| Sisyphus peered into the mist | léolie #21 |
| | (#)Dim 6 Juin 2021 - 11:29 | |
| Léo est devant la porte de leur appartement, blême. Des jours d'errance, avec pour motif du "travail" à abattre. Le médecin n'a pas eu les yeux de la pitié qu'ont parfois les gens quand on leur en parle. Son diagnostic a été implacable, bien vite suivi par une bouillie de termes que Léo n'a pas écoutée. Il souriait bêtement tandis que le médecin déblatterait son jargon en le scrutant par dessus ses petites lunettes. Une bonne blague. Voilà, c'est une bonne blague.
Mais il a fallu se faire à l'idée, après la batterie de tests et les divers résultats. Pourtant, Léo ne se sent pas différent. Léo a l'impression d'être en parfaite santé, il n'a d'ailleurs jamais été aussi bien dans sa peau. Léo ne se souvient même pas de sa dernière grippe. L'état de faiblesse dans lequel il s'est trouvé à la même période, l'année passée, est depuis longtemps oublié. Son erreur a été de tout renvoyer au cas Auden Williams, responsable de son malheur passager. Mais tout va bien aujourd'hui, pas vrai ? Tout est incroyable, avec Charlie. Ils s'entendent parfaitement bien et désormais, Léo fait partie du décor de l'appartement. C'est comme s'il avait toujours été là et il a parfaitement intégré l'emplacement de tous les meubles, de tous les rangements. Il ne demande plus où sont les fourchettes, ne demande pas non plus où est rangée l'aspirine. Il vit ici, alors pourquoi pose-t-on, sur lui, l'épée de Damoclès de ce funeste diagnostic ?
Oui, Léo a vraiment l'impression de revivre. Pourtant, à l'intérieur de lui, quelque chose s'amuse à faire du sabotage. Ils ont prescrit des médicaments, les médecins. Ils lui ont assuré qu'aujourd'hui, les gens "vivent bien avec". Léo, il vivait déjà très bien sans. Il n'avait pas besoin que l'on rappelle à son petit cerveau ce que c'est, d'avoir envie de mourir. Et qu'en dira Charlie ? Comment lui annoncer ? Va-t-elle le quitter ? Elle aurait raison de le faire, n'est-ce pas ? Il ferait peut-être mieux de rentrer au pays, le petit canadien qui, depuis quelques jours, entend son père lui crier qu'il l'avait bien dit. Pas un cri de désespoir, non : le cri du triomphe. Celui qui dit fièrement que enfin, Léo va être effacé de la Terre où il a été mis au monde. C'est ce qu'a toujours essayé de faire son père, non ? L'effacer de la surface du monde. Léo a réussi à se procurer une bombe qui l'en retirera, pas besoin de se salir les mains.
Elle est là, Charlie. Elle attend dans le salon. Elle est occupée à faire Dieu seul sait quoi, quand Léo passe la porte de l'appartement en ébrouant ses cheveux humides de pluie. Même le ciel a décidé de pleurer, mais Léo ne pleure pas. Impassible, il pose son regard dans celui de Charlie. Avant de rentrer, il a repris consistance. Une respiration, une seule, avant d'entrer en apnée. Il faut l'annoncer - mais comment ? Commencer par le début. Quels étaient les mots du médecin, déjà ? Léo ne s'en souvient pas. Sous son bras, il apporte les papiers délivrés par l'hôpital, odieuses preuves de son flagrant manque de responsabilité.
« J'ai un truc à t'annoncer. » @charlie ivywreath |
| | | | (#)Mer 16 Juin 2021 - 15:21 | |
| Ils sont bientôt mariés depuis un an. D’accord, d’accord, cela ne fait en réalité pas du tout une année mais à peine cinq mois, mais c’est sans doute tout comme. Les jours filent sans qu’aucun ne se ressemble, sans qu’elle ne regrette à un seul instant son choix non plus. Habituée à la frivolité, il n’y a plus que Léo qu’elle peut aujourd’hui observer de ses grands yeux amoureux, les autres ayant été rétrogradés à tout jamais malgré son cœur d’artichaut. Il est le seul avec qui elle s’entende autant, avec qui elle veuille vivre, avec qui elle n’a pas peur de faire le moindre plan - qu’il soit sur la comète ou non. Leurs vies ne peuvent plus être séparées, non pas parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle ferait sans lui mais bien parce que Hope serait trop malheureux de perdre ses amis les chats, voyons. De même pour les jumeaux avec qui Léo s’entend si bien alors qu’il est le premier à détester les mini-me d’autrui. Ce sont les enfants de Charlie, ce n’est pas pareil.
