Dans les silences se télescopent les échos du passé
C’est dans un grand sursaut que j’ouvre les yeux, réveillé par un grand bruit d’objet qui tombe sur le sol. Je soupire en me frottant les yeux, les refermant un instant pour oublier que je suis réveillé. Peter Quill Chat Manders, qu’est-ce que t’as encore fait? Mes pieds touchent le plancher de bois franc et j’hésite un moment à me lever complètement, la fatigue étant loin de m’avoir quittée. Un bref coup d’oeil à mon réveil-matin — oui, je suis un peu old school — et je constate que, de toute manière, il va sonner dans cinq minutes à peine pour que j’aille faire mon jogging matinal habituel. Ça et une grande tasse de café sont ce qui me tiennent sain dans tête durant la journée. Du moins, le plus possible. J’attends quand même que la sonnerie stridente et désagréable retentisse tout en fixant le vide, les yeux embués par la fatigue, avant de me lever pour aller l’éteindre. Comme une tortue, plus lent que Benjamin, je descends les escaliers pour poser les yeux sur la cuisine et… Peter Quill me regarde avec ses yeux ronds, figé en plein délit, alors qu’il inspecte la poêle qu’il a délicatement fait tomber par terre. « Peter Quill Chat Manders », je commence à le gronder en faisant de mon mieux pour lui faire les gros yeux. Difficile, avec une bouille comme la sienne. En l’espace d’une seconde, il s’enfuit à l’étage et je me retrouve seul avec la poêle qui a sacré le camp par terre et Rocket qui fait son exercice matinal dans sa cage un peu plus loin. Heureusement, je n’ai pas oublié de ranger le poulet que j’ai fait cuire miraculeusement dans cette poêle, mais il restait sans aucun doute de la saveur au fond et mon chat en a profité. Je range le tout, vais me changer pour aller courir et je sors. La pluie est toute douce, pas désagréable, mais plutôt rafraîchissante, mais je reviens chez moi les cheveux mouillés, le linge trempé. Après une douche rapide dans laquelle j’ai encore réussi à me mettre du shampoing-gel douche dans les yeux, je sors m’habiller et m’installer sur le canapé pour vérifier mes courriels. Mais avant tout, avant de commencer ma journée professionnelle, j’envoie un message de bon matin à Erin. Ça commence à faire plusieurs jours que je ne l’ai pas vue et elle me manque. Nel l’a emmenée en mini voyage et je pense réellement que ça lui a fait du bien, après ce qui s’est passé à la clinique pour son… IVG, après les événements des derniers mois. C’est une échappade avec l’homme qu’elle aime et j’espère qu’elle reviendra un peu plus légère. Mais… ma meilleure amie me manque atrocement et je ne me gêne donc pas pour prendre de ses nouvelles à chaque jour. Je lui envoie une selfie avec ma plus belle grimace, avant d’ajouter à celle-là des photos de Peter Quill et de Rocket. Je n’ai pas de réponse de sa part, mais je crois qu’elle est à la clinique vétérinaire, elle doit être occupée. Puis, je dépose mon hérisson à côté de moi sur le canapé et je me mets aux emails. Mais mon regard fuit constamment vers mon baby, tellement mignon à observer et, au bout d’une demi-heure, je n’ai que répondu à un courriel et demi. Le temps passe et quelques messages plus tard, mon téléphone vibre sur le comptoir de la cuisine. Je me lève pour aller le chercher en emmenant Rocket avec moi et fixe l’écran un instant, n’en croyant pas mes yeux. Ambre. Mon coeur se met à battre très fort, le bruit de la machine à laver et de mes animaux s’effacent pour ne laisser place qu’à une vague de souvenirs qui s’infiltre en moi. Mon hérisson se mets à sa débattre contre moi comme s’il sentait qui était en train de m’appeler. Ambre est en vérité comme sa maman, si on peut dire ça comme ça. C’est avec elle que je l’ai adopté. Je le pose sur le comptoir et je décroche, essayant de ne pas me faire les pires scènes dans ma tête. Et si… et si c’était quelqu’un qui avait trouvé le téléphone de mon ex copine parce qu’elle a… parce qu’elle a encore… « Allô? » je réponds d’une voix quelque peu hésitante. Un silence se prononce, un silence qui ne fait que faire grimper l’anxiété en moi. « Ambre? » je souffle. Un reniflement de sa part et je relâche mon souffle. « Adriel…je… » « Ambre? Qu’est-ce qui se passe? » Je tente de garder ma voix la plus calme possible, mais c’est difficile. On ne s’est pas parlés depuis notre rupture, pas même un texto. C’était mieux comme ça, pour qu’on avance chacun de notre côté. « Je viens d’amener Akela à la clinique. Erin s’occupe de lui. Elle m’a dit de ne pas t’inquiéter. » Je m’appuie dos contre le comptoir. Akela. Erin. Clinique. Je hoche la tête pour acquiescer même si elle ne peut pas me voir. « J’arrive », je déclare après un autre petit silence. Ça m’a fait beaucoup de peine de me séparer d’Akela en Novembre dernier, en même temps que sa maitresse. Autant on l’a trouvé ensemble, ce chien, mais autant ça a toujours été plus son chien à elle. Il est affectueux avec beaucoup de gens, avec moi aussi, mais particulièrement avec Ambre. Il la suit comme son ombre. Et jamais je n’aurais voulu la séparer de son fidèle compagnon, ils se font du bien l’un et l’autre. Mais il me manque. Ils… me manquent. « D’accord », qu’elle répond dans un murmure juste avant de raccrocher. Sans réfléchir plus malgré la tempête dans ma tête, je dépose Rocket dans sa cage, empoigne ma veste, enfile mes chaussures sans même détacher et rattacher mes lacets, et je sors retrouver ma voiture, direction la clinique d’Erin. M’enfin, celle où elle travaille, celle qu’elle va ouvrir avec Tessa n’est pas encore prête. En tout cas… Erin aurait dit à Ambre de ne pas m’inquiéter, mais c’est difficile. En conduisant, je ne pense pas trop à ma vitesse, je veux juste arriver le plus vite possible et savoir comment Akela se porte. Comment Ambre se porte, et Erin aussi, que je n’ai pas vue depuis quelques jours. Bon, je fais quand même un peu attention, ne manquerait plus que je me fasse arrêter, ça me retarderait plus qu’autre chose.
Mon parking n’est pas parfait, un peu croche peut-être, mais je n’ai pas le temps d’être perfectionniste. Je marche rapidement jusqu’à l’entrée de la clinique, cours presque, et pousse les portes pour me figer soudainement en apercevant Ambre de dos. Ses cheveux dorés ondulés comme ça, les courbes de sa silhouette que j’aimais tant, je les reconnaitrais n’importe quand et n’importe où. Elle se retourne et ma respiration se coupe; sans y penser plus, je m’avance vers elle d’un pas décidé, impatient de savoir ce qui se passe avec Akela. La surprise me prend lorsqu’elle enroule ses bras autour de mon cou, je finis par refermer les miens sur elle dans une étreinte un peu maladroite au début, mais qui ressemble un peu plus à celles qu’on partageait avant. Mais pas tout à fait. La revoir en chair et en os me fait ressentir toutes sortes d’émotions qui se bousculent les unes et les autres pour avoir la place de choix. Mais je ne sais pas laquelle choisir. Nostalgie, tristesse? Anxiété, coeur brisé, inquiétude? Ou même le bonheur de la retrouver, de laisser son parfum familier m’envelopper. Je suis désolée. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé… » Je remarque à ses reniflements et au ton de sa voix qu’elle pleure. Je pose une main dans ses cheveux pour la rapprocher un peu plus contre moi. « Je suis sûr que tu n’y est pour rien », je murmure. Je ne voix pas pourquoi ça serait sa faute, jamais elle ne ferait quoique ce soit intentionnellement pour blesser Akela, ou même qui que ce soit. Elle est une bonne personne et j’ai souvent l’impression qu’il arrive qu’elle l’oublie. Je me détache, laisse mon regard se plonger dans le sien une fraction de seconde avant de le détourner, puis je laisse ma main glisser dans la sienne et je l’entraîne vers les chaises. Je m’assois, l’invite à faire de même. J’essaie de me rappeler que je suis ici pour Akela, qu’on doit oublier ce qui s’est passé entre nous pour nous concentrer sur lui. Mais c’est difficile, quand mon coeur a de la difficulté à ne pas manquer un battement chaque fois que mes yeux se posent sur elle, que son parfum me parvient chaque fois qu’elle bouge légèrement la tête… Je prends une grande inspiration. « Il est malade? Il s’est blessé? » Je tente de chercher des réponses dans son regard, mais je n’arrive pas à le soutenir. Le mien s’échappe régulièrement. « Erin t’a dit pour combien de temps elle en a? » Sûrement pas, mais l’inquiétude me fait poser des questions auxquelles je n’aurai peut-être pas de réponse. Normal. Je me rends compte que je n’ai pas encore lâché sa main et j’ai la forte impression que ce genre de contact n’est plus permis. Je sais que c’est irrationnel parce que c’est elle qui m’a serrée dans ses bras en premier, mais, un peu mal à l’aise, je finis par ramener ma main vers moi en jetant un coup d’oeil vers la salle où est sans doute notre compagnon commun. Je repose mon regard sur Ambre, un peu plus bas que ses yeux. « Merci de m’avoir prévenu… » je dis doucement, sincère, réellement reconnaissant qu’elle me croit assez important dans la vie de ce chien pour me prévenir qu’il ne va pas bien.
