Mai 2021. C’est sûrement la troisième maison qu’elles visitent cet après-midi. Il n’y a pas de réel coup de cœur de la part des deux sœurs qui commencent un peu à désespérer. Parce que si aujourd’hui, elles en sont à leur troisième visite, cela fait déjà plusieurs semaines qu’elles en ont vu d’autres. Stacey et Mila ont arrêté de compter. Sur les papiers, certaines font rêver, mais un peu moins quand elles s’y rendent. Pour d’autres, elles font rêver aussi jusqu’à ce qu’elles voient le loyer bien trop élevé à la semaine. Mila voit grand parfois, bien trop grand, au point de mettre en rogne Lawrence quand ils prennent le temps de regarder les annonces immobilières ensemble. Ils en ont passés des soirs tous les trois à éplucher tous les sites possibles et inimaginables pour trouver LA maison qu’ils finiraient par partager tous les trois. Parce que c’était ça le plan. Un plan que Mila et Lawrence avaient d’abord élaboré ensemble. Un plan que Stacey avait découvert au détour d’une conversation lors de la fête des voisins. Enfin, plus ou moins, car son frère était resté vague avant de l’appeler quelques jours plus tard pour lui expliquer un peu plus l’idée. Evidemment, c’est tout ce que souhaiter Stacey. Son but a toujours été de la sortir elle et surtout Mila de cette maison familiale devenue bien trop néfaste. Un père absent et incapable, croulant sous les dettes, des dettes que Stacey tentait depuis six ans d’éponger tout comme elle tentait aussi de contenir les gars qui venaient taper à leurs portes le soir pour réclamer leurs dus. Elle en avait assez de vivre dans la peur qu’un jour, on puisse faire du mal à sa cadette, quand les menaces sont devenues bien trop pesantes ces derniers mois. Alors, sa solution a été d’accepter ce job à l’Octopus, un job d’apparence anodine en tant que croupière. Pourtant, elle est bien plus que ça. Elle gère une partie du butin du Club, ce gang illégal pour lequel elle travaille depuis quatre ans désormais. Un secret bien gardé, un secret qu’elle ne compte pas révéler, même à ses proches. Parce qu’elle n’est pas fière, parce qu’il n’y a pas de quoi s’en vanter, surtout quand tout peut basculer du jour au lendemain dans ce monde qu’elle fréquente désormais. Mais c’est l’unique solution, celle de l’argent plus facile à remporter, celui qui lui permettra d’atteindre la lumière au bout du tunnel, de les sortir de cette vie minable avec Mila, et surtout d’offrir à cette dernière un avenir digne de ce nom.
Stacey tourne son regard vers Mila alors qu’elles viennent de s’installer dans la voiture « Ne fais pas cette tête, on va finir par trouver ». Elle sent le désespoir dans ses yeux et tente de camoufler le sien pour ne pas inquiéter davantage sa petite sœur « On a une dernière maison à voir. Peut-être que ce sera la bonne ». Surtout que l’annonce était plus qu’alléchante, que les photos montraient une maison moderne, avec quatre chambres, deux salles de bains et même un espace qui permettrait soit d’aménager une salle de jeu pour Maddox, soit un atelier pour Mila et ses créations. Un petit jardin attenant à la maison, bien qu’il ne soit pas très grand, ferait sûrement le bonheur de leur neveu. « Tu as l’adresse ? Tu me guides ? ». Stacey démarre le moteur et elles partent en direction de l’adresse de la dernière maison à visiter. Mila la guide tout le long du chemin dans le quartier de Redcliffe. C’est ici qu’ils ont décidé d’établir leur recherche, afin de permettre à Lawrence de rester proche de Maddox, puisque Danika habitait aussi le quartier. Arrivée devant la maison, Stacey se stationne et regarde par la vitre « Pas mal vu d’ici ». Elle sourit, un sourire qui se veut rassurant à l’attention de Mila. Elles descendent de voiture et l’agent immobilier vient à sortir de la maison, tout sourire. Mila et Stacey se présentent et finissent par suivre l’homme à l’intérieur. « Donc ici, tout de suite sur votre gauche vous avez l’espace média, avec la télévision, idéal pour vos soirées en famille ». Evidemment, cela vaut un échange de regard entre les deux sœurs Gallagher, qui pensent tout de suite à leur soirée pyjama devant Netflix. Law allait être ravi. Il leur montre ensuite les trois premières chambres ainsi que la salle de bain avant de déboucher sur la cuisine et l’espace salle à manger/salon. L’ameublement est moderne, l’endroit est lumineux et aucune des deux n’a encore émis de commentaires sur les lieux. Mais pour Stacey, il y a un coup de cœur certain, notamment quand elle voit l’immense cuisine dans laquelle elle se projette totalement. « Et le meilleur pour la fin ». Elles arrivent alors dans la chambre principale, dans laquelle il y a un dressing et une salle de bain privée. Avant que Mila ne dise quoi que ce soit, Stacey lui chuchote à l’oreille « N’y penses même pas, ça se jouera entre Law ou moi ». Elle lui fait un clin d’œil, elle sait qu’elle va râler et vient alors à la bousculer légèrement avant de regarder un peu plus en détails les lieux.
De retour dans la pièce principale, l’agent immobilier s’excuse « Je vous laisse vous approprier un peu plus les lieux, je dois prendre ce coup de fil ». Stacey acquiesce et le regarde s’éloigner en dehors de la maison. Une fois qu’il est loin de leur champ de vision, l’ainée des Gallagher vient à se retourner vers Mila « Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ? ».