C’est Léo, c’est pas pareil.
Et c’est justement ça qu’elle aime le plus chez lui, chez eux. Il a le pouvoir de tout remettre en question sans même le vouloir, lui qui peine encore à cuire des pâtes convenablement alors qu’il approche dangereusement de la trentaine. Ce n’est pas pour autant qu’elle pourrait moins l’aimer, bien sûr que non. C’est une raison tout aussi peu valable pour qu’elle ne se laisse pas aller à des projets d’avenir avec lui, à un appartement plus grand, à une petite maison en bordure de ville, à des vacances en Australie ou à l’étranger peu importe, tant qu’il y a de la nourriture. Ce n’est pas une raison pour qu’elle ne divague pas jusqu’à rêver d’enfants avec lui, au pluriel parce que c’est une chose importante et nécessaire à souligner. Elle a toujours pensé qu’il ne voudrait jamais d’enfant mais à bien observer la façon dont il se comporte avec les jumeaux et à quel point il se montre doux et attentionné avec les deux têtes blondes, la jeune femme est rapidement revenue sur cette idée. Qui plus est, ce n’est pas parce que les choses ses sont finalement mal passées avec Enoch qu’il en sera de même pour Léo. La comparaison entre eux deux est impossible, tout comme il est invraisemblable que les choses tournent mal avec Léo. Peu importe les épreuves, ils les traversent ensemble, c’est la règle.
Alors, quand son mari ne prend pas le temps de se poser à son retour de journée (il est parti depuis bien longtemps, non ?) et se contente d’annoncer quelques mots en l’observant les yeux dans les yeux, elle ne peut que se dire qu’il vient de lire dans ses pensées. C’est ainsi qu’elle affiche un large sourire à la seconde même où son « J'ai un truc à t'annoncer. » est prononcé, sans doute plus dramatiquement qu’il l’aurait lui-même voulu. Il a le visage fermé mais elle préfère encore chasser cette information de son esprit, se persuadant qu’il est simplement stressé. Sa main s’enroule autour de la sienne dans le même élan l’ayant fait se lever du canapé pour mieux l’y guider la seconde suivante. Elle sourit de toutes ses dents, Charlie, persuadée que rien de mal ne pourrait jamais leur arriver à nouveau. Après tout, ils ne sont pas encore le 10 juin. “Moi aussi. Viens, assis toi.” Elle demande, exige et propose à la fois, souriant de toutes ses dents, laissant ses doigts courir sur les mains contractées de son mari. Il est stressé, c’est bien sûr, elle ne peut pas lui en vouloir. “On le dit ensemble à trois ?” Question rhétorique, bien sûr, puisqu’elle parle de toute façon bien trop vite pour qu’il puisse y comprendre quoi que ce soit et encore moins pour qu’il ait le temps de parler à son tour.
