Mai 2021. Le regard sur l’horizon, je sens le vent venir soulever délicatement quelques mèches de mes cheveux. Les yeux fermés, je savoure l’instant. Celui d’une liberté retrouvée, celui d’une insouciance regagnée. Cette sensation est agréable et j’aimerai qu’elle soit constante. J’aimerai pouvoir rester ici indéfiniment, ne plus avoir à retrouver cette réalité qui m’effraie. Celle qui me rappelle ce qui s’est passé trois semaines plus tôt. Celle qui me replonge indéniablement dans les souvenirs de ce jour où tout aurait pu être bien pire. Cette blessure par balle dans l’épaule n’est presque plus visible, et pourtant, la blessure morale, elle, est toujours présente. Si bien que depuis, je n’ai pas quitté la maison d’Alec, m’étant en partie installée chez lui. Parce que j’étais incapable de retourner chez moi et parce que même lui ne pouvait se résigner à me laisser repartir en sachant que la menace était toujours omniprésente. Alec a fait en sorte que le Club soit au courant, surtout pour leur permettre de me protéger afin d’être sûr que Mitchell ne puisse plus me faire aucun mal. Malgré ça, j’étais terrifiée. Je le suis toujours. Peut-être moins aujourd’hui parce que nous sommes loin de tout ça. Mais pendant ces trois dernières semaines, mon quotidien a été le même qu’en octobre dernier après mon accident. Si ce n’est pas mon physique qui m’empêchait d’aller travailler ou de sortir, c’est bel et bien mon état moral qui n’était pas en capacité de le faire. La peur de tomber nez à nez avec lui, la peur aussi qu’on puisse découvrir ce qu’il s’est passé… Parce que je n’ai pas pu en parler à mes proches. Personne n’est au courant, hormis ma meilleure amie. Et c’est peut-être finalement ça le plus dur. Devoir mentir lorsque mon père tente de me joindre, ou encore mon frère qui me demande à ce qu’on réalise ce test ADN et que je sois dans l’obligation de refuser, prétextant être débordé par le travail quand j’ai pourtant pris quelques jours de congé ou que je travaille à distance. Mais comment allait à leur rencontre quand ils verront que je ne vais pas bien ? Comment leur faire croire que ce n’est pas le cas alors qu’ils me connaissent par cœur ? Je ne peux pas leur dire la vérité, je me dois de garder tout ça secret… Pour lui…
Mon visage se tourne vers Alec alors qu’il écoute les instructions du propriétaire du bateau sur lequel nous nous trouvons. Il lui explique un peu comment naviguer et cette vision m’apaise. Un sourire s’affiche sur mes lèvres alors que je l’observe attentivement. Il m’a l’air heureux, tout comme moi je le suis à ce moment même. Parce que nous avons laissé Brisbane loin derrière nous, qu’il a voulu me sortir de cette maison dans laquelle je commençais à tourner en rond pour me changer les idées et surement aussi parce qu’il en avait tout autant besoin. La tension était palpable depuis quelques jours. Cette idée de partir quelques jours sur les iles de Whitsunday nous a permis de nous retrouver enfin et d’apaiser les tensions. Le propriétaire s’éloigne un peu plus loin laissant Alec à la barre. Je vais donc à sa rencontre d’un pas lent, un sourire amusé au bout des lèvres alors que j’arrive à sa hauteur « Alors mon capitaine, où est-ce que vous nous amenez ? ». Cet air moqueur disparait rapidement alors que je viens à m’approcher un peu plus et à me mettre sur la pointe des pieds pour venir déposer un baiser sur sa joue. Mes lèvres viennent ensuite à s’approcher de son oreille dans laquelle je murmure ces quelques mots « Peu importe la destination, je vous suivrai jusqu’au bout du monde, monsieur le capitaine ». Je me remets à plat et sans quitter son regard et en me mordillant la lèvre, j’ajoute « Vous êtes incroyablement beau dans ce rôle ». Je laisse échapper un petit rire avant de remettre une mèche de cheveux derrière mon oreille, celle-ci étant venue se perdre devant mes yeux à cause du vent « Tu me montres comment on fait ? ». Je souris et vient alors à prendre place entre lui et la barre afin qu’il me montre ce qu’il a appris avec le propriétaire.
Ce dernier revient d’ailleurs quelques minutes plus tard : « Si vous voulez, on peut accoster sur cette petite île là-bas, vous pourrez vous y baigner et en profiter pour vous prélasser un petit peu ». Je tourne alors ma tête de sorte à trouver le regard d’Alec avant de répondre au capitaine d’un hochement de tête « Avec plaisir ». Il vient à reprendre alors les commandes et finit par poser l’ancre non loin du rivage de la petite île. Alec descend en premier et m’aide à descendre à mon tour. Le capitaine nous indique que nous pouvons y rester une heure et que nous rentrerons ensuite sur l’île principale. Nous le remercions et avançons un peu plus sur le banc de sable blanc « On se la joue explorateur ou étoile de mer ? », fais-je alors en me retournant vers lui.
Ils ont laissé Brisbane derrière eux. Pour un temps, un temps court certes, mais un temps nécessaire. L’angoisse et la peur semblent maintenant faire partie de leur quotidien et il ne dort plus la nuit en pensant à tout ce qui pourrait lui arriver et à ce qui lui est arrivé. Il renvoie la balle effleurer sa peau, entend les menaces de son frère. Il l’imagine mourir chaque soir et chaque nuit alors qu’il ne peut pas dormir, voit le visage de Mia se crisper dans son sommeil alors que les cauchemars viennent la rattraper. C’est après une énième nuit sans sommeil qu’il lui a proposé de partir quelques jours, de prendre un avion pour les iles White Sunday, d’oublier tout le reste et de se concentrer sur eux et sur le sable blanc sous leurs pieds.
Son regard se perd sur l’horizon, pour la première fois depuis des semaines ses épaules se détendent sur ce bateau. Il sourit à l’homme en train de lui expliquer comment conduire le bateau avant que ce dernier ne s’éloigne. « Alors mon capitaine, où est-ce que vous nous amenez ? » La remarque élargit son sourire, le baiser qu’elle dépose sur sa joue lui fait fermer les yeux une demie seconde. « Aucune idée, mais tant que tu viens avec moi, ça n’a pas d’importance. » réplique-t-il avec un sourire charmeur, une de ses mains venant effleurer son dos avant de se concentrer sur l’horizon.
« Peu importe la destination, je vous suivrai jusqu’au bout du monde, monsieur le capitaine ». Les mots murmurés à son oreille lui arrachent un sourire moqueur. « Tu devrais pas dire ça je serais capable de t’emmener au pôle nord rien que pour t’embêter, il fera pas le même temps. » il rit doucement, heureux de cette légèreté retrouvée. « Vous êtes incroyablement beau dans ce rôle » Alec l’observe, son regard descendant le long de son corps, détaillant ses courbes à travers sa robe qui vole au vent. « Vous êtes pas mal non plus co-capitaine ! »
« Tu me montres comment on fait ? » Il hoche tendrement la tête, se décalant pour lui laisser la place, venant se placer derrière elle. « Tient, met ta main là. » il donne quelques instructions, puis caresse doucement son dos, venant déposer un baiser sur sa nuque. « Rentre pas dans un iceberg je te préviens ! » gronde-t-il amusé, comme s’il y avait des icebergs près de ces iles.
Le propriétaire revient quelques minutes plus tard et leur propose de les faire s’arrêter sur une île pour quelques heures. Son regard trouve celui de Mia, la proposition est définitivement alléchante et cela leur fera du bien de se prélasser un peu sur l’île. « Avec plaisir. » Quelques instants plus tard, le marin a ancré le bateau et le couple descend sur le sable blanc déjà bien chaud. Instinctivement les doigts d’Alec se lient à ceux de Mia alors qu’ils avancent tranquillement. Il a laissé sa chemise sur le bateau et la chaleur du soleil réchauffe sa peau qui est déjà en train de bronzer, et a mis sa serviette de plage sur son épaule. « On se la joue explorateur ou étoile de mer ? » L’américain réfléchit, déjà tenté par la baignade dans l’eau turquoise. « On explore et après on se baigne ! » Son pouce caresse doucement sa main et son regard se pose sur son visage et finit par demander. « Comment tu te sens ? » Il n’a pas envie de penser à Brisbane mais il veut s’assurer qu’elle aille bien, qu’elle se sente bien. « Je sais je sais tu vas encore dire que je joue au mec surprotecteur ! » dit-il en levant les bras au ciel en riant comme s’il déclarait forfait. « Je veux juste que cette semaine soit parfaite. » Dit-il avec un petit sourire l’attirant contre lui pour venir déposer un baiser sur ses lèvres. Son regard se pose sur la plage immaculée. « J’me vois bien avec un petit restau ici, vendre des cocktails dans des noix de coco ou quoi, parfaite reconversion. » il en rit bien sûr mais pendant un court instant il se dit qu’ils seraient sans doute bien mieux loin de Brisbane tous les deux.