Dans les silences se télescopent les échos du passé
L’appel d’Ambre m’a surpris, j’étais loin de me douter que j’aurais de ses nouvelles de sitôt. Malgré le choc d’entendre sa voix de nouveau, de l’entendre sangloter à l’autre bout du fil, je ne perds pas de temps à la rejoindre à la clinique. Je ne prends pas le temps d’imaginer ce que ça fera de la revoir, en chair et en os, après quelques mois. En revenant de Nouvelle-Zélande, j’ai choisi consciemment d’avancer; et non seulement par rapport à ma relation avec elle, mais aussi avec celle que j’entretiens avec Erin. Sauf que, bien sûr, avec celle-ci, c’est différent, on continue d’être les meilleurs amis du monde et voilà. Avec Ambre, j’aimerais bien qu’on redevienne amis un jour, mais je crois aussi qu’un peu de temps sans l’autre ne pourrait qu’en être bénéfique pour panser les blessures que cette rupture a pu causer. Sauf que la vie en a décidé autrement avec Akela qui a dû être transporté d’urgence à la clinique vétérinaire, et c’est surtout à lui et à son état que je pense en conduisant pour les rejoindre. Alors quand j’accours dans la clinique, je fige en voyant Ambre de loin, car je n’ai pas du tout pensé à ce que je pourrais bien lui dire, comment je pourrais agir avec elle en la revoyant. J’ai envie de la serrer dans mes bras, de la sentir près de moi, mais je ne sais pas si ça serait approprié. J’avance doucement vers elle et, finalement, c’est elle qui franchit le pas en premier, ses bras venant s’enrouler autour de mon cou dans une étreinte qui pourrait peut-être ressembler à celles d’avant. La culpabilité semble l’envahir et je fais de mon mieux pour la rassurer. Non, bien sûr que non, ça ne peut pas être de sa faute. Et puis, je sais que notre chien est entre de bonnes mains, je ne suis pas inquiet. Erin et son équipe vont trouver ce qu’il a et également une solution pour qu’il se porte mieux. Il ne reste plus qu’attendre et je glisse ma main dans celle de mon ex copine pour l’entraîner vers les sièges afin qu’on soit plus confortables. Nos regards se croisent et je détourne aussitôt le mien, incertain de si je trouverai la force pour le soutenir. Les choses avec Tessa vont plutôt bien, je crois, et je me sens prêt à passer à une prochaine étape. Mais voir Ambre devant moi me chavire de l’intérieur, j’aimerais bien ne focuser que sur Akela, mais ça m’est difficile. On s’assoit et je lui demande ce qui s’est passé pour qu’il soit si mal qu’elle en soit en larmes. Elle relève ses yeux tout mouillés sur moi et je m’entête deux secondes à chercher des réponses dans ses yeux, avant de regarder plus bas, son nez peut-être. Voilà. Son nez que j’ai toujours trouvé vraiment mignon, soit dit en passant. Je résiste fort pour ne pas approcher ma main de son visage tout rougi pour y essuyer les larmes qui s’y sont logées. « Je l’ai retrouvé dans ma chambre tout patraque alors que je m’occupais de défaire mes cartons. Il a vomi sur le parquet. J’ai l’impression qu’il a mal digéré quelque chose. » Je penche la tête, la lueur inquiète s’intensifiant dans mon regard. Des croquettes expirées? Honnêtement, connaissant Ambre, cette possibilité m’apparaît impensable. Et puis, les chiens, ça peut manger vraiment de tout juste pour le plaisir de mâcher. Une fois, j’ai retrouvé mon rasoir électrique tout mâchouillé par terre, cassé, et j’ai vraiment eu peur — c’est quand même un objet dangereux. Depuis, je range mon rasoir dans le tiroir, même à ce jour, même si je doute que Peter Quill ou Rocket fassent la même chose qu’Akela. Peter Quill, ça serait plus le balancer hors du comptoir de la salle de bain en me regardant droit dans les yeux.
Je hoche la tête, un peu plus conscient de sa paume qui se resserre sur la mienne, n’en faisant pourtant rien sur le coup. Je lui demande alors si Erin lui a précisé pour combien de temps elle en aurait dans la salle d’opération, ne sait-on jamais. Ambre secoue la tête en baissant les yeux. « Non, aucune idée. Elle m’a surtout précisé que tu devais rouler tranquille et de ne pas t’inquiéter. » Malgré l’ambiance, un petit rire m’échappe. C’est bien Erin de s’inquiéter de ça. Madame qui conduit même en ayant un peu d’absinthe dans le corps. Je finis par rouler des yeux. « Je suis parfaitement prudent sur la route, et j’ai pas le choix de m’inquiéter… », je lâche alors que mes sourcils se froncent d’inquiétude de nouveau. Je relève le regard avec un peu d’hésitation sur Ambre, l’observe un peu. « Mais si elle dit de ne pas s’inquiéter, c’est qu’il ne faut pas s’inquiéter. Ça vaut pour toi aussi, Mahina », je souffle cette dernière phrase, le surnom m’ayant échappé. Quatre mois, ce n’est pas assez pour perdre ce genre d’habitudes. Mahina, surnom que je lui ai trouvé alors que nous étions à Hawaii et qui veut dire lune dans la langue locale. Ce rapprochement avec Ambre il y a plus d’un an avait été tellement inattendu, elle m’avait semblée parfois inatteignable, trop belle et trop bien pour moi. Inconsciente de sa propre beauté, de sa propre valeur. Rongée par des regrets dont elle n’a pas vraiment voulu me faire part. Je ramène ma main vers moi alors que les souvenirs tentent de refaire surface, alors que je ne sais pas jusqu’où les gestes d’affection sont permis d’aller.
Tentant de reprendre quelque peu mes esprits, je la remercie de m’avoir prévenu, reconnaissant qu’elle veuille bien que j’aille une petite place encore dans la vie d’Akela… dans la sienne aussi. Je frissonne lorsqu’Ambre place sa main sous mon menton pour relever mon regard dans le sien. Et je ne peux faire autrement que de la regarder, le coeur battant vite dans ma poitrine. J’espère qu’elle ne l’entend pas. « Merci d’être venu. Ça me rassure de te voir là. » Son petit sourire est contagieux et le mien ne tarde pas à apparaître. « J’ai dû interrompre ma séance de pilates, tu sais. » N’importe quoi. La plaisanterie m’a échappée avant que je ne puisse la retenir. Un rappel de l’été de notre relation durant lequel elle avait voulu essayer une classe de pilates et m’avait invitée à la joindre. Je m’y étais rendu en m’attendant à trouver ça trop facile, pour sortir de là avec des muscles endoloris dont je ne connaissais pas l’existence avant. « J’ai l’impression qu'Akela a envie que tu reprennes la danse. » Je tourne brusquement la tête vers Erin, que je n’avais pas entendue se rapprocher, comme si j’avais été pris sur le fait de quelque chose. Mon sourire s’élargit, mais je fige, essayant de reprendre mes esprits, alors qu’Ambre se lève pour prendre un… ruban de ballerine dans les mains de ma meilleure amie. « Tu devrais peut-être écouter Akela », je muse dans un petit sourire tendre à l’égard de mon ex. La première fois que je l’ai rencontrée, à cause de Diego, elle m’avait bel et bien parlé de sa passion. J’ai su plus tard qu’elle avait dû arrêter à cause d’une blessure, et quand nous étions ensembles, en trouvant ses anciennes ballerines dans ses affaires une fois, je me suis demandé si elle ne pourrait — ou plutôt ne voudrait — pas reprendre. « Ho ! Je n’avais pas fait attention qu’il manquait à ma ballerine. Merci Erin. Comment il va ? » « Il fait dodo là. Il est encore dans les vapes. Mais ça va t’en fais pas. Je le garde en observation jusqu’à demain. Je t’appellerai pour que tu viennes le chercher » Je pousse un soupire de soulagement en me passant une main dans les cheveux. Akela va bien, tout va bien. L’instant d’après, Erin est devant moi, les mains dans le dos. « Qu’est-ce que t’attends pour me serrer dans tes bras ? » Je ris et me lève aussitôt, ne la faisant pas attendre une seconde de plus, soulagé que le chien se porte bien. J’entoure les épaules de ma meilleure amie et la sers fort dans mes bras, bien trop heureux de pouvoir enfin le faire. « Tu m’as trop manqué. » Je la presse un peu plus fort contre moi, comme s’il y avait encore trop de distance entre nous. « Toi aussi. J’espère que le café en vaut sérieusement la peine », j’ajoute d’un ton faussement dramatique. « Doucement tu va m’étouffer ! » J’entends Ambre rire et je relâche Erin, dépose un bisou sur son front. Ma tête se tourne doucement vers mon ex copine, dont le rire m’a vraiment manqué, et je me surprends à sourire. « J’espère que tu n'as pas roulé comme un fou pour venir ici. Hein ? » Je reporte mon attention sur la vétérinaire, momentanément perdu. « Hein…? Ah, mais non, t’inquiète, voyons. Je me suis pas fait arrêter. », j’ajoute, une lueur malicieuse dans mes yeux, comme si ça prouvait de ma bonne conduite. Erin me fait une tape derrière la tête et, immédiatement, je porte ma main où la sienne a atterri. Elle me connait trop bien. « Aïe, Erin! » Mais elle commence déjà à s’éloigner. « On s’appelle ! Pas de bêtises. » Je roule de nouveau des yeux en riant, l’observant s’éloigner davantage en me mettant en garde avec ses doigts qui tracent deux lignes imaginaires entre ses yeux verts et les miens. « T’as mon nouveau numéro, Riri? » je la taquine alors qu’elle disparaît dans le couloir avec, en grande finale, un clin d’oeil. Bien entendu, elle serait probablement la première au courant si je changeais de numéro. Et des bêtises… je ne sais pas trop ce qu’elle entend par là. Je suis toujours sage, moi.
Je m’approche d’Ambre qui porte un petit sourire timide sur les lèvres — elle a toutes sortes de sourire et, dans l’année où nous étions ensemble, j’ai appris à les décoder. « Elle est super. T’as de la chance d’avoir une amie comme elle. » « Je sais », je souffle sans hésitation avant de détourner le regard une fraction de seconde, repensant à cette nuit de novembre où Erin et moi nous étions… brièvement retrouvés d’une autre manière. Mes pensées se tournent légèrement sur Diego, le meilleur ami d’Ambre, qui m’a embrassé. Le même mois. Oh la la. Soudain, je deviens tout nerveux et je n’arrive pas à répondre quoi que ce soit d’autre sur le coup. C’est sa voix qui me tire de mes pensées. « Je peux t’inviter à boire quelque chose ? J’habite pas loin d’ici. Enfin…si t’en a envie, je t’oblige pas. » Je repose mon regard dans le sien, l’observe un moment, décontenancé qu’elle veuille étirer notre rencontre même en sachant qu’Akela va bien. Un sourire finit toutefois par prendre place sur mes lèvres alors que je reprends une respiration normale. Respire, Adriel, respire. Est-ce mal si je vais chez mon ex alors que les choses vont de mieux en mieux avec… mon autre ex? Hum… « Pourquoi pas », je réponds finalement avant de pouvoir le regretter. Il n’y a rien de mal puisqu’il ne se passera rien. Puisqu’un jour ou l’autre, de toute manière, je voulais bien qu’Ambre et moi redevenions amis.