Le décompte se fait, organisé par Charlie. Pourtant, lorsque ses dernières paroles se veulent simple et sans équivoques, “Je veux qu’on ait un enfant.” celles de Léo n’ont ironiquement rien à voir avec les siennes, la faisant s’immobiliser, incapable de savoir quelle réaction avoir. Assis en tailleurs, leurs genoux se touchaient, leurs mains aussi. L’instant suivant, elle s’immobilise telle une statue. |
| | | | (#)Jeu 1 Juil 2021 - 13:33 | |
| Elle met trop d'entrain, toujours. Trop de joie. Ses yeux sont magnifiques, quand elle est comme ça. Ils pétillent. Léo s'est souvent surpris à vouloir les dessiner, mais n'a jamais réussi à les saisir. Quand elle attrape ses mains, Léo la suit. Il n'a pas d'autre choix que de se laisser porter, de toute façon. Soudain, tous les mots qu'il a préparé sur le chemin ont quitté sa tête. J'ai un truc à t'annoncer. Pathétique. Elle aussi, elle a peut-être quelque chose à lui annoncer. Est-ce qu'elle a reçu une promotion, dans son travail que Léo comprend mal ? « Moi aussi. Viens, assis toi. »
L'instant d'après, ils sont assis dans le canapé. Léo n'ose plus la regarder dans les yeux. Il est occupé à observer ses propres mains, les yeux baissés. Un chat grimpe sur les genoux de Charlie alors que Hope vient saluer Léo. Les animaux s'entendent bien et c'est la première fois que Léo le remarque. C'est un jour à célébrer, pas un jour durant lequel il faut se morfondre. Léo imagine déjà le sourire de Charlie décroître. Elle est encore pleine de vie quand lui se voit déjà mort. Pourquoi se sont-ils mariés, déjà ? Les mots, dans les jolies phrases de mariage, disent "dans la santé comme dans la maladie". Et cette étape là, sont-ils déjà prêts à la franchir ? Les choses auraient sûrement été différentes s'ils avaient encore, l'un pour l'autre, le statut qu'ils avaient autrefois. Mais cela aussi, Léo l'a gâché. Il faut toujours qu'une fois les choses construites, Léo mette un grand coup de pied dans l'édifice. Léo est un enfant adepte des châteaux de sable, surtout quand il est temps de les détruire. « On le dit ensemble à trois ? » Oh non, Charlie, non. Léo s'apprête à protester quand elle se lance, se presse déjà à lui communiquer la jolie nouvelle qu'elle souhaite lui annoncer.
« Je veux qu’on ait un enfant. » « J'ai le VIH. »
Les annonces sont aussi pires l'une que l'autre. Léo hoche la tête en silence alors que ses mains sont encore dans celles de Charlie. Le poids des mots s'ôte au moins de sa poitrine, alors qu'il arrache à nouveau ses yeux à ceux de Charlie. Dans la pièce, on n'entend plus une mouche voler. Elle veut un enfant. Léo se mord l'intérieur des joues, incapable d'en dire plus. Ses cheveux cachent de toute façon ses yeux qui se remplissent de larmes. Son visage, honteux, s'est probablement teint de rouge. « J'ai le VIH. » qu'il chuchote, plus bas, alors que les ruisseaux de larmes envahissent en silence son visage. Doucement Léo se laisse glisser contre Charlie. Il ne sanglote pas. Son visage est parfaitement inexpressif, contre l'épaule de son épouse. Il ne se sent pas malade et c'est ça le pire. Il a l'impression d'être, encore une fois, la déception qu'on se traîne au pied. Le gamin qui ne va jamais bien. Elle veut un enfant. Peut-être qu'elle est malade, elle aussi. Léo ne se souvient même pas de la fois où il s'est laissé aller à l'imprudence. On confondra bien volontiers les larmes qui coulent sur l'épaule de Charlie avec la pluie qui ruissèle des cheveux humides de Léo. Tant mieux. Ce n'est surtout pas dans ses yeux qu'il attend de voir un regard de pitié. Quand elle partira, surtout, qu'elle ne se retourne pas. Le canadien refuse de constater que la dernière pensée qu'elle a eu pour lui fut de la pitié. |
| | | | (#)Jeu 1 Juil 2021 - 16:21 | |
| Obnubilé par l’annonce qu’elle a à lui faire, Charlie est aveugle face au trouble de son mari, lui qui se montre pourtant éternellement joyeux et plein d’entrain. Elle ne tente même pas de lui trouver des excuses, elle se contente de fermer les yeux et se focalise sur ses doigts avec lesquels elle joue des siens. La proposition devient bien rapidement le seul et unique plan, celui de tout se dire à trois. C’est la voix d’une enfant qui fait le décompte, celle d’une adulte qui préfère se dire qu’elle a mal entendu sa réponse plutôt que de faire face à la réalité des choses.
« Je veux qu’on ait un enfant. » « J'ai le VIH. »
Le sourire de la jeune femme meurt aussitôt, au même instant où ses prunelles tentent de trouver celles de son homologue, en vain. Sa respiration aussi est différente : elle sait déjà ce qu’elle a entendu, tout comme elle sait très bien que cela n’a rien d’une blague, rien d’une langue qui a dérapée non plus. Trois lettres se font désormais le synonyme d’anarchie et de fin de leur parfait petit cocon. La position recroquevillée de son mari lui brise un peu plus le cœur encore alors qu’il n’a pas la force de soutenir le regard de celle qui l’aime pourtant plus que tout au monde, malgré toutes les difficultés que cela implique parfois - et aujourd’hui plus que jamais. « J'ai le VIH. » Les mêmes sons se répètent, faiblement cette fois. Charlie lâche ses doigts pour préférer venir passer ses bras autour de ses épaules, le ramenant un peu plus à elle alors qu’il avait déjà entamé ce geste par lui-même. Son tee-shirt épongera ses larmes et elle (tentera de) restera forte alors que le son fait écho dans ses oreilles.