Mai 2021. « Aucune idée, mais tant que tu viens avec moi, ça n’a pas d’importance ». Mon regard s’attendrit davantage quand il a ces mots à mon égard. Il trahit aussi l’amour que je peux ressentir pour lui, un amour qui se renforce de jour en jour quand, malgré cette blessure, malgré cette menace et malgré le Club, cette alchimie est parfaite entre nous. Alec me rend heureuse. Il en doute peut-être du fait de cette culpabilité qui le ronge, mais je le suis. Je le suis d’autant plus quand je le vois se plier en quatre pour moi, faisant toujours attention à ce que je me sente bien et qu’il a ses petites attentions au quotidien pour moi. Cette petite attention est grande aujourd’hui. Il a fait en sorte que nous quittions Brisbane, que nous nous éloignions de cet environnement pesant pour nous retrouver, pour nous apaiser. Alors, il aurait pu m’amener n’importe où, je l’aurais suivi sans broncher « Tu devrais pas dire ça je serais capable de t’emmener au pôle nord rien que pour t’embêter, il fera pas le même temps ». Je grimace quand je vois son sourire moqueur et vient à le bousculer légèrement « Qui te dit que la neige ne m’attire pas… ». Un sourire malicieux apparait au coin de mes lèvres « Et puis, dans le froid, on trouvera toujours un moyen de se réchauffer », je finis par ajouter avec un clin d’œil complice. Je le complimente sur son apparence, cette chemise blanche le mettant plus qu’à son avantage, son look paraissant plus décontracté qu’au quotidien, tout comme sa façon d’être. « Vous êtes pas mal non plus co-capitaine ». Je le remercie du regard avant de lui demander de me montrer comment conduire le bateau, lui qui a eu droit à un petit cours particulier quelques minutes plus tôt.
Je me place devant la barre alors qu’il vient ensuite se placer derrière moi « Tiens, met ta main là ». Je m’exécute, appréciant ce moment simple que nous partageons, savourant ce baiser qu’il dépose dans ma nuque. Ce geste me fait prendre appuie légèrement contre son torse, ma tête retombant sur celui-ci alors que je tente de maintenir le cap « Rentre pas dans un iceberg je te préviens ! ». Je lève les yeux au ciel et vient à tourner légèrement ma tête vers lui pour trouver son regard « Et même si ça venait à être le cas, tu me laisseras ce bout de planche pour m’en sortir, n’est-ce pas ? », je lance en faisant référence au film avec le gros iceberg. « Mais je vais faire attention parce que je ne tiens pas à te voir disparaitre ». Je fuis son regard au dernier mot prononcé, parce qu’il me ramène à ces cauchemars que je peux avoir la nuit, ceux où son frère ne l’aurait pas épargné.
Nous sommes interrompus par le capitaine qui propose d’ancrer le bateau pour savourer quelques instants cette île déserte face à nous. Nous acceptons et, une fois les pieds enfouis dans le sable fin, Alec et moi avançons main dans la main sur l’île. Le décor est paradisiaque, nous sommes seuls, l’eau est turquoise et la végétation est verdoyante. Tout en observant l’horizon, je lui demande ce qu’il souhaite faire « On explore et après on se baigne ! ». J’acquiesce et alors que je m’apprête à avancer pour nous enfoncer dans la forêt de palmiers, Alec me retient un peu par la main « Comment tu te sens ? ». Je sais qu’il s’inquiète, il ne cesse de me poser cette question depuis l’incident avec son frère. « Je sais je sais tu vas encore dire que je joue au mec surprotecteur ! ». Cette remarque et le geste qu’il fait pour accompagner ses paroles me font sourire « Je veux juste que cette semaine soit parfaite ». Il m’attire contre lui, je me laisse faire alors qu’il vient déposer un baiser sur mes lèvres. Mes bras viennent se nouer derrière sa nuque, une de mes mains caressant ses cheveux bouclés délicatement « Je vais bien Alec » je murmure alors en le regardant dans les yeux « Je me sens bien à tes côtés, je me sens apaisée en étant ici avec toi ». J’approche mon visage du sien, mon nez venant frôler le sien alors que je ferme les yeux « Et je n’en doute pas une seule seconde, cette semaine sera parfaite », j’ajoute doucement en réouvrant les yeux. Il y a ce sourire qui est là pour le rassurer en plus de mes paroles et surtout, mes lèvres qui viennent à nouveau se sceller avec les siennes. Le baiser se veut doux, un baiser que je prolonge en resserrant mon étreinte, collant un peu plus mon corps contre le sien. Délicatement, je me détache tout en gardant ma main dans la sienne, le regard amoureux ne le quittant pas. « J’me vois bien avec un petit restau ici, vendre des cocktails dans des noix de coco ou quoi, parfaite reconversion ». J’aime cette idée qu’il émet, celle où il envisage un futur tout autre, loin du Club. Cette vie dans laquelle il m’inclut, cette vie dont il rêve mais qu’il ne s’autorise pas à avoir totalement. Mes doigts resserrent les siens « Et pourquoi pas ? » je lance alors doucement en tournant mon regard vers lui. « Je m’imagine bien sur un transat à savourer un de tes cocktails en écrivant mon prochain roman… », je me laisse aussi porter par l’instant, celui où nous rêvons tous les deux d’une autre vie. Un petit rire s’échappe d’entre mes lèvres « Imagine à quel point Otis serait heureux lui aussi ». Est-ce qu’à ce moment-là j’imagine aussi un petit être qui pourrait aussi faire partie de ce rêve qu’on s’autorise ? Possible mais je ne l’évoque pas. Je viens à m’approcher de lui, passant mon bras autour de sa taille alors que nous nous enfonçons dans un petit chemin. « On pourrait même y construire notre petite maison, à l’abri des regards indiscrets », je lance alors que nos pas nous amènent un peu plus profondément dans l’étendue verdoyante.
« Qui te dit que la neige ne m’attire pas…Et puis, dans le froid, on trouvera toujours un moyen de se réchauffer. » Le sourire d’Alec se fait mutin, son regard s’égare les courbes de la jeune femme. « Ah oui comme quoi ? » Il se penche pour venir effleurer ses lèvres. « Comme ça ? » murmure-t-il avant de se concentrer de nouveau sur la conduite du bateau. Encore un peu et il allait finir par se faire engueuler par le véritable capitaine du bateau.
« Et même si ça venait à être le cas, tu me laisseras ce bout de planche pour m’en sortir, n’est-ce pas ? Mais je vais faire attention parce que je ne tiens pas à te voir disparaitre. » Le ton n’a pas été le même sur le dernier mot, son regard non plus comme s’il était empreint de cauchemars qu’elle cherche à oublier. C’est sans doute pour cela qu’il lui donne un léger coup d’épaule, pour attirer son regard vers lui alors qu’il lui sourit malicieusement. « Tu rigoles, je monte sur la planche et toi tu nages ! » dit-il malicieusement pour voir réapparaitre son sourire.
Le bateau ancré, les pieds dans le sable, ils marchent le long de la plage, loin de leurs ennuis, loin de Brisbane. Malgré cela, il ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour elle, ses yeux dérivant inévitablement vers la cicatrice encore très récente laissée sur son épaule. Trop récente. « Je vais bien Alec. Je me sens bien à tes côtés, je me sens apaisée en étant ici avec toi. » Il ferme les yeux lorsque son visage effleure le sien. « Et je n’en doute pas une seule seconde, cette semaine sera parfaite » Il sourit, lui rendant son baiser, sa main venant se glisser dans ses cheveux blonds avant de venir se joindre à la sienne, un peu plus rassuré alors qu’ils continuent leur route sur le sable fin. « Et pourquoi pas ? » Tant de raisons qu’il ne prononce pas, se contentant de sourire. « Je m’imagine bien sur un transat à savourer un de tes cocktails en écrivant mon prochain roman… Imagine à quel point Otis serait heureux lui aussi. » Le rêve est beau et le fait se perdre dans ses pensées jusqu’à la dernière phrase lui arrache un rire. « Ouais lui il aurait sûrement un peu chaud par contre, le pôle nord ça lui plairait plus ! » La végétation est belle et il savoure le moment. « On pourrait même y construire notre petite maison, à l’abri des regards indiscrets » A ces mots il ne peut s’empêcher de la regarder. « Une grande maison. » dit-il doucement. « Avec plusieurs chambres. » ajoute-il en laissant ses doigts caresser ses cotes, effleurer son ventre, ne laissant plus de doutes sur ce qu’il cherche à laisser entendre. Il ne sait pas trop pourquoi il a dit ça, quand ils ne pourront jamais avoir cette vie-là. Pourtant le rêve est bien présent dans son esprit et il a assez d’imaginations pour pouvoir en imaginer tous les détails. Il sourit tendrement avant de continuer sa route, alors qu’ils arrivent vers une petite crique à l’abris des regards. « C’est vraiment beau ici. On se baigne ? » Il dépose ses affaires et entre dans l’eau jusqu’aux genoux. « Il va parler de quoi ton prochain roman ? » Alec s’accroche à cette sensation de normalité avec l’énergie du désespoir dans l’espoir d’oublier tout ce qu’ils ont laissé derrière eux à Brisbane.