Mila savait pertinemment qu’elle avait des goûts très arrêtés. Et elle savait tout aussi bien qu’elle pouvait être...bornée, parfois. Ce n’était pas pour rien qu’elle appréciait autant la couture : la plupart du temps, elle travaillait seule, elle faisait ses propres choix, décidait elle-même des couleurs qu’elle allait choisir, comment elle allait les associer, quelles matières utiliser...Elle ne considérait pas qu’elle avait la science infuse - bien que tout le monde autour d’elle devait admettre que c’était elle qui avait un sens de la mode le plus prononcé - mais elle estimait qu’elle avait un sens développé de tout ce qui touchait à la beauté et à la décoration. Alors quand il s’agissait de choisir une maison avec Stacey, dans laquelle elle vivrait avec Law’...Disons que la tâche s’était avérée plus compliquée que prévu. La jeune Mila avait hâte de déménager. Elle avait de plus en plus de mal à supporter la maison dans laquelle elle était, même si les lieux la ramenaient à de doux souvenirs avec leur mère. Mais les magouilles de leur père étaient devenues bien trop présentes et ils étaient grand temps qu’elles partent. Mais pas à n’importe quel prix. Déjà, parce que plus les visites avançaient, et plus Mila se rendait compte d’à quel point la vie était chère, et d’à quel point, même à trois, ils n’avaient pas les moyens de s’offrir ce qu’ils voulaient. Et puis, Mila était catégorique : hors de question qu’elle finisse dans une maison où le papier peint détonnait avec le sol et où les lustres dataient de l’an 1740.
En montant dans la voiture pour rejoindre leur dernière destination, Stacey se rendit bien compte que Mila commençait à désespérer. « Ne fais pas cette tête, on va finir par trouver. On a une dernière maison à voir. Peut-être que ce sera la bonne ». L’adolescente haussa les épaules. Elle avait arrêté de compter le nombre de maisons visitées qui ne convenaient pas. “Je te préviens, Stacey, si on tombe encore sur une maison où le sol a des tâches de la même couleur que les frites de McDonald's, j’abandonne ! Je fais demi-tour sans même regarder le reste !”. Mila commençait à se demander sérieusement ce que les gens fabriquaient dans leurs logements...Et à la réflexion, elle n’était pas certaine de vouloir savoir. Elle guida Stacey aussi bien qu’elle le put, même si le GPS sur son téléphone faisait des siennes. “A droite...non...à gauche...Stacey explique-moi à quoi ça sert toute cette technologie si c’est pour faire 20 fois le tour du quartier !”. Mila devait bien l’avouer, elle était légèrement stressée. C’était un peu la maison de la dernière chance.
De l’extérieur, la maison avait l’air plutôt accueillante. Stacey et Mila se dépêchent de rejoindre l’agent immobilier. Mila inspecte tout ce qu’elle peut. Pas de traces jaunies sur le sol. Une décoration plutôt fraîche et moderne. De grands espaces, pas mal de luminosité. Mila n’aurait jamais pensé dire ça un jour, mais elle commençait à être conquise par les lieux. La salle média ne fait que renforcer l’impression de Mila. Elle jette un coup d'œil à sa sœur, qui, même si elle ne dit rien, a les yeux qui brillent. “On va devoir instaurer un planning à l’entrée de la salle, sinon Law’ va squatter le canapé tous les week-end…”. Et autant dire que du haut de ses 1,85 mètres et on ne sait quel poids, ce n’est pas Mila qui allait le déloger facilement de son trône de coussins. Le clou du spectacle était sûrement la chambre, que l’agent immobilier prit soin de présenter en dernier. « N’y penses même pas, ça se jouera entre Law ou moi ». Mila lève les yeux au ciel. Elle fait semblant d’être blasée, mais au fond, elle sait que cette chambre n’aurait pas été une bonne idée. Mila ne savait que trop bien ce qui risquait d’arriver avec cette salle de bain aseptisée bien trop proche de sa chambre. Une pensée de travers, un souvenir douloureux, et ses jambes auraient vite fait de retrouver le chemin de ses amies coupantes. Mais ça, Stacey ne le savait pas. Alors Mila devait bien trouver une autre excuse. “J’ai hâte de vous voir vous battre au Monopoly pour savoir qui aura la chambre...De toute façon, Stacey, où est-ce que tu aurais voulu que je mette mes robes ? Et mon mannequin en plastique ? Et ma machine à couture ?”. Elle aurait pu continuer encore pendant des heures.
La visite se termina, laissant Stacey et Mila rêveuses dans la pièce de vie. Mila traîna quelques instants dans la cuisine, glissant ses mains sur les plans de travail immaculés. « Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ? ». Mila prend son temps pour répondre. Elle s’approche du frigo - qui d’après l’agent immobilier, devrait rester sur place, l’ouvrant en grand. “Tu crois que Law’ aura suffisamment de place pour ses brocolis et ses milkshakes protéinés, là-dedans ?”. Elle se retourne alors vers Stacey, souriante. Elle s’approche de la fenêtre qui donne sur l’extérieur. Le jardin lui fait presque plus envie que le reste de la maison. Des siestes au soleil dans un hamac, des barbecues...Mila a des idées plein la tête. “Tu crois qu’on pourrait mettre une piscine ?”. Trop d’idées, peut-être.
