Mars 2021. Il y a une détermination certaine dans les pas qui la font traverser le parking du bowling qu’elle découvre pour la première fois. Elle n’est pas là pour l’amusement, elle n’est pas là pour rejoindre un groupe d’amis ou pour boire un verre. Si Gabrielle vient en ces lieux, c’est pour rencontrer une personne qui, peut-être, pourra lui apporter les réponses qu’elle cherche depuis des mois, voire des années. Depuis qu’elle a eu ce rapport de police sous les yeux, depuis qu’elle a appris par ses propres moyens que son frère avait été emprisonnée pendant un an entier sans qu’évidemment, il ne daigne lui dire par lui-même. Ne parlons pas du cadet qui n’a pas jugé bon de la tenir informé lui non plus. C’est surtout sa dernière rencontre avec Finn qui la pousse à venir à la rencontre d’une dénommée Lou Grimes. Son nom lui était restée dans un coin de sa tête alors qu’elle avait parcouru ce rapport un million de fois. Elle le connaissait par cœur et pourtant, le soir de sa rencontre avec son frère, après être rentrée chez elle, elle avait replongé le nez dedans. Le nom de Lou était alors apparu comme une évidence, une de ses dernières cartes qu’elle pourrait jouer pour peut-être apprendre la vérité. Cette vérité dont Finn cherche sûrement à la protéger, pensant le choix plus judicieux de continuer à lui mentir quand Alex est pourtant en cavale et toujours activement recherché. Une erreur. Ça va s’arranger. Voilà les seules explications qu’il lui a données. Ce n’est pas suffisant pour elle, quand évidemment elle s’inquiète pour son frère aîné. Sa dernière carte sera la sienne, mais pour le moment, il est introuvable. Gabrielle s’acharne à découvrir la vérité parce que cela fait plus de deux semaines maintenant qu’elle s’inquiète, deux semaines qu’elle tourne en rond dans sa maison à Bayside, lorsqu’elle rentre du cabinet d’avocats dans lequel elle travaille depuis son arrivée à Brisbane. Elle ne démordra pas, elle qui est connue pour être déterminée, elle qui est connue pour être capable de tout pour arriver à ses fins.
Mais qu’en fera-t-elle de cette vérité si jamais elle parvenait à l’obtenir ? Allait-t-elle tenter de défendre son frère ? Elle ne le pourrait pas, le conflit d’intérêt lui serait évidemment pointé du doigt. Mais cela ne l’empêcherait pas de le conseiller, de le convaincre de se laisser défendre par les meilleurs avocats qu’elle côtoie tous les jours à son cabinet. Gabrielle cherchait juste à comprendre et surtout à retrouver ce frère aîné qui l’a bien souvent ignoré pendant des années. Peut-être aussi qu’elle espère découvrir que tout cela n’est qu’un coup monté, que son frère n’est pas mêlé à toutes ces histoires de drogues quand il a toujours été un modèle pour elle. Elle espère que tout son présent n’est pas bâti sur le mensonge et surtout n’est pas bâti sur l’argent sale. Parce que ce métier qu’elle exerce désormais, ses études qu’elle a poursuivies pour y arriver, c’est grâce à eux. Et si cela se résume vraiment à ce qui est dit dans ce rapport de police, il est certain qu’elle serait déçue. Déçue mais aussi en colère, parce qu’elle ne le tolèrerait pas et, peut-être même, qu’elle en viendrait à les haïr et à les rejeter définitivement. Elle n’accepterait pas d’apprendre que ses frères ont emprunté eux aussi le mauvais chemin…
Une fois à l’intérieur, Gabrielle cherche du regard Lou, dont elle a pu voir une photo dans le rapport de police. Son regard parcourt la salle et c’est près du bar qu’elle semble reconnaitre la silhouette de la jeune femme. Elle se dirige alors vers elle, et vient s’assoir à ses côtés, s’adressant à la serveuse derrière le comptoir « Un martini s’il vous plait ». Elle garde son regard fixé sur les bouteilles à l’arrière du comptoir et s’adresse à Lou « Sympa comme endroit ». Elle remercie la serveuse qui lui pose son verre devant elle. « Lou Grimes c’est bien ça ? », ou Lou Aberline, vu que c’est ainsi qu’elle semblait se faire appeler désormais. Gabrielle pose son regard sur elle, et ne cherche pas à passer par quatre chemins. Elle pose le dossier sur le comptoir et le fait glisser jusqu’à Lou « J’aurai besoin de votre aide à ce sujet » fait-t-elle en le désignant d’un signe de tête. Gabrielle porte alors son verre à ses lèvres, guettant la réaction de la jeune femme du coin de l’œil.