Ce sont des choses qui arrivent à d'autres, mais jamais à soi. Ce sont des histoires qu’on conte depuis des les dires d’amis d’amis, des connaissances lointaines dont le prénom se perd au fil des transmissions orales. On parle de morts précipitées, trop jeunes. On parle de diagnostics trop tardifs, d’une parole qui peine à se libérer. Elle s’en moque bien de tout ça, Charlie, tout comme elle n’en a plus rien à faire de vouloir un enfant et de lui avoir injustement imposé ses paroles alors qu’il se sait malade. “Je t’aime.” Ce sont des mots qui restent les mêmes, attachés à des sentiments immuables. Son besoin premier consiste à vouloir rassurer Léo, à lui redire autant de fois que nécessaire autant de mots qui restent et resteront toujours valable, peu importe son état de santé. “Je suis avec toi.” Ils resteront ensemble dans cette épreuve, peu importe tout ce que cela peut impliquer et que Charlie n’est pas apte à anticiper. Elle est déjà prête à tout pour Léo, cela ne changera pas. Elle quittera son travail si elle doit le faire, ils iront à l’hôpital tous les jours s’il y en a besoin. Peu importe ce que son diagnostic implique, elle restera à ses côtés, à l’écoute de ses besoins - et cette fois, c’est promis, elle ne lui imposera plus jamais ses propres envies. Les priorités changent mais il reste toujours la sienne, alors elle tente d’être forte pour eux deux, gardant ses yeux secs. “Tu veux en parler ce soir ou plus tard ?” Est ce que son espérance de vie est diminuée ? Elle n’y connaît rien, elle, aux maladies qui n’arrivent qu’aux autres. “Je sais que t’adules Freddie mais quand même.” Alors elle tente du mieux qu’elle le peut de lui dérober un sourire, ou quoi que ce soit qui s’éloigne moindrement de la tristesse qu’elle devine déjà sur son visage. Il en a tous les droits, ce soir plus que jamais, et elle s’en veut plus encore de ne pas avoir été présente lorsqu’il l’a su et a du être terrassé par la peur bien plus que la tristesse. “On trouvera un moyen.” C’est faux, elle n’inventera rien de plus et lui tout aussi peu, mais Charlie a besoin de se rassurer elle-même, incapable d’imaginer une vie dans laquelle il n’est pas à ses côtés jusqu’à la fin, débordant d’énergie, de vitalité et de mauvaises idées. |
| | | | (#)Mer 1 Sep 2021 - 13:23 | |
| Elle ne l'entendra pas pleurer. Pourtant, Léo est serré contre elle, les bras ballants. Il n'a pas le courage de rajouter quoi que ce soit. Il n'a pas le courage de lui montrer les papiers et les brochures données par les différentes personnes qui lui ont parlé des traitements. Il n'a rien retenu du tout, d'ailleurs. « Je t’aime. » Dieu qu'il l'aime aussi. Ses doigts se serrent contre le corps de la jeune femme alors qu'il ferme les yeux, juste un instant. La tranquillité de leur foyer ne les sauvera pas, pas cette fois. « Je suis avec toi. » Elle n'a pas à être avec lui. Elle ne devrait pas à vivre tout ça, pas alors qu'ils ne se sont retrouvés que depuis quelques mois. Elle ne devrait pas subir ni entendre des mots pareils à ceux que Léo vient de prononcer. Et lui, l'égoïste, cherche encore qui est le responsable de son malheur. Mais il n'y a personne d'autre que lui, lui et son sens mal aiguisé des responsabilités. Vivre loin de Charlie a rendu son jugement hasardeux.