Mai 2021.« Ah oui comme quoi ? Comme ça ? ». Il s’approche, réagissant à ce sous-entendu que je viens de faire, ses lèvres effleurant les miennes alors que j’acquiesce doucement et que je viens à lui subtiliser un baiser rapide. Mais il doit vite reporter son attention sur la navigation, avant que le capitaine ne vienne à lui remonter les bretelles parce qu’il ne regarde pas où il va. Lorsque c’est à mon tour de prendre la barre, il y a cette allusion à ce possible iceberg inexistant que je pourrais nous faire prendre, et il m’en faut peu pour faire référence à cette planche qui serait notre seule issue de secours. Surtout, je lui garantis de faire attention en naviguant, ne voulant pas le voir disparaitre. Evidemment, ce dernier mot est lourd de sens surtout depuis ces dernières semaines qui viennent de s’écouler. Le cauchemar de le voir dans une mare de sang, inerte au sol, cette peur de le perdre à tout jamais est plus que présente depuis ce qu’il s’est passé. Je suis celle qui a reçu cette balle, mais pourtant, c’est pour lui que j’ai peur quand je vois que même son propre frère vient à s’en prendre à lui. La preuve que ce monde qu’il fréquente est loin d’être des plus sécurisants, bien pire que je ne pouvais l’imaginer certainement… « Tu rigoles, je monte sur la planche et toi tu nages ! ». Mon regard, perdu sur l’horizon, vient à s’illuminer au moment même où il me donne ce coup d’épaule et vient à plaisanter. Il gagne, il obtient en effet un sourire de ma part alors que je viens prendre appui sur son torse tout en continuant à naviguer quelques minutes, dans le silence.
Une fois les deux pieds ancrés au sol, marchant main dans la main (niaiserie bonjour), Alec ne peut s’empêcher de me demander comment je me sens. Je me stoppe alors, venant enlacer sa nuque de mes bras pour le rassurer. Je vais bien. Du moins, sur l’instant, je vais bien. Je n’ai pas envie de penser à Brisbane, je n’ai pas envie de penser à son frère, je n’ai pas envie de penser à cette cicatrice sur laquelle mon regard se pose chaque matin et chaque soir quand je me trouve face à un miroir. Un baiser échangé et les voilà à nouveau en train de vagabonder sur cette plage, Alec se mettant subitement à rêver d’une autre vie. Une vie que je ne juge pas impossible, me perdant à mon tour dans cette rêverie. « Ouais lui il aurait sûrement un peu chaud par contre, le pôle nord ça lui plairait plus ! ». J’acquiesce en grimaçant, pas très friande de transposer notre rêve au pays du Père Noël. Nous nous enfonçons dans la végétation, suivant un chemin qui nous amène vers un paysage tout à fait différent. Cette fois, j’imagine une petite maison qui serait la nôtre. « Une grande maison ». Je sens son regard sur moi, ce qui me fait me stopper « Avec plusieurs chambres ». Mes yeux suivent alors le chemin que prenne ses doigts qui viennent à parcourir mes côtes avant de parcourir mon ventre subtilement. Je réhausse mon regard pour trouver le sien, un sourire s’affichant au coin de mes lèvres, comprenant le message qu’il m’envoie. Un message qui est loin de me laisser indifférente quand c’est tout ce dont j’ai envie à ses côtés. Jamais nous n’avons eu une telle conversation, jamais nous ne nous sommes laissés porter aussi loin dans ce possible futur entre nous. Des frissons parcourent mon corps à cette possibilité, cette possibilité de construire une famille, la nôtre, dans cette grande maison qu’il semble imaginer vivante, avec des enfants qui courent dans tous les sens, cette même vie qu’il m’a dépeint quelques mois plus tôt et qu’il s’interdisait. Est-ce l’instant qui le fait dire une chose pareille ? Ou le pense-t-il vraiment au point qu’il serait capable de tout faire pour que ce rêve devienne réalité ? Je n’ose pas répondre, je me contente de glisser ma main dans la sienne, d’enlacer un peu plus mes doigts entre les siens et poursuivre cette balade qui finira par nous mener près d’une crique « C’est vraiment beau ici. On se baigne ? ». J’acquiesce d’un signe de tête, laissant mon sac à dos sur le bord d’un rocher alors que je quitte ma robe sous laquelle se trouve mon maillot de bain. Je regarde Alec s’engouffrer dans l’eau alors que j’extirpe mon téléphone pour prendre une photo… Du paysage mais aussi de lui, alors qu’il est de dos, l’eau à hauteur de genou « J’ai une vue très agréable d’ici ! En effet, c’est vraiment beau », je lance alors non sans un sourire malicieux alors que je range mon téléphone. Je finis par le rejoindre, m’arrêtant à sa hauteur. « Il va parler de quoi ton prochain roman ? ». Mes gestes se stoppent alors que mes doigts réalisés quelques mouvements circulaires dans l’eau. Je laisse échapper un soupir, mon regard fixant un point indéterminé devant moi « Je ne sais pas… ». Et pour une écrivaine, il n’y a rien de pire comme réponse que celle-ci « J’ai signé pour que mon deuxième roman paraisse en octobre… Je n’ai pas encore écrit un mot » je termine en portant mon regard sur Alec. « Mon éditeur me met un peu la pression pour que je me lance, mais je n’y arrive pas… ». Boyd le faisait en toute bienveillance mais il commençait à me signifier explicitement que le temps commençait à manquer. Ce que je comprenais quand il m’a fallu trois ans pour écrire mon premier. Je fuis à nouveau son regard « J’ai essayé ces dernières semaines… plusieurs fois. Rien ne vient… » Je n’ajoute pas que mes pensées sont bien trop perturbées par ce qui s’est passé. Je laisse échapper un soupir, tente d’écourter la conversation quand nous ne sommes pas là pour parler de sujets qu’on a envie de laisser derrière nous.
Alors, après quelques minutes, je l’entraîne avec moi de force à entrer dans l’eau cristalline non sans rire doucement. Mes bras viennent se nouer autour de sa nuque, mes jambes autour de ses hanches « Je n’ai pas oublié ce que tu m’as dit tout à l’heure… » je laisse volontairement un blanc pour lui laisser le temps de comprendre où je voulais en venir « Et comme je trouve injuste cette décision que TU aurais la planche et que JE devrais te suivre à la nage… » un petit sourire malicieux s’affiche alors sur mes lèvres alors que je suis toujours dans ses bras « Je propose qu’on détermine tout de suite équitablement celui qui aura droit à la planche. Le premier arrivé à ce rocher là-bas à gagner ». Mes bras toujours noués autour de sa nuque, je me recule un peu pour lui demander avec amusement « Acceptez-vous le défi, Monsieur Strange ? ».
Peut-être qu’il ne devrait pas penser à ce futur qu’il aimerait avoir avec elle, à cette famille dont il se met à rêver silencieusement, à cette envie qu’il exprime pour la première fois en caressant son ventre en cherchant à oublier le fait qu’on élève pas des enfants dans un gang qu’il ne ferait jamais courir un tel risque à sa propre famille.
« J’ai une vue très agréable d’ici ! En effet, c’est vraiment beau » Il se tourne vers elle alors qu’elle est en train de le prendre en photo. « Mais !! » dit-il faussement offusqué, faisant gicler l’eau vers elle sans l’atteindre.