J’insiste sur le fait que je prends ma voiture pour la suivre jusque chez elle, argumentant qu’elle n’aura pas besoin de me conduire à la clinique vétérinaire après de toute manière. Même si, honnêtement, ça aurait été une bonne excuse pour voir de nouveau Erin — bon, je pourrai quand même passer plus tard. Je la suis donc et on sort tranquillement de la ville pour nous ramasser plus en campagne. Ce n’est que lorsqu’elle se stationne devant une petite maison et moi aussi, à mon tour, que je me rends compte que j’ai oublié de mettre de la musique, trop perdu dans mes émotions et mes pensées que je n’arrive pas trop à distinguer. Quand elle a dit qu’elle habitait pas loin d’ici, je me suis bien douté qu’elle avait déménagé, sans toutefois poser plus de questions, distrait par l’idée qu’elle m’invitait chez elle. Sa maison est belle, faite de pierre, en nature, je peux très bien imaginer la blonde y vivre. Une partie de moi l’envie d’être aussi près de la nature comme ça. Je ferme la portière après avoir posé les pieds au sol et je m’avance vers Ambre. « Wow! C’est chez toi, ici? » Je peux très bien imaginer notre chien se plaire, ici. Je m’arrête à un bon deux mètres d’elle, incertain de la suite. J’enfouis mes mains dans mes poches. « Ça… ça fait longtemps que tu as emménagé ici? » Bien sûr, longtemps, c’est relatif. Ça ne peut pas faire plus de quatre mois, c’est certain. Mais une semaine, deux, ou peut-être douze. « Akela doit adorer avoir tout ce terrain pour courir… », je souffle dans un petit sourire plein de nostalgie.
Dans les silences se télescopent les échos du passé
Le surnom que je lui ai trouvé à Hawaii, Mahina, m’échappe avant que je ne puisse le retenir, comme si c’était plus fort que moi. Ambre ne répond rien, j’ai envie de m’excuser d’aider le passé à refaire surface, mais je me tais. Les mots ne viennent pas. La main d’Ambre sous mon menton me fait frissonner et je n’ai d’autre choix que de la regarder, d’affronter son regard. Je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs, je tente de l’éviter. Ce n’est pas comme si on s’est laissé dans une grande dispute ou quoi, loin de là. Mais la regarder dans les yeux, c’est réaliser qu’elle a continué sa vie, sans moi, de son côté; c’est réaliser qu’elle est peut-être mieux sans moi, également. J’espère qu’elle va bien, qu’elle est heureuse, en tout cas. Même si c’est sans moi. Nous nous connaissions de notre vie d’avant, d’abord à cause de Diego, mais finalement à cause de Lyla. Erin me dirait sans doute que je suis un éternel romantique et rêveur de penser ça, mais j’ai eu l’impression que c’était le destin, que nous nous retrouvions ensemble. Même si bon, j’aurais aimé qu’elle ne tente pas de mettre fin à sa vie. Je revois encore le visage tout heureux de Rose qui nous voyait enfin proches quand on allait chez Lyla ensemble, comme si ça faisait un moment qu’elle l’espérait. Ambre me remercie d’être venu et je tente l’humour en parlant de Pilates. Arrête de ramener le passé, Adriel. Mais c’est plus fort que moi. Comment oublier tous ces beaux moments qu’on a vécus ensemble? Au moins, ça la fait rire, et ça me rassure. Mes paroles ne semblent pas tourner le couteau dans la plaie, si plaie il y a. Peut-être qu’elle est totalement remise de notre rupture, c’est possible, et je ne lui en voudrais pas. Je me rappelle très bien après cette séance de sport de ses mains pleines d’huiles essentielles qu’elle passait dans mon dos et… ailleurs, pour soulager mes muscles. On avait fini les deux couverts d’huile, nos corps glissant beaucoup trop facilement l’un sur l’autre, et puis dans la douche à s’arroser avec la pomme de douche en oubliant qu’il faudrait essuyer l’eau sur le plancher après. « Hoo ! Tu t’es mis aux pilates ? J’aurai voulu voir ça. Ça va tes muscles ? » Un petit sourire en coin s’affiche sur mes lèvres. « Peut-être bien », je muse. J’aurais voulu voir ça. Je voudrais pousser la plaisanterie, prétendre que j’en fais régulièrement et qu’elle devrait venir en faire avec moi. Mais je me retiens, malgré la lueur malicieuse dans son regard qui fait augmenter mon rythme cardiaque rapidement, malgré les fossettes qui se creusent sur ses joues quand elle sourit et qui me font toujours aussi craquer. Ça suffit, Adriel.
Ce petit moment qui donne des airs de déjà-vu s’arrête au moment où Erin entre dans la pièce avec le ruban et des nouvelles d’Akela. Et c’est mieux comme ça. Comment est-ce aussi facile de perdre mes repères le moindrement qu’Ambre est là? Je demeure assis, encore un peu sonné de cette petite complicité retrouvée le temps de quelques minutes, ajoutant au commentaire de ma meilleure amie qu’Ambre devrait peut-être reprendre la danse, en effet. Son regard se tourne vers moi et elle m’adresse un petit sourire. « C’est derrière moi tout ça », dit-elle dans un soupir. Je penche la tête sur le côté, je suis pour répondre quand Erin prend la parole avant. « Je disais ça aussi pour le chant. Jusqu’à ce que je croise cet énergumène qui me donne goût à chanter. Je suis sûr qu’il parviendra à te refaire danser. » On a développé notre amour pour la mjusique ensemble, et il était tout naturel que je l’encourage avec le talent qu’elle a. « Cet — cet énergumène? » je fais en faisant semblant d’être offusqué. J’ai l’habitude. Erin me fait un clin d’oeil au passage et je plisse les yeux à son égard en tentant de comprendre ce qu’elle veut me dire. « Le problème, c’est que je n’ai jamais fait de ballet de ma vie… je vais aller voir sur Youtube et on s’en reparle, c’est bon, Ambre? » Autant l’idée de me retrouver en collant et à faire des pointes m’apparaît absurde, autant je serais prêt à carrément le faire pour avoir… Ambre près de moi. Je secoue la tête comme pour chasser cette pensée, comme si la pensée en elle-même était absurde. Elle m’a laissée, c’est terminé, et puis il y a Tessa que j’aime beaucoup. Même si… même si plein de trucs, bon.
Ma meilleure amie me réclame un câlin et je ne tarde pas à le lui donner en riant. Ça fait trop longtemps que je ne l’ai pas vue, j’ai l’impression, même si en réalité, ça ne fait que quelques jours. Sauf que d’habitude, on se texte constamment ou on s’appelle ici et là, souvent avant de nous endormir ou carrément en nous endormant, et là… presque nada. Je compte bien la bouder au moins un peu, mais maintenant, je compte surtout profiter de ses câlins qui m’ont manqué. Bien entendu, je ne peux m’empêcher de passer une remarque sur ce fameux café, toujours en assumant qu’il s’agit réellement de café, et elle rit. « Hm… J’aimerais te dire que le café était bon. Mais depuis que Gabi’ est là je ne peux pas en boire une goutte. Le séjour était toutefois très agréable » Je me détache un peu plus à la mention de son bébé, comme si je pouvais lui faire en serrant trop fort sa maman dans mes bras. Même si elle compte faire l’IVG… « Étrange que les bébés n’aiment pas le café », je dis innocemment, un sourire en coin sur les lèvres, aussi malicieux que le sien. Je grimace. « Agréable… je vais prétendre que tu parles des beaux paysages et des baignades en maillot de bain », je précise. Bon, au final, je la serre quand même fort dans mes bras en faisant bien attention de ne pas trop coller mon ventre contre le sien et elle râle que je vais l’étouffer. Le rire d’Ambre nous tire de notre étreinte et je me retourne vers elle, répondant à son sourire. Je tourne de nouveau mon attention sur Erin lorsqu’elle m’interroge sur ma conduite. Pris au dépourvu, je prétends que tout va bien parce que je ne me suis pas fait arrêté. Je n’ai pas causé d’accident, non plus, alors c’est sans doute la preuve que j’étais prudent. Ma réponse me donne toutefois le droit à une tape derrière la tête et je m’en plains aussitôt. « Je vais te balancer à mon frère tu vas pas comprendre. J’ai toujours su que t’avais le fantasme les menottes de toutes façons » Ça me ramène tout droit à novembre dernier, sur la plage, avec Erin et Elias, moi en string léopard, Erin en robe rouge… hum. Me semble avoir fait en effet un commentaire sur les menottes, mais c’est flou dans ma tête, je n’en sais rien. Je rougis à la dernière mention, lance un coup d’oeil à Ambre pour voir si elle a entendu. Je finis par rire. Un peu nerveusement. Pas que d’habitude je sois gêné ou quoi, mais là, avec ces deux-là dans la même pièce… « Pas si c’est ton frère », je réponds en prenant un air dramatiquement terrifié. Il ne m’aime toujours pas, lui, et il se ferait un plaisir de m’emmener au poste pour n’importe qu’elle raison. Je jette de nouveau un coup d’oeil à Ambre, soucieux que les paroles d’Erin puissent sous-entendre ce qui s’est passé en automne dernier, juste après notre rupture, tout en tournant sur mon poignet le bracelet qu’Erin m’a donné pour Noël. Je ne l’enlève que très rarement, voire jamais. (Confirmation: il va sous la douche.) Non, je ne crois pas qu’elle fasse le lien, mais il vaut mieux qu’elle ne sache pas… Même si nous n’étions plus ensemble, je la comprendrais de mal le prendre. Puis, Riri doit retourner travailler et, juste avant qu’elle ne disparaisse au bout du couloir, je lui demande pour plaisanter si elle a mon nouveau numéro, sachant très bien qu’elle serait la première à l’avoir. Je connais le sien par coeur. Elle se retourne brusquement vers moi. « Ha ha ! Et toi t’as le mien ? » J’ouvre la bouche, pris par surprise par sa répartie, mais je roule finalement des yeux en riant. « Je demanderai à Link! » je lui crie juste avant qu’elle tourne dans un autre couloir.
Le coeur ensoleillé d’avoir retrouvé ma meilleure amie même si ce n’était que pour quelques minutes, je retourne vers Ambre qui, elle aussi, affiche un petit sourire — le sien est timide, et elle passe un commentaire sur Erin. Je réponds par l’affirmative, me sentant réellement chanceux qu’elle soit dans ma vie. Je suppose que ça doit être un peu la même chose pour Ambre avec Diego, c’est vraiment un super ami, mais penser à lui me fait penser à novembre dernier — encore — et je me renferme dans un petit silence le temps de quelques secondes, pensif. Mon ex copine finit par m’inviter chez elle et, pris par surprise, je mets un petit temps à réfléchir en pesant les pour et les contre dans ma tête, ayant quelque peu l’impression que c’est mal d’aller chez elle alors que ça va bien avec Tessa. Mais au final, j’accepte; après tout, j’aimerais qu’on soit amis dans le futur, et c’est peut-être le moment de commencer sur cette voie.