C’étaient les jours de la guérison, le temps nécessaire pour le pardon. Quelques semaines à peine la séparaient du fiasco de son assassinat manqué, de sa tentative de se laisser mourir noyée dans l’échec, puis du sauvetage in extremis de son chevalier. Et bizarrement, il était bien plus long de se remettre d’aplomb après de pareils événements que de les causer et les vivre. Alors que les souvenirs malheureux s’installaient dans sa mémoire, elle pourrait, un jour, si le courage lui venait de se replonger dans ces heures tristes, découvrir et redécouvrir de nouveaux détails, des aspects et des morales. Mais le recul était encore absent, l’émotion trop vive, le passé vibrant dans le présent. C’était le contrecoup. Les conséquences. Ça devait avoir un rapport avec la notion de responsabilité, quelque chose dans le genre. Quoi qu’il en soit, Lou faisait profil bas et pansait ses blessures. Celle au coeur, causée par Mitchell désormais en fuite, une vengeance sabotée, une paix qu’elle ne connaîtrait peut-être jamais. Celle à l’égo, assénée par Raelyn lors de leur rencontre quelques jours plus tôt, la sensation d’avoir été mise au coin, l’herbe coupée sous le pied, raillée tandis que ses projets devenaient les réussites d’une autre. Celle au corps, qu’elle s’était infligée elle-même, chaque dose lui permettant d’embrasser sa honte, son dégoût d’elle-même, chaque baiser de l’aiguille la rapprochant d’une solution bien trop finale à un problème paraissant alors insurmontable. Faut pas faire une montagne d’une taupinière, lui avait dit plusieurs fois son père lorsqu’elle était plus jeune. S’en souvenir était probablement une autre manière pour la jeune femme de se flageller. Car Dexter Grimes n’était plus de ce monde depuis bien de mois, et il n’était plus à ses côtés depuis plus longtemps encore. Il lui avait manqué de son vivant. Il lui manquait encore plus maintenant qu’elle savait qu’elle ne le reverrait jamais. Beaucoup de pertes et de peines en peu de temps. Beaucoup de défaites et de découragement. L’énergie de Lou disparaissait encore trop aisément dans ces pity parties solitaires, toujours accompagnée d’un rail, d’un verre. Elle finirait par se relever, plus forte et solide que lors de sa chute, comme à chaque fois que cela était arrivé par le passé. Elle retrouverait sa détermination, son ambition, et la folie allant de pair. L’éternel aplomb la faisant vivre dans l’illusion d’une infaillibilité totale. Lou ne se demandait jamais “pourquoi moi ?” bien longtemps. Elle relevait le menton et exigeait “pourquoi pas moi ?”. Le calme, le silence, la solitude n’avaient jamais été ses alliés. C’était pour cela qu’on trouvait la jeune femme au bowling, appréciant chaque éclat des boules contre les quilles, les rires et les chamailleries au bord des allées, l’impact sec des queues sur les sphères au billard, et quelques mots secrets murmurés discrètement, un code pour de la poudre, un autre pour de la compagnie. Elle inspirait profondément, le bruit, l’alcool, la sueur et le sang ; elle expirait en se répétant que tout ceci était à elle, là, dans le creux de ses mains. « Sympa comme endroit » Elle ne l’aurait pas résumé aussi succinctement, mais c’était une manière de qualifier le BB8, certes. Lou leva doucement sa tête lourde de pensées et la pencha sur sa droite, le regard las tombant sur la brune qui était apparue à sa gauche. Le visage était familier. Non seulement parce qu’elle en avait reçu des clichés plus tôt dans l’année afin de l’informer de son installation à Brisbane, mais parce qu’elle reconnut les traits que celle-ci avait en commun avec le reste de sa fratrie. Gabrielle était plus belle en photo, remarquait-elle. Son allure globalement délicate offrait un contraste flagrant avec le naturel brut et peu raffiné de ses frères. « Lou Grimes c’est bien ça ? » Elle lâcha un petit rire du bout du nez, amusée, pas impressionnée. “Aberline, elle la corrigea aussitôt. C’est Aberline.” A ce stade, l’australienne avait été Aberline bien plus d’années qu’elle n’avait été Grimes au cours de sa vie. Le nom n’était qu’une cristallisation d’un sentiment bien ancré ; celui d’une marginalisation encouragée par le rejet incessant de la part de sa prétendue famille. L’image de jeune thug collait tellement plus facilement à la peau lorsqu’on était la seule du troupeau à ne pas être blanche comme neige. Elle ne s’était jamais reconnue dans le paradigme des Grimes, le personna typique. Être Aberline lui permettait d’être libre de se définir comme elle l’entendait. « J’aurais besoin de votre aide à ce sujet » reprit la cadette Strange en faisant glisser une pochette sur le comptoir. “Mon aide ?” Lou n’était pas la personne auprès de qui l’on venait spontanément demander un coup de main. Connue pour être égoïste et capricieuse, il paraissait peu probable qu’elle soit ouverte aux concessions ou capable de la moindre empathie. Elle n’en était pourtant pas dénuée. Elle faisait de son mieux, d’après elle, auprès des membres de son entourage qui méritaient son temps, son énergie et sa loyauté. Bien évidemment Gabrielle n’appartenait pas à cette catégorie. Surtout, Lou ne parvint pas à deviner à quel sujet celle-ci était venue la trouver, pour quel problème son aide pouvait être nécessaire. Alors elle ouvrit le dossier, le feuilleta en diagonale, repéra les noms, les dates et assembla les pièces du puzzle. Un autre échec, un autre mauvais souvenir, archivé noir sur blanc dans ces pages. Le premier domino, à vrai dire, le jour où tout avait basculé autant pour elle que pour Mitchell, Alec et Raelyn, donnant le ton de la suite de leurs vies. “J’ai dit tout ce que j’avais à dire à la police à l’époque, Miss Strange.” répondit la jeune femme d’une voix monocorde. Sa déposition était là, dans le lot de preuves qui n’avaient pourtant pas suffit à garder le boss derrière les barreaux. En réalité, elle n’avait pas dit grand-chose à ce moment-là non plus. Estimant avoir fait bien assez de dégâts, elle avait gardé le silence durant la majeure partie de ses interrogatoires. Du reste, elle avait vaguement admis vendre de la drogue, mais elle avait prétendu ne rien savoir de ce qui se tramait concrètement dans le bar du Club. L’ignorance pour défense n’avait illusionné personne, mais elle s’en était sortie indemne de toute manière. “Pourquoi vous interrogez pas directement vos chers frères à ce sujet ?” elle demanda, un léger rictus amusé faisant sursauter le coin de sa bouche en coeur. Parce que Mitchell était introuvable, peut-être. Parce qu’Alec n’assumerait jamais sa part de responsabilité dans la vie qu’ils mènent. Parce que Gabrielle ne trouverait personne dans le monde de l’illégalité qui serait assez suicidaire pour dire quoi que ce soit. C’était un cul de sac, une quête perdue d’avance.
