Elle devrait arriver d’une minute à l’autre. Saül a prévenu Elise quelque temps auparavant, juste assez pour qu’elle menace de débarquer s’il ne retirait pas tout d’une traite. Malheureusement pour elle, tout est vrai. Damon va se marier.

Alors, Saül a demandé à Ariane d’aller faire un tour avec Abel. N’importe où, tant que c’est loin d’ici. Il y aura peut-être des cris, des larmes. Elise n’a jamais mis les pieds dans le nid d’amour de Saül et son épouse, Elise ne posera pas de sitôt ses yeux sur l’enfant merveilleux qu’est Abel, surtout pas dans un contexte pareil. Il attend, l’italien, lissant du pouce une chemise que Ariane déteste et a probablement couvert de son parfum avant de la lui laisser. Damon va se marier et Saül entrer la nouvelle dans la tête blonde de son garçon. Megan a accepté assez vite, au pied du mur. Maintenant, elle et Saül ont la capacité de se faire sauter mutuellement. Certes, elle n’irait pas en prison. Elle perdrait tout, mais elle ne mettrait jamais un pied derrière les barreaux. L’arrangement est plus avantageux pour l’italien, qui case son déviant de fils en même temps qu’il échappe - pour le moment - aux radars bien avisés du conseil financier de Michael Hills. Un jour, ils découvriront le pot-au-roses. Ce jour-là, l’italien sera loin, pactole entre les doigts. Peut-être couvriront-ils sa fuite, ou pas. Ce jour-là, Saül sera prêt. Il s’assure que tout tienne en place avant la chute finale, la grande dégringolade. Ariane sera en sécurité de tout, hors de la portée destructrice des audiences. Cela aussi, Saül s’en assure dans le dos de tout le monde. Une armée d’avocats est prête à déferler pour protéger tout ce qui doit l’être.

En attendant, Saül observe le lent tic-tac de sa montre, celle qu’il partage depuis des lustres avec Ariane. Elise ne devrait pas tarder. Bientôt, le quarantenaire entend ses pas rageurs, dans les escaliers. Elle vient seule, mais Saül sait qu’elle vaut à elle-seule une dizaine de plaignants. Un sourire nostalgique se glisse inconsciemment sur son visage, alors qu’il s’approche patiemment de la porte. Par le judas, Saül observe son ex-femme, qui s’apprête probablement à faire pleuvoir sur la porte une volée de coups de poing. Anticipant son mouvement, l’homme d’affaires lui ouvre. « Elise. » Un ton comme s’il ne l’attendait pas, comme si la visite était une surprise. « Tu es ravie par la nouvelle, n’est-ce pas ? » Un ton qu’elle lui connaît, presque moqueur. Le meilleur, celui des bons jours, celui qui annonçait une victoire. Parce qu’il a gagné, Saül. Il a toujours tiré son épingle du jeu - au détriment des autres.

Damon va se marier. Non mais quoi encore ? C'est quoi ce ramassis de connerie ? Impossible que le jour où il prévoit vraiment de se marier, tu l'apprennes par Saül. Impossible qu'il épouse une fille dont tu n'as jamais entendu parler avant aujourd'hui. Rien n'est cohérent dans l'histoire de Saül. Il ne dit pas tout. S'il voulait simplement attirer ton attention, bravo, c'est réussi. Tellement réussi qu'il arrive à te faire déplacer dans un quartier à l'opposé du tien en un temps record. Tu as horreur qu'il se serve de votre fils pour avoir ce qu'il veut - parce qu'il veut forcément quelque chose, et il l'aura surtout, peu importe ce que c'est. Elles semblent interminables ces marches que tu montes une à une, rageusement - comment ça il n'y a pas d'ascenseur ici ? C'est suffisant pour déjà te mettre de mauvaise humeur. Tu n'as même pas le temps de venir asséner des coups contre la porte que ton ancien époux ouvre déjà la porte lui laissant le bonheur de voir les couteaux dans tes yeux. La routine.