Une quinzaine de minutes sur la route plus tard, on arrive enfin chez elle et je sors de ma voiture, admiratif devant la petite maison de pierre. C’est joli par ici, calme surtout. Je ne doute pas qu’Ambre adore être loin du centre-ville comme ça, là-dessus on s’est toujours ressemblé. Elle a grandi dans le coin, aussi, ça doit aider. Pour ma part, je préférerais être à la campagne également, mais comme mon studio appartient en fait à mes parents au final, je n’ai pas tant eu mon mot à dire sur l’emplacement. Et il faut dire que c’est pratique d’être au centre de Brisbane, pour mes contrats et tout. « Oui ! Elle est mignonne hein ? Akela adore gambader dans le jardin. Faire des trous aussi .. » Je ris doucement. Il faisait souvent des trous dans le sable quand on l’emmenait sur la plage. Ambre s’avance vers la porte pour la déverrouiller et je la suis à un rythme plus lent, m’arrêtant à quelques mètres et enfouissant mes mains dans mes poches. Peut-être est-ce la nervosité d’entrer dans son espace personnel, peut-être est-ce par gagner du temps, mais je lui demande si ça fait longtemps qu’elle a aménagé ici. « Tout juste deux semaines. J’avais besoin d’avoir mon chez-moi. Noah n’est pas super enthousiasme. Mais je lui ai laissé un double des clés pour le rassurer. Et ce n’est pas comme si j’avais aménagé à l’autre bout du monde non plus. » Je ris de nouveau, un petit rire nerveux et un petit sourire qui se forme sur mes lèvres. Je peux comprendre l’inquiétude de son frère toutefois. De ce qu’Ambre m’a raconté, il a toujours été protecteur avec elle, même petite, mais là… il a failli la perdre. Je suppose que ça devait le rassurer de l’avoir chez lui. « Il pourra venir faire son footing matinal tout en venant prendre un café avec toi », je réponds en haussant les épaules. Je parle d’Akela et de ce gigantesque terrain qu’il doit adorer. J’ai hâte de le revoir; je suis content qu’il aille bien, mais je suis déçu de ne pas avoir pu jouer avec lui, comme avant. Même ses léchettes me manquent, c’est pour dire. « Il me fait tourner comme une bourrique. Allez viens, entre, reste pas là. » Je hoche la tête, prends une petite inspiration discrète et m’avance pour découvrir son chez elle. Ma première impression est que ça lui ressemble tout à fait, et… que ça sent bon. Ça sent elle. « Bienvenue dans mon humble demeure, fait comme chez toi. Et fait pas attention aux cartons. Je n’ai pas eu le temps de tout déballer encore. » Je les remarque à peine en pénétrant dans les lieux, trop occupé à observer ce qu’elle a déjà déballé. « C’est vraiment joli chez toi. Sans les cartons, c’est très… toi. » C’est même pas tant la déco nécessairement, mais l’ambiance.
J’enlève mes chaussures et la suis un peu plus profondément dans les lieux; mon regard se pose soudain sur un objet posé sur une étagère dans le salon, objet que je reconnais immédiatement. Mes pas me guident automatiquement dans sa direction. « Tu l’as encore? » je m’exclame en prenant le tiki dans mes mains, me tournant vers elle, surpris. Je ne sais pas pourquoi, peut-être aurais-je pensé qu’elle s’en serait débarrassée après notre rupture? Je me demande brièvement au passage ce qu’elle a fait du collier que je lui ai offert alors qu’on était à Hawaii. Ambre s’enfuit dans la cuisine alors que j’admire toujours les décorations sur ses murs et elle revient peu après avec un verre de jus de fruits et une bière, qu’elle me tend. On s’installe sur le canapé, à une toute mini distance l’un de l’autre, si bien que je ne saurais dire si on est proches ou éloignés, tout dépend de la perspective. « Bien fraîche, comme tu l’aime. » Un sourire prend place sur mes lèvres et je garde les yeux rivés sur le verre, que je lui prends des mains. « Merci », je souffle, avant de prendre une gorgée. Elle se rappelle exactement mes goûts, que je ne peux m’empêcher de penser. Idiot, ça ne fait pas dix ans que vous ne vous êtes pas vus, non plus.
Je suis son regard qui dérive sur une photo au mur, et je réalise que c’est celle que j’ai prise d’elle et d’Akela. Je souris de nouveau. Décidément, sa maison est pleine de souvenirs de notre couple, et je ne sais pas trop comment je me sens en ce moment. Confus, mais pas mal du tout. C’est un bon début. « Toujours dans la photo ? » Avant de répondre, je prends de nouveau une gorgée de la bière pour cacher mon sourire, les yeux malicieux. À quel point peux-tu garder ton expression la plus sérieuse du monde, Mayers? « Non », je commence en posant mon verre entre mes cuisses, « je suis en train de faire une formation pour être instructeur de Pilates. » Je relève les yeux sur elle pour jauger si elle me croit. Sans doute que non, je doute déjà qu’à la base elle croit réellement que j’aie continué le Pilates. Surtout sans elle. « Et toi ? » je lui demande. Aux dernières nouvelles, quand nous étions encore ensemble, elle travaillait dans un Starbucks. J’adorais aller la voir à chacun de ses quarts de travail exprès pour l’embêter. Et lui laisser un généreux pourboire dans le pot en avant de la caisse dès qu’elle avait le dos tourné. Et bon, sinon, je ne sais pas trop. Je n’ai pas revu Diego depuis novembre et Lyla ne me parle pas vraiment d’Ambre à part si je le lui demande; ce qui veut dire, pas souvent. Pas parce que je n’ai pas envie de parler d’elle, au contraire, mais bien parce que c’est douloureux. « J’ai entamer une formation pour retrouver mon agrément. J'espère pouvoir garder des bouts de choux bientôt. » Mon visage s’illumine, c’est vraiment une excellente nouvelle. « Je suis vraiment content pour toi. Je l’espère aussi. Ils seront chanceux de t’avoir, ces petits bouts de choux. » Je n’ai pas eu l’occasion de la voir vraiment avec des enfants — à part Rose —, mais quand elle me parle d’eux, de ces petits qui sont ballotés d’une famille à l’autre, je la sens totalement dans son élément. Le besoin de les aider est vraiment fort et ça se sent. Déjà, avec Rose, elle a vraiment de la facilité à interagir avec elle — et elle a aussi une excellente capacité à ne pas succomber à tous les désirs de la petite. (Je suis faible.) Nos regards se croisent, un sourire apparaît sur ses jolies lèvres, et je ne peux faire autrement que d’y répondre. Son sourire est contagieux, il l’a toujours été. Celui actuellement est tout doux. « Comment va Peter Quill ? Et Rocket ?? Ça me manque de l’entendre tourner dans sa roue. » Ça lui manque… Je secoue la tête en riant, décide de tenter l’humour encore une fois pour détourner mon attention du fait que ça lui manque. « Je te crois pas », je dis, une lueur espiègle dans le regard, « je suis sûr que tu arrives mieux à dormir maintenant. » Je m’arrête, me mordille la lèvre en détournant le regard. Maintenant qu’on n’est plus ensemble. Que ça sorte comme ça n’était pas intentionnel, ce n’était pas supposé ramener notre rupture sur la table, même aussi indirectement. Je ne lui en veux pas du tout et je ne veux pas qu’elle croit le contraire. Je repose mon regard sur elle. « Mais ils vont bien. Ils sont toujours aussi mignons, ensemble. Regarde… » Je sors mon téléphone de ma poche pour lui montrer quelques photos toutes récentes d’eux, collés, dans différents environnement, certains mis en scènes, d’autres pas. Il y a même une photo dans laquelle Rose s’est jointe à eux, elle rit et fixe la caméra de ses grands yeux bleus en les plissant. Peter et Rocket se sont vraiment rapprochés dans les derniers mois à force de vivre dans le même studio; quand Ambre a rompu avec moi, ça ne faisait que quelques mois qu’on avait pris le hérisson sous notre aile. « Au fait, c’est Peter Quill Chat Manders maintenant, le pauvre. Un peu plus et on rajoutait le titre “Lord” avant, mais ça commençait à faire un peu long. » Je range mon téléphone de nouveau dans ma poche. « Et comment va Akela? Hum… à part sa petite visite chez le veto, je veux dire », je me reprends maladroitement. « Ça me manque de manquer de place pour dormir à cause de lui », j’ajoute tentativement avec nostalgie, m’empêchant de rajouter un et à cause de toi aussi, plein d’affection, bien sûr. Ambre se collait tellement contre moi quand nous dormions ensemble qu’il arrivait que je me retrouve sur le bord du lit. Mais j’étais bien.
Dans les silences se télescopent les échos du passé
Pendant un instant, je retrouve cette bulle que je partageais avec Ambre il y a de ça quelques mois à peine. J’en oublie qu’on est là pour notre Akela, qu’elle m’a quitté et que ça me fait toujours quelque chose, au fond. Erin arrive et je suis de retour dans la réalité, je les écoute converser un moment en y ajoutant toutefois mon grain de sel, mais je deviens plus en alerte quand Erin me traite d’énergumène. Les deux filles sourient en même temps tout en me regardant. « T’as très bien entendu. » J’affiche ma mine boudeuse, celle que j’accorde principalement à Erin et qui ajoute à nos airs de gamins. Finalement, quant au ballet, je demande à Ambre si c’est bon que je lui revienne avec ça après avoir regardé des tutoriels sur Youtube, car je n’en ai jamais fait de ma vie. Ça semble la faire rire et je me retiens d’être un peu trop fier de moi. « Je demande à voir », dit Ambre. « Deal ! » ajoute Erin en lui serrant la main. Des points d’interrogation s’installent dans mes yeux. C’est pas à moi, à conclure le deal? « Ok, deal ! Avec le tutu ? » « EUH NON », je proteste, les yeux écarquillés par la peur, car je sais que si les deux s’y mettent, je ne m’en sortirai pas. « Évidemment, avec le tutu. Tu filme surtout ! » « Non, mais ça va pas! ». je m’exclame, plaquant une main sur mon front. « J’ai pas donné mon accord! » Mais Ambre hoche la tête en direction d’Erin, un sourire sur les lèvres. Je retrouve mon sourire lorsque ma meilleure amie contourne les sièges pour me réclamer un câlin — câlin que je lui offre sans broncher, même si je lui en veux un peu de ne pas m’avoir super contacté pendant plusieurs jours d’affilée. Elle me parle de Gabi’ et de la caféine, ce qui met la puce à l’oreille d’Ambre, qui la félicite. Le regard d’Erin se dirige sur moi, comme figée par ces félicitations, et j’ouvre la bouche pour expliquer à Ambre ce qu’il en est, mais je ne voudrais pas balancer une information qu’Erin n’aurait pas envie de partager tout haut. C’est déjà assez difficile pour elle, surtout qu’elle devait faire l’IVG il y a quelques jours maintenant et qu’elle a paniqué. Mais, au final, elle offre une réponse honnête et toute simple à l’autre blonde. « Merci Ambre, mais … je vais pas le garder. Disons que c’est pas le bon moment. » Mon regard se tourne en direction d’Ambre, qui baisse les yeux, et je mordille ma lèvre. Je ne connais pas tous les détails, mais je sais qu’elle s’est déjà fait avorté dans le passé. Je n’ai pas osé poser plus de questions, me disant qu’elle ne m’en parlerait que si elle le souhaite, mais j’ai bien vu qu’elle était encore émotive de cet événement à ce moment-là. Peut-être sera-ce toujours le cas. « Je comprends, désolée. » Je tends les deux mains pour frôler leurs bras dans un geste de réconfort, puis je rebondis sur le fait qu’Erin ait qualifié son séjour avec Nel d’agréable, ce qui semble lui redonner le sourire. Elle finit par tourner les talons en direction de ses patients et on se taquine comme à notre habitude.