« Je ne sais pas…J’ai signé pour que mon deuxième roman paraisse en octobre… Je n’ai pas encore écrit un mot. Mon éditeur me met un peu la pression pour que je me lance, mais je n’y arrive pas… » Il l’écoute, son regard se faisant plus bienveillant. « Tu ne pourrais pas lui demander de reculer la date ? » Il ne connait pas le monde de l’édition mais se doute que ces quelques mois sont aujourd’hui bien trop courts pour écrire un livre, le réviser, l’éditer et le publier, il n’y aura sûrement d’autres choix que de repousser cette date de sortie. « J’ai essayé ces dernières semaines… plusieurs fois. Rien ne vient… » La culpabilité se glisse dans son cœur, sournoise, pour lui rappeler que tout est de sa faute, qu’il est responsable de cette page blanche, que c’est à cause de lui qu’elle n’arrive pas à écrire une ligne. Pourtant il se force à ne pas y penser s’approchant de la jeune journalise. « Ca reviendra. Laisse toi du temps. » souffle-t-il doucement. « Ca ne sert à rien de te forcer. »
Alec se laisse entraîner dans l’eau en riant et lorsque la jeune femme vient s’agripper à son cou, ses mains viennent caresser son dos, content d’être dans ce lieu paradisiaque loin des soucis de Brisbane. « Je n’ai pas oublié ce que tu m’as dit tout à l’heure… » Il y a un moment de silence, pendant lequel un léger sourire étire ses lèvres, son regard s’attardant dans le sien. Parce qu’il pense à cette conversation, ce futur qu’il se laisse envisager, l’envie de plus en plus présente d’une famille qu’il aimerait avoir avec elle. « Et comme je trouve injuste cette décision que TU aurais la planche et que JE devrais te suivre à la nage… » Si son regard surpris de la tournure de la conversation le trahit, il ne peut s’empêcher de rire. « Je propose qu’on détermine tout de suite équitablement celui qui aura droit à la planche. Le premier arrivé à ce rocher là-bas à gagner. Acceptez-vous le défi, Monsieur Strange ? ». En temps normal il n’aurait pas hésité une seule seconde à accepter le défi, mais son regard lui se pose immédiatement sur cette épaule qui commence enfin à cicatriser, il vient l’attraper pour la ramener contre lui et avec un regard désolé. « Je pense pas que ce soit une bonne idée avec ton épaule Mia. » Bien sûr qu’il lit la déception dans ses yeux, le rappel à la réalité qu’ils ont voulu laisser derrière eux, aussi il sourit, venant caresser sa joue avant de déposer un baiser sur son cou. « Ok peut être que je te laisserais un bout de planche, si t’es gentille. » Il trace la courbe de son cou de ses lèvres, ses mains venant la serrer un peu plus contre lui. « La prochaine fois on fera la course. » La prochaine fois, le futur voyage, le futur tout court, le besoin d’oublier le passé et de ne penser qu’au présent.
Mai 2021.« Mais !! ». Je ne peux m’empêcher de rire en le voyant râler que je puisse le prendre en photo alors qu’il m’envoie de l’eau en ma direction, sans m’atteindre cependant. Je ne manque pas de lui tirer la langue en guise de réponse avant de ranger mon téléphone dans mon petit sac à dos et de le rejoindre dans l’eau turquoise du bassin dans lequel nous nous trouvons seul.
Même si nous sommes loin de Brisbane, loin de tous ce qui a pu se passer ces dernières semaines, loin de cette tension palpable du fait de la crainte d’un deuxième retour de bâton, il semblerait qu’aucun sujet ne parvienne à nous le faire oublier vraiment. Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer, la question d’Alec étant totalement anodine et bienveillante, s’intéressant à ma carrière en tant qu’écrivain. J’ai jusqu’à octobre pour écrire mon deuxième roman. Mais depuis la parution du premier, bien trop de choses se sont déroulées dans ma vie ce qui ne m’a pas permis de m’y plonger pleinement… Encore moins les récents événements « Tu ne pourrais pas lui demander de reculer la date ? ». Mes épaules se haussent légèrement alors que ma main caresse toujours doucement la surface de l’eau « Je ne suis pas certaine que ce soit possible… Cela dit, j’ai la chance d’avoir un éditeur bienveillant et qui est toujours à l’écoute… Peut-être qu’il sera d’accord ». Mon regard fixe l’horizon, mon ton traduit cette déception que j’ai envers moi-même de ne pas être parvenu à faire quoi que ce soit, surtout ces dernières semaines « Ca reviendra. Laisse-toi du temps. Ça ne sert à rien de te forcer ». Mon regard vient alors à la rencontre de celui d’Alec qui s’approche de moi. Un fin sourire le remercie alors que ma tête acquiesce doucement. Je sais qu’il se sent certainement coupable et ce n’est pas ce que je veux. Ma main vient alors se glisser dans la sienne doucement avant que je ne l’oblige à me suivre dans l’eau. Car il est hors de question que nous passons ces quelques jours loin de tout à ressasser ces dernières semaines…
Dans l’eau, je viens à nouer mes bras autour de son cou, tout comme mes jambes autour de ses hanches. Je viens à lui rappeler les dires qu’il a pu avoir un peu plus tôt et, au vu de son air surpris, il ne s’attendait visiblement pas à ce que j’évoque cette histoire de place sur la planche en cas de naufrage. Je ne manque pas de le remarquer pourtant, je vais au bout de mon idée. Déterminer qui méritera sa place sur le bout de bois en réalisant une course… Je me détache alors d’Alec, prête à prendre le départ mais voilà qu’il me rattrape pour me ramener doucement vers lui « Je pense pas que ce soit une bonne idée avec ton épaule Mia ». Mon regard croise le sien, désolé, alors que le mien trahit cette lassitude. Celle de ce retour sans cesse à cette réalité que j’ai envie d’oublier, d’effacer. Cette possibilité que j’aimerai avoir de retourner en arrière pour ne pas rentrer dans mon appartement seule ce jour là et ne pas avoir retrouvé Mitchell Strange installé confortablement dans mon canapé. Mais qu’aurais-je faire réellement de différent ? Si au final, c’est sur Knox qu’il serait tombé ? S’il s’en était pris à lui ou lui aurait révélé la vérité sur l’identité d’Alec ? Je laisse échapper un profond soupir, conservant cette colère qui grandit malgré tout dans mes entrailles et qui ne demanderait qu’à exploser. Mais ce serait injuste, injuste envers Alec qui ne cherche qu’à me protéger, qui ne cherche qu’à s’assurer de mon bien-être. Alors, je me tais, acquiesce doucement, baissant mon regard alors qu’il vient à caresser ma joue, sentant ce baiser qui vient frôler mon cou « Ok peut-être que je te laisserais un bout de planche, si t’es gentille ». Un sourire réapparait sur mes lèvres alors que je vois très bien ce qu’il essaye de faire. « La prochaine fois on fera la course ». Un frisson, puis deux parcourent mon corps alors que je sens ses lèvres se perdent dans mon cou. « Tu me laisseras la planche je le sais … » je lance alors que ma tête est encore légèrement penchée avant que mes yeux se perdent dans les siens et que ma main vient à son tour caresser sa joue « Parce que tu ne cesses de me protéger… » et même si cela peut sonner comme un reproche, ça ne l’est pas. Mes lèvres viennent trouver les siennes pour échanger un baiser tendre « … et que j’aime que tu le fasses » j’ajoute sincèrement en le regardant. Un autre baiser est échangé mais que j’interromps un peu trop rapidement, un fin sourire amusé apparaissant « et puis, surtout, tu sais que tu n’as aucune chance contre moi. Je gagne toujours ». Un petit rire s’échappe d’entre mes lèvres alors que mes doigts caressent doucement sa nuque « Sinon… il y a aussi autre chose que je n’ai pas oublié… ». Je redeviens un peu plus sérieuse, peut être une certaine appréhension d’oser aborder ce sujet que nous n’avons jamais évoqué « Tu as parlé de plusieurs chambres… » je marque une pause volontairement, mes lèvres venant alors s’approcher de son oreille alors que mon étreinte se resserre autour de lui « J’aime cette éventualité… » je murmure alors que je reste blottit contre lui, fuyant peut-être son regard quand je sais aussi que sa situation est le frein à cette éventualité. Celle d’un nous déjà existant mais d’un nous plus grand dont j’ignore la probabilité, même si j’en rêve tout autant que lui… avec lui.
« Je ne suis pas certaine que ce soit possible… Cela dit, j’ai la chance d’avoir un éditeur bienveillant et qui est toujours à l’écoute… Peut-être qu’il sera d’accord ». S’il y a bien eu quelque chose qu’elle a changé chez lui c’est peut être son goût de la lecture. S’il la fait pour lui faire plaisir au départ, il s’est mis à lire bien plus depuis qu’il la connait y prenant réellement goût. « Je suis sûr que oui ! » dit-il pour l’encourager.
Tout pourrait être parfait, dans cette scène tout droit sortie d’un conte de fée. Pourtant le rappel de la réalité est présent partout même ici. Car la journaliste doit se ménager. Il voit la lassitude dans son regard, celle qui lui serre le cœur et qui le fait se sentir un peu plus responsable. La prochaine fois qu’il aurait dû lui dire. La prochaine fois ils feront la course. La prochaine fois ils vivront sans être dans l’ombre de Mitchell.
« Tu me laisseras la planche je le sais…. Parce que tu ne cesses de me protéger… » Parfois il se demande s’il la protège trop, si elle se sent étouffée. Pourtant, depuis que Mitchell lui a tiré dessus, la quitter du regard une demie seconde est une seconde de trop. Il s’inquiète à chaque instant, l’angoisse présente dès qu’elle n’est pas avec lui. Le baiser qu’elle dépose sur ses lèvres pourtant le rassure. « … et que j’aime que tu le fasses » Il sourit doucement. « et puis, surtout, tu sais que tu n’as aucune chance contre moi. Je gagne toujours » Un rire s’épanouit sur ses lèvres. « Tu auras ma peau Mia McKullan ça j’en suis persuadé ! » rit-il doucement en venant couvrir son cou de baisers.