Mars 2021. Ce n’était pas une quête perdue d’avance pour elle. Peut-être que le processus sera lent et long, peut-être qu’elle devra utiliser bien d’autres moyens pour connaitre la vérité, mais Gabrielle ne doute pas qu’elle finira par la connaitre. Point par point, détail après détail, elle connaitra le fin mot de l’histoire. Parce qu’elle a besoin de savoir ce que ses frères lui cachent depuis si longtemps, se doutant que cette affaire qu’elle glisse sous le nez de cette dénommée Lou Grimes ne date pas d’hier. Elle se souvient du jour où on lui a remis ce dossier en main propre. Elle se souvient de son palpitant qui s’est accéléré dans sa poitrine, elle se souvient de ce nœud dans le creux de son estomac qui s’est formé. La découverte du mandat de perquisition d’abord, le portrait de son frère ainé suivi de son mandat d’arrêt ensuite l’avait faite stopper dans ses gestes quelques secondes. Elle avait lu chaque compte rendu d’interrogatoire, celui d’Alex puis celui de Finn dont rien n’avait été retenu à charge contre lui. Elle avait relu encore et encore les preuves, analysés chaque photos prise à l’arrière de ce restaurant… essayant désespérément de se convaincre que ses frères n’étaient pas mêlés à tout ça. Et pourtant, l’évidence était sous ses yeux, encore plus quand elle a appris qu’Alex avait fait un an de prison. Même si l’affaire a finalement donné un non-lieu, Gabrielle reste cependant suspicieuse. Et si en étant à Los Angeles, elle n’a pas réussi à avoir plus d’éléments à ce sujet, il en est de même lorsqu’elle est arrivée à Brisbane en septembre dernier. Quelques recherches, toutes infructueuses, ne lui ont pas permis d’en savoir plus. Affronter ses frères, elle en a été incapable. Et elle n’aurait sûrement rien obtenu de plus, étant donné la réaction de Finn quelques jours plus tôt lorsqu’elle s’est enfin pointée sur le pas de sa porte. « Aberline, c’est Aberline ». Là voilà donc contrainte d’aller à la rencontre d’une personne dont le nom est apparu bien plus d’une fois dans ce dossier. Cette Lou Grimes, qui préfère visiblement se faire appeler autrement. Gabrielle n’y prête pas d’importance et ne réagit même pas à la correction qu’elle apporte.
« Mon aide ? ». Sa surprise ne l’étonne pas quand les deux ne se connaissent ni d’Eve ni d’Adam. Gabrielle se passerait bien de lui faire face ce soir pour lui réclamer son aide, elle qui n’aime dépendre de personnes. Pourtant, pour ce dossier qu’elle lui glisse sous les yeux, ce dossier où le nom de ses deux frères apparait, elle fait une exception. Ça ressemble presque à du désespoir, celui de ne plus savoir comment s’y prendre pour connaitre la vérité. Bien sûr, ce désespoir, Gabrielle ne le laissera pas transparaitre, surtout face à une inconnue quand elle le fait encore moins devant ses proches. Elle revêt ce soir son masque d’avocate, impassible et déterminée, qui se montrera impartiale face à cette histoire. Du moins, c’est ce qu’elle espérait « J’ai dit tout ce que j’avais à dire à la police à l’époque, Miss Strange ». Le nom sorti d’entre ses lèvres la surprend, au point qu’elle marque un temps d’arrêt avec son verre à la main. Pourtant, elle se ressaisit rapidement, reposant délicatement son martini sur le comptoir et se pivotant de sorte à regarder son interlocutrice d’un soir. « Je n’en suis pas persuadée. Autrement, Mitchell Strange serait encore derrière les barreaux, vous ne pensez pas ? ». Elle ne montrera pas que l’évocation du nom de son frère sur ce ton neutre et indifférent lui serre un peu la gorge. Elle ne peut plus prétendre qu’il s’agit d’un inconnu alors que cette Lou semble bien connaitre son lien avec l’homme en cavale. « Et comment connaissez-vous mon identité ? Je n’ai pas souvenir m’être présentée, à moins que ce martini ait un pouvoir amnésique ? ». Son regard est suspicieux à son encontre. Ce petit bout de femme semble être bien informé, bien plus qu’elle ne peut le laisser penser, peut-être bien trop. « Pourquoi vous interrogez pas directement vos chers frères à ce sujet ? ». La personnalité de son interlocutrice commence à se dessiner progressivement, celle d’un petit bout de femme qui n’a peur de rien, qui n’a peur de personne et ne se démonte pas. Si elle a un sourire amusé au bout des lèvres, l’avocate arque son sourcil avant de reprendre son verre de martini et de laisser un léger rire passer la barrière de ses lèvres « D’après vous ? », lui demande-t-elle sur le ton du défi « Vous semblez bien les connaitre, ou devrais-je dire nous connaitre, qu’est-ce que vous en pensez ? », fait-t-elle en marquant une pause alors qu’elle croise ses jambes « Vous pensez sincèrement qu’ils sont du genre à parler aussi aisément ? Surtout à leur sœur cadette quand ils ont bien trop de choses à lui cacher ? ». Elle reprend le dossier qu’elle réouvre à nouveau « Je me suis dit que vous en parlerai plus facilement, puisqu’il n’y aucune attache entre nous, tout comme vous ne semblez pas en avoir pour mes deux frères ». Gabrielle lui montre alors la déposition qu’elle a faite en 2015 « C’est vous qui avez amené le loup dans la tanière après tout. Peut-être était-ce volontaire de votre part ou de la simple naïveté. Ce qui me donne espoir dans ce dernier cas », son sourire est quelque peu moqueur, peut-être aussi un peu provocateur alors que le verre est porté à ses lèvres.