Léo respire un grand coup avant de s'écarter un peu de Charlie. D'un mouvement empressé, il s'essuie les joues et les yeux. Il n'a pas pleuré quand l'annonce a été faite. Maintenant, il ne voudrait faire que ça. Ce serait un juste retour aux origines, au lit qu'il connaît bien et à des habitudes plus que familières. Il serait trop facile de se glisser sous les draps pour y hiberner quelques mois de plus. Il serait trop facile de laisser Charlie filer à la recherche de quelque chose de mieux qu'un mari qui fait la loque à la moindre difficulté. Mais cette fois-ci, la difficulté est grande, plus grande qu'un simple amant un peu compliqué à oublier. « Tu veux en parler ce soir ou plus tard ? » « Y'a des brochures. Tu peux discuter avec elles, j'ai rien écouté à ce qu'ont dit les médecins. » Les informations au sujet de tout ça, Léo n'en a que vaguement récupéré des miettes en passant dans les toilettes des bars, sur ces grandes affiches colorées qui tentent de mettre du bonheur là où il n'y en a pas. Léo n'y a jamais vraiment prêté attention. Pourquoi l'aurait-il fait, lui qui se protège et ne consomme rien qui implique des échanges de fluides ? « Je sais que t’adules Freddie mais quand même. » Charlie parvient tout de même à lui arracher un rire un peu noyé dans un reste de larmes. « Il est mort à quarante-cinq ans. J'ai encore un peu de temps. » Son front se pose un instant contre celui de Charlie. Les larmes ont arrêté de couler, mais pas pour très longtemps. La trêve de durera pas.
« On trouvera un moyen. » « Trouve des milliards de dollars ou un poste de chercheuse. Tu feras un mari heureux et vivant. » L'instant d'après, Léo se dérobe pour aller leur servir de quoi passer la soirée un peu plus tranquillement. Deux grands verres d'une bière qu'ils connaissent bien pour en avoir expérimenté l'ivresse le premier soir de leur rencontre. « Ecoute, si tu veux que... Enfin je... » Léo trouve mal ses mots et il lui est plus facile de noyer un instant ses pensées dans la bière. Depuis quelques minutes déjà, son regard n'ose plus trouver celui de Charlie. « Tu peux... On peut annuler le mariage. T'as pas signé pour ça. Tu veux un autre enfant, tu l'as dit toi-même et je sais pas comment ça marche. Enfin, si, les enfants oui mais tu sais, avec... » Le revoilà le prolixe invétéré, celui qui marche au stress et qui noie à nouveau ses mots dans son verre. « Et il faut que tu te fasses tester. Je m'en voudrai toute ma vie si à cause de moi tu l'as aussi. » La honte prend à nouveau vit sur ses traits comme les larmes lui montent aux yeux: avec une facilité déconcertante. « Je peux reprendre mon ancien appartement, la mamie qui me le louait m'adore. » La honte laisse lentement place à un air résolu, mais Léo ne lance toujours aucun regard à sa femme. Et si elle le laisse tomber, le père de Léo pourra dire "tu l'as bien cherché" à son fils. Parce que, c'est vrai, pour une fois, le paternel aura bien raison. |
| | | | (#)Ven 3 Sep 2021 - 14:30 | |
| Elle l’a déjà vu pleurer et ce jour n’a rien de différent que cet autre, où la raison de son chagrin était le pot de confiture qu’elle avait terminé sans le prévenir. La gravité est la même et trouver une solution sera tout aussi simple, elle en est persuadée. Ils devront simplement y travailler un peu plus, mais cela ne veut pas dire qu’il doit lui cacher sa tristesse. Il est beau même quand il pleure, elle continuera de l’aimer même dans la maladie. Sa peau va devenir rouge, s’il continue de frotter aussi frénétiquement, et c’est ce qu’elle pense être le pire qui puisse lui arriver. Son Léo est éternel, ce n’est pas un quelconque virus qui risque de le mettre à terre. « Y'a des brochures. Tu peux discuter avec elles, j'ai rien écouté à ce qu'ont dit les médecins. » Quand bien même elle a passé l’âge de parler à des êtres inanimés, Charlie serre des dents et ne dit rien. Elle lira les brochures, elle lira ce que dit Internet. S’il ne veut pas le faire alors elle s’en occupera à sa place, ce n’est pas grave. Ils sont deux dans cette épreuve, que cela lui plaise ou non. La jeune femme le laisse reposer son front contre le sien. Ici, au moins, elle peut sentir son souffle contre son cou et ainsi s’assurer qu’il continue de respirer. Ses doigts glissent contre sa nuque brûlante et se frayent de nouveau un chemin entre ses cheveux.