Mai 2021. Elles tiennent toutes deux à quitter cette maison familiale dans laquelle elles ne retrouvent plus les mêmes saveurs qu’autrefois. Cette maison remplie de tant de souvenirs heureux, des années où leur mère était toujours en vie et où elles étaient aimées et choyés. Des années durant lesquelles leur père se démenait pour sa femme mais aussi pour ses filles. Cet homme qui s’est laissé couler peu à peu sans se soucier d’elles, sans se battre pour elles. Au contraire, il les expose de plus en plus au danger, obligeant ainsi Stacey à prendre les devants et à leur trouver une solution permanente. Qu’importe sa réaction quand il les trouvera en train de faire les cartons ou les charger dans un camion pour leur nouvelle maison. Qu’importe s’il les implore de rester, leur promettant de changer. Il l’a déjà fait maintes et maintes fois, il n’a jamais tenu parole. Alors, Stacey tout particulièrement est déterminée à ce qu’elles trouvent la maison parfaite pour elles, mais aussi pour Law. Car ce dernier va aménager avec eux et, même si elle ne le dit pas, Stacey se sent soulagée de le savoir présent quand parfois, elle peine à tenir le choc. « Je te préviens, Stacey, si on tombe encore sur une maison où le sol a des tâches de la même couleur que les frites de McDonald’s, j’abandonne ! Je fais demi-tour sans même regarder le reste ! ». Stacey acquiesce d’un air triste, espérant vraiment que cette dernière maison vers laquelle elles se rendent désormais sera la bonne. Elles en ont visité des maisons, un bon nombre depuis quelques semaines, mais aucune n’a retenu leur attention. « A droite… non… à gauche… Stacey explique-moi à quoi ça sert toute cette technologie si c’est pour faire 20 fois le tour du quartier ! ». A ça, l’ainée des Gallagher se met à rire de bon cœur « C’est qui la plus vieille des deux-là ? Tu veux pas le refaire à nouveau que je t’enregistre. Comme ça, quand j’estimerai que tu es trop sur ton téléphone, je sortirai ton propre argument : à quoi serve toutes ces technologies ? Ca ferait un bon sujet de dissertation, tu devrais soumettre l’idée à un de tes professeurs ». Elle se moque, en profitant pour détendre l’atmosphère, sentant bien que Mila est sur les nerfs pour réagir de la sorte. Elle est impatiente et son caractère bien trempé n’est pas toujours des plus aisés à gérer, surtout pour Stacey qui est l’opposé. C’est pour cela qu’elle est bien contente d’aménager avec Lawrence, parce qu’elle sait qu’il parvient plus à la canaliser.
Arrivée devant leur potentielle nouvelle maison, les deux jeunes femmes pénètrent à l’intérieur en suivant l’agent immobilier. La première pièce à gauche de l’entrée est une salle média dans laquelle se trouve un grand canapé et une télévision « On va devoir instaurer un planning d’entrée de la salle, sinon Law’ va squatter le canapé tous les week-end… ». Stacey pouffe légèrement de rire, acquiesçant « Oui mais on aura une arme secrète : Maddox ». En effet, si le petit se met à courir partout ou à faire une bêtise, il y a moyen qu’elles y arrivent « Au pire des cas, tu te mettras à brailler toi aussi, j’en suis sûre ça le convaincra de s’en aller ». Elle lui tire la langue alors qu’elle passe son bras sous le sien pour continuer la visite. Après avoir visité les autres pièces de la maison, l’agent immobilier leur présente la chambre principale avec salle de bain. Pour Stacey, il est hors de question que Mila ait cette chambre, ce qui ne semble pas déranger la cadette « J’ai hâte de vous voir vous battre au Monopoly pour savoir qui aura la chambre… De toute façon, Stacey, où est que tu aurais voulu que je mette mes robes ? Et mon mannequin en plastique ? Et ma machine à couture ? ». Stacey penche la tête comme pour réfléchir « De toute évidence, quelque soit la chambre que tu comptes prendre, elle ne sera jamais suffisamment grande. Mais le garage est spacieux cela dit, peut-être qu’on pourrait envisager d’y aménager ton atelier. Ou dans la salle média justement ». Stacey, sans s’en rendre réellement compte, commençait déjà à se projeter dans cette maison qui était lumineuse et moderne. Un bon signe en tout cas. « Et si on doit se départager au Monopoly, je pense que j’ai toutes mes chances de gagner », lance-t-elle avec un air sûre d’elle, ce qui ne lui arrive que très rarement.
L’agent immobilier s’absente pour passer un coup de fil et leur laisser le temps de réfléchir. Stacey demande alors à Mila ce qu’elle en pense « Tu crois que Law’ aura suffisamment de place pour ses brocolis et ses milkshakes protéinés, là-dedans ? ». Stacey s’approche du frigo devant lequel sa sœur se trouve et observe l’intérieur « Uhm, ça devrait le faire » répond-t-elle d’un air sérieux. Elle vient à ouvrir les différents placards suffisamment spacieux pour leur permettre de ranger toute sorte de vaisselle possible et inimaginable. Cette maison a vraiment tous les critères pour qu’ils s’y sentent bien tous les trois, et même tous les quatre lorsque Lawrence aura Maddox « Tu crois qu’on pourrait mettre une piscine ? ». A nouveau, Stacey vient à rejoindre Mila pour regarder à travers la baie vitrée « Ca risque d’être un peu étroit pour une piscine, Mila ». Et puis, mettre une piscine implique des frais supplémentaires, et pas négligeables. Elle ne le précise pas, se contentant de rester sur le détail de la place. « On fait une vidéo à Law’ pour lui demander son avis ? Tu fais le guide ? » fait-t-elle en dégainant son téléphone « Bon, t’éternises pas non plus, j’ai pas beaucoup de batterie. Prête ? ». demande-t-elle alors qu’elle pointe l’appareil sur sa sœur, prête à enregistrer.
Dans la voiture, Mila avait bien entendu la remarque à propos de son âge et à propos du téléphone. Elle n’avait même pas pris la peine de répondre, et s’était contenté, pour probablement la deux-cent-cinquantième fois du trajet, de lever les yeux au ciel. Habituellement, elle aurait répondu quelque chose. Mais pour une fois, Mila avait la gorge bien trop nouée par le stress pour rétorquer quoi que ce soit à sa sœur. Et en plus, elle savait que Stacey était dans le même état qu’elle, et qu’elle faisait simplement ça pour détendre l’atmosphère. La jeune adolescente n’était pas la seule à vouloir quitter le domicile familial et à fuir la figure qui leur servait de paternel. Si on pouvait parler de figure. Une vieille trogne qui ressemblait plus à un cornichon moisi oublié au fond d’un pot serait plus ressemblant à celui qui leur servait de père. Même si elle ne dit rien, elle prit soin de noter la remarque de Stacey dans un coin de sa tête. Elle trouverait bien un moyen de le ressortir dans une autre conversation et de tourner ça à son avantage, même si c’était dans dix ans. Pas folle, la guêpe.