Elle était en mission, Gabrielle. Cela se voyait depuis son regard ferme jusque dans le pincement de ses lèvres, c’en était presque adorable. Elle était en quête d’une vérité qu’elle-même ne s’imaginait pas ne pas vouloir connaître. Que pensait-elle du contenu de ces pages entre ses mains ? Croyait-elle tous les mots qui y étaient inscrits, acceptait-elle cette réalité ? Ou est-ce que sa quête ne visait qu’à réunir des preuves ne visant qu’à défendre sa vision de son frère ? C’était ce que les avocats faisaient de mieux, après tout ; remodeler les éléments afin de les faire correspondre à leur narration. Rentrer les carrés dans les ronds. Et puis, personne de sain d’esprit ne pourrait prendre pour argent comptant pareilles accusations à propos d’un membre de sa propre famille. Cependant, il était préférable pour l’américaine de ne pas chercher à s’affranchir de ses œillères ; il était des choses, dans l’environnement dans lequel ils baignaient tous, que l’on ne pouvait plus oublier une fois vues et sues. « Je n’en suis pas persuadée. Autrement, Mitchell Strange serait encore derrière les barreaux, vous ne pensez pas ? » La main de Lou se referma autour de sa bière suintante tandis qu’elle renvoyait le fameux dossier policier à la jeune femme. Elle tiendrait sa langue, Gabrielle perdait son temps. La raison de ce manque de coopération était plus floue, même pour l’australienne. Ces fichues réminiscences de loyauté envers Mitchell et le Club n’avaient pas fini de lui pourrir l’esprit. Elle n’avait aucune raison de vouloir ménager la petite soeur, de la préserver des horreurs commises par ses frères. Peut-être était-ce de la loyauté envers leur univers en marge, illégal, dans sa globalité. Personne n’entre, personne ne sort, personne ne regarde à travers la serrure. Peut-être parce que Gabrielle était avocate, et qui disait avocat disait police. Son petit dossier en témoignait. Pour ce que Lou en savait, elle pouvait être mouchardée à cet instant même. Elle s’en assurerait volontiers, quelques boutons de chemisier suffiraient, et à deviner la physionomie de la jeune femme cela ne serait même pas désagréable . Après tant de nuits partagées avec l’aîné, cela serait ô combien ironique. “Vous êtes en train de me dire que la police n’a pas bien fait son travail ? Quel choc.” Un rire lui échappa tandis qu’elle levait la bière jusqu’à ses lèvres. Dieu seul savait pourquoi Strange avait été remis dans la nature. Vice de procédure, avait-elle entendu dire. On pouvait employer le même argument pour expliquer la raison de la fuite actuelle de l’ancien boss malgré leur tête-à-tête. Vice de procédure. Un rail de trop. C’était aussi bête que ça. « Et comment connaissez-vous mon identité ? Je n’ai pas souvenir m’être présentée, à moins que ce martini ait un pouvoir amnésique ? » Lou haussa les épaules. “L’air de famille, je suppose.” répondit-elle, l’air de rien. Ceci dit, il n’était pas plus judicieux de placer trop de confiance dans le contenu des verres par ici.
Ses réponses, Gabrielle avait plus de chances de les obtenir auprès des principaux concernés. Si Mitchell était introuvable, il en était autrement d’Alec qui continuait à vivre sa meilleure vie de criminel, attaché au bout d’une laisse tenue par Raelyn. Néanmoins, l’apanage des mafieux était bien de savoir garder un secret. « D’après vous ? Vous semblez bien les connaître, ou devrais-je dire nous connaître, qu’est-ce que vous en pensez ? Vous pensez sincèrement qu’ils sont du genre à parler aussi aisément ? Surtout à leur sœur cadette quand ils ont bien trop de choses à lui cacher ? » Les petits secrets en famille, cela ne la regardait pas. Lou n’avait pas signé pour jouer les médiatrices au sein de leur fratrie dysfonctionnelle et n’avait pas l’intention de s’en mêler. Règle numéro deux : savoir s’occuper uniquement de ses propres miches. “Vous avez essayé la bouche en coeur et les yeux de biche ?” D’expérience, cela fonctionnait à tous les coups sur un Strange. « Je me suis dit que vous en parlerai plus facilement, puisqu’il n’y aucune attache entre nous, tout comme vous ne semblez pas en avoir pour mes deux frères » L’air plaisantin sur le visage de l’australienne laissa place à une trop évidente crispation. Derrière ses paupières, le temps d’une gorgée de bière, déroulait l’éternel film des événements. Pas d’attache, ha. Ils s’étaient assurés de ne pas en avoir, n’est-ce pas. Une fois encore, ses yeux glissèrent sur le comptoir où Gabrielle isolait sa fameuse déposition pleine de rien. Elle se rappelait aisément de ces heures passées entre quatre murs ; il faisait frais dans la salle d’interrogatoire, la climatisation tournait à plein régime et transportait dans tout le poste une odeur de café froid. Elle se souvenait avoir faim, recroquevillée sur sa chaise, bouche scellée. « C’est vous qui avez amené le loup dans la tanière après tout. Peut-être était-ce volontaire de votre part ou de la simple naïveté. Ce qui me donne espoir dans ce dernier cas. » Elle avait de drôles manières d’alimenter son espoir, Gabrielle Strange.
Et elle souriait. Elle se moquait. Lou, malgré son art d’user et d’abuser de provocations, ne répondait jamais bien lorsque la stratégie lui était retournée. Trop fière, trop susceptible, elle se murait dans son égo et commençait à bouillir. Oh, elle aurait pu avoir de la sympathie pour une quête aussi noble que celle de la vérité et l’idée réjouissante que la fratrie Strange explose en mille morceaux. Elle n’en avait pas pour ceux qui agitaient sous son nez ses erreurs passées en se riant d’elle, qui remuaient la poussière sur ce titre de "traîtresse" qu’elle s’était donné tant de mal à enterrer. “Ce jour a ruiné ma vie, dit-elle en fixant droit devant elle. Vos deux chers frères ont ruiné ma vie chacun bien à leur manière.” Mitchell avait fait de son existence un enfer durant des années. Il avait probablement le mérite d’avoir tué toute forme d’espoir en elle, toute ambition d’une vie normale. Il était son ombre, un fantôme dont la main était toujours posée sur son épaule. Alec, lui, après tout ce temps sans lever le petit doigt pour freiner la folie vengeresse de son frère, s’était rangé du côté de Blackwell et lui avait autant arraché ce qui lui revenait de droit que la pimbêche peroxydée. Pas un pour rattraper l’autre. Et Gabrielle, finalement, ne semblait pas élever le niveau. “La seule chose que je peux vous conseiller dans le cadre de votre enquête, c’est d’arrêter. Il y a trop de choses que vous ne voulez pas savoir au-delà de ces petites pages que vous avez là.” Trop de morts, d’os en miettes, de vies brisées, de junkies, de filles prises dans un cercle vicieux ; trop de millions de dollars tachés de boue, de sang, d’alcool. Des horreurs devenues de simples mauvaises habitudes, au bout d’un certain temps. Des mauvais choix qui entraînent des décisions pires encore jusqu’à ce que la seule sortie se fasse les pieds devant. Et Gabrielle ne les sauverait pas. “Vous allez vous attirer des ennuis en remuant la merde, et ça serait dommage qu'elle éclabousse vot' jolie frimousse. Mais s’il y a une chose que je sais, c’est que vous les Strange, vous avez fait une tradition familiale de ne jamais m’écouter.” Foutus ricains.