« Elise. »
« Saül. »

Il simule la surprise. Tu simules le détachement. Tu n'as certainement pas besoin d'une invitation pour entrer dans son appartement. Qui vit encore dans un appartement passé la quarantaine ? Les temps sont durs pour le divorcé déjà remarié. Redcliffe, quel quartier de pauvre. Une éternité que tu en connais l'adresse de cet endroit. Une première fois à l'intérieur des murs. Une première et une dernière possiblement. Rien ne lui ressemble ici. Rien ne vous ressemble plutôt. Ton regard s'attarde une seconde de trop sur les jouets de bébés perdus ici et là qui mettent de la vie dans ces murs. Juste assez pour te donner le vertige. Elle n'a jamais été pleine de vie votre (ancienne) maison. Elle a toujours été beaucoup trop rangé, dénué de toute forme d'émotion. À votre image dirons nous. Elle détonne la différence entre avant et maintenant. « C'est très laid ici. » Ça manque de babioles inutiles qui coûtent une fortune. Ça manque de tableaux dont personne ne s'intéresse et qui ont été payés le double du prix juste parce qu'on le peut.

« Tu es ravie par la nouvelle, n’est-ce pas ? » Oh, oui, revenons à la véritable raison qui t'a ramené ici. Oublions la déco quelques instants. Parce que tu détestes le ton moqueur dans le fond de sa voix. Tu détestes cet air de vainqueur qu'il a sur le visage, celui qui prouve totalement qu'il a à gagner dans cette future union qui n'aura pas lieu tu en es encore convaincu. « Pas de ça avec moi Saül. » Pas de détour. Pas de faux-semblant. Pas de mensonge. Encore moins quand ça concerne Cosimo. Qu'il aille directement au but. Qu'il arrache le pansement d'un seul coup brutal.

Tu prends tes aises dans cet endroit où tu ne seras jamais à l'aise. Tu t'installes sur l'une des chaises. Tes mains viennent se croiser entre elles contre la table. Tu ne contrôles absolument rien, mais tu peux toujours faire genre. « Tu m'expliques ? » que tu lui demandes. T'es là pour ça, des explications ou des demandes. Va savoir. « Tu nous sauverais un temps inestimable si tu commençais par la vérité. » que tu précises. Parce que tu as assurément autant pas envie que lui d'être ici. Plus vite tu seras reparti d'ici, plus vite tu pourras respirer de nouveau.

« C'est très laid ici. » « Tu m'avais presque manqué et puis je me suis souvenu pourquoi je t'ai trompée. » Ils ont commencé ainsi, même à leur mariage. Même quand elle était magnifique dans sa robe blanche. Les chuchotis étaient déjà piquants, dans leurs oreilles. Cependant, même à cette époque là Saül n'avait pas un sourire si grand qu'il l'arbore en cet instant, s'écartant de la porte pour laisser passer son ex-femme. Elle peut entrer, Elise. Elle est toujours la même, mais elle n'entachera pas cet endroit par sa présence venimeuse. Saül le fait déjà assez bien tout seul.

Elle a déjà l'air ravie de savoir la nouvelle, annoncée très simplement dans une poignée de textos. Bien sûr qu'elle va poser des questions, Saül s'y attendait. Il est parfaitement préparé à lui répondre, il est aussi parfaitement préparé à la manie d'Elise, celle qui consiste à voir clair dans son jeu. Ils n'ont pas étés mariés pendant vingt ans pour rien. Liés l'un à l'autre, même dans le mensonge. Surtout dans le mensonge. Voler un enfant ensemble, ça rapproche indéniablement. « Pas de ça avec moi Saül. » Il opine du chef, l'italien moqueur. Il se met au garde-à-vous en fermant la porte. Un sourire vainqueur ne l'a pas plus quitté depuis l'annonce faite à Megan. Seule aparté, l'annonce faite à Damon, lancée dans la colère. A part cette ombre au tableau, rien n'a fait obstacle à la joie de l'homme d'affaires, bien décidé à marier son fils pour sauver sa carrière, son honneur et celui de son garçon.