On trouvera un moyen. « Trouve des milliards de dollars ou un poste de chercheuse. Tu feras un mari heureux et vivant. » Il ne peut pas être aussi pessimiste alors qu’ils n’en sont qu’au début de leur combat ; elle ne peut pas le laisser agir ainsi et pourtant, paradoxalement, elle ne dit rien. Léo a encore l’excuse du choc de l’annonce, il digère la chose à sa façon, usant d’ironie et d’humour noir. Il restera à jamais son mari heureux et vivant. Et si quelqu’un doit le tuer, ce ne peut être qu’elle. La stagiaire le laisse se dérober à contre-coeur, ne laissant jamais son regard se poser autre part que sur sa silhouette. La bière qu’il ramène aura un goût amer, ce soir, et elle n’est même pas certaine d’être en mesure d’avaler quoi que ce soit alors que l’inquiétude lui broie la gorge. Ce n’est même pas elle la malade (mourante), pourtant, et elle sait ô combien cette réaction se veut égoïste. « Ecoute, si tu veux que... Enfin je... » La réponse sera forcément ‘non’, elle l’anticipe déjà. Elle le connaît trop, son Léo et ses milliers de mauvaises idées à la seconde.
Les secondes s’écoulent sans qu’elle ne le coupe, pourtant. Il a besoin d’aller au bout de ses pensées et sa femme le laisse faire, quand bien même la simple idée de se séparer de lui suffit à lui briser le coeur. Celle qui veut qu’il pense lui-même à forcer le processus ne fait que broyer son palpitant. Si les rôles avaient été échangés, est-ce qu’il aurait fui ? C’est une question dont la réponse l’effraye et qu’elle ne posera par conséquence pas. Ils ont déjà bien assez de problèmes auxquels ils doivent faire face. « Tu peux... On peut annuler le mariage. T'as pas signé pour ça. Tu veux un autre enfant, tu l'as dit toi-même et je sais pas comment ça marche. Enfin, si, les enfants oui mais tu sais, avec... » Si seulement il pouvait voir dans les yeux de sa femme à quel point elle trouve l’idée mauvaise, mais il préfère encore la fuir. Charlie resserre les doigts, maltraite ses joues, accepte l’idée dans un silence révolté. L’idée, pas sa réalisation. “Dans la santé comme dans la maladie. C’étaient pas que des paroles pour faire plaisir au prêtre.” Elle n’a pas la force d’argumenter contre lui, c’est un fait, mais elle ne peut pas le laisser aller plus loin dans son idée de divorce, de séparation, de peu importe ce à quoi il pense encore. “T’es plus important que mon envie d’avoir un enfant, sombre imbécile.” Les mots sont bas, c’est à son tour d’être submergée par une émotion qui n’a pas lieu d’être. Léo est le seul à avoir droit à la tristesse. « Et il faut que tu te fasses tester. Je m'en voudrai toute ma vie si à cause de moi tu l'as aussi. » Cette fois-ci, il n’y a pas de réponse à formuler : elle se contente de hocher de la tête. Elle n’avait même pas pensé à la probabilité qu’elle soit à son tour malade tant Léo était le centre de ses pensées et qu’il continue encore à l’être en cet instant. Sans doute n’a-t-elle toujours pas conscience de la gravité de la situation. Ce sont des choses qui arrivent aux autres, pas à eux, pas alors qu’ils vivent un rêve éveillé. « Je peux reprendre mon ancien appartement, la mamie qui me le louait m'adore. » - “Arrête de dire des conneries.” Le ton se veut plus tranchant, désormais. Ses yeux brillent de larmes qu’elle ne laissera pas couler, mais elle est au moins fermement décidée à ce qu’il arrête de lui partager des idées stupides. “J’ai dit qu’on allait y faire face ensemble et je continue de le penser. Peu importe ce qu’il faut faire, on le fera ensemble et t’as pas intérêt de me proposer encore une fois de divorcer ou de quitter cet appartement, Léo Ivywreath.” Elle a pris son nom et n'a aucune intention de le lui rendre un jour, peu importe ce qu'il pourra advenir entre eux.