« Sinon… il y a aussi autre chose que je n’ai pas oublié… Tu as parlé de plusieurs chambres…J’aime cette éventualité… » S’il n’ose pas approfondir l’idée, s’il ne sait pas comment l’exprimer quand il sait pertinemment que sa vie n’est pas faite pour une famille, qu’il ne prendrait jamais le risque de les mettre en danger. Pourtant, il se prend à rêver de ce futur avec elle. Il la serre doucement contre lui et murmure à son oreille. « Moi aussi. » Et sur cette plage immaculée, tout lui semble pendant un instant possible.
***
Tout était parfait, des balades le long de la plage, aux baignades dans des eaux magnifiques. Pour la première fois Alec se sentait un peu plus léger mais il avait la terrible sensation que cela n pouvait pas durer. Comme si la réalité allait finir par les rattraper même sur cette plage loin de Brisbane.
Ils s’étaient endormis dans leur chambre d’hôtel, une nuit paisible après une journée paisible. Et s’il s’était endormi en la serrant contre lui, il avait fini par se tourner dans son sommeil, quittant la chaleur réconfortant de son corps. Il ne remarquera pas le corps qui s’agite à côté de lui, tremblant même dans son sommeil. Ce n’est que lorsqu’elle crie brusquement qu’il se redresse en sursaut, sa main allant naturellement chercher l’arme qu’il aurait, à Brisbane, laissé sur sa table de chevet. Elle n’est pas là ce soir-là. Parce qu’ils ne sont pas censés en avoir besoin. Pas ici. La panique le réveille immédiatement, son esprit parfaitement alerte alors qu’il cherche une menace pour réaliser qu’il n’y a personne dans la pièce et que Mia est toujours endormie. Les cris sont dans son sommeil.
Il aimerait pouvoir dire que c’est le premier cauchemar qu’elle fait et pourtant ils ne sont que trop récurrent depuis que Mitchell est venu dans son appartement. Mais jamais comme ça, pas au point où elle semble complètement prisonnière de son cauchemar, la panique visible sur son visage endormi. L’instant d’après il est en train de la secouer. « Réveille toi, Mia ! »
« Mia ! » crie-t-il de plus belle, dévoré par l’inquiétude alors qu’enfin elle semble sortir de la terreur nocturne qui l’a pris. « Tu vas bien. Tout va bien. Tout va bien. » Il ne sait plus vraiment qui il essaye de rassurer. Est-ce elle, ou lui ?
Mai 2021.« Je suis sûr que oui ! ». Il tente de me réconforter, de me rassurer sur le fait que mon éditeur sera conciliant concernant ce délai que je ne peux pas respecter à propos de mon second roman. L’échéance arrive à grands pas et je ne peux être que lucide sur le fait que je ne pourrais jamais respecter la date butoir. Je m’en veux d’ailleurs, la culpabilité apparaissant dans mes yeux parce que je suis incapable d’aligner deux mots quand pourtant l’écriture est tout ce qui me passionne. Des bribes d’idées ont été notés au fil du temps, mais elles méritent d’être remises en ordre et surtout développées, ce dont je me sens totalement incapable aujourd’hui…
« Tu auras ma peau Mia McKullan ça j’en suis persuadé ! ». Il y a ce petit haussement d’épaule faussement innocent que j’ai en réponse à ses mots, des mots qui me font rire alors que je sens ses lèvres s’égarer dans mon cou, ses baisers me faisant fermer les yeux alors que je resserre mon étreinte. Pourtant, ils ne me feront pas oublier les mots qu’il a eu auparavant, cette éventualité dont nous n’avons jamais parlé, celle qui va au-delà du simple nous que nous formons, celle d’une famille dont il rêve, celle de cette famille que je rêve aussi de construire à ses côtés. Alors, je souligne le fait que cette éventualité me plait sans pour autant en ajouter davantage, sans pour autant croiser son regard alors que je me blottis contre lui. « Moi aussi ». Ces mots me font sourire alors que je sens à son tour son étreinte se resserrer contre moi, me laissant bercer un instant dans ce silence qui s’installe, profitant de cet endroit qui nous laisse peut-être un peu trop rêveur à cette éventualité qui, nous le savons, reste encore bien impossible…
***
Les songes m’emportent bien loin de ce paradis dans lequel nous nous trouvons. Ils me ramènent à une réalité que je ne veux pas retrouver, une réalité que je tente de fuir chaque jour passer loin de Brisbane. Pourtant, cette nuit-là, c’est dans mon appartement à nouveau que je me trouve, plus précisément dans mon lit. Comme dans la réalité, je m’endors paisiblement dans les bras d’Alec, sentant la chaleur de son corps contre le mien. Tout à coup, pourtant, un bruit m’extirpera de mon sommeil, découvrant avec horreur la présence de Mitchell, arme à la main, pointé sur nous. Je me relève soudainement en position assise, Alec l’étant déjà, me protégeant de son corps au moment où la balle finit par s’échapper du canon, brisant d’un son assourdissant le silence de la pièce. Un cri s’échappera de mes lèvres, alors qu’Alec s’est reçu cette balle en pleine poitrine. Le sang s’écoule, immaculant les draps blancs dans lesquels nous nous trouvons, ma main venant faire pression sur la zone de l’impact de la balle… en vain. Alec me regarde, tente de me parler, mais son dernier souffle ne lui en laisse pas la chance. Un autre cri s’échappe, suivi d’un autre, le suppliant de se réveiller, le suppliant d’ouvrir les yeux alors que son corps reste inerte sous les secousses. Les larmes s’écoulent à flot le long de mes joues, alors que je serre Alec tout contre moi, que je crie son nom et à l’aide. Je suis incapable de bouger, la paisibilité ayant laissé place à l’horreur, alors que la chaleur de son corps contre le mien s’échappe progressivement…
Il ne s’agit que d’un cauchemar, un cauchemar parmi d’autres et pourtant, celui-ci, est plus virulent. Il est plus virulent parce que la menace a été mise à exécution sans pitié, que Mitchell est venu en découdre avec son frère à qui il a ôté la vie. Inconsciente je le suis et pourtant, mon corps s’agite, des cris s’échappant aussi d’entre mes lèvres alors que je dors encore. Ce sont les mots qui me parviennent, cette voix que j’aimerai entendre à nouveau dans mon songe alors que son corps est sans vie sous mes yeux. « Réveille-toi, Mia ! ». Cela ne suffira pas, il devra à nouveau crier mon nom pour finalement me faire sortir de ce cauchemar. Le réveil est soudain, je peine à retrouver mon souffle, ne comprenant pas encore que tout cela n’était pas réel, alors que je sens mes joues humidifiées, mes larmes s’écoulant encore un peu le long de celles-ci. « Tu vas bien. Tout va bien. Tout va bien. ». Je finis par me relever en position assise, soudainement, pour me blottir dans ses bras. Je suis toute tremblante, laissant mes émotions m’envahir à nouveau, tentant pourtant de laisser celle de la terreur s’échapper quand je me rends compte qu’il ne lui est rien arrivé, qu’il est bien vivant et présent à mes côtés « Alec… » je murmure entre deux sanglots, ma voix haletante alors que je finis par reculer mon visage de sorte à trouver son regard, les mots peinant à sortir « Ton… » je marque une pause, incapable d’en dire plus. Mes larmes reprennent le dessus alors que ma main vient trouver sa joue « Promets-moi qu’il ne reviendra pas, Alec… » Une nouvelle pause, nécessaire alors que la panique s’empare de ma voix « Promets-moi que je ne te perdrais pas », les images me reviennent, il ne comprend sûrement pas pourquoi je lui dis cela « Je ne le supporterai pas, je ne supporterai pas de te voir… ». Le mot ne sortira pas alors que ma main glisse doucement de sa joue, que je suis à bout de force, que mon regard quitte le sien. « Quand est-ce que tout ça s’arrêtera… » je susurre alors quand je sais qu’il va me falloir plus que de partir bien loin de Brisbane pour oublier, qu’il me faudra aussi du temps pour m’en remettre quand, en plus, je ne peux en parler à personne pour avancer…
Son corps semble figé dans une terreur qu’elle ne contrôle pas, il tremble alors qu’elle crie dans son sommeil et cela le réveille complètement désemparé. Ce n’est pas la première fois que cela arrive depuis que Mitchell est venu dans leur appartement. Il ne sait pas pourquoi il pensait que les cauchemars ne pourraient pas les rattraper ici. Après tout ne sont-ils pas loin de Brisbane ? Ne sont-ils pas loin de tous leurs problèmes ? De toute la terreur que l’ainé a provoquée et de tous les conflits que le Club pourrait amener ? Était-il si naïf de croire que pendant cette petite semaine tout pourrait aller bien ? Qu’ils pourraient se retrouver ?