Elise s'installe et Saül file en cuisine d'un pas résolu. « Tu m'expliques ? » « Il n'y a rien a expliquer. Il est tombé amoureux, point. » Elle n'y croira pas. Elle sait que cela ne fonctionne pas ainsi, pas chez les Williams. Pas pour celui qui, depuis des lustres déjà, parlait des bon partis dénichés pour Damon. Il y a des années que ça dure et bien que les temps aient changé depuis que Elise et lui se sont séparés, certaines choses restent les mêmes. Tandis que Saül sert deux verres de vin, Elise continue dans sa lancée. « Tu nous sauverais un temps inestimable si tu commençais par la vérité. » Il s'installe devant elle après un long silence pesant de vérité. « Tu sais que ça arrange tout le monde. » Mais Saül en premier. Ses lèvres trempent dans le vin en même temps que ses yeux se perdent ailleurs. Ses oreilles entendent encore les mots de son fils, alors que toute la supercherie venait d'être découverte. Oui, il n'y a rien a expliquer. Damon est tombé amoureux, mais pas de la bonne personne. « Je ne t'ai pas menti. Il est tombé amoureux. Mais pas de quelqu'un que tu aurais apprécié. » Saül refuse d'exposer les déviances auxquelles s'exposaient leur fils, leur garçon, leur parfait petit rejeton, qui ne porte pas leurs gènes mais qui marchait dans leurs traces. S'il faut le pousser dans le bon chemin, Saül le fera. Autant de fois que nécessaire.

A nouveau, l'homme d'affaires avale une gorgée de vin. A nouveau, ses lèvres se colorent d'un léger sourire. « Le mariage se fera à la fin de l'année. Le plus tôt le mieux. Tu n'es vraiment pas contente ? Elle est très jolie. Elle s'appelle Megan. » Bien sûr, pas un mot au sujet des menaces. Rien à propos de ce qui se cache sous le tapis, ce que Saül compte bien enfermer grâce à la promesse de Megan. Rien qui ne puisse plus l'inquiéter, jamais. Jamais.

« Tu m'avais presque manqué et puis je me suis souvenu pourquoi je t'ai trompée. »
« Parce que tu es un idiot ? » que tu lui demandes pour être certaine que vous vous souvenez bien de la même raison pour cet adultère. Toujours sa faute. Jamais de la tienne. C'est la même chose dans la tête de Saül. Toujours la tienne. Jamais la sienne. Il n'est pas forcément un idiot pour t'avoir tromper - tout homme vivant une situation pareil l'aurait fait. Mais il l'est absolument pour t'avoir quitté. Si ce ne serait que de toi, tu aurais tenu ta promesse jusqu'à ce que la mort vous sépare. « Il n'y a rien a expliquer. Il est tombé amoureux, point. » Oui, c'est ça. Cause toujours. Tu n'en crois pas un seul mot. Il t'en aurait parlé Cosimo s'il aurait rencontré la personne qui aurait fait chavirer son coeur. Saül s'installe face à toi, pose les deux verres de vin devant vous. « Tu sais que ça arrange tout le monde. » « Je sais surtout que ça t'arrange toi. » que tu répliques en faisant tourner la tige de la coupe entre tes doigts sans pour autant en goûter le nectare à l'intérieur. Tu ne sais pas exactement quel est l'arrangement, mais il y en a forcément un. Personne d'autre n'en est ravi sauf lui. Damon en a assez sur les épaules pour l'instant. Il aurait pu au moins lui laisser le temps de terminer ses études avant de lui mettre un boulet entre les jambes. « Je ne t'ai pas menti. Il est tombé amoureux. Mais pas de quelqu'un que tu aurais apprécié. » Pourquoi lui il saurait ça et pas toi ? C'est n'importe quoi toute cette histoire. Et même si c'est vrai, tu as confiance en le jugement de ton fils pour se trouver une bonne épouse.