Ambre m’invite à visiter son nouveau chez elle et je finis par accepter, un peu hésitant au départ. En une quinzaine de minutes, on est déjà devant sa petite maison de pierre et je la rejoins à l’intérieur pour découvrir une habitation qui ne manque pas de lui ressembler. Elle me parle de son frère qui a bien de la misère à la laisser partir et je plaisante en mentionnant qu’il pourra faire son footing matinal tout en venant prendre un café avec elle. Et pourtant, je me doute que ça pourrait être très bien le cas, connaissant un minimum Noah. « C’est ce qu’il fait déjà. Sauf que le jogging n’est qu’un prétexte » Voilà, c’est ça. Je ris quelque peu nerveusement en m’avançant dans sa demeure. J’observe les alentours et ne manque pas de remarquer quelques trucs qui me sont plutôt familiers. Je la complimente sur son chez-elle, ça fait très elle, c’est… paisible, calme, chaleureux. Elle se retourne pour me sourire et s’en va dans la cuisine pendant que je continue mon exploration. Surpris, je fais la remarque qu’elle a gardé le tiki qu’on a acheté à Hawaii. J’avais plutôt l’impression qu’elle aurait jeté ce genre de souvenirs pour faire de la place à des nouveaux. « J’ai tout gardé. » Je continue de faire le tour de son salon en me faisant la réflexion que, dans le fond, moi aussi j’ai tout gardé. Sauf que tous nos petits souvenirs de couple, je les ai rangés dans une boîte sous mon lit — incapable de les jeter, mais incapable de les regarder à longueur de journée aussi. Il y a entre autres quelques photos qu’on a prises avec un appareil photo jetable — juste pour le plaisir d’être old school —, un bracelet tissé qu’elle m’a fait alors qu’on regardait un film, moi qui tentait de tresser ses cheveux en même temps (spoiler: j’ai fini par lui faire des noeuds), il y a aussi nos premiers billets de cinéma et la serviette de papier d’un restaurant italien sur laquelle elle m’avait écrit qu’elle m’aimait… Tout ça, c’est du passé et c’est rangé, mais je n’ose pas m’en départir. Ça serait encore plus douloureux. Ambre revient avec les boissons et elle me tend une bière, exactement comme je l’aime.
Installés tous les deux sur le canapé, elle me demande si je suis toujours dans la photo, et je ne peux faire autrement que de répondre une niaiserie, bien entendu. Peut-être est-ce un signe de ma nervosité, qui sait. Lorsque je lui réponds que non, son expression s’assombrit, elle fronce les sourcils et me fait les gros yeux. Air que j’ai toujours trouvé mignon, soit dit en passant. Désapprouve-t-elle? Ou bien sait-elle que je mens? Mais j’ajoute que je suis en train de suivre une formation pour être instructeur de Pilates et je vois son sourire réapparaître sur ses jolies lèvres parce qu’elle comprend que je plaisante. Sa main sur mon épaule lorsqu’elle me bouscule doucement fait figer le temps, on dirait bien, son contact est chaud sur mon t-shirt. « Tu mériterais d’en faire. Là ! Tout de suite, maintenant. » Je ris, avant de prendre un air faussement apeuré. « Ah non, par pitié, j’ai les muscles encore endoloris à cause de ce matin… » Un petit sourire en coin s’installe sur mes lèvres alors que les souvenirs de l’après-Pilates me reviennent en tête, et j’évite son regard une nouvelle fois le temps d’atténuer ledit sourire. Je lui retourne ensuite la question et constate qu’elle aussi aime toujours autant plaisanter à mon égard. « Moi ? Je fais toujours des pilates contrairement à toi » « Ah-AH », je ris faussement, avant de prendre une gorgée de ma bière pour tenter d’étouffer les mots qui me sortent malgré moi par la suite. « Ça se voit. » Il n’y a qu’à la regarder, m’enfin, et puis elle aimait vraiment ça quand on en a fait ensemble. Et pas juste pour le après, à ce que je sache. Ambre me tire la langue et je me contente d’un petit sourire, toujours un peu timide de ces retrouvailles, de ce début de retour de complicité, même s’il faut dire que c’est beaucoup moins pire qu’au départ ou que ce que j’aurais imaginé. Mais il faut dire qu’elle a un don naturel pour mettre les gens à l’aise, aussi. Elle enchaîne en me parlant des enfants qu’elle ne tardera pas à accueillir et je lui exprime sans hésitation que je suis heureux pour elle. « Tu viendras leur chanter une berceuse avec ta guitare ? » Ce n’est pas l’envie qui manque… mais suis-je prêt à passer davantage de temps avec elle? Tout se passe bien jusqu’à maintenant, mais ne devrais-je pas attendre que je ne ressente plus de sentiments… amoureux à son égard, avant que nous nous voyions plus? Bon, je ne saurais dire si ce sont des sentiments amoureux, je passe de plus en plus à autre chose, je fais de mon mieux, mais c’est plus près de ça que pas du tout. Je jette un coup d’oeil à son piano dans un coin de la pièce. J’aimais beaucoup l’entendre jouer, elle avait même appris des mélodies des films Marvel pour moi. Je me mords la lèvre en relevant mon regard sur elle. « Tu voudrais que je vienne leur chanter ma chanson des rouleaux impériaux? Je te promets, elle est géniale, Erin l’a adorée… » Autant répondre par la plaisanterie quand je ne sais pas quoi faire de toute cette tempête d’émotions qui m’assaille.
Ambre me parle maintenant de Peter Quill et de Rocket, et elle m’avoue même que ça lui manque d’entendre notre hérisson tourner dans sa roue. Je lui dis que je ne la crois pas et elle se contente de hausser les épaules en hochant la tête. Mais je poursuis en affirmant que je suis certain qu’elle arrive mieux à dormir, de toute manière. « Non, détrompe toi », répond-elle en secouant la tête. Je penche la mienne en l’observant, tout en ne sachant pas quoi dire à ça exactement. Veut-elle dire qu’elle dormait mieux quand nous étions ensemble? Ou tout simplement qu’avoir un bruit de fond — la roue de Rocket — l’aidait à s’endormir? Mais je n’ose pas poser la question et, pourtant, elle me retourne la mienne. Bien sûr que je dormais mieux avec toi…, ai-je envie de lui répondre. Mais je ne peux pas. « Eh bien… Rocket choisit toujours les meilleurs moments pour tourner dans sa roue… », je réponds avec un énième petit rire nerveux, voulant éviter sa question, me montrant délibérément vague. Voulant détourner l’attention de mon malaise, j’entreprends de lui montrer des photos de mes deux colocataires — maintenant, j’arrive à les photographier ensemble, et même parfois avec Rose. « Hooo Rosie », dit Ambre dans un grand sourire. Lyla et sa fille sont deux personnes dont nous sommes tous les deux très proches et qui nous relieront à jamais. Je me dis que grâce à Lyla, je peux savoir comment Ambre va, et ça me rassure d’avoir accès à cette information même si elle a rompu avec moi. Je poursuis en l’informant que le nom de mon chat a rallongé et qu’on songeait même à rajouter le titre de “Lord” en avant. La blonde ouvre la bouche comme pour répondre quelque chose, surprise, puis elle sourit en grand. « Attends. Laisse-moi deviner. Ça vient d’Erin ? » Je ris, peu surpris qu’elle l’ait démasquée aussi rapidement. « Touché », je réponds, souriant de plus en plus à mon tour. « M’enfin, le Manders seulement. Comme c’est elle qui m’a poussé à l’adopter, elle jugeait que son nom de famille devrait être inclus dans son nom… Et, évidemment, Peter Quill Mayers Sanders, c’est trop long. Et Chat, c’est… Tessa. » Je prends une petite seconde de pause, sachant très bien qu’Ambre sait qui est Tessa par rapport à moi — une ex de l’université avec qui je suis resté ami. « Son frère s’appelle Peter, alors elle a décidé de l’appeler seulement Chat. » Je hausse les épaules, puis entreprends de lui demander des nouvelles d’Akela, mis à part celles que je connais déjà. « Ça va mieux. Mais je pense qu’il serait content de te revoir » Je hausse un sourcil à sa première phrase. « “Mieux”? » je lui demande, un peu inquiet, ne me doutant pas le moins du monde que mon départ ait pu l’affecter d’une quelconque manière, n’ayant jamais eu de chien avant lui. Ce n’est pas faute d’avoir essayé d’en adopter un chez les Mayers. « Il n’allait pas bien? » Je prends un petit instant de pause, avant de poursuivre: « J’aimerais beaucoup le revoir », je souffle, conscient que ça implique qu’il faudrait que je revienne ici, ou que je revois Ambre en tout cas. Et ça ne me déplaît pas du tout. Je lui avoue alors que ça me manque de manquer de place pour dormir à cause de lui, et ça me brûle d’ajouter qu’à cause d’elle aussi. Ça me manque de la sentir dans mes bras, mon nez dans ses cheveux, pendant qu’on rejoint les bras de Morphée. Un petit sourire prend place sur ses lèvres, et elle souffle: « J’ai l’impression que mon lit fait des kilomètres …. » Je laisse mon regard se perdre un instant, mon coeur tambourinant contre ma poitrine, pensant que le mien aussi semble faire des kilomètres (bon, sauf quand Erin dort avec moi, elle dort soit bien collée contre moi ou en diagonale, et maintenant Burton s’est ajouté au lot) depuis qu’on n’est plus ensemble.