Ce n’est que lorsqu’elle sort enfin de son cauchemar, se réveillant en sursaut, les sanglots secourant son cœur qu’il se remet à respirer. Il est à genou sur le lit, la serrant contre lui, incapable de la lâcher. « Alec… Ton… » Elle sait ce qu’elle va dire, elle le voit à son regard. C’est son frère qu’elle a vu. Son frère à lui qui l’a terrifié à ce point dans son sommeil. Son frère qui a tout gâché. « Je sais.» il souffle presque douloureusement, caressant ses cheveux, collant son front aux siens. « Promets-moi qu’il ne reviendra pas, Alec… Promets-moi que je ne te perdrais pas. » Il la regarde complètement désemparé, la gorge se serrant sous le poids de l’émotion. Parce qu’il est incapable de lui promettre. Parce qu’il ne lui a pas dit que son frère était revenu, qu’il n’avait pas eu le choix de le laisser entrer, que c’était sa famille, que c’était Gabrielle en jeu. Il est torturé par le mensonge, torturé parce qu’il lui a fait. « Je te le promets Mia. Je te le promets. » Peut être que s’il le répète deux fois ça se transformera en vérité ? Cela deviendra réel et véritable. Et il a beau le penser, il a beau se persuader que Mia ne sera plus jamais confronté à Mitchell, il ne peut pas être sûr que lui-même ne sera pas atteint d’une quelconque façon. Pas quand ses activités dans le Club ne lui promettent aucune fin sereine. « Je ne le supporterai pas, je ne supporterai pas de te voir… ». Alec déglutit devant la douleur qu’il lit dans ses yeux, sa gorge se serre et une nouvelle fois il caresse ses cheveux. « Tout va bien, tu es en sécurité. On est en sécurité. » il souffle, venant déposer un baiser sur son front puis un deuxième, la serrant un peu plus fort contre lui, la voix rauque.
« Quand est-ce que tout ça s’arrêtera… » Tout est de sa faute. C’est à cause de lui que tout est arrivé, à cause de lui que son épaule porte la marque du tir. A cause de lui.
« Je suis désolé. » Il souffle sa voix se brisant sur les derniers mots. « Je suis tellement désolé. » Sa vue est complètement troublée, ses yeux remplis de larmes, alors qu’il observe son visage, caressant sa joue. « Tout est de ma faute. » C’est à peine plus haut qu’un murmure. « C’est à cause de moi que c’est arrivé. » De nouveau sa voix se brise et cette fois les larmes roulent enfin sur ses joues, une à une. « J’aurais dû te protéger. J’aurais dû le tuer avant qu’il ne t’approche. J’aurais dû rester éloigné de toi. J’aurais dû t’oublier. J’aurais dû te laisser hors de tout ça. » Il balbutie incapable de s’arrêter son front se collant de nouveau au sien, alors qu’il est incapable de lâcher son visage. « J’aurais dû te laisser tranquille. J’aurais dû te protéger, j’aurais dû… » Il se répète incapable de finir sa phrase, incapable pourtant de rester loin d’elle, incapable de la laisser et de ne pas l’aimer. Pourtant, la culpabilité est si grande qu’elle le dévaste un peu plus à chaque seconde alors que les larmes roulent sur ses joues venant mouiller sa barbe.
Mai 2021.Les cauchemars sont récurrents. Il n’est pas le premier, il ne sera pas le dernier, j’en suis persuadée. Depuis ce soir-là, il m’est impossible de m’endormir paisiblement, tout comme il m’est impossible de ne pas y penser quotidiennement. Le traumatisme est bien trop grand, ayant bien souvent la sensation d’avoir encore ce pistolet pointé sur la tempe, craignant que la gâchette ne finisse par être enclenché cette fois. Il m’a épargné, en quelque sorte, ayant épargné ma tête mais n’a pas oublié de laisser une trace sur mon épaule encore fragile aujourd’hui. Oublier Mitchell Strange, oublier ce qu’il a pu me faire subir, ce qu’il a pu nous faire subir ne semble pas possible. Même loin de Brisbane, le songe duquel je viens de m’extirper en étant la preuve. La panique est présente sur mon visage, tout comme sur celle d’Alec qui tente de me rassurer alors que je peine à réaliser que tout ça n’était pas réel. « Je sais ». Je n’ai pas besoin de lui en dire plus parce qu’il sait depuis des semaines que mes nuits sont rythmées par les mêmes cauchemars. Il le sait parce que depuis toutes ces semaines je reste à ses côtés, vivant désormais avec lui parce qu’il a ce besoin de me protéger, et que j’ai besoin d’être à ses côtés pour me sentir en sécurité. Pourtant, la peur me guette, celle que Mitchell puisse revenir, décidant d’en finir définitivement… avec son propre sang « Je te le promets Mia. Je te le promets ». Je veux le croire mais une part de moi doute. Pas de sa sincérité, ni de sa volonté à ce que cela ne se reproduise plus. J’ai des doutes parce que je n’ai pas confiance en la personne qu’est son frère, que je n’oublie pas la menace proférée, celle de revenir. « Tout va bien, tu es en sécurité. On est en sécurité ». A cet instant, ma propre sécurité ne m’intéresse pas, ce cauchemar m’ayant fait vivre le pire, celui de le perdre lui. Il me serre contre lui et pourtant je le repousse un peu pour retrouver son regard « Je veux que tu le sois toi, Alec… Surtout toi… Je ne veux pas, je ne peux pas ressentir ça ». Je suis paniquée, mes phrases sont entrecoupées par des sanglots, elles n’ont pas réellement de sens ou manquent de clarté, mais je suis incapable d’en dire plus quand je repense à l’horreur du cauchemar que je viens de vivre. Je tente de reprendre ma respiration et m’abandonne alors totalement dans ses bras cette fois, le laissant me serrer contre lui.
« Je suis désolé (…) je suis tellement désolé ». Mon regard retrouve le sien suite à ma question et je sens sa voix se briser de plus en plus ce qui me noue l’estomac « Tout est de ma faute ». La revoilà la culpabilité qu’il peut ressentir depuis cet incident avec son frère, mais cette fois elle semble décuplée. Surtout, j’aperçois cette humidité dans les yeux, celle que je ne lui ai jamais connu encore. Ma gorge se noue davantage, figée pourtant en l’écoutant, incapable de dire quoi que ce soit « C’est à cause de moi que c’est arrivé ». Je tourne ma tête lentement de gauche à droite, sans le quitter du regard alors que je vois les premières larmes s’échapper. Les miennes, par mimétisme, en feront de même, tellement cette image de lui me brise le cœur. « J’aurai dû te protéger. J’aurais dû le tuer avant qu’il ne t’approche. J’aurais dû rester éloigné de toi. J’aurais dû t’oublier. J’aurais dû te laisser hors de tout ça ». Mon visage est horrifié par ses mots, alors qu’il vient à coller son front contre le mien « J’aurais dû te laisser tranquille. J’aurais dû te protéger, j’aurais dû… ». Mes mains viennent alors se poser de part et autre de son visage pour l’obliger à me regarder, comme pour l’aider à se raisonner, pour lui faire entendre raison « Non, Alec » je laisse échapper d’un ton catégorique mais d’une voix douce, mes larmes poursuivant leur bonhomme de chemin sur mes joues « Non, je t’interdis de penser ça tu m’entends ? ». C’est la première fois que je le vois chambouler, c’est la première fois que je le vois aussi vulnérable face à moi et ça m’est insupportable. Je viens à coller à mon tour mon front contre le sien, sans pour autant le lâcher du regard « Rien n’aurait pu empêcher ce qui est arrivé. Rien n’est de ta faute… ». Mes doigts commencent à caresser délicatement la peau humide de ses joues alors que je me recule un peu « J’aurai été incapable de rester loin de toi, même si tu aurais tout fait pour me tenir éloigné. J’aurai été incapable, tout comme toi tu l’as été… Tout comme… tout comme nous l’avons été… », j’ajoute d’une voix tremblante. Les rôles finissent par s’inverser, étant celle qui désormais cherche à le rassurer et cherche surtout à le faire déculpabiliser. Mon pouce vient essuyer une de ses larmes, l’obligeant à me regarder un peu plus alors que seulement quelques millimètres nous séparent « Je t’aime… ». Mes lèvres viennent se sceller aux siennes, doucement, tendrement. Lorsqu’elles se détachent, je reste mon front contre le sien, fermant les yeux, me remémorant à mes dépens de cette image terrifiante de son corps inerte. Je tente de prendre une profonde inspiration « Tu as fait ce qu’il fallait. Tu as eu raison de ne pas me laisser tranquille, tu as eu raison de ne pas m’oublier… parce que j’ai… j’ai besoin de toi… je n’ai aucun regret… ». Sa présence m’est réconfortante, ne pouvant m’imaginer ne pas être à ses côtés. « Aucun tu entends ? » j’ajoute alors que j’avance légèrement mon visage en insistant du regard, comme pour le convaincre autant que je suis déjà convaincue moi-même. « Ne me laisse pas, Alec… ». Je le supplie de rester avec moi, malgré sa vie qui reste une menace perpétuelle, je le supplie de rester avec moi malgré la menace de ce frère, je le supplie que le nous soit plus fort que la peur. « S’il te… plait », je finis de dire dans un murmure.