Le stress de Mila - et probablement celui de Stacey - retombe comme un soufflé mal cuit lorsqu’elle s'aperçoit que la maison est bien au-delà de ses attentes. Enfin, c’est pas trop tôt, aurait-elle voulu dire à l’agent immobilier qui s’occupait d’elles depuis le début. Elle avait bien essayé de convaincre Stacey de changer d’agence, mais les frais que prenaient le gars étaient bien trop importants pour qu’elles puissent partir comme ça. Alors, Mila avait dû faire avec. Elle avait dû supporter la cravate mal nouée du lourdaud et ses tâches de graisse sur le pantalon, en plus des tâches jaunes sur les moquettes. Elle avait fini par perdre espoir. Mais il fallait croire que leur chance avait tourné. La salle média avait particulièrement plu aux deux soeurs. La vieille télé qu’elles avaient à la maison commençait à rendre l’âme, et un nouvel endroit pour regarder leurs films et séries préférés n’était pas de refus. Sauf si Law’ squattait tout le temps, mais Stacey avait déjà deux idées derrière la tête. Mila tourna des yeux pétillants vers sa soeur. « C’est pas faux. Je pense que j’aurais même pas besoin de me rouler par terre…”. Elle plaça une main sur sa hanche, rejetant ses cheveux en arrière, faisant mine de jouer la diva. “Il ne sait pas me dire non”. C’était légèrement exagéré, mais pas totalement faux non plus. Après tout, il l’avait accepté chez lui à une heure tardive la veille du match où il s’était fait écraser la tronche et réduire les côtes en bouillie.
La visite se poursuit dans la plus grande chambre de la maison. Enfin, la plus grande chambre. Aux yeux de Mila, rien n’était assez grand. Elle vivrait dans un château, qu’elle n’aurait toujours pas assez de place pour l’ensemble de ses collections de vêtements. Sans compter les chaussures. Et les accessoires. Et Mila n’était pas la seule à souligner son défaut. « De toute évidence, quelque soit la chambre que tu comptes prendre, elle ne sera jamais suffisamment grande. Mais le garage est spacieux cela dit, peut-être qu’on pourrait envisager d’y aménager ton atelier. Ou dans la salle média justement ». Mila fronça le nez. Le garage, c’était une idée. Sauf qu’encore une fois, il y avait Law. Elle commença à compter sur ses doigts. “Le garage ? Laisse-tomber, avec ta voiture, celle de Law, et le fait qu’il ne me laissera jamais approcher de sa bicyclette à moteur…”. Elle baissa les bras, faisant mine d’abdiquer. “Non, Stacey, je pense qu’il faut qu’on se rende à l’évidence : tu vas devoir me construire une cave. Comme Batman”. Mila se contenterait de la salle média, mais elle aimait ajouter un petit effet dramatique à ses histoires. Stacey envisagea le Monopoly, où elle était sûre de gagner. Mila ne put s’empêcher de rire. “Ou alors tu vas finir la partie en prison comme la dernière fois et tu vas passer la soirée à râler sur le canapé, non ?”.
La visite s’acheva dans la pièce de vie. Le frigo, check. La piscine ? Pas check, et visiblement Stacey ne cèderait pas dessus. “Même pas une piscine gonflable ? Une piscinette ? Une bassine ?”. Rien que d’imaginer Law’ dans une bassine, c’était hilarant, et Mila donnerait cher pour voir ça pendant les beaux jours. En parlant de Law, Stacey semble parée à lui préparer une vidéo. Mila grimace, comme si elle n’avait pas envie, mais bien entendu, elle est toujours ravie de pouvoir se mettre en avant. “Attends, j’ajuste ma robe”. Un petit coup de main par là, les cheveux en arrière, et...Action ! “Salut Law’, c’est ta sœur préférée ! Je crois qu’on a trouvé la maison de tes rêves”. Mila se met à tournoyer sur elle-même pour lui montrer les lieux. “Bon, par contre, il n’y a que deux chambres, tu devras dormir sur le canapé avec Maddox, sorry honey”. Mila pouffe de rire, galvanisée par l’instant. “Et t’inquiètes pas, t’as de la place pour ta dulcinée...Comment elle s’appelle, déjà ? Suzie, ta moto ?”. Elle marque une légère pause. “Par contre, pas de cave à vin, vous allez pas pouvoir vous saoûler souvent avec Stacey”. La batterie du téléphone de Stacey se met à clignoter, indiquant qu’il arrive à la fin. Tant pis, elles lui enverraient des photos. Mila reprend son sérieux, relevant les yeux vers Stacey. Mila faisait rarement son âge, mais en regardant sa soeur, elle eut soudain l’impression d’avoir huit ans à nouveau. Elle admirait sa soeur. Elle était son rocher, son pilier, son phare au milieu des tempêtes. Et même si elle ne l’avouerait probablement jamais, elle était contente d’être ici avec elle. “Dis, Stacey, tu crois qu’on a trouvé notre maison ?”.