Sauf que mon coeur manque un battement lorsque j’entends une chanson beaucoup trop familière raisonner à la radio, cette chanson de Lilo et Stitch sur laquelle Ambre et moi nous sommes promis de danser ensemble peu importe les circonstances. Comme un pour le meilleur et pour le pire version Disney hawaiien. Est-ce que ça fonctionne toujours, maintenant que nous ne sommes plus ensembles? Est-ce que j’en ai envie, d’ailleurs? Pourtant, c’est bien un souvenir de notre passé que je n’ai pas mis de côté malgré notre rupture. Cette chanson me ramène à notre voyage, à nos beaux moments, et bien qu’elle me remplit de nostalgie, elle me fait surtout du bien. Je n’ai pas manqué de la chanter quand Erin est venue me rejoindre dans ma voiture le vingt-quatre décembre. Je revenais de Nouvelle-Zélande, le voyage m’avait fait un bien fou, et j’avais recommencé à supporter cette chanson. Plus que supporter, même. Ambre a baissé les yeux et elle garde ses mains sur ses genoux. Peut-être qu’elle pense à la même chose et qu’elle ne souhaite pas perpétuer le rituel. Mais notre première rencontre post-rupture se passe bien jusqu’à maintenant, non? Et ça nous ferait peut-être un bien fou de nous lâcher lousse comme ça. Alors je prends une grande respiration, me lève et lui tends la main en me tournant pour lui faire face. « Ambre Lehmann, voulez-vous m’accorder cette danse? » je lui demande en prenant mon air le plus lord-esque possible. Sans réellement attendre sa réponse, j’attrape ses mains et l’aide à se lever; tout en les gardant dans les miennes, je bouge les hanches de gauche à droite, agite les bras un peu n’importe comment, attire Ambre un peu plus vers moi, toujours au rythme de la musique. Nos visages se retrouvent si proches que nos souffles se mélangent, mon regard dans le sien, le temps semble s’arrêter de nouveau et je me recule avant de perdre mes esprits. Je lâche ses mains et fais un tour sur moi-même, me cognant la tête contre l’étagère sur laquelle est posé le tiki, justement. Je m’arrête, porte une main à l’arrière de mon crâne en grimaçant, avant d’éclater de rire. Ambre, elle, depuis tantôt, bien entendu, danse avec grâce et élégance. Je ne me tannerai jamais de la regarder se mouvoir ainsi. La chanson se termine et je me laisse tomber dans le canapé, prenant une longue gorgée de ma bière, avant d’échanger un regard complice avec mon ex copine. La chanson thème de Lilo et Stitch a un effet magique sur nous deux, j’ai vraiment l’impression qu’il n’y a à présent pratiquement plus de malaise entre nous. « Ça m’a manqué, ça », je murmure dans un petit sourire timide.
Dans les silences se télescopent les échos du passé
Plus on converse ensemble, plus je me sens me détendre en présence d’Ambre. Ça a toujours été comme ça entre nous, même avant qu’on ne se mette ensemble; les conversations coulaient, on se taquinait mutuellement. Alors même si on n’est plus ensemble, ça n’a pas changé, on retrouve vite cette habitude. On plaisante sur le Pilates, sport que j’ai découvert à cause d’elle et comme étant plus difficile que prévu, et je m’arrête net après avoir lâché que j’ai les muscles endoloris, riant au départ avec elle, puis détournant les yeux lorsque je vois le rouge apparaître sur ses joues. C’est contagieux, et peut-être que je n’aurais pas dû dire ça, que vu les séances de massage très peu pudiques qu’on se faisait après une séance de sport, que c’est un peu déplacé de dire ça maintenant. Mais l’instant d’après, elle plaisante à son tour, dissipant le petit malaise qui s’est créé entre nous deux. Mon rire est sarcastique, même si je ne peux pas m’empêcher de me dire que sa silhouette me plait toujours autant. Ambre finit par m’avouer ses projets de ravoir des enfants chez elle et j’exprime immédiatement mon enthousiasme à cette idée. Elle a le tour avec les enfants, elle est totalement dans son élément — il n’y a qu’à la voir avec Rose —, et j’espère donc que ça pourra être bientôt. Quelques secondes supplémentaires me sont utiles pour réfléchir à ma réponse quand elle me demande de venir leur jouer de la guitare pour les rendormir. Veut-elle me ravoir dans sa vie? Vu sa suggestion, j’ai bien l’impression que oui, mais son ton en est celui de la plaisanterie. Alors je ne sais pas, et je me mets à me poser des questions sur si moi j’ai envie qu’on recommence à se voir une fois de temps en temps, si je suis prêt pour ça surtout. Je nous revois tous les deux en train de jouer de la musique, ou moi en train de l’écouter me jouer une chanson ou deux au piano. Elle pouvait commencer sur une mélodie ultra dramatique pour brusquement changer pour une qui me donnait envie de danser et ça finissait dans un fou rire partagé. Alors, peut-être pour cacher ma nervosité, je lui parle de ma chanson des rouleaux impériaux que j’ai improvisée pour Erin il n’y a pas si longtemps, alors qu’elle m’en voulait pour Maxence. Ambre roule des yeux, un sourire malicieux sur les lèvres. « Je t’ai demandé de les endormir, pas des exciter. » Un rire s’échappe de mes lèvres à ça, cet échange de plaisanterie me fait oublier cette tempête de questions dans ma tête. Ça me fait également penser que, lorsque Rose vient passer la nuit chez moi, elle va au lit souvent bien après le temps. Oups. J’ai moi-même de la misère à me calmer avant de dormir, alors… Quand on la gardait ensemble, Ambre et moi, c’était toujours elle qui s’occupait de la mettre au lit, sachant que ce n’était pas mon point fort. Ce petit souvenir tout doux me fait sourire.
Ambre me prend par surprise en me révélant qu’elle a plus de misère à dormir maintenant. Peut-être est-ce parce que je n’aurais pas imaginé qu’elle puisse se sentir seule dans son grand lit tout comme moi je me sens dans le mien. Bon, elle parlait peut-être juste de Rocket et de sa roue, je n’en sais rien et je n’ose pas demander. Lorsqu’elle me pose la question en retour, c’est avec un petit rire nerveux que je lui donne une réponse plutôt vague, ne voulant pas lui révéler directement que je dormais mieux avec elle à mes côtés. Même ses pieds froids contre mes cuisses me manquent, c’est pour dire. Mes yeux se fixent un moment sur ses lèvres lorsqu’elle me sourit. J’entreprends de lui montrer des photos de Peter Quill et de Rocket, certaines sont avec Rose, cet amour de fille qui nous lie encore tous les deux, avec Lyla bien sûr. Ça me manque de faire des soirées tous les quatres, c’était vraiment fun. On riait tellement qu’on avait mal aux joues à la fin de la soirée.
J’explique à Ambre que mon Bengal a un nom dorénavant beaucoup plus long et elle ne tarde pas à deviner qu’Erin y a mis son grain de sel. C’est en effet vraiment son genre; d’ailleurs, je ne compte plus le nombre de surnoms qu’elle m’a donnés au cours de nos (environ) quinze ans d’amitié. Je dois quand même accorder le crédit à Tessa quant à la partie “Chat”, et je regrette aussitôt de l’avoir mentionnée quand je vois le sourire de la blonde s’effacer. J’ajoute rapidement que c’est parce que son frère s’appelle également Peter qu’elle a renommé mon chat. Je m’arrête net, me mordant la langue pour ne pas accentuer le malaise; celui entre Ambre et moi à la mention de mon (autre) ex, mais aussi celui qui grandit à moi en pensant à Mulligan. M’aventurer plus loin avec elle me fait peur, je ne suis pas certain si j’en ai… réellement envie, ou si je suis dans l’illusion que je pourrais vraiment ressentir la même chose qu’avant pour elle. Je ne sais juste pas. Chose certaine, je n’ai pas envie de la perdre et de la blesser, et je me retiens donc volontairement (ou pas) de trop y penser. « Ha oui je vois, c’est amusant. » Je relève les yeux dans ceux d’Ambre, ayant senti tout le sarcasme dans sa voix. J’étouffe un rire, faut dire que bon, ce n’est pas le surnom le plus original qui soit, mais je ne réponds rien parce qu’il s’agit de Tessa, quand même, pour qui j’ai beaucoup d’affection. Sur le coup, ça m’avait bien fait rire en tout cas.
Le sujet passe à un des deux animaux qu’on a adoptés ensemble et Ambre laisse sous-entendre dans ses paroles qu’il y a eu un moment durant lequel Akela n’allait pas bien. Ne pouvant m’empêcher de m’inquiéter, ne me doutant pas le moins du monde de la réelle raison, je lui demande davantage d’explications. « Il a eu une sale période. Ne plus te voir du jour au lendemain, ça l’a rendu malheureux. » Mon coeur se serre, une petite culpabilité m’envahit. « Il ne voulait plus manger. J’ai été égoïste. J’aurai dû te laisser le voir un peu. » Oh. Inconsciemment, ma main attrape doucement celle de la blonde dans un geste de réconfort. Ça me fait bien de la peine de savoir qu’Akela n’était pas bien, mais je ne suis pas d’accord avec ce qu’elle a dit en dernier. Je secoue la tête. « Comme tu dis, il va mieux », je commence dans un petit sourire tendre. « C’est l’important. Je pense qu’on… qu’on avait besoin de prendre du recul un peu, toi et moi. T'es au palmarès des personnes les moins égoïstes de ma vie, Ambre. Et il a une super maman, alors… » Je glisse que j’aimerais le revoir, en tout cas, et elle relève le regard sur moi. On échange un petit sourire, un aveu silencieux, peut-être, qu’on aimerait tous les deux se revoir également. M’enfin, j’aimerais bien croire que c’est ça.