Les mains de Mia viennent se poser sur ses joues, le font relever la tête vers elle, la vision troublée par les larmes, les contours de son visage flous. « Non, Alec. Non je t’interdis de penser ça tu m’entends ? » Mais elle a beau lui interdire, les pensées ne sont pas aussi facilement effaçables et elles tournent inlassablement dans son esprit, lui retournant l’estomac.
« Rien n’aurait pu empêcher ce qui est arrivé. Rien n’est de ta faute… ». Il ferme les yeux pour faire cesser les lames, secouant la tête. Il a beau entendre les mots, la logique implacable de la situation refuse de le quitter. Mitchell ne serait jamais venu dans cet appartement si Alec n’avait pas dévoilé son attachement pour la jeune femme d’une façon ou d’une autre. Mitchell n’aurait jamais tiré sur Mia s’il n’avait pas cherché à se venger de son cadet, si Alec ne l’avait pas trahi. Il était donc entièrement responsable de ce qui était arrivé dans cet appartement. Peu importe le fait qu’elle lui interdisait d’y penser. Il y avait tant de chose qu’il aurait pu faire, qu’il aurait dû faire. Et pourtant Alec, une nouvelle fois s’était retrouvé figé face à ce frère à qui il devait tout, face à ce frère qu’il aimait malgré tout, malgré la haine qu’il ressentait contre lui. Ses doigts sont légers sur la peau de ses joues et apaise un peu la culpabilité. « J’aurai été incapable de rester loin de toi, même si tu aurais tout fait pour me tenir éloigné. J’aurai été incapable, tout comme toi tu l’as été… Tout comme… tout comme nous l’avons été… ». Sur ça il savait qu’elle avait raison. Il avait de plus en plus de mal à imaginer une vie où elle ne serait pas présente. Elle avait pris sa place lentement, se glissant dans son quotidien, quand il avait cherché à l’en tenir éloignée pendant des mois. Il aimait se réveiller à ses côtés, voir son sourire quand il lui cuisinait le petit déjeuner, promener Otis avec elle. Il aimait bien trop ces moments simples qu’il n’avait jamais pu avoir pour pouvoir envisager qu’elle ne fasse plus partie de sa vie. Pourtant, une part de lui savait pertinemment que ce sentiment était égoïste, qu’il aurait dû pour son bien, restait éloigné d’elle. « Je t’ai pas protégé, j’aurais dû te protéger de tout ça. » souffle-t-il pourtant en secouant la tête, ses mains venant recouvrir les siennes. « Je t’aime… » Ses lèvres se posent sur les siennes et il ne peut s’empêcher de répondre à ce baiser de ne pas la lâcher. Lui aussi l’aime, il l’aime à en avoir peur, à être terrifié de la perdre et il sait ce que cela veut dire dans son monde. Mia est devenue une faiblesse. « Je t’aime aussi. » souffle-t-il tendrement.
« Tu as fait ce qu’il fallait. Tu as eu raison de ne pas me laisser tranquille, tu as eu raison de ne pas m’oublier… parce que j’ai… j’ai besoin de toi… je n’ai aucun regret… Aucun tu entends ? » Il se force à la croire pour oublier la culpabilité lancinante, pour oublier le sang qui s‘échappait de son corps, pour oublier le bruit du coup de feu, pour prendre une profonde respiration et hocher la tête. Ils arriveront à passer au-dessus, il le faut. « Ne me laisse pas, Alec…S’il te plait. » Sa voix n’est qu’un murmure et il caresse tendrement sa joue avant de de l’attirer contre lui et de se rallonger dans les draps. « Je ne te laisserais pas. Tout ira bien. Tout ira bien. » Il dépose un baiser contre son front, l’entourant de ses bras. « On va dépasser ça. » Et cela n’arrivera plus. Du moins c’est ce qu’il essaye de se répéter encore et encore, en espérant finir par y croire. « Ca ira mieux. »
Ils mettront du temps à se rendormir ce soir là et s’il s’accroche à l’espoir que tout finira par aller mieux il sait pertinemment que Mia n’aura jamais sa place dans ce monde qui est le sien et qu’il ne fait que se voiler la face
***
Ce n’est pas les rayons de soleil qui le réveillent ce matin-là. Il a l’impression d’avoir dormi bien trop peu d’heures, ayant attendu que Mia se rendorme contre lui pour s’autoriser à dormir. Non c‘est son téléphone qui sonne, de la sonnerie qui lui indique que les business du Club se rappellent à lui. Il grogne, se levant lentement, s’échappant à l’étreinte de la jeune femme allongée contre lui, pour attraper le téléphone, se dirigeant vers le balcon. Il aura suffi d’un appel pour que les vacances soient écourtées, pour qu’on ait besoin de lui pour une négociation avec un type qui préférait encore voir le nom des Stange apparaître dans les négociations et qui n’était pas complètement convaincu le nouveau leadership. On avait besoin de son nom et de sa capacité naturelle à mettre l’autre en confiance. Il a beau tenter d’argumenter qu’il est loin de Brisbane, l’ordre est clair. C’est là bas qu’on a besoin de lui et vite. Il soupire, passant une main fatiguée sur son visage, avant de retourner à l’intérieur, s’asseyant sur le lit à côté de Mia, à présent réveillée. « Je dois rentrer… »
Mai 2021.L’image est douloureuse. Celle où je le vois vulnérable, où il laisse pour la première fois ses larmes couler le long de ses joues, ne s’en cachant pas alors qu’elle traduise la culpabilité qu’il peut ressentir. Une culpabilité que je tente d’apaiser par mes mots parce que je suis incapable de le blâmer pour ce qui s’est passé. J’ai fait aussi ce choix de faire partie de sa vie, d’accepter cette vie qu’il mène en connaissant les dangers. Bien sûr, je n’aurai jamais pensé qu’une telle chose aurait pu se passer. Et si en effet, je ressens de la colère et de la haine au fond de moi, ce n’est pas contre lui qu’elles sont tournées, mais contre son frère qui n’a eu aucun scrupule à me faire du mal pour atteindre son cadet. L’image cette nuit d’Alec démuni face à tout ça, dont la culpabilité le ronge au point que toutes les barrières s’affaissent autour de lui, au point qu’il est incapable de ne pas montrer une vulnérabilité qu’il a toujours cherché à dissimuler, m’est insupportable. « Je t’ai pas protégé, j’aurai dû te protéger de tout ça ». Ma tête ne cesse de faire des mouvements de droite à gauche alors que mes mains sont toujours posées de part et autre de son visage pour tenter de l’apaiser et de l’arrêter de s’en vouloir à ce point. « Je t’aime aussi ». Et c’est cet amour l’un pour l’autre qui, je l’espère, nous aidera à tenir face à tout ça, parce qu’il m’est incapable de le savoir loin de moi à nouveau comme ça a pu être le cas des mois en arrière, quand il se refusait de faire partie de ma vie. Cette vie désormais qu’on commençait à construire ensemble, cet incident nous ayant malgré tout rapproché davantage, installée désormais chez lui, partageant des moments du quotidien qui me comblait à ses côtés. Alors c’est peut-être pour ça aussi que je lui demande de ne pas me laisser, parce que je sais que c’est une solution qu’il pourrait envisager… pour me protéger à nouveau de ce monde dans lequel il évolue. « Je ne te laisserais pas. Tout ira bien. Tout ira bien ». Je me blottis alors qu’il m’attire contre lui et me laisse me mouvoir pour m’allonger contre lui. « On va dépasser ça ». Je l’espère, hochant doucement la tête alors que mes doigts parcourent son torse et que mon regard fixe un point non défini de la chambre. « Ca ira mieux ». Je tente de retrouver mon calme alors que je me blottis davantage, essuyant d’un revers les dernières larmes. Je veux le croire, me dire qu’on arrivera à dépasser tout ça, que les jours prochains seront meilleurs. Pourtant, au fond de moi, je sais aussi que le processus sera long, que malgré sa présence, malgré la protection du Club, il me faudra bien plus pour surpasser cet incident. Pour le moment, j’essaye de trouver à nouveau le sommeil, même si l’idée de fermer les yeux à nouveau m’effraie…
***
La nuit a été courte. Je n’ai pas refait de cauchemar mais lorsqu’une sonnerie stridente parvient à mes oreilles ce matin-là, le réveil a un goût désagréable. Je sens Alec m’échapper alors que je suis encore blottit dans ses bras. « Reste… » je murmure alors que j’ouvre les yeux pour le voir s’éloigner pour prendre le coup de fil. Je laisse échapper un soupir, fixant le plafond alors que des bribes de conversation me parviennent aux oreilles, sans pour autant que je n’en comprenne le sens. Je viens à attraper machinalement mon téléphone pour regarder l’heure, ayant laisser ce dernier en mode avion pour n’avoir aucun message ou appel qui me replongerait dans ce présent, dans cette réalité de laquelle j’ai envie de rester éloignée. Il est encore tôt mais, la brise qui me parvient par la baie vitrée ouverte ainsi que les rayons de soleil me donne le courage de me redresser pour m’assoir, un fin sourire se dessinant sur mes lèvres alors qu’Alec revient s’installer à mes côtés. « Je dois rentrer… ». Mon sourire s’estompe immédiatement, ma mine se renfrognant instantanément « Pourquoi ? ». Le pourquoi est un peu accusateur et sec. « Ca ne fait que quatre jours que nous sommes ici Alec… Sérieusement ? Ils ont tant besoin de toi, c’est si urgent ? Ça ne peut pas attendre ? ». Il y a une certaine déception mais surtout une certaine lassitude quand les coups de fil impromptus sont déjà bien trop présents dans notre quotidien mais que je les cautionne et les accepte. Mais ici, c’est différent. Un soupir las s’échappe d’entre mes lèvres alors que je préfère me lever du lit, lui tournant le dos quelques secondes, m’apprêtant à me diriger vers la salle de bain avant de lui refaire face « Je présume que, de toute évidence, tu n’as pas le choix et que tu n’as pas refusé » surtout, ne sera pas ajouté mais pensé fortement. « Une semaine de répit c’est trop demandé ? ». L’agacement prend le dessus, la fatigue de cette nuit agitée n’aidant pas, l’envie de rester loin de tout omniprésente et pourtant, je sais que dans quelques minutes, les valises devront être faites. L’idée qui m’avait effleuré l’esprit quelques minutes plus tôt, celle où j’allais lui demander qu’on loue deux planches de surf pour que je puisse essayer de remonter dessus après mon accident de septembre, est totalement abandonnée, se volatilisant au même titre que ce séjour bien trop vite écourté.
