Elle n’est pas prête à découvrir en lui son frère caché et à vrai dire l’inverse est aussi vrai, ces deux-là ayant déjà du mal à s’apprivoiser en tant que voisins. Eddie estime être à jour sur son arbre généalogique mais avec une famille comme la sienne il serait presque en droit de s’attendre à tout, surtout du côté paternel. Il est tout de suite un peu plus tendu quand la conversation dévie sur leur agente parce qu’il ne doit pas se trahir, le fait que Mika entretienne elle aussi un lien professionnel avec Halston l’oblige à faire attention à la façon dont il en parle. Elle sait que l’américaine a épousé l’un de ses protégés, son petit discours sur le fait qu’elle ne les fréquente pas intimement tombe donc à plat. « Je pense qu’on ne l’y reprendra pas de sitôt. » À épouser l’un d’entre eux il en doute fort, il voit déjà bien que ce n’est pas simple de lui faire baisser sa garde parce qu’elle reste esquintée par son divorce et par tout le battage médiatique autour de son ex-mari. Eddie doit cependant faire comme s’il n'était pas plus informé qu’un autre, il n’est pas censé en savoir plus que sa voisine là-dessus. Mika dit ne pas être intéressée par leur agente et elle soulève un point très juste, auquel Eddie est assez tenté d’adhérer sur le moment alors qu’il s’aventure exactement dans ce qu’elle présente comme une mauvaise idée. Disons surtout qu'il veut aller dans son sens pour ne pas éveiller ses soupçons. « T’as raison vaut mieux pas mélanger le pro et le perso, ça apporte trop de problèmes. Puis si la relation foire la collaboration peut difficilement survivre, c’est pas un bon plan. » Pas un bon plan, il n’empêche qu’il a déjà dépassé le cadre de la relation strictement professionnelle avec leur agente alors ces problèmes Eddie s’y expose, c’est officiellement déjà trop tard pour lui mais ça Mika ne doit surtout rien en savoir. Celle-ci vient d’ailleurs d’anéantir l’ambiance en invitant la mort dans leur conversation, le danseur n’est pas à l’aise pour parler de ces choses-là qu’elles concernent ses chats ou n’importe qui d’autre alors il ne sera pas mécontent de mettre le sujet de côté. Elle l’interroge sur leurs âges respectifs, sûrement pour se figurer le temps qu’ils ont encore devant eux et si Eddie est au moins sûr d’une chose c’est qu’ils ne sont pas près de mourir de vieillesse tous les trois. « Ils sont jeunes encore. Loopy ici présent a quatre ans, c’est l’aîné du trio. Son frère Poby a trois ans et sa sœur Missy a deux ans, c’est la petite dernière ou maknae comme on dit chez moi, je l'ai adoptée cette année. » Eddie n’a jamais été contre le fait d’adopter un chat adulte mais l’occasion ne s’est juste pas présentée, il a trouvé Loopy dans une rue près de chez lui alors qu’il était bébé et il a adopté les deux autres sur un coup de cœur, voilà comment s’est formée la petite famille. « Je te sors ça alors que j’ai même pas précisé que j’étais d’origine coréenne, mais bon tu t’en doutais peut-être un peu. » Pour la Corée pas forcément mais il porte ses origines asiatiques sur son visage, impossible de passer à côté et son nom de famille en donne aussi une nette indication. Eddie est australien de cœur avant tout mais c’est une précision qu’il juge utile d’émettre puisqu’il vient de lâcher un terme dans la langue de ses parents, pour que Mika ne soit pas trop perdue.