La fameuse chanson de Lilo et Stitch passe et on reste un moment tous les deux silencieux. Cette mélodie est chargée de souvenirs; combien de fois avons-nous dansé et chanté au rythme des paroles dans une langue que nous ne comprenions pas du tout? Et ce, même dans des endroits totalement publics ou inappropriés, chez mes parents, par exemple… Quand Ambre avait fait magiquement passer la chanson sur son portable, j’avais été obligé de la suivre dans sa folie — en lui faisant les gros yeux d’abord —, tout en sachant que mes parents nous regarderaient avec beaucoup de points d’interrogation dans les yeux. Au final, ça les avait fait rire. La soirée avait été définitivement moins ennuyante. Mes parents aiment beaucoup Ambre. Même encore aujourd’hui, sachant que nous ne sommes plus ensembles, ma mère me demande de ses nouvelles et passe des petites remarques qui laissent penser qu’elle aimerait que je retourne avec elle. Pas aussi franches que lorsqu’elle avait suggéré, après ladite danse, que je devrais la marier, mais bon. Elles me parviennent une fois de temps en temps. Me rappelant donc à quel point ça nous faisait du bien ce petit rituel, je me poste devant Ambre et l’invite à m’accorder cette danse. Ses yeux sont rivés sur ma main, je comprends qu’elle hésite, mais je ne lui laisse plus trop le choix lorsque j’enlace mes doigts avec les siens pour l’aider à se lever. « Adrii », proteste-t-elle, et mon rire se joint à elle. Peu gêné devant elle comme ça, je me déhanche en tentant d’imiter la danse que Lilo fait à sa pratique de Hula, mais bon, c’est avec quelques modifications. Je souris et me détend davantage en voyant que ça fait rire la blonde, qui se décide enfin à danser à son tour. Comme hypnotisé, je ne me concentre plus trop sur mes mouvements pour observer les siens. Elle s’approche, mon coeur saute un battement, elle chante en venant poser ses mains sur mes hanches. « Ke 'ā maila i Kīlauea », je murmure, comme un rappel à la réalité, comme pour m’éviter de me perdre dans mes pensées alors qu’elle guide mon bassin. Nos regards se croisent le temps d’une fraction de seconde, mais elle dérive le sien et je crois voir ses joues prendre quelques couleurs. C’est peut-être juste la danse, aussi, qui lui donne chaud. On se rapproche, elle se mordille la lèvre, mon souffle se coupe légèrement en réalisant notre proximité. Je m’empresse alors de me détacher et de détourner mon attention en faisant un tour sur moi-même, m’arrête pour observer Ambre tourner sur elle-même gracieusement, un grand sourire sur les lèvres. C’est la première fois que je la vois faire des mouvements qui se rapportent au ballet… Elle est belle, tellement belle. Je me remets à danser et me cogne la tête contre l’étagère, trop focusé sur la demoiselle devant moi, Je porte une main à l’endroit où j’ai mal et je vois Ambre se pencher pour rattraper le Tiki de justesse. Je pousse un soupire de soulagement en me disant qu’il l’a échappé belle. Quel idiot, Adriel. Mais elle, elle rit. « Tu t’es fais mal ? » me demande-t-elle, juste avant de passer la main dans mes cheveux. Ça a toujours été mon point faible, une sensation de bien-être, des caresses dans mes cheveux. Je frissonne, c’est plus fort que moi. Reste à espérer que c’était discret. Perdu, je hoche d’abord la tête à sa question, pour finalement la secouer en vitesse. « Ça va », je souffle. Je me laisse tomber dans le canapé en avouant que ça m’a manqué. Danser et chanter avec elle sur cette chanson, bouger dans un élan de complicité. Elle ramène ses jambes contre elle, soupire dans un grand sourire. [color:dd6e=c#ff0000]« J’ai adoré » Sa réponse me fait du bien, me rassure. « Tu danses toujours aussi bien », dit-elle en ramenant deux de ses doigts en marchant sur le dossier du canapé jusqu’à mon nez, son rire tout doux raisonnant à mes oreilles. « J’ai demandé à Link de me donner des cours privés », je plaisante en pouffant, nous imaginant tous les deux faire du Hula. « Et toi… » Et toi, t’es toujours aussi belle et élégante quand tu danses. Hypnotisante. « Je ne sais pas comment ça s’appelle, mais le truc de ballet que t’as fait, là, en tournant… c’était très joli », je confesse. « Ho ! J’ai quelque chose qui va te plaire. Bouge pas » Intrigué, je hausse un sourcil en la regardant s’éloigner vers la cuisine. « Et si je bouge? » je muse, mais elle revient déjà avec deux cônes de glace. Un large sourire de gamin prend place sur mes lèvres. « Je présume qui tu aimes toujours autant ça ? » Je roule des yeux en riant. « Non, je suis rendu accro aux brocolis et aux choux de Bruxelles en fait », je plaisante en lui tirant la langue. « Merci… » je fais en prenant le cône, puis écarquille les yeux en sentant la glace s’étamper sur mon nez. « Pas merci, finalement », je fais en riant à mon tour. Alors que je contemple l’idée de me jeter sur elle pour lui en mettre plein le cou, elle attrape son Polaroïd et le lève sur moi avant que je ne puisse réaliser ce qu’elle est en train de faire. « Cheeseeeeee hahahah » L’appareil s’enclenche, la photo commence déjà à sortir. Je foudroie Ambre du regard, néanmoins avec un sourire en coin. Je dois être si beau sur cette photo. Elle fait un pas en arrière, anticipant probablement ce qui me passe définitivement à l’esprit. « T’es magnifique, j’adore. Elle va finir sur le frigo celle là » La surprise est évidente sur mon regard. Elle veut vraiment avoir ma photo — moi, son ex — sur son frigo? On sait tous que les photos sur les frigos sont celles qu’on voit le plus dans une journée, non? (Pour les estomacs sur pattes, en tout cas.) Son sourire s’agrandit et je brandis le cône comme une épée devant moi, la défiant de recommencer un truc du genre ou je me sers de cette glace. « Je te préviens… » « ÇA, ça m’avait manqué encore plus » Elle s’installe sur l’accoudoir du canapé et je plisse les yeux. « Quoi, me mettre de la glace sur le nez? On l’avait jamais fait, ça », je dis en riant. Elle me tire la langue et je fixe la photo entre ses doigts. J’ai toujours de la crème glacée sur le visage, moi, et je tente de la récupérer avant d’essayer de toucher mon nez avec ma langue comme le ferait Peter Quill si je lui mettais du yogourt sur le museau. Mais c’est peine perdue. « Je vais me nettoyer », j’annonce en me levant. « Où est la salle de bain? » Ambre me l’indique, je fais quelques pas dans cette direction avant de me retourner brusquement pour me ruer sur la blonde et l’emprisonner dans mes bras — en faisant attention à la glace, il ne faudrait pas que je la perde — et essayer de lui piquer la photo. Au passage, je ne me gêne pas pour lui étaler la glace que j’ai sur le nez sur sa joue. Je finis par me reculer avec la photo en question, satisfait, et me sauve en riant vers la salle de bain avant qu’elle ne me rattrape, et je ferme la porte en vitesse, la verrouille. Je jette un coup d’oeil à la photo, mon expression en est une de choc. Le cornet dans les mains, la glace fondue sur le bout de mon nez, ma bouche forme un o. Vraiment, je suis magnifique. « Oh, zut, j’ai échappé la photo dans les toilettes », je muse en me mordant la lèvre pour m’empêcher de rire, optant finalement pour une bouchée de glace. Je tire la chasse. « Dommage, tu ne la reverras plus jamais. » Je glisse la photo dans un tiroir du comptoir à lavabo. Ni vu, ni connu. « On fait la paix? Je peux ouvrir sans avoir peur pour ma vie? » je dis tout prêt de la porte.
Dans les silences se télescopent les échos du passé
Ambre me confie qu’elle se trouve égoïste de ne pas me laisser voir Akela après notre rupture vu son état qui s’est ensuivi. Je ne considère pas qu’elle ne m’a pas laissé voir notre chien, ça s’est plutôt fait naturellement parce que nous avions besoin de nous éloigner un certain temps l’un de l’autre. Je tente de la rassurer du mieux que je le peux en lui disant qu’elle est une des personnes les moins égoïstes que je connaisse. J’appuie mes paroles en lui prenant la main et elle baisse les yeux, me laissant perplexe sur si j’aurais dû éviter de la toucher comme ça. Trop tôt? Pourtant, un tel contact avec moi est tout naturel pour moi, et bon, les habitudes ne s’en vont pas en si peu de temps. « Merci c’est gentil. Et oui. J’avoue que j’avais pas prévu de retomber sur toi si tôt. Ça ne me déplaît pas hein. Mais je veux vraiment qu’on fasse les choses biens » Je hoche la tête doucement de haut en bas. « Moi aussi », je réponds dans un murmure. Moi aussi, je n’avais pas prévu de tomber sur elle aussi tôt, et moi aussi je veux qu’on fasse les choses bien. L’idéal pour moi serait qu’on soit au moins amis, un peu comme avant qu’on se mette en couple, mais en mieux vu cette année entière qu’on a passé ensemble. S’il faut qu’on prenne un peu plus de temps pour digérer qu’on n’est plus ensemble, je préfère qu’on le fasse plutôt que de tenter de revenir l’un vers l’autre trop tôt et qu’on finisse par ne plus vouloir nous voir du tout. Je ne suis pas certain d’où j’en suis dans mes sentiments pour elle. Hier, j’aurais dit que j’étais totalement en train de passer à autre chose, que je n’avais plus notre rupture sur le coeur. Toutefois, la revoir en chair et en os me ramène des souvenirs à la tonne, me rappelle que je ne l’ai plus, elle, dans ma vie, de cette manière-là, comme je l’ai eue pendant une petite année. C’était trop court. J’ai l’étrange sensation de ne pas en avoir assez profité, de nous deux, de cette relation qui me faisait sentir comme si j’avais des ailes. Même si je profitais en fait de chaque seconde avec elle. Et lorsque notre chanson passe sur sa playlist, je finis par prendre la décision de danser, comme avant, en l’entraînant quasi de force avec moi. Pour relâcher cette tension avec nous, pour oublier le temps d’un instant que nos coeurs — le mien, du moins — en souffre encore. Je ne lui en veux pas du tout, loin de là. Ambre finit par danser avec moi, elle arrive même à se laisser porter par la musique et sa passion enfouie pour la danse si j’en crois les mouvements qu’elle fait. Ma tête se cogne contre une étagère alors que j’essaie de tourner et je suis forcé de m’arrêter parce que damn, ça fait plutôt mal. C’est peut-être une bonne chose… on se rapprochait drôlement et ça n’est sans doute pas une bonne idée. Un frisson me parcourt alors qu’Ambre passe sa main dans mes cheveux, là où je me suis cogné. J’en oublie tout de suite la douleur. Je réponds finalement que ça va, elle esquisse un petit sourire tout en laissant son regard dériver. On agréé tous les deux que c’était vraiment plaisant et je finis par commenter sur le truc de ballet qu’elle a fait. Du moins, c’est un mouvement que j’associe à cet art à cause des films que j’ai vus. « Une pirouette. Ça s’appelle une pirouette. » « Une pirouette, d’accord », je répète, comme pour mieux le retenir. « Erin a raison … t’as des pouvoirs magiques », ajoute-t-elle dans un petit soupir. Je dérive les yeux à mon tour, sur le point de rougir, ne sachant quoi répondre à ça. Autre qu’une niaiserie, s’entend. « Ça doit être parce que je suis tombé dans la potion magique que ma mère préparait dans le bain », je sors sans réfléchir. Okay, il n’y avait pas de potion magique, mais je suis bel et bien tombé dans la baignoire quand j’avais quatre ans et j’en ai encore une tout mini cicatrice sur le menton.