« Reste… » Mais il s’est déjà échappé du lit, il a déjà quitté la chaleur des draps et de son corps pour un retour brutal à la réalité alors que ses mains se saisissent de son téléphone et qu’il disparait sur le balcon. L’appel lui fait l’effet d’un rappel à l’ordre, à la réalité du Club et de Brisbane, à l’appel de sa vie réelle et non celle qu’il s’imagine avec elle. Il soupire en raccrochant après avoir dit qu’il serait là le soir même, hésitant avant d’entrer de nouveau dans la chambre et de réveiller la jeune femme pour lui annoncer la nouvelle. Il finit par prendre son courage à deux mains, entrant dans la chambre, venant s’asseoir à côté d’elle et doucement caresser son bras comme si le geste pouvait l’apaiser avant qu’il ait annoncé la nouvelle. Celle de son départ et de leur départ car il se doute qu’elle ne restera pas ici seule. Son sourire disparait et il se force à ne pas flancher, son regard restant ancré dans le sien.
« Pourquoi ? » Il observe son visage accusateur, celui qui lui fait comprendre qu’elle ne comprendra pas. Il n’a pas le temps de parler que déjà elle a repris « Ca ne fait que quatre jours que nous sommes ici Alec… Sérieusement ? Ils ont tant besoin de toi, c’est si urgent ? Ça ne peut pas attendre ? » Peut être que sa présence n’est pas indispensable, peut être qu’elle n’est pas urgente, mais cela n’a pas d’importance en réalité. C’est un ordre et il doit y obéir. « Tu sais que ça ne peut pas attendre Mia… » murmure-t-il doucement, sa main venant effleurer la sienne. « s’ils m’appellent c’est qu’ils ont besoin de moi. » Et les besoins du Club passerait toujours avant les autres, et ce depuis toujours. L’habitude était ancrée dans sa peau depuis le moment où lui et son frère avaient commencé ce business. Il la regarde se lever avec amertume conscient qu’il la sent s’éloigner de lui.
« Je présume que, de toute évidence, tu n’as pas le choix et que tu n’as pas refusé » Il reste silencieux, son regard bleu refusant de croiser le sien cette fois alors qu’il se lève à son tour. Son silence est un oui qu’il refuse de prononcer. « Une semaine de répit c’est trop demandé ? » La culpabilité de la veille est toujours présente, elle ne noie pas son cœur d’émotions cette fois mais le fait se fermer pour s’en protéger. C’est son seul moyen d’arriver à partir de ce lieu, de ne pas lui laisser ces quelques jours. Non Alec se ferme, son visage redevenant un masque habituel de distance. « Je suis désolé Mia. » il souffle malgré tout. « Je sais que ce n’est pas le bon moment, je sais que tu voulais ces quelques jours, mais… » il soupire lourdement, passant une main sur son visage, fatigué, agacé, pas contre elle, mais contre la situation. « Tu sais que si je pouvais rester je le ferais. » Il s’approche pour tenter d’attraper sa main. « Je ne peux pas juste leur dire non je rentre à la fin de mes congés. Ca ne marche pas comme ça. » Il se retient de souligner que ça ne marche pas comme ça dans son monde à lui. Mais le sous-entendu est là. Son monde restera bien différent du sien, et son monde passera toujours avant leur couple, peu importe ce dont il essaye de se convaincre. « Me regarde pas comme ça Mia…Moi aussi j’ai envie de rester ici. » souffle-t-il doucement, tentant de garder au loin la culpabilité.
Mai 2021.« Tu sais que ça ne peut pas attendre Mia… s’ils m’appellent c’est qu’ils ont besoin de moi ». Et je le sais que trop bien parce que cela arrive bien trop souvent. Interrompus au milieu d’un repas, interrompus au milieu d’un film alors que je me sens apaisée dans ses bras, interrompus au milieu de nos moments d’égarement, cela fait partie désormais de notre quotidien, de mon quotidien. Je l’accepte, je lui ai dit que j’acceptais cette vie qu’il menait et, pourtant, elle commence inévitablement à me peser, un peu plus depuis cet incident. « Evidemment » sera la seule réponse qui sortira d’entre mes lèvres alors qu’il vient effleurer ma main et que je préfère la retirer et me lever, plutôt que d’affronter son regard désolé, plutôt que de prononcer des mots que je pourrais regretter et qui pourrait nous coûter…
J’exprime cependant mon agacement quand, d’habitude, je le dissimule. Parce que cette fois, les choses sont différentes, parce que, cette fois, nous sommes loin de Brisbane pour oublier ce quotidien, pour nous permettre de prendre ce bol d’air frais dont nous avons cruellement besoin. Et même cette distance avec ma ville natale n’aide pas, les cauchemars se manifestant encore et toujours. Et cette nuit encore mouvementée qu’on a pu passer ne semble pas être suffisant pour qu’il choisisse de rester ici, avec moi. Et bien sûr que je vais rentrer avec lui quand il est le seul dont la présence me rassure… « Je suis désolé Mia… Je sais que ce n’est pas le bon moment, je sais que tu voulais ces quelques jours, mais… » « Mais quoi, Alec ? » je laisse échapper, clairement agacée alors que je le vois l’être tout autant « Tu sais que si je pouvais rester je le ferais ». Et c’est ce que je lui reproche quand j’ai l’impression qu’il n’est pas maitre de ses propres décisions. Même loin de ce frère qu’il a trahi, pensant lui être toujours redevable après toutes ces années, il est toujours sous la servitude de cette vie qu’il ne désire qu’à moitié. Il tente un geste à mon égard, celui de me saisir la main « Je ne peux pas juste leur dire non je rentre à la fin de mes congés. Ça ne marche pas comme ça ». Ma main se recule, ne lui laissant pas la possibilité de la saisir alors que l’agacement reprend le dessus, que mon visage se ferme, la colère prenant place « Sept jours… C’est tout ce que je t’ai demandé Alec… C’est ce que tu m’as promis… » Je marque une pause, reculant d’un pas « Sept jours uniquement pour nous retrouver, toi et moi… » j’ajoute dans un soupir las, lassé de voir que le nous ne sera jamais prioritaire… « Me regarde pas comme ça Mia… Moi aussi j’ai envie de rester ici ». « Je ne doute pas que tu aies envie de rester tout autant que moi… Je déplore le fait que tu ne saches pas laisser le Club derrière toi pour quelques jours, c’est tout ». Je n’ajouterai pas et au détriment de notre couple même si je le pense fortement.
Je me dirige vers ma valise abandonnée négligemment dans un coin lors de notre arrivée, me souvenant de ce bien être qui s’était emparée de moi lorsque nous avons passé le pas de la porte de cette chambre d’hôtel. Cette fois, c’est le cœur lourd que je la dépose sur le lit pour commencer à y ranger mes affaires avant de me diriger vers la salle de bain, seule cette fois, refermant la porte surement un peu trop fort, sans lui adresser un mot ou un regard de plus. Quelques heures plus tard, c’est en direction de l’aéroport que nous nous dirigeons pour retourner à Brisbane… à contre-cœur.