« Le mariage se fera à la fin de l'année. Le plus tôt le mieux. Tu n'es vraiment pas contente ? Elle est très jolie. Elle s'appelle Megan. » Non. Tu n'es vraiment pas contente. « Elle est très jolie. C'est là ton seul critère pour la femme de ton fils ? » Les apparences. Toujours les apparences. Rien n'a réellement changé, même si tout a changé. Pourquoi il est avec Ariane si Cosimo doit être avec Megan ? « Je ne connais aucune Megan. C'est la fille de qui ? » Parce que c'est forcément la fille de quelqu'un d'important. Parce que ça avantage sûrement les deux pères de famille. Cosimo Williams n'épousera certainement pas une fille de la basse société. Il a dû prévoir quelque chose de grandiose pour son fils. C'est comme ça dans le monde auquel vous appartenez. Vous vous mariez entre vous. Il faut juste trouver le moins pire avec qui passé le reste de notre vie. Ce n'est pas la première fois que Saül parle des potentielles filles qui seraient assez bien pour marier votre fils. Jamais il n'a mentionné le prénom d'une Megan avant aujourd'hui.

« Corrige-moi si je me trompe, tu es en train d'imposer à Cosimo la vie que tu viens tout juste de fuir. C'est bien ça ? » Oui, c'est exactement ça. C'est un rire sarcastique qui sort d'entre tes lèvres avant d'être interrompu par la coupe qui y trouve chemin. « Jolie Megan sera cocu avant vingt ans. » Si vraiment Damon en aime une autre. Marier cette fille n'effacera pas ses sentiments pour cette autre personne. Il devrait en savoir quelque chose l'italien. Ce n'est que repousser le problème à plus tard. Enfin, problème, c'est que le problème de ton ancien époux. De personnes d'autres.

« Elle est très jolie. C'est là ton seul critère pour la femme de ton fils ? » Saül lève les yeux au ciel. Préférerait-elle savoir que "elle" n'est là que parce qu'il y avait un "il", et qu'il a fallu tout arrêter avant que les choses ne dégénèrent ? « Je ne connais aucune Megan. C'est la fille de qui ? » « De personne. Personne qui soit en capacité de nous faire de l'ombre, en tout cas. » Le nous quand ça l'arrange, bien sûr. L'aîné des Williams n'a que faire de son ex-épouse et de son jugement. De toute façon ce mariage aura lieu, qu'elle l'approuve ou non. C'est tout de même mieux si elle donne son assentiment parce Saül sera plus tranquille à l'idée qu'elle puisse aussi en faire part à Damon. De toute façon, cet évènement aura lieu et dans la tête de l'homme d'affaires, c'est déjà une fête. Rien ne le contente mieux que la perspective de savoir la catastrophe évitée.

Une gorgée de vin de plus est nécessaire avant d'endurer la suite. Ce qui devait être une promenade de santé tourne à l'ennuyeux et Saül aurait dû s'y attendre : rencontrer Elise n'est jamais un moment plaisant, surtout pas depuis le divorce. « Corrige-moi si je me trompe, tu es en train d'imposer à Cosimo la vie que tu viens tout juste de fuir. C'est bien ça ? » Saül étouffe un rire, secoue la tête en posant son verre. « Jolie Megan sera cocu avant vingt ans. » « Elle te donnera des petits enfants merveilleux. Qu'est-ce que tu veux de plus ? Ils seront très heureux. » Pas un mot sur sa fuite à lui, bien sûr. Cette vie à laquelle il a renoncée, Elise n'en aura pas une miette. Il ne se plaint pas depuis qu'il est avec Ariane, depuis qu'il y a Abel. Le bambin terrible remplit son père d'un bonheur immense. Saül est une personnage différent, dans la bulle qu'il partage avec Ariane. Un personnage qui ne marierait pas son fils à une inconnue simplement pour pallier à sa peur de ce qu'il ne maîtrise pas; l'amour, la liberté.