Mai 2021. La maison qu’elles découvrent et qui semblent être celle de la dernière chance est une agréable surprise. Elles s’imaginent déjà à l’intérieur, du moins Law, à peine la première pièce visitée. Une salle média où ils pourront s’installer pour leur nombreuses soirées pyjama où Mila ne manquera pas de faire tourner en bourrique le pauvre Lawrence qui va sûrement regretter bien plus d’une fois d’avoir accepter de vivre avec elles. « C’est pas faux. Je pense que j’aurais même pas besoin de me rouler par terre… Il ne sait pas me dire non ». Elle prend cette posture de diva qui ne manque pas de faire pouffer de rire Stacey, bien que ses yeux tournoient dans ses orbites. Cependant, elle ne peut que reconnaitre que sa sœur a raison, quand elle sait toujours obtenir gain de cause auprès de leur frère.
Au fil de la visite, les filles continuent à s’imaginer accaparer chaque pièce une par une. Elles pensent notamment à l’atelier de Mila qui est tout à fait aménageable au sein de cette potentielle nouvelle maison « Le garage ? Laisse tomber, avec ta voiture, celle de Law, et le fait qu’il ne me laissera jamais approcher de sa bicyclette à moteur…Non, Stacey, je pense qu’il faut qu’on se rende à l’évidence : tu vas devoir me construire une cave. Comme Batman ». Mila en fait toujours des tonnes et sa sœur ainée est habituée à la longue. L’agent immobilier se permet d’ailleurs un commentaire « Désolé, mais nous n’avons pas ça ». Stacey affiche un faux air désolé à l’attention de sa sœur « Tu vas devoir te contenter de la salle média. Quel dommage ». Elle attrape sa petite sœur par le cou en passant son bras autour et la serre légèrement contre elle avant de la relâcher en lui faisant une grimace. Encore une fois, même si Stacey n’avait pas besoin à elle, elle préférait penser à sa petite sœur avant son confort à elle. Excepté pour cette chambre avec salle de bain privative qu’elle va devoir se départager avec Law… dans une partie de Monopoly « Ou alors tu vas finir la partie en prison comme la dernière fois et tu vas passer la soirée à râler sur le canapé, non ? ». « C’est faux ! » répond-t-elle immédiatement, niant avoir fait sa tête de cochon en perdant face à eux la dernière fois « Puis Law est connu pour être un tricheur. D’ailleurs, t’a intérêt à être totalement impartiale lors de ce duel ! Je compte sur toi ! ». Peut-être que Stacey pourrait utiliser un de ses tours de passe-passe, maintenant qu’elle sait user d’illusion pour permettre aux dealeurs d’empocher leur argent à sa table de jeu. Mais si pour le Club, elle a aucun scrupule à le faire, en revanche, envers son frère, elle ne le permettra pas.
Il y a un petit moment de répit, une fois la visite terminée. Mila s’imagine déjà dans une piscine dans le minuscule jardin à l’arrière « Même pas une piscine gonflable ? Une piscinette ? Une bassine ? ». Stacey ne peut s’empêcher de rire en tournant sa tête de gauche à droite comme désespérée par les idées saugrenues de sa petite sœur « Aller, va pour la bassine ! » répond-t-elle en lui lançant un clin d’œil. Stacey propose à Mila de réaliser une petite vidéo pour permettre à Lawrence de visualiser ce qui semble être leur future maison « Attends, j’ajuste ma robe ! ». L’ainée râle un peu en voyant sa sœur faire des manières « Y’a que Law qui verra cette vidéo, microbe ! Aller grouille-toi ! ». Elle n’a plus beaucoup de batteries et vu la lenteur de sa sœur, pas certaine qu’elles parviennent à faire tout le tour de la maison « Salut Law’, c’est ta sœur préférée ! Je crois qu’on a trouvé la maison de tes rêves » Et à l’arrière, lorsqu’elle parle de sœur préférée, Lawrence attendra un « hey ! » qui proteste contre cette affirmation. « Bon, par contre, il n’y a que deux chambres, tu devras dormir sur le canapé avec Maddox, sorry honey (…) et t’inquiètes pas, t’as de la place pour ta dulcinée… comment elle s’appelle, déjà ? Suzie, ta moto ? (…) par contre, pas de cave à vin, vous allez pas pouvoir vous saouler souvent avec Stacey ». « Dommage, on en aurait bien besoin pour te supporter, mais on trouvera une solution t’inquiètes pas », lance alors Stacey avant que le téléphone ne finisse par s’éteindre, faute de batterie. « Bon, tant pis, tu prendras des photos ». Elle range son téléphone à l’arrière de son jean, voyant sa petite soeur la fixait soudainement. « Dis, Stacey, tu crois qu’on a trouvé notre maison ? ». Elle retrouve en Mila son âme d’enfant, celle de la gamine de onze ans, lorsqu’elles ont tragiquement perdu leur mère dans un accident de voiture. Le même air quand elle lui a demandé d’être là pour elle, de ne jamais l’abandonner. A cet instant, Stacey s’approche de sa petite sœur, sa gorge se serre même, alors que son regard se veut attendrie. « Je crois, oui. Elle te plait ? » lui demande-t-elle d’une voix douce et bienveillante, tout en la serrant doucement contre elle en passant son bras autour de son épaule.
L’agent immobilier revient au même moment vers elles « Alors, vous signez ? ». Stacey échange un regard avec sa sœur, qui a envoyé les photos à Lawrence et qui, visiblement, semble emballer. La réponse est alors immédiate « Oui, on la prend ». L’agent immobilier vient alors à présenter à Stacey les papiers qu’il manque à remplir et à signer ce qu’elle s’empresse à faire. « Quand est-ce que nous pourrons aménager ? » « Début juin, cette maison sera la vôtre ». « Parfait, merci beaucoup ». L’agent règle encore quelques détails, laissant le temps encore aux filles de profiter de leur futur chez elles. Elle se dirige vers Mila qui semble pensive « Tu penses à quoi ? » demande-t-elle doucement alors qu’elle vient déposer un baiser rapide sur sa tempe.