Mars 2021. Bien sûr que Gabrielle espère que les informations qui sont rassemblés dans ce dossier ne sont que mensonge. Elle cherche à découvrir la vérité mais il y a une certaine vérité qu’elle préfère à une autre. Elle préfèrerait apprendre celle où son frère ainé n’a rien à voir avec tout ça, n’a rien à se reprocher et est blanc comme neige. Qu’il a été accusé à tort, victime d’un coup monté. Mais au fond d’elle, l’avocate sait ou du moins le sent. Elle sent qu’il y a une part de vérité dans ce dossier et il en manque même une grande partie, peu glorieuse et au désavantage d’Alex. C’est d’ailleurs ce qu’elle vient chercher en venant à la rencontre de Lou, ce soir. Elle ne cherche pas à blanchir son frère en ayant cette démarche. Elle veut la vérité, celle de laquelle on la tient éloignée, le comportement de ses frères ces derniers années ne la confortant pas à penser qu’ils sont innocents. Elle a besoin de réponses et elle fera tout pour en trouver quelques-unes, même minimes, dans la bouche de Lou Aberline. « Vous êtes en train de me dire que la police n’a pas bien fait son travail ? Quel choc ». Elle sent l’ironie dans sa voix, connait cet argument qu’elle a déjà entendu à plusieurs reprises. Pourtant, l’américaine ne peut pas la contredire. Et dans ce cas même, elle pense que ce n’est pas tant la police qui est à blâmer mais l’absence de preuves contre son frère ou le travail de quelqu’un qui a le bras long pour se sortir d’un merdier pareil. C’est peut-être ce qui effraie davantage la cadette de la famille Strange, se rendant compte que son frère a peut-être bien plus de poids dans ce dossier qu’elle ne peut l’imaginer. Si elle ne daigne pas répondre, jetant un regard dédaigneux à l’égard de son interlocutrice d’un soir, le fait que cet inconnu puisse connaitre son identité l’interpelle. Elle ne s’est pas présentée à elle, ou alors elle a un sérieux problème de mémoire « L’air de famille, je suppose » « Evidemment, il est tellement flagrant », se contente-t-elle de répondre d’un air détaché, pas du tout convaincu par sa justification. La suspicion commence à naitre face à son interlocutrice, la personnalité de cette dernière se dessinant peu à peu, se révélant alors qu’elle pensait tomber sur quelqu’un de plus docile et propice à la discussion.
« Vous avez essayé la bouche en cœur et les yeux de biche ». Un rire s’échappe des lèvres de Gabrielle, un rire mauvais, n’appréciant pas les gentils conseils qu’elle semble vouloir lui prodiguer « Il semblerait que cela n’ait plus aucun effet, sur eux mais merci du conseil » une pause, nécessaire alors qu’elle retrouve son regard « A moins que ce moyen ait été bien trop utilisé. En tout cas, vous semblez savoir ce qui fonctionne avec eux. Je suis… étonnée ». Etonnée de découvrir qu’elle est, ou a été, bien plus proche de ses frères qu’elle ne pouvait l’imaginer. Au point que l’avocate en joue en venant titiller l’orgueil de son interlocutrice en jouant sur l’argument de son attachement envers elle et surtout, envers les frères Strange. Et celui-ci semble fonctionner quand elle décèle ce qui ressemble à une certaine crispation sur le visage de Lou. Cette dernière ne répond rien d’ailleurs et son silence parle pour elle, Gaby ayant la sensation de toucher un point sensible. Elle poursuit sur cette voie en appuyant sur cette possible naïveté qu’Aberline a pu avoir, elle qui a amené le loup dans la tanière, c’est-à-dire un flic, au cœur d’un trafic, orchestré par son propre frère. « Ce jour a ruiné ma vie. Vos deux chers frères ont ruiné ma vie chacun bien à leur manière ». Si Finn a voulu prétendre à une erreur, Lou ne cherche pas à prétendre au même argument. Il semble même y avoir des regrets dans ses paroles sans que cela ne soit dit explicitement. Des regrets suite à la trahison ou des regrets quant à la naïveté dont elle a pu faire preuve, peu importe, ils transparaissent quand même. Si Gabrielle avait un sourire en coin amusé jusque-là, il tend à disparaitre au fil des paroles de la jeune femme « Comment ? » demande-t-elle alors sérieusement, voulant savoir comment ses propres frères, qu’elle ne visionne pas comme étant les méchants dans l’histoire, ont pu lui causer du tort. Elle ignore une nouvelle fois si la jeune femme daignera lui répondre avec détails, mais Gabrielle se risque à poser la question. Elle a peur des révélations faites mais elle a ce besoin de savoir, de comprendre qui sont réellement ces deux frères qu’elle a l’impression de ne plus connaitre avec toutes ces années écoulées et passées loin d’eux. « La seule chose que je peux vous conseiller dans le cadre de votre enquête, c’est d’arrêter. Il y a trop de choses que vous ne voulez pas savoir au-delà de ces petites pages que vous avez là ». Peut-être que les mots lui glacent le sang quelques instants parce qu’elle prend au sérieux, pour la première fois depuis le début de l’entrevue, les paroles de Lou. D’ailleurs, son regard se plante dans le sien et il y a peut-être une part d’inquiétude décelable dans celui-ci « Vous allez vous attirer des ennuis en remuant la merde, et ça serait dommage qu’elle éclabousse vot’ jolie frimousse. Mais s’il y a une chose que je sais, c’est que vous les Strange, vous avez fait une tradition familiale de ne jamais m’écouter ». Elle est surprise par l’affirmation mais doit reconnaitre que Lou décrit à la perfection la fratrie qu’elle forme avec ses frères. Un fin sourire s’affiche alors sur ses lèvres pour la remarque mais disparait très vite lorsque Gabrielle ressasse les mots prononcés. C’est surtout l’affirmation que ses frères