Saül lie ses mains comme il le fait habituellement devant ses collaborateurs. Toute cette rencontre n'est après tout qu'une négociation de plus, sauf que Elise n'y a pas son mot à dire. Elle ne pourra rien arrêter, de toute façon. Et elle ne le voudra pas, pas quand Saül lui aura révélé la suite. « Tu m'obliges à te parler de la personne fréquentée par Cosimo avant Megan. Et je ne voulais pas le faire, tu peux en être sûre. » Il ne lui donnera pas son identité, pour sûr. Rien qui puisse le mettre dans l'embarras. Rien qui puisse donner à Elise des armes pour faire échouer le plan parfait que Saül a mis en place pour son parfait petit garçon perdu. « Ce n'est pas une femme. Ton fils ne fréquentait pas une femme. Je t'en ai assez dit ? » Parce que ça sera tout. Parce que si elle trouve à y répondre, elle n'a pas intérêt à se montrer à ce mariage.

« De personne. Personne qui soit en capacité de nous faire de l'ombre, en tout cas. » Oh, tiens, il y a un nous maintenant ? Depuis quand ? Si c'est une tactique pour que tu te sentes faire partie de ce projet, c'est raté. Tu n'approuveras jamais ce mariage, qu'importe la raison qui le pousse à le provoquer. « De personnes ? C'est ridicule. » Encore plus si l'autre femme n'est personne. Un Williams ne marie pas personne. Les gens de la haute société se marient entre eux. C'est comme ça que ça fonctionne. C'est comme ça que ça a toujours fonctionné.

La tige de la coupe tourne entre tes doigts, alors que le rire de ton ancien époux suit tes paroles. Il s'amuse bien. Il est bien le seul. Ton regard, lui, il s'assombrit. « Elle te donnera des petits enfants merveilleux. Qu'est-ce que tu veux de plus ? Ils seront très heureux. » Comment peut-il dire de telles sottises ? Comment peut-il simplement penser que tu iras en son sens ? Il est bien placé pour savoir que tu as toujours mis Cosimo à l'avant. Ce n'est pas quelque chose qui risque de changer de sitôt. Tu feras tout ce qu'il faut pour annuler ce mariage. Ça devrait être relativement facile. C'est beau la confiance en soi. « Je veux qu'il soit heureux avec la personne de son choix. Tu devrais vouloir la même chose si tu te souciais de lui le moindrement. » Ça semblait mieux entre eux, non ? Peut-être que tu as mal compris. Peut-être que tu t'es laissé berner parce que tu avais envie de voir. Peu importe. « Il a vécu tellement d'épreuves ces temps-ci. Laisse-le tranquille. Il n'a même pas terminé ses études. » que tu insistes. Autrement dit, le mariage peut encore attendre. Ce n'est pas le bon moment pour personne. Sauf peut-être pour Saül. Encore là, pourquoi maintenant ? Que se passe-t-il qu'il ne te dit pas ? Elle est passée où l'époque où vous étiez complètement transparent l'un envers l'autre ? Elle est loin, bien loin.

Il ne te fait pas peur Saül quand il vient lier ses mains ensemble sur la table, quand il prend cet air sérieux qu'il a juste avant de remporter la partie. Tu l'observes faire. Toi aussi, tu as l'habitude de toujours l'emporter, qu'il n'oublie pas à qui il a affaire. Tes cartes en mains sont aussi belles que les siennes. « Tu m'obliges à te parler de la personne fréquentée par Cosimo avant Megan. Et je ne voulais pas le faire, tu peux en être sûre. » Tu lèves les yeux au ciel. C'est ça, cause toujours. Comme s'il était vraiment désolé d'en arriver là. Il attendait que ça, pointer les supposées fautes de ton fils - c'est toujours le tiens quand il fait des choses qui ne lui plaisent pas. « Ce n'est pas une femme. » Pas une femme ? Quoi, pas une femme ? Tes sourcils se froncent légèrement devant l'absurdité de cette phrase. Qu'est-ce qu'il raconte encore ? « Ton fils ne fréquentait pas une femme. Je t'en ai assez dit ? » Tu aurais vraiment voulu que ton visage reste de marbre, mais le masque n'est pas assez solide pour une telle annonce. La surprise se fait très facilement lire. Il te déboussole par ses paroles, Saül. Tu n'as besoin que d'un seul regard vers lui pour y lire son honnêteté. Il ne ment pas. Cosimo fréquent(ait?) un homme. Tu t'attendais absolument à tout, mais pas à ça. Tu avais tout préparé. Tu savais exactement quoi lui dire pour qu'il annule ce mariage arrangé. Tu as l'impression d'avoir tout oublié soudainement. Tu voudrais partir, à l'instant, pour mieux revenir une prochaine fois. Focus, Elise. « Laisse-moi régler ça, je vais trouver une solution. » Régler quoi ? L'homosexualité de ton fils ? Désolé ma chérie, ça ne se règle pas comme ça. Il n'y a rien à faire. Même ce mariage n'y changera rien. « Fais-moi confiance. Je ne t'ai jamais déçu. » que tu ajoutes en posant ta main sur les siennes, toujours liés ensemble. Tu essaies de gratter un peu de nostalgie. Tu as toujours fait ce qu'il attendait de toi. Tu as toujours sauver son apparence et la tienne au passage, la votre.