Il joue volontiers la carte de la provocation quand sa voisine souligne son manque de savoir-vivre, mais il apprécie sans le dire qu'elle ne saute pas sur l'occasion pour remettre en cause toute son éducation. Ses parents ne l'ont pas élevé comme ça il y a juste bien longtemps qu'il agit au mépris des consignes et qu'il suit sa propre ligne de conduite sans laisser qui que ce soit l'influencer. Il prend en considération les autres quand ça l'arrange Eddie, en l'occurrence quand il s'entraine chez lui il pense à sa performance, à comment l'améliorer mais il ne pense pas à ce qui dépasse les murs de son appartement car sur le moment il est dans son monde, où la danse est reine et surpasse absolument tout. Ce n'est pas évident de l'en faire sortir et il connait toujours un retour brutal à la réalité après chaque entrainement. Pourtant les mots de Mika ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd aujourd'hui et ce parce qu'elle prend le temps de dialoguer avec lui, une stratégie payante par rapport à celle adoptée par d'autres voisins qui avaient plutôt tendance à l'agresser en pensant le faire réagir. Parler tant que c'est dans le calme Eddie n'a rien contre, c'est comme ça qu'il faut le prendre car lui aboyer dessus serait juste la meilleure façon de le faire fuir. Il a toujours tenté de régler les conflits par un dialogue apaisé et il a bien vu qu'échanger avec un interlocuteur agité le menait toujours vers une impasse, depuis il ne se donne donc plus la peine de parler quand la tension en face est trop grande. « Mais oui regarde, je suis très calme quand je ne danse pas. » il souligne dans un sourire un peu moqueur. Il veut bien croire que les avoir tous habitués à sa musique à fond lui a filé l'image du sauvage de l'immeuble, et peut-être aussi que certains s'étaient imaginé qu'il devait être sourd pour avoir la main aussi lourde sur les décibels. « Si on t'érigeait une statue sache que je me prosternerais devant elle tous les jours. » Et tout l’immeuble aurait bien intérêt d’en faire de même, vu ce qu’ils lui devront peut-être tous bientôt. Si Eddie revoit son attitude et se met à considérer la tranquillité de ses voisins elle sera la seule à être parvenue à le raisonner, lui que beaucoup voyaient comme un cas désespéré qu’on ne pourrait jamais faire évoluer. Il n’a jamais voulu leur rendre la vie impossible contrairement à ce qu’ils pensaient tous, il avait juste besoin qu’on lui mette les conséquences de son comportement sous le nez pour cesser de minimiser la chose. Les menaces n’ont en tout cas jamais fonctionné avec lui alors leur voisine du 112 ne risquait pas d’obtenir grand-chose de lui en prétendant que ses chats finiraient en repas pour son chien, qui serait en réalité une bête adorable d’après Mika. Il hausse les épaules, supposant qu’il peut la croire. « Si tu le dis.. Je suis pas fan des gros chiens, j’aime mieux tout ce qui est petit. » Parce que ce qui est petit est mignon, c’est bien connu. Son truc à lui ce sont les chats sans surprise, il apprécie tous les animaux de façon générale mais il n’est pas certain qu’il pourrait supporter des aboiements au quotidien. Il est en tout cas curieux de découvrir la filmographie de Mika et celle-ci propose justement de lui prêter les films en question. « Je veux bien ouais, pour le lecteur j'ai ce qu'il faut. Il parait que ma culture cinématographique laisse à désirer et puis je regarde toujours les mêmes films, je vais donc faire d’une pierre deux coups grâce à toi. » Il va découvrir sa voisine en tant qu’actrice et s’ouvrir a de nouvelles choses, ça va le changer de ses Billy Elliot, West Side Story et Flashdance qu’il connaît par cœur à force. Et puis les films sur la danse ça va bien, Eddie ne peut pas rester enfermé là-dedans comme s’il n’existait rien d’autre. Le burn-out Mika n'est pas la première à lui en parler et à le mettre en garde contre ça, il est d'autant plus conscient des risques que l'un de ses anciens amis, également danseur, a sombré de cette façon il y a quelques années. La fatigue mentale peut faire durement trinquer le corps, c'est réel. « Tu dis ça à un mec qui ne prend jamais le temps de se reposer, et pourtant Dieu sait que je fais la morale à mes élèves sur l’importance de la récupération. » Il les bassine avec ça pour leur bien mais il rechigne à l’appliquer à lui-même, comme lorsqu’il leur dit de veiller à dormir suffisamment pour permette à leur corps de récupérer alors qu’il néglige son propre sommeil. Ce n’est pas étonnant avec le rythme qu’il s’inflige et le repos qu’il ne s’octroie jamais qu’Eddie ait fini par se blesser sérieusement, il est même étonnant que ça ne soit pas arrivé plus tôt. Puisque Mika est partante pour passer le voir au théâtre un de ces quatre le danseur convient qu'ils feraient mieux d'échanger leurs numéros histoire de se tenir mutuellement informés de leurs disponibilités, et elle l'invite sans tarder à entrer le sien pour qu'il fasse officiellement partie de ses contacts. Eddie s'exécute et il ne sait pas pourquoi, il sent qu'il aura bientôt droit à un petit nom personnalisé choisi avec soin par sa voisine. Il lui fait confiance pour être originale là-dessus, autant qu'elle l'a été avec sa petite mise en scène tout à l'heure. « C’est bon. Mais n’en profite pas pour m’appeler à pas d’heure pour te venger ! » S’il lui file son numéro ce n’est pas pour qu’elle abuse du fait de pouvoir le joindre de cette façon, Eddie détestant en plus de ça être harcelé de coups de fil ou de messages. Il n’est d’ailleurs pas toujours très réactif quand il s’agit de répondre mais ça dépend aussi beaucoup de la personne, il ne laisserait par exemple jamais traîner un message de sa petite sœur alors qu’il esquive facilement ceux de sa mère ou de certains amis habitués à son ghosting.  