Mila n’était pas certaine que cette histoire de Monopoly soit une bonne idée, finalement. Elle comprenait tout à fait l’enjeu du choix de la chambre pour chaque personne de la famille, mais elle savait aussi très bien comment finissait chaque partie de jeu de société. Si ce n’était pas Stacey qui partait bouder sur le canapé, c’était Law’ qui ruminait pendant les quarante minutes suivantes qu’il aurait dû jouer de telle façon plutôt qu’une autre, et qui s’agaçait ensuite sur tout ce qui bougeait. Comme si tout le monde était responsable de ses faibles compétences en jeu de société. Bon, même si Mila ne l’avouait pas, parce que ça l’arrangeait bien, elle n’était pas forcément la mieux placée pour juger les réactions face aux jeux de société. Disons qu’elle avait fini enfermée dans sa chambre en refusant de parler à qui que ce soit plus d’une fois. Alors Mila prit un malin plaisir à faire savoir à sa sœur qu’elle allait sûrement finir sur le canapé comme lors de la dernière partie. « Puis Law est connu pour être un tricheur. D’ailleurs, t’a intérêt à être totalement impartiale lors de ce duel ! Je compte sur toi ! ». Mila haussa les épaules, avant de les rabaisser, comme si elle s’avouait vaincue. “Je refuse catégoriquement de choisir entre vous deux...Si je me ligue avec toi contre Law’, il refusera de me trimballer partout, ensuite…”. Elle devait bien avouer que c’était pratique d’avoir un chauffeur attitré quand l’occasion se présentait. Et Mila n’était pas prête à lâcher ça, encore moins pour une chambre qui ne la concernait absolument pas. Pas folle, la guêpe.
La visite touchait à sa fin. Mila avait une bonne sensation, une bonne impression sur cette maison. Elle était certaine que c’était également le cas de Stacey, qui avait des étoiles dans les yeux quand elle observait les lieux. Et elle était certaine que ce serait le cas de Lawrence. Même si Mila était tout aussi certaine qu’il aurait pu vivre dans une boîte en carton ou un garage et s’en contenter. Elle avait toujours douté de son sens de la décoration. Elle espérait qu’elle trouverait un moyen de s’occuper de la décoration de sa chambre. Peut-être qu’elle devrait le faire avant même qu’il ait le temps de poser le pied dans la maison...« Y’a que Law qui verra cette vidéo, microbe ! Allez, grouille-toi ! ». Stacey ne comprenait vraiment rien : il était essentiel que sa robe soit parfaite sur la vidéo, si jamais Lawrence la montrait à quelqu’un. Mila grogna. “Je ne suis pas un microbe, pour la deux cent cinquantième fois !”. Mila détestait ce surnom. Un microbe, c’était moche. Et ça rendait les gens malades. Mila ne pensait pas être moche, et elle rendait encore moins les gens malades. Au pire, elle les faisait tourner en bourrique. Mais ce n’était pas pareil. Mila commença à tourner la vidéo de présentation de la pièce de vie. Elle était contente de pouvoir faire ça pour Lawrence. Elle pensait que ça lui ferait plaisir aussi. Elle blagua sur la non présence d’une cave à vin. « Dommage, on en aurait bien besoin pour te supporter, mais on trouvera une solution t’inquiètes pas ». Mila plaça les mains sur ses hanches, outrée par les propos de sa sœur. “Mademoiselle Gallagher n°1, vous filez un mauvais coton ! Je suis une jeune fille adorable et pleine d’amour, comment osez-vous !”. Quelques instants plus tard, la fausse animosité qui régnait entre les deux sœurs retomba comme un soufflé au fromage. Mila observait sa soeur avec cette petite lueur dans le regard. La même qu’elle avait quand elle était enfant. L’interrogeant sur la maison. « Je crois, oui. Elle te plait ? ». Pour toute réponse, Mila hocha vivement la tête.
Alors que l’agent immobilier était revenu dans la pièce, et que Stacey s’occupait des derniers préparatifs, Mila s’avança vers la baie vitrée qui donnait sur l’extérieur. Elle posa ses doigts sur la vitre, effleurant à peine le carreau. Elle était soudainement prise d’une forme de mélancolie. Une grande tristesse qui l’emplissait, comme souvent lors de moments importants comme celui-ci. Elle remarque à peine le baiser de Stacey sur sa tempe. « Tu penses à quoi ? ». Mila ne répond pas tout de suite. Parce qu’elle réfléchit, parce qu’elle essaie de réfréner la boule qui a commencé à se forger dans sa gorge. Mila ne pleure pas, pas devant sa sœur du moins. Mila est forte. Les doigts toujours sur la vitre, elle essayait de mettre un mot sur les sensations qu’elle avait à ce moment-là. La maison l’emplissait d’une douce chaleur, une forme de sérénité qu’elle n’avait pas ressenti depuis un certains temps. Mais il y avait aussi cette forme d’appréhension. Fixant toujours l’extérieur, elle déglutit péniblement, les pics dans sa gorge toujours présents. “Tu crois que Maman est fière de nous ?”. Les mots étaient sortis péniblement de sa bouche. A peine les avait-elle prononcé que les larmes commençaient à monter dans ses yeux. Venir ici, c’était en quelque sorte abandonner les souvenirs qu’elles avaient avec leur mère dans leur maison familiale. Chaque pan de mur, chaque cadre photo, chaque meuble retenait secrètement un souvenir d’elle. Mila le savait, parce qu’elle les revoyait souvent défiler quand elle effleurait quelque chose. Le plan de travail de la cuisine : leur mère qui cuisinait un gâteau au chocolat ; le meuble dans l’entrée : leur mère qui cherchait ses clés comme tous les matins. Ici, la vitre froide sous les doigts de Mila ne lui rappelait rien. Plus de souvenirs. Rien que du vide. De l’espace pour une nouvelle vie et de nouveaux souvenirs. “Tu crois qu’elle nous en voudrait de venir ici ?”. Sa voix s’était légèrement cassée sur les derniers mots. Ce sentiment soudain d’abandonner leur mère emplissait son corps d’adolescente et la submergeait. Elle laissa une larme couler le long de sa joue, espérant que Stacey ne la verrait pas.