« Je veux qu'il soit heureux avec la personne de son choix. Tu devrais vouloir la même chose si tu te souciais de lui le moindrement. » Elle a toujours eu l'habitude de le placer au centre de ses préoccupations comme s'il était encore un enfant. Saül aussi veut que Damon soit heureux. Mais pour cela, il doit passer par certains sacrifices. Rien ne fera changer l'homme d'affaires d'avis et certainement pas la personnalité sentimentale de son ex-femme. « Tu crois que je fais tout ça par méchanceté ? » Elle se trompe, si elle pense qu'il n'est pas motivé par ses propres notions du bien et du mal. Avant, elle l'aurait compris. Avant, elle aurait comploté avec lui. Avant, elle n'aurait rien remis en cause. « Il a vécu tellement d'épreuves ces temps-ci. Laisse-le tranquille. Il n'a même pas terminé ses études. » Cette fois-ci, Saül lève les yeux au ciel. « Des épreuves, il en vivra toute sa vie, Elise. » Damon continuera de se faire bouffer par la vie si son père ne l'aide pas un tout petit peu plus à rentrer dans le droit chemin. « Tu l'as trop dorloté. » Son fils à lui quand il sait se montrer digne de porter le nom des Williams, son fils à elle quand il montre ne serait-ce qu'un soupçon de ce que Saül qualifie de "faiblesse".

Heureusement, les justifications arrivent bien vite. Saül lit dans les yeux d'Elise tout ce qu'il attendait et fort heureusement, elle semble remettre en question son discours. « Laisse-moi régler ça, je vais trouver une solution. » Doucement, Saül secoue la tête. Il n'y a pas de solution, à part celle que Saül a trouvée pour régler le problème. Elle le sait aussi bien que lui pour avoir été l'objet d'un mariage similaire. Ils le savent tous les deux depuis qu'ils ont été présentés l'un à l'autre, ce soir là. Heureusement pour Saül, son père n'était pas à l'origine de cet arrangement. Non, Saül était le seul instigateur de cette grande supercherie, autant qu'il entend être le seul au contrôle de celle qu'il arrange pour son fils. « Fais-moi confiance. Je ne t'ai jamais déçu. » Avec une douceur infinie, Saül passe son pouce sur le dos de la main d'Elise. « Tu vas t'épuiser pour rien. Je l'ai trouvée, la solution. Damon a déjà accepté. » Il sait ce qui est bon pour lui, cet enfant.

Et avant que les embrassades ne s'éternisent, Saül rompt le contact. Il invite son ex-épouse à se lever. Ils n'ont jamais fait preuve de sentimentalisme, eux dont le langage se résumait plutôt à de la colère et à des regards mauvais. Aujourd'hui, étrangement, c'est plus apaisé que jamais que Saül contemple la femme qui lui fait face. « Tu n'as qu'à continuer de faire ce que tu fais très bien : être une mère. Laisse le me détester pour deux. Ne t'implique pas. » Damon finira peut-être par comprendre qu'Elise est opposée à tout cela mais ça n'a aucune importante. Saül a les épaules pour recevoir toute la haine de son fils - mais pas Elise. Il a toujours su que des deux, elle faisait un bien meilleur parent que lui.