Sa voisine a beau subir les répercussions de ses tapages jusque dans son travail elle parvient néanmoins à rebondir sans problème ce qui lui permet de relativiser un peu, mais aussi de découvrir que ce n'est pas franchement la modestie qui l'étouffe. Ça l'amuse Eddie, autant que ça le rassure de voir qu'elle s'en sort bien malgré tout même s'il n'est d'un coup pas bien fier de réaliser à quel point son égoïsme peut impacter les autres. Il avait besoin de cette prise de conscience, avant ça Eddie n'aurait vraiment pas pu se douter que les conséquences pouvaient être professionnelles pour Mika et sûrement d'autres car il ne voyait pas plus loin qu'une musique un peu trop forte. Il est du coup étonné de recevoir une invitation sur un plateau de tournage alors que sa voisine vient de lui apprendre que sa vie est devenue un enfer par sa faute, à croire qu'elle n'est pas rancunière et qu'elle désire vraiment arranger la situation entre eux. Eddie adhère évidemment à l'idée lui qui gravite depuis peu autour du monde du cinéma sans y avoir été réellement plongé, il fréquente des acteurs et s'est lui-même essayé à l'acting mais il ne sait pas du tout comment se tourne un film, par exemple. Le partenaire de Mika aurait à ce propos de sérieux problèmes de rythme, ce ne serait apparemment pas du luxe s'il lui donnait quelques cours de danse. « Ah oui il est gauche à ce point-là ? Il y a des gens comme ça qui ne savent pas gérer leur propre corps, c’est toujours assez drôle à voir. » Et ces gens-là ne sont pas forcément voués à rester toute leur vie de piètres danseurs, Eddie est bien placé pour savoir que n'importe qui peut progresser en s'en donnant les moyens. Il a réalise de véritables miracles avec des élèves qui partaient vraiment de zéro alors il croit au fait de pouvoir transformer n'importe qui, sans pour autant leur faire atteindre un niveau professionnel un jour ça va de soi. « Ce serait con que ça dégénère jusque là. » il admet dans un hochement de tête alors qu'ils se mettent d'accord sur le fait que se lancer dans une guerre de voisinage ne les aurait mené à rien d'autre qu'à une surenchère qui n'en aurait jamais fini. Eddie n'est pas en train de dire qu'il aurait commis une dinguerie si on s'en était pris à sa moto mais il ne serait pas resté sans réaction il le sait, à partir du moment où on s'en prend aux biens des autres il considère qu'une certaine limite est franchie, une limite qu'il n'aurait pas pu franchir le premier car il ne fait pas ce genre de choses à l'origine. On pourrait presque dire qu'il ne ferait pas de mal à une mouche mais avec lui ce sont surtout les araignées qui ont la vie sauve, de quoi faire dire à Mika qu'elle ne pourra pas compter sur lui pour la débarrasser de celles qui s'inviteront chez elle. « Non moi ces bestioles je les laisse faire leur vie mais je peux t’envoyer l’un de mes enfants par contre, elles ne font généralement pas long feu avec eux. » S'il ne les stoppe pas ses chats sont finalement à l'image de tous les autres, s'ils voient quelque chose voler ou ramper leur instinct leur dicte de le choper. C'est pour ça qu'Eddie met dehors la moindre bête qu'il peut trouver car il ne tient pas à retrouver des cadavres de papillons ou d'arachnides chez lui, et il estime qu'ils ne dérangent vraiment personne quand ils se baladent à l'extérieur.