Quelques instants plus tard, Ambre dit qu’elle a quelque chose pour moi et elle revient avec deux cônes de glace. La glace, c’est la vie; ça me fait vraiment plaisir qu’on puisse partager ce genre de moment ensemble, un peu comme avant. En plus de la bière, on a un truc à manger, je suppose donc qu’elle n’est pas prête à ce que je m’en aille. (Bon, c’est elle qui m’a invité, aussi. Mais ça me plait bien de rester et de savoir qu’elle veut que je reste.) Je prétends quand même, un peu sarcastique il faut dire, que je suis rendu accro aux légumes verts. Si Maxence m’entendait, il rirait carrément de ma gueule. La blonde aussi se moque, elle rit et me tire la langue en secouant la tête. Elle connaît mon amour pour les légumes trop… verts. « Méfie-toi, j’en ai dans le frigo. Je peux encore changer d’avis » J’affiche mon plus beau regard d’horreur et de dégoût. « C’est bon, c’est bon, je suis sage, promis », je dis, amusé. Puis, je lève le menton dans un air supérieur. « Je ne les mangerais même pas, de toute façon, pff », je la préviens. Faut quand même dire qu’elle avait trouvé le moyen de m’en passer et de les rendre bon, ce que je trouvais tout à fait admirable. Ambre ne se gêne pas pour m’étaler la glace sur la figure quand je prends enfin le cornet, et je regrette aussitôt mes remerciements. Comme si elle prévoyait ma réaction, Lehmann recule en éclatant de rire, hors de ma portée. Elle profite de mon état de choc pour me prendre en photo avec son Polaroïd. « Des menaces ?…haha » Je plisse les yeux pour bouder. Elle ne me prend pas au sérieux? C’est ce qu’on verra, mouahaha. Je suis surpris d’apprendre que la photo finira sur son frigo. Ça me touche, ça me rend tout confus. En même temps, c’est un bon signe pour notre futur à nous deux, qu’on soit au moins amis. Parce que je n’accepterais pas qu’on ne se parle juste plus. Mais je fais semblant que je suis totalement dans le champ en prétendant qu’elle parle de glace sur le nez. Ambre s’installe sur l’accoudoir du canapé, l’air franchement découragée de moi. Ça me fait sourire. « Te prendre en photo par surprise …Voir les expressions de ton visage quand tu boude » C’est vrai qu’elle aimait ça, me prendre en photo par surprise. Elle le faisait parfois quand je dormais. Et j’ai bien beau adorer la photographie, ce n’est pas pour autant que j’adore être modèle, au contraire. Je préfère être derrière la caméra. Alors bon, je râlais un peu, même si je la laissais faire au final. « Je boude pas », je réplique en croisant mes bras sur mon torse tel un enfant. C’est drôle, j’ai l’impression qu’Erin serait totalement d’accord avec Ambre.
Comme ma tactique de lécher la crème glacée sur mon nez ne fonctionne pas, j’annonce que je vais me nettoyer. À peine lui ai-je demandé où je peux trouver la salle de bain que je me jette sur elle pour me venger, lui mettant de la glace paaaaartout sur visage. « Adriiii haha !!! Tu tricheeeeee » Je ris et continue de frotter mon visage contre le sien pour lui partager mon dessert. Elle voit clair dans mon jeu quand j’essaie de lui piquer la photo, elle fait tout pour ne pas que je réussisse à l’attraper, mais j’y parviens finalement. Je l’entends me poursuivre, mais j’arrive à la salle de bain en premier et je réussis à m’y enfermer avant que la blonde ne m’atteigne. « Ouvreeeee cette porte !!! » clame-t-elle en tapant sur ladite porte. Je ris tellement, le souffle court par ma course, que j’en ai les larmes aux yeux. Heureusement, la porte est verrouillée et je suis en sécurité dans la petite pièce. Je fais mine d’avoir échappé la photo dans les toilettes et je pousse même le jeu plus loin en tirant la chasse d’eau. « T’as pas fait ça ??? » « Je m’excuse, pas fait exprès! » Je plaque une main sur ma bouche pour m’empêcher de rire encore plus, pour masquer ma tricherie. J’en profite pour prendre une bouchée de ma glace et la savourer sans que quelqu’un ne me la projette contre mon nez. Je l’entends encore gosser sur la poignée et je m’installe sur le couvercle de la toilette en lui demandant si on peut enfin faire la paix, que je puisse sortir. Pas de réponse… puis, la porte s’ouvre brusquement et Ambre se jette sur moi, son visage se frottant à son tour contre le mien. « AHHHHH arrêêêêêêête », je dis en riant. Mon cornet tombe par terre pour s’écraser sur le sol tellement elle m’a pris par surprise. « Ah nonnnnnn », je fais, affichant une mine déçue alors que la blonde se recule un peu. Je relève mon regard dans le sien, mon coeur tambourinant contre ma poitrine, le souffle court. Nos visages sont assez proches l’un de l’autre. Je me mordille la lèvre, comme pour m’empêcher de franchir les quelques centimètres qui séparent sa bouche de la mienne. Cette complicité retrouvée est loin de me rendre indifférent, j’en perds pratiquement toute raison. J’ai envie de l’embrasser… mais ça ne serait pas raisonnable, si? Mais… Mais Ambre me sort de mes pensées. « Là on est quitte ! » Songeant encore à poser mes lèvres sur les siennes, retrouver le doux goût de ses baisers, je ne réponds rien. Elle passe son index sur le bout de mon nez pour ramasser un peu de glace et le mettre dans sa bouche. « Hmm… tu as bon goût. » Mon corps entier est figé, ne sachant comment prendre son compliment, mais surtout le geste en question. « Hum… merci », je souffle. « Comment t’as fait pour entrer? », je demande, curieux, et surtout pour changer de sujet. Elle se recule davantage pour se rapprocher du lavabo et se laver le visage. « Tu devrais en faire autant. T’en a partout », dit-elle en me tendant la serviette, avant de sortir, sourire aux lèvres. « Merci », je répète, la regardant s’éloigner. J’entreprends d’enlever la glace rendue collante sur mon visage, puis je ramasse le malheureux cône sur le sol, nettoyant la trace sur le plancher au passage, pour aller le porter dans la poubelle de la cuisine, que je mets une petite minute à trouver. J’ai repéré Ambre dehors, sur sa terrasse, fixant l’horizon. Je l’observe un certain moment, un sourire sur mes lèvres, essayant de calmer mon coeur qui s’est un peu beaucoup affolé il y a quelques instants. Je me vois marcher jusqu’à elle, la prendre dans mes bras par-derrière, lui embrasser le cou. Comme avant. Mon coeur se serre en pensant que je ne peux pas le faire, mais je continue de sourire. Parce que j’essaie de manière générale de ne pas trop penser au passé, ni au futur. On a eu du plaisir à l’intérieur, dans son salon, jusqu’à la salle de bain. Ça ne me servirait à rien de me gâcher ce moment en pensant à ce que nous aurions pu être si ça c’était passé différemment… si?
Ambre se retourne alors que je m’approche d’elle et je lève la main au-dessus de mes yeux pour me cacher du soleil. Mon regard se pose sur son cou, sur le haut de sa poitrine où repose le collier que je lui ai offert quand nous étions ensemble. Cette perle, je l’ai tout de suite associée à elle quand je l’ai vue lors d'un de mes footings matinaux pendant notre voyage à Hawaï. Je me suis arrêté dans un petit marché pour nous rapporter des jus de fruits frais comme elle les aime et le bijou a accroché mon regard. Alors c’est sans hésitation que je le lui ai acheté pour la surprendre sans occasion réelle, juste pour lui faire plaisir. Je reviens au présent quand la blonde me tend son téléphone. Un rire s’échappe d’entre mes lèvres quand je reconnais ma meilleure amie qui rit aux éclats alors qu’Akela lui lèche le visage. Elle m’a peut-être envoyé la même photo, mais mon téléphone est resté dans la voiture. « Il va bien » Je pousse un soupir de soulagement. « Elle m’a dit que je pouvais le récupérer demain. » Je lève les yeux sur Ambre et lui sourit tendrement. « Je suis vraiment soulagé qu’il aille bien », je dis. Réellement. Il me manque et j’ai bien hâte de pouvoir le coller et l’emmener au parc. Je l’imagine déjà rencontrer Burton et revoir Peter Quill et Rocket. Sans y réfléchir une seconde de plus, j’attrape délicatement la perle qu’Ambre porte autour du cou, passant mon pouce dessus comme si ça pouvait me ramener encore plus de souvenirs, comme si je frottais la lampe magique dans Aladin. Discrètement. Je ne sais que penser du fait qu’elle la porte encore, qu’elle ne l’a pas donnée ou vendue, en fait. Je suis touché qu’elle tienne encore à mon cadeau, mais surtout confus. « Tu l’as gardée… » je souffle dans un petit sourire. Je laisse tomber ma main et enfouis les deux dans les poches de mon pantalon. « Je vais devoir y aller, j’ai du travail à faire pour un client pour ce soir… », je dis dans un air de regret. J’ai surtout besoin de méditer sur tout ça, de penser à ce que ça veut dire, entre Ambre et moi. J’ai aussi besoin de réfléchir sur Tessa et moi, parce que ça devient un peu trop sérieux et ça va trop vite et probablement trop loin à mon goût… Revoir Lehmann me trouble, mais pas nécessairement dans le mauvais sens. Je suis empli de nostalgie et je ne suis pas certain que je suis prêt à la laisser aller. Je me penche un peu plus vers Ambre pour lui dire tout bas, plein de mystères, à l’oreille: « Si j’étais toi, je fouillerais un peu dans la salle de bain… » Je ponctue mes paroles par un bisou sur sa joue, me recule et tourne les talons en direction de ma voiture. Quelques mètres plus loin, je me retourne vers elle tout en marchant à reculons. « Prends soin de toi, Ambre. Merci pour la bière… » Mahina, j’ai envie de dire, mais je me suis retenu à temps.