ne plus éprouver pour personne. « Vous êtes un bon garçon, Archie, je l'ai tout de suite su. Alors si vous me dites que vous aimez mon fils, j'en suis heureux. » Comment pourrait-il en être autrement ? Norman avait non seulement une image très positive d'Archie depuis leur rencontre, mais après cette nuit il le voyait en plus comme celui qui avait porté secours à son fils. « Mais ce n'est pas à moi que vous devez dire ces choses, vous le savez n'est-ce pas ? » Son regard interrogea le sien, songeant qu'il comprendrait que la personne à qui il devrait confier ce qu'il avait sur le cœur n'était pas assise en face de lui mais allongée sur ce lit. Norman n'était pas le bon destinataire pour ce message, mais il était profondément touché par la confiance d'Archie.
Le silence parut un instant avoir reprit ses droits à l'intérieur de la chambre, lorsque la silhouette de James s'agita lentement sous les couvertures, ses yeux s'ouvrant péniblement sur deux silhouettes qu'il mit probablement quelques secondes à reconnaître et à identifier. « James. » La voix de son père fut la première à lui parvenir, quand aucun son ne put encore franchir la barrière de ses lèvres. Encore légèrement anesthésié par l'effet des calmants, James prenait tout doucement conscience de son environnement en même temps que les souvenirs de la soirée d'hier lui revenaient au compte-goutte. « Tout va bien, tu es à l'hôpital. Archie est là, il est resté toute la nuit. » L'évocation de son prénom, pourtant, lui fit cligner des yeux et tourner la tête comme s'il n'osait croire que cette scène puisse se dérouler dans la réalité. Archie serait venu le voir à l'hôpital ? Il serait resté auprès de son père pendant ce qui lui avait semblé durer une minute mais avait sans doute été beaucoup plus long ? Il était resté, après l'agression, après les dernières images qu'il en avait gardé. Il était resté après les mots infiniment durs qu'ils avaient eu l'un pour l'autre au restaurant. « Archie... » Si prononcer le moindre mot lui demandait encore une énergie considérable, prononcer ces deux syllabes ne lui demanda presque aucun effort. Comme si son prénom était sur ses lèvres depuis qu'il s'était effondré en pleine rue, convaincu de l'avoir vu s'approcher de lui avant de perdre connaissance. Comme s'il l'avait accompagné dans ses rêves durant les quelques heures qu'il avait passé inconscient. « Vous voulez peut être que je vous laisse seuls. » Le regard de Norman quitta celui de son fils pour venir interroger celui d'Archie, qui à le voir si livide semblait presque moins bien portant que James dans son lit d'hôpital.
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| | | | (#)Lun 9 Aoû 2021 - 10:53 | |
| So wake me up when it's all over. Archie n’avait jamais posé de questions au sujet d’Alessandro. Comme lui-même n’aime pas se rappeler le décès de sa sœur, il s’était dit qu’il valait mieux pour tous les deux que le deuil ne revienne pas leur joueur des tours. Il ne s’est jamais remis de la disparition de Lola du jour au lendemain et de ce rôle qu’il avait aussitôt adopté. Il était devenu le plus vieux de la fratrie et il ne pouvait plus compter sur personne d’autre que lui-même pour assurer la sécurité de Madison et de Saddie. Il avait pris son rôle à cœur et ne pensait pas avoir échoué. S’il est de plus maladroit avec la plus jeune qui commence à ouvrir ses ailes vers des horizons plutôt flous aux yeux d’Archie, il ne pense pas que leur relation s’est fragilisée – il l’espère, surtout.
Les yeux de l’actionnaire, toujours aussi humides, se posent dans ceux de Norman alors qu’il lui raconte les faits. Un accident de moto, alors. James a encore moins vu venir la perte de l’un de ses proches. L’idée effraye Archie qui coince ses genoux entre ses doigts. Il écoute le reste de l’histoire en fixant le corps immobile du blessé, comme s’il tentait de lire à travers son visage fermé la peine qu’il a enduré. Un minuscule sourire soulève le coin de ses lèvres quand il imagine les yeux brillants de James lorsqu’il était amoureux mais il s’en débarrasse bien rapidement pour ne pas se laisser envouter par cette idée. « Je sais qu'il peut parfois donner l'impression qu'aucun cœur ne bat sous cette carapace, mais je sais qu'il est capable d'aimer sincèrement. » C’est bien cela qui le terrorise. Il a peur de ce qu’un amour réciproque pourrait lui apporter. Seulement du tort, il pense, tandis qu’il imagine déjà sa famille lui fermer la porte au nez. La tête lourde, Archie contemple la poussière sous le lit d’hôpital et tente de s’y perdre pour ne devenir lui aussi qu’une simple miette insignifiante sans émotions, incapable d’éprouver ce sentiment amoureux qui fait paniquer son cœur. Maintenant qu’il a conscience que l’état fragile de James le déstabilise autant, il a compris qu’il se ment à lui-même depuis le jour où il s’est mis à penser à James quand plus rien ne le distrayait. Il voyait l’ombre de son visage dans le plafond qui le surplombait lorsque le sommeil ne venait pas à lui. Il alimentait ses rêves, des rêves qui lui étaient imposés, dont il ne pouvait pas dispenser. Il n’a jamais eu le choix de tomber amoureux. « Bien sûr. Vous avez mérité de vous reposer, je compte sur vous pour prendre une journée de congé demain pour vous remettre de vos émotions. » Demain, aujourd’hui ; les deux journées se sont mutées en une seule. Si en temps normal il aurait préféré se changer les idées en travaillant, il sait déjà qu’il sera trop épuisé pour démarrer son ordinateur et plonger son nez dans les dossiers. Il craint déjà les rêves qui viendront à lui quand il fermera les yeux en pleine journée. « Oui. Je n’aurais de toute façon pas l’énergie pour faire quoi que ce soit. » Il répond les lèvres pincées, délaissant la poussière sous le lit pour acquiescer de la tête en regardant Norman. L’ombre d’un sourire étire ses lèvres quand le père de James précise qu’il s’agissait des mots d’un PDG, un homme qui saurait probablement mieux comprendre Archie et ses aspirations démesurées.