Mai 2021. « Je refuse catégoriquement de choisir entre vous deux… Si je me ligue avec toi contre Law’, il refusera de me trimballer partout, ensuite… » « Donc, tu refuses de choisir entre nous deux mais tu me dis indirectement que tu choisiras son camp juste pour tes propres intérêts » répond aussitôt Stacey, laissant échapper un soupir « Je retiens » elle fait mine de se renfrogner, quand évidemment il n’en est rien, finissant par lever les yeux au ciel pour se reconcentrer sur la suite de la visite. Lawrence et Mila ont eu des débuts difficiles, la petite dernière, âgée de six ans à l’époque, craignait que les retrouvailles entre les Campbell ne la mettent à l’écart et que Stacey puisse partir du jour au lendemain pour aller vivre avec son frère biologique. Incontestablement, la blonde n’aurait jamais fait ça et, une fois Mila rassurée, l’entente entre les deux s’est largement améliorée. Au plus grand plaisir de Stacey, même si parfois elle a la sensation que les deux se liguent contre elle, comme lors de leurs nombreuses parties de jeux de société.
Le temps de réfléchir si cette maison était faite pour elle mais aussi pour permettre d'avoir l'aval de Lawrence sur celle-ci, Stacey propose à Mila de faire une vidéo. Mila en fait des tonnes, cherchant à être impeccable sur la vidéo, ce que Stacey ne manque pas de lui faire remarquer « Je ne suis pas un microbe, pour la deux cent cinquantième fois ! ». L’ainée lui donne ce surnom depuis sa plus tendre enfance. Stacey se rappelle très bien de la première fois où elle l’a surnommée ainsi : Mila devait avoir un an tout au plus, elle onze. Elle la tenait sur ses genoux, face à elle et s’amusait à lui faire des grimaces. Et puis, Mila lui éternua dessus, projetant quelques postillons au passage en pleine figure de sa sœur, cette dernière exprimant son dégout sans retenue : "baaahh, mais t’es dégoûtante. T’es un microbe, toi ! "Le sourire amusé de sa petite sœur illuminant son visage entraîna un similaire sur les lèvres de Stacey "C’est le mot microbe qui te fait sourire comme ça ? Microbe, microbe" s’amusait-t-elle à répéter alors tout en chatouillant sa petite sœur. C’est ainsi que le surnom lui resta et même si cette histoire, Stacey lui avait raconté un nombre incalculable de fois, rien ne semblait la convaincre qu’elle méritait en partie ce surnom. Mais surtout, de la part de l’ainée, c’était surtout affectueux qu’autre chose. « Mademoiselle Gallagher n°1, vous filez un mauvais coton ! Je suis une jeune fille adorable et pleine d’amour, comment osez-vous ! ». Stacey manque de s’étouffer autant par la forme que le fond de la réponse de sa sœur. Elle pouffe de rire, mettant sa main devant sa bouche comme pour se retenir, en vain.
Il n’y a pas de doutes, cette maison entre dans tous leurs critères et est un réel coup de cœur pour les sœurs Gallagher. Stacey se charge de la paperasse avec l’agent immobilier. Une fois fait, elle retrouve Mila près de la baie vitrée qui semble ailleurs. Elle l’interroge alors, lui demandant à quoi elle pense, une réponse qui tarde cependant à venir, faisant pencher légèrement la tête de Stacey, intriguée par l’air absent de sa petite sœur. « Tu crois que Maman est fière de nous ? ». Elle est surprise par la question, attristée aussi que Mila puisse en douter. Du moins, qu’elle puisse douter que sa mère ne serait pas fière d’elle quand elle n’a rien à se reprocher. Contrairement à Stacey, qui travaille pour une organisation criminelle, trempant dans le blanchiment d’argent. Et même si c’est pour la bonne cause, Stacey est loin d’être fière d’elle. Son air attristé se transforme alors en air coupable, sa main venant se poser dans le dos de sa petite sœur doucement « Mila, bien sûr que oui… pourquoi elle ne le serait pas ? ». Sa voix est hésitante, non pas pour sa cadette, elle n’a aucun doute là-dessus, mais pour elle-même. Mais, ça, elle ne l’avouera pas à sa sœur. Et elle fera en sorte qu’elle ne soit jamais au courant, elle fera en sorte qu’elle ne soit jamais impliquée car elle ne se le pardonnerait jamais… « Tu crois qu’elle nous en voudrait de venir ici ? ». « Non, Mila ». Cette fois, Stacey est sure d’elle et ne démordra pas. Ce choix qu’elle a fait, ce choix qu’elles ont fait est nécessaire et indispensable. Pour leur bien, pour leur sécurité. Parce que leur père est un incapable et ne cesse de les mettre à danger. Ironie, quand tu nous tiens, Stacey a cependant un pincement au cœur quand elle amène une part de danger avec elle, elle qui est bien trop impliquée dans le Club désormais. Elle voit la larme qui s’écoule le long de la joue de sa sœur. Elle l’incite alors à se tourner vers elle, posant une main sur chaque bras de sa sœur, ancrant son regard dans le sien « Mila, elle ne nous en voudrait pas parce qu’on fait le bon choix, tu m’entends ? On ne peut plus rester dans cette maison parce qu’on y est plus en sécurité et parce qu’il faut aussi qu’on avance… ». Les mots sont durs à prononcer, même si elle les prononce d’une manière douce. Elle vient à effacer la larme qui a perlé avec son pouce, caressant ensuite la joue de Mila « Les souvenirs avec maman ne s’effaceront pas, ils resteront toujours en nous, peu importe où nous vivons, tout comme maman restera toujours dans notre cœur ». Un fin sourire apparait sur les lèvres de l’ainée, un sourire qui se veut rassurant « Et, ici, » ajoute-t-elle en tournant son regard vers ce qui sera bientôt leur nouveau chez-elle « nous allons en créer de nouveau, aussi beau et mémorable ». Stacey reporte son regard sur sa sœur qu’elle tire légèrement vers elle pour la serrer dans ses bras, déposant à nouveau un baiser sur sa tempe « Tout ira mieux désormais, Mila, je te le promets » murmure-t-elle alors qu’elle la garde contre elle. Elle est certaine que tout ça est pour le mieux, surtout en sachant que Lawrence va vivre avec elles, ce qui la rassure, elle, en retour.