Il est loin de se douter que Mika possède l'un des véhicules les plus imposants du quartier mais il sait maintenant qu'il lui faut éviter de bloquer une certaine Jeep Wrangler verte avec sa moto quand il décidera de la garer encore n'importe où pour gagner du temps. « C’est donc à toi ce monstre à quatre roues ? Aucun terrain doit te résister avec ça. » Comme elle dit impossible de la rater, il ne sait pas quel genre de véhicule il aurait été tenté de lui attribuer mais ça ne lui serait pas venu à l'esprit de l'imaginer au volant d'un tel modèle. Et ce n'est pas tout puisque sa voisine est aussi l'heureuse détentrice d'une moto, c'est un nouveau point en commun qu'ils se découvrent et un sur lequel Eddie n'aurait là encore pas du tout misé. « Tu pouvais pas le dire plus tôt Mika ? » C'est qu'il s'en offusquerait presque, comment ça se fait qu'il ne l'apprend que maintenant ? Il n'y a pas beaucoup de motos dans la rue et la propriétaire de la cylindrée est donc enfin identifiée, depuis le temps qu'il s'interroge sur la personne qui conduit cette beauté. « Ça fait un bail que je me demande à qui appartient cette Triumph, elle est sublime. Si tu cherches quelqu’un avec qui faire des virées moto en ville, pense à ton voisin. » Il la gratifie d'un clin d'œil car il n'a à ce jour personne avec qui sillonner les rues de Brisbane avec sa Honda CB300R, qui se rapproche assez de la moto de sa voisine en terme de calibre. Alors qu'il pense ne pas s'éterniser chez elle Mika s'étonne qu'il n'ait pas appris à son fils comment utiliser des WC, et le pire c'est qu'il lui semble bien que certains chats le font vraiment. « Eh non j’ai foiré son éducation pour ça. » C'est ballot, Loopy ne connait rien d'autre que sa litière pour faire ses besoins et quelque chose lui dit qu'il va bientôt manifester l'envie de se soulager. Avant de partir il s'assure quand même que sa voisine ne veut pas lui faire signer quelque chose pour attester de sa bonne foi, car il a dit qu'il ferait des efforts mais elle pourrait très bien ne pas le croire. « Ils seront là, je m’y engage. » il lui assure en tendant même une main pour symboliser ce pacte entre elle et lui. Les efforts seront au rendez-vous car Eddie a pris conscience de l'importance de considérer ceux qui l'entourent, il a ouvert les yeux sur tout ça et il estime que Mika mérite bien qu'il change ses vilaines habitudes compte tenu de la bienveillance dont elle a fait preuve à son égard aujourd'hui. Il peut bien faire ça pour elle, et ce sera du coup bénéfique à tous les autres ainsi tout le monde sera gagnant. « Merci de me faire confiance, c’est assez inespéré je dois dire mais ça fait plaisir. » Elle veut croire qu'il tiendra parole et il n'est pas certain de mériter ça venant d'elle, et il a encore moins envie de la décevoir à présent. « Loopy on y va. Tu reviendras peut-être ici à l’avenir si Mika veut bien de toi, en attendant il faut rentrer. » Il leur refera peut-être le coup de passer d'un balcon à un autre et cette fois sa voisine pourra le contacter directement sur son téléphone, tout comme il sera beaucoup moins réticent à l'idée qu'elle puisse avoir son chat chez elle. Il s'est assuré de ses bonnes intentions, il ne la croit plus du tout folle alors Eddie va regagner son appartement apaisé en ayant la sensation que tout cet échange était finalement nécessaire. « Allez bonne soirée voisine. » Le rouquin dodu traine un peu la patte mais il finit par le suivre, et ils n'ont que deux petits mètres à faire pour être de retour chez eux où le reste de la fratrie attend certainement son diner avec impatience.