traînent bel et bien dans des affaires peu réjouissantes, peut-être bien pire qu’elle n’a pu se l’imaginer, qui la marque. « Je veux savoir. Rien ne me fera m’arrêter, malgré vos conseils ». Elle l’affirme haut et fort, elle a même cet air de défi qui ne vise pas nécessairement la jolie brune à ses côtés « Et ne vous inquiétez pas pour moi, je n’ai pas peur de ce que je peux découvrir et encore moins des retombées que ces découvertes peuvent avoir ». Elle sait dans quoi elle s’embarque, elle en a eu plusieurs des dossiers de la sorte. Son dernier lui a valu de fuir Los Angeles, des menaces de mort planant sur son petit minois. Si les risques sont grands, ainsi soit-il, cette fois, c’est de ses frères dont il est question « Si vous refusez de répondre à mes questions peut-être devrais-je les rendre plus précises » afin de pouvoir examiner chacune de ses réactions, et d’ailleurs, Gabrielle entreprend de se pivoter totalement vers la jeune femme, croisant ses jambes alors qu’elle se penche légèrement vers elle, plantant son regard dans le sien. De son index, elle appuie sur ce dossier qui se trouve toujours sous leur nez « Qu’est-ce que je dois entendre par ces choses que je ne veux pas savoir ? Des meurtres ? » En quoi cela serait étonnant quand tout tourne autour d’un trafic de drogues ? « Et j’ai remarqué votre réaction quand j’ai parlé d’attaches vis-à-vis de mes frères tout à l’heure. Est-ce Alec ? » Elle marque une pause, volontairement « Ou bien Mitchell ? ». Sur ce dernier, elle appuie davantage en prononçant son prénom, guettant sa réaction. « Ça expliquerait pourquoi vous ne voulez rien dire. A moins que vous ne valiez pas mieux qu’eux… ». Les mots sont durs à prononcer, surtout en parlant de la sorte de ses frères, mais Gabrielle tente de trouver la moindre brèche pour en savoir plus quand elle a l’impression que Lou est la dernière carte qu’elle a à jouer pour connaitre la vérité sur Alex et Finn.
Au fond elle en avait du courage, mini-Strange, songeait Lou. Il ne fallait pas en manquer pour se lancer à corps perdu dans cette quête de vérité, quitte à plonger pieds joints dans une mare de malfrats. Il n’y avait pas d’enfant de chœur prévu sur sa route, Gabrielle avait le dossier, elle le savait. Elle s’était installée au bar du bowling quand même, sûre d’elle, déterminée. Aberline apparaissait sûrement comme la personne la moins risquée à approcher dans un premier temps, si l’on se fiait à ce qu’il se disait dans ces pages que la jeune femme prêchait comme la Bible. Les choses changeaient, les têtes tombaient depuis, au passage de la petite brune. Celle de l’avocate le pourrait aussi. Mais tant qu’elle ne lui était pas plus utile morte que vivante, à quoi bon. Bien sûr les rouages de son esprit s’enquérissaient déjà de trouver une utilité à cet As dans sa manche. Faire chanter Alec afin qu’il trahisse Blackwell ? L’aider dans son enquête afin que le Club tombe de la main des flics cette fois ? Le champ des possibilités s’ouvrait au fur et à mesure que Lou y réfléchissait, entre deux bifurcations en direction du passé que Gabrielle remuait comme un couteau dans une plaie. Elle n’était malheureusement pas connue pour ses nerfs solides, l’australienne. L’évocation de l’arrestation de 2015 la ramenait à bien d’autres souvenirs, des secrets, des douleurs qu’elle ne supportait plus d’évoquer. La page était tournée. Alors pourquoi l’univers la ramenait toujours à ces années passées ? « Comment ? » insistait Gabrielle, et bien que Lou se persuadait que la jeune femme n’était pas prête à entendre tout ce qu’il s’était réellement passé, la posture de celle-ci indiquait tout le contraire. "Vous êtes pas venue pour écouter mon autobiographie, que je sache." Pourtant elle était la clé de voûte, plus qu’elle ne voulait l’admettre. Le premier domino qui renversa le reste, et cela remontait à plus loin que les événements que l’avocate tenait en main. Toutes les réponses, Lou les tenait hors de portée. Bien qu’il n’y avait rien à espérer obtenir d’elle, Gabrielle persistait, et d’une certaine manière, suscitait autant d’admiration que d’exaspération -encore un trait de famille. « Je veux savoir. Rien ne me fera m’arrêter, malgré vos conseils. - Comme c'est surprenant. - Et ne vous inquiétez pas pour moi, je n’ai pas peur de ce que je peux découvrir et encore moins des retombées que ces découvertes peuvent avoir » Tu le devrais. Parce que c’était ses frères, Lou espérait que l’américaine se laisserait décourager. Parce que c’était ses frères, elle était, au contraire, plus déterminée encore à faire la lumière sur les événements passés dont la brune ne lui livrait que des sous-entendus. Finalement, en voulant la faire fuir, Lou avait probablement alimenté sa curiosité. « Si vous refusez de répondre à mes questions, peut-être devrais-je les rendre plus précises. - Peut-être que vous devriez arrêter d'en poser. » Pas au programme. « Qu’est-ce que je dois entendre par ces choses que je ne veux pas savoir ? Des meurtres ? » Un rire se glissa dans le souffle de Lou. Elle rabattait ses tresses derrière son épaule et, par la même occasion, fit signe à la barmaid de lui servir une nouvelle bière. Puis elle posa sa joue dans sa main, appuyée sur le comptoir, le visage tourné vers cette Gabrielle revivifiée. "Vous pensez vos frères capables de meurtre ?" Répondre à une question par une question n’était pas le moyen le plus subtil d’esquiver le sujet, mais Lou soupçonnait l’avocate de simplement avoir besoin d’une confirmation de ce qu’elle savait déjà en son fort intérieur. Comme si tout ceci ne deviendrait