Lentement, sa main se relève à hauteur de sa tête et son index lui montre le chemin à suivre pour tourner son regard en sa direction. Elle n'est pas une ennemie, elle n'est pas un obstacle non plus. Ils sont dans la même équipe, depuis le premier jour et jusqu'au dernier, aussi éloigné puisse-t-il rester. Ses yeux cherchent les siens, leurs si précieux homologues aux iris claires. "Je t'ai fait divorcer d'une femme que n'importe quel homme aurait aimé de tout son coeur, alors crois moi quand je te dis que je laisserai pas le premier virus venu t'éloigner de moi." Peu importe le taux de mortalité du premier virus venu et du manque de soins. Il ne peut pas lui dérober l'homme de sa vie, ce n'est pas ainsi que les choses sont supposées se passer. |
| | | | (#)Mer 8 Sep 2021 - 0:38 | |
| Cette fois-ci, les larmes sont plus difficiles à endiguer que d'habitude. Rien ne semble arrêter leur flot incessant, même pas la présence rassurante de Charlie. Bien qu'il soit contre elle, la respiration de Léo ne semble pas vouloir se calmer. Ses poumons cherchent de l'air dans la pièce à travers les larmes, tant bien que mal. Tout devient compliqué, même la simple tâche de regarder Charlie dans les yeux. Surtout la simple tâche de regarder Charlie dans les yeux. « Dans la santé comme dans la maladie. C’étaient pas que des paroles pour faire plaisir au prêtre. » « Oui mais... » Mais elle a le dernier mot et Léo se tait, respirant enfin un peu plus tranquillement. Elle ne part pas de colère. Elle ne part pas de tristesse ni de déception. Elle ne part pas, tout simplement. Elle reste à ses côtés et en une phrase, elle fait presque oublier à Léo ses idées désespérées de la faire fuir - pour son propre bien, dirait-il. « T’es plus important que mon envie d’avoir un enfant, sombre imbécile. » Vraiment ? Cette lueur affreuse que le jeune homme trouve dans les yeux de Charlie achève de le convaincre qu'il n'aurait pas dû s'imposer dans la vie de la jeune femme d'une telle façon. Elle n'a jamais mérité de souffrir des états d'âmes de Léo, dont les mauvaises idées florissantes attirent toujours une cascade de problèmes toujours plus nombreux. L'idée du test en revanche, n'est pas si idiote. C'est un éclair de lucidité avant que Léo ne replonge dans son besoin de se replier, loin d'elle parce qu'elle est tout ce qui compte. « Arrête de dire des conneries. » La moue que Charlie arrache à Léo est celle d'un enfant puni. « J’ai dit qu’on allait y faire face ensemble et je continue de le penser. Peu importe ce qu’il faut faire, on le fera ensemble et t’as pas intérêt de me proposer encore une fois de divorcer ou de quitter cet appartement, Léo Ivywreath. » C'est ce qu'il allait faire, avant qu'elle ne prenne ce ton si tranchant qui dissuade toujours Léo de faire la bêtise qu'il s'apprêtait à exécuter de façon si magistrale.
Non, il ne partira pas. Son nom - leur nom - est écrit sur la sonnette et cela ne changera pas. C'est avec plaisir qu'il contemplera les placards pleins de ses vêtements mêlés à ceux de Charlie. C'est avec effroi qu'il la verra utiliser sa brosse à dents et c'est aussi avec un peu de dégoût qu'il continuera de déboucher la douche, que les cheveux de Charlie transforment en piscine à débordement. Heureusement, pour cacher un sourire de joie mêlé de larmes, le verre de bière est là. L'alcool a un drôle de goût, ce soir. Pas celui de la fête, malheureusement. Charlie est encore une fois là pour sauver Léo de ses idées noires. C'est un tandem qui fonctionne bien - mais jusqu'à quand ? « Je t'ai fait divorcer d'une femme que n'importe quel homme aurait aimé de tout son coeur, alors crois moi quand je te dis que je laisserai pas le premier virus venu t'éloigner de moi. » C'est un rire léger qui s'échappe alors d'entre les lèvres du canadien, qui ne pose sa bière que pour avoir tout le loisir d'enlacer celle qu'il est si fier d'appeler sa femme. « J'adore quand tu me dis que je suis pas comme n'importe quel homme. » Le baiser qui suit a peut-être un goût de bière, mais tous les suivants n'ont que pour but de tarir les larmes de Charlie. Léo en recouvre sa bouche, ses joues, son front et ses paupières, pourvu que les sillons salés s'effacent de la peau de la jeune femme.