Avec un peu de chance, la discussion se serait terminée là et le jeune homme aurait pu franchir le pas de la porte pour retourner chez lui et profiter d’un peu de sommeil minimalement réparateur. Seulement, il se retrouve cloué sur cette chaise qui ne fait dorénavant plus qu’un avec lui et les émotions dans son cœur l’écrasent, l’empêche de déplier ses genoux. Il déverse tous les maux par les mots et, pour la première fois de sa vie, il s’entend admettre la vérité à voix haute : il aime les hommes ou, plutôt, il est amoureux de James. Il a honte, le sentiment lui lacère les poignets, les bras, le ventre, les cuisses, les genoux ; son corps entier saigne d’amour et il serre les poings pour se faire mal réellement. Pour ne plus subir la peine qui restreint sa respiration et l’empêche de poursuivre plus longtemps. « Archie, venez par là. » Il ne bouge pas. Il n’en est pas capable. Il sent les mains de Norman se poser sur ses épaules et un éclair douloureux lui redresse le dos. Ses yeux gorgés d’eau s’accroche à ceux de l’homme soudainement trop près de lui. Et pourtant, il ne lutte pas. Il se laisser bercer par ses mots en imaginant la voix de Charles à la place de la sienne. Il flotte au-dessus du sol et seules les mains de Norman l’empêchent de partir à la dérive dans la grandeur infinie de l’univers inexploré. « Calmez-vous, tout va bien. Il n'y a que nous, et rien de ce que vous me dites maintenant ne sortira d'ici. » Mais il a peur que James ait entendu. Il a peur de voir son visage se métamorphoser lorsqu’il apprendra qu’Archie n’est pas aussi fort qu’il le prétend. « Je crois qu'il tient sincèrement à vous. » C’est ça le problème. « Vous êtes un bon garçon, Archie, je l'ai tout de suite su. Alors si vous me dites que vous aimez mon fils, j'en suis heureux. » Il ne comprend pas. Il ne pourrait pas comprendre. Il est un père aimant, ça s’entend dans la douceur terriblement honnête de sa voix. Il aimerait le prendre dans ses bras et humer le parfum de Charles à la place, parce qu’il serait enfin libéré de ses démons. « Mais ce n'est pas à moi que vous devez dire ces choses, vous le savez n'est-ce pas ? » Il ne réalise pas qu’il bascule doucement, très doucement, la tête de droite à gauche pour se convaincre de ne rien dire. Il ne doit pas le faire. En seule réponse, il pivote le regard vers James, toujours endormi, mais sa vision est complètement embrouillée de larme. Il voit le monde derrière un voile flou.
Et puis c’est la fin du monde. Le blessé se tord sous les draps et anime la couverture qui était restée jusqu’à présent aussi lourde et statique que le marbre. Il n’est plus une sculpture de pierre et il ouvre les paupières. Aussitôt. Archie détourne la tête. Il coince ses mains entre ses genoux et exerce une pression considérable, assez pour se broyer les os. « Tout va bien, tu es à l'hôpital. Archie est là, il est resté toute la nuit. » Il lutte pour ne pas le regarder. Il lutte tellement fort qu’il oublie son propre nom et, quand James le prononce entre ses lèvres étourdies, il ne le considère pas comme le sien. « Vous voulez peut être que je vous laisse seuls. » Il secoue la tête vivement. Ses cheveux fouettent ses joues. Il se hisse sur la chaise et ses pattes grincent contre le carrelage. « Non. Non. » Il prononce un troisième « non » en contournant le siège de Norman et il traverse le cadre de porte comme s’il cherchait un air à respirer. Il ne le trouve que dehors, dans le parking de l’hôpital, et ses poumons lui brûlent à un tel point qu’il grimace de douleur parce qu’il réalise que n’importe quel coup de poing, que n’importe quel couteau planté dans son ventre ou que n’importe quelle balle qui pénètre sa chair ne lui feraient pas aussi mal que tout ce qu’il ressent pour James et sa foutue ;
Foutue.
Foutue.
Perfection.
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| | | | | | | | so wake me up when it's all over (jarchie #10) |
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