vrai que si les mots traversaient la bouche de quelqu’un d’autre. "Ça serait pas la première fois, vous m'direz." elle ajouta avant d’envoyer un clin d’oeil à l’abeille qui avait déposé le verre de blonde près d’elle. Bien sûr que Alec et Mitchell étaient capables de tuer, Gabrielle le savait forcément, non ? Leur cher papounet avait reçu la monnaie de sa pièce après tout. « Et j’ai remarqué votre réaction quand j’ai parlé d’attaches vis-à-vis de mes frères tout à l’heure. Est-ce Alec ? Ou bien Mitchell ? » Ignorant la question, Lou plongea ses lèvres dans la mousse de sa bière fraîchement servie et préféra se demander à quel point l’avocate devait se forcer, à chaque fois, à appeler ses frères par leurs alias plutôt que par leurs véritables prénoms, ceux qu’elle avait connus en grandissait à leurs côtés. Est-ce qu’elle trouvait que ces pseudonymes leur allait bien ? Est-ce qu’elle aurait choisi autre chose pour eux, à leur place ? Ou est-ce que les nommer ainsi lui permettait de mettre de la distance entre ceux qu’ils étaient à Brisbane et ceux qu’ils avaient été plus jeunes ? En somme, tout pour distraire ses pensées loin des interrogations de l’américaine. « Ça expliquerait pourquoi vous ne voulez rien dire. A moins que vous ne valiez pas mieux qu’eux… » Elle ne répondait pas à la provocation, Lou. C’était son domaine, son art, ce qu’elle faisait de mieux. Et elle savait reconnaître une tentative de la faire réagir quand elle en voyait une ; son esprit de contradiction prenait immédiatement la relève et n’offrait pas à son interlocuteur le plaisir de la voir démarrer au quart de tour. Plus l’effort était évident, plus l’échec était cuisant. "C'est pas difficile vu à combien est la tête d'Alex en ce moment." ironisa la brune. Non, moralement, les valeurs différaient bien peu et en se taisant c’était le milieu tout entier qu’elle prétendait protéger plus que les Strange. En termes pécuniaires, tout le monde voulait être celui ou celle qui mettrait la main sur Mitchell, et celui-ci était au pic de sa popularité auprès des tueurs à gage. Pourtant Lou continuait de le laisser cavaler, où qu’il soit. Alors que tous pensaient que la traque se poursuivait, la jeune femme, elle, était lasse et doutait, de toute manière, que l’issue d’une seconde mise à mort soit différente de la première. Elle transférait plutôt sa rage vers Raelyn et Alec. "J'vous ai déjà dit pourquoi je vous parlerai pas, reprit Aberline. Et franchement je vous fais une fleur. Tout un bouquet même, dans la mesure où ça pourrait m'être pas mal utile d'avoir la cadette Strange sous la main pour rendre à vos frères la monnaie de leur pièce." Jeu franc et menaces sous-entendues seraient peut-être, enfin, le combo gagnant pour faire déguerpir Gabrielle de son établissement. Du haut de son tabouret de bar, Lou se pencha vers la jeune femme avec un sourire mutin. "Les informations, ça a un prix. Ça se négocie. Moi par exemple, ce que je vous propose c'est que je ne dis plus un mot, vous me lâchez les baskets et vous repartez en vie dans votre appartement de Wellington street. Gagnant-gagnant." Puis elle posa une main sur la cuisse de l’avocate, lèvres pincées, l’expression graveleuse volée aux clients qu’elle avait un jour connus, ceux qui faisaient de l’objectification leur bon droit et qui lui avaient retourné les tripes plus d’une fois. "Qu'est-ce que vous, vous proposez qui soit susceptible de m'intéresser ?" Il y avait de la clientèle pour les brunettes farouches, ça elle le savait, et faire passer sous le bureau n’était pas le monopole des messieurs ; Lou goûterait bien à deux Strange juste pour faire la comparaison, le terrain d’entente était facilement trouvé ainsi. Cependant Aberline cherchait avant tout à faire fuir la jeune femme, et lui prouver, par la même occasion, que sa volonté d’enquêter trouverait rapidement ses limites au sein du milieu auquel elle tenait tant à se frotter.
Mars 2021. « Vous êtes pas venue pour écouter mon autobiographie, que je sache » « Elle ne m’intéresse pas, en effet, mais si un passage est lié à mes frères, je suis prête à écouter ». Parce qu’elle se contrefout bien de l’histoire de cette Lou Aberline, même si peut-être certains éléments de son passé ou de son présent pourrait être un moyen de pression pour l’avocate. Qui sait quel squelette elle gardait bien caché au fond de ses placards, des squelettes qui lui seraient très certainement utiles pour la faire parler. Parce qu’elle a bien compris Gabrielle que la discussion avec elle allait être compliquée et mènerait sûrement à rien. En tout cas, la jeune femme qu’elle a en face d’elle n’est pas similaire au portrait dépeint de celle-ci dans ce rapport de police. Elle est bien différente, moins naïve, beaucoup plus sûre d’elle. Mais cela ne fait clairement pas reculer Gabrielle, loin d’être impressionnée par la personnalité de son interlocutrice. D’ailleurs, cette dernière a beau la mettre en garde, lui déconseillant de fouiner davantage, l’américaine affirma ne pas vouloir lâcher le morceau, ce qui fait réagir Lou « Comme c’est surprenant ». Elle n’obtient aucune réaction de la part de Gaby, qui se doute bien que le commentaire est encore un moyen de souligner que la Aberline connait bien ses frères et que la similarité de caractère entre les trois ne laisse aucune place au doute quant à leur lien de parenté. Gabrielle sait très bien à quel point elle et ses frères sont bornés, et c’est peut-être aussi ce qu’elle regrette le plus quand, pour cette raison, elle ne peut obtenir de réponses à ses questions en les confrontant directement.