« Donc, tu refuses de choisir entre nous deux mais tu me dis indirectement que tu choisiras son camp juste pour tes propres intérêts. Je retiens ». Mila eut un sourire malicieux. Si, plus jeune, elle avait toujours craint que Stacey rejoigne Lawrence à tout jamais et l’abandonne totalement, elle avait légèrement changé d’avis depuis qu’elle avait grandi. Disons qu’elle en profitait un peu plus. Un tout petit plus. Mila haussa les épaules. “Tu avoueras que c’est quand même plus pratique d’avoir quelqu’un dans son camp qui peut m’emmener au Starbuck dès que j’en ai envie”. Même si Lawrence rechignait à l’emmener, il finissait toujours par céder. Même s’il aimait beaucoup les brocolis, il ne savait pas dire non à un muffin.
La suite de la visite se déroula convenablement. Mila était ravie de pouvoir faire une vidéo pour Lawrence, même si Stacey ne pouvait s’empêcher de l’appeler “microbe”, alors qu’elle détestait ça. Elle n’avait jamais trop compris pourquoi ce surnom était resté. D’accord, elle n’était peut-être pas la personne la plus sympathique et la plus avenante de la planète Terre, mais quand même ! Un microbe ! Il y avait mieux, non ? Une puce ? Une fourmi ? Elle savait qu’elle n’obtiendrait de toute façon jamais gain de cause, la team Gallagher et Cabbott bien décidé à l’appeler comme ça pour le restant de ses jours. Alors elle n’insistait pas trop, et râlait seulement pour la forme et pour se donner bonne conscience.
La fin de la visite eut une saveur particulière. Ce genre de goût, qui de premier abord vous laisse un goût sucré, avant de vous assassiner les papilles avec un petit soupçon amer. Un peu comme les bonbons que Mila trouvait chez sa grand-mère. Les vieux bonbons qui traînaient au fond de son sac et qu’elle ne pouvait - déjà à l’époque… - pas s’empêcher de piquer. Elle était à la fois heureuse d’être ici, mais en même temps...En même temps, elle avait l’impression de faire quelque chose de mal. De trahir leur mère. De l’abandonner lâchement à son sort. Venir ici, décider de vivre ici, c’était un peu comme laisser le fantôme de leur mère, son souvenir, entre les murs de leurs vieilles maisons, avec leur diable de père. Comme si elles allaient la laisser emprisonnée là-bas. Ce sentiment lui tiraillait les entrailles. Contemplant le jardin depuis sa fenêtre, elle fit part de son sentiment à sa sœur. Elle comprendrait. Parce que Stacey comprenait toujours, non ? « Mila, bien sûr que oui… pourquoi elle ne le serait pas ? ». Mila haussa les épaules, réfléchissant en même temps. Sous ses doigts, la vitre froide lui rappelait étrangement le carrelage de la salle de bain et les lames brillantes qu’elle n’avait pas touchées depuis longtemps. “Peut-être parce qu’elle aurait voulu qu’on se batte plus. Qu’on tienne tête à papa. Qu’on…”. Elle s’arrêta. Elle ne savait pas vraiment, au fond, ce que sa mère aurait voulu qu’elles fassent. Qu’elles soutiennent plus leur père, peut-être. Qu’elles l’aident à se sortir de son trou pourri où il s’était enterré tout seul comme un grand, plutôt que de s’enfuir. Alors elle posa la question. La réponse de Stacey se fit plus ferme, sans pour autant être agressive. « Mila, elle ne nous en voudrait pas parce qu’on fait le bon choix, tu m’entends ? On ne peut plus rester dans cette maison parce qu’on y est plus en sécurité et parce qu’il faut aussi qu’on avance…Les souvenirs avec maman ne s’effaceront pas, ils resteront toujours en nous, peu importe où nous vivons, tout comme maman restera toujours dans notre cœur. Et, ici. ». Mila ne dit rien. Elle espérait que sa sœur disait vrai. Elle savait qu’elle avait en partie raison. Mais pas totalement. Parce que les souvenirs, c’était comme la buée sur un miroir après avoir pris une douche trop chaude. Ca finissait par s’évaporer. Ca devenait vaporeux, flou. Mila avait du mal à se souvenir du visage de leur mère. Et surtout de sa voix. « Nous allons en créer de nouveau, aussi beau et mémorable. Tout ira mieux désormais, Mila, je te le promets ». Mila se serra contre sa soeur quelques instants, suffisamment longtemps pour qu’elle arrive à s’imprégner de son odeur. Puis elle releva ses yeux humides vers elle. “Promis ?”. Ces promesses avaient comme un air de déjà vu. Comme sept ans plus tôt. Sauf que cette fois, la fin promettait d’être plus heureuse.