L'instant d'après c'est sa main qu'il attrape, l'entraînant résolument dans la chambre qu'ils partagent ensemble. C'est tout habillé qu'il se jette par dessus les draps, entraînant dans sa chute la blonde. « Tu te souviens du premier soir ? J'étais trop bourré pour savoir où je marchais et t'étais trop bourrée pour me dire que je t'écrasais les pieds. » Allongé à côté de Charlie, Léo écarte les cheveux de son visage. Elle est belle tout le temps, mais elle l'est encore plus dans les lueurs projetées par la ville depuis l'extérieur de leur bulle si parfaite. « Je t'aime. Je ferai en sorte que tout s'arrange. Et je ne m'enfermerai pas sous ma couette, c'est juré. » Léo laisse échapper un sourire avant de voler à Charlie un autre baiser. Il est bien, ici, contre elle. Et rien ne l'en fera bouger. |
| | | | (#)Mer 8 Sep 2021 - 20:46 | |
| « J'adore quand tu me dis que je suis pas comme n'importe quel homme. » Elle préférerait avoir à lui dire dans d’autres circonstances, si jamais cela faisait encore le moindre doute. Pourtant ce sont des paroles dont elle est certaine : il ne ressemble à aucun homme, ni de près, ni de loin. Il est unique en son genre et sur bien des aspects et elle serait prête à lui tenir la liste des raisons dans l’ordre alphabétique ou croissant, peu importe. Il est le seul qu’elle aime, par exemple, et c’est un point sur lequel on mérite d’insister. Pour cette raison comme tant d’autres, elle répond à son baiser quand bien même ses lèvres goûtent l’alcool et que ses joues sont encore pleines du sel de ses larmes. Telle une enfant, elle rigole finalement des baisers qu’il laisse échapper sur tout son visage, ceux-là même qui lui permettent de reléguer sa tristesse au millième plan.
Sa main suit la sienne, ses pas en font de même, et c’est comme si toute leur discussion et ses conséquences avaient été oubliées. Il y a une seconde à peine, il lui demandait sérieusement s’ils ne devraient pas faire appartement à part. Maintenant, elle n’a nulle envie d’être plus loin que dans ses bras. La chute de Léo sur le lit est lente et dramatique, celle de Charlie l’est tout autant alors qu’elle prend grand soin de ne pas se prendre un coup de genou et de n’en donner aucun non plus. « Tu te souviens du premier soir ? J'étais trop bourré pour savoir où je marchais et t'étais trop bourrée pour me dire que je t'écrasais les pieds. » Bien sûr qu’elle s’en souvient, elle n’a rien de sénile, pas à son âge. Ces souvenirs ramènent toujours un sourire sur ses lèvres, il est presque suffisant pour cacher toute sa peine. Sa main trouve désormais refuge sur celle de Léo, le laissant pourtant jouer de ses mèches blondes sans jamais s’en lasser. “J’avais surtout aucune envie de te donner une raison de t’éloigner de moi.” Déjà à l’époque, la présence de Léo à ses côtés était apparue comme une évidence, si ce n’est une nécessité. Il était parfait, même lorsqu’il lui écrasait chaque orteil un à un. « Je t'aime. Je ferai en sorte que tout s'arrange. Et je ne m'enfermerai pas sous ma couette, c'est juré. » Ses yeux se ferment au moment de répondre avec plus de délicatesse que jamais au baiser de son mari. Il est une évidence ; lui, comme le baiser. “Je t’aime tellement.” C’est à ses côtés qu’elle a enfin découvert ce que c’était que d’aimer quelqu’un et pas seulement vouloir une présence à ses côtés. La blonde glisse contre le matelas, s’avance de quelques centimètres pour finalement trouver une place contre son torse, incapable de faire quoi que ce soit d’autre que d’apprécier l’instant. Ils trouveront une solution, oui, mais pas maintenant. Elle profite encore de leur insouciance, pour les derniers instants dont ils le peuvent encore. |
| | | | | | | | Sisyphus peered into the mist | léolie #21 |
|
| |