« Peut-être que vous devriez arrêter d’en poser ». Evidemment, ça lui serait bien utile et ça l’arrangerait bien si elle cessait de l’interroger. Mais cela ne dissuade pas Gabrielle qui ne réagit pas, une fois de plus, poursuivant sur sa lancée en demandant à Lou quelles sont les choses en question qu’elle estime que la cadette des Strange ne veut pas connaitre. Elle cite en exemple des meurtres, tapant fort pour sa première supposition, peut-être aussi dans l’espoir qu’elle démente et que cette hypothèse soit écartée. « Vous pensez vos frères capables de meurtres ? ». Il est dur pour Gabrielle à ce moment de rester impartiale, un certain agacement commençant à se manifester quand Lou utilise la parade de répondre par une autre question à la sienne. Surtout, elle déteste qu’elle lui demande précisément si elle pense elle-même ses frères capables de tuer. Elle ne veut pas l’imaginer, elle ne pourrait pas l’accepter, vision naïve qu’elle conserve de ses frères, de leur enfance et de leur adolescence où la violence n’a jamais servi à grand-chose, si ce n’est au malheur. Et ils le savent pertinemment dans la famille Strange pour avoir eu un père qui assénait les coups bien trop facilement à ses propres enfants. « Ça serait pas la première fois, vous m’direz ». Le regard qu’elle lui adresse devient soudainement noir, parce que ce n’est pas la réponse qu’elle attendait, surtout, la réponse qu’elle voulait entendre « Qu’entendez-vous par là ? ». Evidemment, qu’elle cherche la précision de plus, et peut-être que sa question sort trop vite, démontrant une part d’inquiétude soudaine même si elle tente de rester de marbre.
Il y a de l’ignorance entre les deux, certaines questions posées qui dérangent plus que d’autre et qu’elles préfèrent ignorer. C’est le cas de Lou lorsque Gabrielle tente de comprendre lequel de ses deux frères a eu, ou possède toujours, une place particulière dans la vie de la jeune femme. Une emprise bien différente, qui va au-delà du simple boss qui l’aurait amené sur le mauvais chemin à un moment ou à un autre de sa vie. Une attache particulière qui l’a peut-être poussée à faire les mauvais choix. Elle ne répond rien et si elle pense que Gabrielle est déçue de ne pas obtenir de réponse de sa part, il n’en est rien. Le silence parle bien souvent plus que les mots. « C’est pas difficile vu à combien est la tête d’Alex en ce moment ». L’ironie n’a pas sa place ici, pas pour Gabrielle qui ignore bien trop de détails encore sur la vie de son ainé, pour prendre la chose à la rigolade. « Il ne suffit pas de grand-chose visiblement pour tomber et voir sa tête mise à prix, ne vous réjouissez pas trop vite » répond alors Gabrielle, ne lâchant pas le regard de son interlocutrice. Elle tente de nouveau la provocation, qui aidera peut-être à ce que Lou parle davantage quand elle sous-entend bien qu’elle pourrait vite se retrouver dans le même cas de figure. « J’vous ai déjà dit pourquoi je ne vous parlerai pas. Et franchement je vous fais une fleur. Tout un bouquet même, dans la mesure où ça pourrait m’être pas mal utile d’avoir la cadette Strange sous la main pour rendre à vos frères la monnaie de leur pièce ». Gabrielle pouffe de rire, peu impressionnée par le jeu de la jeune femme, encore moins par ses menaces « Le coup de la vengeance sur quelqu’un qui leur est cher… C’est bien trouvé… mais redondant ». Elle marque une pause, se repositionnant sur son tabouret, alors que son verre n’a plus aucune importance désormais, seul le peu d’informations ou de réactions qu’elle peut obtenir de Lou pouvant en avoir « Et quelque soit les malheurs qu’ils ont bien pu vous faire vivre, vous vous doutez bien que je prendrais leur défense » Même si le conflit d’intérêt serait tout trouvé et justifié dans ce cas précis, Gabrielle serait prête pourtant à trouver les meilleurs avocats pour eux. Elle n’espère pas devoir en arriver là, même si, vu le cas d’Alex, il ne serait pas improbable que ce cas de figure se présente un jour ou l’autre. Mais si Gabrielle sort cet argument, c’est encore une fois de la pure provocation pour la faire réagir « Les informations, ça a un prix. Ça se négocie. Moi par exemple, ce que je vous propose c’est que je ne dis plus un mot, vous me lâchez les baskets et vous repartez en vie dans votre appartement de Wellington street. Gagnant-gagnant ». Gabrielle la toise du regard, elle marque un point en ayant l’adresse exacte de sa villa, ce qui lui fait notamment arquer un sourcil mais elle reste, une fois de plus, stoïque. « Vous êtes décidément bien renseignée. Je devrais me sentir flattée, je suppose ? ». Parce qu’elle a pris le temps de se renseigner sur elle ou plutôt même, la mettre sous surveillance. Ce qui ne fait qu’accroitre la curiosité de Gabrielle. Pourquoi en sait-t-elle autant sur elle ? Pourquoi prend-t-elle le temps de s’intéresser autant à elle ? C’est certain, le nom Strange en est la raison, mais les détails sont bien trop flous. Son regard vient ensuite trouver la main qu’Aberline a l’audace de poser sur sa cuisse « Qu’est-ce que vous, vous proposez qui soit susceptible de m’intéresser ? ». « La proposition est alléchante… mais ne m’intéresse pas » répond-t-elle dans un premier temps en retirant sa main de sa cuisse d’un geste sec. « Je n’achèterai pas vos paroles, je n’ai peut-être aucun moyen de pression aujourd’hui sur vous, mais, puisque vous semblez bien renseignée sur mon cas, je vais envisager d’en faire de même sur le vôtre ». Gabrielle dépose alors un billet sur le comptoir « Ne pensez pas avoir gagné cette bataille, je reviendrai » conclue-t-elle alors qu’elle se lève de son tabouret, récupérant son sac à main au passage « et votre langue sera certainement plus déliée la prochaine fois ». Gabrielle joue peut-être avec le feu mais elle n’a jamais été refroidie par une quelconque menace, elle qui, pourtant, en a déjà reçu, la dernière en date l’ayant même fait fuir de cette ville qu’elle affectionnait tant.