« Tu crois que je fais tout ça par méchanceté ? » Pourquoi est-ce que tu continues de te laisser surprendre par ses paroles malgré toutes ses années à le côtoyer ? Comment fait-il pour toujours réussir à te faire sentir coupable ? « Non. Bien sûr que non. » Il ne le fait pas par méchanceté. Tu le sais bien. Il le fait parce qu'il croit que c'est ce qu'il y a de mieux pour votre fils. Ce que tu crois et ce que lui crois sont deux visions de l'avenir de Damon complètement différentes par contre. « Des épreuves, il en vivra toute sa vie, Elise. » Oui, comme tout le monde. Ça ne veut pas dire qu'il est obligé de les vivre toutes dans la même année. Vous pouvez déjà vous considérez chanceux qu'il vous adresse la parole après tous les récents événements. Il ne semble pas voir la chance qu'il a, l'italien. « Tu l'as trop dorloté. » Oh, Saül, vraiment ? C'est peut-être lui qui ne l'a pas assez dorloté. « Quand ça ? Je n'ai même pas souvenir de l'avoir vu grandir. » Si ça sonne comme un reproche, c'est parce que c'en est un. Laisser Saül envoyer Cosimo à l'autre bout du monde est probablement la seule chose que tu regrettes. Si c'était à refaire, tu referais sûrement les mêmes erreurs. Mais pas celle-là. Tu as beau être celle de vous deux qui a le plus contribué à l'éducation de votre fils, tu n'as pas été celle qui l'a accompagnée dans son cheminement. Tu l'as trop dorloté. Quoi ? Quand il avait sept ans ? Sois pas ridicule Saül.

Il secoue la tête. Non. Il ne veut pas te laisser t'en occuper. Le dossier est déjà réglé. Tu insistes quand même, convaincu que tu pourras trouver un arrangement qu'il saura contenter toutes les parties. Tu as juste besoin d'un peu de temps. Juste… « Tu vas t'épuiser pour rien. Je l'ai trouvée, la solution. Damon a déjà accepté. » C'est trop tard. Tu avales difficilement ta salive. Il y a son pouce qui s'égare contre le dos de ta main. Ils n'annoncent jamais rien de bon les moments de tendresse entre vous deux. Ils annoncent toujours des périodes particulièrement creuses. C'est pas ça, le but d'être divorcé, de ne plus en avoir des périodes comme ceux-là ? Pas quand on est parent visiblement. Ton regard soutient le sien quelques instants avant que ta tête se détourne pour l'empêcher de voir l'eau qui monte à tes yeux. Ce n'est pas possible.

Ses mains se retirent de la tienne. La discussion est terminée. Elle n'a jamais vraiment commencé si on te demande ton avis. On te le demande pas. Il ne te le demande jamais. Il t'invite à te relever, mais tu ne bouge pas d'un poil. « Tu n'as qu'à continuer de faire ce que tu fais très bien : être une mère. Laisse le me détester pour deux. Ne t'implique pas. » Tes deux mains viennent se poser sur ton visage alors que chaque mot prononcé par Saül est durement assimilé. Il y a ta tête qui se tourne doucement de droite à gauche. Tu n'arrives plus à te concentrer sur une vraie solution, prise entre ta gorge qui se noue et la migraine qui veut t'éclater le cerveau. Le détester pour deux, Cosimo n'a aucune raison de te détester. Pas là dessus du moins. Tu ne t'impliqueras pas. Comme il le souhaite. Mais tu ne donneras jamais ton accord pour ce mariage non plus. Les paumes de tes mains viennent s'ancrer à la table. « J'ai besoin d'air. » que tu conclus en te redressant à ton tour, incapable de rester entre ses murs une seule seconde de plus. C'est trop d'informations à encaisser d'un seul coup. C'est juste trop. Tu as besoin d'air.

La seconde d'après, tu as passé la porte de l'appartement. Pourtant, même à l'extérieur, l'air ne semble pas se rendre jusqu'à tes poumons.

Tu as promis à Damon de régler tout ça.
Tu as échoué lamentablement, encore une fois.